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Date : 20140304


Dossier : T-1236-10

Référence : 2014 CF 208

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2014

En présence de madame la juge Gleason

 

ENTRE :

CHARLES ROBERTSON

 

demandeur

et

KYLE BEAUVAIS ET LE CONSEIL DES MOHAWKS DE KAHNAWAKE

 

défendeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE

 

mise en cause

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                           Le demandeur, Charles Robertson, a exploité un garage durant plus de trente ans dans la réserve mohawk de Kahnawake. Ce garage était situé sur deux terrains qu’il possédait dans le cadre du régime de gestion foncière établi aux termes de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5 (la Loi sur les Indiens).

 

[2]                           M. Robertson a fini par louer les terrains et le garage au défendeur, Kyle Beauvais, qui a y a ensuite exploité une entreprise de fabrication de cigarettes entre 2007 et le début de 2011. Au printemps de 2010, M. Robertson, qui était alors âgé de 70 ans, a décidé de vendre le garage et en a discuté avec un certain nombre d’acheteurs potentiels, dont M. Beauvais. Ce qui s’est passé ensuite fait l’objet d’un différend entre les parties et a donné lieu à la présente action.

 

[3]                           M. Robertson soutient que M. Beauvais et lui ont conclu une entente verbale concernant la vente du garage et le transfert de droits de possession sur les terrains à un prix d’achat de 350 000 $ et que M. Beauvais ne lui a payé que 5 000 $ à titre d’acompte. Malgré cela, M. Robertson s’est rendu au Bureau de gestion foncière du défendeur, le Conseil des Mohawks de Kahnawake (le Conseil) et a signé deux documents de transfert de terre (les documents de transfert), lesquels confirmaient censément que les terrains sur lesquels le garage était situé avaient été transférés à M. Beauvais. M. Robertson prétend avoir signé les documents de transfert par erreur, alléguant qu’il avait l’esprit confus et qu’il était incapable de les lire.

 

[4]                           M. Beauvais, en revanche, soutient que M. Robertson et lui ont conclu une entente de transfert des droits de possession sur les terrains et le garage à un prix d’achat total de 225 000 $ et qu’il a payé la totalité de la somme à M. Robertson, en argent comptant. Il allègue donc que ce dernier tente de revenir sur l’entente, même s’il a été payé intégralement.

 

[5]                           Le Conseil a transmis les deux documents de transfert signés par M. Robertson au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre), mais celui-ci n’a pas délivré de certificats de possession des terrains en faveur de M. Beauvais et il a renvoyé à la Cour, pour jugement, la question de la validité des documents de transfert. Les certificats de possession des terrains en litige dans la présente action sont donc toujours inscrits au nom de M. Robertson.

 

[6]                           Dans la présente action, M. Robertson poursuit à la fois M. Beauvais et le Conseil. Sa Majesté a été désignée comme mise en cause, mais elle n’a pas pris part à l’action et n’a pas comparu au procès.

 

[7]                           Dans la présente action, M. Robertson sollicite les mesures de réparation suivantes :

a)                  une déclaration portant que les certificats de possession, qui lui ont été délivrés en vertu de l’article 20 de la Loi sur les Indiens, sont valides « à toutes fins que de droit » et qu’il a donc droit au titre de possession sur les deux terrains en question;

b)                  une déclaration portant que les documents de transfert de terre qu’il a signés en faveur de M. Beauvais sont nuls et sans effet « à toutes fins que de droit »;

c)                  une déclaration portant que ces transferts de terre sont inexécutoires et déraisonnables;

d)                 une déclaration portant que la décision de la mise en cause, représentée par le ministre, de reporter l’approbation ou le rejet des documents de transfert est valide « à toutes fins que de droit » et que les documents en question sont rejetés;

e)                  des ordonnances à l’encontre des deux défendeurs pour dommages-intérêts moraux de 50 000 $, chacun, ainsi que pour dommages-intérêts exemplaires de 100 000 $, chacun, pour atteinte aux articles 6 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C‑12 (la Charte du Québec), pour manquement à leurs obligations au sens du Code civil du Québec, LRQ, c C‑1991 (le Code civil du Québec ou le CCQ) et, par ailleurs, dans le cas du Conseil, pour manquement allégué à ses obligations fiduciaires envers M. Robertson;

f)                   une ordonnance portant que M. Beauvais paie le loyer qui, selon M. Robertson, est exigible, soit 4 500 $ par mois entre le 1er mai 2010 et la date à laquelle M. Beauvais quittera le garage et les deux terrains;

g)                  une déclaration portant que le contrat d’achat et de vente des deux terrains en question est « résilié », annulé et déclaré sans effet « à toutes fins que de droit »;

h)                  une déclaration portant que le bail conclu entre M. Robertson et M. Beauvais est « résilié » et annulé;

i)                    une ordonnance portant que M. Beauvais quitte les lieux et les laisse dans l’état où ils se trouvaient au début du bail, sauf pour ce qui est de la détérioration et de l’usure normales, dans les trois jours suivant la date du jugement;

j)                    une ordonnance d’exécution provisoire malgré l’appel, aux termes de l’article 547 du Code de procédure civile, RLRQ c C‑25 (le CPC);

k)                  les dépens à l’encontre des deux défendeurs sur la base procureur-client.

 

[8]                           Les deux défendeurs, pour leur part, souhaitent que les actions engagées contre eux soient rejetées, avec dépens sur la base procureur-client. L’avocat de M. Beauvais a de plus demandé dans son plaidoyer final que je conclue qu’il existait un contrat valide entre son client et M. Robertson, que M. Beauvais a payé la totalité du prix d’achat et que la question de savoir s’il y a lieu de délivrer de nouveaux certificats de possession soit renvoyée pour décision au ministre, à qui la Loi sur les Indiens confère le pouvoir discrétionnaire de décider s’il convient de délivrer de tels certificats ou non.

 

[9]                           Pendant les cinq jours qu’a duré le procès, sept personnes ont témoigné, et une bonne part de leurs témoignages était contradictoire. La présente action soulève donc les questions de droit et de fait suivantes :

 

1.         Que s’est-il passé entre M. Robertson et M. Beauvais et, plus particulièrement, ont‑ils conclu une entente verbale pour le transfert de droits de possession sur le garage et les terrains et, dans l’affirmative, quelles en étaient les conditions? Combien d’argent M. Beauvais a-t-il payé à M. Robertson?

2.         M. Robertson a-t-il compris ce qu’il signait quand il a apposé sa signature sur les deux documents de transfert de terre qui transféraient censément les terrains en question à M. Beauvais?

3.         Le Conseil a-t-il manqué à une obligation quelconque de sa part envers M. Robertson?

4.         La Cour est-elle compétente pour accorder les mesures de réparation demandées? Dans l’affirmative, quelles sont les mesures de réparation qui conviennent en l’espèce?

5.         Pour ce qui est de l’examen d’une mesure de réparation appropriée, quel est l’effet juridique des deux documents de transfert que M. Robertson a signés et, s’il n’a pas bien compris leur effet, peut-il se fonder sur l’erreur qu’il a commise, ou l’article 1400 du Code civil du Québec, qui qualifie certaines erreurs d’« inexcusables » l’empêche-t-il de le faire?

6.         Faut-il accorder un montant d’intérêt même si la demande n’en a pas été faite dans la déclaration?

7.         Quels dépens convient-il d’adjuger?

 

[10]                       Avant d’examiner ces questions, il est utile de passer en revue les dispositions de la Loi sur les Indiens qui concernent les terres de réserve de même que les éléments de preuve qui ont été produits sur la propriété de terres dans la réserve des Mohawks, car, dans une réserve indienne, la possession de terres est différente d’ailleurs au pays et il s’agit là d’un aspect qui, comme nous le verrons, a d’importantes répercussions en l’espèce.

 

Les dispositions de la Loi sur les Indiens concernant la possession de terres dans une réserve indienne et leur application à Kahnawake

[11]                       Aux termes de l’article 18 de la Loi sur les Indiens, les terres qui constituent une réserve indienne sont détenues par Sa Majesté à l’usage et au profit de la bande indienne pour laquelle elles ont été mises de côté. La loi établit un système dans le cadre duquel le ministre a le pouvoir discrétionnaire de délivrer des « certificats de possession » aux membres d’une bande indienne. Un certificat atteste le droit qu’a son détenteur de posséder les terres qui y sont décrites. Les paragraphes 20(1) et (2) de la Loi sur les Indiens prévoient ce qui suit à cet égard :

Possession de terres dans une réserve

 

20. (1) Un Indien n’est légalement en possession d’une terre dans une réserve que si, avec l’approbation du ministre, possession de la terre lui a été accordée par le conseil de la bande.

 

Certificat de possession

 

(2) Le ministre peut délivrer à un Indien légalement en possession d’une terre dans une réserve un certificat, appelé certificat de possession, attestant son droit de posséder la terre y décrite.

 

Possession of lands in a reserve

 

 

20. (1) No Indian is lawfully in possession of land in a reserve unless, with the approval of the Minister, possession of the land has been allotted to him by the council of the band.

 

 

Certificate of Possession

 

(2) The Minister may issue to an Indian who is lawfully in possession of land in a reserve a certificate, to be called a Certificate of Possession, as evidence of his right to possession of the land described therein.

 

[12]                       L’article 21 de la Loi sur les Indiens oblige le ministre à tenir un registre, appelé « Registre des terres de réserve », où sont inscrits les détails relatifs aux certificats de possession qu’il délivre en vertu de l’article 20 de la Loi sur les Indiens.

 

[13]                       Aux termes des articles 18.1, 20, 24 et 25 de la Loi sur les Indiens, seuls les membres de la bande indienne pour laquelle les terres de réserve sont détenues peuvent se voir accorder un certificat de possession pour des terres situées dans la réserve. L’article 24 de la Loi sur les Indiens reconnaît le droit qu’ont les Indiens possédant légalement des terres de réserve de les transférer à la bande ou à un autre membre de celle-ci :

Transfert de possession

 

24. Un Indien qui est légalement en possession d’une terre dans une réserve peut transférer à la bande, ou à un autre membre de celle-ci, le droit à la possession de la terre, mais aucun transfert ou accord en vue du transfert du droit à la possession de terres dans une réserve n’est valable tant qu’il n’est pas approuvé par le ministre.

Transfer of possession

 

24. An Indian who is lawfully in possession of lands in a reserve may transfer to the band or another member of the band the right to possession of the land, but no transfer or agreement for the transfer of the right to possession of lands in a reserve is effective until it is approved by the Minister.

 

 

 

[14]                       M. Jean Boucher, gestionnaire, Terres et ressources, au bureau régional du Québec d’Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (AADNC), et Mme Cheryl Diabo, une ancienne employée du Bureau de gestion foncière (le BGF) qu’administre le Conseil, ont tous deux témoigné à propos de la façon dont ces dispositions sont appliquées dans la réserve de Kahnawake. Ils ont confirmé que le Conseil a décidé d’utiliser le système des certificats de possession établi sous le régime de la Loi sur les Indiens pour gérer les transferts de terres à Kahnawake. (M. Boucher a déclaré que le choix d’utiliser ou non ce système est facultatif et que la décision en revient à chaque Première Nation.)

 

[15]                       À Kahnawake, les terres de réserve (ou, du moins, les terres qui sont en litige en l’espèce) sont divisées en parcelles, et des levés d’arpentage sont effectués en vue d’en délimiter les paramètres. Selon le système qu’AADNC a établi et que le Conseil applique, les personnes qui possèdent validement des parcelles obtiennent du ministre un certificat de possession. Lorsqu’un membre de la bande souhaite transférer des terres pour lesquelles il détient un certificat de possession, il doit se présenter au BGF du Conseil et signer un document intitulé « Transfert de terre dans une réserve indienne ». La signature du membre est attestée par un employé du BGF, qui remplit un affidavit, confirmant l’identité du signataire et l’authenticité de la signature.

 

[16]                       Le document de transfert de terre que signe l’auteur du transfert (le cédant) est un document d’une page, qui nomme le cédant, qui confirme que celui-ci est membre de la bande indienne des Mohawks de Kahnawake et qu’il est le titulaire enregistré de la terre à transférer, et qui contient une description de la terre en question et, ensuite, un court paragraphe confirmant le transfert. Ce paragraphe confirme qu’il y a eu une contrepartie pour le transfert, nomme le bénéficiaire du transfert (le cessionnaire), confirme que celui-ci a reçu la contrepartie indiquée et mentionne ensuite que le cédant a transféré au cessionnaire « toute propriété et tout intérêt [qu’il] possède dans ladite/lesdites parcelle(s) de terre, en vertu de la Loi sur les Indiens ».

 

[17]                       Dans les modèles de formulaire de transfert de terre que l’on trouve dans le Guide du Registre des terres indiennes d’AADNC, aucun montant n’est précisé pour ce qui est de la contrepartie à payer dans le cas d’un transfert, et, si l’on se sert du modèle, n’importe quel montant peut donc être inscrit au moment de remplir le document de transfert. M. Boucher a déclaré toutefois qu’environ quatre-vingt-dix pour cent des transferts qu’il reçoit à son bureau n’indiquent qu’un dollar seulement comme montant de la contrepartie.

 

[18]                       Les formulaires de transfert de terre préimprimés dont le Conseil s’est servi pendant toute la période en cause en l’espèce indiquaient la somme d’un dollar comme montant de la contrepartie du transfert, et Mme Diabo a déclaré que tous les transferts signés pendant la période où elle travaillait au BGF étaient présentés sous cette forme. Elle a donc dit que le montant réel (s’il était supérieur à 1 $) que payait un membre de la bande pour une parcelle de terre de réserve était une affaire purement privée entre le cédant et le cessionnaire et que ce montant n’était pas consigné dans le formulaire de transfert de terre.

 

[19]                       Mme Diabo a également déclaré que ses activités consistaient principalement à vérifier si le cédant était légalement en possession de la terre à transférer (ce qui oblige à consulter le registre que tient le ministre), si le cédant et le cessionnaire étaient membres de la bande indienne des Mohawks de Kahnawake et si les formulaires étaient dûment remplis. Elle a ajouté que le BGF ne vérifiait pas si le prix d’achat convenu pour un transfert de terre avait été payé. Le manuel de procédure du Conseil, qui s’applique aux transferts de parcelles situées dans la réserve, prévoit qu’une fois que ces vérifications sont faites et que le formulaire de transfert de terre et l’attestation d’exécution sont remplis au BGF, il faut ensuite envoyer ces documents au président du Comité de gestion foncière de la Bande pour approbation. Mme Diabo a déclaré qu’à l’issue du processus, les formulaires dûment remplis sont généralement envoyés le vendredi de chaque semaine à AADNC, pour enregistrement et délivrance des certificats de possession.

 

[20]                       M. Boucher a témoigné au sujet des procédures qu’applique AADNC; il a confirmé que le Ministère vérifie les documents présentés avant de délivrer un certificat de possession au cessionnaire et d’inscrire ce dernier dans le registre que tient le ministre sous le régime de la Loi sur les Indiens. AADNC vérifie, notamment, si les documents sont lisibles et bien remplis et si le cédant a la possession valide des terres à transférer. Il a indiqué que cela oblige à consulter le registre pour confirmer si, au moment du transfert, le cédant détenait le certificat de possession applicable. Cependant, cela n’empêche pas un cessionnaire de transférer immédiatement le terrain à quelqu’un d’autre (sans passer par l’étape intermédiaire de la délivrance d’un nouveau certificat de possession au nom du cessionnaire). M. Boucher a ajouté à cet égard que les documents présentés dans la présente affaire étaient enregistrables et qu’ils auraient donné lieu à la délivrance de certificats de possession en faveur de M. Beauvais, n’eût été l’intervention de l’avocat du demandeur, qui soutenait que M. Robertson avait signé les documents de transfert de terre par erreur.

 

[21]                       Comme nous le verrons plus en détail ci-après, pour l’un des terrains en question, M. Robertson n’était pas le détenteur du certificat de possession connexe quand il a signé le document de transfert de terre en faveur de M. Beauvais, car ce terrain avait été transféré à M. Robertson le même jour où il avait signé un document de transfert en faveur de M. Beauvais. M. Boucher a toutefois indiqué que ce genre de transaction serait acceptable aux yeux du ministre, ce qui dénote que, du moins en ce qui le concernait, il n’est pas nécessaire d’être le détenteur d’un certificat de possession pour être reconnu par le ministre comme ayant le droit de transférer un terrain dans une réserve indienne, tant qu’il existe une chaîne de transfert valide qui mène jusqu’au cessionnaire ultime.

 

[22]                       Le témoignage de ces deux témoins, les extraits des guides qui ont été déposés ainsi que la Loi sur les Indiens même établissent que les documents de transfert de terre ne sont pas assimilables à des actes que l’on enregistre en vue de procéder au transfert d’un titre foncier à l’extérieur d’une réserve. Il y a trois grandes différences entre les deux types de document : premièrement, les documents de transfert de terre ne transfèrent aucun titre; deuxièmement, ils n’indiquent pas nécessairement la contrepartie réellement payée pour un terrain qui est situé dans une réserve indienne; troisièmement, ils ne transfèrent pas en soi des droits de possession sur une terre de réserve, car le ministre a le pouvoir discrétionnaire de délivrer ou non un certificat de possession sous le régime de la Loi sur les Indiens, et ce certificat constitue simplement une preuve du droit qu’a la personne qui y est nommée de posséder la terre qui y est mentionnée. En fait, la jurisprudence reconnaît que le régime applicable aux terres de réserve qui a été établi sous le régime de la Loi sur les Indiens a un caractère sui generis (Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010, 153 DLR (4th) 193; R c Vanderpeet, [1996] 2 RCS 507, 137 DLR (4th) 289).

 

[23]                       Il est maintenant possible, sur cette toile de fond, d’examiner ce qui s’est passé entre M. Robertson et M. Beauvais.

 

Le contexte de l’entente conclue entre M. Robertson et M. Beauvais

[24]                       En 1972, M. Robertson a fait l’acquisition des terres qui sont visées par la présente action, lesquelles étaient à l’époque décrites comme la totalité de la parcelle 3‑8 bloc B, Réserve indienne de Kahnawake no 14 et la totalité de la parcelle 3‑10 bloc B, Réserve indienne de Kahnawake no 14 (appelées ci-après, tout simplement, les parcelles 3-8 et 3-10). Quelques années plus tard, M. Robertson a bâti sur ces deux parcelles un garage dans lequel, jusqu’en 2005, il a exploité un atelier de carrosserie automobile ainsi qu’une entreprise de réparation d’automobiles, et où il a acheté et vendu des automobiles d’occasion. En 1995, M. Robertson a embauché Nathalie Leduc, qui a travaillé pour lui jusqu’en 2005. En 2001, les deux ont entamé une relation amoureuse et sont devenus – et sont toujours – conjoints de fait. Mme Leduc vit avec M. Robertson dans la maison que celui-ci possède dans la réserve de Kahnawake.

 

[25]                       Mme Leduc et M. Robertson ont tous deux déclaré que cette dernière s’occupait de toutes les tâches de lecture et d’écriture concernant l’exploitation du garage et de l’entreprise de vente et de réparation d’automobiles parce que M. Robertson avait des problèmes de lecture et avait de la difficulté à transposer des caractères. Ils ont également déclaré que, même après avoir cessé d’exploiter le garage en 2005, M. Robertson se fiait encore à Mme Leduc pour tout ce qu’il devait lire et écrire, comme payer toutes les factures du ménage.

 

[26]                       En plus de ses problèmes de lecture, M. Robertson a également eu des problèmes de vision et, en 2007, il a subi une intervention chirurgicale à un œil pour un glaucome, accessoire à une rétinopathie diabétique. Selon une note de l’ophtalmologiste qui l’a traité et qui a été produite sur consentement, en 2008 (l’année de son dernier examen) M. Robertson n’avait aucun problème de vision dans un œil, mais, dans l’autre, sa capacité était nettement altérée. Lors du procès, M. Robertson a pu lire du texte en très gros caractères, c’est-à-dire l’en-tête de grande taille des documents de transfert de terre, mais il a déclaré qu’il ne pouvait rien déchiffrer du reste du document, écrit en caractères plus petits. Il a reconnu toutefois qu’il conduit encore une automobile dans la réserve, et il est donc capable de voir jusqu’à un certain point.

 

[27]                       En 2005, dans le cadre du règlement d’un litige antérieur avec l’une de ses filles au sujet d’une somme d’argent qu’il lui devait, M. Robertson a transféré les parcelles 3-8 et 3-10 à sa fille, Shelly Robertson. En 2007, cette dernière et son époux, Lester Norton, ont loué une partie du garage situé sur ces parcelles à Kyle Beauvais. M. Beauvais, de pair avec son frère Chris et un autre homme du nom de Davis Rice, a établi sur les lieux une entreprise de fabrication de cigarettes et a payé à M. Norton un loyer de 2 500 $ par mois.

 

[28]                       En 2008, M. Robertson a emprunté la somme de 40 000 $ à l’un de ses gendres, Clive McComber, en vue de rembourser l’argent qu’il devait à Shelly. Après le remboursement, Shelly a signé deux documents de transfert de terre au BGF, de façon à rétrocéder les parcelles 3-8 et 3-10 à M. Robertson.

 

[29]                       Mme Leduc et M. McComber ont rédigé une brève entente pour indiquer que la somme de 40 000 $ n’était prêtée que pour trente jours et que, si cette somme n’était pas remboursée, M. Robertson transférerait la totalité de la parcelle 3-8 à M. McComber. M. Robertson a signé cette entente. Par la suite, M. McComber et lui se sont rendus au BGF, où les employés du Conseil ont attesté la signature des deux hommes sur l’entente et M. Robertson a signé un document de transfert de terre en vue de transférer la totalité de la parcelle à M. McComber.

 

[30]                       Dans leur témoignage, M. Robertson et Mme Leduc ont expliqué que M. McComber avait exigé que le terrain soit transféré à titre de garantie pour le prêt, l’entente étant que si l’argent était remboursé, M. McComber rétrocéderait la totalité de la parcelle 3-8, à l’exception d’une petite partie, à M. Robertson. Ce dernier a convenu de transférer à M. McComber, à titre d’intérêt, une petite partie de la parcelle 3-8, adjacente à d’autres terrains que celui-ci possédait.

 

[31]                       Le Conseil a transmis à AADNC les documents de transferts de terre que Shelly avait signés pour la parcelle 3-10 ainsi que pour la parcelle 3-8. Le 15 décembre 2008, le ministre a délivré un certificat de possession concernant la parcelle 3-10 à M. Robertson et un certificat de possession concernant la parcelle 3-8 à M. McComber.

 

[32]                       Peu après l’expiration du délai de trente jours fixé pour le remboursement de la somme de 40 000 $, M. Robertson a remboursé les 40 000 $ à M. McComber, cette fois-ci après l’avoir empruntée à Angela, une autre de ses filles. Le 25 novembre 2008, M. Robertson et M. McComber ont signé une autre brève entente écrite, qui confirmait le remboursement de l’argent et qui prévoyait que la partie de la parcelle 3-8 qui devait être restituée à M. Robertson lui serait rétrocédée par M. McComber. Mme Leduc a également rédigé cette entente et M. Robertson n’a fait que la signer.

 

[33]                       M. Robertson a déclaré qu’il croyait que M. McComber avait signé un document de transfert de terre en vue de restituer la partie de la parcelle 3-8 qui devait lui être rétrocédée. Cependant, il s’est avéré que M. McComber ne l’a pas réellement fait avant 2010, après que M. Robertson eut décidé de vendre son garage, comme nous le verrons plus loin.

 

[34]                       Avant que le BGF puisse accepter un document de transfert concernant la rétrocession du gros de la parcelle 3-8 à M. Robertson, il fallait qu’un plan de subdivision soit établi en vue de délimiter quelle partie de la parcelle M. McComber conservait. Il était également nécessaire de payer au Conseil des frais pour l’établissement de ce plan. Ce dernier a été établi en février 2009 par un arpenteur, mais n’a pas été déposé au BGF avant 2010.

 

[35]                       À partir de 2008, cependant, M. Beauvais a payé un loyer à M. Robertson. Le montant du loyer était au départ de 2 500 $ par mois, soit le même montant que M. Beauvais payait auparavant à M. Norton. Au milieu de l’année 2008, M. Beauvais a agrandi son entreprise de fabrication de cigarettes et a loué la totalité du garage à M. Robertson, et le loyer a donc été majoré à 4 500 $ par mois. Tant M. Robertson que M. Beauvais ont confirmé que ce montant était payé mensuellement en argent comptant et que, habituellement, aucun reçu n’était donné pour les montants payés. (M. Robertson a toutefois déposé deux reçus qui, soutient-il, ont été délivrés par un employé de M. Beauvais, Garth Cross. Il semble toutefois qu’il était rare que l’on remette un reçu pour les paiements de loyer.)

 

[36]                       À la fin de 2009 ou au début de 2010, M. Robertson a décidé de vendre son garage et de transférer la possession de la parcelle 3-10 et de la partie de la parcelle 3-8 que M. McComber lui avait censément restituée. M. Robertson a eu un certain nombre d’entretiens avec plusieurs acheteurs potentiels; il a été question d’un prix d’achat de 400 000 $, auquel, selon M. Robertson, aucun de ces acheteurs ne s’est opposé. Cette prétention a été corroborée par Darcy Lazore, un autre des gendres de M. Robertson, qui a témoigné qu’il avait tenté de négocier une entente pour qu’une tierce partie fasse l’acquisition des lieux en vue d’y exploiter une entreprise de fabrication de cigarettes. (Ce projet n’a jamais vu le jour, car M. Lazore et les acheteurs potentiels venaient d’Akwesasne, dans l’État de New York, et ne pouvaient donc pas obtenir de certificats de possession pour les parcelles sous le régime de la Loi sur les Indiens, puisqu’ils n’étaient pas membres de la bande de Kahnawake. Cependant, M. Lazore a confirmé que les personnes avec lesquelles il avait fait affaire auraient été disposées à payer la somme de 400 000 $ pour le garage et les parcelles.)

 

[37]                       Tant M. Robertson que M. Beauvais conviennent qu’ils ont eu de premiers entretiens au sujet de la vente du garage et du transfert des parcelles aux environs des mois de février ou de mars 2010 et que M. Robertson a indiqué au départ qu’il voulait 400 000 $ pour les parcelles et le garage.

 

[38]                       M. Beauvais a témoigné que, quelque temps avant le 1er avril 2010, il s’est rendu au BGF pour consulter le registre au sujet des parcelles 3-10 et 3-8 et qu’il a découvert que la parcelle 3-8 était toujours inscrite au nom de M. McComber. M. Robertson et M. Beauvais conviennent que, quelque temps avant le 1er avril, ce dernier a informé M. Robertson du fait que M. McComber n’avait rétrocédé aucune partie de la parcelle 3-8 à M. Robertson.

 

Que s’est-il passé entre M. Robertson et M. Beauvais et combien d’argent M. Beauvais a-t-il payé à M. Robertson?

[39]                       À partir de ce moment, la version des faits de M. Robertson et celle de M. Beauvais divergent.

 

[40]                       M. Robertson soutient qu’un jour du mois de mars 2010 il s’est présenté au garage et a eu une discussion avec M. Beauvais et que, au cours de cette discussion, celui-ci lui a demandé d’accepter un prix inférieur, lui rappelant que son père avait été un ami proche de son propre père. M. Robertson soutient qu’au cours de cette conversation, il a convenu de vendre le garage et de transférer les parcelles à M. Beauvais à un prix de 350 000 $, mais qu’aucune date de clôture n’a été fixée. Il soutient également que M. Beauvais lui a dit qu’il aurait besoin d’un financement pour conclure l’achat.

 

[41]                       M. Robertson a déclaré s’être présenté au BGF le 1er avril 2010 en vue de régler la question du droit de possession concernant la parcelle 3-8, que M. McComber ne lui avait pas rétrocédée. Au BGF, M. Robertson s’est entretenu avec Mme Diabo. Dans son témoignage, M. Robertson a donné peu de détails sur ce dont il avait parlé avec Mme Diabo ce jour-là, à part indiquer qu’elle lui avait appris qu’il était impossible de traiter le transfert, de Clive McComber à lui, d’une partie de la parcelle 3-8, car il y avait des frais de 500 $ à payer pour le travail d’arpentage qui avait été fait en vue de subdiviser la parcelle 3-8 entre la partie que M. McComber devait conserver et celle qui devait être rétrocédée à M. Robertson.

 

[42]                       Mme Diabo a donné un peu plus de détails sur la discussion qu’elle avait eue avec M. Robertson le 1er avril 2010 et, en plus de confirmer qu’elle lui avait parlé des frais de 500 $ à payer, elle a aussi ajouté que M. Robertson lui avait dit qu’il avait l’intention de vendre la parcelle 3-10 et sa partie de la parcelle 3-8 à M. Beauvais. C’est ce que confirme la preuve documentaire, car Mme Diabo a entrepris de remplir les documents nécessaires pour établir les deux documents de transfert de terre relatifs aux deux parcelles. Elle a ajouté que M. Beauvais ne s’était pas présenté au BGF après le 1er avril, ce qui veut dire qu’elle avait donc dû apprendre de M. Robertson lui-même qu’il avait l’intention de vendre les parcelles à M. Beauvais quand il s’était présenté au BGF le 1er avril 2010.

 

[43]                       M. Robertson s’est rendu au bureau principal du Conseil le 1er avril 2010 pour payer les frais exigibles de 500 $ et on lui a remis pour ces derniers un reçu, qu’il a donné à Mme Leduc quand il est rentré chez lui. Une fois que les frais ont été payés, le BGF a pu traiter le transfert, de M. McComber à M. Robertson, de la partie de la parcelle 3-8 qui devait être restituée à M. Robertson. (Après avoir été subdivisée, la partie de la parcelle 3-8 qui allait être restituée à M. Robertson a été désignée comme la totalité de la parcelle 3-8‑1 bloc B, Réserve indienne de Kahnawake no 14 (ci-après appelée la parcelle 3-8-1)).

 

[44]                       Mme Diabo a déclaré avoir téléphoné à M. McComber le 7 avril 2010 pour lui demander de se présenter au bureau et de signer un document de transfert de terre pour la parcelle 3-8-1 en faveur de M. Robertson. Au cours de cette conversation, a-t-elle indiqué, M. McComber a dit qu’il y avait des questions qu’il fallait qu’il règle avec M. Robertson avant de signer le document de transfert. Tant M. Robertson que Mme Leduc ont corroboré ce fait, disant que M. McComber voulait récupérer quelques outils qui se trouvaient dans un contenant de stockage verrouillé situé sur les parcelles avant de signer le transfert. La preuve documentaire confirme également que Mme Diabo a téléphoné à M. McComber le 7 avril.

 

[45]                       M. Robertson a déclaré être retourné au BGF le 12 avril, probablement à la suite d’un appel de Mme Diabo. (Elle a déclaré qu’elle avait téléphoné pour qu’il vienne au bureau.) Il a ajouté qu’à son arrivée au BGF le 12 avril, il avait demandé à Mme Diabo si M. McComber avait signé le document de transfert de la parcelle 3-8-1 et il s’était entretenu avec Carol Goodleaf, la superviseure de Mme Diabo. Selon M. Robertson et Mme Diabo, qui avait entendu leur conversation, Mme Goodleaf a d’abord dit à M. Robertson que M. McComber s’était présenté au BGF et qu’il avait bel et bien signé le document de transfert de terre concernant la parcelle 3-8-1 à rétrocéder à M. Robertson. Mme Goodleaf a ensuite expliqué à ce dernier qu’il était obligé d’accorder à M. McComber un droit de passage sur la parcelle 3-8-1 afin de permettre à ce dernier d’avoir accès à la partie de la parcelle 3-8 qu’il conservait. Le droit de passage était mentionné dans le document de transfert de M. McComber à M. Robertson. Tant M. Robertson que Mme Diabo ont confirmé que ce dernier a été contrarié par l’obligation de prévoir un droit de passage. Mme Diabo et M. Robertson diffèrent toutefois d’opinion sur ce qui s’est passé ensuite.

 

[46]                       Mme Diabo a déclaré que M. Robertson s’est ensuite entretenu avec elle et a demandé de signer les documents de transfert des parcelles 3-10 et 3-8-1 en faveur de M. Beauvais. M. Robertson, en revanche, prétend n’avoir rien demandé de tel et dit qu’il pensait qu’on lui remettait des documents concernant la parcelle 3-8-1 qu’on lui rétrocédait. Cependant, il a tout de même signé les deux documents de transfert des parcelles 3-10 et 3-8-1 en faveur de M. Beauvais. Il soutient que Mme Diabo lui a remis deux originaux, et deux copies qui, lui a-t-elle dit, étaient destinées à M. Beauvais, pour qu’il s’en serve en lien avec l’obtention d’un financement de la Caisse populaire de la réserve. Il maintient toutefois qu’il croyait que les documents de transfert faisaient simplement état du fait que M. McComber lui rétrocédait la parcelle 3-8-1.

 

[47]                       Mme Diabo, pour sa part, a déclaré avoir remis une série d’originaux à M. Robertson, de même qu’une copie à remettre à M. Beauvais, mais elle n’a rien dit du fait que ce dernier avait besoin d’un financement. Elle a déclaré aussi avoir lu à M. Robertson les noms du cédant (M. Robertson) et du cessionnaire (M. Beauvais) ainsi que la description des parcelles à transférer qui figurait sur les deux documents de transfert avant que M. Robertson les signe. M. Robertson ne nie pas que cela a peut-être bien eu lieu, mais il maintient qu’il n’a tout simplement pas compris ce qu’il signait.

 

[48]                       Après avoir entendu les deux témoigner, et pris en considération leur témoignage à la lumière des documents pertinents qui ont été déposés en tant que pièces, je ne suis pas d’avis qu’il y a beaucoup de contradictions entre la version de M. Robertson et celle de Mme Diabo sur ce qui s’est passé le 12 avril au BGF. Il y a tout simplement eu un malentendu entre les deux quant à la raison pour laquelle M. Robertson était là. Mme Diabo croyait qu’il était venu chercher une copie du document de transfert de M. McComber et signer les documents de transfert en faveur de M. Beauvais. Compte tenu du temps écoulé, il est probablement impossible pour elle de se souvenir des paroles exactes de M. Robertson, mais elle a certainement compris qu’il demandait qu’on lui remette les documents de transfert en faveur de M. Beauvais afin qu’il puisse les signer. M. Robertson, en revanche, croyait qu’il se trouvait là juste pour confirmer la rétrocession d’un terrain que détenait M. McComber. Il était contrarié par ce que Mme Goodleaf lui avait dit à propos du droit de passage et il n’avait pas lu les documents qu’il avait signés – et il ne pouvait vraisemblablement pas les lire. Cependant, il les avait signés et Mme Diabo lui avait remis une série d’originaux et une série de copies. Je trouve peu probable, toutefois, qu’elle ait dit quoi que ce soit au sujet de la visite de M. Beauvais à la Caisse populaire, car elle ignorait tout à fait que ce dernier avait besoin d’un financement. Fait important, tant M. Robertson que Mme Diabo s’entendent pour dire que ce dernier n’a pas mentionné qu’il n’était pas capable de lire les documents qu’il signait et n’a pas indiqué qu’il avait des doutes quelconques sur ce qui était en train de se passer.

 

[49]                       M. Robertson prétend ne pas avoir remis les documents de transfert à Mme Leduc quand il est rentré chez lui le 12 avril; il a plutôt mis l’enveloppe contenant les originaux dans sa serviette et a laissé les copies dans son automobile. Il a toutefois déclaré avoir dit à Mme Leduc qu’il avait reçu les documents de transfert de la parcelle 3-8-1 de M. McComber et qu’il allait amener les copies des documents qu’il avait reçus à M. Beauvais en vue de conclure la transaction avec lui. Il soutient par ailleurs qu’il a fait rédiger par Mme Leduc une lettre de recommandation à l’intention de M. Beauvais, pour confirmer que celui-ci avait toujours payé son loyer, de façon à ce qu’il puisse s’en servir dans le cadre de sa demande d’emprunt. Mme Leduc a corroboré ce témoignage et a confirmé avoir rédigé une lettre de recommandation, dont une copie a été déposée en tant que pièce.

 

[50]                       M. Robertson a soutenu ensuite être allé voir M. Beauvais le 13 avril pour lui remettre la lettre de recommandation et les copies de ce qu’il croyait être des documents confirmant le transfert d’un terrain entre M. McComber et lui. (Il s’agissait en fait de copies des documents de transfert en faveur de M. Beauvais, que M. Robertson prétend avoir signés par erreur.) Il a déclaré de plus qu’au cours de cette rencontre, il avait demandé un acompte, que M. Beauvais avait dit à M. Cross de vérifier combien d’argent ils avaient dans le coffre-fort qui se trouvait au garage, qu’il avait découvert qu’il y avait au moins 5 000 $ et que les deux – M. Beauvais et M. Robertson – avaient convenu que M. Beauvais verserait un acompte de 5 000 $ sur le prix d’achat de 350 000 $ dont ils avaient convenu. Il a également déclaré qu’ils n’avaient pas fixé la date de clôture, car M. Beauvais devait encore se rendre à la Caisse populaire et avait dit qu’il lui faudrait un peu de temps pour obtenir le financement dont il avait besoin, puisqu’un membre de sa famille était décédé. Mme Leduc a déclaré qu’une fois que M. Robertson était rentré à la maison après avoir rencontré M. Beauvais, elle avait vu le reçu et avait compté les 5 000 $ d’acompte, qu’elle avait déposés dans le coffre-fort qui se trouvait dans leur maison.

 

[51]                       Le fait suivant, selon M. Robertson et Mme Leduc, est que M. Beauvais a téléphoné à Mme Leduc le 21 avril 2010 pour demander de rencontrer M. Robertson. Ce dernier s’est présenté au garage le 21 et soutient que M. Beauvais lui a dit qu’il – M. Robertson - avait signé les documents de transfert, lesquels transféraient le terrain à M. Beauvais, et qu’il n’avait pas l’intention de payer davantage parce que M. Robertson devait au moins 400 000 $ à son père, et que M. Beauvais lui a donné l’ordre de sortir de sa propriété. M. Robertson soutient que le frère de M. Beauvais, Chris, l’a ensuite menacé, disant qu’il ne fallait pas qu’il se plaigne, car [traduction] « ils étaient les plus forts ». M. Robertson dit qu’il est ensuite rentré chez lui, que Mme Leduc et lui ont lu les documents de transfert qui se trouvaient dans sa serviette, qu’il a confirmé l’erreur qu’il avait commise, qu’il a consulté un avocat et qu’il s’est rendu au BGF pour tenter d’annuler la transaction.

 

[52]                       Bien qu’il y ait une certaine divergence entre les témoignages de Mme Diabo, de M. Robertson et de Mme Leduc au sujet de ce qui s’est passé au BGF le 21 avril, rien de cela n’est pertinent. Il suffit de dire que M. Robertson et Mme Leduc, très contrariés, ont tenté de faire annuler les documents de transfert et se sont fait dire par Mme Diabo qu’il n’y avait rien à faire. Mme Diabo a déclaré spontanément qu’après leur départ, elle était si bouleversée qu’elle était allée pleurer dans la salle des toilettes.

 

[53]                       Après cela, Mme Leduc et M. Robertson se sont présentés au poste des Gardiens de la paix de la réserve pour porter plainte contre Chris Beauvais. Mme Leduc a rédigé une déclaration en rapport avec cette plainte, que M. Robertson a signée et qui corrobore leur version des faits. Ils ont également laissé à l’agent Stacey une copie des documents de transfert que M. Robertson prétend avoir signés par erreur, de même qu’une copie du reçu que, soutient-il, M. Beauvais lui a remis.

 

[54]                       M. Robertson allègue donc qu’on ne lui a payé que 5 000 $ sur le prix d’achat convenu de 350 000 $ et qu’on l’a privé à tort de la possession des parcelles 3-10 et 3-8-1.

 

[55]                       M. Beauvais, en revanche, a déclaré exactement le contraire. Il prétend avoir offert à M. Robertson une somme de 225 000 $ seulement pour le garage et que M. Robertson était, au départ, peu disposé à l’accepter. Il dit de plus avoir appris de Clive McComber, dans la matinée du 12 avril, que ce dernier s’était présenté au BGF pour signer un document de transfert de terre concernant la parcelle 3-8-1 en faveur de M. Robertson, que M. Robertson s’était présenté au garage plus tard dans la journée du 12, qu’il lui avait dit qu’il était maintenant prêt à vendre au prix de 225 000 $, qu’il avait alors accepté cette somme et qu’il avait ensuite payé à M. Robertson la somme de 225 000 $, en argent comptant, pour les terrains et le garage. M. Beauvais soutient qu’il tenait régulièrement dans le coffre-fort du garage une somme variant entre 300 000 $ et 500 000 $ en argent comptant, tirée de la vente de cigarettes et que, dans ce cas‑ci, Garth Cross avait compté l’argent et l’avait remis à M. Robertson aussitôt après qu’ils avaient convenu du prix d’achat le 12 avril. Il a déclaré que son frère Chris était également présent au moment du paiement.

 

[56]                       M. Beauvais prétend s’être rendu plus tard ce jour-là au BGF afin de vérifier si M. Robertson avait signé les documents de transfert de terre en sa faveur. Il a de plus déclaré qu’il n’avait pas donné d’acompte à M. Robertson et que ce dernier ne lui avait pas remis de reçu ou de lettre de recommandation.

 

[57]                       M. Beauvais reconnaît avoir téléphoné à Mme Leduc pour demander que M. Robertson vienne le voir le 21 avril, mais il a dit que c’était parce qu’il avait appris que M. Robertson avait essayé à plusieurs reprises de communiquer avec lui en son absence. Il ajoute que, quand M. Robertson s’était présenté au garage le 21 avril, il avait demandé de recevoir plus d’argent, que M. Beauvais lui avait dit qu’il n’était pas disposé à payer davantage et qu’il lui avait demandé de quitter sa propriété. Il soutient qu’il était ensuite retourné dans le garage et n’avait donc pas entendu si son frère avait menacé M. Robertson; il a tout de même confirmé que son frère était fâché.

 

[58]                       M. Robertson et M. Beauvais s’accordent pour dire que ce dernier a continué d’occuper le garage jusqu’au début de 2011, quand il a fermé son entreprise de fabrication de cigarettes. M. Beauvais a ensuite loué le garage à un ou plusieurs autres locataires, qui exploitaient un service d’échangeur thermique. À la date du procès, l’autre ou les autres locataires louaient toujours les lieux. Aucune preuve n’a été produite quant au montant de loyer que ce ou ces autres locataires ont payé à M. Beauvais depuis le début de 2011. M. Beauvais soutient avoir fait d’importantes améliorations au garage, dépensant plus de 50 000 $ en réparations, afin de pouvoir le louer à l’autre ou les autres locataires.

 

[59]                       De ces deux versions des faits, je privilégie celle de M. Robertson, et ce, pour plusieurs raisons.

 

[60]                       Premièrement, il y a une contradiction marquée entre ce que M. Beauvais a déclaré au procès et ce qu’il a dit lors de son interrogatoire préalable. À cet égard, il n’a pas mentionné lors de cet interrogatoire qu’il avait vérifié auprès de M. McComber si ce dernier avait cédé de nouveau le terrain à M. Robertson avant de payer à ce dernier la somme de 225 000 $. Cependant, lors de son contre-interrogatoire au procès, pressé de questions sur le caractère invraisemblable du fait qu’il avait déboursé la somme de 225 000 $ sans même avoir vérifié si la parcelle 3-8-1 était de nouveau inscrite au nom de M. Robertson, M. Beauvais a déclaré qu’il avait vérifié cela auprès de M. McComber avant de payer l’argent le 12 avril.

 

[61]                       Deuxièmement, sur un aspect clé, le témoignage de M. Beauvais a été contredit par Mme Diabo, qui est essentiellement un témoin indépendant, car elle ne travaille plus pour le Conseil. Plus précisément, confronté une fois de plus en contre-interrogatoire au peu de vraisemblance de sa version des faits, M. Beauvais a déclaré qu’il était allé au BGF pour vérifier si M. Robertson avait bel et bien signé les documents de transfert, peu après lui avoir remis l’argent comptant. Cependant, Mme Diabo a dit que M. Beauvais n’était jamais revenu au BGF après sa première visite, qui avait eu lieu avant le 1er avril 2010.

 

[62]                       Troisièmement, M. Beauvais n’a appelé aucun témoin pour corroborer qu’il avait fait le prétendu paiement de 225 000 $ en argent comptant et il n’a pas appelé M. McComber pour confirmer si et quand celui-ci avait déclaré à M. Beauvais qu’il fallait réinscrire le terrain au nom de M. Robertson. L’avocat de M. Beauvais a indiqué lors du procès que M. McComber avait été assigné à comparaître, mais qu’il n’avait pas été appelé à témoigner. Dans le même ordre d’idées, ni M. Cross ni Chris Beauvais n’ont été appelés pour confirmer que M. Beauvais avait payé la somme de 225 000 $ en argent comptant à M. Robertson, comme il le prétend.

 

[63]                       Dans les circonstances, il m’est loisible de tirer une inférence défavorable du fait que M. Beauvais n’a pas appelé à témoigner M. McComber, M. Cross ou son frère en vue de corroborer sa version des faits. À cet égard, il est bien établi que, dans les affaires de nature civile, [traduction] « il est possible de tirer une déduction défavorable lorsque, en l’absence d’explication, une partie à un litige […] omet de convoquer un témoin qui a connaissance des faits en litige et devrait être disposé à aider cette partie » (Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada, 3e éd. (Canada : LexisNexis Canada Inc., 2009), à §6.449).

 

[64]                       Quatrièmement, bien que cela ne soit pas déterminant, il convient de signaler que M. Beauvais n’a pas plaidé dans sa défense le paiement prétendu de 225 000 $. Si le paiement avait bel et bien été fait, on tiendrait normalement pour acquis que cela aurait été la pièce centrale d’une défense quelconque.

 

[65]                       Enfin, la version de M. Beauvais est peu crédible sur au moins un aspect. Il prétend avoir vendu des cigarettes uniquement à d’autres membres de la réserve. La capacité d’une telle entreprise (par opposition à une entreprise vendant des cigarettes à des non-résidents de la réserve) de générer la quantité d’argent que M. Beauvais prétend avoir gagné est suspecte.

 

[66]                       En revanche, M. Robertson n’a pas été ébranlé dans sa version des faits et, jusqu’à un certain point, son témoignage a été étayé par Mme Leduc, même si une bonne part du témoignage de cette dernière reposait sur ce que M. Robertson lui avait dit antérieurement et ne peut donc pas être considérée comme une corroboration indépendante.

 

[67]                       Je conclus donc que M. Beauvais n’a payé que 5 000 $ pour le terrain, qui, selon son propre témoignage, vaut nettement plus – au moins 225 000 $, sinon 350 000 $.

 

M. Robertson savait-il qu’il signait des documents de transfert en faveur de M. Beauvais quand il y a apposé sa signature?

[68]                       Compte tenu de la conclusion qui précède, je suis également d’avis que M. Robertson ne s’est pas rendu compte qu’il signait des documents de transfert en faveur de M. Beauvais quand il y a apposé sa signature le 12 avril et qu’il ignorait ce qu’ils étaient quand il en a remis des copies à M. Beauvais le 13 avril. À cet égard, je conviens avec l’avocat de M. Beauvais que le degré de connaissance de M. Robertson est directement lié à la question de savoir si la somme de 225 000 $ a été payée ou non, car il serait illogique que M. Robertson ait remis sciemment les documents de transfert à M. Beauvais si on ne l’avait pas payé.

 

[69]                       La prétention de M. Robertson quant à son incapacité à lire est étayée par le témoignage de Mme Leduc et, jusqu’à un certain point, par les rapports médicaux qui ont été déposés. De plus, tous les documents antérieurs que M. Roberts a signés ont été établis par d’autres, ce qui tend là aussi à dénoter qu’il aurait probablement été incapable de lire les documents de transfert.

 

[70]                       La réaction de Mme Diabo quand elle a pris connaissance de l’erreur – elle s’est mise à pleurer – tend également à corroborer la version des faits de M. Robertson, car Mme Leduc et lui étaient suffisamment contrariés le 21 avril pour la faire pleurer. Cela concorde avec le fait qu’ils n’ont pris connaissance de l’erreur que ce jour-là et du fait qu’une erreur avait été commise, car, si Mme Diabo ne croyait pas que M. Robertson s’était légitimement trompé, il aurait été moins justifié qu’elle fonde en larmes.

 

[71]                       De plus, le fait que les documents aient été signés dans la foulée de la discussion sur le droit de passage qui avait contrarié M. Robertson rend vraisemblable le fait qu’il n’ait pas porté autant d’attention qu’il aurait dû à ce qu’il faisait au moment de signer les deux documents de transfert.

 

[72]                       Enfin, ayant eu la possibilité d’observer M. Robertson au cours de la journée et demie pendant laquelle il a témoigné me porte à croire qu’il avait probablement l’esprit confus quand il a signé les documents de transfert, car, au cours du procès, il a paru avoir un peu de difficulté à comprendre des questions qui n’étaient pas très complexes. Je conclus de ce fait que M. Robertson s’est trompé quand il a signé les deux documents de transfert en faveur de M. Beauvais et qu’il ne s’est pas rendu compte de leur importance quand il les a signés ou quand il les a remis à M. Beauvais.

 

[73]                       L’avocat de M. Beauvais fait valoir qu’il ne faudrait pas que je tire cette conclusion, parce qu’il est impensable que M. Robertson n’ait pas montré des documents aussi importants que les documents de transfert à Mme Leduc et que M. Robertson a admis en contre-interrogatoire qu’il savait que, habituellement, seul le cédant est tenu de signer un document de transfert de terre. Bien que M. Robertson ait effectivement fait cet aveu, et qu’aucune explication valable n’ait été donnée soit par Mme Leduc soit par M. Robertson pour le fait de ne pas avoir fait vérifier plus tôt les documents de transfert par Mme Leduc – surtout que celle-ci lisait ou écrivait tout le reste – aucune de ces questions n’a suffisamment de poids pour m’amener à inférer que M. Robertson savait ce qu’il signait eu égard au reste de la preuve. En bref, comme j’ai conclu que la somme de 225 000 $ n’a pas été payée, il est impossible d’inférer que M. Robertson a signé sciemment les documents de transfert ou qu’il les a remis sciemment à M. Beauvais, car cela ne concorde pas avec le fait qu’on ne l’ait pas payé pour la terre.

 

[74]                       J’estime donc que M. Robertson a signé par erreur les deux documents de transfert en faveur de M. Beauvais, que l’entente verbale conclue entre M. Robertson et M. Beauvais portait sur un prix d’achat de 350 000 $, que M. Beauvais n’a payé que 5 000 $ à M. Robertson et que, malgré cela, il a conservé la terre et a continué d’occuper le garage et l’a ensuite loué.

 

Le Conseil a-t-il manqué à une obligation quelconque de sa part envers M. Robertson?

[75]                       Voyons maintenant la prétention de M. Robertson à l’encontre du Conseil. Il fonde cette prétention sur l’affirmation selon laquelle le Conseil a manqué à ses obligations fiduciaires envers lui en ne s’assurant pas qu’il comprenait bien les documents de transfert avant de les signer et en ne s’assurant pas que le prix d’achat convenu avait été payé. L’avocat de M. Robertson a également laissé entendre que le fait que le BGF ait transmis les documents de transfert à AADNC un jeudi plutôt qu’un vendredi, soit le jour où le Conseil envoie habituellement de tels documents à AADNC, doit être considéré comme le signe d’une intention du Conseil d’agir délibérément d’une manière défavorable aux intérêts de M. Robertson, vraisemblablement en exécutant à la hâte le processus de délivrance des certificats de possession au nom de M. Beauvais.

 

[76]                       À mon avis, il n’y a absolument rien qui permette de tirer une telle conclusion, ni de conclure que le Conseil a manqué à ses obligations fiduciaires envers M. Robertson. En général, un fiduciaire est tenu d’agir d’une manière conforme aux intérêts supérieurs de la partie à laquelle l’obligation est due et, plus précisément, de façon à éviter tout conflit d’intérêts (voir p. ex. Bande de la Première Nation d’Annapolis Valley c Toney, 2004 CF 1728, 267 FTR 186; Wewayakai Indian Band c Chickite (1998), [1999] 1 CNLR 14 (CSCB); Blueberry Interim Trust, Re, 2011 BCSC 769, [2011] BCWLD 6951; Williams Lake Indian Band c Abbey, [1992] 4 CNLR 21, [1992] BCWLD 1783 (CSCB)). Cependant, l’obligation ne s’étend pas aussi loin que le prétend M. Robertson, parce que Mme Diabo et Mme Goodleaf, les deux employées du Conseil qui ont eu des échanges avec M. Robertson, se sont comportées raisonnablement.

 

[77]                       Plus précisément, les deux n’avaient aucune raison de douter de la capacité de M. Robertson de bien comprendre les documents de transfert, et Mme Diabo a suivi avec M. Robertson la même procédure que le BGF appliquait toujours. Il n’était pas non plus nécessaire que le BGF confirme que le prix d’achat convenu, quel qu’il soit, avait été payé avant d’accepter d’enregistrer un document de transfert de terre. En bref, je ne souscris pas à l’idée selon laquelle l’obligation qu’a le Conseil d’agir au mieux des intérêts des membres de la bande l’oblige à « chaperonner » ces derniers à chacune des étapes du processus de transfert de terre. Quant à l’idée selon laquelle le fait que les documents de transfert aient été envoyés à AADNC un jeudi plutôt qu’un vendredi soit louche, il n’y a pas la moindre preuve à l’appui de cette affirmation.

 

[78]                       Je conclus donc que le Conseil n’a manqué à aucune obligation de sa part envers M. Robertson et, de ce fait, il y a lieu de rejeter la demande visant le Conseil.

 

Quelles mesures de réparation convient-il d’accorder?

[79]                       Si l’on passe maintenant à l’examen des diverses mesures de réparation que sollicite M. Robertson à l’égard de la terre et à l’encontre de M. Beauvais, il faut se souvenir que M. Robertson sollicite plusieurs déclarations, une ordonnance obligeant M. Beauvais à lui restituer la terre, des dommages-intérêts équivalant à 4 500 $ par mois entre le 1er mai 2010 et la date à laquelle M. Beauvais quittera la terre, des dommages-intérêts moraux d’un montant de 50 000 $, des dommages-intérêts exemplaires d’un montant de 100 000 $, de même qu’une ordonnance d’exécution provisoire malgré l’appel aux termes de l’article 547 du CPC.

 

[80]                       Plusieurs de ces demandes soulèvent des questions complexes quant à la compétence de la Cour. Dans sa décision provisoire sur une requête en radiation de la présente action pour défaut de compétence que M. Beauvais avait déposée, mon collègue, le juge Barnes, a rejeté la requête dans le dossier 2011 CF 378, décrétant qu’il n’était pas évident et manifeste que la Cour n’avait pas compétence sur les demandes, et il a renvoyé au juge du procès la question de la décision définitive concernant l’étendue de la compétence de la Cour sur les diverses demandes formulées dans le cadre de l’action. Pour les motifs exposés ci-après, j’ai conclu que la Cour était bel et bien compétente pour accorder un grand nombre des mesures de réparation, dont les dommages-intérêts, que M. Robertson sollicite en l’espèce.

 

i.          Quelles mesures de réparation la Cour a-t-elle compétence pour accorder?

[81]                       Pour ce qui est de la portée générale de la compétence de la Cour sur les demandes ou les réclamations qui sont formulées dans le cadre d’une action, comme l’a décrété la Cour suprême du Canada dans l’arrêt ITO-International Terminal Operators c Miida Electronics, [1986] 1 RCS 752, 28 DLR (4th) 641 (ITO), au paragraphe 12, il est nécessaire de satisfaire à trois critères pour que la Cour soit compétente :

1.     Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.

2.     Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.

3.     La loi invoquée dans l'affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.) c. 3.

 

[82]                       Il ressort également de la jurisprudence que, dans les cas où la Cour est compétente d’après les critères qui précèdent, mais où les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles) ou la jurisprudence fédérale ne couvrent pas un élément subsidiaire de la demande, il est permis d’examiner le droit provincial dans le ressort où la cause d’action a pris naissance en vue de combler les lacunes (voir p. ex. ITO, au paragraphe 34; Bande de Stoney c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2005 CAF 220, [2006] 1 RCF 570, aux paragraphes 40, 41, 74 et 75; St-Hilaire c Canada (Procureur général), 2001 CAF 63, 204 DLR (4th) 103, au paragraphe 31).

 

[83]                       Il a été conclu que l’on avait satisfait aux trois critères énoncés dans l’arrêt ITO dans des affaires mettant en cause des demandes de déclaration concernant la violation, par le défendeur, du droit de propriété sur un terrain situé dans une réserve indienne. Plus particulièrement, dans l’arrêt Roberts c Canada, [1989] 1 RCS 322, 57 DLR (4th) 197 (Roberts), une affaire dans laquelle une bande en poursuivait une autre pour violation du droit de propriété et où la question en litige avait trait au fait de savoir quelle bande avait l’usage et l’occupation légitimes de la réserve, la Cour suprême du Canada a statué que la Cour fédérale avait compétence pour statuer sur la demande. S’exprimant au nom de la Cour, la juge Wilson a tout d’abord indiqué que l’alinéa 17(3)c)[1] (aujourd’hui le paragraphe 17(4)) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 (la LCF)) satisfaisait à la première condition du critère énoncé dans l’arrêt ITO. Le texte du paragraphe 17(4) de la LCF est le suivant :

Demandes contradictoires contre la Couronne

 

(4) Elle a compétence concurrente, en première instance, dans les procédures visant à régler les différends mettant en cause la Couronne à propos d’une obligation réelle ou éventuelle pouvant faire l’objet de demandes contradictoires.

Conflicting claims against Crown

 

(4) The Federal Court has concurrent original jurisdiction to hear and determine proceedings to determine disputes in which the Crown is or may be under an obligation and in respect of which there are or may be conflicting claims.

 

[84]                       En analysant cette question, la juge Wilson a écrit ce qui suit, au paragraphe 21 de l’arrêt Roberts :

À mon avis, le juge Hugessen a procédé de la bonne manière en analysant l'al. 17(3)c) lui-même pour déterminer la portée de la compétence attribuée. Comme il l'a signalé, l'alinéa exige a) une procédure b) aux fins de juger une contestation c) dans laquelle la Couronne a ou peut avoir une obligation d) qui est ou peut être l'objet de demandes contradictoires. Une procédure d'interpleader entamée par la Couronne répondrait bien à cette description. Il est même difficile à première vue d'envisager des situations autres que la procédure d'interpleader où toutes les exigences de l'al. 17(3)c) seraient respectées. Je crois cependant que nous sommes en présence d'une telle situation en l'espèce. Il est certainement question d'une procédure visant à trancher le différend entre la bande demanderesse et la bande défenderesse. L'obligation à laquelle est tenue la Couronne en l'espèce découle de la nature même du titre aborigène. L'affirmation la plus récente de cette Cour que le droit des Indiens sur leurs terres est de nature sui generis se trouve dans l'arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654. Tel que souligné dans l'arrêt Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, l'obligation qu'a la Couronne à l'égard des terres détenues pour les Indiens est reconnue au par. 18(1) de la Loi sur les Indiens , bien qu'elle ne soit pas créée par ce paragraphe. La Couronne doit détenir les terres formant la réserve no 12 pour l'usage et le profit de l'une des bandes. La question est de savoir laquelle. Enfin, la présente affaire relève du texte de l'al. 17(3) c) parce que les demandes contradictoires visent sans aucun doute l'obligation de la Couronne. Chaque bande prétend que la Couronne, qui détient le titre de propriété sous-jacent des terres, a envers elle seule l'obligation de détenir les terres pour son usage et son occupation exclusifs.

 

 

[85]                       La juge Wilson a ensuite décrété que les deuxième et troisième conditions du critère énoncé dans l’arrêt ITO étaient remplies par la Loi sur les Indiens, qui met de côté des réserves indiennes pour l’usage et l’occupation de bandes indiennes, ainsi que par la common law relative au titre « aborigène », qui sous-tend les obligations qu’a la Couronne envers les bandes indiennes (au paragraphe 30).

 

[86]                       La Cour fédérale a appliqué l’arrêt Roberts dans la décision Jones (Succession) c Louis, 108 FTR 81, [1996] 3 CNLR 85 (Jones (Succession)), où le juge MacKay a fait droit à l’action en jugement déclaratoire de la demanderesse au sujet du titre de possession d’un terrain situé dans une réserve indienne. Dans un post-scriptum joint à la décision, le juge MacKay, suivant l’arrêt rendu dans l’affaire Roberts, a déclaré que le paragraphe 17(4) de la LCF fondait la compétence requise, parce que la demande mettait en cause des obligations de la Couronne envers des Indiens et que l’affaire avait trait à une demande relative à des terres situées dans une réserve sous le régime de la Loi sur les Indiens, et ce, dans une situation où, comme c’est le cas en l’espèce, le droit sur ces terres était l’objet de prétentions contradictoires.

 

[87]                       La Cour a donc compétence sur la demande de M. Robertson en vue d’obtenir une déclaration portant qu’il a droit à la possession des deux parcelles en question. Par ailleurs, cette déclaration comporte un examen de l’effet de l’entente de location antérieure, des clauses de l’entente de vente verbale, des certificats de possession délivrés à M. Robertson ainsi que de l’effet des documents de transfert de terre qu’il a signés. Elle consiste aussi à déterminer que M. Beauvais n’est pas légalement en possession des parcelles et n’est donc pas en droit de se faire délivrer des certificats de possession par le ministre, puisque le paragraphe 20(2) de la Loi sur les Indiens prescrit que le ministre a le pouvoir discrétionnaire de délivrer de tels certificats uniquement aux Indiens qui sont légalement en possession de terres de réserve. La Cour a donc compétence pour rendre le jugement déclaratoire que cherche à obtenir M. Robertson à l’égard de son droit de posséder les parcelles 3-10 et 3-8-1.

 

[88]                       Pour ce qui est de la demande d’injonction , l’article 44 de la LCF confère à la Cour la compétence de décerner une injonction aux conditions qu’elle juge appropriées dans tous les cas où il lui paraît juste ou opportun de le faire. Des injonctions comme celle que M. Robertson souhaite obtenir ont déjà été décernées par la Cour (voir p. ex. Conseil de Bande des Abénakis de Wôlinak c Bernard (1998), 160 FTR 13, 2 CNLR 51, où le juge Blais (tel était alors son titre) a ordonné à un défendeur de quitter une maison située dans une réserve indienne). C’est donc dire que l’injonction demandée peut elle aussi être décernée.

 

[89]                       Cependant, pour ce qui est de la compétence requise pour accorder les dommages‑intérêts demandés, la situation est plus compliquée parce que les parties n’ont cité aucune jurisprudence sur ce point et que les demandes de dommages‑intérêts dépendent dans une large mesure du droit provincial.

 

[90]                       Bien que la question ne semble pas avoir été tranchée de manière catégorique, il y a des précédents qui appuient la conclusion selon laquelle la Cour est bel et bien compétente pour accorder des dommages‑intérêts semblables à ceux que demande M. Robertson en l’espèce, puisqu’il existe des affaires dans lesquelles des dommages-intérêts semblables ont été attribués et, aussi, plusieurs décisions dans lesquelles la Cour a refusé de radier des demandes de dommages‑intérêts présentées en lien avec une allégation de possession illégitime de terres situées dans une réserve indienne.

 

[91]                       À cet égard, dans la décision Watts c Conseil de la Bande indienne de Kincolith (2000), 187 FTR 83, le protonotaire Hargrave a conclu que le conseil de bande défendeur avait porté atteinte au droit de propriété du demandeur sur une terre située dans une réserve en construisant une antenne radio sur une terre pour laquelle le demandeur détenait un certificat de possession. Le protonotaire a accordé au demandeur des dommages-intérêts en raison de l’atteinte au droit de propriété. Cependant, en ce faisant, il n’a pas traité de la compétence de la Cour pour rendre l’ordonnance réparatrice demandée, car ni l’une ni l’autre des parties ne semblent avoir soulevé la question.

 

[92]                       Dans le même ordre d’idées, dans la décision Hofer c Canada, 2002 CFPI 16, la Cour s’est déclarée compétente à l’égard d’une demande de dommages-intérêts concernant un affermage de terres de réserve, mais là aussi, la question de la compétence n’a pas été évoquée. Dans cette affaire, le demandeur, M. Hofer, un agriculteur non indien, disait avoir conclu une entente de prorogation de permis d’affermage de terres de réserve. Malgré cela, on lui avait dit que ses permis étaient expirés, et il avait été expulsé. Il avait tenté de poursuivre la bande en dommages-intérêts pour rupture des contrats d’affermage, mais seuls deux de ces derniers étaient étayés par un permis visé à l’article 28 de la Loi sur les Indiens (en vertu duquel le ministre peut accorder à un non-Indien le droit d’occuper des terres de réserve). Dans une décision préliminaire, le juge Hugessen a conclu que la demande de dommages-intérêts serait peut-être bien accueillie au sujet des terres pour lesquelles des permis avaient été délivrés en vertu de l’article 28, mais que les autres ententes n’avaient aucune chance de succès, et il a donc radié ces demandes. L’affaire a par la suite été réglée avant le procès.

 

[93]                       Plus tard, un membre de la bande qui était prêt à louer des terres à M. Hofer a poursuivi la bande pour dommages-intérêts en se fondant sur la perte des revenus tirés de la location. Dans la décision Gladstone c Tribu des Blood, 2004 CF 856, la juge Dawson s’est déclarée compétente à l’égard de la demande, a rejeté celle-ci sur le fond, mais a ensuite procédé à une évaluation provisoire des dommages-intérêts. Même si la Cour s’est déclarée compétente à l’égard de la demande et l’a tranchée provisoirement sur le fond, la question de la compétence de la Cour pour accorder des dommages-intérêts n’a pas été expressément analysée.

 

[94]                       Par conséquent, alors que les affaires qui précèdent appuient la conclusion que j’ai bel et bien compétence pour accorder les dommages-intérêts demandés, elles ne traitent de la question qu’indirectement.

 

[95]                       Dans plusieurs autres affaires, la Cour a refusé de radier les demandes de dommages‑intérêts liées à l’occupation de terres dans une réserve indienne. Bien qu’elles ne soient pas déterminantes quant à la question de la compétence, vu que le critère qui s’applique dans le cas d’une requête en radiation est celui de savoir s’il est évident et manifeste qu’une demande ne peut être accueillie (voir p. ex. Hunt c T & N plc, [1990] 2 RCS 959, 74 DLR (4th) 321), ces affaires appuient d’une certaine façon la conclusion selon laquelle j’ai bel et bien compétence pour accorder des dommages-intérêts en l’espèce.

 

[96]                       Par exemple, dans l’affaire Bande de Montana c Canada, [1991] 2 CF 273, 44 FTR 183, conf. par [1993] 2 CNLR 134 (CAF), autorisation de pourvoi à la CSC refusée par 155 NR 320 (CSC), une bande poursuivait la Couronne en vue d’obtenir un jugement déclaratoire, une ordonnance de reddition de comptes concernant le produit de la vente des terres, des dommages-intérêts et une indemnité pour manquement à une obligation fiduciaire par suite d’une décision de céder des terres de réserve à deux bandes adjacentes. La Couronne avait déposé des avis de mise en cause, joignant les deux autres bandes indiennes et cherchant à obtenir une contribution, une indemnité ou une exonération de la part des autres bandes. Les bandes mises en cause avaient déposé une requête en vue de faire radier l’avis de mise en cause pour défaut de compétence. Le juge Strayer a rejeté la requête, statuant que la compétence sur la demande de mise en cause pouvait être dégagée du paragraphe 17(4) de la LCF.

 

[97]                       Dans le même ordre d’idées, dans la décision Paul c Bande indienne de Kingsclear (1997), 148 DLR (4th) 759, 132 FTR 145, un couple indien marié avait obtenu un certificat de possession à titre de copropriétaires d’un terrain situé dans une réserve et y avaient bâti une maison. Ils avaient divorcé par la suite. L’homme vivait à l’extérieur de la maison depuis quelques années et n’avait plus accès physique à la maison. Il avait intenté une action contre la Couronne et les occupants de la maison en vue d’obtenir une indemnisation pour sa contribution aux coûts de construction de la maison familiale. Les défendeurs (autres que la Couronne) avaient déposé une requête visant à faire suspendre l’action pour défaut de compétence. S’appuyant sur Roberts et Jones (Succession), le juge en chef Lutfy a rejeté la requête et conclu qu’il n’était pas manifeste et évident que la Cour était incompétente, car il se pouvait fort bien que la compétence soit ancrée dans le paragraphe 17(4) de la LCF.

 

[98]                       Il existe toutefois des affaires qui vont dans l’autre sens. Par exemple, dans une décision relativement succincte : Powless c Sandy (1995), 95 FTR 57, 55 ACWS (3d) 1167, le juge Wetston a rejeté une demande déposée par un membre d’une bande indienne contre un autre membre de la même bande en vue de la restitution de fonds payés dans le cadre d’une entente d’achat et de vente de terres de réserve, soutenant que la Cour n’avait pas compétence pour entendre un différend de nature foncière entre deux Indiens à propos de la question de savoir qui avait le droit de propriété de terres dans une réserve. Cependant, il n’a pris en considération que l’alinéa 17(2)a) de la LCF (et non le paragraphe 17(4)) et n’a pas mentionné l’arrêt Roberts de la Cour suprême. L’affaire date aussi d’avant la décision du juge MacKay dans l’affaire Jones (Succession).

 

[99]                       Dans la décision Bande indienne de Lower Similkameen c Allison (1996), 111 FTR 199 (Bande indienne de Lower Similkameen), le chef et conseiller d’une bande indienne poursuivait des membres de la bande pour violation du droit de propriété et détournement par suite de l’occupation illicite alléguée des bureaux du conseil de la bande. Le protonotaire Hargrave a radié ces demandes, faisant remarquer, au paragraphe 17 :

M. le juge MacKay a adopté un point de vue différent, mais non contradictoire, dans l’affaire Jones c. Louis et La Reine, décision inédite du 23 février 1996, dans l’action T-1687-93. Dans cette action, les parties demandaient un jugement déclaratoire à l’égard de leurs droits sur un certain terrain situé sur des terres de réserve. La Couronne, à qui était dévolu le titre de propriété de la réserve, était partie à l’action et reconnaissait la compétence de la Cour pour régler les demandes relatives au titre de possession. M. le juge MacKay a conclu à l’existence de la compétence fondée sur le paragraphe 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale, qui confère une compétence à la Section de première instance « dans les procédures visant à régler les différends mettant en cause la Couronne à propos d’une obligation réelle ou éventuelle pouvant faire l’objet de demandes contradictoires ». Il a ensuite fait remarquer que l’obligation avait trait à l’approbation d’un droit de possession sur certaines terres et sur des terres indiennes et qu’elle existait relativement aux Indiens, en vertu de la Loi sur les Indiens, à l’égard de la gestion des terres indiennes. En l’espèce, bien que les demanderesses puissent demander une déclaration quant à la légitimité de leur élection en tant que chef et conseiller, une action en dommages-intérêts pour violation du droit de propriété ne peut être intentée, ni en vertu de l’article 31 de la Loi sur les Indiens ni en vertu de l’alinéa 17(2)a) ou du paragraphe 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale.

 

 

 

[100]                   Dans cette affaire, cependant, la Couronne n’avait pas été désignée en tant que partie et la question de savoir qui avait droit à un certificat de possession sous le régime de la Loi sur les Indiens n’était pas en litige.

 

[101]                   À mon avis, les affaires qui précèdent étayent la conclusion que je suis compétente pour accorder des dommages-intérêts en l’espèce, parce que la majorité d’entre elles appuient cette conclusion et aussi parce que, en fonction des principes établis, cette conclusion découle de la décision que la Cour suprême a rendue dans l’affaire Roberts. À cet égard, les demandes de dommages-intérêts que M. Robertson a faites sont accessoires et découlent directement d’une conclusion selon laquelle M. Beauvais n’a pas le droit de posséder les parcelles 3-10 et 3‑8‑1. Autrement dit, contrairement à la situation dont il était question dans l’affaire Bande indienne de Lower Similkameen, je n’ai pas affaire à une demande indépendante pour violation du droit de propriété qui repose sur des principes du droit civil privé, mais plutôt à la question de décider quelles sont les mesures de réparation, outre une déclaration et une injonction, qui conviennent pour remédier à la possession illicite, par M. Beauvais, des parcelles. Le choix de la mesure de réparation propice n’est pas une question de compétence selon moi, parce que l’arrêt Roberts confère à la Cour une compétence ratione materiae sur les prétentions de possession illicite de terres dans une réserve indienne et, de ce fait, pleine autorité pour remédier aux situations de possession illicite. Bref, le jugement rendu dans l’arrêt Roberts ne se limite pas aux demandes de jugement déclaratoire et doit plutôt être interprété comme fondant la compétence de la Cour pour accorder toutes les mesures de réparation qui conviennent dans les cas où l’on a affaire à un différend portant sur un droit à des terres de réserve et où la Couronne est poursuivie.

 

[102]                   Conclure autrement imposerait aux demandeurs un fardeau injustifié en les obligeant à scinder leurs demandes s’ils décidaient d’invoquer la compétence incontestable de la Cour pour ce qui est d’accorder un jugement déclaratoire et une injonction dans des situations telles que la présente. Procéder ainsi exposerait également les défendeurs aux dépens d’une seconde action devant une cour supérieure provinciale et donnerait lieu à des instances dédoublées, des résultats qu’il y a lieu d’éviter dans toute la mesure du possible. Il y a donc des raisons de principe valables qui éclairent également la question de savoir si la Cour a compétence sur les demandes de dommages-intérêts comme celles que M. Robertson a formulées en l’espèce.

 

[103]                   Je conclus de ce fait que je suis bel et bien compétente pour accorder les dommages‑intérêts demandés. Le fait que, pour ce faire, je doive peut-être prendre en considération des principes du droit civil ou la Charte du Québec ne fait pas obstacle à cette conclusion. Dans l’arrêt ITO, la Cour suprême a conclu que la Cour fédérale peut appliquer le droit provincial dans les cas où la demande en litige, de par son caractère véritable, relève de la compétence de la Cour. Écrivant au nom des juges majoritaires, le juge McIntyre a conclu au paragraphe 34 :

La Cour fédérale est constituée pour la meilleure administration des lois du Canada. Elle n’est pas cependant restreinte à l’application du droit fédéral aux affaires dont elle est saisie. Lorsqu’une affaire relève, de par son « caractère véritable », de sa compétence légale, la Cour fédérale peut appliquer accessoirement le droit provincial nécessaire à la solution des points litigieux soumis par les parties : voir Kellogg Co. v. Kellogg, [1941] R.C.S. 242, un litige concernant des droits de brevet où la Cour fédérale était appelée à examiner l’effet d’un contrat de travail, et voir aussi l’arrêt McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, précité, où le juge en chef Laskin a proposé que le droit provincial de l’indemnité compensatoire soit appliqué par la Cour fédérale lorsque, par ailleurs, elle a compétence en vertu du droit fédéral.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

ii.         Quelles mesures de réparation faut-il accorder?

[104]                   Après avoir conclu que j’ai compétence pour ordonner les mesures de réparation demandées, j’examine maintenant les mesures de réparation qu’il convient d’accorder.

 

a)         Les arguments des parties

[105]                   Pour ce qui est des questions relatives aux mesures de réparation, l’avocat de M. Robertson fait valoir qu’en raison du simple fait que son client détient des certificats de possession pour les terrains et que le ministre n’en a pas délivré de nouveaux à M. Beauvais, il me faut conclure que M. Robertson a droit à toutes les mesures de réparation qu’il demande. Il se fonde à cet égard sur la décision Jones (Succession), dans lequel le juge MacKay a conclu que le demandeur avait droit à la possession de la terre de réserve dont il était question dans cette affaire parce que le ministre n’avait pas délivré un certificat de possession au défendeur, qui se fondait sur un document de transfert très semblable à ceux que M. Robertson a signés. Le juge MacKay a conclu qu’un document de transfert de terre n’impose au cédant une obligation légalement exécutoire que si le ministre a approuvé le transfert, en raison des exigences de l’article 24 de la Loi sur les Indiens. Cette disposition prévoit, notamment, qu’« aucun transfert ou accord en vue du transfert du droit à la possession de terres dans une réserve n’est valable tant qu’il n’est pas approuvé par le ministre ».

 

[106]                   Je conviens avec l’avocat de M. Robertson qu’un raison de l’article 24 de la Loi sur les Indiens, les documents de transfert de terre ne créent pas en soi d’obligations légalement exécutoires, mais je ne puis souscrire à son affirmation selon laquelle les certificats de possession que M. Robertson a reçus d’AADNC doivent forcément donner lieu à l’octroi des mesures de réparation qu’il souhaite obtenir. À cet égard, M. Boucher a déclaré que, n’eût été l’intervention de l’avocat de M. Robertson, le ministre aurait délivré à M. Beauvais des certificats de possession, en s’appuyant sur les documents de transfert que M. Robertson avait signés. Il ressort par ailleurs d’une lettre qu’AADNC a envoyée à l’avocat de M. Robertson que le ministre a confié à la Cour la tâche de décider si les documents de transfert étaient valides. Ce serait donc emprunter une voie tout à fait détournée que d’éviter de se prononcer sur les clauses du contrat conclu entre M. Beauvais et M. Robertson ainsi que sur la validité des documents de transfert en décrétant que M. Robertson a droit à la possession des terrains juste parce qu’il détient pour eux des certificats de possession. Il est plutôt nécessaire que je détermine quelles étaient les clauses de l’entente conclue entre ces deux hommes - ce que j’ai fait - et aussi l’effet des documents de transfert que M. Robertson a signés par erreur.

 

[107]                   Sur ce point, l’avocat des défendeurs fait valoir que M. Robertson ne peut invoquer l’erreur qu’il a commise en ne se rendant pas compte de l’importance des documents de transfert, parce qu’il est coupable d’une « erreur inexcusable ». Selon le Code civil du Québec, un tribunal peut annuler un contrat s’il conclut à l’absence du consentement d’une des parties contractantes pour cause d’« erreur, [de] crainte ou [de] lésion » et si l’erreur commise, qui porte sur la nature du contrat, sur l’objet de la prestation ou sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement, est importante (articles 1416, 1385, 1399 et 1400 du CCQ). Cependant, une « erreur inexcusable » ne peut constituer un vice de consentement aux termes de l’article 1400 du CCQ. Pour déterminer si une erreur est inexcusable ou pas, le tribunal doit tenir compte de toutes les circonstances de l’affaire et procéder à un examen in concreto de l’erreur. Les facteurs qu’il faut prendre en considération comprennent l’âge, l’état mental, l’intelligence et la situation professionnelle ou économique des parties (Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Baudoin et Jobin : Les obligations, 7e éd. (Cowansville, QC : Yvon Blais, 2013) à la page 328). La principale question que se posent les tribunaux est de savoir s’il y a eu une « négligence d’une certaine gravité » suffisante pour que l’on puisse qualifier l’erreur d’inexcusable (voir Morin-Légaré c Légaré, [2002] RJQ 2237 (CAQC), au paragraphe 58; Lépine c Khalid, [2004] RJQ 2415 (CAQC), au paragraphe 61).

 

[108]                   Le comportement du cocontractant entre aussi en ligne de compte pour ce qui est de déterminer si l’on peut qualifier une erreur d’inexcusable. S’il y a eu mauvaise foi de la part de l’une des parties (p. ex., en induisant en erreur l’autre partie ou en ne fournissant pas des renseignements requis), une erreur qui serait par ailleurs inexcusable (comme le fait de ne pas lire un contrat) peut être considérée comme excusable (Jobin, à la page 329).

 

[109]                   Le défaut de lire un contrat avant de le signer est habituellement considéré comme une erreur inexcusable, vu l’existence d’une obligation générale de s’informer avant de conclure un contrat (voir p. ex. Corporation First Capital (Carrefour Don Quichotte) inc c Massé, 2008 QCCS 4080, au paragraphe 62). Cependant, la non-lecture du contrat ne mène pas toujours à une conclusion d’erreur inexcusable, et les tribunaux doivent procéder à une analyse fondée sur le contexte, en tenant compte de facteurs tels que l’expérience de la personne qui a commis l’erreur et la relation qui existe entre les parties contractantes.

 

[110]                   Par exemple, dans Gingras Jacques Lajoie et Associés ltée c 9081-7263 Québec inc, [2003] JQ no 18944, au paragraphe 37, la Cour du Québec a fait remarquer que le demandeur était un jeune homme ayant peu d’expérience dans le domaine des affaires, qui avait noué de bonnes relations avec la partie défenderesse et qui lui faisait donc confiance. Il avait également posé des questions sur le contrat avant de le signer, mais il ne l’avait pas lu. La Cour a conclu que son erreur était excusable dans les circonstances. Dans la même veine à peu près, dans la décision Banque nationale du Canada c Marcoux, [1999] JQ no 174, la Cour supérieure du Québec a annulé le contrat pour cause d’erreur excusable, bien que la demanderesse ait omis de lire le contrat avant de le signer, citant sa confiance aveugle envers la banque, dont elle était cliente depuis nombre d’années.

 

[111]                   Dans le cas présent, je crois que le concept de l’erreur inexcusable ne s’applique pas, et ce, pour deux raisons.

 

[112]                   Premièrement, ce concept s’applique aux contrats, mais les documents de transfert de terre ne sont pas un contrat et ne sont pas assimilables à un acte. Il faut plutôt les considérer simplement comme une preuve d’une intention de transférer une terre. Comme il a été indiqué, ces documents n’ont aucune valeur juridique, ainsi qu’il a été conclu dans la décision Jones (Succession). C’est donc dire que les clauses du contrat conclu entre M. Robertson et M. Beauvais doivent être déterminées en fonction de ce dont ils ont convenu. Ici, comme je l’ai conclu, les clauses du contrat concernaient un prix d’achat de 350 000 $, ce qui implique que la terre n’aurait été transférée qu’après le paiement du prix d’achat. En conséquence, le fait que M. Robertson ait signé les documents de transfert sans les lire ne l’empêche pas d’obtenir réparation.

 

[113]                   Deuxièmement, même si le concept de l’erreur inexcusable s’appliquait, je ne suis pas d’accord pour dire, au vu de tous les faits pertinents, que l’erreur de M. Robertson est inexcusable. Au moment de la signature des documents de transfert, M. Robertson était âgé de 70 ans et il était vraisemblablement distrait à cause de la discussion concernant le droit de passage. Il a des problèmes de lecture. Même s’il exploitait antérieurement un garage et une entreprise de vente et d’achat d’automobiles d’occasion, c’était Mme Leduc qui s’occupait de la plupart des tâches administratives, et je n’ai en main aucun élément qui dénote que M. Robertson avait de grandes connaissances en affaires. En fait, ce que j’ai pu observer chez lui m’indique le contraire. De plus, compte tenu de mes conclusions de fait, il est évident que M. Beauvais cherche à tirer profit de l’erreur de M. Robertson et que ce dernier ne s’est pas vraiment rendu compte que les documents qu’il signait avaient censément pour objet de consigner son intention de transférer les parcelles à M. Beauvais. Au vu de ces faits, je crois que l’erreur de M. Robertson est excusable.

 

b)         Le jugement déclaratoire et l’injonction

[114]                   Après avoir analysé les arguments des parties sur les mesures de réparation, voyons maintenant celles que je devrais accorder. Pour ce qui est des déclarations demandées, je crois qu’une seule est nécessaire, soit une déclaration portant que M. Robertson a légitimement droit à la possession des parcelles 3-10 et 3-8-1. Comme nous l’avons déjà vu, compte tenu de cette conclusion, il est impossible que le ministre délivre des certificats de possession en faveur de M. Beauvais et il les a déjà délivrés en faveur de M. Robertson.

 

[115]                   Je crois aussi qu’il y a lieu de rendre une ordonnance impérative reconnaissant les droits de possession de M. Robertson mais, étant donné qu’un ou des locataires occupaient le garage à la date du procès et l’occupent vraisemblablement toujours, ce ou ces locataires devraient avoir la possibilité de négocier avec M. Robertson l’occupation des lieux. J’ordonnerai donc qu’à compter de la date du présent jugement, le ou les locataires actuels des parcelles 3-10 et 3-8-1 paieront un loyer à M. Robertson, plutôt qu’à M. Beauvais, et je laisserai à M. Robertson et au(x) locataire(s) actuel(s) le soin de décider si la location du garage se poursuivra, et à quelles conditions.

 

c)         Les dommages-intérêts compensatoires

[116]                   Pour ce qui est des dommages-intérêts compensatoires, M. Robertson réclame à M. Beauvais la perte de loyer, équivalant à 4 500 $ par mois, et ce, du 1er mai 2010 jusqu’à la date de jugement. Les éléments de preuve dont je dispose confirment l’existence de dommages de ce montant depuis le 1er mai 2010 jusqu’au début de 2011, quand M. Beauvais a cessé d’exploiter son entreprise de fabrication de cigarettes dans le garage, car le loyer qu’il payait antérieurement à M. Robertson était de 4 500 $ par mois. Aucune preuve n’a été produite quant à la date exacte de la dissolution de l’entreprise de fabrication de cigarettes, mais il ressort de la preuve que celle-ci a été exploitée du 1er mai 2010 jusqu’au 31 décembre 2010, soit une période de huit mois.

 

[117]                   Par conséquent, un montant de 36 000 $ pour cette période est approprié, sous réserve des rajustements dont il est question ci-après.

 

[118]                   Pour ce qui est de la période écoulée depuis janvier 2011, la preuve ne me permet pas de quantifier les dommages que M. Robertson a subis, car aucun élément de preuve n’a été produit quant au moment où le ou les locataires actuels ont commencé à louer les lieux. Il n’y a pas non plus de preuve du montant de loyer que ce ou ces locataires ont payé à M. Beauvais durant cette période, et rien ne permet de présumer qu’il s’agit de 4 500 $ par mois. De plus, M. Beauvais a déclaré qu’il a fait d’importantes améliorations au garage, qui lui ont coûté au moins 50 000 $. M. Robertson ne peut pas profiter de ces améliorations sans dédommager M. Beauvais. Enfin, il faut déduire des dommages la somme de 5 000 $ pour tenir compte du dépôt que, selon ma conclusion, M. Beauvais a payé à M. Robertson.

 

[119]                   Dans les circonstances, je crois que la manière la plus juste et la plus expéditive de conclure l’évaluation du montant des dommages-intérêts compensatoires serait de donner à M. Robertson et à M. Beauvais la possibilité de régler ce montant, conformément aux directives suivantes. Le montant devrait être égal à 31 000 $ plus le montant du loyer mensuel que le ou les locataires ont payé à M. Beauvais, le tout multiplié par 38,13 mois (la période écoulée entre le 1er janvier 2011 et la date du présent jugement), moins la valeur des améliorations que M. Beauvais a apportées. Si jamais M. Robertson et M. Beauvais ne parviennent pas à régler la question de ce montant, l’un ou l’autre pourra demander que l’affaire me soit renvoyée pour règlement par voie de renvoi aux termes de l’article 153 des Règles.

 

d)         Les dommages-intérêts moraux

[120]                   M. Robertson réclame ensuite des dommages-intérêts moraux à M. Beauvais et au Conseil, d’un montant de 50 000 $ chacun. De façon générale, ce type de dommages-intérêts est conçu pour compenser la perte non pécuniaire ou la douleur et la souffrance qu’un demandeur peut subir par suite de la faute d’un défendeur. Même si des dommages-intérêts moraux ont déjà été accordés pour rétention fautive d’un bien immobilier (voir p. ex. Beaulieu c Vaillancourt, EYB 2006-108100 (CSQC); Lee c Leung, 2010 QCCS 1538, EYB 2010-172586), il n’y a pas lieu selon moi d’accorder un montant quelconque en l’espèce, car M. Robertson n’a produit presque aucune preuve sur le préjudice moral dont il dit avoir souffert du fait d’avoir été privé du garage. À cet égard, aucune preuve médicale n’a été produite, et, dans le meilleur des cas, Mme Leduc et M. Robertson ont déclaré seulement que ce dernier a peut-être été un peu déprimé par la situation et que, en raison d’un manque de fonds, il n’a pas pu s’adonner à l’éventail complet des activités récréatives dont il jouissait auparavant. À mon avis, ce témoignage est loin d’établir le genre de préjudice qui est requis pour ouvrir droit à des dommages-intérêts moraux, et je n’accorderai donc pas de dommages-intérêts sous ce chef.

 

e)         Les dommages-intérêts exemplaires

[121]                   M. Robertson réclame finalement des dommages-intérêts exemplaires à M. Beauvais et au Conseil, d’un montant de 100 000 $ chacun. Il est possible d’accorder des dommages-intérêts punitifs en vertu de l’article 1621 du Code civil du Québec ou de l’article 49 de la Charte du Québec pour atteinte illicite ou intentionnelle à l’un des droits garantis par la Charte du Québec. Parmi ces derniers figure le droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, que consacre l’article 6 de la Charte du Québec.

 

[122]                   Comme j’ai conclu que le Conseil n’a manqué à aucune obligation fiduciaire qu’il doit à M. Robertson, aucun montant de dommages-intérêts exemplaires à l’encontre du Conseil n’est justifié.

 

[123]                   Pour ce qui est de la demande de dommages-intérêts exemplaires visant M. Beauvais, la jurisprudence interprétant l’article 49 de la Charte du Québec reconnaît qu’il y a lieu d’accorder de tels dommages-intérêts dans les cas où le défendeur saisit délibérément un bien et refuse de le restituer au demandeur (voir p. ex. Markarian c Marchés mondiaux CIBC inc, 2006 QCCS 3314; Investissements Historia inc c Gervais Harding et Ass inc, JE 2006-955 (QCCA); Pearl c Investissements Contempra ltée, [1995] RJQ 2697 (CS); Bilodeau c Dufort, REJB 2000-16738 (CS)).

 

[124]                   En l’espèce, M. Beauvais a conservé délibérément et illicitement la possession des parcelles 3-10 et 3-8-1, car, comme je l’ai conclu, il a refusé de payer à M. Robertson le prix d’achat convenu et de lui restituer la terre. Dans des affaires quelque peu semblables, des dommages‑intérêts d’un montant variant entre 3 000 $ et 10 000 $ ont été accordés (voir p. ex. Aubry c 3370160 Canada inc, JE 2001-908 (CQ); Ghaho c Germain, 2013 QCCS 2604; Paquin c Le Territoire des Lacs inc, REJB 2002-38037 (CS)).

 

[125]                   Je conclus que, dans la présente affaire, la somme de 5 000 $ est un montant approprié, compte tenu de la nature de la faute commise et des situations respectives de M. Beauvais et de M. Robertson.

 

f)          L’ordonnance d’exécution provisoire malgré l’appel

[126]                   Pour ce qui est de la demande d’une ordonnance d’exécution provisoire malgré l’appel aux termes de l’article 547 du CPC, cette disposition ne s’applique pas aux actions engagées devant la Cour fédérale, puisque les Règles traitent en détail de cette question. À cet égard, l’article 392 des Règles prévoit qu’une ordonnance prend effet au moment où elle est consignée et signée, à moins d’indication contraire, et l’article 398 des Règles régit le processus à suivre pour obtenir un sursis d’exécution à une ordonnance en attendant l’appel, ce qui oblige le défendeur à demander un sursis. Il n’y a donc aucun motif pour rendre l’ordonnance que sollicite M. Robertson au titre de cette disposition.

 

Les intérêts et les dépens

[127]                   Pour ce qui est, en dernier lieu, des questions relatives aux intérêts et aux dépens, dans sa plaidoirie finale, l’avocat de M. Robertson a demandé que la Cour ordonne le paiement d’intérêts sur les dommages-intérêts accordés. Cependant, il n’a pas fait une telle demande dans la déclaration, et je refuse donc d’accorder des intérêts.

 

[128]                   Quant aux dépens, ils suivront l’issue de la cause et, comme l’affaire a été d’une complexité moyenne, ils se situeront au milieu de la fourchette de la colonne III du tarif B des Règles. Par conséquent, en fonction de cette colonne du tarif, M. Beauvais devrait indemniser M. Robertson pour ses frais, et M. Robertson devra, à son tour, indemniser le conseil pour les siens. Rien ne justifie en l’espèce l’adjudication de dépens sur la base procureur-client.

 

[129]                   Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens, elles pourront déposer chacune des observations d’une longueur maximale de quinze pages sur la question, et ce, dans les trente jours suivant la date du jugement.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  Le demandeur a légalement droit à la possession des parcelles 3-10 et 3-8-1 qui sont situées dans la Réserve indienne de Kahnawake;

2.                  Le ou les locataires actuels (s’il y en a) des parcelles 3-10 et 3-8-1 qui sont situées dans la Réserve indienne de Kahnawake paieront au demandeur un loyer correspondant au taux actuel, et ce, jusqu’à ce que le demandeur et le ou les locataires actuels, s’ils le souhaitent, aient conclu une nouvelle entente;

3.                  Le demandeur et M. Beauvais tenteront de régler le montant des dommages-intérêts compensatoires que M. Beauvais doit au demandeur, conformément aux directives qui suivent : le montant sera égal à 31 000 $ plus un montant équivalant au loyer mensuel payé par le ou les locataires des parcelles 3-10 et 3-8-1 à M. Beauvais pendant 38,13 mois, moins la valeur des améliorations que M. Beauvais y a apportées. Si le demandeur et M. Beauvais ne parviennent pas à régler le montant des dommages‑intérêts compensatoires à payer, l’un ou l’autre pourra demander que l’affaire me soit renvoyée pour règlement par voie de renvoi en vertu de l’article 153 des Règles;

4.                  M. Beauvais paiera au demandeur des dommages-intérêts exemplaires d’un montant de 5 000 $;

5.                  M. Beauvais paiera les dépens du demandeur selon le milieu de la fourchette de la colonne III du tarif B des Règles, et le demandeur paiera les dépens du Conseil des Mohawks de Kahnawake selon le milieu de la fourchette de la colonne III du tarif B des Règles. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens, elles pourront déposer chacune des observations écrites d’une longueur maximale de quinze (15) pages sur la question, et ce, dans les trente (30) jours suivant la date du présent jugement.

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

 

T-1236-10

 

INTITULÉ :

CHARLES ROBERTSON c KYLE BEAUVAIS ET LE CONSEIL DES MOHAWKS DE KAHNAWAKE ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

 

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATES DE L’AUDIENCE :

 

LES 21, 22, 23, 24 ET 25 OCTOBRE 2013

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

 

LA JUGE GLEASON

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

 

LE 4 MARS 2014

 

COMPARUTIONS :

John Seymour Glazer

pour le demandeur

Joesph Elfassy

Frédérick Pinto

pour le défendeur,

KYLE BEAUVAIS

 

R. Alexandre Janin

 

pour le défendeur,

 LE CONSEIL DES MOHAWKS DE KAHNAWAKE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Seymour Glazer

Leithman et Glazer

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LE demandeur

 

Joseph Elfassy

Elfassy, Rose

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE défendeur,

KYLE BEAUVAIS

 

Alexandre Janin

Avocat

Gasco Goodhue St-Germain, SENCRL

Montréal (Québec)

POUR LE défendeur,

LE CONSEIL DES MOHAWKS DE KAHNAWAKE

 

 



[1] Aux termes de l’ancien alinéa 17(3)c) de la LCF, la Cour fédérale avait compétence exclusive. Selon l’actuel paragraphe 17(4) de la LCF, la Cour a compétence concurrente.

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