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Date : 20141121


Dossier : IMM-5451-13

Référence : 2014 CF 1116

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2014

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

MOHAMED ALI AWED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de Mohamed Ali Awed parce qu’il n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour établir son identité. J’ai conclu que la Commission a fait une analyse tellement sélective de la preuve présentée par M. Awed que celle-ci est inéquitable et que, par conséquent, la décision ne satisfait pas aux critères de justification de transparence et d'intelligibilité qui doivent être respectés pour que la décision puisse être qualifiée de raisonnable.

I.                   Historique

[2]               M. Awed affirme qu’il est un citoyen de la Somalie, né dans la tribu des Madibans, un groupe minoritaire, à Balad le 10 mai 1959. Il prétend que, en mars 1991, durant la guerre civile, il a quitté la Somalie pour se rendre au Kenya. M. Awed affirme que, en 1999, muni d’un faux passeport kényan, il a quitté Nairobi pour se rendre aux États-Unis, où il a par la suite obtenu l’asile.

[3]               Selon M. Awed, en 2005, les American Citizenship & Immigration Services (Services de citoyenneté et d'immigration des États-Unis) l’ont autorisé à quitter les États-Unis pendant un an afin de lui permettre de rendre visite à sa mère malade au Kenya. Ce fait a été confirmé par un rapport biométrique obtenu du Department of Homeland Security des États-Unis (Département de la sécurité intérieure des États‑Unis). M. Awed affirme qu’il s’est rendu au Kenya en avril 2004. L’état de santé de sa mère s’est alors détérioré et il est resté au Kenya jusqu’au décès de cette dernière en octobre 2005.

[4]               M. Awed affirme qu’il ne pouvait pas retourner aux États-Unis après le décès de sa mère parce qu’il avait perdu ses documents d’immigration pendant qu’il était au Kenya et qu’il s’était servi de tout son argent pour payer les frais médicaux de sa mère. Par conséquent, M. Awed est resté au Kenya pendant les six années suivantes.

[5]               Entre-temps, la demande de résidence permanente aux États-Unis présentée par M. Awed a été annulée parce qu’il était resté à l’extérieur du pays pendant plus d’un an. M. Awed affirme qu’il a vécu au Kenya jusqu’en 2011, puis qu’il s’est rendu Canada et a demandé l’asile.

II.                Analyse

[6]               La conclusion de la Commission selon laquelle M. Awed n’avait pas prouvé son identité est une conclusion de fait contrôlable selon la norme de la raisonnabilité : Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, [2012] ACF no 369.

[7]               La Commission a fondé sa décision sur ce qu’elle a qualifié de fausses déclarations faites par M. Awed dans son formulaire de demande d’asile initiale. Dans sa décision, la Commission affirme essentiellement que M. Awed avait tenté de cacher son séjour aux États-Unis et que, ainsi, on ne pouvait pas se fier à la preuve qu’il avait soumise afin de prouver son identité. Toutefois, un examen de la preuve n’étaye pas l’idée selon laquelle M. Awed avait tenté de cacher le fait qu’il avait passé du temps aux États-Unis.

[8]               La Commission a déclaré que, dans son formulaire de demande d’asile, M. Awed avait omis de déclarer qu’il avait déjà utilisé un autre nom que Mohamed Ali Awed. Cette conclusion soulève plusieurs problèmes. Le premier problème est que, dans son formulaire de demande, M. Awed n’a pas omis de mentionner qu’il avait utilisé un autre nom Mohamed Ali Awed. Il est vrai qu’il a répondu [traduction] « s.o. » à la question « Autres noms déjà ou actuellement utilisés (surnom, nom de jeune fille, etc.) », mais il a indiqué plus loin dans le même formulaire qu’il s’était rendu au Canada muni d’un passeport au nom d’« Ahmed Yusuf ».  

[9]               Certes, M. Awed n’a pas mentionné dans son formulaire de demande d’asile qu’il avait utilisé le nom « Mohamed Yusuf Abdi » durant son séjour antérieur aux États-Unis. Il a affirmé qu’il s’agissait d’un oubli de sa part. La Commission a rejeté l’explication de M. Awed parce qu’elle avait conclu que M. Awed avait fait une autre fausse déclaration dans son formulaire de demande d’asile.

[10]           C’est-à-dire que M. Awed avait déclaré dans son formulaire de demande que, entre 2001 et 2004, il avait été sans emploi à Balad (Somalie), une déclaration qui était également vraie. Faisant référence au rapport biométrique reçu du Department of Homeland Security des États‑Unis (Département de la sécurité intérieure des États‑Unis), la Commission a souligné que M. Awed avait en fait vécu et travailler aux États‑Unis durant cette période. 

[11]           Les motifs de la Commission donnent donc à penser que M. Awed avait menti au sujet de ses allées et venues entre 2001 et 2004, et que sa supercherie n’avait été découverte que grâce au rapport biométrique. Il ressort clairement du raisonnement de la Commission que si M. Awed avait menti au sujet de ses allées et venues entre les années 2001 et 2004, il mentait probablement au sujet de son identité.

[12]           Je le répète, ce raisonnement soulève plusieurs problèmes. Le premier problème est que M. Awed avait en fait mentionné dans son formulaire de demande d’asile qu’il était aux États‑Unis entre les années 2001 et 2004. Certes, dans la réponse qu’il a donnée à la question 24 concernant son historique d’emploi, il dit qu’il a été sans emploi à Balad (Somalie) au cours de cette période. Toutefois, dans cette même réponse, M. Awed affirme qu’il a vécu et travaillé à Seattle au cours de la période en question. La réponse de M. Awed à la question 24 prêtait peut‑être à confusion et comportait peut-être des contradictions, mais il était injuste que la Commission insinue qu’il avait délibérément caché le fait qu’il était aux États‑Unis jusqu’à ce que l’on découvre ce renseignement par suite de la production du rapport biométrique.

[13]           Le deuxième problème soulevé par l’analyse de la Commission est qu’un mois seulement après avoir rempli son formulaire de demande d’asile, M. Awed a révélé qu’il avait utilisé le nom Mohamed Yusuf Abdi dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP). M. Awed a manifestement corrigé l’erreur de son propre chef, car le FRP a été rempli des mois avant que le rapport biométrique soit reçu des États‑Unis.

[14]           La façon dont la Commission a traité le témoignage du témoin corroborant de M. Awed pose également problème. Le témoin a affirmé dans son témoignage qu’il avait connu M. Awed en Somalie, surtout comme ami de son frère et qu’il l’avait vu pour la dernière fois en Somalie en 1986. Le témoin a affirmé dans son témoignage que lorsque M. Awed l’a abordé pour la première fois au Canada en 2011, il n’a pas su immédiatement qui il était. La Commission a accepté qu’il est tout à fait naturel que quelqu’un ne reconnaisse pas immédiatement une personne qu’elle n’a pas vue depuis environ 25 ans. Toutefois, elle a poursuivi sans tenir compte du témoignage du témoin parce que M. Awed avait [traduction] « convaincu » le témoin de son identité. Je le répète, il ne s’agit tout simplement pas d’une juste représentation de la preuve.

[15]           Le témoin a reconnu que lorsque M. Awed l’a abordé la première fois, il ne l’a pas immédiatement reconnu, mais il a ensuite déclaré que lorsque M. Awed s’est présenté, il a vite réalisé qui il était. C’est le commissaire qui a par la suite dit au témoin que M. Awed avait dû le [traduction] « convaincre » de son identité, une prétention que le témoin a expressément rejetée.

III.             Conclusion

[16]           Pour ces motifs, j’ai conclu que l’appréciation de la preuve faite par la Commission était inéquitable et que la décision ne satisfait pas aux critères de justification de transparence et d'intelligibilité qui doivent être respectés pour que la décision puisse être qualifiée de raisonnable. La demande est donc accueillie. Je conviens avec les parties que l’affaire ne soulève aucune question à certifier.

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision à un tribunal différemment constitué.

« Anne L. Mactavish »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5451-13

 

INTITULÉ :

MOHAMED ALI AWED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 NOVEMBRE 2014

 

juGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 21 NOVEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Paul VanderVennen

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sharon Stewart-Guthrie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

VanderVennen Lehrer

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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