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Date : 20021024

Dossier : T-677-01

Référence neutre : 2002 CFPI 1101

Ottawa (Ontario), ce 24e jour d'octobre 2002

En présence de :         L'HONORABLE JUGE MICHEL BEAUDRY

ENTRE :

                                                                       LUCIEN ROY

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                                   et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA

                                                                                   

                                                                                                                                                    Défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, R.S.C. 1985, c. F-7, d'une décision de l'agent régional du recouvrement de la Commission de l'assurance-emploi du Canada (la "Commission"), M. Sylvain Borduas. Dans sa décision du 19 mars 2001, cet agent refuse une demande de défalquer un montant que doit rembourser le demandeur au département du Développement des ressources humaines Canada. Le demandeur doit ce montant à titre de paiement excédentaire de prestations d'assurance-emploi.


QUESTION EN LITIGE

[2]                 La Cour fédérale doit-elle intervenir suite à la décision de la Commission rendue le 19 mars 2001?

[3]                 Je réponds par l'affirmative à cette question pour les raisons qui suivent.

CONTEXTE FACTUEL

[4]                 Le 2 septembre 1997, le demandeur se présente au bureau de la Commission à Ville-Marie pour dresser une demande de prestations d'assurance-emploi. Il déclare une mise à pied depuis le 29 août 1997 par la compagnie 9044-4902 Québec Inc., connue sous le nom « Les services d'entretien Roy » (la "Compagnie").

[5]                 Lors de la préparation de sa demande, le demandeur fournit à la Commission un relevé d'emploi indiquant que sa date de retour au travail est inconnue. Il prépare sa demande avec l'aide d'une préposée de la Commission sur une formule informatisée.

[6]                 Le document intitulé « Demande de prestation de chômage » (ci-après la "demande") indique à la question numéro 27:

Travaillez-vous ACTUELLEMENT?                     x Non o Oui

[les caractères majuscules et gras sont reproduits tels qu'ils figurent dans la pièce soumise].


[7]                 Le 4 septembre 1997, le demandeur est rappelé au travail. La Compagnie avait engagé la fille du demandeur pour faire des tâches d'entretien ménager à une école dès le 2 septembre. Après deux jours, elle cesse d'y travailler, à cause de l'horaire de travail.

[8]                 Le 12 septembre 1997, le demandeur se présente au bureau de la Commission pour compléter les démarches préalables à l'obtention des prestations. Lors de cette visite, il demande à une autre préposée s'il peut travailler alors qu'il reçoit des prestations. La préposée lui répond qu'il peut recevoir jusqu'à concurrence de 25 pour cent du montant des prestations sans que celles-ci soient réduites. Quant au montant des gains des deux premières semaines, elle l'informe qu'ils seront déduits de façon intégrale de son premier chèque de prestations.

[9]                 Suite aux conseils reçus par la préposée, le demandeur remplit une carte de prestations et indique tous les jours où il a touché un revenu. En effet, le 12 septembre, on peut constater que le demandeur a été rémunéré pour les 2, 3, 4 et 5 septembre 1997 ainsi que les 8, 9 10, 11 et 12. Il est à noter que pour les journées du 2 et 3 septembre, le demandeur a été rémunéré mais n'a pas travaillé (voir l'Affidavit du demandeur, paragraphe 13).

[10]            Par la suite, le demandeur reçoit des prestations et déclare les gains qu'il fait pendant la réception des ces prestations.

[11]            Le demandeur ne reçoit aucune autre communication de la part de la Commission jusqu'à sa prochaine demande.

[12]            Le 24 septembre 1998, le demandeur dépose une nouvelle demande de prestations. Il indique une mise à pied à compter du 18 septembre 1998 pour manque de travail et que sa date de retour est inconnue. Cependant, il fait du travail à temps partiel pour la Compagnie dans les deux semaines qui suivent la date de sa demande, se basant toujours sur les conseils qu'il a reçus l'année précédente de la préposée de la Commission.

[13]            En 1999, le demandeur devient actionnaire à 33 pour cent de la Compagnie. Il demande au préposé de la Commission s'il peut toujours bénéficier de prestations d'assurance-emploi, vu sa participation majorée dans la Compagnie et la nature saisonnière de l'entreprise qu'elle exploite.

[14]            Suite à cette demande, le défendeur mène une enquête à l'égard du demandeur et décide d'annuler les deux périodes de prestations, soit celle ayant débuté le 31 août 1997 et celle ayant débuté le 20 septembre 1998. De plus, le défendeur requiert du demandeur qu'il lui rembourse les prestations pendant les deux périodes en question aux motifs qu'il n'y a pas eu d'arrêt de rémunération pendant au moins sept jours consécutifs avant le début de chacune des périodes de prestations.

[15]            Gilles Labrie, pour la Commission, communique les décisions au demandeur le 8 septembre 1999.

[16]            Le demandeur conteste ces décisions devant un Conseil arbitral en vertu de la Partie IV de la Loi sur l'assurance-emploi, S.C. 1996, c. 23 [ci-après la "Loi"].

[17]            Dans sa décision du 18 octobre 1999, le Conseil arbitral rejette l'appel du demandeur et déclare qu'il doit appliquer le règlement qui exige un arrêt de rémunération d'une durée de sept jours consécutifs. De plus, le Conseil arbitral affirme en particulier à la page 6:

Le Conseil arbitral considère que le prestataire a reçu de l'information fausse et trompeuse de la part de l'agent du bureau de Ville-Marie, et trouve le prestataire crédible. [...] [je souligne]

[18]            Suite à cette décision contestée, le juge-arbitre, Guy Goulard, rejette l'appel de la décision du Conseil arbitral le 22 septembre 2000 et mentionne:

[...] Je dois donc rejeter l'appel mais je me permets cependant de recommander à la Commission d'étudier la possibilité d'une défalcation du trop-payé, en entier ou en partie, ou tout au moins de négocier avec le prestataire des modalités de remboursements des plus raisonnables compte tenu que les erreurs de la Commission sont à la base de ce qui devient une situation très difficile pour M. Roy [je souligne].


[19]            À la suite de cette décision, M. Borduas représentant le défendeur communique avec M. Roy le 19 mars 2001 et lui indique que la Commission ne peut défalquer la créance car aucun des critères énoncé à l'article 56 du Règlement sur l'assurance-emploi, DORS/96-332, (ci-après les "Règlements") ne sont applicables. Il lui suggère compte tenu de sa situation familiale, professionnelle et financière qu'il ne subira aucun préjudice abusif en échelonnant le remboursement de la créance plutôt que d'exiger le remboursement immédiatement. À titre d'exemple, il lui suggère d'augmenter son prêt hypothécaire pour liquider en partie la créance et rembourser le solde par versements mensuels de 200 $.

[20]            Nous savons maintenant que cette décision est contestée devant notre Cour.

[21]            Avant d'entendre les plaidoiries, j'ai soumis aux procureurs des parties le jugement récent de ma collègue, le juge Tremblay-Lamer dans la cause Campbell v. Canada (Attorney General), 2002 FCT 811.

ANALYSE

[22]            L'article 56 des Règlements pertinent est le suivant:



Défalcation des prestations indûment versées

56. (1) La Commission peut défalquer une pénalité payable en application des articles 38, 39 ou 65.1 de la Loi ou une somme due aux termes des articles 43, 45, 46, 46.1 ou 65 de la Loi si, selon le cas:

a) le total des pénalités et des sommes dues par le débiteur ne dépasse pas 5_$ et aucune période de prestations n'est en cours pour celui-ci;

b) le débiteur est décédé;

c) le débiteur est un failli libéré;

d) le débiteur est un failli non libéré à l'égard duquel le dernier dividende a été payé et le syndic a été libéré;

e) le paiement excédentaire ne résulte pas d'une erreur du débiteur ni d'une déclaration fausse ou trompeuse de celui-ci, qu'il ait ou non su que la déclaration était fausse ou trompeuse, mais découle:

(i) soit d'une décision rétrospective rendue en vertu de la partie IV de la Loi,

(ii) soit d'une décision rétrospective rendue en vertu des parties I ou IV de la Loi à l'égard des prestations versées selon l'article 25 de la Loi;

f) elle estime, compte tenu des circonstances:

(i) soit que la pénalité ou la somme est irrécouvrable,

(ii) soit que le remboursement de la pénalité ou de la somme imposerait au débiteur un préjudice abusif.

(2) La Commission peut défalquer la partie de toute somme due aux termes des articles 47 ou 65 de la Loi qui se rapporte à des prestations reçues plus de 12 mois avant qu'elle avise le débiteur du versement excédentaire, si les conditions suivantes sont réunies :

a) le versement excédentaire ne résulte pas d'une erreur du débiteur ni d'une déclaration fausse ou trompeuse de celui-ci, qu'il ait ou non su que la déclaration était fausse ou trompeuse;

b) le versement excédentaire est attribuable à l'un des facteurs suivants :

(i) un retard ou une erreur de la part de la Commission dans le traitement d'une demande de prestations,

(ii) des mesures de contrôle rétrospectives ou un examen rétrospectif entrepris par la Commission,

(iii) une erreur dans le relevé d'emploi établi par l'employeur,

(iv) une erreur dans le calcul, par l'employeur, de la rémunération assurable ou du nombre d'heures d'emploi assurable du débiteur,

(v) le fait d'avoir assuré par erreur l'emploi ou une autre activité du débiteur. [je souligne]

Write-off of Benefits Wrongly Paid

56. (1) A penalty owing under section 38, 39 or 65.1 of the Act or an amount owing under section 43, 45, 46, 46.1 or 65 of the Act may be written off by the Commission if

(a) the total of the penalties and amounts owing by the debtor does not exceed $5 and a benefit period is not currently running in respect of the debtor;

(b) the debtor is deceased;      

(c) the debtor is a discharged bankrupt;

(d) the debtor is an undischarged bankrupt in respect of whom the final dividend has been paid and the trustee has been discharged;

(e) the overpayment does not arise from an error made by the debtor or as a result of a false or misleading declaration or representation made by the debtor, whether the debtor knew it to be false or misleading or not, but arises from

(i) a retrospective decision or ruling made under Part IV of the Act, or

(ii) a retrospective decision made under Part I or IV of the Act in relation to benefits paid under section 25 of the Act; or

(f) the Commission considers that, having regard to all the circumstances,

(i) the penalty or amount is uncollectable, or

(ii) the repayment of the penalty or amount would result in undue hardship to the debtor.

(2) That portion of an amount owing under section 47 or 65 of the Act in respect of benefits received more than 12 months before the Commission notifies the debtor of the overpayment may be written off by the Commission if

(a) the overpayment does not arise from an error made by the debtor or as a result of a false or misleading declaration or representation made by the debtor, whether the debtor knew it to be false or misleading or not; and

(b) the overpayment arises as a result of

(i) a delay or error made by the Commission in processing a claim for benefits,

(ii) retrospective control procedures or a retrospective review initiated by the Commission,

(iii) an error made on the record of employment by the employer,

(iv) an incorrect calculation by the employer of the debtor's insurable earnings or hours of insurable employment, or

(v) an error in insuring the employment or other activity of the debtor. [emphasis added]


[23]            Le défendeur soumet que le demandeur a laissé croire à la Commission qu'il avait subi l'arrêt de rémunération requis pour se qualifier. Même si cette déclaration a été faite de bonne foi, le demandeur a reçu des prestations contrairement à la Loi car la preuve factuelle démontre qu'il a travaillé et/ou été rémunéré pendant la période prévue au Règlement prohibant ainsi les prestations.

[24]            Le défendeur plaide aussi que la défalcation est une mesure exceptionnelle et la décision lui appartient (Canada (Procureur général) c. Filiatrault (1998), 235 N.R. 274 (C.A.F.)). Citant le juge Tremblay-Lamer dans Côté c. Canada (Développement des ressources humaines), 2001 CFPI 924, le défendeur soutient que la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable lorsque la Commission refuse la défalcation.

[25]            Le défendeur ajoute que dans la cause Sivasamboo c.Canada (ministre de la citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 741 (1re instance), le juge de première instance Richard (tel qu'il était), à la page 763 reprend les termes du juge Cory dans l'arrêt AFPC no 2:

Il ne suffit pas que la décision de la Commission soit erronée aux yeux de la cour de justice; pour qu'elle soit manifestement déraisonnable, cette cour doit la juger clairement irrationnelle. [je souligne]

[26]            De plus, la Commission dans sa discrétion n'a pas à tenir compte des propos ou des recommandations du juge-arbitre ou du Conseil arbitral.

[27]            De son côté, le procureur du demandeur met beaucoup d'emphase sur la crédibilité de son client et sur le fait que le Conseil arbitral ainsi que le juge-arbitre ont déclaré M. Roy crédible, et que c'est dû à l'erreur de la Commission s'il a reçu des prestations en trop.

[28]            Il cite la cause Canada (Procureur général) c. Purcell, [1995] A.C.F. no 1331 (C.A.F.) (QL), où le juge Robertson énonce à la page 4:

[...] L'avocat de la Commission reconnaît qu'un pouvoir discrétionnaire doit être exercé « judiciairement » . J'entends par cela que si l'on parvient à établir que le décideur a agi de mauvaise foi, ou dans un but ou pour un motif irrégulier, qu'il a pris en compte un facteur non pertinent ou ignoré un facteur pertinent ou qu'il a agi de manière discriminatoire, toute décision découlant de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire sera annulée. [...] [je souligne]

[29]            Le demandeur plaide aussi que la cause Campbell, supra doit s'appliquer en l'espèce, c'est-à-dire que les énoncés de faits retenus par le Conseil arbitral et le juge-arbitre ne peuvent pas être écartés lorsque la Commission rend sa décision étant donné que le Conseil arbitral et le juge-arbitre entendent et reçoivent la preuve des parties alors que la Commission, lorsqu'elle décide de défalquer ou non, n'a pas cette opportunité (voir le paragraphe 13 de la décision Campbell).


[30]            M. Roy ajoute aussi qu'il a toujours été de bonne foi, et s'est fié aux conseils des préposés de la Commission, et c'est lui qui a demandé s'il pouvait toujours recevoir des prestations étant donné sa participation plus grande dans la Compagnie. Ce n'est qu'après cette demande que la Commission a fait enquête et a décidé de ne pas défalquer le trop-perçu.

ANALYSE

[31]            Dans la cause en l'espèce, le Conseil-arbitral a déterminé que M. Roy a reçu de l'information fausse et trompeuse et a trouvé le prestataire crédible. Le juge-arbitre a recommandé à la Commission d'étudier la possibilité d'une défalcation du trop-payé et a ajouté que ce sont les erreurs de la Commission qui sont à la base de ce qui est devenu une situation très difficile pour M. Roy.

[32]            En analysant l'affidavit de M. Borduas, je remarque que ce dernier déclare aux paragraphes 17, 24 et 25:

17. Dans les circonstances, j'ai conclu que le trop-payé résultait d'une situation où la Commission ne pouvait être blâmée;

[...]

24. Ainsi, dans les circonstances de la présente affaire, j'ai conclu que le versement du trop-payé ne résultait pas d'une erreur de la Commission;

25. À tout événement, même si une mauvaise information avait été fournie au demandeur lors de sa visite au centre d'emploi environ dix (10) jours après qu'il ait fait sa demande, on ne peut dire que cette mauvaise information est la seule cause du trop-payé puisque les renseignements fournis par le demandeur dans sa demande de prestations étaient trompeurs et ont aussi contribué au versement du trop-payé; [je souligne]

[33]            Je constate dans un premier temps que le décideur ne retient pas la conclusion de fait du Conseil-arbitral et du juge-arbitre mais les contredit sur la question de l'erreur de la Commission.


[34]            De plus, dans sa décision du 19 mars 2001, M. Borduas n'indique nulle part qu'il a pris en considération la bonne foi ou la crédibilité du demandeur.

[35]            J'en viens donc à la conclusion que le décideur a ignoré un facteur pertinent (Purcell, supra). Quant à moi, il n'a pas non plus exercé judiciairement son pouvoir discrétionnaire (voir Canada (Procureur général) c. Lai, (1998) 229 N.R. 42, [1998] A.C.F. no 1016 (C.A.F.) (QL)).

[36]            Pour ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et cette affaire est renvoyée à la Commission pour re-considération (par un autre décideur), en tenant compte des conclusions de fait retenues par le Conseil arbitral et du juge-arbitre à l'effet que le demandeur est crédible et que cette mésaventure est dûe à une erreur de la Commission.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que:

1.                    La demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

2.                    Cette affaire soit renvoyée à la Commission pour re-considération (par un autre décideur), en tenant compte des conclusions de fait retenues par le Conseil arbitral et du juge-arbitre à l'effet que le demandeur est crédible et que cette mésaventure est dûe à une erreur de la Commission.

_______________________

Juge


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION D'APPEL

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

                                                                                                                   

DOSSIER :                       T-677-01

INTITULÉ :                      LUCIEN ROY

c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

   

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Val-d'Or (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           19 septembre 2002

MOTIFS DE L'HONORABLE JUGE MICHEL BEAUDRY

EN DATE DU :                 24 octobre 2002

   

COMPARUTIONS :                                       

Me Sylvain Labranche                                        POUR LE DEMANDEUR

Me Bernard Letarte                                              POUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                             

                                           

Cliche Lortie Ladouceur                                                   POUR LE DEMANDEUR

Val-D'Or (Québec)

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                               POUR LE DÉFENDEUR

Montréal (Québec)

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