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Date : 20141204


Dossier : T-731-14

Référence : 2014 CF 1171

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 4 décembre 2014

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

DR PATRICK LUM ET DR P.K. LUM (2009) INC.

 

demandeurs

et

DR COBY CRAGG INC.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               En vertu des articles 57 et 58 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 (la Loi), le Dr Patrick Lum et Dr P.K. Lum (2009) Inc. (les demandeurs) sollicitent, par voie de procès sommaire conformément à l’article 213 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, une ordonnance prescrivant que la marque de commerce déposée de Dr Coby Cragg Inc. (la défenderesse) soit déclarée invalide et radiée du registre.

[2]               Le présent procès découle d’un différend entre le Dr Patrick Lum (le Dr Lum) et le Dr Coby Cragg (le Dr Cragg), qui sont tous les deux des dentistes qui exploitent leurs cabinets par l’intermédiaire de sociétés professionnelles (la demanderesse et la défenderesse dans la présente action) dans une région de South Surrey (Colombie‑Britannique) communément appelée « Ocean Park » (Ocean Park). Aux fins des présentes, les deux parties conviennent qu’Ocean Park est une région géographique de South Surrey et que leurs cabinets dentaires respectifs sont tous les deux exploités dans cette région.

[3]               Le cabinet dentaire du Dr Cragg est exploité sous le nom d’« Ocean Park Dental Centre », nom commercial enregistré auprès du College of Dental Surgeons of British Columbia (le Collège) depuis 1974, date à laquelle son père a ouvert le cabinet à Ocean Park. Le Dr Cragg a acheté le cabinet de son père en 2007, et a continué à pratiquer sous le même nom commercial.

[4]               En mars 2012, le Dr Lum a acquis un cabinet dentaire existant à Ocean Park, à moins d’un pâté de maisons du cabinet du Dr Cragg, qu’il a renommé « Ocean Park Dental Group ». Quand il a appris que le Dr Lum exploitait son cabinet dentaire sous un nom très semblable, le Dr Cragg a déposé une plainte en bonne et due forme auprès du Collège.

[5]               En juin 2012, le Dr Lum a déménagé son cabinet à environ deux pâtés de maisons de son emplacement précédent. À l’occasion du déménagement, et afin de répondre aux préoccupations du Dr Cragg, le Dr Lum a modifié le nom commercial de son cabinet d’« Ocean Park Dental Group » à « Ocean Park Village Dental ».

[6]               Le 3 octobre 2012, le Dr Cragg a déposé une demande d’enregistrement de marque de commerce pour la marque OCEAN PARK en liaison avec des services dentaires (la marque de commerce). Le 28 novembre 2013, l’Office de la propriété intellectuelle du Canada a octroyé la marque de commerce en vue de son emploi en liaison avec des « cliniques dentaires ».

[7]               En juillet 2013, par l’intermédiaire de son avocat, le Dr Lum a écrit au Collège pour indiquer qu’il allait modifier le nom de sa clinique pour « Village Dental » afin d’éviter tout autre conflit. Le Collège a approuvé le nom, tout comme le registre des entreprises de C.‑B. Le Dr Lum fait actuellement de la publicité et de l’affichage sous le nom commercial de « Village Dental in Ocean Park ».

[8]               Le 5 février 2014, la défenderesse a intenté contre les demandeurs une action pour usurpation de marque de commerce devant la Cour suprême de la Colombie‑Britannique. En réponse, les demandeurs ont présenté la présente requête en procès sommaire demandant à la Cour d’exercer sa compétence exclusive au titre du paragraphe 57(1) de la Loi pour radier la marque de commerce du registre au motif qu’elle n’est pas enregistrable selon l’alinéa 12(1)b) et que son enregistrement est invalide en vertu des alinéas 18(1)a) et b) de la Loi.

I.                   Dispositions législatives pertinentes

Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13

Marque de commerce enregistrable

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

[…]

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;

(2) Une marque de commerce qui n’est pas enregistrable en raison de l’alinéa (1)a) ou b) peut être enregistrée si elle a été employée au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenue distinctive à la date de la production d’une demande d’enregistrement la concernant.

[…]

Quand l’enregistrement est invalide

18. (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

a) la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement;

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de  l’enregistrement;

c) la marque de commerce a été abandonnée.

Sous réserve de l’article 17, l’enregistrement est invalide si l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant droit de l’obtenir.

Trade-marks Act, RSC 1985, c T-13

When trademark registrable

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

[…]

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

(2) A trade-mark that is not registrable by reason of paragraph (1)(a) or (b) is registrable if it has been so used in Canada by the applicant or his predecessor in title as to have become distinctive at the date of filing an application for its registration.

[…]

When registration invalid

18. (1) The registration of a trade-mark is invalid if

(a) the trade-mark was not registrable at the date of registration,

(b) the trade-mark is not distinctive at the

time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced, or

(c) the trade-mark has been abandoned,

and subject to section 17, it is invalid if the applicant for registration was not the person entitled to secure the registration.

 

II.                Questions en litige

[9]               Les demandeurs font valoir que l’enregistrement de la marque de commerce OCEAN PARK est invalide pour les deux motifs suivants :

1.      Selon l’alinéa 18(1)a), la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement parce qu’elle est visée par l’alinéa 12(1)b), qui interdit l’enregistrement d’une marque de commerce qui « donne une description claire » du « lieu d’origine » des services en liaison avec lesquels elle est employée.

  1. Selon l’alinéa 18(1)b), la marque de commerce n’était pas distinctive à l’époque où ont été entamées les présentes procédures, soit le 24 mars 2014.

III.             Analyse

A.                Alinéa 18(1)a) : non enregistrable à la date de l’enregistrement

[10]              Selon les demandeurs, la marque de commerce OCEAN PARK tombe clairement sous le coup de l’interdiction énoncée à l’alinéa 12(1)b) parce qu’il est admis que la marque de commerce donne une description claire de l’emplacement géographique des services dentaires de la défenderesse. Les demandeurs invoquent la décision Grand Hotel Company of Caledonia Springs Ltd c Wilson (1903), [1904] AC 103 (CP), où le Conseil privé a statué que les appelants n’avaient pas un droit monopolistique et exclusif d’employer le nom « Caledonia » en liaison avec la vente de leur eau de source, car cette eau provenait de sources voisines qui étaient devenues connues sous le nom de « Caledonia Springs » [sources de Caledonia].

[11]              Appliquant cet arrêt aux faits de l’espèce, les demandeurs soutiennent que la défenderesse ne devrait pas avoir un droit exclusif d’employer OCEAN PARK en liaison avec des services dentaires, car sa marque de commerce décrit le lieu précis où ces services sont exécutés.

[12]              La défenderesse, par contre, fait valoir que le simple fait que la marque de commerce est un nom géographique ne doit pas faire obstacle à son enregistrement en vertu de l’alinéa 12(1)b). Il faut plutôt procéder à une analyse en deux étapes. Pour avoir gain de cause sur la base de ce motif, les demandeurs doivent établir que : (i) la marque de commerce désigne un lieu, et (ii) le lieu est indissociable des services en question.

[13]              À l’appui de cette proposition, la défenderesse invoque la décision Great Lakes Hotels Ltd c Noshery Ltd (1968), 56 CPR 165 (C de l’É), où le juge Cattanach s’est demandé si la marque de commerce PENTHOUSE donnait une description claire du lieu d’origine de certains produits alimentaires et services de restaurant. Ce faisant, il a cité le paragraphe 30 suivant :

[traduction] L’interdiction énoncée à l’alinéa 12(1)b) vise le mot qui indique le lieu d’origine des services ou des marchandises. De toute évidence, pour qu’il ne puisse être enregistré à titre de marque de commerce, le mot doit dénoter une certaine forme de rapport entre les marchandises et le lieu. Pour être invalide, il doit avoir été rattaché à un article par la personne qui fait le commerce de telles marchandises en vue de tirer profit d’un lien bien connu et généralement reconnu de l’article avec la localité. Les exemples sont fréquents : « Florida » en association avec les oranges, « Ceylon, Chine ou Dargeeling », en association avec le thé, entre autres nombreuses importations semblables. Le nom d’un établissement commercial ou d’une usine ne constitue pas nécessairement la description d’un lieu d’origine des marchandises ou des services à moins que ce nom ne soit indissociable de ces marchandises ou services.

[Non souligné dans l’original.]

[14]           J’accepte la position de la défenderesse selon laquelle il faut procéder à une analyse en deux étapes pour établir qu’une marque de commerce n’est pas enregistrable parce qu’elle donne une description claire du lieu d’origine des services en question. Dans l’application de cette analyse à la présente espèce, il incombe aux demandeurs de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que : (i) Ocean Park est un lieu, et (ii) Ocean Park est indissociable des services dentaires.

[15]           À l’audience, l’avocat de la défenderesse a admis qu’Ocean Park est un emplacement géographique aux fins de la présente affaire. Le premier volet du critère est donc rempli. Quant au deuxième volet du critère, l’avocat de la défenderesse soutient que les demandeurs doivent prouver qu’une personne raisonnable associerait le lieu Ocean Park avec des services dentaires.

[16]           L’avocat de la défenderesse a également présenté une autre façon de satisfaire au deuxième volet du critère. Si quelqu’un disait [traduction] « Je suis allé à Ocean Park aujourd’hui », une personne raisonnable se dirait naturellement [traduction] « Il doit y être allé pour faire nettoyer ses dents ».

[17]           Les demandeurs n’ont fourni aucune preuve leur permettant de s’acquitter de leur fardeau de preuve. Le dossier ne contient aucun élément de preuve indiquant que lorsqu’une personne entend le mot « Ocean Park », elle pense automatiquement à aller chez le dentiste. L’argument visant à faire radier l’enregistrement de la marque de commerce en vertu de l’alinéa 18(1)a) n’est donc pas retenu.

B.                 Alinéa 18(1)b) : non distinctive à l’époque où ont été entamées les présentes procédures

[18]           Bien que les demandeurs n’aient pas eu gain de cause quant à l’argument fondé sur l’alinéa 18(1)a), un argument fondé sur l’alinéa 18(1)b) doit également être examiné. Les demandeurs font valoir que, selon cette disposition, parce qu’Ocean Park est un terme géographique, il ne distingue pas à première vue les services de la défenderesse de ceux des autres dentistes à Ocean Park.

[19]           J’estime que le dossier ne contient aucun élément de preuve étayant cet élément de l’argument. L’absence de caractère distinctif nécessite une preuve : il n’y en a aucune.

[20]           Par conséquent, la demande des demandeurs visant à faire radier du registre l’enregistrement de la marque de commerce de la défenderesse en vertu de l’alinéa 18(1)b) est également rejetée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la défenderesse obtienne gain de cause dans le présent procès sommaire. J’adjuge donc les dépens à la défenderesse.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-731-14

 

INTITULÉ :

DR PATRICK LUM ET DR P.K. LUM (2009) INC. c. DR COBY CRAGG INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

vancouver (colOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 NOVEMBRE 2014

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :

LE 4 DÉCEMBRE 2014

COMPARUTIONS :

Edward G. Wong

POUR LES DEMANDEURS

Christopher D. Martin

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edward G. Wong Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

Lindsay Kenney, s.r.l.

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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