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Date : 20141113


Dossier : T‑1161‑13

Référence : 2014 CF 1076

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

TAKEDA CANADA INC ET TAKEDA GMBH

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET MYLAN PHARMACEUTICALS ULC

défendeurs

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA PROTONOTAIRE TABIB

[1]               Dans le contexte de la présente instance, introduite en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (AC) (DORS/93‑133), Mylan cherche à obtenir une ordonnance de confidentialité qui désignerait comme confidentielles – et, par conséquent, exemptées de divulgation – des portions de son avis d’allégation (« AA ») de même que des éléments de preuve détaillés relatifs à l’AA.

[2]               Ce n’est pas la première fois qu’un fabricant de médicaments génériques veut faire déclarer confidentiel son AA. En effet, dans la décision Pfizer Canada Inc c Novopharm Limited, 2010 CF 668, Novopharm avait demandé une ordonnance de confidentialité relative à son AA afin de protéger sa situation de première sur le marché. La Cour a examiné tous les aspects du critère qui s’applique à une ordonnance de confidentialité rendue en vertu de l’article 151 des Règles des Cours fédérales, à la lumière des explications fournies à ce sujet par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, et elle a conclu que Novopharm n’avait pas réussi à satisfaire à chacun des volets de ce critère. Malgré cela, Mylan se présente à la Cour, en s’appuyant sur le même argument et en présentant un dossier de preuve qui n’est pas meilleur que celui qui avait été présenté par Novopharm dans l’affaire Pfizer, dans le but de chercher à empêcher la divulgation à ses concurrents du fondement factuel sur lequel s’appuie son AA.

I.                   Contexte

[3]               Dans une lettre datée du 15 mai 2013, Mylan a signifié aux demanderesses Takeda Canada Inc et Takeda GMBH (« Takeda ») un avis d’allégation, de la façon prévue à l’article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (AC), relativement au pantoprazole magnésien. Il est allégué dans l’AA de Mylan que les brevets de Takeda inscrits à l’égard des comprimés de pantoprazole magnésien de marque TECTA de Takeda ne seraient pas contrefaits par le produit de Mylan et que l’un des brevets est invalide, notamment pour cause d’antériorité et d’évidence.

[4]               L’AA expose l’interprétation que fait Mylan des brevets, revendication par revendication, précise ce qui constitue l’élément essentiel de chacune d’elles et allègue que le composé de Mylan ne contiendra pas l’un desdits éléments ou ne sera pas fabriqué de la même façon. À de rares occasions, l’AA précise ce que contiendrait en fait le composé de Mylan ou la façon dont il serait réellement fabriqué, mais de façon très générale. Les extraits de l’AA dont Mylan cherche à protéger la confidentialité portent à la fois sur l’interprétation des revendications et les renseignements portant sur ce que son composé contiendrait ou ne contiendrait pas et la façon dont il serait ou ne serait pas fabriqué.

[5]               En ce qui a trait à l’invalidité du brevet, il est allégué dans l’AA que le brevet a été antériorisé et rendu évident, notamment en raison d’une pièce d’art antérieur. Il est indiqué dans l’AA que Mylan a confié à un expert indépendant le soin de reproduire le procédé visé par la pièce d’art antérieur afin d’étayer cette allégation, et les résultats de ces tests figurent à l’annexe de l’AA. Mylan cherche à protéger la confidentialité du procédé qu’elle a reproduit de même que les résultats des tests.

[6]               Le terme « CONFIDENTIEL » figure sur chaque page de l’AA. Cependant, aucun élément de preuve au dossier ne démontre que Mylan a obtenu ou cherché à obtenir de Takeda, avant de signifier l’AA, l’assurance que cette dernière traiterait l’AA ou les renseignements qui y sont contenus comme de l’information confidentielle.

[7]               Le 28 juin 2013, Takeda a déposé, en vertu de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (AC), la demande d’ordonnance d’interdiction dont je suis saisie. L’avis de demande de Takeda ne reprend ni n’expose les allégations d’absence de contrefaçon de Mylan, mais, à l’égard des tests, l’affirmation ci‑après figure au paragraphe 34 :

[traduction]

Mylan allègue que l’exemple 10 du document WO 114 produit nécessairement du pantoprazole magnésien dihydraté. Cependant, il n’est aucunement question dans cet exemple de la production d’un dihydrate de pantoprazole magnésien. Mylan allègue qu’elle a effectué des tests qui confirment ladite allégation. […].

[8]               Donc, l’allégation précise selon laquelle c’est l’exemple 10 du document WO 114 qui produit nécessairement du pantoprazole magnésien dihydraté et l’allégation selon laquelle Mylan a effectué des tests pour confirmer ladite allégation ont été divulguées par le dépôt de l’avis de demande de Takeda.

[9]               Voici un extrait du paragraphe 66 de l’avis de demande :

[traduction]

Takeda rejette l’allégation de Mylan selon laquelle la lettre de Mylan [AA] est confidentielle et devrait faire l’objet d’une ordonnance de protection octroyée par la Cour.

[10]           Takeda a demandé à Mylan d’autres documents et renseignements quant à la composition et à la méthode de fabrication du produit de Mylan et quant aux tests qu’elle a effectués. Les parties se sont entendues sur le libellé d’une ordonnance de protection visant à régir, entre eux, la façon dont les renseignements désignés comme confidentiels seraient traités. L’ordonnance de protection a été délivrée sur consentement des parties le 28 août 2013, après quoi Mylan a transmis à Takeda les documents et les renseignements demandés. L’ordonnance de protection définit les renseignements que chaque partie peut désigner unilatéralement comme confidentiels, de façon non limitative, mais n’autorise pas les parties à déposer sous scellé un renseignement ainsi désigné, à moins qu’elles ne demandent formellement et obtiennent une ordonnance de confidentialité. L’ordonnance de protection prévoit aussi, à son alinéa 14c), qu’elle ne s’applique pas aux renseignements qui [traduction] « étaient en la possession d’une partie avant le début de la présente instance sinon par suite d’une ordonnance d’une cour de justice fixant les conditions relatives à la protection de la confidentialité des renseignements […] ».

[11]           Chacune des parties a signifié à l’autre son dossier de preuve sous forme d’affidavit. Tous les affidavits ont été désignés comme confidentiels, en totalité. En septembre 2014, Mylan a annoncé son intention de déposer une demande d’autorisation de produire des éléments de preuve supplémentaires, en réponse aux affidavits signifiés par Takeda. Étant donné que les affidavits que se sont échangés les parties doivent être produits à l’appui de cette demande, Mylan a déposé la présente requête d’ordonnance de confidentialité.

II.                Critère applicable

[12]           Voici le libellé de l’article 151 des Règles des Cours fédérales :

151. (1) On motion, the Court may order that material to be filed shall be treated as confidential.

151. (1) La Cour peut, sur requête, ordonner que des documents ou éléments matériels qui seront déposés soient considérés comme confidentiels.

(2) Before making an order under subsection (1), the Court must be satisfied that the material should be treated as confidential, notwithstanding the public interest in open and accessible court proceedings.

(2) Avant de rendre une ordonnance en application du paragraphe (1), la Cour doit être convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels comme confidentiels, étant donné l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires.

[13]           La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Sierra Club, précité, a étoffé les critères dont il faut tenir compte dans l’application de l’article 151 des Règles :

53 […] Une ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 ne doit être rendue que si :

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

b) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[14]           La Cour suprême a ajouté que « [t]rois éléments importants sont subsumés sous le premier volet de l’analyse ». Ces éléments ont été résumés comme suit dans la décision Pfizer, précitée :

[traduction]

9 […]

(i) le risque en cause doit être réel et important, être bien étayé par la preuve et menacer gravement l’intérêt commercial en question;

(ii) pour être qualifié d’« intérêt commercial important », l’intérêt en question ne doit pas se rapporter uniquement et spécifiquement à la partie qui demande l’ordonnance de confidentialité; il doit s’agir d’un intérêt qui peut se définir en termes d’intérêt public à la confidentialité;

(iii) le juge doit non seulement déterminer s’il existe d’autres options raisonnables, il doit aussi restreindre l’ordonnance autant qu’il est raisonnablement possible de le faire tout en préservant l’intérêt commercial en question.

[15]           La Cour suprême a ajouté, en ce qui concerne le premier volet du critère, sous la rubrique « nécessité », que le demandeur d’une ordonnance de confidentialité devait absolument démontrer que les renseignements en question sont réellement confidentiels :

60        Le juge Pelletier souligne que l’ordonnance sollicitée en l’espèce s’apparente à une ordonnance conservatoire en matière de brevets. Pour l’obtenir, le requérant doit démontrer que les renseignements en question ont toujours été traités comme des renseignements confidentiels et que, selon la prépondérance des probabilités, il est raisonnable de penser que leur divulgation risquerait de compromettre ses droits exclusifs, commerciaux et scientifiques : AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1998] A.C.F. no 1850 (QL) (C.F. 1re inst.), par. 29‑30. J’ajouterais à cela l’exigence proposée par le juge Robertson que les renseignements soient « de nature confidentielle » en ce qu’ils ont été  « recueillis dans l’expectative raisonnable qu’ils resteront confidentiels », par opposition à « des faits qu’une partie à un litige voudrait garder confidentiels en obtenant le huis clos » (par. 14).

[Non souligné dans l’original.]

III.             Application du critère à l’espèce

[16]           Les renseignements visés par la présente requête peuvent être subdivisés en trois catégories. Premièrement, il y a les renseignements de base relatifs à la composition et à la méthode de fabrication du produit de Mylan et aux tests de Mylan portant sur l’art antérieur, qui figurent dans l’AA. Il y a aussi les renseignements supplémentaires concernant les tests effectués par l’expert de Mylan sur la pièce qui constituerait une antériorité, figurant dans l’affidavit de M. Jerry Atwood daté du 28 août 2013 (« affidavit Atwood relatif aux faits »). Enfin, il y a les renseignements plus détaillés relatifs à la composition et à la méthode de fabrication du produit de Mylan, tirés de la présentation abrégée de drogue nouvelle et de la fiche maîtresse du médicament (« renseignements PADN ») qui ont été demandés et transmis après la délivrance de l’ordonnance de protection.

[17]           Je me prononce d’abord sur la dernière catégorie de renseignements qui ne nécessite qu’un examen sommaire. Je traiterai ensuite, ensemble, de façon plus approfondie des première et deuxième catégorie de renseignements.

A.                 Renseignements PADN

[18]           La jurisprudence m’oblige à reconnaître, à l’égard des renseignements PADN, l’existence d’un intérêt à préserver la confidentialité qui constitue un intérêt important au sens du critère de l’arrêt Sierra Club. En effet, il est dans l’intérêt public de garantir que les fabricants de médicaments génériques fournissent des renseignements exhaustifs au ministre lorsqu’ils demandent un AC –  afin de lui permettre d’évaluer correctement l’innocuité et l’efficacité des médicaments – sans craindre que ces renseignements deviennent public par suite d’une demande de communication en vertu du paragraphe 6(7) du Règlement sur les médicaments brevetés (AC). Tant la jurisprudence que le paragraphe 6(8) du Règlement sur les médicaments brevetés (AC) reconnaissent que l’intérêt public général en jeu, qui n’a rien à voir avec la position sur le marché d’un fabricant de médicaments génériques, est gravement menacé lorsque les détails de la PADN, au‑delà de ce qui est prévu dans un AC, doivent être communiqués dans le cadre d’une procédure d’interdiction, et que les avantages de la protection d’une ordonnance de confidentialité à portée limitée l’emportent sur l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires. Dans l’affaire AB Hassle c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [2000] A.C.F. no 283, la Cour d’appel fédérale a rappelé dans une analyse concise effectuée aux paragraphes 4 à 6, que la perception que les renseignements sont confidentiels, est la pierre angulaire du cadre réglementaire, et qu’elle doit être respectée et maintenue dans toute la mesure du possible. Elle cite aussi des précédents dans lesquels il est reconnu que même si l’AA d’un fabricant de médicaments génériques doit contenir un exposé détaillé des faits justifiant l’allégation de non‑contrefaçon, de façon à ce que l’innovateur soit informé des motifs qui la sous‑tendent, et qu’il puisse déterminer s’il y a lieu d’introduire une demande d’interdiction et définir les questions en litige, on ne s’attend  pas à ce qu’il y ait une divulgation complète avant que la procédure soit engagée et que la confidentialité puisse être protégée au moyen d’une ordonnance de protection. La Cour d’appel fédérale a en outre souligné que les modifications de 1998 au Règlement sur les médicaments brevetés (AC) disposent expressément que « [t]out document produit aux termes du paragraphe (7) » – c’est‑à‑dire les extraits pertinents de la demande d’avis de conformité déposée par la seconde personne – « est considéré comme confidentiel ». Par conséquent, la Cour d’appel a endossé le principe selon lequel des ordonnances de confidentialité peuvent être délivrées afin de protéger des renseignements PADN dans une instance relative à un AC, tout en soulignant que les cours de justice doivent s’en tenir au strict nécessaire de façon à établir un équilibre entre l’intérêt reconnu à préserver la confidentialité et « la nécessité de la publicité des procédures judiciaires ».

[19]           Étant donné que les renseignements PADN ont été volontairement transmis par Mylan à Takeda, plutôt que par voie d’une requête déposée en vertu du paragraphe 6(7), le paragraphe 6(8) ne s’applique pas directement à l’espèce. Cependant, le raisonnement suivi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt AB Hassle demeure valable en ce qui concerne la proposition selon laquelle lorsque des renseignements tirés d’une PADN, dont la production aurait pu être exigée en vertu du paragraphe 6(7), mais qui sont volontairement produits en vertu d’une entente ou d’une ordonnance prévoyant la confidentialité desdits renseignements entre les parties, il est présumé que ces renseignements satisfont aux critères de délivrance d’une ordonnance de confidentialité limitée de la nature de celle dont il est question dans l’arrêt AB Hassle. Il est aussi utile de souligner que Mylan a déposé à l’appui de la présente requête un affidavit qui établit qu’elle a volontairement donné suite à la demande de Takeda concernant la production de documents tirés de sa PADN et de sa fiche maîtresse du médicament afin d’éviter le dépôt d’une requête en vertu du paragraphe 6(7) du Règlement, que les renseignements PADN sont des renseignements de nature confidentielle, qu’ils ont été traités comme tels par Mylan, et que cette dernière s’attendait raisonnablement à ce qu’ils demeurent confidentiels.

[20]           Je suis d’avis que l’ordonnance de confidentialité demandée comporte des limites et des protections adéquates, et qu’elle doit être délivrée en ce qui concerne les renseignements PADN.

[21]           Je passe maintenant aux deux autres catégories de renseignements, soit l’AA et l’affidavit Atwood relatif aux faits.

B.                 L’AA et l’affidavit Atwood relatif aux faits

1)         La condition préalable : est‑ce que les renseignements sont véritablement confidentiels?

[22]           Mylan, à qui il incombait dans le cadre de la présente requête de démontrer qu’elle avait traité les renseignements comme des renseignements confidentiels à toutes les époques pertinentes et qu’elle avait à leur égard une attente raisonnable de confidentialité, n’a présenté aucun élément de preuve de cette nature relativement à l’AA. Cette seule omission entraîne le rejet de la requête de Mylan relativement à l’AA.

[23]           Quoi qu’il en soit, compte tenu de la décision Pfizer, précitée, je ne vois pas de quelle façon un fabricant de médicaments génériques pourrait s’attendre raisonnablement à ce que la Cour reconnaisse le caractère confidentiel d’un AA. En effet, la Cour, dans la décision Pfizer, a souligné que le fait que le fabricant de médicament génériques n’ait pas exigé que l’innovateur s’engage au préalable à conclure une entente de confidentialité relativement à l’AA suscite un doute sérieux en ce qui concerne l’attente raisonnable qu’il pouvait entretenir quant à la confidentialité de son AA bien qu’il ait unilatéralement inscrit le mot « confidentiel » sur le document. La Cour a aussi inféré que l’absence dans le Règlement sur les médicaments brevetés (AC) de dispositions relatives à la confidentialité des AA, alors qu’une disposition expresse relative à la confidentialité des renseignements supplémentaires tirés de PADN y figure, donne à penser que les AA ne devraient pas être traités comme des documents confidentiels.

[24]           J’estime que, dans les circonstances de l’espèce, Mylan n’a pas traité les renseignements contenus dans l’AA comme des renseignements confidentiels à toutes les époques pertinentes parce qu’elle les a volontairement mentionnés dans une lettre envoyée à Takeda, sans expectative raisonnable de confidentialité. En fait, comme elle était autorisée à le faire, Takeda a divulgué, dans son avis de demande, certains des renseignements relatifs à l’AA – lesquels devraient selon Mylan être protégés par une ordonnance de confidentialité – et de la sorte expressément privé Mylan de la possibilité d’exercer son droit d’exiger la protection de la confidentialité des renseignements contenus dans l’AA. Le comportement de Mylan, qui a accepté à la fois le libellé de l’ordonnance de protection et celui de l’ordonnance de confidentialité proposée en l’espèce, aux termes desquelles les renseignements entrés en la possession d’une partie avant le début de la demande ne sont pas protégés, tend à confirmer qu’elle ne s’est jamais attendu à ce que les renseignements contenus dans son AA demeurent confidentiels.

[25]           Mylan a fourni certains éléments de preuve quant à ses attentes en matière de confidentialité concernant l’affidavit Atwood relatif aux faits. Plus précisément, selon l’affidavit de Brad Jenkins, un des avocats de Mylan, l’affidavit Atwood relatif aux faits a été désigné comme confidentiel avant sa remise à Takeda, conformément à l’ordonnance de protection délivrée par la Cour le 28 août 2013 qui [traduction] « prévoyait que […] l’affidavit Atwood relatif aux faits […] pourrait être considéré comme confidentiel ». Cet énoncé est vrai, mais seulement dans la mesure où il est prévu dans cette ordonnance que les renseignements qui peuvent être désignés comme confidentiels ne se limitent pas expressément aux renseignements qui y sont spécifiquement mentionnés, de sorte qu’il est loisible aux parties de désigner tout renseignement de leur choix comme confidentiel, sous réserve uniquement des exclusions énoncées au paragraphe 14. L’ordonnance de protection ne mentionne pas l’affidavit Atwood relatif aux faits ou même, de façon plus générale, les tests indépendants menés par une partie relativement à l’art antérieur accessible au public. M. Jenkins évite de dire que lui, ou toute personne de son cabinet ou chez Mylan, s’attendait à ce que la confidentialité de l’affidavit Atwood relatif aux faits soit protégée. Je souligne aussi que l’affidavit de David E. Blais, avocat principal de Mylan Pharmaceuticals ULC, ne mentionne rien quant au caractère confidentiel de l’affidavit Atwood relatif aux faits ou à l’expectative de Mylan qu’il demeure confidentiel.

[26]           Je ne suis pas convaincue que Mylan s’attendait vraiment à ce que la confidentialité de l’affidavit Atwood relatif aux faits soit protégée et je conclus que même si Mylan entretenait de telles attentes, elles n’étaient pas raisonnables pour deux raisons. Premièrement, la Cour fédérale dans la décision Pfizer a reconnu que le fort intérêt public à ce que les allégations d’invalidité d’un brevet soient transparentes milite grandement contre une conclusion de confidentialité :

[traduction]

30        Lorsqu’un AA soulève des questions légitimes quant à la validité d’un brevet ou de plusieurs brevets, il faut tenir compte d’un autre facteur important allant à l’encontre de l’idée que l’ensemble de l’AA doit être traité comme un document confidentiel; en effet, un brevet octroie dans les faits un monopole légal au titulaire du brevet, dans la mesure où ce dernier est protégé contre la concurrence pendant la durée de vie du brevet. Cela donne naissance à un fort intérêt public à ce que la transparence i) des allégations contenues dans un AA, ii) du fondement desdites allégations et iii) de la procédure introduite relativement à ces dernières soit assurée.

[27]           À la lumière de ces commentaires, Mylan ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce que la Cour reconnaisse le caractère confidentiel de l’affidavit Atwood relatif aux faits. Deuxièmement, dans son dossier de requête, Mylan elle‑même reconnaît l’importance de l’affidavit Atwood relatif aux faits en ce qui concerne la détermination des questions soumises à la Cour ainsi que l’intérêt public à ce qu’il soit divulgué. Mylan cherche non pas à obtenir par la présente requête la reconnaissance de la confidentialité intrinsèque des renseignements, mais plutôt le report de leur diffusion inévitable jusqu’à l’audition de la demande sur le fond. Il s’agit donc de l’espoir ou du souhait que ces derniers soient gardés secrets, et non d’une attente raisonnable de confidentialité.

[28]           Quoi qu’il en soit, l’affidavit Atwood relatif aux faits ne contient pas de renseignements confidentiels. Comme il a été mentionné précédemment, Takeda avait déjà divulgué, dans son avis de demande, l’allégation de Mylan selon laquelle l’exemple 10 du document WO 114 avait été reproduit afin de démontrer qu’il produisait du pantoprazole magnésien dihydraté et que, par conséquent, il antériorisait le brevet de Takeda. Une fois ce renseignement rendu public, les détails des tests effectués ne pouvaient comporter d’éléments originaux ou dignes de protection étant donné que les tests en question devaient nécessairement viser à reproduire l’exemple comme toute personne maîtrisant le domaine pourrait le faire en n’utilisant rien de plus que les connaissances générales courantes sur la question.

[29]           Étant donné ma conclusion selon laquelle Mylan n’a pas réussi à satisfaire à la condition préalable à la délivrance d’une ordonnance de confidentialité relativement à l’AA et à l’affidavit Atwood relatif aux faits, je n’ai pas à me prononcer sur les autres éléments du critère énoncé dans l’arrêt Sierra Club. Cependant, étant donné que Mylan soutient avec insistance que la décision Pfizer confirme la validité de son argument selon lequel la position d’un fabricant de médicaments génériques sur le marché est une question qui soulève des considérations d’intérêt public fondamentales et que l’intérêt public à cet égard l’emporte sur l’intérêt public dans la publicité des débats judiciaires, je me sens obligée de traiter de certains de ses arguments.

2)         Est‑ce que la position de « premier sur le marché » constitue  un intérêt important au sens de l’arrêt Sierra Club?

[30]           Mylan invoque son expectative d’être la première sur le marché à lancer une version générique du pantoprazole magnésien au titre de l’intérêt commercial important justifiant sa demande d’ordonnance de confidentialité.

[31]           La Cour traite de cette question en profondeur aux paragraphes 38 à 46 de ses motifs dans la décision Pfizer. La Cour reconnaît, au paragraphe 40, que [traduction] : « [l]es préoccupations des entreprises quant à leur position sur le marché […] sont à la base même de notre économie de marché et [qu’]il serait possible de soutenir qu’il s’agit d’une question importante d’intérêt public ». Cependant, elle examine cet argument en détail et elle conclut en dernière analyse que la question de la position concurrentielle de Novopharm est une préoccupation qui lui est personnelle et que, par conséquent, elle ne constitue pas un intérêt important au sens du critère énoncé dans l’arrêt Sierra Club :

[traduction]

46        Cependant, il n’est pas clair que la Cour suprême, par les propos susmentionnés, qu’elle a tenus à la page 546 de l’arrêt Sierra Club, précité, entendait dire que la position d’une entreprise sur le marché peut être considérée comme un intérêt commercial important, au titre du deuxième élément du premier volet du critère établi dans cet arrêt. Par conséquent, je ne saurais conclure que la décision de la protonotaire Milczynski à cet égard était nettement erronée.

[32]           Il appert du dossier qui m’a été présenté que la situation de Mylan n’est pas différente de celle de Novopharm ou de tout autre fabricant de médicaments génériques. En effet, Mylan n’a pas démontré l’existence de circonstances ou de facteurs faisant en sorte que l’intérêt que présente pour un fabricant de médicaments génériques le fait d’être le premier sur le marché transcenderait ses propres intérêts personnels. Dans son affidavit, M. Blais, lorsqu’il aborde la question de l’incitatif que crée pour une entreprise la possibilité d’être la première sur le marché, il indique qu’il est de nature à l’amener à se livrer à des activités [traduction] « nécessaires pour contester les brevets inscrits au registre des brevets ». Étant donné que la contestation des brevets est nécessaire pour que Mylan réalise son souhait d’être la première à entrer sur le marché, son argument est essentiellement circulaire et il nous ramène à son propre intérêt commercial. Je n’accepte pas l’argument de Mylan selon lequel l’intérêt public général commande que soit encouragée la contestation des brevets. En fait, en adoptant l’article 60 de la Loi sur les brevets, L.R.C., 1985, c. P‑4, en vertu duquel seul un intéressé peut intenter une action en vue de faire invalider un brevet, le législateur a indiqué que le fait que soit en jeu l’intérêt personnel des personnes sur lesquelles le monopole que crée un brevet a une incidence n’est pas seulement une raison de procéder à de telles contestations, mais aussi une exigence devant être remplie. Quoi qu’il en soit, étant donné que les recours prévus par le Règlement sur les médicaments brevetés (AC) sont des recours sommaires et qu’ils n’entraînent pas l’invalidation de brevets, l’intérêt qu’aurait le public à ce que les fabricants de médicaments génériques soient encouragés à contester les brevets ne serait pas servi si ces fabricants étaient autorisés à protéger la confidentialité des fondements de leurs allégations.

[33]           L’argument de Mylan semble aussi donner à penser, mais rien de convaincant ne permet de conclure en ce sens, que l’intérêt public serait servi si les fabricants de médicaments génériques étaient encouragés à se prévaloir du mécanisme mis en place par le Règlement sur les médicaments brevetés (AC) pour entrer sur le marché avant l’expiration des brevets inscrits au registre, et que la perspective d’être le premier sur le marché, ou deuxième immédiatement après, est un incitatif important, sans lequel les producteurs de médicaments génériques ne déploieraient les efforts que requièrent la préparation et la signification d’un AA. Même s’il est compréhensible que l’objectif principal d’un fabricant de médicaments génériques soit d’être le premier sur le marché, rien ne démontre que la perspective d’être deuxième, troisième ou quatrième sur un marché, loin du premier, ne serait pas suffisante pour motiver un fabricant de médicaments génériques à déployer des efforts en vue de préparer et signifier un AA. En fait, à lui seul, le volume de dossiers relatifs à des AC dont la Cour est saisie et mettant en cause des AA signifiés par divers fabricants de médicaments génériques relativement à un même brevet démontre le contraire.

[34]           Enfin, Mylan soutient qu’il est dans l’intérêt public de [traduction] « garantir que tous les renseignements, y compris ceux qui concernent la PADN et la fiche maîtresse du médicament de Mylan ainsi que l’affidavit Atwood, qui sont pertinents et importants relativement aux questions centrales de la présente demande, soient transmis à la Cour » et de « protéger le droit à une audience équitable ». Il n’y a pas de doute qu’il est dans l’intérêt public que les audiences soient équitables et les dossiers complets. Cependant, ces aspects n’entrent pas en jeu en l’espèce. En effet, rien ne démontre ou ne laisse entendre que l’absence d’une ordonnance de confidentialité pour protéger l’AA ou les éléments de preuve détaillés présentés à l’appui des allégations portant sur l’invalidité d’un brevet, ferait en sorte que Mylan, ou aurait fait en sorte que tout fabricant de médicaments génériques, renoncerait à signifier un AA ou à présenter un dossier exhaustif.

3)         Est‑ce que le risque est réel et important et bien étayé par la preuve, et est‑ce qu’il menace gravement l’intérêt commercial en question?

[35]           Même si j’avais accepté l’argument de Mylan selon lequel le statut de premier sur le marché des fabricants de médicaments génériques a une dimension d’intérêt public, Mylan, comme Novopharm avant elle dans la décision Pfizer, n’a pas réussi à démontrer qu’il existe un risque « réel et important » que la divulgation de son AC ou de l’affidavit Atwood relatif aux faits « menac[e] gravement » sa position alléguée de première sur le marché.

[36]           Le seul élément de preuve précis relatif à cette question se trouve au paragraphe 11 de l’affidavit de M. Blais. Le voici : [traduction] « Il n’existe à l’heure actuelle aucune autre instance devant la Cour relative au pantoprazole magnésien, le médicament en cause en l’espèce. À ma connaissance, aucune autre entreprise de médicaments génériques n’a encore pris des mesures pour développer une version générique de comprimés de pantoprazole magnésien ». Pour le reste, l’affidavit de M. Blais semble s’appuyer sur l’hypothèse – non fondée sur d’autres éléments de preuve – que les concurrents de Mylan sont en fait intéressés à commercialiser et à développer leur propre produit de pantoprazole magnésien et que la seule chose qui les empêche de le faire est leur incapacité de concevoir les idées qui sous‑tendent l’AA de Mylan, soit les idées ayant trait à l’interprétation des brevets pertinents, et à la composition de base et à la méthode de fabrication d’un composé qui ne serait pas visé par les revendications telles qu’interprétées, et l’idée selon laquelle l’exemple 10 du document WO 114 constitue une antériorité parce qu’il produit du pantoprazole magnésien dihydraté.

[37]           Le problème en l’espèce est le même que celui qui a été soumis dans la décision Pfizer, précitée : la qualité du produit du travail de Mylan et l’attrait que représentera pour d’autres fabricants la possibilité de le copier ne peuvent tout simplement pas être présumés; en effet, ils doivent s’appuyer sur la preuve :

[traduction]

35        En tirant sa conclusion sur ce point, la protonotaire Milczynski a conclu à l’existence d’un certain nombre de problèmes importants relatifs à l’argument de Novopharm selon lequel le défaut de considérer comme confidentiel son AA menacerait gravement un intérêt commercial important, au sens du premier élément du premier volet du critère énoncé dans l’arrêt Sierra Club, précité. Plus précisément, elle soulignait ce qui suit :

 

Premièrement, il n’y a aucune preuve d’un risque sérieux pour l’avantage commercial de Novopharm en ce qui a trait à sa position sur le marché et à ce qu’elle espère être le moment de son entrée sur le marché. Novopharm présume qu’elle obtiendra gain de cause au regard de l’ensemble des cinq brevets visés en l’espèce, et elle formule des présomptions quant aux dates de son audience et de celle de Ratiopharm devant la Cour. Il se peut que Novopharm soit la première ou de justesse la deuxième sur le marché, mais il se peut aussi que tel ne s’avère pas le cas. De plus, il n’y a aucun élément de preuve,  mis à part la confiance de Novopharm dans la qualité du produit de son propre travail, qui tende à indiquer que d’autres fabricants de produits génériques se bousculeront pour copier une partie quelconque de l’AA de Novopharm, en particulier lorsqu’il n’y a aucun élément de preuve indiquant que l’AA de Ratiopharm a attiré une attention aussi vive (ou aucun élément de preuve indiquant que l’AA de Ratiopharm ne devrait pas attirer une telle attention).

[Non souligné dans l’original.]

[38]           L’hypothèse de Mylan selon laquelle elle ne sera première sur le marché et ne pourra conserver cette position pendant une période suffisamment longue que si elle peut éviter que les fabricants de médicaments génériques qui lui font concurrencer en prennent connaissance, ne tient pas compte non plus de la possibilité que d’autres fabricants de médicaments aient déjà (sans que Mylan ne le sache à cause du caractère nécessairement confidentiel des PADN) transmis des PADN au ministre et obtenu son approbation, non plus que de la possibilité que Takeda puisse répondre à l’entrée de Mylan sur le marché en lançant un médicament générique autorisé, un scénario qui s’est déjà produit dans des affaires fondée sur l’article 8 (voir, par exemple, Apotex c Sanofi‑Aventis, 2014 CAF 68, au paragraphe 58, et Teva Canada Ltd c Pfizer Canada Inc, 2014 CF 248, au paragraphe 94). Une ordonnance de confidentialité n’offrirait aucune protection à Mylan dans l’un ou l’autre des scénarios susmentionnés.

4)         Les renseignements en cause sont‑ils des renseignements d’un fort intérêt public?

[39]           Mylan s’appuie sur l’extrait bien connu, reproduit ci‑après, de l’arrêt AB Hassle, précité, pour réduire à sa plus simple expression ou nier tout intérêt public réel ou important en ce qui a trait aux renseignements qu’elle cherche à protéger :

7          Ne soyons pas naïfs. L’intérêt public de connaître précisément le procédé de fabrication de médicaments est minime, s’il existe, et personne ne peut sérieusement affirmer que la délivrance d’ordonnances de non‑divulgation comme celles qui sont en litige dans une instance relative à un avis de conformité met en danger le principe de la transparence de la justice. Les parties elles‑mêmes peuvent contester la confidentialité véritable de certains documents suivant les clauses de ces ordonnances, et la Cour sera toujours disposée à entendre éventuellement la contestation d’un tiers, que les clauses de l’ordonnance le prévoient ou non.

[40]           Dans les circonstances de l’espèce, Mylan n’est pas fondée à s’appuyer sur ce passage.

[41]           Premièrement, les commentaires de la Cour d’appel fédérale concernent [traduction] « précisément des procédés de fabrication de médicaments », c.‑à‑d. les données détaillées qui figurent dans leur PADN, et non les principales allégations figurant dans l’AA ou les arguments des parties relatifs à l’invalidité d’un brevet. Ni l’AA ni les éléments de preuve relatifs à l’invalidité d’un brevet n’ont été protégés par une ordonnance de confidentialité dans l’arrêt AB Hassle. Comme il a aussi été mentionné précédemment, la Cour, dans la décision Pfizer, a explicitement souligné que les questions relatives à la validité des brevets sont des questions d’un grand intérêt public.

[42]           De plus, étant donné l’augmentation importante du volume de litiges relatifs à des AC dont la Cour a été témoin depuis la publication en 2000 des propos susmentionnés et l’évolution subséquente du droit applicable à ce genre d’affaires, particulièrement en ce qui concerne la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et l’abus de procédure, l’importance pour l’intérêt public de la transparence des instances en cause ne vise pas simplement à satisfaire la curiosité que suscite le contenu détaillé des procédés de fabrication des médicaments. Voici à ce sujet les commentaires de la Cour dans Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 11, (la « décision Quinapril ») :

38        La Cour est envahie d’instances portant sur un avis de conformité et, au rythme où vont actuellement les choses, près de trois instances sont engagées pour chacune qui est tranchée par la Cour. Selon le Règlement AC, l’instance doit être tranchée par la Cour dans les 24 mois suivant son institution, sauf si les parties consentent à une prorogation du délai. Rarement un tel consentement est‑il accordé, sauf peut‑être pour une prorogation de quelques semaines. La Cour accepte de relever ce défi. Toutefois, lorsqu’on soulève de nouveau essentiellement les mêmes questions que celles déjà tranchées, la Cour doit se demander sérieusement s’il ne s’agit pas là d’un gaspillage superflu de ses ressources.

[…]

43                Ainsi, dans une instance portant sur un avis de conformité, particulièrement dans celle qui nous occupe, il est parfaitement légitime de se demander si une société générique puise indûment dans les ressources de la Cour et de celles du ministre lorsqu’elle soulève essentiellement les mêmes questions qu’une autre société générique dans une instance antérieure, qui n’avait alors pas obtenu gain de cause. La Cour doit se rappeler à ce sujet que la société générique peut toujours intenter une procédure pour contester de la manière habituelle la validité du brevet. La Cour garde également à l’esprit que, si une question différente devait être posée dans une instance ultérieure quant à la validité, cette question serait alors examinée, comme ce fut le cas, par exemple, dans la décision Eli Lilly Canada Inc. c. Novopharm Limitée, 2007 CF 596, dont j’ai déjà traité.

[Non souligné dans l’original.]

[43]           Les Cours fédérales, notamment dans l’arrêt Sanofi‑Aventis Canada Inc c Novopharm Ltd, 2007 CAF 163, la décision Eli Lilly Canada Inc c Novopharm Ltd, 2007 CF 596, la décision Quinapril, précitée, et la décision Allergan Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2012 CF 767, ont appliqué l’alinéa 6(5)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (AC) de même que les principes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de l’abus de procédure et de la courtoisie judiciaire pour réduire le nombre d’instances dans lesquelles des questions d’invalidité de brevet sont de nouveau soulevées par des innovateurs ou des fabricants de médicaments génériques. La jurisprudence en question établit essentiellement que lorsqu’une décision a déjà été rendue au sujet d’une allégation d’invalidité de brevet figurant dans un AA relatif à un médicament générique, la Cour, lorsqu’elle est saisie d’une même allégation par un autre fabricant de médicaments génériques, doit veiller à ne pas rendre une décision différente mis à part dans les cas où elle dispose de « meilleurs éléments de preuve ou d’un argument juridique plus valable ». Les mêmes principes ont aussi été jugés applicables à des allégations d’absence de contrefaçon (Nycomed Canada Inc c Novopharm Ltd, 2008 CF 454).

[44]           Ces principes ont été élaborés, et doivent être appliqués, pour protéger le droit du public à un accès équitable au système judiciaire, et ils militent très fortement en faveur de la divulgation du détail des allégations, des éléments de preuve, et de leur appréciation par la Cour. Étant donné la part excessive des ressources de la Cour consacrées aux instances relatives à des AC et le sentiment de plus en plus répandu que les ressources judiciaires ne sont pas infinies et qu’elles doivent être réparties équitablement entre les justiciables, l’intérêt public commande de toute évidence que les dédoublements inutiles ne soient pas dissimulés ou que ne soit pas tolérée leur prolifération sous le voile du secret.

[45]           Enfin, Mylan n’a pas réussi à établir que son AA retiendrait particulièrement l’attention des autres fabricants de médicaments génériques, mais la forte propension de Mylan et de ceux‑ci à protéger la confidentialité de leurs AA témoigne du fort intérêt que suscitent chez les fabricants de médicaments génériques les litiges portant sur les AA de leurs concurrents. L’allégation à caractère général de Mylan selon laquelle les renseignements en cause dans un litige visant un AC ne présentent aucun intérêt « pour le public » ne tient pas compte du fait que l’industrie pharmaceutique des médicaments génériques fait partie du « public ». Il n’est pas possible de dire que l’intérêt de l’industrie est illégitime ou qu’il est mû uniquement par le désir d’un concurrent de scruter les renseignements exclusifs d’une partie à un litige afin d’en tirer un avantage commercial ou concurrentiel. L’intérêt d’autres fabricants de médicaments génériques à l’égard du contenu détaillé des allégations et des éléments de preuve présentés dans les instances relatives à des AC est légitime étant donné que les décisions de la Cour dans les instances relative à un AC sont susceptibles d’avoir valeur de précédents ou de donner lieu à des arguments fondés sur la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, l’abus de procédure ou la courtoisie judiciaire et que, par conséquent, elles peuvent influer sur le traitement ultérieur des AA de ces autres fabricants de médicaments génériques. Pour le meilleur ou pour le pire, le Règlement sur les médicaments brevetés (AC) a établi un processus dans le cadre duquel les allégations d’absence de contrefaçon ou d’invalidité de brevets formulées par les fabricants de médicaments génériques doivent être examinées par les cours de justice et non par des tribunaux administratifs. Les autres fabricants de médicaments génériques ont donc un intérêt légitime dans les pratiques, les instances et les décisions de la Cour dont on ne peut faire fi dans l’évaluation de l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires relatifs au Règlement sur les médicaments brevetés (AC).

IV.             Conclusion

[46]           Mylan n’a pas réussi à établir, relativement à son AA, aux renseignements qui y figurent et aux éléments de la preuve à l’appui de ses allégations d’invalidité de brevet, que les renseignements en cause devaient être considérés comme confidentiels ou qu’ils bénéficiaient d’une attente raisonnable de confidentialité, et cela suffit à entraîner le rejet de sa requête. Mylan n’a pas non plus établi qu’une ordonnance de confidentialité est nécessaire pour éviter un risque réel et important de préjudice grave en ce qui a trait à son espoir ou son désir d’être la première sur le marché, que cet espoir constitue un intérêt important qui doit être pris en compte selon le critère établi dans l’arrêt Sierra Club ou que ledit intérêt ferait contrepoids au fort intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires qui a été confirmé par le Règlement sur les médicaments brevetés (AC). L’ordonnance de confidentialité sera donc rendue, mais uniquement à l’égard des renseignements relatifs à la PADN qui n’ont pas autrement été divulgués dans l’AA.

« Mireille Tabib »

Protonotaire

Ottawa (Ontario)

2014‑11‑13

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1161‑13

 

INTITULÉ :

TAKEDA CANADA INC ET TAKEDA GMBH c LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET MYLAN PHARMACEUTICALS ULC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 SEPTEMBRE 2014

 

motifs de l’oRdonnance :

la protonotaire TABIB

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 NOVEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

CHRISTOPHER VAN BARR

KIERNAN MURPHY

POUR Les demanderesses

 

VINCENT DE GRANDPRÉ

GEOFFREY LANGEN

POUR MYLAN PHARMACEUTICALS ULC,
 DÉFENDERESSE

AUCUNE COMPARUTION

POUR LE MINISTRE DE LA SANTÉ,
 DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING LAFLEUR HENDERSON S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR Les demanderesses

 

OSLER, HOSKIN & HARCOURT S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR MYLAN PHARMACEUTICALS ULC,
 DÉFENDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE MINISTRE DE LA SANTÉ,
 DÉFENDEUR

 

 

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