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Date: 20141219

Dossier : IMM-7949-13

Référence: 2014 CF 1236

Ottawa (Ontario), le 19 décembre, 2014

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

LAMIA ALOULOU

HAMDI BATRI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs sont mère et fils et sont originaires de la Tunisie.  Ils ont quitté ce pays pour le Canada en janvier 2013 et ont réclamé la protection du Canada aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi) le mois suivant.  Ils se disent persécutés par l’ex-mari de madame Aloulou et père de monsieur Batri (ou co-demandeur), un homme violent qui, suite à sa sortie de prison en mars 2012, aurait recommencé à les harceler et à les menacer de mort.

[2]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la SPR) n’a pas cru leur histoire et a conséquemment rejeté leur demande d’asile.  Les demandeurs en ont appelé de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR) qui, le 15 novembre 2013, a rejeté l’appel.

[3]               C’est à l’encontre de cette décision de la SAR que les demandeurs se pourvoient en l’instance.  Ils estiment que la SAR a erré de trois façons: d’une part, en concluant que la SPR n’avait pas fait preuve de partialité en rejetant leur demande d’asile; ensuite en abdiquant son rôle de tribunal administratif d’appel par l’application d’une norme d’examen trop étroite de la décision de la SPR; et, à tout événement, en concluant, sur la base de cette norme restreinte, qu’il n’y avait pas lieu pour elle d’intervenir.

[4]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie en partie.

I.                   Contexte

A.                La Demande d’Asile des Demandeurs

[5]               Les demandeurs disent craindre l’ex-mari de Mme Aloulou, un dénommé Boujemâa Batri, qu’elle a marié à la fin août 1989.  Mme Aloulou allègue qu’à peine marié, son ex-mari commence à l’insulter et à se montrer violent envers elle au point de la gifler en public et de lui briser une côte.  Sauf pour un incident, où l’ex-mari lui administre un coup de poing, ces sévices, presque quotidiens selon Mme Aloulou, cessent en mars 1990 alors qu’elle tombe enceinte du co-demandeurCelui-ci nait en décembre 1990 et quelque mois plus tard, soit en mai 1991, Mme Aloulou rapporte être victime d’une nouvelle agression physique de la part de son ex-mari, laquelle entraîne l’interruption d’une grossesse fortuite.

[6]               Elle rapporte aussi que peu de temps après, soit août 1991, son ex-mari est arrêté et incarcéré pour une accusation de meurtre pour laquelle il sera trouvé coupable et condamné à la prison à vie.  Elle obtient le divorce en décembre 1998.

[7]               Toutefois, poursuit Mme Aloulou, en mars 2012, son ex-mari est libéré de prison grâce à une amnistie présidentielle et se met de nouveau à la pourchasser, la harceler et la menacer.  Elle n’est cependant plus seule à subir ce traitement, lequel est désormais aussi dirigé contre le co-demandeur.  En octobre de la même année, les demandeurs, après avoir vu l’ex-mari devant leur résidence, portent plainte à la police et déménagent précipitamment dans une localité située à 100km de leur lieu de résidence.  Malgré leurs efforts pour s’éloigner et se cacher de l’ex-mari, celui-ci les repère de nouveau, ce qui les convainc de quitter la Tunisie pour chercher refuge au Canada.

[8]               Les demandeurs obtiennent un visa de visiteur à la mi-décembre 2012 et quittent la Tunisie pour le Canada le 22 janvier 2013.  Leur demande d’asile est produite à la mi-février 2013.

[9]               Le 15 août 2013, la SPR conclut que les demandeurs ne sont ni des réfugiés ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur la base que leurs témoignages révèlent plusieurs contradictions, incohérences ou invraisemblances qui mettent à mal leur crédibilité.

[10]           Les demandeurs en appellent à la SAR.  Ils estiment que le commissaire de la SPR qui préside l’audience a, par son comportement, fait naître une crainte raisonnable de partialité.  Ils estiment également que l’appréciation de leur crédibilité à laquelle s’est livrée la SPR est erronée dans la mesure où elle procède d’une lecture incomplète, erratique, imprécise ou inexacte des faits mis en preuve.

B.                 La Décision de la SAR

[11]           Le 15 novembre 2013, la SAR rejette l’appel des demandeurs.  Elle conclut, d’une part, après avoir procédé à l’écoute de l’enregistrement de l’audience à la lumière des reproches formulés par les demandeurs, qu’aucune crainte raisonnable de partialité ou même d’apparence de partialité de la part de la SPR n’a été objectivement démontrée.  En particulier, elle ne décèle chez le commissaire de la SPR aucun comportement dérogatoire qui aurait pu être interprété par un observateur renseigné et raisonnable comme faisant naître une apparence de partialité.  L’enregistrement de l’audience ne révèle entre autres, selon elle, rien des remarques acerbes, ironiques, sarcastiques, désobligeantes, déplacées, inappropriées ou intempestives attribuées à ce commissaire par les demandeurs.

[12]           En ce qui a trait à la question de l’appréciation de la crédibilité des demandeurs, la SAR procède à son analyse sur la base de la norme de la décision raisonnable et en adoptant, ce faisant, la même déférence envers les décisions de la SPR que celle s’imposant aux cours de justice appelées à juger du caractère raisonnable des décisions de décideurs de première instance.

[13]           La SAR estime, sur la base de cette norme d’examen, que les conclusions de la SPR en matière de crédibilité et d’évaluation de la preuve bénéficient d’une grande déférence et que, dans ce contexte, son rôle n’est pas de réévaluer la preuve au dossier, ni de procéder à une analyse microscopique de la décision de la SPR en l’espèce, mais plutôt de déterminer si, analysée globalement, cette décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.  Elle conclut que c’est le cas.

II.                Questions en litige

[14]           Le présent litige soulève trois questions.  La première consiste à savoir si la SAR a erré en rejetant l’argument de partialité des demandeurs.  La seconde est savoir si la SAR a adopté la bonne norme d’examen de la décision de la SPR, c'est-à-dire une norme d’examen propre à son rôle de tribunal administratif d’appel, tel que défini par la Loi.

[15]           Enfin, et en supposant que la norme d’examen choisie était la bonne, la troisième question en litige consiste à déterminer si la SAR a commis une erreur révisable en concluant que la décision de la SPR rejetant la demande d’asile des demandeurs parce que non crédible est raisonnable, c'est-à-dire qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[16]           Pour les raisons qui suivent, le premier moyen invoqué par les demandeurs doit échouer, mais non le second, ayant trait à la norme d’examen.  Dans ces circonstances, il ne sera pas nécessaire de se pencher sur la troisième question en litige.

III.             Analyse

A.                La Question de la Partialité

[17]           Les demandeurs allèguent que le commissaire qui présidait leur audience devant la SPR s’est montré désobligeant, irrespectueux, impatient et insensible à leur égard, notamment par le biais de remarques et ricanements ironiques, créant ainsi un doute quant à son impartialité.

[18]           La SAR a procédé, à la lumière des principes juridiques applicables, à un examen minutieux des reproches adressés à la SPR à cet égard, pour conclure que ceux-ci n’étaient pas fondés.  La règle de l’impartialité des décideurs étant une composante des règles de l’équité procédurale, c’est aux termes de la norme de la décision correcte que je me dois d’examiner la décision de la SAR à cet égard.  En d’autres termes, je ne lui dois aucune déférence.  Le principe est largement reconnu et ne requiert pas plus ample démonstration (Kozak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 124, [2006] 4 FCR 377au para 44; Muhammad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 448 au para 51; Morales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 1220, au para 7).

[19]           Cela dit, et ayant moi-même écouté attentivement l’enregistrement de l’audience et sous-pesé les arguments des parties, je ne peux que conclure dans le sens de la SAR sur cette question.  Quant à moi, et ceci dit avec égards, il n’y pas l’ombre d’un indice de comportement, de la part du commissaire qui présidait l’audience des demandeurs devant la SPR, pouvant donner ouverture à un argument de partialité réelle ou apparente.

[20]           La formulation la plus communément acceptée du critère applicable pour déterminer s’il y a ou non crainte raisonnable de partialité dans un cas donné nous vient de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Committee For Justice c L’office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369.  Ainsi, pour qu’une crainte de partialité soit fondée, elle « doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet ».  Dit autrement, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique ».  En tentant de répondre à cette question, il faut par ailleurs bien se garder de ne pas confondre cette personne raisonnable et bien renseignée et la personne scrupuleuse ou tatillonne (Committee For Justice, aux pages 394 et 395).

[21]           Les demandeurs ont raison de souligner les propos de mon collègue, monsieur le juge Martineau, dans l’affaire Kabongo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1106, 397 FTR 191, où celui-ci rappelle que le maintien de l’apparence d’impartialité du processus canadien d’asile doit se refléter au quotidien de même que dans la manière que les membres de la SPR préparent, entendent et décident d’une affaire (Kabongo, au para 34).

[22]           La question à résoudre demeure toutefois la même: à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique.  En répondant à cette question, il faut se rappeler que la partialité est une allégation sérieuse puisqu’elle met en doute l’intégrité du décideur et qu’elle ne peut, en conséquence, être faite à la légère.  La jurisprudence nous enseigne qu’une telle allégation doit être étayée par des preuves concrètes faisant ressortir un comportement dérogatoire à la norme.  En d’autres termes, elle ne peut reposer sur de simples soupçons, des insinuations ou encore sur de simples impressions d’une partie ou de son procureur (Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, au para 8; Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 809, au para11; Maxim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1029, au para 30).

[23]           Or en l’espèce, comme l’a noté la SAR, l’enregistrement de l’audience fait apparaitre un commissaire méthodique, mais posé, patient, courtois et respectueux.  À moins de se camper dans un état d’esprit qui ne peut être celui de la personne raisonnable et bien renseignée qui examine la question en profondeur et de façon réaliste, cet enregistrement ne recèle aucune trace de remarques ou propos acerbes, ironiques, sarcastiques, désobligeants, inappropriés ou intempestifs, entremêlés de ricanements déplacés, comme le prétendent les demandeurs.

[24]           Ceux-ci font grand cas du fait que le commissaire de la SPR, tentant de comprendre la preuve de Mme Aloulou sur la fréquence des sévices que lui faisait apparemment subir son ex-mari, a indiqué, le tout suivi d’un ricanement, que quand celui-ci se trouvait en Europe, il ne la frappait pas.  Mme Aloulou estime que ces propos, tenus dans la quinzième minute d’une audience qui a duré plus de trois heures et qu’elle a perçus comme dérogatoires et indicateurs d’un parti-pris contre sa version des faits, ont affecté le reste de son témoignage.  Le co-demandeur retient pour sa part de cet épisode, qu’il a « senti l’ébranlement de sa mère et la charge de déception que cette phrase lui avait causé ».

[25]           Or, d’une part, ce ricanement est imperceptible sur l’enregistrement et cadre difficilement avec le flot et le ton de la conversation à ce moment précis de l’audience.  Ce même flot, et ce même ton, contrastent avec toute idée voulant que Mme Aloulou ait pu être ébranlée par cette question récapitulative de la part du commissaire dans la mesure elle renchérit, sans aucune hésitation, en précisant au commissaire que les voyages de son ex-mari ne changeaient rien à sa situation puisqu’à ces occasions, c’est la mère de celui-ci, aussi dure et contrôlante que son fils selon ses dires, qui était chargée de la surveiller.  Quoi qu’il en soit, une personne raisonnable et bien renseignée qui examine la question en profondeur et de façon réaliste, ne décèlerait de l’enregistrement de l’audience aucun « ébranlement » chez Mme Aloulou à ce moment, bien au contraire.

[26]           D’autre part, ces propos, reprochés au commissaire de la SPR, traduisent clairement un effort de récapitulation, le commissaire cherchant à comprendre et à clarifier le témoignage de Mme Aloulou sur la fréquence des sévices dont elle prétend avoir fait l’objet entre son mariage et le moment où elle tombe enceinte du co-demandeur, période où semblent s’entremêler des épisodes quasi quotidiens de sévices et des périodes d’accalmie, pour ainsi dire.

[27]           Le commissaire de la SPR ne fait que son travail ici.  À ce sujet, il est important de rappeler que le travail de la SPR est de nature inquisitoire et qu’il est au cœur d’un processus non accusatoire dans la mesure où personne ne comparaît pour s’opposer à la demande d’asile.  En ce sens, son rôle diffère de celui des juges des cours traditionnelles, lequel est d’examiner les éléments de preuve et les arguments présentés par les parties tout en s’abstenant de dire aux parties comment présenter leur cause.  En revanche, la SPR se doit de prendre une part active aux audiences devant elle pour que son travail d’enquête soit efficace.  À cette fin d’ailleurs, ses commissaires sont investis des pouvoirs d’un commissaire nommé en vertu de la Loi sur les enquêtes, ce qui leur confère le pouvoir de procéder à tous les actes qu’ils jugent utiles aux fins d’apprécier le bien-fondé des demandes d’asile dont ils sont saisis (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Nwobi, 2014 CF 520, au para 16 et 17; Velasquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 273, 429 FTR 143, au para 15).

[28]           Même si je n’ai rien observé de tout cela en l’espèce, ce travail inquisitoire pourra donner lieu à des interrogatoires parfois approfondis et énergiques, à des expressions d’impatience ou pertes de sang-froid momentanées et même à des paroles dures ou sarcastiques, sans que cela n’entraîne pour autant une crainte raisonnable de partialité (Fenanir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 150, au para 14; Acuna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1222, 303 FTR 40 au para 15; Ramirez, précité, au para 23).

[29]           Ici, l’effort de récapitulation est-il malhabile lorsqu’il est question des voyages de l’ex-mari en Europe?  À la limite, peut-être.  Toutefois, cela ne suffit pas pour assoir un reproche de partialité individuelle.

[30]           Les autres remarques attribuées au commissaire qui, selon les demandeurs, auraient contribué à renforcer leur crainte de partialité résultant des propos relatifs aux voyages de l’ex-mari, relèvent toutes, elles aussi, de l’exercice pondéré, méthodique, ordonné et respectueux des pouvoirs conférés par la Loi à la SPR, qu’il s’agisse du moment où le commissaire:

a.              cherche à obtenir des réponses du co-demandeur alors que Mme Aloulou intervient;

b.             invite le représentant des demandeurs à garder certaines de ses observations pour ses représentations finales;

c.              s’interroge tout à fait légitimement sur la place et le rôle du frère policier de l’ex-mari dans toute l’histoire; ou encore

d.             s’informant de la possibilité d’un refuge intérieur, s’enquiert auprès de Mme Aloulou de sa capacité à trouver du travail compte tenu de son niveau d’éducation.

[31]           Encore une fois, il n’y a rien, dans ses remarques et interventions, qui puisse amener une personne raisonnable et bien renseignée qui examine la question en profondeur et de façon réaliste, à conclure qu’elles suffisent à soulever une crainte raisonnable de partialité réelle ou apparente.  Ces remarques et interventions se situent sans conteste à l’intérieur des normes de conduites qui s’imposent à la SPR aux termes des règles de l’impartialité et, plus généralement, des principes de l’équité procédurale.

[32]           À tout cela s’ajoute un dernier point, tout aussi fatal à l’argument des demandeurs.  Une allégation de partialité doit être soulevée sans délai pour que le décideur soit à même de se récuser et pour que soient ainsi ménagées les ressources judiciaires et quasi judiciaires, lesquelles ne sont pas illimitées.  Ce principe est bien ancré dans la jurisprudence et le défaut de s’y conformer entraine généralement avec lui la forclusion de l’argument de partialité (Acuna, précité au para 35; Fletcher c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 909, au para 17; Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1398, 422 FTR 108 au para 26).

[33]           En l’espèce, les demandeurs, qui étaient pourtant assistés d’un représentant à l’audience, n’ont, lors de celle-ci, ni demandé la récusation du commissaire ni même fait part de leurs préoccupations face à ce qu’ils percevaient être un comportement répréhensible de sa part.

[34]           L’argument de partialité des demandeurs est sans fondement, tardif et purement rétrospectif.  Il sera rejeté.

B.                 La norme d’examen des décisions de la SPR dans le contexte d’un appel devant la SAR

[35]           Cette question est nouvelle et a généré plusieurs jugements de cette Cour au cours des derniers mois.  Elle est nouvelle parce que bien que sa création ait été envisagée dès l’adoption de la Loi, laquelle venait remplacer, en 2001, la Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I-2, la SAR n’est opérationnelle que depuis décembre 2012.

[36]           Jusqu’à maintenant, la position prônée par la SAR quant à la norme d’examen qui s’impose à elle lorsqu’elle siège en appel d’une décision de la SPR, position qui est essentiellement la même d’un dossier à l’autre, a été systématiquement rejetée par la Cour, quelque soit la norme de révision – celle de la décision correcte ou de la décision raisonnable – appliquée par la Cour pour en arriver à ce résultat (Iyamuremye c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2014 CF 494; Triastcin c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2014 CF 975; Akuffo c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2014 CF 1063; Alvarez c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2014 CF 702; Eng c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2014 CF 711; Njeukam c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2014 CF 859; Yetna c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2014 CF 858; Spasoja c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2014 CF 913; Huruglica c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2014 CF 799; Diarra c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2014 CF 1009; Guardado c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2014 CF 953; Alyafi c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2014 CF 952; Djossou c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2014 CF 1080).

(1)               La position de la SAR quant à la portée de l’examen des décisions de la SPR

[37]           Il est intéressant de noter que la SAR, dans la décision sous étude, précise d’entrée de jeu qu’elle n’est pas une cour de justice et qu’elle siège non pas en révision, mais en appel des décisions de la SPR avec qui elle a en commun d’être une sous-entité d’un même organisme administratif plus large, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.  Il est intéressant de noter aussi qu’elle enchaine en rappelant qu’elle et la SPR ont toutes deux, dans leurs rôles respectifs, à traiter de l’asile et de la protection à accorder ou non aux personnes qui en font la demande dans le cadre d’un régime législatif qui les régit l’une et l’autre et qui a pour objet, notamment, de mettre en place une procédure équitable et efficace, respectueuse de l’intégrité du processus de traitement des demandes d’asile de même que des droits et libertés fondamentales reconnus à tout être humain.

[38]           Jusque-là, sa position ne pose pas problème.

[39]           Elle souligne ensuite qu’alors qu’elle procède généralement sans tenir d’audience, la SPR, elle, dispose généralement d’une demande d’asile par la tenue d’une audience lui donnant ainsi l’occasion de voir et questionner les demandeurs d’asile et lui procurant, ce faisant, « un avantage important concernant les conclusions de fait et l’évaluation de la crédibilité des demandeurs d’asile » (Décision de la SAR, au para 36).

[40]           C’est ici, ceci dit avec égards, que la SAR adopte, à mon avis, une position incompatible avec le rôle que le Parlement a prévu pour elle.

[41]           En effet, la SAR, en marge de ce contexte, et s’appuyant sur l’arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’affaire Newton c Criminal Trial Lawyers’ Association, 2010 ABCA 399, 413 AR 89, estime qu’à l’exception des cas où se soulèvent des questions « strictement de droit » ou de justice naturelle, les décisions de la SPR ont droit, de sa part, à la même déférence « que celle s’imposant aux cours de justice envers des décideurs de première instance lorsqu’il s’agit d’une question de fait ou d’une question de droit et de fait » (Décision de la SAR, au para 43).

[42]           Concrètement, précise-t-elle, cette norme déférente, dans la mesure où les demandeurs invoquent, au soutien de leur appel, des erreurs d’appréciation de leur crédibilité, est celle qu’applique cette Cour au contrôle judiciaire de ce type d’erreurs, soit la norme de la décision raisonnable (Décision de la SAR, au para 45).

[43]           Il en découle, selon la SAR, que son rôle « n’est pas de réévaluer la preuve, ni de procéder à une analyse microscopique de la décision de la SPR, mais plutôt de déterminer si, analysée globalement, cette décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».  Cette norme d’examen implique, conclut-elle, qu’une « grande déférence » soit accordée « aux conclusions de la SPR en matière de crédibilité et d’évaluation de la preuve » (Décision de la SAR, au para 66).

[44]           Avant d’aborder ce qui a motivé la Cour à rejeter la position de la SAR sur cette question, il est utile, je crois, de faire un survol des attributs juridictionnels de la SAR et de ce qui fait d’elle un tribunal administratif spécialisé partageant des traits communs importants avec la SPR dont elle est chargée, en tant qu’instance d’appel, de revoir les décisions traitant du mérite des demandes d’asile.

(2)               Les attributs juridictionnels de la SAR

[45]           La compétence de la SAR est fixée par les articles 110 et 111 de la Loi.  C’est devant elle qu’un demandeur d’asile ou le Ministre de la citoyenneté et de l’immigration (le Ministre) peut porter en appel, relativement à une question de fait, de droit, ou mixte de fait et de droit, toute décision de la SPR « accordant ou rejetant la demande d’asile » (a. 110(1)).

[46]           La SAR procède normalement sans tenir d’audience, sur la foi du dossier de la SPR, ce qui ne l’empêche toutefois pas de recevoir des éléments de preuve documentaire et des observations écrites du demandeur d’asile et du Ministre (a. 110(3)).  En particulier, le demandeur d’asile peut lui présenter des éléments de preuve pourvu qu’ils s’agissent d’éléments de preuve survenus depuis le rejet de la demande d’asile ou encore d’éléments de preuve qui n’étaient pas normalement accessibles à ce moment ou qui, s’ils l’étaient, n’auraient normalement pas été présentés, selon les circonstances, au moment du rejet de la demande (a. 110(4)).

[47]           Il est par ailleurs loisible à la SAR de tenir une audience lorsqu’elle estime que la preuve documentaire qui a été produite devant elle, selon ce qu’envisage l’article 110(3), présente les trois caractéristiques suivantes: elle soulève une question importante concernant la crédibilité du demandeur d’asile; elle est essentielle à la prise de décision relative à la demande d’asile; et elle justifierait, si elle était admise, que celle-ci soit accueillie ou rejetée (a. 110(6)).

[48]           Une fois son examen de la décision de la SPR complété, la SAR est habilitée à soit confirmer ladite décision, soit la casser et y substituer la décision qui, selon elle, aurait dû être rendue, ou soit renvoyer l’affaire à la SPR conformément à ses instructions (a. 111(1)).  Dans ce dernier cas, le renvoi à la SPR n’est possible que lorsque la SAR est d’avis que la décision attaquée est erronée et qu’elle ne peut être cassée, confirmée ou substituée par une autre sans que ne soit tenue devant la SPR une nouvelle audience où seront réexaminés les éléments de preuve qui avaient été présentés à cette dernière (a. 111(2)).

[49]           Par ailleurs, sur le plan de l’exercice de sa compétence, la SAR partage avec la SPR des attributs communs:

a.              leur compétence respective est exclusive (a. 162(1));

b.             elles procèdent toutes deux sans formalisme et avec célérité si tant est que les circonstances et les règles d’équité et de justice naturelle le permettent (a. 162(2));

c.              sauf instructions contraires du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, leurs dossiers sont menés par un seul commissaire (a. 163);

d.             les commissaires œuvrant pour l’une et l’autre sont investis des pouvoirs d’un commissaire nommé aux termes de la Loi sur les enquêtes et sont habilités à prendre les mesures jugées utiles à la procédure (a. 165);

e.              sauf si elles en décident autrement, leurs séances sont tenues à huis clos (a. 166(c)) et tant le demandeur d’asile que le Ministre peuvent se faire représenter par un conseiller juridique ou autre conseil (a. 167);

f.              elles sont toutes deux habilitées à prononcer le désistement d’une affaire ou à refuser, lorsqu’elle constate un abus de procédure, son retrait (a. 168); et

g.             ni une ni l’autre n’est liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve (a. 170(g) et 171 (a.2)) et chacune d’elles peut recevoir les éléments de preuve qu’elle juge crédibles ou dignes de foi, fonder sur eux sa décision (a. 170(h) et 171(a.3)) et admettre d’office les faits admissibles en justice ou généralement reconnus et les renseignements ou opinion qui sont du ressort de leur spécialisation (a. 170(i) et 11(b).

[50]           Enfin, la SAR s’est vu investir par le Parlement d’une fonction d’uniformisation du droit en matière de protection des réfugiés.  C’est ainsi que lorsqu’elle est constituée de trois commissaires, ses décisions ont la même valeur de précédent auprès de la SPR et d’un commissaire de la SAR siégeant seul que celle qu’une cour d’appel a pour un tribunal de première instance (a. 171(c)).

(3)               La position prônée par la SAR ne reflète pas son véritable rôle

[51]           De la manière dont elle est formulée, la position de la SAR propose en quelque sorte une duplication de la fonction de contrôle judiciaire de cette Cour à l’égard des décisions de la SPR.  Or, de l’avis des juges de cette Cour qui se sont penchés sur la question jusqu’à ce jour, cela ne peut avoir été l’intention du Parlement lorsqu’il a créé la SAR.  Cette approche a été jugée soit erronée, lorsque considérée à l’aune de la norme de la décision correcte, soit hors de la palette des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard du droit lorsqu’examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable.

[52]           Plus particulièrement, un consensus s’est construit autour des motifs de mon collègue le juge Phelan dans l’affaire Huruglica, précitée, un jugement rendu peu de temps avant l’audition de la présente affaire et discuté par les parties à l’audience, quant à ce qui justifie le rejet de l’approche préconisée par la SAR.  Cette justification peut se résumer comme suit:

a.              concevoir la norme d’examen des décisions de la SPR par la SAR comme étant équivalente à la norme de la raisonnabilité développée dans le contexte du contrôle judiciaire des décisions de l’administration publique, revient à faire double emploi du rôle de la SAR et de celui de la Cour;

b.             l’idée d’un tel double emploi est incompatible avec la création de la SAR et les responsabilités et pouvoirs que le législateur lui a confiés en tant que tribunal administratif d’appel spécialisé, notamment eu égard aux pouvoirs décisionnels et réformateurs dont elle dispose, lesquels sont plus étendus que ceux normalement applicables en matière de contrôle judiciaire, et à la fonction d’uniformisation du droit dont elle est investie;

c.              pour peu qu’ils puissent contribuer à définir le rôle de la SAR, rien dans les débats législatifs n’appuie l’idée que la SAR soit appelée à jouer un rôle restreint comme l’est le contrôle judiciaire fondé sur la norme de la décision raisonnable;

d.             cette idée du double emploi heurte également de front la présomption voulant qu’en créant la SAR, le Parlement ait voulu mettre sur pied un mode de révision des décisions de la SPR qui soit différent de ce qui existait déjà;

e.              enfin, l’approche préconisée par la SAR fait fi des différences de fond entre l’appel et le contrôle judiciaire et banalise à cet égard le fait que le concept de norme de contrôle s’inscrit, dans la perspective du principe de la séparation des pouvoirs, dans les rapports qu’entretiennent l’exécutif et le judiciaire, et non, à proprement parlé, dans ceux qu’entretiennent, comme c’est le cas de la SPR et de la SAR, deux organes de l’exécutif.

[53]           Je partage entièrement cet avis.  Comme le rappelle mon collègue, monsieur le juge Roy dans l’affaire Spasoja, précitée, et comme on peut le constater des attributs juridictionnels de la SAR décrits précédemment, la Loi, prise dans son ensemble, ne suggère aucunement que la SAR fasse preuve de déférence au sens de la norme de la décision raisonnable envers les décisions de la SPR. La Loi, selon lui, suggère plutôt le contraire:

La Loi instruit la SAR d’examiner le dossier qui était devant la SPR tout en admettant une preuve supplémentaire dans les circonstances précisées. La version anglaise du paragraphe 111(1) déclare spécifiquement ‘after considering the appeal’ avant de dire quelles sont les issues possibles pour la SAR. Il n’y est aucunement question de faire preuve de déférence : on confirme ou on substitue sa propre décision.  S’il y a erreur, de fait, de droit, ou mixte de droit et de fait, mais que la SAR ne peut confirmer ou substituer sa décision sans nouvelle audition pour réexaminer des éléments de preuve présentés à la SPR, l’affaire est retournée.  Je ne puis voir dans ce régime examiné dans son ensemble, quelle place aurait été laissée à la déférence qui provient de la norme de raisonnabilité.

(Spasoja, précitée au para 20)

[54]           Je suis aussi d’avis, comme l’est le juge Roy, citant la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Parizeau c Barreau du Québec, 2011 QCCA 1498, que le respect de l’intention du législateur milite ici contre l’assimilation de l’appel devant la SAR à une sorte de révision judiciaire et contre le développement d’une politique de déférence ayant pour effet de faire de l’appel devant la SAR une similirévision judiciaire des décisions de la SPR (Spasoja, précitée au para 30).

[55]           J’ajouterais ceci.  Comme la Cour suprême nous le rappelle dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, le contrôle judiciaire est intimement lié au maintien de la primauté du droit et jouit d’une protection constitutionnelle dont il tire sa raison d’être tout en orientant sa fonction et son application.  Il s’intéresse plus particulièrement « à la tension sous-jacente à la relation entre la primauté du droit et le principe démocratique fondamental, qui se traduit par la prise de mesures législatives pour créer divers organismes administratifs et les investir de larges pouvoirs ».  Cela fait en sorte, ajoute la Cour suprême, que les cours de justice appelées à l’exercer « doivent tenir compte de la nécessité non seulement de maintenir la primauté du droit, mais également d’éviter toute immixtion injustifiée dans l’exercice de fonctions administratives en certaines matières déterminées par le législateur » (Dunsmuir, au para 27).

[56]           Le contrôle judiciaire vise ainsi à assurer « la légalité, la rationalité et l’équité du processus administratif et de la décision rendue » (Dunsmuir, au para 28), d’où le développement de la norme de la décision raisonnable comme moyen de préserver cet équilibre entre le principe de la primauté du droit et le principe démocratique tout en reconnaissant l’importance de l’exercice de ces fonctions administratives comme en fait foi l’extension récente de l’application de ladite norme aux questions de droit relevant de l’expertise des organismes exerçant ces fonctions (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, au para 46).

[57]           L’instance d’appel, pour sa part, a une vocation et des origines différentes.  Elle ne peut être qu’une créature de la loi, ne bénéficie d’aucune protection constitutionnelle et a sa propre fonctionnalité: elle sert à corriger toute erreur de droit entachant la décision ou toute erreur manifeste et dominante dans la détermination des faits ou dans l’appréciation du droit aux faits, en supposant que celui-ci ait été correctement déterminé (Spasoja, précitée au para 39).

[58]           C’est là, à mon avis, la vocation du recours devant la SAR, une vocation davantage compatible avec l’environnement statutaire dans lequel il s’inscrit et le statut de la SAR en tant que tribunal administratif spécialisé.

[59]           Dans la très récente affaire Djossou, précitée, mon collègue monsieur le juge Martineau, opine, justement à mon avis, qu’en créant la SAR, le Parlement poursuivait un double objectif: celui, d’une part, de permettre à la SAR, qui exerce une compétence spécialisée au moins égale à celle de la SPR, de corriger de manière efficace les erreurs commises par la SPR en procédant à un examen complet des questions de fait, de droit ou mixte de fait et de droit soulevées par l’appel, et, d’autre part, celui de permettre à la SAR d’assurer une cohérence dans le processus décisionnel en établissant une jurisprudence uniforme sur les questions liées à l’asile et à la protection des réfugiés (Djossou, au para 41 et 86).

[60]           Ce double objectif cadre mal avec l’idée que la SAR se fait de son rôle de tribunal administratif d’appel.

[61]           Ainsi, en tenant à éviter de faire double emploi avec la SPR, la SAR s’est donné ici, comme dans les autres cas ayant abouti devant la Cour, un rôle comparable à celui qu’exerce la Cour en matière de révision judiciaire.  Elle a choisi de faire preuve de la même déférence à l’endroit des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit soulevées à l’encontre de la décision de la SPR que celles dont font preuve les cours de justice à l’égard des décisions de décideurs administratifs.

[62]           Comme mes collègues avant moi, j’estime qu’elle a commis, ce faisant, une erreur entachant la légalité de sa décision.  J’estime aussi, comme eux, que la SAR, pour se conformer au mandat que lui a confié le Parlement, se devait de procéder à un examen complet des questions de fait, de droit ou mixte de fait et de droit soulevées par l’appel des demandeurs.  Or, rien, dans la décision sous étude, n’indique que cela a été fait et que les demandeurs ont ainsi eu droit à l’appel que leur confère la Loi.

[63]           Le défendeur estime que dans la mesure où la SAR a procédé, aux fins de disposer de l’argument de partialité, à l’écoute de l’enregistrement de l’audience, l’on doit présumer que sa décision de rejeter le mérite de l’appel des demandeurs a, elle aussi, été précédée d’un examen indépendant de la demande d’asile des demandeurs.  Or, il s’agit là d’un pas que je ne saurais franchir en l’absence, comme c’est le cas ici, d’indices, dans la décision de la SAR, permettant de tirer une telle inférence.

[64]           Au contraire, tout indique, comme nous l’avons vu, que la SAR s’est crue justifiée d’examiner le mérite de l’appel des demandeurs à l’aune de la norme de la décision raisonnable tout en prenant bien soin de préciser, d’une part, que son rôle « n’est pas de réévaluer la preuve, ni de procéder à une analyse microscopique de la décision de la SPR, mais plutôt de déterminer si, analysée globalement, cette décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », et, d’autre part, qu’une « grande déférence » doit en conséquence être accordée « aux conclusions de la SPR en matière de crédibilité et d’évaluation de la preuve » (Décision de la SAR, au para 66).

[65]           Le défendeur prétend aussi qu’il n’y a aucun intérêt pratique à accueillir la présente demande de contrôle judiciaire puisque, dans la mesure où il ne s’y soulève, du moins quant au mérite de la décision de la SPR, que des questions liées à l’appréciation de la preuve, la déférence est de mise, quelque soit la norme d’examen applicable, faisant en sorte que le résultat de l’appel devant la SAR aurait été le même quelque soit la norme déférente appliquée par cette dernière.

[66]           Il est vrai que la norme de la décision raisonnable, propre au contrôle judiciaire, et celle de l’erreur manifeste et dominante, propre à l’appel, imposent toutes deux au tribunal saisi du contrôle judiciaire ou de l’appel une certaine retenue à l’égard de l’appréciation de la preuve à laquelle s’est livrée le décideur de première instance.

[67]           Toutefois, les deux normes ne sont pas identiques (Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002]2 RCS 235; H.L. c Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 RCS 401) et peuvent, à l’égard des mêmes matrices factuelles, donner des résultats nuancés.  Je ne suis donc pas disposé à présumer que, même vu sous l’angle de la norme de l’erreur manifeste et dominante, le résultat de l’appel devant la SAR en l’espèce, aurait été le même.

[68]           Mais il y a plus.  J’ai déjà dit que la SAR, dans son rôle de tribunal administratif d’appel, se devait de procéder à un examen complet des questions de fait, de droit ou mixte de fait et de droit soulevées par l’appel des demandeurs.  Ceux-ci d’ailleurs se plaignent du fait que la portion de la décision de la SAR portant sur les reproches adressés à la SPR eu égard à son appréciation de la preuve, ne fait même pas état de leurs récriminations et qu’elle ne fait, à toutes fins pratiques, que résumer la décision de la SPR et conclure à son intelligibilité.

[69]           Effectivement, le traitement, par la SAR, des questions de fait, de droit ou mixte de fait et de droit soulevées par l’appel des demandeurs eu égard au mérite de la décision de la SPR est mince, sinon inexistant.  Rien n’indique que ces questions ont fait l’objet d’un examen complet comme la Loi, à mon avis, le requiert.

[70]           Il se peut, comme le pense le défendeur, qu’en renvoyant la présente affaire à la SAR, le résultat soit, en bout de course, le même.  Toutefois, ce faisant, et quelle qu’en soit l’issue, les demandeurs auront eu droit à l’appel que le Parlement a créé au bénéfice des demandeurs d’asile déboutés par la SPR.

[71]           La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie en partie et l’affaire renvoyée à la SAR, différemment constituée, pour qu’elle procède à un nouvel examen de l’appel des demandeurs devant tenir compte des présents motifs quant à la portée de l’examen de la décision de la SPR à laquelle la SAR doit se livrer.

[72]           J’ai indiqué aux parties, à la conclusion de l’audition tenue dans la présente affaire, que l’occasion leur serait donnée de me faire des représentations écrites quant à l’à propos de certifier une question pour la Cour d’appel fédérale conformément à l’article 74(d) de la Loi.

[73]           Depuis, la question suivante a été certifiée dans l’affaire Huruglica, précitée:

Quelle est la portée de l’examen fait par la Section d’appel des réfugiés lorsqu’elle considère un appel d’une décision d la Section de protection des réfugiés?

[74]           Des questions de même nature ont également été certifiées notamment dans les affaires Akuffo et Spasoja, précitées, la question dans Akuffo étant, pour sa part, axée sur la norme applicable aux appels soulevant plus particulièrement des questions de crédibilité.

[75]           Les parties auront donc jusqu’au 14 janvier 2015 pour me faire part de leurs observations écrites quant à l’à propos de certifier une question dans les circonstances.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que:

1.         La demande de contrôle judicaire est accueillie en partie;

2.         L’affaire est renvoyée à la SAR, différemment constituée, pour qu’elle procède à un nouvel examen de l’appel des demandeurs devant tenir compte des présents motifs quant à la portée de l’examen du mérite de la décision de la SPR à laquelle la SAR doit se livrer.

« René LeBlanc »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7949-13

INTITULÉ :

LAMIA ALOULOU, HAMDI BATRI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 août 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 19 décembre 2014

COMPARUTIONS:

Me Félix F. Ocana Correa

Pour les demandeurs

Me Daniel Latulippe

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Félix F. Ocana Correa

Montréal (Québec)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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