Federal Court Decisions

Decision Information

Decision Content

                                                                                                                                            Date : 20021015

                                                                                                                                         Dossier : T-728-01

                                                                                                             Référence neutre : 2002 CFPI 1064

Entre :

                                                COGÉCO RADIO-TÉLÉVISION INC.,

                               corporation légalement constituée ayant sa place d'affaires

                                                 au 2830 boul. St-Martin Est, suite 200,

                                                              Laval, Québec H7E 5A1

                                                                                                                                             Demanderesse

                                                                              - et -

                                                                 JEAN TRÉPANIER,

                                       domicilié et résident au 1695, rue Gilles-Lupien,

                                                    Trois-Rivières, Québec, G8Y 7B6

                                                                                                                                                     Défendeur

                                                                              - et -

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                    Intervenant

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

        La présente demande de contrôle judiciaire vise l'annulation de la décision de Robert DeBlois, arbitre (ci-après, « l'arbitre » ) nommé par le ministre du Travail aux termes de l'article 242 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, le « Code » , décision rendue le 30 mars 2001 accueillant la plainte du défendeur et déclarant que celui-ci avait été injustement congédié.


        La demanderesse est une entreprise qui opère des stations de radio-télévision, entre autres, dans les villes de Trois-Rivières et de Sherbrooke. De 1988 à 1998, le défendeur fut conseiller publicitaire chez la demanderesse.

        À compter du 1er octobre 1997, le défendeur s'est déclaré malade et inapte au travail, souffrant d'une dépression majeure.

        Ce dernier fut examiné à deux reprises par l'expert de la demanderesse, le Dr Lionel Béliveau, psychiatre. Dans son second et dernier rapport d'expertise, le Dr Béliveau concluait à l'incapacité permanente du défendeur. En conséquence, le 30 juin 1998, la demanderesse a mis fin au contrat du défendeur au motif d'incapacité permanente.

        Le 3 août 1998, le défendeur déposait une plainte contre la demanderesse, alléguant qu'il avait été injustement congédié.

        L'arbitre a été saisi du dossier et une enquête d'une durée de quinze jours a eu lieu durant la période du 8 novembre 1999 au 31 octobre 2000.

        Dans sa décision du 30 mars 2001, l'arbitre a accueilli la plainte du défendeur et a déclaré que ce dernier avait été injustement congédié par la demanderesse. En conséquence, l'arbitre a condamné la demanderesse à payer au bénéfice du défendeur une indemnité équivalant à douze mois de salaire ainsi que la somme de 15 000 $ pour compenser en partie les honoraires professionnels encourus par celui-ci.

        Il importe de reproduire l'extrait suivant qu'on retrouve aux pages 32 à 34 de la décision de l'arbitre :


L'arbitre soussigné a eu également le loisirs (sic) de prendre connaissance des différentes autorités citées par les parties lors de l'audition ainsi que celles que l'on retrouve dans le cadre de la jurisprudence ci-avant énoncée et il en arrive à la conclusion qu'il y a lieu de faire droit en partie à la demande du procureur du plaignant.

En effet, les conséquences de l'attitude de l'employeur à l'endroit du plaignant sont importantes parce qu'elles ont contribué à la détérioration de son état de santé, état dont souffre encore le plaignant trois ans après le début de sa période d'incapacité.

[. . .]

Il apparaît à l'arbitre soussigné que l'employeur savait, à la lecture des rapports de son propre expert le psychiatre Béliveau, la relation entre l'incapacité du plaignant et le conflit qu'il vivait dans son milieu de travail. Rappelons que le plaignant sera examiné une seconde fois par le docteur Béliveau à la demande de l'employeur le 15 juin 1998 et dès le 30 juin, on lui fait parvenir la décision de l'entreprise de mettre fin à son contrat de travail. Pourquoi un tel empressement? À partir des constatations de son propre expert, Cogéco aurait dû réaliser son implication dans l'état de santé du plaignant, surtout que son retour au travail était incompatible avec "le contexte organisationnel actuel de l'entreprise".

Cogéco a donc passé outre à toute la problématique de l'organisation du travail en relation avec l'état de santé de son employé par ailleurs très performant, au dossier disciplinaire sans tache et qui comptait près de dix (10) ans de loyaux services pour l'entreprise.

Ajoutons à cela le fait que cette audition a requis quinze (15) jours d'audience y compris pour les plaidoiries, la présence de nombreux experts médicaux avec tout ce que cela peut comporter en termes d'interrogatoires et de contre-interrogatoires, les coûts rattachés à la présence de tels experts devant le tribunal. Bref, toutes ces considérations amènent l'arbitre soussigné à la conclusion qu'il s'agit, au sens de la jurisprudence, d'une situation exceptionnelle qui mérite qu'une compensation soit accordée à cet égard au plaignant.

[. . .]

        Les dispositions pertinentes du Code sont les suivantes:


240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si :

a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.



242. (1) The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3), appoint any person that the Minister considers appropriate as an adjudicator to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was made, and refer the complaint to the adjudicator along with any statement provided pursuant to subsection 241(1).

(2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

(a) shall consider the complaint within such time as the Governor in Council may by regulation prescribe;

(b) shall determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint; and

(c) has, in relation to any complaint before the adjudicator, the powers conferred on the Canada Industrial Relations Board, in relation to any proceeding before the Board, under paragraphs 16(a), (b) and (c).

(3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

(3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or

(b) a procedure for redress has been provided elsewhere in or under this or any other Act of Parliament.

(4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

(b) reinstate the person in his employ; and

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

243. (1) Every order of an adjudicator appointed under subsection 242(1) is final and shall not be questioned or reviewed in any court.


242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.

(2) Pour l'examen du cas dont il est saisi, l'arbitre :

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part;

c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).

(3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l'arbitre :

a) décide si le congédiement était injuste;

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l'appui, à chaque partie ainsi qu'au ministre.

(3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants :

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste;

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

(4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur :

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

243. (1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 242(1) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.



      En ce qui a trait aux décisions rendues par un arbitre nommé en vertu du paragraphe 242(1) du Code, la norme de contrôle est le critère de justesse lorsque la question porte sur la compétence même de l'arbitre. Cependant, si la question en est une de fait et de droit qui relève de la compétence du tribunal, la norme de contrôle est alors celle de la décision manifestement déraisonnable (Lamontagne c. Climan Transportation Services (2747-7173 Québec Inc.), [2000] A.C.F. no 2063 (1re inst.) (QL)).

      Dans l'affaire Nation Maliseet à Tobique c. Bear, [1999] A.C.F. no 1846, j'ai aussi eu l'occasion de me pencher sur la question de la norme de contrôle d'une décision d'un arbitre nommé en vertu du paragraphe 242(1) du Code. J'ai alors indiqué :

[TRADUCTION]

[21]          En soupesant le deuxième argument de la demanderesse selon lequel les conclusions de l'arbitre n'étaient étayées ni sur les faits, ni sur le droit, je dois appliquer une norme de contrôle qui corresponde à l'approche fonctionnelle et pragmatique que la Cour suprême du Canada a confirmée dans plusieurs arrêts récents (voir, par exemple, Veluppilai Pushpanathan c. Canada (M.C.I.) et autre, [1998] 1 R.C.S. 982, et Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748).

[22]          En l'espèce, considérant la clause privative que contient le paragraphe 243(1) du Code; considérant que l'arbitre n'a pas excédé la compétence que lui confère le Code; considérant que la structure administrative que le Code impose crée un mécanisme efficace permettant d'atteindre l'objectif qui consiste à gérer les intérêts des employeurs et ceux des employés dans le but de trouver des solutions qui établissent simultanément un équilibre entre les avantages et les désavantages des parties en cause; considérant que l'arbitre McGinley possède un grande expertise à l'égard des questions que soulève la présente demande, vu qu'il doit continuellement résoudre des conflits entre des employeurs et des employés et qu'il a acquis des aptitudes particulières dans ce domaine et considérant que, pour ce qui est du bien-fondé de la plainte, la question est principalement fondée sur des conclusions de fait; je conclus que la Cour doit faire preuve d'une grande retenue à l'égard de la décision de l'arbitre et qu'il convient d'appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable.

      Dans l'affaire Gauthier c. Banque du Canada, [2000] A.C.F. no 1453 (1re inst.) (QL), le juge Lemieux arrive à la même conclusion. Après s'être référé à la décision Conseil de l'éducation de Toronto (Cité) v. F.E.E.E.S.O., District 15, [1997] 1 R.C.S. 487, le juge Lemieux a conclu :


[28]          Comme nous pouvons le constater, le législateur a effectivement prévu, pour ce qui est des décisions rendues par un arbitre dans le cadre d'une plainte déposée en vertu de l'article 240 du Code, une clause privative à l'article 243 du Code. Ainsi, il va de soi que notre Cour, dans le cadre du contrôle judiciaire de telles décisions, se doit d'agir avec beaucoup de circonspection et de retenue.

[29]          En outre, je partage l'avis de Monsieur le juge Heald dans Aziz v. Telesat Canada (1995), 104 F.T.R. 267 (C.F.), qui a bien résumé les normes de contrôle applicables dans le cas de décisions rendues par un arbitre et ce, après avoir analysé la jurisprudence pertinente:

[19]                  To summarize, the relevant jurisprudence clearly establishes that the standard of review relating to errors of fact and law is the high or strict test of patent unreasonableness. It also establishes that the lower standard of correctness applies where the errors relate to provisions defining the jurisdiction of an adjudicator.

      Finalement, à cet égard, la Cour suprême du Canada, dans Caimaw c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983, a confirmé particulièrement ce qui suit à la page 1003 :

Lorsque, comme en l'espèce, un tribunal administratif est protégé par une clause privative, notre Cour a déclaré qu'elle n'examinera la décision du tribunal que si celui-ci a commis une erreur en interprétant les dispositions attributives de compétence ou s'il a excédé sa compétence en commettant une erreur de droit manifestement déraisonnable dans l'exercice de sa fonction; . . .

      En l'espèce, le premier argument de la demanderesse est basé sur l'existence d'une crainte de partialité de l'arbitre portant atteinte à un principe de justice naturelle et affectant donc la compétence de ce dernier. La demanderesse prétend que le fait que l'arbitre représente des syndicats et des travailleurs en relations de travail et droit de l'emploi concurremment à l'exercice de ses fonctions quasi-judiciaires fait naître une crainte raisonnable de partialité et de dépendance.

      L'impartialité a été décrite dans l'arrêt R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, comme étant « l'état d'esprit de l'arbitre désintéressé eu égard au résultat et susceptible d'être persuadé par la preuve et les arguments soumis. Par contraste, la partialité dénote un état d'esprit prédisposé de quelque manière à un certain résultat ou fermé sur certaines questions » .

      Aussi, le juge Cory, dans cette dernière cause, a-t-il précisé, à la page 529 :


Pour établir la partialité, il ne suffit donc pas de démontrer qu'un juré en particulier a certaines croyances, certaines opinions, voire même certains préjugés. Il faut établir que ces croyances, opinions ou préjugés empêchent le juré (ou, ajouterais-je, tout autre décideur) de mettre de côté toute idée préconçue et de parvenir à une décision fondée sur la preuve: Parks, précité, aux pp. 336 et 337.

Le juge Cory a également ajouté, à la page 531, que le critère de la réelle probabilité de partialité comporte un double élément objectif. Il faut donc que la personne examinant l'allégation de partialité soit raisonnable et la crainte de partialité doit elle-même être raisonnable eu égard aux circonstances de l'affaire.

      Le juge Cory a enfin écrit ce qui suit au sujet de la personne raisonnable, à la page 531 :

. . . La personne raisonnable doit de plus être une personne bien renseignée, au courant de l'ensemble des circonstances pertinentes, y compris [TRADUCTION] « des traditions historiques d'intégrité et d'impartialité, et consciente aussi du fait que l'impartialité est l'une des obligations que les juges ont fait le serment de respecter » : R. c. Elrick, [1983] O.J. No. 515 (H.C.), au par. 14. . . .

      En ce qui concerne toujours le critère à appliquer en matière de crainte de partialité, le juge DeGrandpré, alors dissident, dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, a expliqué, aux pages 394 et 395 :

. . . la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne censée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. . . . ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. . . .

Je ne vois pas de différence véritable entre les expressions que l'on retrouve dans la jurisprudence, qu'il s'agisse de « crainte raisonnable de partialité", « de soupçon raisonnable de partialité » ou « de réelle probabilité de partialité » . Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je suis complètement d'accord avec la Cour d'appel fédérale qui refuse d'admettre que le critère soit celui d' « une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne » .

      Récemment, le juge Blanchard a exprimé ce qui suit dans l'affaire Clerk c. Canadien Pacifique Ltée, 2001 CFPI 449, [2001] A.C.F. no 710 (1re inst.) (QL) :


[28]          Avant d'examiner cette preuve afin de déterminer l'existence ou non d'une crainte raisonnable de partialité, il importe de noter que la conjecture à elle seule ne sera pas suffisante pour qu'on puisse conclure à l'existence d'une crainte raisonnable de partialité. . . .


      Ce sont là les principes pertinents que j'ai bien présents à l'esprit en considérant l'argument de la demanderesse dans le contexte factuel de la présente cause. À cet égard, la demanderesse s'est limitée à déposer une liasse de décisions dans des instances où l'arbitre DeBlois a de façon fort majoritaire représenté des intérêts se rapprochant davantage de ceux des travailleurs que de ceux des employeurs. Toutefois, la très grande majorité des instances concernées en étaient qui se rapportaient strictement à la déontologie policière. Pour le reste, il appert que l'arbitre DeBlois a non seulement représenté, comme avocat, des travailleurs, mais, en quelques occasions, aussi des employeurs. Bien que la liste de décisions déposée soit relativement volumineuse, rien, dans la preuve, nous permet de déterminer l'importance que ce genre de causes présente dans la pratique du droit de l'arbitre DeBlois. La preuve ne révèle pas davantage quelque lien reliant l'arbitre soit avec la demanderesse, soit avec le défendeur. La demanderesse ne trouve rien à redire du comportement ou des commentaires de l'arbitre en regard de la plainte du défendeur. Le Code canadien du travail lui-même ne comporte pas de code de déontologie liant l'arbitre nommé en vertu de son article 242 et la demanderesse n'invoque aucune violation de quelque code de déontologie distinct directement applicable à cet arbitre. Dans tout ce contexte, après audition des procureurs des parties et révision de toute la preuve, je ne trouve rien qui amènerait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, à conclure à l'existence d'une crainte raisonnable de partialité. Le fait que la décision par ailleurs fort étoffée de l'arbitre, comportant une analyse élaborée et sérieuse tant de la preuve médicale que des autres témoignages, ne réfère pas spécifiquement à tous les extraits de témoignages que la demanderesse aurait voulu voir soulignés ne fait naître aucune apparence de partialité. On ne peut certes pas dans les circonstances reprocher à l'arbitre, à la suite d'une audition de quinze jours, de ne pas avoir tout mentionné expressément.

      Enfin, à la lumière du paragraphe 242(1) du Code qui prévoit que le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire, j'estime, dans les circonstances et en l'absence de dispositions ayant trait au degré d'indépendance requis de cet arbitre dans sa loi habilitante, qu'il était tout à fait approprié pour le ministre de considérer qu'un avocat ayant une expérience en droit du travail, comme Me DeBlois, constituait un candidat de choix acceptable pour occuper cette fonction particulière. Cette opinion s'appuie en majeure partie sur les propos suivants exprimés, d'abord, par Madame le juge en chef McLachlin, dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (Liquor Control and Licensing Branch, General Manager), 2001 CSC 52, [2001] A.C.S. no 17 (QL), au paragraphe 20 :

Cette conclusion est, à mon avis, inéluctable. Il est de jurisprudence constante que, en l'absence de contraintes constitutionnelles, le degré d'indépendance requis d'un décideur ou d'un tribunal administratif est déterminé par sa loi habilitante. C'est la législature ou le Parlement qui détermine le degré d'indépendance requis des membres d'un tribunal administratif. Il faut interpréter la loi dans son ensemble pour déterminer le degré d'indépendance qu'a voulu assurer le législateur.

et aussi par Monsieur le juge Evans, dans la décision rendue par le Cour d'appel fédérale dans Air Canada c. Lorenz, [2000] 1 C.F. 494, aux pages 506 et 507 :

[28]          L'avocat d'Air Canada a reconnu que la question sur laquelle il a demandé à la Cour de se prononcer est en grande partie fondée sur une première impression. Bien qu'il n'y ait aucun arrêt portant directement sur cette question, il a prétendu que, dans l'arrêt R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114, la Cour suprême du Canada avait exprimé l'avis qu'en l'absence de mesures de protection adéquates, la nomination de juges à temps partiel qui continuaient à pratiquer le droit ne respectait pas l'exigence constitutionnelle d'impartialité institutionnelle et d'indépendance.


[29]          La question de savoir si les préoccupations de cette nature s'appliquent aux tribunaux administratifs spécialisés est discutable. Par exemple, la conclusion que M. Marchessault est inhabile à siéger en tant qu'arbitre en l'espèce aurait pour effet que les avocats qui pratiquent en droit du travail et de l'emploi ne seraient généralement pas admissibles à être nommés en vertu de l'article 240 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 9, art. 15] du Code canadien du travail. Cela pourrait entraîner la perte d'une source précieuse d'expertise pertinente. Cependant, en l'absence de preuve relative à la fréquence où les arbitres sont choisis parmi les avocats pratiquant en droit du travail et de l'emploi, je ne peux tirer aucune conclusion sur cette question.

[30]          Bien entendu, une demande n'est pas automatiquement rejetée en raison de sa nouveauté en droit ou des conséquences pratiques de son succès. Il n'en demeure pas moins qu'aucune cour ne paraît avoir déjà dû se prononcer sur la question soulevée par Air Canada en l'espèce. Cela peut tendre à démonter qu'au moins certains praticiens en droit du travail et de l'emploi ne considèrent pas que le fait que la même personne ait la fonction d'arbitre et celle d'avocat praticien dans ce domaine donne lieu à une crainte raisonnable de partialité, surtout lorsque, comme en l'espèce, l'arbitre représente tant la direction que les employés dans sa pratique du droit.

[31]          Je dois cependant répéter que je n'étais saisi d'aucune preuve au sujet de la proportion des nominations d'arbitres qui pratiquent activement en droit du travail et de l'emploi. Je ne sais donc pas à quelle fréquence cela se produit. En effet, le seul élément de preuve qui figure au dossier sur cette question est la surprise manifestée par un associé du bureau d'avocats représentant Air Canada en l'espèce relativement au fait que l'arbitre pratiquait aussi de façon active en droit du travail et de l'emploi. Cela indique qu'il est peut-être inhabituel pour les arbitres de représenter par ailleurs des clients dans ce domaine de droit.

[32]          Air Canada ne m'a pas convaincu qu'il s'agissait d'un cas manifeste de partialité. Par ailleurs, il est clair que cette question ne peut pas non plus être qualifiée de frivole. Les préoccupations exprimées dans l'arrêt Lippé, précité, et, dans une moindre mesure, les codes de déontologie que l'on retrouve dans d'autres juridictions et qui ont été produits en preuve par l'avocat indiquent que l'allégation de partialité faite par Air Canada n'était aucunement exagérée.

      Dans son deuxième argument, la demanderesse plaide que l'arbitre n'avait pas compétence pour statuer sur l'origine de l'incapacité du demandeur, parce que l'article 349 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., ch. A-3.001, prévoit la compétence exclusive de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, et aussi en raison du contrat de travail liant les parties et dont l'article 4.2 énonce :

4.2            Dans l'éventualité où l'une des situations ci-après décrites survenait, situations que l'Employé reconnaît constituer des motifs sérieux, l'Employeur pourra à son choix mettre fin à la présente convention, le tout effectif immédiatement, sans autre avis ni délai, sous réserve de l'application du Code canadien du travail, le cas échéant :

[. . .]

b)             l'Employé dévient incapable de façon permanente de remplir ses obligations prévues à la présente convention pour cause de maladie ou d'incapacité physique.


      Je trouve l'argument sans mérite. D'une part, l'article 349 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles se limite expressément à l'examen et la détermination de toute question visée par cette même loi. Or, cette loi vise le droit d'un salarié atteint d'une maladie professionnelle ou victime d'un accident du travail à recevoir des indemnités en conséquence. Elle ne vise en rien la question de savoir si le congédiement d'un salarié était injuste, ce qui, en l'espèce, est particulièrement l'objet des articles 240 et 242 du Code.

      Ensuite, non seulement l'article 4.2 du contrat de travail entre les parties réserve-t-il l'application du Code, mais un employeur ne peut se réfugier derrière semblable clause d'un contrat d'emploi pour camoufler un congédiement, ce qui est le cas lorsque la preuve établit qu'il a lui-même causé la situation qui, en vertu de cette clause, lui permet de mettre fin au contrat d'emploi. À mon sens, l'arbitre, de par ses pouvoirs en vertu de l'alinéa 242(3)(a) du Code, était tout à fait justifié de statuer comme il l'a fait sur l'origine de l'incapacité du défendeur. L'extrait suivant de la décision de l'arbitre DeBlois, à la page 6, fait état, à cet égard, d'un raisonnement que je trouve tout à fait juste et équitable :

En effet, si la preuve devait démontrer que l'employeur est à l'origine de la situation ayant amené l'état d'incapacité et qu'il décide dès lors de mettre fin au contrat en alléguant précisément l'incapacité de l'employé, il s'agit d'un congédiement qui n'est pas justifiable dans les circonstances.

C'est donc dans ce contexte que l'arbitre soussigné doit déterminer si effectivement l'employeur est la cause de l'incapacité du plaignant à exercer ses fonctions compte tenu que, de toute évidence, l'employé était bel et bien en incapacité au moment où l'employeur lui a transmis l'avis de terminaison de son emploi. (P-1)

[. . .]


      Enfin, le dernier argument de la demanderesse porte sur l'appréciation des faits faite par l'arbitre. Or, en semblable matière, il n'appartient pas à cette Cour de substituer sa propre appréciation des faits à celle du décideur lorsque, comme ici, une partie attaquant sa décision fait défaut de prouver (1) que celle-ci est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose (alinéa 18.1(4)(d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7) et bien plus, (2) que l'appréciation des faits faite par l'arbitre est manifestement déraisonnable (voir Lamontagne, précité, et Nation Maliseet à Tobique, supra).

      En effet, comme je l'ai mentionné, nous sommes en présence d'une décision étoffée, comportant une analyse élaborée et sérieuse de la preuve médicale et des témoignages entendus au cours d'une audition de quinze jours. Cette preuve médicale et ces témoignages comportent des éléments pertinents et sérieux sur lesquels la décision de l'arbitre trouve son fondement. Ainsi, non seulement je trouve que l'appréciation des faits faite par ce dernier n'est pas manifestement déraisonnable, mais, bien au contraire, qu'elle est tout à fait raisonnable.

      Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens en faveur du défendeur et de l'intervenant.

                                                                    

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 15 octobre 2002


                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

             NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                              T-728-01

INTITULÉ :                           COGÉCO RADIO-TÉLÉVISION INC. c. JEAN TRÉPANIER et LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA.

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 12 septembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE :     L'honorable juge Pinard

EN DATE DU :                    15 octobre 2002

ONT COMPARU :

Me Michel Towner                      POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Jean-François Lacoursière          POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Me Nadia Hudon                        POUR LA PARTIE INTERVENANTE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

FRASER MILNER CASGRAIN         POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

LEGRIS MICHAUD LACOURSIÈRE     POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Trois-Rivières (Québec)

MORRIS ROSENBERG              POUR LA PARTIE INTERVENANTE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 You are being directed to the most recent version of the statute which may not be the version considered at the time of the judgment.