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Date : 20141218


Dossier : IMM-642-14

Référence : 2014 CF 1233

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2014

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

YANI MEILINA

demanderesse

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Madame Yani Meilina, une citoyenne chrétienne de l’Indonésie âgée de 58 ans, sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rejetant son appel à l’égard des conclusions de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon lesquelles elle n’a pas qualité de réfugiée ni celle de personne à protéger. Malgré le fait que la SPR a conclu que la demanderesse avait été victime de persécution fondée sur le sexe de la part de son ex‑époux, elle a aussi conclu que l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) était déterminante dans le cadre de  toutes les demandes d’asile présentées aux termes de l’article 96 ou du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

[2]               Tout comme le font les cours supérieures de justice dans les mêmes circonstances, la SAR a effectué une analyse de la norme de contrôle et a conclu que la norme de la raisonnabilité s’appliquait aux conclusions de fait et aux conclusions mixtes de fait et de droit de la SPR. Pour ces raisons, elle a conclu que l’analyse effectuée par la SPR quant à l’existence d’une PRI était raisonnable et que les conclusions de celle-ci appartenaient aux issues possibles.

I.                   Questions en litige et norme de contrôle

[3]               La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question :

                      La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’elle devait appliquer la norme de la raisonnabilité aux conclusions de fait et aux conclusions mixtes de fait et de droit de la SPR?

[4]               Le défendeur soutient que, même si la SAR avait commis une erreur susceptible de révision en décidant d’appliquer la norme de la raisonnabilité, je devrais rejeter la demande de contrôle étant donné que la SPR aurait tiré la même conclusion si elle avait appliqué la norme de la décision correcte.

[5]               En toute déférence, je ne souscris pas à l’opinion du défendeur selon laquelle la Cour devrait substituer sa propre appréciation des éléments de preuve produits devant la SAR et, puisque la présente demande ne soulève pas une simple question de crédibilité, j’estime par conséquent que, si je conclus que la SAR a commis une erreur en décidant d’appliquer la norme de la raisonnabilité, la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie, et l’affaire devrait être renvoyée à la SAR pour nouvel examen.

[6]               Cela dit, les erreurs de droit contrôlées par la Cour sont généralement régies par la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 44). Les questions concernant l’interprétation de la loi constitutive d’un tribunal ou d’une loi étroitement liée à son mandat sont censées être susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 (Alberta Teachers). Ce principe s’applique sauf si l’interprétation de la loi constitutive est : 1) une question constitutionnelle; 2) une question de droit qui revêt une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui est étrangère au domaine d’expertise du décideur; 3) une question portant sur la délimitation des compétences respectives des tribunaux spécialisés; ou 4) une question touchant véritablement à la compétence (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 59 à 61; Alberta Teachers, précité).

[7]               Depuis que la présente affaire a été plaidée, la Cour a rendu plusieurs décisions sur le sujet et a effectué plusieurs analyses de la norme de contrôle. Dans Huruglica c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 799 (Huruglica), invoquant Newton c Criminal Trial Lawyers’ Association, 2010 ABCA 399, et Halifax (Regional Municipality) c United Gulf Developments Ltd, 2009 NSCA 78, le juge Phelan a conclu que, comme « la question de droit présente un intérêt général pour le système juridique », la Cour devrait appliquer la norme de la décision correcte quand elle examine la norme d’intervention choisie par la SAR dans le cadre d’appels des décisions de la SPR.

[8]               Toutefois, dans Akuffo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1063 (Akuffo), j’ai examiné la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, et je ne puis être d’accord avec le juge Phelan. Au paragraphe 26, j’ai estimé que « l’interprétation de la SAR quant aux dispositions qui la concernent n’est pas une question qui revêt une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble ou sur toute autre circonstance spéciale qui commanderait un examen selon la norme de la décision correcte. La question de l’interprétation n’a pas d’importance au-delà de l’application de ces dispositions particulières, celles-là mêmes qui ne font que définir le rôle et les responsabilités de la SAR ». J’ai certifié la question de sorte que les parties puissent la faire clarifier par la Cour d’appel fédérale.

[9]               En l’espèce, le choix de la norme de contrôle à appliquer n’est pas déterminant étant donné que j’arriverais à la même conclusion peu importe la norme que je choisirais.

II.                Analyse

[10]           Même si la Cour d’appel fédérale (la CAF) n’a pas encore instruit d’affaires concernant une décision de la SPR, les juges de la Cour s’entendent pour dire que le régime prévu en matière de contrôle judiciaire ne s’applique pas aux appels des décisions de la SPR entendus par la SaR.

[11]           Toutefois, la CAF devra statuer sur plusieurs questions, dont, par exemple : quel degré de déférence, s’il y a lieu, la SAR doit-elle accorder aux conclusions de la SPR et quelle est la portée des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit auxquelles il convient d’accorder de la déférence?

[12]           Quoi qu’il en soit, il apparaît clair en l’espèce que la demanderesse n’a pas tiré profit de l’appel auquel elle avait droit et, comme l’a conclu le juge Martineau dans Djossou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1080, j’estime que cela justifie l’annulation de la décision de la SAR et le renvoi de l’affaire pour nouvel examen.

[13]           À l’audience, les deux parties ont proposé que je certifie la même question qu’a certifiée le juge Phelan dans Huruglica. Toutefois, par souci de cohérence, je certifierai la même question que  j’ai certifiée dans Akuffo, car elle convient mieux en l’espèce :

Dans son cadre législatif, la Section d’appel des réfugiés (la SAR) doit-elle faire montre de retenue à l’égard des conclusions de fait et des conclusions mixtes de fait et de droit de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) lorsque l’appel se fonde sur le dossier des procédures de la SPR?

[14]           Même si cette question a été certifiée dans plusieurs affaires et même si la présente affaire n’est peut-être pas le meilleur exemple dont le défendeur pourrait saisir la Cour d’appel fédérale, je certifie malgré tout la question, étant donné qu’elle est déterminante en l’espèce et qu’elle serait déterminante en appel.


JUGEMENT

LA COURT STATUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.                  La décision de la Section d’appel des réfugiés datée du 16 janvier 2014 est annulée;

3.                  L’affaire est renvoyée pour nouvel examen à un autre commissaire de la Section d’appel;

4.                  La question suivante est certifiée :

Dans son cadre législatif, la Section d’appel des réfugiés (la SAR) doit-elle faire montre de retenue à l’égard des conclusions de fait et des conclusions mixtes de fait et de droit de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) lorsque l’appel se fonde sur le dossier des procédures de la SPR?

« Jocelyne Gagné »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-642-14

 

INTITULÉ :

YANI MEILINA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (ColOmbiE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 JUILLET 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 18 DÉcembRe 2014

 

COMPARUTIONS :

Leanna Krause

 

pour la demanderesse

 

R. Keit  Reimer

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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