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Date: 20141127


Dossier : T-1454-13

Référence: 2014 CF 1141

Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2014

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

PIERRE-LOUGENS HENRI

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur (ou M. Henri) est mécanicien aérotechnique.  Il travaille depuis plusieurs années pour le transporteur aérien Air Transat à l’aéroport international Pierre-Elliot Trudeau de Montréal.  M. Henri y exerce ce travail dans des zones dites réglementées dont l’accès est restreint aux personnes qui détiennent une habilitation de sécurité, renouvelable aux cinq ans, émise en vertu de la Loi sur l’aéronautique, LRC (1985) ch A-2 (la Loi) et ses règlements d’application.

[2]               L’un des objectifs de cet encadrement statutaire est de prévenir l’accès de ces zones règlementées à toute personne qui, de l’avis du Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités (le Ministre), est sujette à commettre, ou à être incitée à commettre, ou encore à aider ou à inciter toute autre personne à commettre, un acte illicite pour l’aviation civile.

[3]               M. Henri détient, depuis la fin des années 90, une habilitation de sécurité lui donnant accès à certaines zones contrôlées de l’aéroport Pierre-Elliot Trudeau.  Lors du plus récent exercice de renouvellement de ladite habilitation, M. Henri a été informé que celle-ci était en cours de révision en raison de son association à des individus impliqués dans des activités criminelles.  Il a alors été invité à répondre à ce reproche, ce qu’il a fait.  Jugeant cette réponse insuffisante pour dissiper ses préoccupations liées à cette association, le Ministre a annulé l’habilitation de sécurité de M. Henri.

[4]               C’est à l’encontre de cette décision que M. Henri se pourvoit en l’instance.  Il en demande l’annulation, estimant qu’elle a été prise en violation des principes d’équité procédurale et qu’elle est, à tout événement, déraisonnable.  Pour les motifs qui suivent,  la demande de contrôle judicaire du demandeur doit échouer.

I.                   Contexte

A.                La Sécurité dans les Aéroports

[5]               La sécurité aérienne est une question de grande importance (Thep-Outhainthany c Procureur général du Canada, 2013 CF 59, 425 FTR 247, para 17) et elle passe notamment par celle des aéroports.  Suivant la Loi, c’est au Ministre qu’il revient de promouvoir la sécurité dans les aéroports canadiens, une responsabilité qui comprend le contrôle de l’accès aux zones réglementées de certains aéroports désignés.  L’aéroport Pierre-Elliot Trudeau est l’un de ces aéroports.

[6]               L’accès à ces zones réglementées est plus particulièrement régit par le Règlement canadien de 2012 sur la sûreté aérienne, SOR/2011-318.  Suivant ledit règlement, cet accès est limité aux seules personnes détenant une carte d’identité de zone réglementée dont la délivrance est notamment conditionnelle à ce que la personne à qui elle est émise possède une habilitation de sécurité.

[7]               Aux termes de l’article 4.8 de la Loi, c’est au Ministre qu’est dévolu le pouvoir d’accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité.  Ce pouvoir est discrétionnaire (Clue c Procureur général du Canada, 2011 CF 323, au para 14) et en soutien à son exercice, le Ministre a adopté une politique intitulée «Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport» (le Programme d’habilitation de sécurité) dont l’objet est de «prévenir les actes d’intervention illicite dans l’aviation civile en accordant une habilitation aux gens qui répondent aux normes dudit programme».  Un des objectifs sous-jacents du Programme d’habilitation de sécurité est justement de prévenir l’entrée non contrôlée dans les zones réglementées d’un aéroport de toute personne qui, de l’avis du Ministre, est sujette à commettre, ou à être incitée à commettre, ou encore à aider ou à inciter toute autre personne à commettre, un acte illicite pour l’aviation civile.

[8]               Le Programme d’habilitation de sécurité est administré par le Directeur des programmes de filtrage de sécurité à Transports Canada (le Directeur) et prévoit, pour l’essentiel, le processus de traitement et d’examen des demandes d’habilitation de sécurité.  Aux termes de ce processus, toute demande d’habilitation de sécurité est analysée par le Directeur et comporte à tout le moins une vérification des dossiers criminels, des dossiers pertinents des organismes d’application de la loi et des fichiers du Service canadien de renseignement de sécurité.

[9]               Lorsqu’au terme de son examen le Directeur juge qu’il y a lieu de recommander de refuser, suspendre ou encore annuler une habilitation de sécurité, il convoque l’organisme consultatif créé en vertu de la Politique d’habilitation de sécurité.  Une fois saisi du dossier, l’organisme consultatif procède à son tour à une analyse complète du dossier et formule une recommandation au Ministre.  À cette fin, il lui est loisible de prendre en considération tout facteur pertinent.  Une fois sa recommandation communiquée au Ministre, celui-ci prend sa décision aux termes de l’article 4.8 de la Loi.

B.                 La Révision de l’Habilitation de Sécurité du Demandeur

[10]           Tel qu’indiqué précédemment, M. Henri détient une habilitation sécuritaire lui permettant d’accéder aux zones réglementées de l’aéroport Pierre-Elliot Trudeau depuis la fin des années 90.  Lors du processus de renouvellement de ladite habilitation en 2012, de l’information défavorable a soulevé des doutes quant à l’aptitude de M. Henri à retenir une telle habilitation.  Des vérifications additionnelles ont donc été jugées nécessaires et le 4 avril 2013, la Gendarmerie Royale du Canada (la GRC) remettait au Directeur un rapport de vérification de dossiers policiers.

[11]           Le 12 avril 2013, le bureau du Directeur, sur la base de ce rapport, informait M. Henri, par lettre, que son habilitation de sécurité était en cours de révision en raison de son association à des individus impliqués dans des activités criminelles.  En particulier, ladite lettre reliait M. Henri à deux individus membres de gang de rue à Montréal dans les circonstances suivantes:

a.              Le premier (le Sujet A) a été arrêté en janvier 2011 à l’aéroport Pierre-Elliot Trudeau, en provenance de Haïti, avec en sa possession de la cocaïne de même qu’un appareil électronique dans lequel se trouvait les photos de deux individus travaillant à la manutention des bagages à l’aéroport de Port-au-Prince pour le compte d’Air Canada, photos attachées à un courriel provenant de M. Henri;

b.             Bien qu’il ait d’abord nié le connaître lors d’une entrevue judiciaire volontaire tenue en novembre 2011 avec la GRC, M. Henri a néanmoins identifié le Sujet A à partir d’une photo présentée par l’enquêteur;

c.              Le second (le Sujet C) est celui par qui le courriel de M. Henri, contenant les photos des deux employés de l’aéroport de Port-au-Prince, a transité vers le Sujet A;  une analyse des registres téléphoniques effectuée sur les numéros de téléphone cellulaire que M. Henri utilisait à l’époque indique que celui-ci serait entré en contact avec le Sujet C à environ 63 reprises, y compris à 38 fois pendant la période où, en 2011, le Sujet C était incarcéré;

d.             M. Henri a été observé à plusieurs reprises à la résidence du Sujet C et a été en communication téléphonique constante avec sa résidence.

[12]           La lettre du 12 avril 2013 spécifiait également:

a.              Qu’à la suite de la saisie de l’appareil électronique en possession du Sujet A au moment de son arrestation, la GRC avait ouvert une enquête pour tenter d’analyser le degré de corruption interne à l’aéroport Pierre-Elliot Trudeau;

b.             Que M. Henri en était la cible principale, la GRC ayant des motifs raisonnables de croire qu’il avait été – ou allait être – impliqué dans la commission d’infractions reliées à l’importation de drogues et à la possession de drogues en vue d’en faire le trafic;

c.              Que des vérifications aux registres foncier et bancaire semblaient accréditer l’implication de M. Henri dans la commission de ce type d’infractions puisqu’elles avaient permis d’établir que M. Henri était propriétaire de trois immeubles d’une valeur combinée de 869,400$ et que des sommes relativement importantes avaient transité dans ses comptes de banque, dépeignant ainsi une situation patrimoniale et financière incompatible, de l’avis de la GRC, avec le salaire d’un mécanicien à l’emploi d’Air Transat; et

d.             Que malgré la présence d’éléments incriminants, l’enquête de la GRC avait été conclue sans qu’aucune accusation ne soit portée puisqu’il n’était pas possible de déterminer hors de tout doute raisonnable l’implication de M. Henri dans l’importation de stupéfiants.

[13]           Enfin, la lettre du 12 avril 2013 informait M. Henri de l’existence du Programme d’habilitation de sécurité de même que de l’existence et du mandat de l’organisme consultatif et des motifs sur lesquels celui-ci pouvait se fonder pour recommander au Ministre d’accorder, refuser ou annuler une habilitation de sécurité.  Ladite lettre contenait aussi, à la toute fin, l’avis suivant:

Transports Canada vous encourage à fournir de l’information additionnelle décrivant les circonstances entourant l’information et les associations susmentionnées, ainsi que de fournir de l’information supplémentaire pertinente ou une explication, y compris toutes circonstances atténuantes, dans les 20 jours suivant la réception de cette lettre.  Toute information que vous nous fournirez sera considérée lors de la décision en ce qui concerne votre habilitation de sécurité.  Cette information peut être soumise soit par courrier à l’attention de Transports Canada (ABPB), (...), soit par télécopieur au (...), soit par courriel à l’adresse: (..).

Si vous désirez discuter plus à fond de ces questions, veuillez communiquer avec Pauline Mahon au (...).

[14]           Le 20 juin 2013, M Henri, après avoir communiqué à deux reprises avec le bureau du Directeur, obtenu deux prorogations de délai et retenu les services d’un avocat, a produit auprès dudit bureau, sous forme d’un courriel auquel était jointe une lettre de son avocat, une réponse à la lettre du 12 avril 2013 dans laquelle, pour l’essentiel, M. Henri:

a.              A réitéré l’impact qu’aurait sur son emploi l’annulation de son habilitation de sécurité;

b.             A nié toute implication dans l’importation illégale de cocaïne à l’origine de l’arrestation du Sujet A ou encore dans toute autre activité criminelle;

c.              A nié avoir des fréquentations douteuses, précisant à cet égard que le Sujet C était le frère de son ancienne conjointe avec qui il avait eu un enfant et que son rapport avec lui se limitait à lui apporter aide et conseil;

d.             S’est efforcé de démontrer la légitimité de ses intérêts dans les trois immeubles enregistrés à son nom et de ses opérations bancaires; et

e.              A expliqué n’avoir ni permis, ni autorisé le Sujet C à être en possession ou à transmettre à quiconque les photos des deux employés affectés à la manutention des bagages à l’aéroport de Port-au-Prince.

[15]           Le 25 juin 2013, l’organisme consultatif constitué en vertu du Programme d’habilitation sécuritaire se réunissait pour procéder à l’examen du dossier de M. Henri et recommandait au Ministre, au terme de cet examen, l’annulation de son habilitation sécuritaire.  La recommandation de l’organisme consultatif était fondée sur le fait qu’il lui paraissait raisonnable de croire, selon la prépondérance des probabilités, que M. Henri était sujet à commettre, ou à être incité à commettre, ou encore à aider ou à inciter toute autre personne à commettre, un acte illicite pour l’aviation civile en raison de ses liens avec les Sujets A et C et de l’enquête de la GRC faisant état de sa participation soupçonnée à l’importation de drogues via l’aéroport Pierre-Elliot Trudeau.

[16]           Le 17 juillet 2013, la recommandation de l’organisme consultatif était entérinée, au nom du Ministre, par la Directrice générale, Sûreté aérienne, à Transports Canada et le 29 de ce même mois, M. Henri en était avisé par écrit.  La décision du Ministre spécifiait, notamment, que la réponse soumise par M. Henri à la lettre du 12 avril 2013 ne contenait pas suffisamment d’information pour dissiper ses préoccupations découlant des rapports récents de M. Henri avec les Sujets A et C et de la participation soupçonnée de celui-ci à des activités d’importation de drogue via l’aéroport Pierre-Elliot Trudeau.  En somme, le Ministre était aussi d’avis, sur la base de l’ensemble des renseignements portés devant lui, qu’il y avait lieu de croire, selon la prépondérance des probabilités, que M. Henri était sujet à commettre, ou à être incité à commettre, ou encore à aider ou à inciter toute autre personne à commettre, un acte illicite pour l’aviation civile.  Tout cela soulevait d’importantes préoccupations, de l’avis du Ministre, sur le jugement, la fiabilité et l’honnêteté de M. Henri.

[17]           Le Ministre, dans la lettre du 29 juillet 2013 communiquant sa décision à M. Henri, informait celui-ci de son droit de demander la révision de sa décision auprès de la Cour fédérale.  C’est ce que M. Henri a opté de faire en l’instance.

II.                Questions en Litige et Norme de Contrôle

[18]           La présente affaire soulève essentiellement deux questions.  La première a trait à la conformité de la décision du Ministre d’annuler l’habilitation de sécurité du demandeur aux règles de l’équité procédurale.  La seconde met en cause le bien-fondé même de ladite décision.

[19]           Il est bien établi que la norme de contrôle applicable par la Cour à la première question est celle de la décision correcte alors que la norme applicable à la seconde est celle de la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Clue, précitée, au para 14; Peles c Procureur général du Canada, 2013 CF 294, aux paras 9 et 10; Pouliot c Le Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2012 CF 347, au para 7; Fontaine c Transports Canada Sécurité et Sûreté, 2007 CF 1160, 313 FTR 309 au para 63; Thep-Outhainthany, précitée, au para 11; Sylvester c Procureur général du Canada, 2013 CF 904, aux paras 10 et 11; Fradette c Procureur général du Canada, 2010 CF 884, au para 17).  Les parties ne le contestent pas.

[20]           Avant de procéder à l’analyse de ces deux questions, il me faut d’abord disposer de l’objection préliminaire soulevée par le défendeur, celle de l’admissibilité de certaines portions de l’affidavit souscrit par M. Henri au soutien de la présente demande de contrôle judiciaire.  En effet, le défendeur soutient que dans la mesure où M. Henri y allègue des faits qui n’étaient pas devant le Ministre au moment où il a rendu la décision que conteste M. Henri, ces faits, dont le mémoire produit par M Henri en l’instance fait largement état, ne peuvent être considérés par la Cour dans le cadre de l’analyse de la présente demande.

[21]           En particulier, le défendeur fait valoir que cet affidavit contient une série de faits nouveaux portant, notamment, sur la formation de M. Henri et son emploi chez Air Transat, sur ses relations avec son ex-conjointe et les Sujets A et C, de même que sur ses rencontres avec les agents de la GRC dans le cadre de l’enquête dont il était la principale cible.

[22]           Après avoir examiné l’affidavit en question, j’estime que l’objection du défendeur est bien fondée.  La jurisprudence de cette Cour est claire sur ce point: le contrôle judiciaire s’intéresse à la légalité de la décision du décideur administratif, ce qui suppose l’examen du dossier tel que constitué devant ce décideur; il ne se prête donc pas à une bonification de la matrice factuelle du dossier puisque ce serait là changer la nature fondamentale de ce recours (Spasoja c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2014 CF 913, au para 22; Ordre des architectes de l'Ontario c Assn. of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218, [2003] 1 CF 331; Vennat c Canada (Procureur général) (CF), 2006 CF 1008, [2007] 2 RCF 647, au para 43; Chopra c Canada (Conseil du Trésor), 168 FTR 273, [1999] ACF no 835 au para 5; Peles, précitée, au para 11 et 12; Lorenzen c Transports Canada, Sécurité et Sûreté, 2014 CF 273, au para 30).

[23]           Ce principe ne connaît que deux exceptions, soit celles où la preuve nouvelle porte sur des questions d’équité procédurale ou encore sur des questions liées à la compétence du décideur (Peles, précitée, au para 11 et 12; Ordre des architectes de l'Ontario c Assn. of Architectural Technologists of Ontario, précitée au para 30; McFadyen c Canada (Procureur général), 2005 CAF 360, aux paras 14 et 15).  Même si M. Henri soulève en l’espèce des questions d’équité procédurale, la preuve nouvelle contenue à son affidavit n’est pas en lien avec ces questions.  Elle tend plutôt à vouloir bonifier la réponse qu’il a soumise au Directeur le 20 juin 2013.  À ce titre, elle est inadmissible.  Au surplus, même si cela se voulait un facteur pertinent dans l’analyse de l’admissibilité de cette preuve nouvelle, rien au dossier ne démontre que M. Henri était dans l’impossibilité de présenter cette preuve au Ministre, en temps opportun.

[24]           L’objection du défendeur est donc accueillie avec comme résultat que je ne tiendrai compte, dans son analyse de la décision du Ministre, que de la preuve qui était devant lui au moment où il a rendu ladite décision.

III.             Analyse

A.                L’équité procédurale

[25]           M. Henri soutient que le Ministre a manqué à son obligation d’agir équitablement à son égard.  Il estime que puisque les répercussions de l’annulation de son habilitation sécuritaire étaient importantes pour lui et sa famille, dans la mesure où cela mettait en cause sa capacité à conserver son emploi, une justice de haute qualité était requise.

[26]           Il plaide que cette justice de haute qualité exigeait qu’il sache clairement ce qui lui était reproché, qu’il soit avisé du processus d’évaluation qui serait suivi, de son fardeau de preuve et des conséquences d’une réponse insuffisante et/ou incomplète de sa part, qu’une véritable occasion de présenter des observations lui soit accordée et que celles-ci soient dûment prise en compte et, enfin, que tout document public concernant les reproches dirigés contre lui soit examiné par le Ministre.

[27]           Avec égards, je ne peux souscrire au point de vue qu’il y a eu manquement aux règles de l’équité procédurale en l’espèce.

[28]           Il importe d’abord de déterminer le contenu exact des obligations qui s’imposaient au Ministre à cet égard.  La question de l’étendue de l’obligation d’agir équitablement, qui est une notion à géométrie variable selon les contextes et les critères développés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817), principalement, a été examinée plus d’une fois par la Cour dans le contexte de l’annulation d’habilitations de sécurité en matière de sécurité aérienne.  Il est permis, je crois, d’en dégager les constats suivants:

a.              La sécurité aérienne est une question de grande importance et l’accès aux zones réglementées des aéroports désignés est en conséquence un privilège, et non un droit (Thep-Outhainthany, précité, au para 17; Sylvester c Procureur général du Canada, précité, au para 18);

b.             Le pouvoir qu’exerce le Ministre, dans ce contexte, d’accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité, est de nature discrétionnaire et spécialisé (Clue, précité, au para 14) et il lui est loisible, lorsqu’il l’exerce, de prendre en considération tout facteur pertinent (Thep-Outhainthany, précité, au para 19);

c.              Ce pouvoir est prospectif, en ce sens qu’il tient de la prédiction; en d’autres termes, il n’exige pas que le Ministre croit, selon la prépondérance des probabilités, qu’un individu commettra un acte qui constituera un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou qu’il aidera ou incitera toute autre personne à commettre un acte qui constituerait une telle intervention; il lui suffit d’être convaincu que l’individu est sujet à le faire (MacDonnel c Procureur général du Canada, 2013 CF 719, au para 29);

d.             Il n’exige donc pas du Ministre qu’il soit convaincu hors de tout doute raisonnable que l’individu dont l’habilitation de sécurité est en cours de révision commettra un tel acte; l’annulation de l’habilitation de sécurité demeure en ce sens une décision de nature purement administrative où l’innocence des intéressés n’est pas en jeu et où la gravité des conséquences possibles d’une décision défavorable diffère de celles propres aux poursuites et aux procès criminels (May c Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, au para 91-92;  Thep-Outhainthany; précitée au para 20-21; Sylvester, précité au para 18-19); et

e.              Si le contenu obligationnel de l’équité procédurale s’avère légèrement plus élevé lorsqu’une habilitation existante est annulée que lorsque quelqu’un se la voit refuser pour la première fois, il demeure néanmoins minimal (Pouliot, précitée au para 10); concrètement, cela veut dire que la protection procédurale liée au processus pouvant mener à l’annulation d’une habilitation de sécurité se limite au droit de connaître les faits reprochés et à celui de faire des représentations à l’égard de ces faits; elle ne comprend pas le droit à une audience (Pouliot, précitée au para 10; Rivet c Procureur général du Canada, 2007 CF 1175, au para 25; DiMartino et Koska c Canada (Ministre des transports), 2005 CF 635, au para 36; Peles, précitée, au para 16; Clue, précitée au para 17).

[29]           Il ne fait aucun doute dans mon esprit que cette norme a été respectée en l’espèce.  Bien qu’elle ne soit pas un modèle de rédaction, la lettre du 12 avril 2013 était suffisamment détaillée et précise pour permettre à M. Henri de connaître la nature et l’étendue des préoccupations du Directeur, de comprendre que l’annulation de son habilitation de sécurité faisait parties des issues possible de l’exercice de révision de ladite habilitation qu’annonçait très clairement la lettre et de savoir que la possibilité de répondre aux dites préoccupations lui était offerte.

[30]           M. Henri prétend que la lettre du 12 avril 2013 ne spécifiait pas avec suffisamment de précision l’identité et le nombre des individus avec qui il entretenait des relations douteuses de même que la nature exacte desdites relations, faisant en sorte qu’il n’a pas eu une véritable occasion de présenter des observations.  Il soutient aussi que l’identification des dates où le transit des photos des deux employés de l’aéroport de Port-au-Prince vers le Sujet A se serait fait rend ce reproche « incompréhensible et illogique ».

[31]           Cet argument est purement rétrospectif et doit être rejeté.  D’une part, dans la mesure où les préoccupations exprimées dans la lettre du 12 avril 2013 n’étaient pas claires à ses yeux, il était loisible à M. Henri de demander des précisions.  La dite lettre l’y invitait d’ailleurs en des termes non-équivoques.  C’est d’ailleurs ce qu’il a fait, le 2 mai 2013, en communicant au bureau du Directeur sa surprise et son incompréhension face à certains des reproches identifiés dans la lettre du 12 avril 2013.

[32]           Toutefois, rien dans ses communications ultérieures avec le bureau du Directeur à propos de la lettre du 12 avril 2013 et dans sa réponse formelle à ladite lettre, y compris la lettre de son procureur de l’époque, ne laisse transparaitre ce dont il se plaint aujourd’hui.  En particulier, la lettre du procureur précise ceci:

Mais revenons à votre lettre.  Nous constatons que les allégations ou questions soulevées sont sérieuses. Cependant, après vérifications des faits et, en particulier, de divers relevés bancaires, actes notariés et contrats de prêts de monsieur Henri, nous constatons que lesdites allégations ne sont nullement fondées.

(...)

Nous souhaitons que les présentes explications et rectifications seront suffisantes afin de lever tout doute à l’égard de la probité et de l’honnêteté de monsieur Henri et maintenir sa présente habilitation.

[33]           Je n’y vois rien qui soit indicatif d’une incapacité à répondre de manière complète et véritable aux préoccupations soulevées dans la lettre du 12 avril 2013.

[34]           M. Henri soutient également qu’il s’attendait à ce que le Directeur lui revienne pour lui demander des informations supplémentaires qui pourraient préciser sa réponse du 20 juin 2013.  Or, il n’y aucune preuve au dossier laissant entrevoir que le Directeur ait pu prendre un tel engagement ou ait pu créer une telle attente chez M. Henri.

[35]           Le concept d’attente légitime en matière d’équité procédurale exige une preuve du comportement du décideur (Organisation nationale anti-pauvreté c Canada (Procureur général) (FCA), [1989] 3 CF 684, [1989] ACF no 443 (QL), aux paras 31-32; Brink's Canada Ltée c Canada Council of Teamsters (FCA), 185 NR 299, [1995] ACF no 1114 (QL), aux paragraphes 25-26; Trépanier c Canada (Procureur général), 2004 CF 1326, 259 FTR 86, au para 35).  Le fait que M. Henri se soit montré disposé et disponible à fournir au Directeur toute information supplémentaire suite à sa réponse du 20 juin 2013 ne lui est d’aucun secours en l’absence d’une preuve établissant que le Directeur ait laissé entendre qu’il aurait l’occasion de suppléer à la réponse, une fois son examen complété, en fonction des interrogations qu’elle aurait pu susciter chez ceux qui en ont fait l’examen.

[36]           M. Henri a été encouragé à répondre à la lettre du 12 avril 2013.  Un délai de 20 jours lui était accordé à cet effet.  Il a demandé, et obtenu, deux prorogations de ce délai, notamment pour lui donner le temps de mandater un avocat et permettre à celui-ci de procéder aux vérifications qu’il estimait nécessaire ou utile de faire.  En ce sens, il a eu une véritable occasion de présenter ses observations.  Rien dans les règles de l’équité procédurale ne fait peser sur le décideur administratif une quelconque obligation de s’assurer, avant de rendre une décision, que les représentations que lui a soumises l’administré sont claires, complètes et persuasives.

[37]           M. Henri soutient également que le fait que la lettre du 12 avril 2103 ne faisait que « l’encourager » à  répondre à la lettre du 12 avril 2013 n’était pas indicatif de l’importance de la décision à venir.  Encore là, cet argument doit échouer.  La réponse du 20 juin 2013, y compris la lettre du procureur de M. Henri, révèlent on ne peut plus clairement que M. Henri, tout comme son procureur de l’époque, était bien au fait de l’importance de l’exercice en cours et des répercussions possibles sur sa situation personnelle, M. Henri faisant notamment explicitement référence à la perte de son emploi comme conséquence inéluctable de l’annulation de son habilitation de sécurité.

[38]           Son argument basé sur la qualification, dans la décision du Ministre, de son association avec les Sujets A et C en tant que « rapports récents », comme s’il s’agissait là de faits nouveaux non portés à sa connaissance dans la lettre du 12 avril 2013, est tout autant voué à l’échec.  Un examen raisonnable de l’ensemble du dossier démontre en effet qu’il ne peut s’agir là que des rapports auxquels fait référence la lettre du 12 avril 2103.  Au surplus, comme il est question ici de rapports remontant à 2011, l’utilisation du qualificatif « récent » n’était certainement pas totalement inapproprié ou encore une source raisonnable de confusion.

[39]           M. Henri fait reproche au Ministre de ne pas avoir considéré les documents publics disponibles concernant les trois immeubles dont il est propriétaire.  Bien que cet argument concerne davantage, à mon avis, la question de la raisonnabilité de la décision du Ministre que celle de l’équité procédurale, il n’est d’aucun secours au demandeur puisque, quelque soit l’angle sous lequel on l’examine, les inférences tirées dans la lettre du 12 avril 2103 en lien avec la propriété desdits immeubles et les opérations bancaires, n’ont pas été reprises dans la décision du Ministre.  Il faut dès lors présumer que les explications fournies par M. Henri à cet égard étaient suffisamment complètes et convaincantes pour que le Ministre juge que lesdites inférences ne pouvaient servir de fondement à l’annulation de son habilitation de sécurité.

[40]           Finalement, M. Henri soutient que le Ministre, et l’organisme consultatif avant lui, a omis de considérer lui-même la preuve amassée par la GRC et dont le rapport a été soumis au Directeur le 4 avril 2013.  Bien qu’encore ici, cet argument concerne davantage la question de la raisonnabilité de la décision du Ministre que celle de l’équité procédurale, il se heurte à deux éléments importants du processus pouvant mener à l’annulation d’une habilitation de sécurité.

[41]           Le premier de ces deux éléments a trait au statut de l’information provenant de la GRC pour les fins du processus de vérification des habilitations de sécurité.  Cette Cour a déjà statué que la fiabilité de cette information est suffisante, même si, dans un tel contexte, elle constitue du ouï-dire (Fontaine, précitée, au para 75; MacDonnel, précitée, au para 31).  Le deuxième élément auquel se heurte l’argument de M. Henri est en quelque sorte le corolaire du premier: le Ministre n’est pas tenu de contre-vérifier l’information obtenue de la GRC (Fontaine, précitée, au para 75; MacDonnel, précitée, aux paragraphes 16 et 31).  Je rappelle que le fardeau imposé au Ministre, lorsqu’il doit décider s’il annule ou non une habilitation de sécurité, est beaucoup moins lourd qu’en contexte criminel; il n’exige que la conviction, fondée sur la balance des probabilités et tenant pour acquise la fiabilité de l’information obtenue de la GRC ou d’autres organismes d’application de la loi, que le détenteur de l’habilitation de sécurité peut être sujet à commettre ou à aider un tiers à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile  (Sylvester, au para 19).  Comme mon collègue le juge Harrington l’a rappelé dans l’affaire MacDonnel, précitée, c’est sur les épaules du détenteur de l’habilitation de sécurité que repose le fardeau de répondre aux préoccupations du Ministre (MacDonnel, précitée, au para 34).

[42]           J’en conclus que, de manière générale, le processus qui a mené à la décision d’annuler l’habilitation sécuritaire de M. Henri, a été conduit dans le respect des règles de l’équité procédurale applicables à ce genre de décisions et que ce moyen de contestation de ladite décision doit en conséquence être rejeté.

B.                 La raisonnabilité de la décision du Ministre

[43]           Comme je l’ai déjà dit, vu le caractère discrétionnaire et la nature spécialisée du pouvoir exercé par le Ministre aux termes de l’article 4.8 de la Loi, et vu l’objectif de cet article, qui est de prévenir le libre accès de personnes indésirables aux zones réglementées des aéroports canadiens, M. Henri devait convaincre la Cour que la décision du Ministre de lui retirer son habilitation de sécurité est déraisonnable.  En termes concrets, cela veut dire qu’il ne suffit pas d’être en désaccord avec la décision attaquée ou encore de démontrer qu’une autre lecture des faits aurait été préférable à celle retenue par le Ministre.

[44]           La norme de la raisonnabilité s’attache plutôt à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité de la décision attaquée de même qu’à son appartenance à l’éventail des issues possibles acceptables eu égard aux faits et au droit (Dunsmuir c Nouveau Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9).  Elle requiert, de la part de la Cour, une certaine dose de déférence à l’égard des conclusions du décideur administratif et prévoit qu’il ne lui appartient pas d’apprécier à nouveau la preuve et de substituer son point de vue à celui du décideur administratif (Dunsmuir, au para 47; Jarvis c Canada (Procureur général), 2011 CF 944, au para 23; Kissoon c Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CF 24, au para 5 (conf. par 2004 CAF 384)).

[45]           M. Henri plaide pour l’essentiel que la décision du Ministre est déraisonnable dans la mesure où celui-ci aurait omis de tenir compte d’une preuve importante, à savoir les documents publics concernant ses immeubles et la preuve recueillie par la GRC aux fins du rapport du 4 avril 2013, notamment les enregistrements vidéo et audio de l’entrevue judiciaire volontaire tenue en novembre 2011 avec la GRC de même que les photos, textos et registres téléphoniques auxquels la lettre du 13 avril 2013 fait référence.

[46]           Tel que je l’ai déjà indiqué, cet argument ne peut tenir.  D’une part, le fait que le Ministre ait ou non tenu compte des documents publics portant sur les immeubles du demandeur n’a plus aucune pertinence puisque la décision du Ministre ne repose pas sur les inférences tirées dans la lettre du 13 avril 2013 en lien avec la propriété de ces immeubles ou encore les opérations bancaires qui y étaient identifiées.  D’autre part, le reproche adressé au Ministre quant à la preuve que détenait la GRC dénote, ceci dit avec égards, une mauvaise compréhension du rôle du Ministre et du processus de vérification des habilitations de sécurité.  Comme j’ai eu l’occasion de le rappeler, la fiabilité de l’information communiquée au Ministre par la GRC doit être tenue comme suffisante.  Il n’appartient pas au Ministre de la contre-vérifier; c’est sur le détenteur de l’habilitation sécuritaire que repose le fardeau de démontrer que les préoccupations du Ministre, découlant de cette information, sont non-fondées (Fontaine, précitée, au para 75; MacDonnel, précitée, au para 16 et 31; Sylvester, au para 19; MacDonnel, précitée, au para 34).

[47]           En l’espèce, M. Henri, dans sa réponse à la lettre du 12 avril 2013, a surtout fait porter son effort sur les inférences tirées de la propriété de ses immeubles et de ses opérations bancaires.  Le reste des préoccupations exprimées dans la lettre du 12 avril a en quelque sorte fait l’objet d’une dénégation générale.  À l’instar de mon collègue le juge Manson dans Peles, précité, il y a lieu de se demander à cet égard pourquoi le demandeur, dont s’était le fardeau, n’a pas tenté de démontrer avec plus de vigueur la nature de son rapport avec le Sujet A, qu’il avait pourtant fini par identifier, et ce qui a pu donner lieu au fait qu’aucune accusation ne soit portée contre lui suite à l’enquête, menée par la GRC, dont il était la cible principale.

[48]           Dans ces circonstances, la décision du Ministre, à qui revient la responsabilité d’assurer la sécurité aérienne et celle, corolaire, des aéroports canadiens, m’apparait se situer à l’intérieur de la fourchette d’issues possibles et acceptables eu égard aux faits et au droit applicables à la présente affaire.

[49]           La demande de contrôle judiciaire du demandeur sera donc rejetée, avec dépens.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens contre le demandeur.

« René LeBlanc »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER:

T-1454-13

INTITULÉ:

PIERRE-LOUGENS HENRI c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE:

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 9 septembre 2014

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS:

LE 27 NOVEMBRE 2014

COMPARUTIONS:

Me Tetiana M. Gerych

Me Caron Kljajo

Pour le demandeur

Me Sara Gauthier

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Mitchell Gattuso s.e.n.c.

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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