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Date : 20141212


Dossier : IMM-4111-13

Référence : 2014 CF 1197

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2014

En présence de monsieur le juge Rennie

ENTRE :

RUSLAN ISANGULOV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande de protection présentée par M. Isangulov en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). Le demandeur demande maintenant le contrôle judiciaire de cette décision en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR. Il réclame aussi des dépens.  

I.                   Contexte

[2]               Le demandeur est un citoyen de Russie qui est arrivé au Canada le 15 mars 2013. Il a immédiatement demandé l’asile, alléguant qu’un groupe néofasciste appelé l’Unité nationale (Russkoyé natsional'noyé edinstvo – RNE) le persécutait parce qu’il est membre de la minorité ethnique des Tatars et que son père milite pour les droits de la personne. Plus précisément, il a fait valoir ceci à la Commission :

a.              Les néofascistes ont à deux reprises essayé de tuer son père en raison de sa lutte pour les droits de la personne et ils se sont aussi attaqués à sa famille. Le 12 août 2011, des hommes associés à un dirigeant néofasciste notoire ont essayé de droguer et de kidnapper le demandeur pour exercer de la pression sur son père.

b.             Le 10 décembre 2011, les néofascistes surveillaient son appartement. Le demandeur a par la suite vu deux de ces néofascistes fuir la scène d’une attaque à l’arme blanche. Pendant qu’il venait en aide à la victime, il a été attaqué par derrière et s’est vu infliger des blessures qui ont mis sa vie en danger et pour lesquelles il a dû subir une chirurgie. Son cousin, avec qui il habitait, a également été attaqué lorsqu’il a voulu aider la victime. Le policier chargé de l’enquête a persuadé le demandeur de se rétracter et a qualifié les agresseurs de [traduction] « patriotes de la Fédération de Russie ».

c.              Le 18 décembre 2012, son cousin a été assassiné par des néofascistes qui croyaient s’en prendre au demandeur. La police n’a pas fait d’enquête sérieuse.  

II.                Décision contestée

[3]               Pour les motifs énoncés le 30 mai 2013, la Commission a rejeté la demande du demandeur.  

[4]               La Commission n’a pas cru que le demandeur éprouvait la crainte subjective requise. Le demandeur avait passé 9 jours en Europe en septembre 2012, mais il n’en a pas profité pour demander l’asile. Et même s’il avait été attaqué et failli être kidnappé comme il l’a prétendu par des hommes qui connaissaient son domicile, il a continué de vivre à la même adresse jusqu’en décembre 2012. De plus, le récit verbal que le demandeur a fait de l’agression qu’il a subie en décembre 2011 différait de son exposé circonstancié, et la Commission n’a pas accepté l’argument selon lequel que les divergences étaient attribuables à sa nervosité. La Commission a par conséquent conclu que le demandeur n’était pas crédible.

[5]               La Commission a également estimé que la preuve documentaire ne suffisait pas à elle seule à établir la véracité des prétentions du demandeur. Le demandeur avait produit une copie d’un rapport de police pour prouver que la police n’avait aucunement donné suite à sa plainte, mais la Commission a estimé que ce rapport prouvait justement le contraire, puisqu’il y était indiqué que la plainte méritait de faire l’objet d’une enquête. Quoi qu’il en soit, la Commission n’a donné que peu de poids au rapport étant donné qu’il n’y était pas précisé la plainte dont il s’agissait. Le demandeur a également produit une copie de son formulaire de plainte, mais la Commission ne l’a pas considéré comme valable. Dans sa plainte, le demandeur n’avait fait qu’une description physique de ses agresseurs, alors que dans l’exposé qui établit le fondement de sa demande, il avait déclaré qu’il en connaissait deux par leur nom. La Commission a jugé peu probable que le demandeur ait omis de fournir cette information dans sa plainte et n’a ainsi donné au document que peu de poids. Seul le témoignage du demandeur a permis d’associer cette plainte à une ordonnance d’expulsion datée de plusieurs mois plus tard. Comme la Commission a jugé que le demandeur n’était pas crédible, ce document n’était pas pertinent.

[6]               La Commission a également donné peu d’importance aux rapports médicaux selon lesquels le demandeur avait subi [traduction] « un traumatisme crânien grave », étant donné que ces rapports n’indiquaient pas la cause de la blessure. Pour ce même motif, la Commission n’a pas accordé d’importance au certificat de décès du cousin du demandeur.

[7]               La Commission a autorisé le demandeur à produire des documents après avoir entendu son témoignage sur son père et la RNE. Le demandeur a profité de cette occasion, mais la Commission a rejeté certains de ces documents qu’elle a jugés mal traduits ou qui lui ont été présentés hors du délai permis pour la production tardive. La Commission a toutefois admis que le père du demandeur était un défenseur des droits de la personne en 2013 et que la RNE existait bel et bien. Néanmoins, considérant que cela ne prouvait pas que les événements décrits par le demandeur s’étaient effectivement produits, elle a rejeté cet élément de sa demande.

[8]               Par conséquent, il ne restait plus que l’argument fondé sur l’origine tatare du demandeur. La Commission a estimé que rien dans le cartable national de documentation ne permettait de croire que les Tatars risquaient d’être persécutés et, d’après la Réponse à la demande d’information sur la RNE obtenue en 2004, les membres de cette organisation « appuient la position des Russes, des Tatars et des Kazakhs et ils sont hostiles à l'endroit des immigrants et des gens du Caucase ». Par ailleurs, il y était noté que les actes de violence à caractère raciste diminuaient en Russie. Même si 19 personnes avaient été tuées et 177 autres battues ou blessées en 2012, ces statistiques font état d’actes de violence perpétrés contre chacun des groupes minoritaires d’une population de plus de 142 millions. La SPR n’a donc pas cru que le demandeur serait exposé dans l’avenir à plus qu’une simple possibilité de persécution en raison de son origine ethnique.

[9]               La Commission a donc rejeté la demande d’asile du demandeur en qualité de réfugié au sens de la Convention en vertu de l’article 96 de la LIPR. Comme le fardeau de prouver le risque en vertu du paragraphe 97(1) aurait été plus lourd encore, la Commission a rejeté la demande sans aller plus loin dans son analyse.

III.             Questions à trancher

[10]           Le demandeur a cerné trois questions dans son mémoire des faits et du droit :  

a.              le commissaire a fait erreur dans son interprétation et son application de la définition d’un réfugié au sens de la Convention;

b.             le commissaire a commis une erreur de droit car il a écarté ou mal interprété des éléments de preuve ou mal appliqué les critères juridiques;

c.              le commissaire a commis une erreur de droit en fondant sa décision sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance.

IV.             Analyse

A.                La norme de contrôle applicable

[11]           Comme le demandeur conteste les conclusions de fait de la Commission ainsi que la façon dont celle-ci a traité les éléments de preuve, la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 46, [2009] 1 RCS 339; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, [2008] 1 RCS 190). Cette même norme s’applique à l’appréciation qu’a faite la Commission des motifs de la plainte, étant donné qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 53).

[12]           Par conséquent, il y aurait lieu de faire preuve de retenue à l’égard de la décision de la Commission si « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708).

B.                 Les conclusions de fait de la SPR étaient‑elles déraisonnables?

[13]           Le demandeur conteste les conclusions tirées par la Commission quant à sa crédibilité. À cet égard, la juge Mary Gleason a fait observer que « le rôle de la Cour est très limité, étant donné que le tribunal a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve » (Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 42). Néanmoins, les conclusions du tribunal ne sont pas à l’abri d’un contrôle, et l’intervention de la cour de révision peut être justifiée si la Commission fait une interprétation erronée de la preuve (Madelat c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1991] ACF n49, au paragraphe 1 (CA); Owusu-Ansah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1989] ACF no 442, aux paragraphes 11 et 12 (CA)).

[14]           Des erreurs ont été commisses en l’espèce à l’égard d’un élément de preuve d’importance critique ce qui, selon moi, rend la décision déraisonnable. La Commission a conclu que le demandeur n’était pas crédible parce qu’il n’a pas rapporté la cause de ses blessures lorsqu’il a été admis à l’hôpital. Le rapport médical indique cependant la cause de la blessure : le demandeur a été admis à l’hôpital parce qu’il avait [traduction] « subi des blessures corporelles et un hématome au cerveau après avoir été frappé par un objet dur sur le côté droit de la base du crâne durant une bataille ». Le rapport médical a été examiné lors du témoignage du demandeur.

[15]           L’appréciation de la crédibilité découle souvent de multiples conclusions, comme en l’espèce. Normalement, une conclusion déraisonnable tirée à l’égard d’un élément de la preuve ne rendrait pas une décision déraisonnable. La Commission a rejeté la demande au motif que [traduction] « ces événements ne s’étaient pas produits ». En l’espèce, vu l’importance que le demandeur a accordée à l’événement dans son exposé, et vu les répercussions de la conclusion qu’a tirée la Commission en se fondant sur les autres éléments de preuve et selon laquelle cet événement ne s’était pas produit, la décision ne peut être maintenue.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1)                 la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2)                 aucune question n’est à certifier;

3)                 aucuns dépens ne sont adjugés; les exigences prévues à l’article 22 n’ont pas été remplies.

"Donald J. Rennie"

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4111-13

INTITULÉ :

RUSLAN ISANGULOV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 NOVEMBRE 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RENNIE

DATE DES MOTIFS :

LE 12 DÉCEMBRE 2014

COMPARUTIONS :

Kirk Cooper

POUR LE DEMANDEUR

Nicole Paduraru

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :  

Rodney L. H. Woolf

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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