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Date : 20141218


Dossier : IMM-4841-13

Référence : 2014 CF 1238

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2014

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

ASMEETA BURRA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le 26 mars 2013, une agente d’immigration (l’agente) du haut‑commissariat du Canada à Pretoria, en Afrique du Sud, a rejeté la demande présentée par la demanderesse, Asmeeta Burra, en vue de l’obtention de la résidence permanente au Canada, parce que l’agente a conclu que le fils de la demanderesse était interdit de territoire pour motifs sanitaires, au titre du paragraphe 11(1) et des alinéas 38(1)c) et 42a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

Le contexte factuel

[2]               La demanderesse, un médecin, et son époux, un architecte, sont des citoyens de l’Afrique du Sud. La demanderesse a présenté une demande d’immigration au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) avec son époux et ses trois garçons. Au moyen d’une lettre datée du 20 août 2012, à laquelle il est fait référence comme étant la lettre relative à l’équité procédurale, l’agente a avisé la demanderesse qu’elle était interdite de territoire pour motifs sanitaires, parce que son benjamin, Diyav, avait reçu un diagnostic de trouble du spectre autistique (TSA), un état de santé qui risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au Canada.

[3]               Comme la demanderesse avait indiqué dans sa demande que sa famille avait l’intention de s’installer en Colombie‑Britannique, il ressortait de la lettre relative à l’équité procédurale qu’il était vraisemblable que les besoins en matière d’éducation spécialisée de son fils correspondraient au niveau 2 des besoins de l’étudiant unique, au sens du système de répartition du financement établi par le ministère de l’Éducation en Colombie‑Britannique, ce qui coûterait environ 16 000 $ par année (sur la foi des prévisions de 2005‑2006). Ainsi, le coût serait d’au moins 80 000 $ pendant cinq ans et irait jusqu’à 160 000 $ pendant 10 ans.

[4]               Il ressortait aussi de la lettre relative à l’équité procédurale que la demanderesse avait l’occasion de présenter des observations supplémentaires. Selon la lettre :

[traduction]

Avant que je rende une décision définitive, vous avez la possibilité de présenter des renseignements supplémentaires visant un ou plusieurs des points suivants :

•     l’état de santé diagnostiqué;

•     les services sociaux nécessaires au Canada pour la période déjà mentionnée;

•     votre plan personnalisé visant à garantir qu’aucun fardeau excessif ne sera entraîné pour les services sociaux au Canada pendant toute la période précisée ci-dessus, ainsi que votre Déclaration de capacité et d’intention signée.

[…]

Afin de prouver que le membre de votre famille n’entraînera pas un fardeau excessif pour les services sociaux en cas d’autorisation à immigrer au Canada, vous devez établir la preuve, à la satisfaction de l’agent d’évaluation, que vous disposez d’un plan raisonnable et viable, ainsi que des moyens financiers, et que avez l’intention de mettre ce plan en œuvre, afin de compenser le fardeau excessif qu’autrement vous entraîneriez pour les services sociaux après avoir immigré au Canada.

[5]               Dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, datée du 18 octobre 2012, la demanderesse a affirmé que le programme de facilitation de son fils est géré à l’heure actuelle en Afrique du Sud par le Centre de l’autisme et des troubles connexes (CATC). Il s’agit d’un programme de sensibilisation selon lequel il reçoit des visites tous les trois mois, il y a aussi des communications hebdomadaires par Skype avec ses facilitateurs locaux et les gestionnaires de programme, et la lettre la plus récente du CATC confirmait que Diyav était l’enfant qui progressait le plus rapidement dans son groupe d’âge. La demanderesse déclare que les besoins de son fils étaient déjà beaucoup moins importants que ceux des enfants qui avaient des besoins spéciaux et que, par conséquent, il n’aurait pas besoin de soins supplémentaires. Elle a déclaré que son fils avait toujours fréquenté des écoles publiques et que si la facilitation de ses progrès par le CATC devenait nécessaire au Canada, alors elle continuerait à en assumer le coût. La demanderesse a contesté le fait que son fils aurait besoin d’aide pendant une période de 10 ans, étant donné que selon son rythme de progression actuel, il y avait de fortes probabilités qu’il n’ait ni besoin de facilitation spécialisée ni de thérapie pendant une période de 10 ans.

[6]               La demanderesse a aussi déclaré que son époux avait visité des écoles et des centres de soins de Vancouver qui s’occupent d’enfants comme le sien, et a été enchantée d’apprendre que l’objectif du système d’éducation de la Colombie‑Britannique était d’intégrer les enfants qui avaient des profils de santé similaires dès que les circonstances le permettent. Elle a déclaré que : [traduction] « Nous avons l’intention de continuer à assumer à nos frais, le coût du système de gestion des retards de développement chez l’enfant de la Colombie‑Britannique et, ce faisant, nous allons considérablement diminuer la dépendance de Diyav au programme de facilitation spécialisée et à la thérapie ». Si les progrès de Diyav ne satisfaisaient pas aux étapes prévues, alors son époux et elle ne prévoyaient aucune difficulté à financer les besoins de Diyav, à partir de leurs ressources actuelles et prévues. Elle a estimé ce coût à 18 300 $ par an, ce qui représenterait environ 12 p.100 de leur revenu total annuel prévu, sur la foi des données estimatives obtenues en ligne des salaires annuels pour les architectes et les médecins généralistes au Canada. La demanderesse a en outre déclaré qu’ils prévoyaient arriver au Canada avec une somme minimale de 32 000 $, comme cela a été établi dès le début de leur demande, ce qui permettrait d’assumer leurs besoins pendant au moins deux ans et couvrirait toute dépense supplémentaire liée aux besoins en santé de leur fils.

[7]               Le 26 mars 2013, l’agente a informé la demanderesse que sa demande de résidence permanente était rejetée. L’agente a relevé que la réponse de la demanderesse à la lettre relative à l’équité procédurale avait été examinée, mais n’avait pas permis de modifier l’évaluation quant à l’état de santé de son fils. Dans les motifs des Notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (les notes du STIDI), l’agente a déclaré qu’elle a examiné l’évaluation médicale reçue du médecin, ainsi que les documents présentés par la demanderesse en réponse. Toutefois, bien que la demanderesse ait déclaré que son époux et elle seraient responsables de tous les frais requis pour les besoins spéciaux en éducation, ils n’ont pas :

[traduction]

[…] présenté de preuve à jour de leurs fonds ni de preuve de leur capacité de fournir ces fonds. Aussi, même s’ils disposaient des fonds nécessaires, en Colombie‑Britannique, leur province de destination, le financement des besoins spéciaux en éducation de leur enfant serait offert par le ministère de l’Éducation jusqu’à l’âge de 19 ans. Je souscris donc à l’évaluation du médecin agréé selon laquelle l’état de santé du fils risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada […]

Les questions en litige

[8]               Dans la présente demande, les questions en litige sont les suivantes :

1.      La lettre relative à l’équité procédurale respectait‑elle les principes d’équité procédurale?

2.      L’agente a‑t‑elle entrepris une évaluation individualisée?

3.      La décision de l’agent était-elle raisonnable?

La norme de contrôle

[9]               Les questions d’équité procédurale et de justice naturelle telles que la question de savoir si la demanderesse a eu une occasion équitable de connaître la preuve qui pesait contre elle sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79). Au paragraphe 56 de l’arrêt Hilewitz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 57 (Hilewitz), la Cour suprême du Canada a déclaré que les évaluations médicales doivent être entreprises de manière individuelle et la Cour a décidé que la question de savoir si une évaluation médicale entreprise était suffisamment individualisée est aussi susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Sapru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 35, aux paragraphes 25 et 26 (Sapru); Banik c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 777, au paragraphe 20 (Banik)). En ce qui concerne les questions soumises au contrôle selon la norme de la décision correcte, il appartient à la Cour d’entreprendre sa propre analyse et de fournir des réponses juridiques, et aucune déférence n’est due au décideur (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 50 (Dunsmuir)). Par conséquent, les deux premières questions en litige seront tranchées selon la norme de la décision correcte.

[10]           La norme de contrôle applicable aux conclusions relatives aux questions mixtes de fait et de droit tirées par un agent, y compris les conclusions relatives à l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires, est celle de la décision raisonnable (Banik, précitée, au paragraphe 18). Lorsqu’elle contrôle le fond de la décision rendue par un décideur administratif, en l’espèce l’agente, la Cour se demande si la décision « tient principalement à la justification […], à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

Première question : la lettre relative à l’équité procédurale respectait‑elle les principes d’équité procédurale?

Les observations de la demanderesse

[11]           La demanderesse soutient que la décision de l’agente était inéquitable sur le plan procédural. Elle affirme qu’une personne raisonnable, qui n’est pas représentée par un avocat, ne comprendrait pas, à partir du formulaire type de lettre relative à l’équité procédurale qu’elle ne pouvait simplement pas produire de preuve qu’elle assumerait les coûts des services soulignés dans la lettre. Certes, on lui a dit que l’éducation de son fils coûterait 16 000 $ par année et que ce coût était excessif, mais on ne lui a pas dit qu’elle n’était pas en mesure d’assumer le coût de l’éducation publique. Bien que l’agente était à la recherche de renseignements sur l’offre d’écoles privées en Colombie‑Britannique, cela ne ressortait pas de façon évidente de la lettre relative à l’équité procédurale. Au contraire, la lettre était centrée sur le coût de l’éducation spécialisée, et c’est cet aspect des préoccupations de l’agente que les observations de la demanderesse visaient. La demanderesse ne savait pas que le gouvernement de la Colombie‑Britannique ne pouvait pas être directement remboursé pour les coûts des services en éducation et elle aurait produit des renseignements plus concrets sur les accords avec les écoles privées si elle avait su qu’un tel plan était nécessaire. Par conséquent, on a nié à la demanderesse une véritable possibilité de répondre aux préoccupations de l’agente.

Les observations du défendeur

[12]           Le défendeur reconnaît l’exigence formulée au paragraphe 31 de l’arrêt Sapru, précité, qu’il est nécessaire que la lettre relative à l’équité procédurale explique clairement toutes les préoccupations pertinentes et offre une véritable possibilité de répondre aux préoccupations du médecin, mais le défendeur soutient que ce critère a été rempli dans les circonstances de la présente affaire. La lettre relative à l’équité procédurale ressemblait à la lettre examinée dans l’arrêt Sapru, laquelle avait été jugée suffisante, étant donné que les deux lettres avisaient les demandeurs : (i) des préoccupations de l’agent relativement à l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires en raison du caractère vraisemblable du fardeau excessif pour les services sociaux, (ii) des particularités de l’état de santé et des services sociaux susceptibles d’être requis en raison de cet état de santé, (iii) d’une invitation à produire des renseignements supplémentaires relatifs à l’état de santé et un plan individualisé pour garantir que les services sociaux canadiens n’auraient pas à assumer un fardeau excessif.

[13]           Le défendeur soutient que rien n’oblige un agent à aviser un demandeur pouvant être interdit de territoire de la façon d’améliorer sa demande après que celui‑ci eut reçu une lettre relative à l’équité procédurale (Banik, précitée, aux paragraphes 70 et 75).

Analyse

[14]           Dans l’arrêt Sapru, précité, la juge Dawson de la Cour d’appel fédérale a établi ce que doit contenir la lettre relative à l’équité procédurale visant une interdiction de territoire pour motifs sanitaires. Bien qu’elle ait convenu avec le juge chargé du contrôle judiciaire que l’agent n’a aucune obligation d’obtenir des renseignements d’un demandeur, la juge Dawson a déclaré ce qui suit :

[31]      À mon avis, le juge avait raison, pour les motifs qu’il a exposés. J’ajouterais toutefois une mise en garde. La conclusion du juge tenait pour acquis que la lettre d’équité donnait au demandeur une « possibilité équitable » de répondre à toutes les préoccupations du médecin. Pour ce faire, il est nécessaire que la lettre d’équité explique clairement toutes les préoccupations pertinentes pour que le demandeur sache ce qu’il a à démontrer et qu’il ait une véritable possibilité d’y répondre utilement.

[15]           Le contexte factuel de la présente affaire et l’observation de la demanderesse selon laquelle elle a été privée de l’équité procédurale sont très semblables à ceux de la décision Banik, précitée. Comme en l’espèce, l’enfant mineur du demandeur dans la décision Banik avait reçu un diagnostic de TSA. La lettre relative à l’équité procédurale délivrée invitait le demandeur à fournir des renseignements supplémentaires, y compris des renseignements sur l’utilisation par celui‑ci des services sociaux au Canada pendant les cinq prochaines années et un plan individualisé que pour cette utilisation n’entraîne pas un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada. Selon la lettre, le demandeur devait avoir un plan raisonnable et réaliste, ainsi que les ressources financières et la volonté pour le mettre à exécution.

[16]           Lorsque sa demande de résidence permanente a été rejetée, le demandeur a prétendu qu’il incombait à l’agent de l’informer des lacunes dans son plan, car il ne savait pas que la famille ne pouvait pas assumer les coûts des études dans le Conseil scolaire d’Ottawa-Carleton, et par conséquent, il n’a pas présenté d’observations ni fait de recherches sur l’offre d’écoles privées dans la région.

[17]           Le juge Russell a conclu qu’il incombait au demandeur d’établir qu’il existait un plan réaliste et individualisé afin d’assurer qu’aucun fardeau excessif ne serait entraîné pour les services sociaux au Canada, et la lettre relative à l’équité procédurale dont il ressortait clairement que le demandeur devait décrire [traduction« les services sociaux nécessaires au Canada » était suffisante pour donner au demandeur une véritable possibilité de répondre :

[72]      Pourtant, la lettre d’équité procédurale demandait clairement au demandeur de décrire [traduction] « les services sociaux nécessaires au Canada pour la période indiquée plus haut » et de fournir [traduction] « un plan individualisé pour faire en sorte qu’aucun fardeau excessif ne pèse sur les services sociaux du Canada pour toute la période indiquée plus haut, et votre Déclaration de capacité et d’intention signée. »

[73]      Par conséquent, je ne crois pas que la lettre d’équité ait induit le demandeur en erreur en quelque façon que ce soit quant à l’information à produire. Le demandeur reconnaît maintenant que son défaut de mener des recherches sur l’école privée et les coûts s’y rapportant était une erreur de sa part étant donné qu’il n’avait pas compris que sa famille ne pouvait pas payer l’enseignement fourni par le conseil scolaire d’Ottawa‑Carleton. Je reconnais que le demandeur a fait de son mieux pour aborder les préoccupations soulevées dans la lettre d’équité procédurale, mais il était représenté par un conseiller en immigration, et toute erreur commise par lui ou par son conseiller ne peut pas maintenant être écartée.

[18]           La Cour dispose de peu d’éléments pour distinguer la décision Banik, précitée, de la présente affaire. Toutefois, la demanderesse souligne que dans la décision Banik, le demandeur était représenté par un avocat. En l’espèce, bien que la demanderesse eût recours aux services d’un avocat lorsqu’elle a préparé la demande, elle affirme cependant qu’elle ne l’a pas fait lorsqu’elle a préparé la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. La décision de recourir aux services d’un avocat lui appartenait et ne peut pas constituer le fondement d’un argument qui mène à une conclusion de manquement à l’équité procédurale (Balasingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1368, aux paragraphes 50 et 51).

[19]           La demanderesse invoque aussi les paragraphes 33 à 36 de la décision Sinnathamby c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1421, comme fondement à l’argument que l’équité procédurale exige qu’on fournisse des lettres de suivi relatives à l’équité procédurale dans les cas où il est évident que le demandeur n’a pas compris la nature des renseignements demandés. La Cour fait remarquer que la décision Sinnathamby est antérieure à la décision Banik, cette dernière étant sur le plan des faits très semblable à l’affaire dont la Cour est saisie, mais elle n’a pas adopté une telle approche. En outre, il ne ressort pas des motifs du juge Mandamin que cette seconde lettre était requise, le juge relève simplement qu’une lettre avait été envoyée.

[20]           En l’espèce, la lettre relative à l’équité procédurale du 20 août 2012 avisait la demanderesse que : [traduction« il est raisonnable de supposer qu’une éducation spécialisée sera vraisemblablement requise tout au long de ses années d’études. Cette éducation spécialisée est coûteuse et financée par des fonds publics ». Selon la lettre, il fallait présenter des observations sur : [traduction] « votre plan personnalisé visant à garantir qu’aucun fardeau excessif ne sera entraîné pour les services sociaux au Canada pendant toute la période précisée ci-dessus, ainsi que votre Déclaration de capacité et d’intention signée ». La déclaration signée par la demanderesse accusait réception d’une lettre dans laquelle étaient énumérés tous les services sociaux requis en lien à l’état de santé de son fils et selon laquelle la demanderesse comprenait que sa demande pouvait être rejetée à moins qu’elle ne fournisse un plan crédible visant à s’assurer que son enfant à charge ne risquait pas d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada. Il ressortait de la lettre que la demanderesse produisait avec la déclaration, les détails du plan qu’elle avait l’intention de mettre en place au Canada et que :

[traduction]

Je déclare par la présente que j’assumerai la responsabilité d’organiser la prestation des services sociaux nécessaires au Canada et que je joins un plan détaillé sur la manière dont ces services seront fournis. Je joins également les documents financiers adéquats qui donnent une image fidèle de ma situation financière pendant toute la durée de la prestation des services requis.

[21]           Il ressortait de la lettre relative à l’équité procédurale que l’éducation spécialisée est chère, financée par des fonds publics et nécessite un plan individualisé visant à assurer qu’aucun fardeau excessif n’en découlera. La lettre faisait connaître à la demanderesse les préoccupations de l’agente et il en ressortait que :

[traduction]

Afin de prouver que le membre de votre famille n’entraînera pas un fardeau excessif pour les services sociaux si vous êtes autorisée à immigrer au Canada, vous devez établir la preuve, à la satisfaction de l’agent d’évaluation, que vous disposez d’un plan raisonnable et viable, ainsi que des moyens financiers et l’intention de mettre ce plan en œuvre, afin de compenser le fardeau excessif qu’autrement vous entraîneriez pour les services sociaux après avoir immigré au Canada.

[22]           Selon la Cour, la lettre relative à l’équité procédurale énonçait clairement toutes les préoccupations importantes. Il en ressortait que les services sociaux sont financés par des fonds publics et l’exigence d’un plan individualisé était énoncée comme étant un élément de plus quant à la preuve des moyens financiers pour le mettre en œuvre. Certes, il ne ressortait pas de la lettre que la demanderesse ne pouvait pas rembourser le gouvernement pour de tels coûts, mais si la demanderesse avait fait preuve de diligence raisonnable aux fins de la préparation du plan individualisé pour les études de son fils, elle l’aurait su.

[23]           Il se pourrait bien que la lettre relative à l’équité procédurale n’ait pas été aussi claire qu’on l’aurait souhaité, mais selon la Cour, la demanderesse n’a pas été privée du droit à l’équité procédurale, elle savait ce qu’on lui reprochait et elle a eu l’occasion de répondre adéquatement. Il serait indubitablement prudent que le ministre modifie le modèle de la lettre relative à l’équité procédurale afin que les demandeurs de visa sachent très clairement qu’ils ne peuvent pas payer pour des services financés par des fonds publics ou rembourser de tels services, mais la loi n’astreint pas le ministre à une norme de perfection dans les formalités (Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345, au paragraphe 22 [Khan]).

Question 2 : L’agente a‑t‑elle entrepris une évaluation individualisée?

[24]           Comme la Cour l’a fait remarquer ci‑dessus, la demanderesse allègue aussi que l’agente a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas entrepris une évaluation individualisée de la possibilité d’interdiction de territoire de son fils. Lorsqu’elle analysait l’équivalent de ce qui deviendrait l’alinéa 38(1)c) de la LIPR, la Cour suprême du Canada a conclu dans l’arrêt Hilewitz que les évaluations médicales visant la résidence permanente ne peuvent pas être menées sur la foi de la catégorisation d’une maladie. Au contraire, ce qui doit être évalué c’est la possibilité de besoins de services fondés sur une personne précise. À cet égard, le médecin agréé doit nécessairement tenir compte de critères médicaux et non médicaux - comme la disponibilité ou le coût des services financés par l’État, ainsi que la volonté et la capacité de la famille de payer pour les services concernés. Cela requiert une évaluation individualisée (Hilewitz, précité, aux paragraphes 55 et 56).

[25]           Il est indubitable que la première évaluation du médecin agréé, telle qu’elle ressort de la déclaration médicale, était individualisée. Le médecin agréé a déclaré que Diyav avait reçu un diagnostic de TSA, lequel a été confirmé sur la foi de tous les renseignements recueillis, des vérifications des antécédents, des examens psychologiques, des rapports, ainsi que d’une observation personnelle pendant un examen médical. Un historique complet et très détaillé, qui commençait par la première évaluation psychologique de Diyav en décembre 2010 a été reproduit, y compris un examen détaillé des rapports médicaux et d’autres rapports fournis, ainsi qu’une description des services d’éducation et thérapeutiques utilisés par Diyav. Le médecin agréé a reconnu que Diyav fonctionne actuellement à la fourchette limite (limite supérieure) du potentiel intellectuel et semble avoir bénéficié, et continuera de bénéficier, de l’intervention de spécialistes. En outre, il a été recommandé entre autres choses, que l’ergothérapie continue, que la thérapie du langage et du discours continue, qu’il ait un environnement d’apprentissage dans un petit groupe, et un facilitateur assigné à l’école. Après avoir pris en compte tous ces éléments, le médecin agréé a estimé que le coût d’une éducation spécialisée pour Diyav serait dans la fourchette d’au moins 80 000 $ à 160 000 $ pour les cinq à dix prochaines années. Selon la Cour, il ne s’agissait pas d’un examen superficiel basé sur les symptômes du TSA en général, et un examen individualisé a été mené.

Question 3 : La décision de l’agente était-elle raisonnable?

La position de la demanderesse

[26]           La demanderesse fait aussi valoir deux raisons pour lesquelles la décision était déraisonnable. Premièrement, il ressort des motifs du médecin agréé que les nouveaux documents fournis par la demanderesse en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale ne modifiaient pas l’évaluation d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires, parce que [traduction« [...] aucune preuve n’a été présentée établissant un plan précis pour les études de Diyav. Aucune preuve des fonds disponibles ni aucune preuve de la capacité à fournir ces fonds ». Toutefois, la demanderesse a inclus dans sa demande une lettre confirmant un solde bancaire excédentaire de 250 000 rands (environ 32 000 $, selon la réponse de la demanderesse). En outre, dans sa lettre en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, la demanderesse décrit ses gains prévus, ainsi que ceux de son époux. Par conséquent, la demanderesse allègue que la conclusion du médecin agréé n’était pas fondée sur les éléments du dossier, et qu’elle était déraisonnable. Étant donné que l’agente s’est fiée aux conclusions du médecin agréé, la décision de l’agente est aussi déraisonnable.

[27]           Deuxièmement, la demanderesse soutient que la décision était déraisonnable parce que l’agente et le médecin agréé n’ont pas pris en compte le fait que son fils participe actuellement à un programme, qu’il est l’enfant qui progresse le plus rapidement dans son groupe, et que, par conséquent, il n’aurait vraisemblablement pas besoin de facilitation spécialisée pendant 10 ans; que ses parents font déjà appel aux services de fournisseurs de soins privés. En résumé, l’enfant n’a pas reçu d’évaluation individualisée et bien que la demanderesse ait contesté les conclusions du médecin agréé relatives au niveau et au type de services sociaux requis, cela ne ressort pas des motifs.

La position du défendeur

[28]           Le défendeur soutient que la demanderesse n’a contesté ni le diagnostic ni l’estimation des coûts des services sociaux requis. En outre, l’agente était à juste titre préoccupée par la volonté de la demanderesse et sa capacité à payer, étant donné que la demanderesse a simplement émis des conjectures quant aux gains prévus pour elle et pour son époux. La demanderesse ne s’est pas non plus déchargée du fardeau qui lui incombait d’établir le bien‑fondé de sa demande et un plan réalisable. Le plan doit être exhaustif, et la Cour a conclu que le simple fait d’offrir de rembourser la province ne suffit pas à l’emporter sur une conclusion d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires. En l’espèce, aucun renseignement n’a été fourni quant à l’éducation dans le secteur privé dont le fils de la demanderesse pouvait avoir besoin (Chauhdry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 22, au paragraphe 49 [Chauhdry]; Sharma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 398, aux paragraphes 15 à 18; Banik, précitée, aux paragraphes 67, 68 et 74).

Analyse

[29]           Il est vrai que le médecin agréé a déclaré qu’il n’y avait pas de preuve des fonds disponibles alors que, dans les faits, dans la première demande était inclus un document qui révélait le solde bancaire de l’époux de la demanderesse. Ce document était‑il à la disposition du médecin agréé au moment où la première évaluation a été faite? On ne le sait pas. Bien que la demanderesse ait fait référence à la somme de 32 000 $ dans sa réponse, elle n’a pas fourni d’autres renseignements financiers. Il ressort des notes du STIDI de l’agente que la demanderesse n’avait [traduction« pas présenté de preuve à jour des fonds ni de preuve de la capacité à fournir ces fonds ». Ainsi, il était évident que même si on ne tenait pas compte de la conclusion du médecin agréé, l’agente avait connaissance des renseignements financiers originaux produits par la demanderesse.

[30]           Comme il ressort de l’arrêt Sapru, le médecin agrée doit envoyer à l’agent d’immigration un avis médical sur les troubles pathologiques dont le demandeur est atteint, ainsi que sur le coût probable du traitement requis. Lorsqu’un demandeur présente un plan de gestion de son état de santé, le médecin agréé doit aviser l’agent d’immigration d’éléments tels que la faisabilité du plan et l’offre du plan. L’agent d’immigration « doit s’en remettre à l’avis du médecin agrée pour tout ce qui a trait aux questions médicales, y compris l’état de santé du demandeur, les coûts probables de traitement et la question de savoir si l’état de santé du demandeur risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ». Avant qu’on ne puisse se fonder sur l’avis d’un médecin agréé, l’agent d’immigration doit s’assurer que l’avis fourni par le médecin agréé est raisonnable (Sapru, précité, aux paragraphes 36, 37 et 43).

[31]           Le médecin agréé a décidé que même une estimation prudente du coût de l’éducation spécialisée visée dans la province équivaut à un minimum de 80 000 $ à 160 000 $ pour une période de cinq à dix années d’études, et que le seul renseignement sur l’existence des fonds disponibles concernait le montant de 32 000 $. Ainsi, même si cette information avait été omise par le médecin agréé, en l’absence de toute autre information à jour dans la réponse de la demanderesse, telle par exemple qu’un relevé bancaire courant comme preuve de l’existence de fonds disponibles suffisants pour payer 80 000 $ à 160 000 $, l’avis du médecin agréé n’était pas déraisonnable. Quoi qu’il en soit, il ne s’agissait pas d’une question relevant du domaine médical et l’agente ne s’est pas fondée sur cette conclusion, car elle a reconnu qu’il n’y avait pas eu de renseignements financiers à jour en guise de preuve de la capacité d’assumer ce coût.

[32]           En ce qui a trait à la capacité de fournir les fonds, la demanderesse n’a produit aucun renseignement donnant à penser que son époux et elle avaient des offres d’emploi qui permettraient d’étayer leur capacité à assumer les coûts. Certes, elle a présenté des estimations obtenues en ligne de ce que les architectes et les médecins généralistes gagnent au Canada, mais cela ne constituait pas une preuve de la capacité de fournir les fonds.

[33]           La Cour aimerait aussi relever que selon la jurisprudence antérieure, il n’est pas possible de mettre en application un engagement personnel à payer pour des services de santé qui peuvent être nécessaires après qu’une personne eut été admise au Canada à titre de résidente permanente, si les services sont offerts sans paiement (Chauhdry, précité, au paragraphe 53). Il en va de même pour les besoins en éducation spécialisée.

[34]           Le médecin agréé a aussi donné comme motif l’absence de plan en matière d’éducation. J’en conviens. Dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, la demanderesse a déclaré que son fils était l’enfant qui progressait le plus rapidement dans son groupe d’âge au CTAC, et qu’il n’aurait pas besoin de soins spéciaux ou de soins supplémentaires. Elle a aussi déclaré qu’au rythme auquel son fils progressait, il n’aurait besoin d’aucun établissement spécialisé ni de thérapie pendant dix ans. Cet argument ne concorde absolument pas avec l’évaluation médicale précise menée par le médecin agréé et les rapports, et les renseignements sur lesquels l’argument est fondé. La demanderesse n’a pas produit de plan pour l’éducation, en partie parce qu’elle était d’avis que l’éducation spécialisée et les soins ne seraient pas nécessaires. Certes, la demanderesse était libre d’avoir un tel avis, mais en l’absence de preuve médicale pour l’étayer, sa décision de ne pas fournir le plan individualisé requis signifiait qu’elle ne s’était pas déchargée du fardeau d’établir que les besoins de Diyav n’entraîneraient pas un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada. 

[35]           La demanderesse a aussi déclaré qu’elle avait l’intention de continuer, à ses frais, le système provincial de gestion des retards de développement chez les enfants [traduction« et ce faisant, cela diminuerait de façon importante la dépendance de Diyav aux établissements spécialisés et à la thérapie ». Cette déclaration était suivie d’une autre selon laquelle si les progrès de son fils ne correspondaient pas aux étapes prévues, alors elle n’envisageait aucun obstacle au financement de ses besoins en thérapie. 

[36]           Selon la Cour, la demanderesse n’a simplement pas fourni de plan individualisé. Le peu que la demanderesse a avancé était une déclaration d’intention, qui était éventuelle et non précise. C’était incomplet. La demanderesse aurait dû demander des conseils et fournir un plan clair qui traiterait du problème du fardeau excessif (Chauhdry, précité, aux paragraphes 49 et 50). Le fardeau d’établir l’admissibilité à un visa pèse sur le demandeur (Khan, précité, au paragraphe 22). La demanderesse ne s’en est pas acquittée et, au vu du dossier, la Cour conclut que tant la décision du médecin agréé que celle de l’agente étaient raisonnables.

[37]           Certes, la demanderesse soutient que, dans ses motifs le médecin agréé n’a pas fait référence aux observations de la demanderesse portant sur le niveau de services dont son fils pourrait avoir besoin, mais selon la Cour ce n’était pas nécessaire. Le médecin agréé a énuméré les renseignements qu’elle avait examinés, lesquels incluaient la réponse de la demanderesse et l’ensemble du dossier médical. Comme la Cour l’a souligné ci‑dessus, la demanderesse n’a pas étayé son point de vue au moyen d’une nouvelle preuve médicale. Par conséquent, il n’y avait pas grand-chose à répondre.

[38]           Les motifs peuvent ne pas inclure tous les arguments ou les autres détails qu’une cour de révision aimerait avoir, mais cela ne remet pas nécessairement en cause la validité, soit des motifs, soit du résultat dans le cadre d’une analyse du caractère raisonnable. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion définitive. Si les motifs permettent à la cour de révision de comprendre la raison pour laquelle le tribunal a rendu sa décision, et permettent de déterminer si la conclusion appartient aux issues acceptables, le critère établi dans l’arrêt Dunsmuir est rempli (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14 à 16). Lorsqu’elle est contrôlée dans son ensemble, au vu du dossier, la décision de l’agente est raisonnable (Construction Labour Relations c Driver Iron Inc, 2012 CSC 65, au paragraphe 3).


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale à certifier n’a été proposée et aucune ne se pose.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Endale


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4841-13

 

INTITULÉ :

ASMEETA BURRA

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 novembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 18 décembre 2014

 

COMPARUTIONS :

Erin C. Roth

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ada Mok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bellissimo Law Group

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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