Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140605


Dossier : T-1740-13

Référence : 2014 CF 548

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 5 juin 2014

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

SPRUCE HOLLOW HEAVY HAUL LTD.

demanderesse

et

SHANNON KNEZACKY MADILL

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un arbitre désigné en vertu de l’article 242 du Code canadien du travail, LRC 1985, ch L‑2 (le Code), a rejeté la requête présentée par la demanderesse en vue de faire exclure Jean Howard de la procédure d’arbitrage.

[2]               La demanderesse, Spruce Hollow Heavy Haul Ltd (Spruce Hollow), sollicite une ordonnance :

a)      annulant la décision du 24 septembre 2013 de l’arbitre et renvoyant la question de la responsabilité de Spruce Hollow en ce qui concerne le congédiement injuste à un autre arbitre désigné par le ministre;

b)      excluant Jean Howard, et tout autre représentant, mandataire, administrateur, dirigeant ou employé de Super H Holdings Ltd (Super H) ou de l’une quelconque ses filiales, de toute autre audience dans la présence affaire;

c)      lui adjugeant les dépens [demande retirée à l’audience].

[3]               La défenderesse sollicite une ordonnance rejetant la demande, ordonnant la tenue sans délai d’une audience devant l’arbitre au sujet des réparations et l’adjudication des dépens que la Cour jugera bon de lui accorder.

I.                   LE CONTEXTE

[4]               Spruce Hollow est une société de transport de marchandises qui expédie des marchandises par camion partout au Canada et aux États‑Unis. Elle a été constituée en personne morale sous le régime des lois de la Colombie‑Britannique et son siège social est situé à Abbotsford, en Colombie-Britannique.

[5]               Shannon Knezacky (autrefois Shannon Madill) est une ex-employée de Spruce Hollow. Elle affirme qu’elle a commencé à travailler pour Spruce Hollow en décembre 2005 en tant que répartitrice principale. Elle explique qu’elle est devenue actionnaire et administratrice de la société en 2007. Avant de travailler pour Spruce Hollow, elle avait travaillé pour Peter Howard, propriétaire et président de Super H, entre avril 2001 et novembre 2005.

[6]               Suivant la défense et demande reconventionnelle qui a été déposée par Super H dans une action introduite devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique par Spruce Hollow contre Super H, et qui a été versée au dossier de la demanderesse, Mme Knezacky et M. Ronald Madill étaient tous les deux des employés de Super H et ils ont tous les deux été congédiés par Super H le 30 novembre 2005. La défense et demande reconventionnelle de Super H allègue notamment que Mme Knezacky avait été congédiée pour un motif valable (en l’occurrence, s’être servie à des fins personnelles de biens de Super H, en particulier d’avoir entrepris des démarches pour accéder aux comptes bancaires de l'entreprise et se faire inscrire comme signataire autorisée et avoir redirigé illicitement des créances).

[7]               La demanderesse affirme que Mme Knezacky était une employée à la fois de Spruce Hollow et de Super H Holdings Ltd, et qu'elle s’occupait de la comptabilité et de la tenue de livres des deux sociétés à partir du même bureau. Mme Knezacky a déclaré qu’elle n’avait jamais été l’employée des deux sociétés simultanément. Au moment où elle a souscrit son affidavit dans le cadre de la présente instance, elle travaillait de nouveau pour Super H, où elle avait recommencé à travailler en juin 2013.

[8]               Ronald Madill est le directeur général de Spruce Hollow et l’ex‑mari de Mme Knezacky. Ils se sont séparés le 11 août 2011 et sont engagés dans une instance de divorce acrimonieuse. Suivant Mme Knezacky, M. Madill était violent et elle l’a quitté grâce à l’aide et la protection de la police d’Abbotsford. Mme Knezacky a continué à travailler pendant une courte période de temps pour Spruce Hollow après leur séparation. Elle affirme que M. Madill a fait en sorte qu’il lui devienne impossible de continuer à y travailler. Le 26 août 2011 est le dernier jour où Mme Knezacky a travaillé à cet endroit. Elle croit que la séparation et la procédure de divorce sont la raison pour laquelle Spruce Hollow l’a congédiée par la lettre du 31 août 2011. Aucun motif de congédiement n’était indiqué dans cette lettre.

[9]               Le ou vers le 14 ou le 21 septembre 2011, Mme Knezacky a porté plainte par écrit auprès de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) en vertu de l’article 240 du Code au sujet de son congédiement. Suivant le témoignage de Mme Knezacky, le personnel de RHDCC a reçu pour instructions de Spruce Hollow de s’occuper exclusivement du cas de M. Madill. Comme le dossier n’avait pas été réglé dans un délai raisonnable, Mme Knezacky a demandé par écrit que la plainte soit déférée à un arbitre en vertu du paragraphe 241(3) du Code. Elle a également demandé par écrit que l’on traite l’affaire entre elle-même et James Weber, le propriétaire principal de Spruce Hollow. Cette demande a été refusée et Spruce Hollow a insisté pour être représentée par M. Madill.

[10]           M. Dalton L. Larson (l’arbitre) a été désigné pour instruire la plainte. Il a informé Mme Knezacky que Spruce Hollow avait le droit d’être représentée par la personne de son choix et que Spruce Hollow avait choisi d’être représentée par M. Madill.

[11]           Spruce Hollow a refusé l’offre de règlement soumise par Mme Knezacky. Après ce qui, selon le dossier, semble être des retards causés dans l’établissement de l’échéancier des étapes suivantes en raison principalement du manque de disponibilité de M. Madill, M. Larson a ordonné à Spruce Hollow de motiver le congédiement de Mme Knezacky et d’exposer en détail les circonstances y ayant conduit au plus tard le 31 octobre 2012. Spruce Hollow a répondu le 26 octobre 2012 en exposant par écrit les motifs du congédiement de Mme Knezacky.

[12]           Une conférence sur la gestion de l’instance a eu lieu le 7 novembre 2012 pour examiner certaines questions préliminaires, en l'occurrence la durée de l’emploi, la compétence et l’échange de documents. M. Madill a contesté la compétence de l’arbitre au motif que Mme Knezacky n’avait pas travaillé suffisamment longtemps. M. Larson a tranché cette objection en concluant que Mme Knezacky avait travaillé sans interruption pour Spruce Hollow pendant plus des 12 mois consécutifs exigés avant d’être congédiée par cet employeur.

[13]           Je constate, à la lumière du courriel versé au dossier, qu’un avocat a été engagé par Spruce Hollow en novembre 2012 pour [traduction] « s'occuper de l'affaire », mais que M. Madill a continué à représenter personnellement Spruce Hollow.

[14]           M. Madill a présenté une requête en vue de faire rejeter la plainte en invoquant ce qu’il a appelé [traduction] « l’autorité de la chose jugée ». Il faisait valoir que les questions en litige dans la présente affaire étaient inextricablement liées à l’instance de divorce introduite devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique qui l’opposait à Mme Knezacky. M. Larson a rejeté cette objection dans une décision interlocutoire, datée du 23 novembre 2012, dans laquelle il a conclu qu’aucune cour de justice et aucun tribunal administratif n’avaient prétendu rendre une décision sur la question de savoir si la plaignante avait été congédiée pour un motif juste et valable. Il a fait observer qu’il était possible de soutenir qu’il avait compétence concurrente sur certaines questions communes avec les tribunaux chargés de se prononcer sur le divorce en ce qui concerne les dommages-intérêts. M. Larson a également ordonné la disjonction de l’instance pour établir si le congédiement était motivé. Dans la négative, des audiences ultérieures porteraient sur la question des dommages-intérêts.

[15]           Après l’audition de la requête, les parties ont accepté d’entamer un processus de médiation pour tenter de régler leur différend sous la présidence de M. Larson. Ces tentatives ont échoué, malgré ce que M. Larson a qualifié d’efforts sincères des deux parties. D’autres démarches ont été entreprises en vue de fixer des dates d’audience, mais elles se sont avérées infructueuses, en grande partie en cause des manques de disponibilité de l’avocat de Spruce Hollow, de MM. Madill et Weber et de leurs témoins. L’affaire a finalement été mise au rôle pour les 7 et 8 août 2013.

[16]           Le matin du 7 août 2013, Mme Knezacky s’est présentée à l’audience en compagnie de Mme Jean Howard, une ex‑employée de Super H qui est également l’épouse de Peter Howard, l’unique administrateur et actionnaire de Super H, pour qu’elle lui donne un appui moral. Suivant Mme Knezacky, Mme Howard n’avait pas travaillé pour Super H depuis le printemps 2011. Mme Knezacky a expliqué que Mme Howard était une amie proche et une conseillère, qu’elle considérait [traduction] « comme une mère » et qui l'avait beaucoup soutenue. L’idée de lui demander de l’accompagner à l’audience lui était venue la veille au soir et elle affirme qu’elle n’était pas préméditée.

[17]           Suivant le témoignage de Mme Knezacky, M. Madill a réagi fortement à la présence de Mme Howard dans la salle d’audience. Spruce Hollow a déclaré, par l’entremise de son avocat, qu’elle craignait que les éléments sur lesquels elle cherchait à se fonder pour justifier son congédiement de Mme Knezacky pussent être utilisés contre elle et M. Madill par Super H dans le litige la concernant. Suivant la défense et demande reconventionnelle de Super H, les allégations formulées dans l’instance introduite entre Spruce Hollow et Super H concernaient des faits remontant à 2004 et 2005. Suivant Spruce Hollow, certains des motifs à l’origine du congédiement de Mme Knezacky avaient trait à ces allégations.

[18]           Après s’être vu accorder un délai pour examiner sa position et pour communiquer avec l’avocat chargé du litige se déroulant devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, Spruce Hollow a réclamé un ajournement pour préparer des arguments en vue de faire exclure Mme Howard de l’instance. L’arbitre a refusé sa demande. L’arbitre a accédé à la demande de Mme Knezacky et a accepté que Mme Howard soit présente à l’audience. Spruce Hollow explique qu’elle a alors préféré se retirer de l’audience au lieu de ne soumettre qu’une partie de ses éléments de preuve contre Mme Knezacky plutôt que de présenter toute sa preuve en risquant de soumettre des éléments de preuve susceptibles d’appuyer la demande de Super H. La demanderesse affirme qu’elle s’est réservé le droit de demander le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre et de formuler des observations au sujet de la question du montant si l’arbitre concluait qu’il n’y avait aucun motif valable de congédier Mme Knezacky.

II.                LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

[19]           Dans les motifs écrits de sa décision du 24 septembre 2013, l’arbitre résume les faits et le contexte de l’instance. Il signale les difficultés que son administrateur a eues pour tenter de trouver des dates d’audience et pour traiter avec d’autres personnes que M. Madill chez Spruce Hollow. Il mentionne la lettre du 12 septembre 2012 adressée à Jennifer Weber, la gestionnaire du bureau et épouse du propriétaire, en expliquant qu’il ne tolérerait aucun autre retard imputable au refus de Spruce Hollow de collaborer avec son administrateur. Il fait notamment observer qu’il n’aurait d’autre choix que de fixer péremptoirement les dates d’audience et de rendre sa décision sans la participation de Spruce Hollow.

[20]           À l’ouverture de l’audience, le 7 août 2013, la défenderesse a informé M. Larson qu’elle n’avait pas les moyens de se payer les services d'un avocat et qu’elle avait demandé à une amie, Mme Howard, de l’accompagner. Comme M. Larson l’a expliqué, la défenderesse ne souhaitait pas que Mme Howard la représente ou participe de quelque manière que ce soit à l’audience. Il n’était pas question de faire témoigner Mme Howard. Elle ne devait pas non plus interroger les témoins ou présenter des arguments. La défenderesse a expliqué à l’arbitre qu’il lui serait utile si elle pouvait à tout le moins avoir Mme Howard à ses côtés pour la soutenir psychologiquement et pour la conseiller de façon générale.

[21]           L’arbitre a fait observer que la demanderesse [traduction] « s’opposait énergiquement à la demande ». La demanderesse a soutenu qu’elle ne serait pas en mesure de présenter une défense complète sans risquer que les renseignements fournis soient utilisés contre elle pour démontrer sa responsabilité dans l’autre instance. La demanderesse a également affirmé que le défaut de la défenderesse de l'informer au préalable de la présence de Mme Howard lui avait causé un préjudice. L’arbitre a analysé les motifs de l’objection :

[traduction]

[24]      Je lui ai demandé d’expliquer en quoi les deux dossiers étaient susceptibles de créer un conflit ou, plus précisément, en quoi les éléments de preuve présentés dans la présente affaire au sujet de la question de savoir si la plaignante avait été congédiée pour un motif valable par l’employeur pouvaient avoir quelque rapport que ce soit avec les questions en litige dans l’autre affaire. Il a répondu que, dans l’autre affaire, la demanderesse affirmait que son client avait détourné des fonds appartenant à la demanderesse. Il a toutefois admis qu’aucune des parties ne prétendait que la plaignante avait joué un rôle dans ce détournement de fonds, mais uniquement que ce fait s’était produit à l’époque où les deux entreprises étaient exploitées à partir du même bureau. Il a poursuivi en expliquant que sa thèse reposait sur le fait que la plaignante travaillait actuellement pour la société demanderesse dans l’autre instance et qu’elle jouait le même rôle maintenant que celui qu’elle exerçait alors qu’elle travaillait pour l’employeur dans la présente affaire, et notamment qu’elle était chargée des déclarations de revenus des sociétés dans les deux cas.

[22]           L’arbitre a rencontré la demanderesse et la défenderesse en privé et les a informées qu’il était enclin à rejeter la requête, au motif que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle avait subi un préjudice. Il a expliqué qu’il [traduction« voulait savoir comment des éléments de preuve portant sur les motifs du congédiement de la plaignante pouvaient de quelque façon influencer l'allégation de détournement de fonds formulée dans l'autre affaire du simple fait que la plaignante exerçait le même emploi dans les deux sociétés ».

[23]           L’arbitre a fait droit à la demande de pause de la demanderesse. Après une pause d’environ 20 à 30 minutes, la demanderesse a réclamé que l’audience soit suspendue jusqu’au lendemain pour pouvoir préparer ses arguments sur le préjudice qu’elle subirait si la présence de Mme Howard était autorisée. L’arbitre a [traduction« refusé l’ajournement parce que, comme [il l’a] expliqué, il n’a pas été démontré en quoi les éléments de preuve présentés dans la présente affaire pourraient causer un préjudice dans l’autre affaire ».

[24]           L’arbitre a jugé que [traduction« la conseillère chargée de fournir un appui psychologique et des conseils à une des parties au litige qui n’est autrement pas représentée devrait être perçue comme ayant un tel intérêt légitime [dans l’instance], à moins qu’il n'existe par ailleurs une raison légitime d’exclure cette conseillère » :

[traduction]

[30]      Dans le cas qui nous occupe, je rejette la requête visant à exclure Jean Howard de l’instance parce qu’on ne m’a pas fourni ce que j’estime être de raison valable de l’exclure. J’ai convenu qu’elle devait être autorisée à participer à l’audience à titre de conseillère pour aider la plaignante sans toutefois être autorisée à prendre la parole en son nom ni à participer de quelque autre manière à l’audience. À ce propos, il est sans importance de souligner la contradiction flagrante entre la position défendue par l’employeur au début de la présente affaire suivant laquelle il avait le droit de choisir la personne qu’il souhaitait pour le représenter au point où mon administrateur ne pouvait parler qu’avec M. Madill même pour fixer la date des audiences, et son refus de reconnaître à la plaignante le droit d'être accompagnée d'une amie pour la conseiller à l’audience.

[31]      De plus, on pourrait faire observer à juste titre que la présente instance traîne depuis deux longues années, que les délais sont en grande partie attribuables au grave conflit conjugal qui, comme je l'ai signalé, existe entre la plaignante et M. Madill. Lorsque la date d’audience a finalement été fixée en vue de trancher la question de fond en litige [...], il avait été convenu qu’aucun autre délai ne serait toléré, à moins de circonstances tout à fait exceptionnelles. La décision que j’ai prise au sujet de la requête en ajournement a été prise dans ce contexte et au motif qu’aucun fait n’avait été invoqué par l’avocat pour m’empêcher de trancher cette question de façon sommaire.

[32]      La véritable question en litige dans la présente affaire porte sur les faits survenus après que j’ai rejeté la requête en ajournement de l’employeur. J’ai informé les parties que j’avais l’intention de reprendre l'audience et j’ai invité l’employeur à présenter sa preuve en premier. Me Hande a décliné mon invitation. Il m’a informé que l’employeur avait choisi de se retirer de l’audience et de ne plus y participer. J’ai alors déclaré que j’étais disposé à continuer et que le défaut de l’employeur de participer à l’audience signifiait nécessairement qu’il ne se serait pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que la plaignante avait été congédiée pour un motif juste et valable. Malgré mon avertissement, Me Hande et toute son équipe de conseillers et de témoins se sont retirés de la salle d’audience et ont quitté l’immeuble.

[25]           Par conséquent, l’arbitre ne s’est pas prononcé sur la question des réparations qui pouvaient être accordées à la défenderesse au titre du paragraphe 242(4) du Code et sur la fixation de dates d’audience pour l'examen de ces questions.

III.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[26]           La demanderesse a soulevé un certain nombre de questions dans ses observations écrites, y compris une objection à la présentation de l’affidavit du 18 décembre 2013 de la défenderesse. Elle a mentionné les [traduction« nombreux paragraphes qui n’ont aucun rapport avec les questions en litige soumises à la Cour dans le cadre de la présente demande », ainsi que les paragraphes qui [traduction« sont préjudiciables pour la demanderesse ». Toutefois, aucun paragraphe précis n’est indiqué. La défenderesse, qui se représente elle-même, souligne qu’elle n’est pas en mesure de répondre à des allégations vagues sur le contenu de son affidavit, alors qu'elle ignore quels paragraphes sont contestés.

[27]           Il me semble que la défenderesse a fait de son mieux pour présenter les faits pertinents au litige et qu’elle s’est fondée sur ses connaissances personnelles des faits qui se sont produits, comme elle devait le faire (Van Duyvenbode c Canada (Procureur général), 2009 CAF 120, au paragraphe 2). Je n'ai pas tenu compte des parties de son affidavit qui consistaient en « des commentaires ou des explications » inutiles sur des faits dont elle n’avait pas une connaissance personnelle et qui n’étaient pas pertinents au litige.

[28]           Je résumerais les questions restantes soulevées par la demanderesse ainsi : la décision de l’arbitre était-elle déraisonnable ou constituait-elle un manquement à l’équité procédurale ?

[29]           La norme de contrôle applicable aux affaires de congédiement injuste sous le régime du Code est, en principe, la décision raisonnable (Skinner c Fedex Ground Ltd, 2014 CF 426, au paragraphe 5), alors que le droit de présenter des observations détaillées et de se faire entendre sur les motifs du congédiement est une question d’équité procédurale (Première Nation de Couchiching c Canada (Procureur général), 2012 CF 772, au paragraphe 21).

[30]           Lorsque l’équité procédurale est en cause, la Cour doit établir si le processus suivi par le décideur respecte le degré d’équité exigé en toute circonstance (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43).

IV.             ANALYSE

[31]           La demanderesse affirme que l’arbitre a violé le principe audi alteram partem et a outrepassé sa compétence ou a refusé à tort d’exercer sa compétence en refusant d’exclure Mme Howard de l’audience. La demanderesse affirme que le refus de donner un préavis raisonnable et d’accorder un ajournement pour lui permettre de présenter des observations complémentaires constituait un défaut ou un excès de compétence de la part du tribunal administratif (Supermarchés Jean Labrecque Inc c Flamand, [1987] 2 RCS 219 (Supermarchés), aux paragraphes 52 à 54).

[32]           Suivant la demanderesse, Spruce Hollow a congédié Mme Knezacky parce qu’elle avait détourné des fonds lui appartenant, s’était approprié des biens de Spruce Hollow et avait été malhonnête relativement aux biens et à la gestion de Spruce Hollow. Comme cette inconduite s’est produite alors que Mme Knezacky travaillait tant pour Spruce Hollow que pour Super H, mais que c’était Spruce Hollow qui payait le salaire de Mme Knezacky, Spruce Hollow pourrait être tenue responsable du fait d’autrui en raison des agissements de Mme Knezacky (Bazley c Curry, [1999] 2 RCS 534, au paragraphe 10).

[33]           Mme Knezacky nie avoir déjà travaillé simultanément pour Spruce Hollow et Super H, et affirme que la demande reconventionnelle formulée dans la présente action contre Spruce Hollow sera rejetée contre elle au moment où Super H jugera à propos de le faire, comme le confirme le fait qu’elle travaille de nouveau pour Super H. Il semble que cette action n’ait pas été activement poursuivie depuis plusieurs années, mais que, suivant l’avocat de Spruce Hollow, il y ait des indications qu’une nouvelle impulsion soit sur le point d’être donnée relativement à cette action. En tout état de cause, les prétentions formulées contre Mme Knezacky visent également M. Madill et concernent un litige commercial de longue date portant sur la propriété des deux sociétés.

[34]           La demanderesse affirme qu’elle ne pourrait donc pas présenter efficacement sa cause si Mme Howard était présente, étant donné que sa preuve et les arguments qu’elle présenterait pourraient être utilisés pour engager la responsabilité directe ou indirecte de Spruce Hollow dans l’instance qu’elle a introduite contre Super H en ce qui concerne toute faute commise par Mme Knezacky et M. Madill.

[35]           La demanderesse affirme que Mme Knezacky aurait pu demander à quelqu’un d’autre de la soutenir. Plus précisément, elle aurait pu demander d’être accompagnée par une personne qui n’avait aucun lien avec l’instance pendante entre Spruce Hollow et Super H. Spruce Hollow affirme que l’arbitre n’a pas vérifié [traduction] « l’intérêt légitime » qu’avait Mme Howard à participer à l’audience pour appuyer moralement Mme Knezacky en tenant compte du préjudice éventuel que pourrait subir la demanderesse.

[36]           La demanderesse affirme par conséquent que l’arbitre a mal exercé son pouvoir discrétionnaire en permettant à Mme Howard de demeurer présente à l’audience après avoir été informé des craintes de Spruce Hollow, suivant lesquelles la capacité de cette dernière de présenter une défense complète en réponse à la demande de Mme Knezacky risquait d’être compromise. Par conséquent, la raison d'être de la présence de Mme Howard est sans intérêt. Ce qui importe, suivant la demanderesse, ce sont les conséquences que sa présence aurait sur sa capacité de faire valoir son point de vue.

[37]           Mme Howard n’est pas partie à l’instance opposant la société de son mari à Spruce Hollow, et il semble qu’elle ne participe pas directement à cette instance, notamment à titre de témoin. Comme l’arbitre l’a également conclu, l’avocat de Spruce Hollow n’a pas été en mesure de m’expliquer précisément en quoi la présence de Mme Howard aux côtés de Mme Knezacky pouvait nuire à Spruce Hollow dans le cadre de sa cause devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique.

[38]           On ne sait pas avec certitude quels renseignements, hormis ceux déjà divulgués lors des audiences publiques, auraient été révélés lors de l’instance et qui auraient pu éventuellement aider Super H à faire échec à la demande de Spruce Hollow ou étayer sa demande reconventionnelle. La question soumise à l’arbitre concernait le congédiement de la défenderesse de Spruce Hollow, et aucune des pièces fournies à l’arbitre par la demanderesse ne mentionnait Super H ou n’indiquait l’existence d’un lien entre son congédiement et l’instance en cours entre Spruce Hollow et Super H.

[39]           De plus, si l’arbitre avait choisi de tenir l’audience à huis clos, rien n’aurait empêché Mme Knezacky, à la clôture de l’audience, d’informer pleinement son amie de la teneur de l’instance, et notamment de tout ce qui aurait pu avoir un intérêt pour Super H.

[40]           La demanderesse affirme également que l’arbitre n’a accordé à son avocat qu’une [traduction] « courte période » pour déterminer qui était Mme Howard, pour examiner les conséquences de la décision de poursuivre l’audience en présence de Mme Howard, et notamment pour examiner les risques auxquels serait exposée sa cliente dans le cadre d'un autre litige au sujet duquel il n'avait pas de connaissances détaillées, et pour faire des recherches au sujet du cadre de la compétence de l’arbitre pour permettre à un tiers d’être présent à l’audience dans ces circonstances. Il était donc déraisonnable de la part de l’arbitre de s’attendre à ce que l’avocat de la demanderesse fasse valoir des arguments solides.

[41]           Je constate que, bien que l’avocat qui a comparu pour Spruce Hollow à l’audience du 7 août 2013 ne se soit occupé de ce dossier que quelques semaines, un autre avocat de son cabinet qui connaissait bien l’autre litige était inscrit au dossier depuis novembre 2012. J’ai du mal à accepter que, si le litige concernant Super H avait été pertinent pour l’instance relative au congédiement de Mme Knezacky, l’avocat n’ait pas été informé à ce sujet avant l’audience et n'ait pas été en mesure d’expliquer l’éventuel conflit à l’arbitre.

[42]           L’avocat a eu l’occasion de s’entretenir avec l’avocat chargé du litige de Super H lorsque la question a été soulevée le 7 août 2012. Après la suspension de l’instance, Spruce Hollow n’a fourni aucun autre renseignement complémentaire pour expliquer pourquoi la requête en exclusion de Mme Howard devait être accueillie. En particulier, Spruce Hollow n’a présenté aucun argument au sujet du préjudice allégué. Elle a plutôt demandé un ajournement au lendemain matin pour pouvoir préparer ses observations sur cette question.

[43]           La Cour aurait pu rendre une décision différente, vu l’opposition vigoureuse de Spruce Hollow, mais le refus de l’ajournement était raisonnable dans les circonstances, compte tenu du fait que la procédure s'éternisait. Bien que l’affaire ait été inscrite au rôle pour deux jours d’audience, le fait que la première journée d’audience ait été perdue explique peut‑être la nécessité d’un autre ajournement. À défaut de préjudice évident causé dans la cause de Spruce Hollow, la décision qui a été prise appartenait aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[44]           Les pouvoirs de l’arbitre sont prévus au paragraphe 242(2) et aux alinéas 242(2)c), l6a), 16b) et 16c) du Code, qui énumèrent les pouvoirs du Conseil canadien des relations industrielles. Voici les pouvoirs conférés à l’arbitre :

Pouvoirs de l’arbitre

242 (2) Pour l’examen du cas dont il est saisi, l’arbitre :

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d’une part, et de tenir compte de l’information contenue dans le dossier, d’autre part;

c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).

Powers of adjudicator

242 (2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

(a) shall consider the complaint within such time as the Governor in Council may by regulation prescribe;

(b) shall determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint; and

(c) has, in relation to any complaint before the adjudicator, the powers conferred on the Canada Industrial Relations Board, in relation to any proceeding before the Board, under paragraphs 16(a), (b) and (c).

[45]           Il est de jurisprudence constante que les tribunaux administratifs sont « maîtres de leur propre procédure ». Dans l’arrêt Prassad c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560, [1989] ACS no 25 (QL), au paragraphe 16, la Cour suprême a fait observer qu'« en l'absence de règles précises établies par loi ou règlement, ils fixent leur propre procédure à la condition de respecter les règles de l'équité et, dans l'exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, de respecter les règles de justice naturelle ».

[46]           Le contenu de l’obligation d’agir avec équité envers Spruce Hollow a été respecté, dans le présent contexte, du fait qu’elle s’est vu accorder la possibilité de se faire entendre et de faire valoir son point de vue sur la question de savoir pourquoi l’exclusion de Mme Howard était nécessaire et d'exposer les raisons pour lesquelles un ajournement devait être accordé.

[47]           Dans le cas qui nous occupe, compte tenu des nombreux délais, qui étaient en grande partie imputables à la demanderesse et des tentatives visant à bloquer ou à faire dérailler l’audience sur le fond de la plainte, il était raisonnable, à mon avis, de la part de l’arbitre de s’attendre à recevoir des explications solides et convaincantes de la part de la demanderesse pour justifier son objection à la présence de Mme Howard à l’audience. L’arbitre a accordé à la demanderesse la possibilité de présenter des arguments et de soumettre des explications. Ce faisant, il a respecté le droit de la demanderesse de se faire entendre et il était disposé à continuer à accorder à la demanderesse la possibilité de se faire entendre sur le fond de la plainte, une possibilité que la demanderesse a écartée du revers de la main en quittant la salle d’audience. Un ajournement a été accordé. Il n’était pas nécessaire d’accorder un ajournement plus long dans les circonstances pour permettre à la demanderesse de bénéficier de l’équité procédurale.

[48]           Si l'instance s'était déroulée comme prévu et qu'il s'en était dégagé des renseignements qui auraient pu justifier les préoccupations de la demanderesse, il aurait été loisible à la demanderesse de soulever de nouveau son objection à la présence de Mme Howard.

[49]           Je constate que, comme dans le cas qui nous occupe, lorsque l’employeur se retire de l’instance et refuse d'y participer, l’arbitre demeure compétent pour rendre une décision au sujet du congédiement (paragraphe 242(3)) et que, s’il décide que le congédiement était injuste, il peut accorder certaines réparations par ordonnance (paragraphe 242(4)).

[50]           Eu égard aux circonstances de la présente affaire, la demanderesse a eu tort d’insister pour demander à M. Madill de défendre ses intérêts, compte tenu du conflit matrimonial dans lequel il était engagé avec la défenderesse. Dans ces conditions, on pouvait soupçonner M. Madill d'avoir un motif inavoué d'entraver et de retarder le déroulement de l’instance introduite sous le régime du Code du travail. L’arbitre était au courant de ce contexte général et de la demande formulée par la défenderesse pour qu’une autre personne, notamment le propriétaire principal et administrateur de Spruce Hollow, M. Weber, agisse comme représentant de la demanderesse. Le ton des communications échangées entre la demanderesse et l’arbitre, de même qu’entre M. Madill et la défenderesse, donne à tout le moins à penser que l’on a tenté d’entraver le déroulement de l’instance et, au pire, de recourir à de l’intimidation. Contrairement à ce que prétend Spruce Hollow, on ne trouve au dossier aucun indice permettant de penser qu’elle cherchait à obtenir dans les meilleurs délais une décision sur la question de savoir si elle avait des motifs valables de congédier la défenderesse.

[51]           Je conclus, selon le dossier dont je dispose, qu’il était raisonnable de la part de l’arbitre, à défaut d’explications convaincantes contraires, de conclure que Mme Howard pouvait demeurer dans la salle d’audience. Pour ce motif, la demande est rejetée.

[52]           Comme la défenderesse se représentait elle-même, elle n’a pas droit aux dépens procureur-client. Elle a soumis un relevé des débours afférents à la présente instance, y compris ceux relatifs aux journées de congé qu’elle a dû prendre, qui équivalent à 627,34 $. Cette somme semble raisonnable, et je vais donc condamner la demanderesse à la payer. Une somme semblable a été accordée dans des circonstances comparables dans l’affaire MacFarlane c Day & Ross Inc, 2011 CF 377.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                   la demande est rejetée;

2.                   l’affaire est renvoyée à l’arbitre pour qu’il fixe dans les meilleurs délais la date d’audience au sujet des réparations qui peuvent être accordées à la défenderesse au titre du paragraphe 242(4) du Code;

3.                   la défenderesse a droit aux dépens de 627,34 $, payables sans délai.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1740-13

 

INTITULÉ :

SPRUCE HOLLOW HEAVY HAUL LTD c SHANNON KNEZACKY MADILL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 JUIN 2014

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

LE 5 JUIN 2014

COMPARUTIONS :

Trevor Hande

 

pour la demanderesse

Shannon Knezacky Madill

 

 la défenderesse

(POUR SON PROPRE COMPTE)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hamilton Duncan Armstrong + Stewart

Avocats

Surrey (Colombie-Britannique)

 

POUR LA demanderesse

Shannon Knezacky Madill

Langley (Colombie-Britannique)

 

 LA défenderesse

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.