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Date : 20141208


Dossier : IMM-5187-13

Référence : 2014 CF 1178

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2014

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

NANCY GONZALEZ GONZALEZ

REGYNA MIRANDA VARGAS GONZALEZ (représentée par son tuteur à l’instance)

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande visant à faire annuler la décision d’une agente de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’agente) qui a refusé, en vertu de l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, 2001, c 27 (la LIPR), de surseoir au renvoi des demanderesses au Mexique dans l’attente d’une décision du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration concernant leur demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qu’elles ont présentée en vertu de l’article 25 de la LIPR.

[2]               La présente affaire porte sur le renvoi au Mexique d’une mère, de sa fille handicapée et de son autre fille en bas âge qui est née au Canada. La possibilité que sa fille handicapée obtienne des soins de santé est le principal facteur en cause en l’espèce.

I.                   Contexte

[3]               L’agente a refusé de surseoir au renvoi des demanderesses au Mexique jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue relativement à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en instance.

[4]               Depuis des années, les demanderesses ont déployé beaucoup d’efforts pour demeurer au Canada et ont fait l’objet de nombreuses décisions de la Cour. La demanderesse mineure, Regyna, et sa mère, Nancy Gonzalez, sont des citoyennes du Mexique qui sont arrivées au Canada le 16 janvier 2009. Sa jeune sœur, Hanna, qui est âgée de sept mois, est une citoyenne du Canada. Nancy Gonzalez a demandé l’asile pour des motifs de violence familiale, mais sa demande a été rejetée. L’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) qu’elles ont demandé a fait l’objet d’une décision défavorable en juin 2010 et une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qu’elles ont présentée a été rejetée en novembre 2011.

[5]               Les demanderesses ont présenté une nouvelle demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, étayée par de nouveaux éléments de preuve, en avril 2012. Elles alléguaient que leur première demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’avait pas été traitée correctement par le consultant en immigration. Aucune décision n’a encore été rendue relativement à la deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[6]               Parallèlement à cette demande, les demanderesses ont demandé qu’il soit sursis à leur renvoi, qui devait avoir lieu en juillet 2012. Leur demande a été rejetée, mais la demande de contrôle judiciaire visant cette décision a été accueillie par le juge O’Keefe, qui a ordonné que la demande de sursis soit réexaminée. Celle‑ci a été rejetée à nouveau le 12 août 2013. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Le juge Manson a ordonné, le 14 août 2013, qu’il soit sursis à l’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à ce qu’une décision soit rendue relativement à la présente demande de contrôle judiciaire.

[7]               Regyna, qui est âgée de sept ans, souffre de multiples troubles gravement débilitants qui nécessitent des soins constants. Elle est atteinte de paralysie cérébrale, d’encéphalopathie statique et de surdité de perception et elle a un grave retard général du développement. En conséquence, elle est atteinte d’une déficience motrice grave, elle est incapable de s’asseoir sans aide, elle a de la difficulté à contrôler les mouvements de sa tête et elle ne parle pas.

[8]               Les demanderesses ont produit un grand nombre d’avis médicaux attestant les graves troubles médicaux de Regyna, ainsi que des éléments de preuve concernant le type d’enseignement très spécialisé qu’elle a reçu à l’école. Regyna fréquente une clinique de nutrition, une clinique de thérapie pour les troubles de l’alimentation, une clinique de neurologie et une clinique d’audiologie. Par ailleurs, la Direction générale de la gestion de la santé de CIC a donné des avis sur les troubles dont souffre Regyna sur la foi de la preuve médicale fournie. Selon elle, il est possible d’obtenir les services de neurologues, de pédiatres et d’ergothérapeutes au Mexique et il y a dans ce pays des classes adaptées et des pharmacies bien équipées.

II.                Question en litige

[9]               La décision de l’agente de rejeter la demande de sursis des demanderesses était‑elle raisonnable selon Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9?

III.             Analyse

[10]           Deux arguments justifiant l’annulation de la décision de l’agente sont avancés.

[11]           Selon le premier argument, la décision était déraisonnable parce que l’agente a tenu compte du fait que Regyna pourrait obtenir un traitement médical au Mexique, mais elle a commis une erreur en mettant l’accent sur la disponibilité des services et non sur leur accessibilité, étant donné la manière dont le système de santé mexicain répond aux besoins des enfants ayant une déficience physique ou mentale.

[12]           Selon le deuxième argument, l’agente n’a pas tenu compte de manière équitable de la deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qui était en instance.

A.                Traitement médical

[13]           Les demanderesses soutiennent que l’agente aurait dû évaluer la question de l’accès au système de santé mexicain, par opposition à la disponibilité des services offerts par celui‑ci, parce qu’il s’agit d’un facteur à court terme, alors que la question qui se pose à long terme, à savoir si Regyna pourra surmonter les obstacles et avoir accès à des soins, est examinée à juste titre par l’agent chargé de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[14]           Les demanderesses ont produit une grande quantité de documents mettant en cause le système de santé mexicain, lequel ne serait pas en mesure d’offrir des soins appropriés à Regyna à cause d’un manque de ressources et de l’approche utilisée.

[15]           Comme elle ne possédait aucune expertise lui permettant d’évaluer la disponibilité des soins de santé au Mexique, l’agente a demandé à l’agent médical principal de la Direction générale de la gestion de la santé d’examiner les documents. L’agent médical principal a répondu que des soins de santé répondant aux besoins de Regyna pourraient être obtenus et que cette dernière pourrait se déplacer en avion.

[16]           Les demanderesses soutiennent que l’agente a commis une erreur en n’appréciant pas la preuve documentaire qu’elles ont produite relativement aux soins de santé offerts au Mexique et en demandant plutôt l’avis de la Direction générale de la gestion de la santé de CIC. Elles font valoir que [traduction« la manière dont [l’agente] a apprécié ces avis répétés qui, sans expliquer le raisonnement sur lequel ils étaient fondés, indiquaient que les soins étaient disponibles, alors qu’elle disposait d’une grande quantité d’éléments de preuve démontrant que les soins ne seraient pas directement accessibles, et le fait qu’elle s’est fondée sur l’avis selon lequel Regyna pourrait se déplacer en avion » constituent une erreur susceptible de contrôle.

[17]           Les demanderesses contestent l’appréciation de la preuve effectuée par l’agent médical principal.

[18]           Je ne soupèserai pas à nouveau la preuve de l’agent médical principal, même si les demanderesses ne sont pas d’accord avec celui‑ci. Le fait que l’agente s’est fondée sur l’avis de la Direction générale de la gestion de la santé de CIC ne constitue pas une erreur, car l’objet de cet avis ne relevait pas de son expertise.

[19]           L’agente a conclu que les questions soulevées ressemblaient à celles qui avaient été soulevées devant la SPR et dans le cadre de l’ERAR, et elle a refusé de surseoir au renvoi.

B.                 Demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en instance

[20]           Le deuxième motif qui justifierait l’annulation de la décision de l’agente, à savoir la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qui était en instance, n’est pas fondé. L’agente a fait observer que les facteurs étayant cette demande étaient semblables à ceux invoqués au soutien de la première demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les demanderesses affirment que cette première demande avait été mal préparée.

[21]           Le défendeur a fait valoir que, comme l’agente a déterminé que la deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’était pas imminente, il ne convenait pas de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi. La deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été présentée en avril 2012 et le sursis a été examiné le 12 août 2013, mais les demanderesses ont produit 140 pages additionnelles aussi tard que le 22 juillet 2013.

[22]           Les observations formulées par le juge Zinn dans Jonas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 273, au paragraphe 21, sont tout à fait pertinentes à cet égard :

En l’espèce, l’agent a considéré l’existence de la demande CH pendante et il lui était loisible de tenir compte de l’imminence d’une décision relative à cette demande. Il y a souvent lieu de considérer l’imminence d’une décision comme témoignant de la présentation d’une demande CH en temps opportun. En l’espèce, l’agent ne précise pas s’il considère que la demande CH a été présentée en temps opportun. Il convient toutefois de souligner que le demandeur a attendu presque cinq ans après le rejet de sa demande d’asile par la SPR pour soumettre sa demande. L’agent a conclu que la décision à l’égard de la demande CH n’était pas imminente, même si celle-ci avait été acheminée au bureau local de CIC. La conclusion de l’agent voulant que la demande CH pendante ne nécessite pas l’exercice de son pouvoir discrétionnaire était raisonnable.

[23]           Il ressort clairement de la jurisprudence que le fait qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est en instance ne justifie pas un sursis, sauf dans des circonstances spéciales. La Cour d’appel fédérale a établi clairement, dans Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, au paragraphe 49, que le pouvoir discrétionnaire dont disposent les agents d’exécution est limité et circonscrit. La Cour d’appel souligne que le demandeur dont la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est accueillie peut obtenir réparation par sa réadmission au pays.

[24]           Le poids à accorder à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qui est en instance relève du pouvoir discrétionnaire de l’agent lorsque celui‑ci est au courant de cette demande (Khamis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 437, au paragraphe 29).

[25]           En l’espèce, compte tenu des longs démêlés des demanderesses en matière d’immigration et du délai qui s’est écoulé entre la première demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et la présentation de la deuxième demande de ce genre, la décision de l’agente de ne pas surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi en raison de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qui était en instance est justifiable et raisonnable.

[26]           En résumé, je ne peux conclure que la décision est déraisonnable. L’agente a appliqué le critère approprié, elle a tenu compte de tous les éléments de preuve et de toutes les prétentions des demanderesses et elle a rendu une décision qui appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Il n’y a aucune erreur susceptible de contrôle.

[27]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[28]           Aucune question n’a été proposée à des fins de certification et aucune question susceptible d’être certifiée n’est soulevée.

LA COUR STATUE :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Aucune question n’a été proposée à des fins de certification et aucune question susceptible d’être certifiée n’est soulevée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A.Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5187-13

 

INTITULÉ :

GONZALEZ ET AL c MSPPC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 SeptembRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 DÉcembRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Laura Brittain

POUR LES DEMANDERESSES

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Refugee Law Office

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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