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Date : 20141208


Dossier : T-1288-14

Référence : 2014 CF 1179

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2014

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

SERGE DESCHÊNES

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision du 25 avril 2014 rendue par le Ministère des Travaux publics et Services gouvernementaux [Ministère] selon laquelle la période de service du demandeur auprès du gouvernement du Québec, entre le 6 octobre 1986 et le 1er avril 1990, n’est pas valide aux fins de rachat de service.

[2]               La décision contestée a été prise sous l’autorité des divisions 6(1)b)(iii)(F) et (K) de la Loi sur la pension de la fonction publique, LRC 1985, c P-36 [Loi] qui prescrivent :

6. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le service qui suit peut être compté par un contributeur comme service ouvrant droit à pension pour l’application de la présente partie :

 

6. (1) Subject to this Part, the following service may be counted by a contributor as pensionable service for the purposes of this Part:

 

[…]

 

[…]

b) le service accompagné d’option, comprenant :

 

(b) elective service, comprising,

 

[…]

 

[…]

(iii) relativement à un contributeur :

 

(iii) with reference to any contributor,

 

[…]

 

[…]

(F) toute période de service dans un emploi ouvrant droit à pension, immédiatement avant de devenir employé dans la fonction publique, s’il choisit, dans le délai d’un an après qu’il est devenu contributeur selon la présente partie, de payer pour ce service,

 

(F) any period of service in pensionable employment immediately prior to becoming employed in the public service, if he elects, within one year of becoming a contributor under this Part, to pay for that service,

 

[…]

[…]

 

(K) toute période de service décrite au présent alinéa — sauf si elle est visée à la division (M) ou (N) — pour laquelle il aurait pu choisir, selon la présente partie, la partie I de la Loi sur la pension de retraite, la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada ou tout décret pris en vertu de la Loi de 1950 sur les forces canadiennes, modifiée par la Loi de 1954 sur les forces canadiennes, de payer, mais pour laquelle il a omis de faire un choix dans le délai imparti à cette fin, s’il opte, à tout moment avant de cesser d’être employé dans la fonction publique, de payer pour ce service

 

(K) any period of service described in this paragraph, except a period described in clause (M) or (N), for which the contributor might have elected, under this Part, Part I of the Superannuation Act, the Canadian Forces Superannuation Act, the Royal Canadian Mounted Police Superannuation Act or any order in council made under The Canadian Forces Act, 1950, as amended by the Canadian Forces Act, 1954, to pay, but for which the contributor failed so to elect within the time prescribed therefor, if the contributor elects, at any time before ceasing to be employed in the public service, to pay for that service

[soulignements ajoutés]

 

 

[3]               Le 21 novembre 2009, le demandeur a déposé une demande de rachat d’années de service ouvrant droit à la pension pour toute période d’emploi avec le gouvernement du Québec qu’il aurait pu compter en participant au Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics. Le litige entre les parties porte sur la date à laquelle le demandeur a cessé d’être employé dans l’emploi ouvrant droit à la pension. Le paragraphe 13(3) du Règlement sur la pension de la fonction publique, CRC, c 1358 [Règlement] précise que la période de service dans un emploi ouvrant droit à la pension ne sera, en aucun cas, considérée comme immédiatement antérieure aux fins de la division 6(1)b)(iii)(F) de la Loi si le contributeur est devenu employé dans la fonction publique plus de deux ans après qu’il ait cessé d’être employé dans l’emploi ouvrant droit à la pension.

[4]               Le demandeur est fonctionnaire fédéral depuis le 1er février 1993. Antérieurement, le demandeur a travaillé pour le compte du gouvernement du Québec entre le 6 octobre 1986 et le 30 avril 1989, alors que le 31 mars 1989, il a été autorisé à prendre un de congé sans traitement de deux ans pour fonder une entreprise – soit du 1er mai 1989 au 1er mai 1991. Durant ses années de service comme fonctionnaire provincial, le demandeur a cotisé au Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics pour la période du 6 octobre 1986 au 1er avril 1990. Ce régime est administré par la Commission administrative des régimes de retraite et d’assurance du Québec [CARRA]. Le demandeur n’est pas retourné dans son emploi le 1er mai 1991 au gouvernement du Québec.

[5]               Si le demandeur a cessé d’être employé au gouvernement du Québec à la dernière date où la CARRA indique qu’il a été considéré être en service, soit le 1er avril 1990, un délai de plus de deux ans s’est écoulé après qu’il ait cessé d’être employé dans l’emploi ouvrant droit à la pension. Par contre, si le demandeur a plutôt cessé d’être employé au gouvernement du Québec à la fin du congé sans traitement qui lui avait été autorisé, soit le 1er mai 1991, le délai de deux ans n’était pas encore expiré et la période d’emploi au gouvernement du Québec pouvait être considérée comme immédiatement antérieure. Dans la seconde hypothèse, le demandeur pouvait racheter la période de service du 6 octobre 1986 au 30 avril 1989, alors que dans la première, l’option exercée était invalide et sa demande de rachat ne pouvait pas être approuvée par le Ministre.

[6]               En plus de requérir l’annulation de la décision contestée, le demandeur désire aujourd’hui que la Cour ordonne au Ministère de reconnaître que le service du demandeur durant la période du 6 octobre 1986 au 30 avril 1989 est rachetable, et ce, tel que l’avait soi-disant reconnu le Ministère dans une décision rendue le 15 décembre 2010. Le défendeur conteste vivement les prétentions du demandeur. Je suis satisfait en l’espèce que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique aux questions de fait, ou mixtes de fait et de droit, qui sont en cause dans cette affaire : Alliance de la fonction publique du Canada c Procureur général du Canada, 2008 CF 474 au para 18, confirmé par 2009 CAF 6 au para 6; Nash c Canada (Procureur général), 2013 CF 683 au para 15.

[7]               La présente demande de contrôle judiciaire doit échouer.

[8]               En premier lieu, le fait que le demandeur ait commencé à verser des cotisations mensuelles dès le mois novembre 2009, n’a créé aucune expectative légitime à l’effet que la demande de rachat allait être acceptée par le Ministre au bout du compte. D’une part, le rachat de service ne peut être valide que si le demandeur subit succès un examen médical. D’autre part, suite à la réception du premier versement mensuel de 788,62 $ payable, en novembre 2009, il est bien indiqué dans la lettre du 10 décembre 2009 que le Ministère adresse au demandeur pour accuser réception du Formulaire pour service accompagné l’option (TPSGC 3006) [demande de rachat] que « nous devons encore déterminer la validité de votre rachat de service » et qu’« [u]ne fois que vous serez satisfait à toutes les exigences liées au rachat de service, nous vous ferons parvenir un Avis de rachat de service » (TPSGC 2097).

[9]               Le demandeur prétend que le Ministère s’est déjà prononcé en sa faveur, et ce, de façon finale le 15 décembre 2010. Il s’appuie sur un courriel que lui a adressé une employée du Ministère et qui précise notamment que :

Le temps crédité avec la CARRA et donc rachetable chez la fonction publique: 6 octobre 1986 au 30 avril 1989.

Congé sans solde du 1er mai, 1989 au 1er mai 1991, n’est pas crédité chez CARRA alors n’est pas rachetable.

[10]           Selon le demandeur, le courriel du 15 décembre 2010 constitue une « décision » qui reconnaît expressément le droit de rachat des années de service pour la période du 6 octobre 1986 au 30 avril 1989. Il faut en déduire que le Ministère a reconnu implicitement la validité de l’option de rachat. Le demandeur allègue en outre que l’interprétation des termes « immédiatement avant » de la division 6(1)b)(iii)(F) de la Loi est discrétionnaire, et comme le courriel du 15 décembre 2010 est une « décision », le pouvoir discrétionnaire du Ministre de prendre une décision était donc épuisé selon la doctrine dite du « functus officio ». La décision contestée du 25 avril 2014 a donc été prise sans compétence, alors que la doctrine de la préclusion (sinon celle de l’expectative légitime) fait en sorte que la décision du 15 décembre 2010 doit être rétablie, ce que conteste bien entendu le défendeur.

[11]           En l’espèce, le courriel du 15 décembre 2010 n’est pas une « décision finale ». La doctrine de la préclusion ne s’applique pas. Le comportement du Ministère n’a créé aucune expectative légitime et le Ministère avait toute compétence pour rendre la décision contestée du 25 avril 2014, laquelle constitue une issue acceptable en regard du droit applicable et de la preuve au dossier.

[12]           D’une part, il est clair qu’on n’a pas affaire ici à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. La division 6(1)b)(iii)(F) de la Loi et le paragraphe 13(3) du Règlement prescrivent des conditions précises devant être remplies pour qu’un rachat de service soit légalement valide. Ces dispositions n’accordent aucune discrétion au décideur. D’ailleurs, le paragraphe 13(3) du Règlement indique clairement qu’« en aucun cas » une période de service s’étant terminée plus de deux ans avant le début de l’emploi du contributeur à la fonction publique ne sera considérée comme « immédiatement antérieure » aux fins de la division 6(1)b)(iii)(F). Le Ministère a donc l’obligation de s’assurer que les normes préétablies dans la Loi et le Règlement sont remplies en l’espèce.

[13]           D’autre part, le courriel du 15 décembre 2010 n’est pas une décision finale. Le demandeur a été préalablement informé par écrit que lorsque sa demande de rachat aura été traitée, il recevrait un Avis de rachat de service (TPSGC 2097). Or, le courriel du 15 décembre 2010 se contente de donner de l’information dans un processus qui est toujours en cours et n’est pas complété – comme le démontre notamment la mention par l’employée à l’effet qu’une demande serait faite pour le service du demandeur auprès des Forces armées au cas où les nouvelles règles s’appliquent.

[14]           D’ailleurs, le 17 septembre 2013, la demande de rachat a été envoyée à la Section de la vérification du Centre des pensions qui, le 24 septembre 2013, a émis une observation du contrôle de la qualité indiquant que les documents de la CARRA démontrent que la cessation d’emploi du demandeur est le 1er avril 1990 et non le 1er mai 1991 comme le demandeur l’avait antérieurement indiqué. Le rachat de service serait donc invalide puisque la période de service du demandeur auprès du gouvernement du Québec était expirée depuis plus de deux ans avant le début du service à la fonction publique fédérale.

[15]           Avant de rendre la décision contestée du 25 avril 2014, le décideur a bien tenté d’obtenir du demandeur des éclaircissements ou des documents pouvant corroborer sa prétention à l’effet qu’il aurait effectivement cessé son emploi le 1er mai 1991 et non le 1er avril 1990 comme l’indique la CARRA. Ainsi, le 28 novembre 2013, une employée du Centre de pensions a envoyé un courriel au demandeur lui demandant de soumettre des documents démontrant sa date de démission du gouvernement du Québec. Le 11 avril 2014, un employé du Centre des pensions demande par téléphone au demandeur de lui fournir une lettre ou une confirmation de la date réelle de cessation d’emploi auprès du gouvernement du Québec. Selon les notes de l’employé du Centre des pensions, le demandeur lui indique que l’information est au dossier et qu’il a fait toutes les démarches possibles, et qu’il ne contactera ni le gouvernement du Québec, ni la CARRA.

[16]           En l’espèce, la décision contestée est raisonnable et repose sur la preuve au dossier. Le fait que le 31 mars 1989 on ait accordé un congé sans solde de deux ans au demandeur ne prouve pas en soi qu’il a effectivement cessé d’être à l’emploi du gouvernement du Québec le 1er mai 1991, puisqu’il a pu tout aussi bien choisir de remettre sa démission avant la fin du congé sans solde. S’il est vrai que la première partie du Questionnaire relatif à un emploi ouvrant droit à pension complété par le demandeur indique comme date de cessation d’emploi le 1er mai 1991, la deuxième partie du même questionnaire complété par la CARRA, ainsi que la lettre de la CARRA du 13 octobre 2010 indiquent plutôt que la date de cessation d’emploi est le 1er avril 1990.

[17]           Pour conclure, sur la base de l’information contenue au dossier, il était donc raisonnable pour le décideur de conclure que la date de fin d’emploi du demandeur était le 1er avril 1990 et donc qu’un délai de plus de deux ans s’était écoulé entre la fin de l’emploi du demandeur au gouvernement du Québec et le début de son emploi à la fonction publique fédérale.

[18]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Vu le résultat, le défendeur a droit aux dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1288-14

 

INTITULÉ :

SERGE DESCHÊNES c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 décembre 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 décembre 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Frédérick Langlois

 

Pour le demandeur

 

Marie-Josée Montreuil

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Deveau, Bourgeois, Gagné, Hébert & Associés

Avocat(e)s

Gatineau (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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