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Date : 20141212


Dossier : IMM-1161-14

Référence : 2014 CF 1208

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2014

En présence de monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

NAHAL, KULWINDER SINGH

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Ceci est un contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] de la décision de Maître Normand Leduc de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [CISR] en date du 23 janvier 2014, qui confirme une décision antérieure de la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejetant la demande d’asile.

II.                Faits

[2]               Le demandeur, M. Nahal est âgé de 36 ans et est originaire de l’État de Penjab en Inde. Il est marié et père de deux enfants.

[3]               Il a entretenu des relations homosexuelles avec un ami nommé Sukhvir.

[4]               Il a, par la suite, été battu par sa famille, le 17 février 2013, après avoir été surpris par sa famille au cours de l’une de ses relations intimes avec Sukhvir.

[5]               Il a également été arrêté, détenu et torturé par la police le 8 mars 2013 en raison de ses liens avec Sukhvir, entre autres. Il a été relâché le 10 mars 2013.

[6]               Il s’est ensuite réfugié chez son oncle dans un village de l’État de Haryana en mars 2013.

[7]               Le demandeur a quitté l’Inde pour le Canada et a demandé l’asile le 4 juin 2013 avec l’aide d’un agent qui lui a fourni de faux documents.

III.             Décision de la SPR

[8]               La SPR a rejeté la demande d’asile dans sa décision datée du 25 octobre 2013, au motif que les allégations du demandeur n’étaient pas crédibles.

[9]               La SPR a noté plusieurs contradictions et incohérences qui n’ont pas été expliquées de façon satisfaisante par le demandeur, ce qui a miné sa crédibilité.

[10]           Le demandeur interjette appel à la SAR de la décision de la SPR.

IV.             Décision contestée

[11]           Le commissaire unique désigné par la SAR pour entendre l’affaire confirme la décision de la SPR, en vertu du paragraphe 111(1) de la LIPR, à l’effet que le demandeur n’a pas qualité de réfugié en vertu de l’article 96 de la LIPR ni de « personne à protéger » en vertu du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[12]           Au cœur de la décision de la SAR est la question de savoir si la SPR a erré dans son évaluation de la crédibilité du demandeur.

[13]           La SAR aborde premièrement la question de la norme de contrôle. Elle est d’avis que bien qu’elle ne procède pas à un contrôle judiciaire des décisions de la SPR, mais agit plutôt comme une instance d’appel au sein de la CISR, à défaut d’instruction des tribunaux supérieurs, il est possible pour elle d’appliquer les principes établis par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir].

[14]           La SAR décide donc d’appliquer la norme de la décision raisonnable parce que la question centrale du dossier est à savoir si la SPR a erré dans son évaluation de la crédibilité du demandeur, qui est une question de fait. Elle ajoute que la retenue judiciaire est de mise et que déférence doit être accordé à la décision de la SPR.

[15]           La SAR examine ensuite la décision de la SPR qui conclut que le demandeur n’est pas un témoin crédible. Elle note les neuf motifs qui ont mené à cette conclusion. Pour chacune de celle-ci, la SAR reprend les contradictions dans le témoignage du demandeur identifiées par la SPR.

[16]           La SAR mentionne qu’elle est d’accord avec le demandeur que la SPR a erré sur quatre des neuf éléments identifiés. Elle note également que le demandeur ne contredit pas les cinq autres éléments sur lesquels la SPR a fondé sa décision. Elle ajoute qu’à défaut de plus précisions de la part du demandeur, il n’y a rien qui justifie l’intervention de la SAR.

[17]           La SAR conclut finalement en disant que « quoi qu’il en soit, et je ne dis pas que je serais arrivée aux mêmes conclusions que la SPR, mais j’estime que, pris dans son ensemble, la décision de la SPR est raisonnable parce que transparente, intelligible, et appartenant aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dossier de la partie demanderesse à la page 9, décision de la SAR au para 27). La SAR confirme donc la décision de la SPR, soit de rejeter la demande d’asile du demandeur.

V.                Prétentions des parties

[18]           Le demandeur soumet premièrement que la SAR n’a pas correctement évalué la norme de contrôle applicable. Étant un tribunal d’appel, la SAR a compétence pour entendre les appels de novo. De ce fait, elle doit analyser la preuve qui lui est présentée, tirer ses propres conclusions, et ce, sans accorder aucune déférence à la SPR. Elle avait donc compétence pour établir ses propres conclusions quant à la crédibilité du demandeur.

[19]           Le défendeur réplique que la SAR a appliqué la norme de contrôle appropriée dans les circonstances. Il prétend que le rôle de la SAR n’est pas de réévaluer à nouveau l’ensemble de la preuve, mais plutôt de vérifier si la SPR a commis une erreur. À moins que le demandeur démontre une erreur dans la décision de la SPR, la SAR est tenue de respecter les conclusions de fait ou les conclusions mixtes de fait et de droit tirées par la SPR. Le processus devant la SAR ne peut donc pas être qualifié de novo, comme l’allègue le demandeur.

[20]           Le demandeur soutient, en deuxième lieu, que la SAR n’a pas correctement évalué la crédibilité du demandeur parce que celle-ci s’est simplement basée sur le fait que le demandeur a eu de la difficulté à se remémorer le nom d’un village où il s’était réfugié, ainsi que la date du commencement de sa relation avec Sukhvir. Le demandeur avance aussi qu’à la lecture du paragraphe 27 de la décision de la SAR, il semble que la SAR ne serait pas arrivé à la même conclusion que la SPR si elle avait elle-même évalué le dossier du demandeur.

[21]           Le défendeur réplique qu’il était raisonnable pour la SAR de maintenir les conclusions de la SPR quant à la crédibilité du demandeur. Il allègue que, prises dans leur ensemble, les conclusions de la SPR sont raisonnables. La conclusion du manque de crédibilité du demandeur à laquelle est arrivée la SPR est donc justifiée.

VI.             Question en litige

[22]           Les parties ne proposent aucune question en litige.

[23]           Après avoir révisé les prétentions des parties, ainsi que la jurisprudence de cette Cour sur les contrôles judiciaires des décisions de la SAR, je soumets la question suivante :

  1. La SAR, en adoptant la norme de la raisonnabilité à un processus d’appel, a-t-elle évalué adéquatement les déterminations concernant la crédibilité du demandeur faites par la SPR?

VII.          Norme de révision

[24]           Plusieurs juges de la Cour se sont prononcés sur le choix de la norme de révision à appliquer par la Cour fédérale à la portée de l’examen fait par la SAR en appel. Tel que le juge Martineau l’explique dans sa décision Djossou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1080 au para 18, plusieurs décisions de la Cour conclues, d’un côté, que la norme de la décision correcte doit s’appliquer (Iyamuremye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 494 au para 20 [Iyamuremye]; Garcia Alvarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 702 au para 17 [Garcia Alvarez]; Eng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 711 au para 18 [Eng]; Huruglica c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 799 aux paras 24 à 34 [Huruglica]; Yetna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 858 [Yetna] au para 14; Spasoja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 913 [Spasoja] aux paras 7 à 9). D’autres décisions affirment, pour leur part, le contraire, soit que la Cour devrait appliquer la norme de la décision raisonnable aux décisions de la SAR (Akuffo v Canada (Ministre of Citizenship and Immigration), 2014 FC 1063 [Akuffio] aux paras 16 à 26; Djossou, supra au para 18).

[25]           Dans le présent dossier, la SAR, sur la base des motifs d’appel présentés, traite uniquement de questions de fait concernant la crédibilité accordée au demandeur par la SPR. Dans une telle situation, lorsqu’il s’agit, en contrôle judiciaire, de traiter de questions de fait applicables à un dossier, c’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique (Dunsmuir, supra au para 53).

VIII.       Analyse

A.                La SAR, en adoptant la norme de la raisonnabilité à un processus d’appel, a-t-elle évalué adéquatement les déterminations concernant la crédibilité du demandeur faites par la SPR?

[26]           En l’espèce, l’interprétation retenue par la SAR, soit d’appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable à la décision de la SPR n’est pas une approche acceptable en droit et constitue une erreur révisable ayant un caractère déterminant (Alyafi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 952 au para 10 [Alyafi]; Spasoja, supra aux paras 3, 9, 11 et 47; Djossou, supra au para 37; Guardado c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 953 aux paras 3 et 4 [Guadado]). En l’espèce, après avoir conclu que les principes développés de l’affaire Dunsmuir s’appliquent au dossier, la SAR écrit ce qui suit :

« Au paragraphe 47 de la décision Dunsmuir, la Cour énonce que « le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». La retenue judiciaire est donc de mise et déférence doit être accordée à la décision de la SPR » (Dossier du demandeur à la page 9, décision de la SAR au para 17).

[27]           La SAR en arrive à une telle affirmation sans explication reliée aux dispositions statutaires de la LIPR décrivant les pouvoirs et la procédure d’appel. Il me semble qu’un appel, ayant à traiter des questions de fait, exige une certaine déférence à l’égard des conclusions factuelles du tribunal inférieur, mais pas nécessairement le même degré de déférence que celle applicable à la norme de la raisonnabilité d’un contrôle judiciaire. Comme le juge Martineau dans Djossou, supra au para 37, je ne me prononcerai pas de façon finale à ce sujet. Il est important que la Cour fédérale d’appel se prononce sur ce sujet ainsi que d'autres, de façon à clarifier une fois pour toutes la situation dans l’intérêt de tous.

[28]           J’ajoute que la décision de la SAR est aussi déraisonnable lorsqu’on lit les déterminations faites à l’égard de la crédibilité du demandeur et qu’à la toute fin, la SAR précise que : « […] je ne dis pas que je serais arrivée aux mêmes conclusions […] » pour finalement conclure que, dans son ensemble, la décision de la SPR est raisonnable. Selon le degré de déférence accordé à une question de fait, en tenant compte de ce processus d’appel, il se pourrait que la SAR en soit arrivée à une conclusion différente. Une telle affirmation porte à croire que la SAR aurait conclu différemment.

[29]           La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et l’affaire est renvoyée à la SAR pour un nouvel examen de l’appel du demandeur.

IX.             Conclusion

[30]           La décision de la SAR est déraisonnable. L’interprétation retenue par celle-ci, soit d’appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable à la décision de la SPR, n’est pas une approche acceptable en droit et constitue une erreur révisable ayant un caractère déterminant. L’intervention de cette Cour est donc justifiée. De plus, la SAR, n’ayant pas eu à appliquer la norme de la raisonnabilité, aurait peut-être conclu différemment selon le degré de déférence à accorder aux déterminations de faits de la SPR. L’affaire est renvoyée à la SAR pour un nouvel examen de l’appel du demandeur, qui tient compte de la jurisprudence de nos Cours.

[31]           Les parties ont été invitées à présenter des questions aux fins de certification, mais aucune question n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.
  2. Aucune question n’est certifiée.

« Simon Noël »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


dossier :

IMM-1161-14

 

INTITULÉ :

KULWINDER SINGH NAHAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

montréal (québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 décembre 2014

 

jugement et MOTIFS :

LE JUGE simon NOËL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 décembre 2014

 

COMPARUTIONS :

Claudette Menghile

 

pour la PARTIe demanderESSE

 

Suzanne Trudel

 

pour le partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Claudette Menghile

Avocate

Montréal (Québec)

 

pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

pour la partie défenderesse

 

 

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