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Date : 20140704


Dossier : T-1226-10

Référence : 2014 CF 655

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

OFFSHORE INTERIORS INC.

demanderesse

et

WORLDSPAN MARINE INC., CRESCENT CUSTOM YACHTS INC., LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « QE014226C010 » ET LE NAVIRE « QE014226C010 »

défendeurs

et

WOLRIGE MAHON LIMITED EN SA QUALITÉ D’AGENT DÉSIGNÉ POUR LA CONSTRUCTION DU NAVIRE DÉFENDEUR « QE014226C010 », HARRY SARGEANT III, MOHAMMAD ANWAR FARID AL-SALEH, ET 642385 B.C. LTD.

intervenants

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en application de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, par l’intervenant Harry Sargeant III (Sargeant) pour interjeter appel de l’ordonnance du protonotaire Roger Lafrenière, rendue le 3 juin 2014, à l’égard de la requête de la demanderesse Offshore Interiors Inc (Offshore), datée du 18 juin 2014. Dans cette ordonnance, le protonotaire Lafrenière approuvait la vente du navire QE014226C010 (le navire) à une société à numéro pour la somme de cinq millions de dollars américains.

[2]               Sargeant, appuyé par l’intervenante, la Comerica Bank (Comerica), souhaite empêcher la vente et a demandé l’instruction accélérée du présent appel pour motif d’urgence. La demanderesse Offshore, appuyée par les intervenants 642385 B.C. LTD (la locatrice) et Mohammad Anwar Farid Al‑Saleh (Al‑Saleh), souhaite que l’on procède à la vente.

[3]               Dans une ordonnance datée du 30 juin 2014, j’ai ordonné le sursis à l’exécution de l’ordonnance de vente en attendant l’issue du présent appel et j’ai écourté les délais prévus pour la signification et le dépôt de la présente requête et des documents d’appui. L’affaire a été entendue le même jour.

I.                   LE CONTEXTE

[4]               Le contexte factuel exposé par le protonotaire Lafrenière dans ses motifs d’ordonnance datés du 30 juin 2014 n’est pas contesté :

[4]        L’instance sous‑jacente a une longue histoire. En bref, M. Sargeant et Worldspan Marine Inc. (Worldspan) ont passé le 29 février 2008 un contrat de construction de navire (le CCN), aux termes duquel Worldspan s’engageait à concevoir, à construire, à équiper, à mettre à l’eau et à finir le navire, un yacht de luxe sur mesure de 142 pieds, ainsi qu’à le vendre et à le livrer à M. Sargeant. La construction a commencé en mars 2008. Une hypothèque du constructeur a été inscrite sur le navire, en faveur de M. Sargeant, au registre maritime de Vancouver le 14 mai 2008. En août 2009, les paiements effectués par M. Sargeant ou en son nom à Worldspan totalisaient 11 064 525,38 $US.

[5]        Le 14 août 2009, M. Sargeant a conclu un contrat de prêt à la construction avec Comerica et d’autres parties pour un montant de 9 400 000 $US, afin de financer l’achèvement de la construction du navire. Les droits de M. Sargeant dans le CCN, le navire et l’hypothèque du constructeur ont été cédés à Comerica au moyen d’un contrat de cession de garantie et hypothèque portant la même date. Entre les mois d’août 2009 et de mars 2010, Comerica a versé à Worldspan, pour le compte de M. Sargeant, la somme de 9 387 398,67 $US. Au mois d’avril 2010, le montant total payé à Worldspan par M. Sargeant ou pour son compte relativement à la construction du navire s’élevait à 20 651 924,05 $US.

[6]         Un différend a pris naissance entre M. Sargeant et Worldspan à propos des coûts du projet. La construction du navire a cessé en avril ou en mai 2010. Offshore a intenté l’action sous-jacente le 20 juillet 2010 contre Worldspan, Crescent Custom Yachts Inc., les propriétaires du navire et toutes les autres personnes ayant un droit sur celui‑ci, ainsi que le navire lui-même pour non-paiement de factures concernant des services et des matériaux fournis en lien avec la construction du navire. Le navire a été saisi le 28 juillet 2010 et il l’est encore aujourd’hui dans des lieux loués sur un bien appartenant à la locatrice, au 27222, route Lougheed, à Maple Ridge, en Colombie‑Britannique.

[7]        Le 27 mai 2011, par une requête présentée à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, Worldspan et des entités liées ont demandé à se prévaloir du régime prévu par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, LRC 1985, c C‑36 (l’instance engagée au titre de la LACC).

[8]        Le 31 mai 2011, un jugement par défaut a été rendu par la Cour en faveur d’Offshore contre les défendeurs, y compris le navire ou son cautionnement maritime, pour un montant de 273 754,58 $, plus les dépens.

[9]        Le 22 juillet 2011, le juge Pearlman de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a rendu une ordonnance relative au processus de réclamation dans le cadre de l’instance engagée au titre de la LACC. Cette ordonnance exigeait que tous les créanciers produisent des preuves de réclamation au plus tard à la date de prescription des réclamations, soit le 9 septembre 2011, faute de quoi il leur serait à tout jamais interdit de déposer ou de faire valoir une réclamation quelconque. Elle prévoyait également que n’importe quel créancier qui déposait, dans le cadre de l’instance engagée au titre de la LACC, une preuve de réclamation faisant valoir une réclamation de nature réelle à l’encontre du navire pouvait poursuivre cette réclamation, en dehors de l’instance engagée au titre de la LACC, devant la Cour fédérale.

[10]      Par ordonnance datée du 29 août 2011, j’ai établi un processus de réclamation à l’intention de tous les créanciers ayant une réclamation de nature réelle à l’égard du navire. Cette ordonnance prescrivait qu’avis soit donné à tous les créanciers de l’obligation de produire un affidavit donnant des précisions à l’appui de leur réclamation et quant à la nature de celle‑ci, afin que la Cour puisse établir s’il s’agissait d’une réclamation de nature réelle et, le cas échéant, fixer son rang dans l’ordre de priorités. Elle exigeait aussi que les affidavits soient tous déposés 21 jours après réception de l’avis par les créanciers et prévoyait que toutes les questions relatives aux droits d’un créancier quelconque seraient tranchées, sur demande, par la Cour fédérale.

[11]      Le 9 février 2012, Offshore a déposé une requête en vue d’obtenir de la Cour une ordonnance déclarant que l’hypothèque du constructeur ne créait aucun privilège ni aucune garantie sur le navire, si ce n’était pour en garantir la livraison. J’ai rendu cette ordonnance le 5 mars 2013; toutefois l’ordonnance a été infirmée en appel par madame la juge Cecily Strickland le 19 décembre 2013. Offshore a interjeté appel et l’affaire est actuellement en délibéré devant la Cour d’appel fédérale.

[12]      Les faits qui précèdent fournissent les renseignements de base importants pour une compréhension contextuelle de la chronologie et de l’influence réciproque des requêtes récemment soumises à la Cour.

[13]      C’est la locatrice qui a tiré la première salve. Elle a demandé une ordonnance afin que le mandat de saisie du navire soit annulé ou, sinon, qu’il soit modifié pour autoriser la locatrice à enlever le navire des lieux et à l’entreposer dans sa cour extérieure ou à quelque autre endroit que choisirait la Cour.

[14]      M. Sargeant, à son tour, a déposé une requête pour déménager le navire dans le chantier naval de Richmond et pour obtenir un privilège prioritaire pour le déplacement du navire et le loyer futur. M. Sargeant soutient qu’il faut commencer immédiatement la préparation du navire pour le déplacement, car la fenêtre est très petite en raison des marées défavorables plus tard au cours de l’été.

[15]      Les deux requêtes pour obtenir de la Cour une réparation immédiate ont incité Offshore à déposer la présente requête pour l’approbation de la vente du navire à l’acheteuse.

[16]      Il faut préciser que ce n’est pas la première fois qu’Offshore demande l’aide de la Cour pour vendre le navire. Le 28 septembre 2011, Offshore a demandé l’autorisation de mettre le navire en vente. Monsieur le juge Sean Harrington a rendu une ordonnance, le 7 mai 2013, approuvant le processus de mise en marché et d’annonce concernant la vente du navire à un prix brut de 18 900 000 $US. Malgré de grands efforts de commercialisation et une prorogation de l’ordonnance de mise en marché, aucune offre satisfaisante n’a été reçue. Le navire demeure depuis dans les locaux de la locatrice, accumulant des frais de loyer et perdant de la valeur.

[5]               Dans la décision mentionnée au paragraphe 11 des motifs du protonotaire Lafrenière, la juge Strickland constate que le CCN exposait le propriétaire, Sargeant, à un risque pour ce qui est des avances versées, étant donné que le constructeur conservait le titre de propriété du navire jusqu’à sa livraison : Offshore Interiors Inc. c Worldspan Marine Inc., 2013 CF 1266 au paragraphe 47 [Offshore 2013 CF].

[6]               L’article 12.1 de CCN est libellé ainsi :

[traduction]

Le constructeur conserve le titre de propriété du navire jusqu’à sa livraison au propriétaire. Il accorde au propriétaire une garantie permanente de rang prioritaire sur le navire, notamment sur l’ensemble des travaux, des matériaux, de la machinerie et de l’équipement liés au navire, pour garantir les sommes qu’il avance ou verse au constructeur dans le cadre du présent contrat, à la condition, toutefois, que cette garantie soit subordonnée aux obligations qu’imposent les documents contractuels au propriétaire, dont le droit du constructeur de recevoir des paiements dans le cadre du présent contrat. Le constructeur consent, à l’appui de la garantie du propriétaire grevant le navire, à enregistrer une hypothèque maritime en faveur du propriétaire ou de son prêteur aux fins de la construction (les parties, agissant de façon raisonnable, devant s’entendre sur la teneur du document hypothécaire) si le propriétaire demande que cela soit fait pour une raison quelconque. [Non souligné dans l’original.]

[7]               Les droits personnels que possède Worldspan aux termes de l’article 12.1 du CCN n’ont pas encore fait l’objet d’une décision. Worldspan a la possibilité de participer au processus de réclamation et de contester les réclamations réelles, en qualité de propriétaire du navire.

[8]               L’hypothèque du constructeur conclue par Worldspan et Sargeant avait pour but de faire du navire lui‑même la garantie de premier rang pour les versements antérieurs à la livraison effectués par Sargeant, sous réserve toutefois du droit de Worldspan de recevoir des paiements conformément au CCN. Sargeant a cessé d’effectuer les versements mensuels en décembre 2009, mais n’a résilié le contrat qu’en avril 2010. Les paiements échus qu’il devait à Worldspan, s’élevaient, d’après Offshore, à 4,9 millions de dollars, plus les intérêts. Le CCN ne prévoyait pas que des tiers comme Offshore et la locatrice (Offshore 2013 CF, précitée, au paragraphe 52) puissent présenter des réclamations.

[9]               La juge Strickland a reconnu, au paragraphe 64 de ses motifs, qu’en cas de perte totale ou de rupture du CCN, les parties avaient prévu de vendre le navire pour rembourser les avances effectuées pour financer sa construction. Elle a toutefois fait remarquer :

[…] Comme le navire a été saisi et qu’il est l’objet de réclamations de la part de tierces parties, ces dispositions ne s’appliquent aucunement dans les présentes circonstances. […]

[10]           Et plus loin, au paragraphe 99, la juge Strickland fait remarquer :

[…] l’hypothèque du constructeur avait pour objet de garantir les droits prioritaires de M. Sargeant sur le navire par rapport à des tiers dans des circonstances comme celles‑ci, où les dispositions du contrat de construction ne régissent pas la manière de disposer du navire entre M. Worldspan et M. Sargeant parce qu’il a été saisi par des tiers et qu’il sera vendu par la Cour. [Non souligné dans l’original.].

[11]           En conclusion, au paragraphe 100, la juge Strickland a jugé que l’hypothèque du constructeur garantissait les avances non échues qui étaient de la nature d’un prêt ou d’une dette potentielle ainsi que l’obligation de rembourser ces sommes en cas de non‑livraison. À titre subsidiaire, elle a déclaré que la réclamation de Sargeant et Comerica présentée aux termes de l’alinéa 22(2)n) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, c F‑7 était fondée et qu’elle devait être examinée à l’audience sur l’ordre de priorité (paragraphe 111). La décision de la juge Strickland a fait l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale interjeté par Offshore . L’appel a été entendu le 9 juin 2014 et mis en délibéré.

[12]           Offshore s’inquiète du fait que le navire en question perd constamment de la valeur et devient de plus en plus difficile à vendre et demande par conséquent qu’il soit vendu sur ordonnance de la Cour en vue d’obtenir un titre franc et quitte de toute charge et de créer un fonds pour la distribution du produit de la vente une fois déterminées les priorités. Il y a aujourd’hui une personne qui s’est déclarée intéressée à acheter le navire par l’intermédiaire d’une société à numéro et qui a versé un dépôt de 200 000 $.

[13]           La locatrice souhaite que le navire quitte le lieu où il se trouve pour qu’elle puisse louer cet emplacement à un autre constructeur, tout en préservant son droit sur les loyers impayés et les autres garanties. Pour faciliter le déplacement du navire, la locatrice est disposée à renoncer son droit de common law qui l'autorise à procéder à une saisie-gagerie sur les biens meubles situés dans ses locaux et reliés au navire saisi, mais n’en faisant pas partie. S’il n’est pas procédé à la vente, la locatrice sollicite une ordonnance autorisant l’entreposage du navire à l’extérieur, dans un endroit situé sur sa propriété. Les parties ont admis que cette mesure ne ferait qu’accélérer la détérioration du navire. Il ne peut toutefois demeurer là où il se trouve et son déplacement au moyen d’une barge dépend du niveau du fleuve Fraser qui baisse rapidement après avoir atteint un sommet au début du mois de juillet. Le navire doit donc être déplacé avant la fin du mois de juillet 2014.

[14]           L’arriéré des loyers dus à la locatrice continue de s’accumuler et s’élève aujourd’hui à près de 1 million de dollars. La locatrice a le droit, conformément à une ordonnance de la Cour, à un privilège prioritaire représentant 20 % de son loyer à partir du mois d’août 2012. Ce montant de 20 % représente à peu près l’espace occupé par la superficie du navire dans les locaux. Un autre 37 % des lieux est utilisé, d’après la locatrice, pour l’entreposage des matériaux qui doivent être intégrés au navire. Étant donné que ces matériaux ne sont pas intégrés au navire , ni installés sur celui-ci, la locatrice invoque un droit de saisie-gagerie sur ces biens, conformément à la common law.

[15]           M. Al‑Saleh a obtenu en Floride un jugement condamnant Sargeant et une personne morale qu’il contrôle pour une fraude reliée à une cargaison de pétrole au Moyen‑Orient. Il allègue que les produits de la fraude ont été utilisés pour construire le navire. Le tribunal floridien a cédé à Al‑Saleh le droit que possédait Sargeant sur le navire. Al‑Saleh prend des mesures pour faire enregistrer en Colombie‑Britannique le jugement rendu en Floride au sujet de la fraude et souhaite présenter une réclamation contre le fonds qui serait constitué par le produit de la vente du navire. Il invoque à la fois une fiducie par interprétation à l’égard du produit de la fraude et une réclamation réelle subrogée contre le navire en sa qualité de créancier judiciaire de Sargeant. Dans une décision du 28 février 2013 rendue par le protonotaire chargé de la gestion de l’instance, confirmée le 29 novembre 2013 par la juge Strickland, Al‑Saleh a obtenu l’autorisation d’intervenir dans la présente action et il a été reconnu que sa réclamation réelle était potentiellement valide, sans que le bien-fondé de cette réclamation ait été déterminé. Cette décision a également fait l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale qui a été entendu le 9 juin 2014 et pris en délibéré.

[16]           La défenderesse Worldspan n’a pas participé à l’appel et est insolvable, mais elle est encore une partie intéressée parce qu’elle a des réclamations non réglées visant des matériaux et des avances faites pour la construction que Sargeant a cessé de payer alors que les travaux sur le navire se poursuivaient.

II.                LA DÉCISION ATTAQUÉE

[17]           Le protonotaire Lafrenière a rendu oralement des motifs le 23 juin 2014, des motifs écrits le 26 juin 2014 ainsi qu’une ordonnance le 30 juin 2014.

[18]           Les facteurs que le protonotaire a estimé pertinents pour déterminer si le moment était venu de vendre le navire étaient les suivants :

a)                  premièrement, le navire est sous saisie depuis quatre ans;

b)                  deuxièmement, le navire faisait l’objet d’une ordonnance de commercialisation rendue par le juge Harrington le 7 octobre 2011, prorogée par le juge Hughes le 4 juin 2012, qui n’a toutefois suscité aucune offre raisonnable;

c)                  troisièmement, le déplacement du navire de l’établissement de la locatrice comporterait des risques de dommages et aucune assurance sur le navire n’a été souscrite à l’avantage des créanciers;

d)                 quatrièmement, le navire n’étant pas terminé, le marché est limité;

e)                  cinquièmement, le navire a considérablement baissé de valeur depuis la saisie et un retard supplémentaire augmentera sa dépréciation;

f)                   sixièmement, des coûts supplémentaires, notamment les coûts de déplacement et de loyer futur, devront être engagés si le navire demeure sous saisie;

g)                  septièmement, la locatrice a convenu de renoncer à sa demande de saisie-exécution des articles prescrits aux annexes de l’offre d’achat afin que la vente puisse être conclue sans qu’il soit nécessaire de tenir d’autres audiences et, éventuellement, sans les litiges en matière de priorités pour faire valoir les droits de la locatrice, ce qui est précieux pour toutes les parties concernées.

[19]           Le protonotaire Lafrenière a donc conclu de la façon suivante :

[19]      Eu égard à l’ensemble des circonstances, il est juste, et conforme à l’intérêt de la justice, que le navire soit vendu. Toutes les parties conviennent que le navire doit être monétisé à un certain moment. En fait, les avocats de M. Sargeant et de Comerica ont reconnu à l’audience que le navire devait d’abord être vendu par ordonnance judiciaire avant de pouvoir être parachevé.

[20]      Lorsqu’un navire est protégé par un mandat de saisie, le rôle de la Cour est de protéger les intérêts de tous les créanciers, et non pas de certains d’entre eux seulement. À mon sens, il ne serait pas raisonnable de continuer à maintenir le navire sous saisie, à grands frais (pour le déménagement et le loyer futur) et pendant une période indéterminée. Il en résulterait un recouvrement moindre pour les réclamants, qu’ils détiennent ou non un droit garanti.

[21]      En me fondant sur les éléments de preuve déposés par affidavit au nom d’Offshore, qui n’a pas fait l’objet d’un contre‑interrogatoire ni été contredite par M.  Sargeant et Comerica, et sur l’évaluation préparée par Aegis Marine Surveyors Ltd. à la demande de la locatrice le 17 mai 2013, je conclus qu’il y a eu dépréciation considérable de la valeur du navire depuis la saisie et qu’il atteint le point de désuétude. L’offre d’achat de 1005257 B.C. Ltd. constitue à un mon avis une juste valeur pour le navire et son équipement.

[20]           Pour donner effet à ces motifs, le protonotaire Lafrenière a ordonné que le navire, ainsi que divers éléments et équipements, soient vendus au plus tard le 9 juillet 2014, sauf dans le cas où Sargeant ou Comerica verserait, conformément à l’article 485 des Règles des Cours fédérales, avant 12 h HNP le lundi 30 juin 2014 une garantie en dollars canadiens équivalant à cinq millions de dollars américains. Selon l’ordonnance, le produit de la vente ou la garantie, dans le cas où elle serait versée, devait remplacer le navire et celui‑ci devait être enlevé des lieux occupés chez la locatrice aussi rapidement que possible. Si le navire n’était pas enlevé avant le 30 août 2014, la locatrice était autorisée à l’entreposer dans sa cour extérieure.

[21]           À l’audience tenue devant la Cour qui a commencé une heure avant l’heure limite de 12 h HNP le lundi 30 juin 2014, les avocats de Sargeant et Comerica ont fait savoir que leurs clients n’avaient pas l’intention de déposer auprès de la Cour une garantie de cinq millions de dollars américains. L’avocat de Sargeant a déclaré que son client était disposé à donner une garantie de 200 000 $ pour les frais d’entreposage de la locatrice, mais estimait que les coûts associés au déplacement du navire constitueraient une garantie prioritaire dans le cas d’une vente postérieure. La locatrice n’a pas accepté cette offre et a maintenu la position qu’elle avait adoptée devant le protonotaire Lafrenière.

III.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[22]           La seule question en litige est de savoir si le protonotaire a commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et a omis d’appliquer les principes juridiques appropriés à la requête dont il était saisi.

IV.             ANALYSE

[23]           Il est bien établi que les ordonnances discrétionnaires des protonotaires ne devraient pas être modifiées en appel devant un juge à moins qu’elles soulèvent des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal ou qu’elles soient manifestement erronées en ce sens que l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le protonotaire était fondé sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits : Merck & Co. c Apotex Inc., 2003 CAF 488, au paragraphe 19; Eli Lilly Canada Inc. c Novopharm Limited, 2008 CAF 287, au paragraphe 52.

[24]           Lorsque la décision du protonotaire appartient à une des catégories décrites ci‑dessus, le juge chargé de l’examen peut exercer son pouvoir discrétionnaire de novo : Bande indienne de Louis Bull c Canada, 2003 CFPI 732, au paragraphe 13; Seanix Technology Inc. c Synnex Canada Ltd., 2005 CF 243, au paragraphe 11. En l’absence d’une telle conclusion, il y a lieu de faire preuve d'une grande retenue à l’égard de la décision d’un protonotaire rendue dans le cadre de la gestion d’une instance, comme c’est le cas ici, et elle ne devrait être modifiée qu’en cas d’exercice manifestement erroné de son pouvoir discrétionnaire : Bande de Sawridge c Canada, 2001 CAF 338, [2002] 2 CF 346, au paragraphe 354 (CAF).

[25]           Comerica soutient que l’ordonnance du protonotaire était de nature discrétionnaire qui jouait un rôle essentiel dans l’issue finale de la présente affaire, à savoir le droit de Sargeant de faire une offre d’achat sans comptant du navire, dans le cas où l’appel d’Offshore devant la Cour fédérale serait rejeté. L’argument de Sargeant, appuyée par Comerica à titre d’argument subsidiaire, est que la décision était manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur en n’appliquant pas les principes juridiques appropriés. Sur ce point, leur argument est essentiellement que le protonotaire a omis d’appliquer [traduction] « la présomption selon laquelle, lorsque le produit de la vente est insuffisant pour payer la dette garantie, la Cour n’autorise pas la vente sauf si le créancier hypothécaire y consent ».

[26]           Offshore, la locatrice et Al‑Saleh contestent l’affirmation selon laquelle la décision du protonotaire joue un rôle déterminant pour l’issue de l’affaire, étant donné, affirment‑ils, que Sargeant et Comerica ne font que présenter des réclamations conformément à une ordonnance relative au processus de réclamation. La valeur du navire a été établie à cinq millions de dollars américains. Le fonds créé grâce à la vente ne ferait que remplacer la res. L’objectif de Sargeant et Comerica qui consiste à acquérir le navire en écartant l'application du CCN ne peut être « essentiel »à l’issue de questions soulevées par le CCN.

[27]           Je note que, dans Nordea Bank Norge ASA c « Kinguk » et al., 2006 CF 1290 [Kinguk], la juge Gauthier a accepté l’argument des parties selon lequel la vente d’un navire à la suite d’un jugement par défaut en vue de réaliser une garantie hypothécaire était une question essentielle pour l'issue de l’affaire et pour les droits des parties. Elle a alors décidé d’exercer le pouvoir discrétionnaire de novo de la Cour. Dans les circonstances de l’espèce, je suis disposé à agir de la même façon.

[28]           Sargeant, appuyé par Comerica, soutient qu’il n’est pas possible de procéder à la vente contre son gré, étant donné qu’il détient une garantie hypothécaire sur le navire. À l’appui de cette proposition, ils invoquent principalement Westar Mining Ltd (Re), [1992] BCJ no 3128 [Westar] et Mahood v 429553 BC Ltd [1998] BCJ no 246, 48 BCLR (3d) 362 (CA) [Mahood].

[29]           La décision Westar portait sur une demande présentée par un acheteur éventuel qui cherchait à faire ordonner la vente d’une mine de charbon en exploitation aux termes du Bankruptcy Act. La Banque de Montréal, une créancière garantie, s’opposait à la vente. Le juge MacDonald a déclaré, au paragraphe 16, qu’il souscrivait, avec une certaine hésitation, à l’argument de la banque selon lequel la Cour n’avait pas le pouvoir d’ordonner une vente à laquelle un créancier garanti s’oppose, et qui va donner un montant inférieur à la garantie que détient la banque. Cette affaire portait cependant sur l’application de l’article 129 du Bankruptcy Act et n’est pas d’une grande utilité dans le présent contexte.

[30]           Dans l’arrêt Mahood, le juge siégeant en chambre avait approuvé la vente de certains biens qui appartenaient à des sociétés qui étaient gérées par un administrateur‑séquestre nommé par la Cour. Il s’agissait d’un litige familial qui s’éternisait et dans lequel les tribunaux étaient intervenus à plusieurs reprises. La Cour d’appel de la C.‑B. a confirmé la vente et exprimé son accord avec les principes exposés dans la décision Westar, précitée. Elle a fait remarquer, au paragraphe 5, que [traduction] « dans une simple instance en forclusion, le débiteur hypothécaire ne devrait pas normalement obtenir une ordonnance de vente des biens grevés à moins que le produit de la vente suffise à rembourser intégralement le montant de l’hypothèque ». Cette affaire était toutefois exceptionnelle à cause de la durée du contentieux et parce que la validité de certaines des hypothèques en question était contestée. Dans ces circonstances [traduction] « la Cour avait le pouvoir discrétionnaire d’approuver la vente, en fixant des conditions qu’elle n’aurait probablement pas imposées autrement » (paragraphe 7).

[31]           Les avocats de Sargeant et Comerica n’ont pas été en mesure de citer une affaire qui portait directement sur la vente d’un navire. Je note que, dans Canada (Ministre des Approvisionnements et Services) c Horizons Unbound Rehabilitation and Training Society, [1996] ACF no 1496, le protonotaire Hargrave a ordonné, avant le procès, la vente d’un navire qui perdait de sa valeur, alors que les défendeurs détenaient une hypothèque de deuxième rang qui serait annulée par la vente et avaient des arguments valables à présenter au procès.

[32]           Même en tenant pour acquis que Sargeant et Comerica ont raison d’affirmer qu’il existe une présomption contre la vente forcée d’un actif ayant fait l’objet d’une hypothèque lorsque le créancier hypothécaire n’y consent pas, cela n’a toutefois pas pour effet, à mon avis, d’empêcher la vente d’un navire selon les Règles des Cours fédérales lorsque cela est justifié dans les circonstances. Les navires ne sont pas des biens immeubles comme des usines ou des mines de charbon. Ils perdent rapidement de leur valeur à moins qu’ils ne soient entretenus convenablement. C’est pourquoi la Cour a reconnu qu’il était parfois nécessaire de vendre un navire avant qu’elle se soit prononcée sur les droits des parties de façon à préserver la valeur du navire pour le propriétaire et pour les créanciers.

[33]           L’article 490 des Règles des Cours fédérales prévoit la vente judiciaire de navires. Il est ainsi libellé :

VENTE DES BIENS SAISIS

SALE OF ARRESTED PROPERTY

Sort des biens saisis

Disposition of arrested property;

490. (1) La Cour peut, sur requête, ordonner que les biens saisis, selon le cas :

490. (1) On motion, the Court may order, in respect of property under arrest, that

a) soient évalués et vendus, ou soient vendus sans avoir été évalués, soit aux enchères publiques, soit par contrat privé;

(a) the property be appraised and sold, or sold without appraisal, by public auction or private contract;

a) soient évalués et vendus, ou soient vendus sans avoir été évalués, soit aux enchères publiques, soit par contrat privé;

(a) the property be appraised and sold, or sold without appraisal, by public auction or private contract;

b) soient mis en vente par des avis publics conformes aux directives données dans l’ordonnance, laquelle peut prescrire notamment

(b) the property be advertised for sale in accordance with such directions as may be set out in the order, which may include a direction that

(i) que les offres d’achat doivent être scellées et adressées au shérif,

(i) offers to purchase be under seal and addressed to the sheriff,

(ii) que les offres d’achat doivent être toutes décachetées au même moment à une audience publique, que les parties doivent être avisées de ce moment et que la vente doit être faite en vertu d’une ordonnance de la Cour rendue à cette occasion ou après que les parties ont eu l’occasion de se faire entendre,

(ii) offers to purchase all be opened at the same time in open court, that the parties be notified of that time and that the sale be made pursuant to an order of the Court made at that time or after the parties have had an opportunity to be heard,

(iii) qu’il n’est pas obligatoire de vendre les biens au plus haut enchérisseur ou autre enchérisseur,

(iii) the sale not necessarily be to the highest or any other bidder, or

(iv) que, après l’ouverture des offres d’achat et audition des parties, s’il y a un doute sur la justesse du prix offert, le montant de l’offre la plus élevée doit être communiqué aux autres personnes qui ont fait des offres ou à une autre classe de personnes, ou d’autres dispositions doivent être prises pour qu’on obtienne une offre plus élevée;

(iv) after the opening of the offers and after hearing from the parties, if it is doubtful that a fair price has been offered, the amount of the highest offer be communicated to the other persons who made offers or to some other class of persons or that other steps be taken to obtain a higher offer;

c) soient vendus sans préavis de vente;

(c) the property be sold without advertisement;

d) soient vendus, sous réserve des conditions précisées dans l’ordonnance ou de l’approbation subséquente de la Cour, par l’entremise d’un agent ou courtier rémunéré au taux fixé dans l’ordonnance;

(d) an agent be employed to sell the property, subject to such conditions as are stipulated in the order or subject to subsequent approval by the Court, on such terms as to compensation of the agent as may be stipulated in the order;

e) fassent l’objet de mesures assurant leur sécurité et leur conservation;

(e) any steps be taken for the safety and preservation of the property;

f) s’ils perdent de leur valeur, soient vendus immédiatement;

(f) where the property is deteriorating in value, it be sold forthwith;

g) s’ils sont à bord d’un navire, en soient enlevés ou déchargés;

(g) where the property is on board a ship, it be removed or discharged;

h) s’ils sont de nature périssable, soient aliénés de la manière qu’elle ordonne;

(h) where the property is perishable, it be disposed of on such terms as the Court may order; or

i) soient examinés aux termes de la règle 249.

(i) the property be inspected in accordance with rule 249.

[34]           La seule condition à respecter pour ordonner une vente forcée selon la Règle 490 est qu’il y ait un navire qui a été saisi. Cette disposition prévoit que le « bien » en question peut être vendu sans avoir été évalué, aux enchères publiques ou par contrat privé ou par courtier et elle autorise la Cour à émettre des directives sur la façon de procéder à la vente. Ce pouvoir discrétionnaire très large permet à un créancier judiciaire, comme Offshore, de conclure une entente avec une tierce partie pour l’achat du navire et demander ensuite l’approbation de la cour. L’évaluation ou l’avis public est discrétionnaire, mais non pas essentiel.

[35]           Dans la plupart des cas, la vente par contrat privé n’est pas toujours la meilleure façon de procéder, mais elle est parfois nécessaire dans des circonstances exceptionnelles. La Cour a refusé d’approuver une vente privée lorsqu’elle estimait qu’elle ne permettra pas d’obtenir le meilleur prix possible pour le navire : International Marine Banking Co. c Dora [no 2] (The) [1977] 1 CF 603 (CFPI) [The Dora]; Sea‑Tec Fabricators Ltd c Offshore Fishing Co, [1985] ACF no 236 (CFPI) [Sea‑Tec]. Ces deux affaires concernaient des propositions de vente avant jugement, sans avis public préalable.

[36]           Je note que, dans The Dora, au paragraphe 9, le juge en chef adjoint Thurlow a expressément écarté l’argument selon lequel le navire subirait une détérioration matérielle indue en restant immobilisé le temps nécessaire à l'exécution des procédures normales de la Cour relatives à son évaluation et à sa vente. En outre, il existait des preuves claires indiquant qu’un navire de la même série et un autre navire comparable avaient été récemment vendus pour des montants nettement plus élevés que l’offre proposée et de plus, trois courtiers estimaient qu’il serait possible d’obtenir un prix beaucoup plus élevé pour le navire. Dans la décision Sea‑Tec, la Cour ne disposait pas de preuves concernant la juste valeur marchande du navire. En l’absence de telles preuves, la Cour ne pouvait tenir pour acquis que le prix d’achat proposé par le créancier hypothécaire représentait le juste prix du navire.

[37]           La Cour a émis des ordonnances autorisant des ventes privées lorsque les preuves démontraient que le navire perdait de sa valeur, qu’il fallait agir rapidement pour obtenir le meilleur prix possible et qu’il existait des preuves convaincantes établissant que les tentatives déployées pour vendre le navire auparavant n’avaient pas débouché sur des offres plus élevées : Bank of Scotland c « Nel » (1997), 140 CFPI 271 (CFPI) [Nel]; Franklin Lumber Ltd c « Essington II », 2005 CF 95 [Essington II]; et Kinguk, précité. Dans le cas du Nel, il fallait agir rapidement parce que le navire transportait un chargement corrosif et risquait de devenir invendable d’ici quelques mois. Pour ce qui est des décisions Essington II et Kinguk, il existait, comme en l’espèce, des preuves convaincantes établissant que le navire avait été mis en vente depuis plusieurs années et ne ferait probablement pas l’objet d’une offre supérieure.

[38]           Comme l’a déclaré la juge Gauthier dans la décision Kinguk au paragraphe 2, la jurisprudence établit que chaque affaire doit être décidée d’après ses propres faits et en fonction des preuves présentées à la Cour.

[39]           En l’espèce, les preuves non contredites démontrent que la valeur du navire a déjà diminué de façon importante depuis sa saisie. Il reste à achever au moins 25 % du travail pour terminer la construction. Le navire est entreposé comme une coque sans que les structures supérieures y soient fixées et sans que la plupart des systèmes nécessaires à son exploitation aient été installés. L’équipement électronique, qui était peut‑être à la fine pointe de la technologie en 2008, peut maintenant se comparer à un Commodore 64, un ordinateur désuet. Le navire risque de subir des dommages à cause des particules de poussière métallique que produit une autre entreprise dans l’usine.

[40]           Le fait que la convention d’inscription autorisée par la cour en 2011 soit expirée n’est pas, à mon avis, une raison pour ne pas procéder à cette vente. La Cour a le pouvoir d’approuver une vente immédiate sans commercialisation lorsque le bien perd de la valeur. Ce n’est toutefois pas le cas en l’espèce.

[41]           Offshore a présenté de nombreux affidavits pour établir la valeur marchande du navire et décrire tous les efforts déployés au cours des quatre années précédentes pour le vendre. Cela comprenait le témoignage de deux constructeurs de yachts, celui d’un comptable agréé qui était consultant pour la fabrication et la vente de « super yachts » et celui d’un courtier qui travaillait pour [traduction] « la plus importante société de courtage au monde pour les super yachts ». Plusieurs des auteurs des affidavits ont visité le chantier naval et ont pu voir le navire sur les lieux. On a tenté de le nettoyer pour qu’il soit plus présentable pour les acheteurs éventuels ou leurs mandataires. Une correspondance avec un certain nombre de personnes travaillant dans le domaine de la fabrication et de la vente de super yachts et qui connaissent bien le navire a été jointe aux affidavits à titre de pièce. Il en ressortait un consensus sur la valeur du navire et la qualité de l’offre d’achat.

[42]           Les preuves établissent clairement que le navire a été offert sans succès à des prix très intéressants, pendant plusieurs années. Le marché des « super yachts » est un marché très spécialisé. Il n’y a qu’un marché très limité pour les navires de ce genre. Les acheteurs éventuels s’exposent à un risque considérable en raison de la complexité et du coût de l’achèvement de la construction. Le fait que le « Crescent 144 », le nom du navire, n’ait pas suscité d’intérêt est bien connu dans ce secteur et a dissuadé des acheteurs éventuels de faire des offres. Les preuves montrent que poursuivre les annonces et sa commercialisation n’amènera pas un acheteur éventuel à offrir un prix supérieur à celui qui est offert.

[43]           Une évaluation du navire effectuée le 17 mai 2013 par un expert maritime agréé a été obtenue par la locatrice; elle indique que la valeur du navire se situait entre sa valeur d’épave et une valeur maximum de 6,6 millions de dollars américains. Le coût supplémentaire qu’il faudrait assumer pour achever la construction était évalué à 13,3 millions de dollars au minimum. La locatrice était disposée à offrir cinq millions de dollars pour le navire. Il ressort de preuves non contredites qu’en juin 2014, une offre de cinq millions de dollars américains était une offre juste pour le navire, compte tenu du temps écoulé depuis l’arrêt de la construction du navire, des conditions dans lesquelles il avait été entreposé et de l’obsolescence de ses systèmes.

[44]           Ni Sargeant ni Comerica n’ont contesté ces preuves dans le cadre de la requête. Ils n’ont pas présenté de preuves récentes lui attribuant une valeur supérieure, ni offert d’acheter le navire au cours des quatre dernières années. Il n’existe aucune preuve indiquant qu’un prix de cinq millions de dollars n’est pas le prix maximal que l’on peut raisonnablement espérer retirer de la vente du navire. Je conviens avec les parties favorables à la vente que les preuves sur la question de la valeur sont irrésistibles et non contestées.

[45]           Sargeant, appuyé par y Comerica, souhaite conduire le navire dans un chantier naval libre, qu’il contrôle par l’intermédiaire d’une personne morale, pour qu’il soit achevé et livré par une société de construction navale récemment établie. Les parties opposées contestent la capacité de cette nouvelle société d’achever la construction du navire. La main‑d’œuvre qui avait été réunie pour construire le navire a disparu et il sera difficile de trouver des ouvriers spécialisés connaissant la structure et les composantes du navire pour l’achever. Offshore, la locatrice et Al‑Saleh affirment que le navire continuera à perdre de la valeur et le fonds que créerait sa vente finale serait fortement réduit. J’estime que ces parties ont correctement évalué la situation.

[46]           Je note que, selon les conditions de la vente approuvées par le juge Harrington en octobre 2011, le prix de départ du navire était déjà bien inférieur à la valeur totale des avances effectuées par Sargeant. De plus, la vente était assujettie à une commission pour le courtier approuvée par le tribunal selon une échelle mobile commençant à 10 %. Si une offre d’achat avait été faite pendant la période où cet accord d’inscription était en vigueur, elle aurait probablement entraîné une perte importante pour Sargeant. L’ordonnance prévoyait qu’aucune commission ne serait payable au courtier si Sargeant ou une autre personne morale associée à lui était l’acheteur final. Il semble que Sargeant aurait pu choisir cette solution depuis le début. Peu importe, à mon avis, que l’acheteur actuel ait probablement conclu une entente privée avec le courtier pour lui verser une commission qui n’est pas comprise dans le montant net de l’offre.

[47]           Sargeant et Comerica ont admis qu'il faudrait éventuellement vendre le navire. L’intention de Sargeant, d’après ses observations écrites, est de demander à un consultant naval d’achever et de livrer le navire pourvu que sa position prioritaire soit confirmée [je souligne]. Entre‑temps, il sollicite une ordonnance prévoyant le déplacement du navire vers le chantier naval de Richmond sur lequel il exerce un contrôle. Le coût du déplacement du navire vers ce chantier naval semble s’établir autour de 300 000 $, somme pour laquelle Sargeant affirme revendiquer un privilège prioritaire.

[48]           Sargeant affirme qu’une fois achevée la construction du navire, il a l’intention de le faire vendre en utilisant le processus de vente de la Cour fédérale. Il demanderait que soit approuvée une « offre d’achat sans comptant » selon laquelle la partie impayée de l’hypothèque serait utilisée pour acheter le navire, sans qu’il ait à verser un montant supplémentaire en espèces. La vente du navire sous l’autorité d’une ordonnance de la Cour fédérale, sous réserve de la détermination des charges prioritaires, rendrait le navire franc et quitte de toute charge.

[49]           L’intention de Sargeant est conditionnelle et dépend de trois facteurs, selon la locatrice :

[traduction]

a) Sargeant doit obtenir gain de cause devant la Cour d’appel fédérale et son droit hypothécaire confirmé (sous réserve de la possibilité que l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême soit accordée);

b) la position de Worldspan sur la portée de l’article 12.1 du CCN ne doit pas être retenue;

c) la Cour ne doit pas décider de modifier le rang des créanciers en se fondant sur l’equity pour que les créanciers commerciaux réels aient priorité sur l’hypothèque.

[50]           J’ajouterais que l’argument de M. Al‑Saleh au sujet de l’existence d’une fiducie par interprétation à l’égard de toute réclamation que peut posséder Sargeant à l’égard du navire n’a toujours pas été tranché.

[51]           Il n’est donc pas certain, à mon avis, que Sargeant et Comerica réussiront à établir que leur réclamation est prioritaire à titre de créanciers garantis. Il y a encore la réclamation du propriétaire, Worldspan, à l’égard des avances que Sargeant n’a jamais versées pour la construction du navire alors que les travaux se poursuivaient ainsi que les réclamations d’Offshore, de la locatrice et d’Al‑Saleh. Il ne m’incombe pas de me prononcer sur le bien-fondé de ces réclamations concurrentes. Cette question sera résolue au cours d’une audience relative aux priorités qui se tiendra plus tard. Comme Sargeant et Comerica l’ont vigoureusement soutenu au cours de l’audience, je dois m’occuper de la situation telle qu’elle est actuellement.

[52]           La situation est, d’après moi, qu’une offre valide d’achat du navire a été faite pour un montant de cinq millions de dollars, net de toute commission susceptible d’être versée au courtier. Le navire est saisi depuis quatre ans et la question des réclamations concurrentes ne sera pas résolue rapidement. La durée de la saisie est un facteur qu’il faut prendre en compte lorsque le bien saisi perd de sa valeur. Les seules preuves qui ont été présentées montrent qu’il ne s’agit pas là d’une vente à un prix déraisonnable.

[53]           Le navire va continuer à perdre de la valeur pendant que les parties attendent que soient réglées leurs réclamations. Si l’on ne donne pas suite à l’offre actuelle, tous les créanciers en subiront un préjudice. Aucune des preuves présentées à la Cour n’établissent que Sargeant a les moyens de payer un privilège prioritaire sur le navire, s'il ne le vend pas à une tierce partie et il existe de nombreuses preuves qui démontrent que les droits qu’il possède peut‑être sur le navire pourraient faire l’objet d’un jugement pour fraude d’un montant de 36 millions de dollars que demande Al‑Saleh et qui le viserait lui et sa société.

[54]           Les droits de Comerica ne sont pas supérieurs à ceux de Sargeant selon les termes du CCN et de l’hypothèque du constructeur. Le dossier montre que Comerica a déjà reçu de la part de Sargeant un remboursement partiel de leur prêt. Dans les observations qu’elle a présentées aux tribunaux qui ont été saisis de cette question, y compris à la Cour d’appel fédérale en appel de la décision de la juge Strickland, Comerica a expressément reconnu que le navire avait été saisi à la demande d’une tierce partie et qu’il serait vendu par la Cour fédérale. Le fait qu’elle pense maintenant que le produit de la vente sera insuffisant n’a pas pour effet d’empêcher la vente, compte tenu des preuves non contredites présentées à la Cour.

[55]           En fin de compte, je suis convaincu, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire de novo, qu’il est juste et équitable et dans l’intérêt de toutes les parties concernées que la vente du navire soit approuvée. Les conditions de la vente seront conformes à celles de l’ordonnance du protonotaire Lafrenière datée du 30 juin 2014. L’ordonnance rendue à la même date imposant le sursis de la vente du navire est annulée. Les dépens seront attribués aux parties favorables à la vente et payables par Sargeant et Comerica.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.      l’appel de la décision du protonotaire Lafrenière rendue le 23 juin 2014 est rejeté;

2.      le navire sera vendu ou déplacé conformément aux conditions fixées dans l’ordonnance du protonotaire Lafrenière du 30 juin 2014;

3.      l’ordonnance de la Cour datée du 30 juin 2014 portant sursis de la vente du navire est par la présente annulée,

4.      la demanderesse Offshore Interiors Inc et les intervenants 642385 B.C. Ltd et Mohammad Anwar Farid Al‑Saleh auront droit à des dépens d’un montant de 1 500 $ chacun, payables par les intervenants Harry Sargeant III et la Comerica Bank.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1226-10

INTITULÉ :

OFFSHORE INTERIORS INC. c WORLDSPAN MARINE INC., CRESCENT CUSTOM YACHTS INC., LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « QE014226C010 » ET LE NAVIRE « QE014226C010 » c WOLRIGE MAHON LIMITED EN SA QUALITÉ D’AGENT DÉSIGNÉ POUR LA CONSTRUCTION DU NAVIRE DÉFENDEUR « QE014226C010 », HARRY SARGEANT III, MOHAMMAD ANWAR FARID AL‑SALEH ET 642385 B.C. LTD.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 JUIN 2014

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

LE 4 JUILLET 2014

COMPARUTIONS :

W. Gary Wharton

POUR LA DEMANDERESSE

W. Gary Wharton

POUR LES DÉFENDEURS

Kieran Sidall

Kaitlin Smiley

John C. MacInnis

John MacLean

Dionysios Rossi

POUR LES INTERVENANTS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bernard LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Bernard LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS

Bull Housser & Tupper LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Nathanson, Schachter & Thompson LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Gowling Lafleur Henderson LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Borden Ladner Gervais LLP

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES INTERVENANTS

 

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