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Date : 20141020


Dossier : IMM-603-14

Référence : 2014 CF 996

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

MARINO MANUEL PACHECO MOYA

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[1]               « Selon la Commission vérité et réconciliation, le Sentier lumineux serait responsable de la mort de 32 000 victimes. Une extrême violence qui n’a pas de précédent dans l’histoire des mouvements guérilleros latino-américains » (Daniel Dupuis, ¿Donde Estàn?: Terreur et disparitions au Pérou (1980-2000), Éditions Le Passager clandestin, 2009, p 29, Dossier du tribunal, pièce M-2, p 343).

[2]               Tel qu’illustré ci-dessus, les membres du mouvement du Sentier lumineux [SL] ont, pendant plusieurs décennies et sous le couvert d’un projet idéologique et politique, perpétré des actes violents au mépris de la vie humaine. Les excuses pour éviter la responsabilité pour ses gestes est un refrain qui se répète à travers l’histoire des atrocités perpétrées envers l’humanité.

II.                Introduction

[3]               La Cour est saisie d’une demande en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] sollicitant le contrôle judiciaire d’une décision datée du 28 novembre 2013, de la Section de la protection des réfugiés [SPR] d’exclure le demandeur de la définition de réfugié, par l’entremise de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies relatives au statut des réfugiés [la Convention], pour sa complicité à des crimes contre l’humanité.

[4]               La Cour estime que la SPR a validement conclu à la complicité axée sur la contribution du demandeur, conformément aux enseignements de la Cour suprême du Canada dans Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 [Ezokola]. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

III.             Faits

[5]               Le demandeur, un citoyen du Pérou, revendique le statut de réfugié au Canada. Le demandeur allègue les faits suivants.

[6]               Le demandeur prétend être persécuté par le SL. Il craint d’être soumis à la torture et exposé à une atteinte à sa vie au Pérou, en raison de l’intérêt porté envers lui et d’autres membres de sa famille par les membres du SL.

[7]               À partir du mois d’août 1996, le demandeur a étudié à l’Université nationale du Centre Pérou [UNCP], à Huancayo, à la faculté de génie chimique.

[8]               En août 1997, en raison de conflits avec le SL, l’armée péruvienne entra dans plusieurs universités publiques, dont l’UNCP. Des étudiants sont disparus et certains furent tués, dont une jeune étudiante ayant habité avec la famille du demandeur.

[9]               À la fin d’août 1999, le demandeur fut victime d’un premier attentat. Trois personnes masquées l’abordèrent pour tenter de le convaincre de joindre le SL. Suite à son refus de joindre le SL, il a été torturé par des membres de cette organisation.

[10]           Le 20 décembre 1999, à Huancayo, le demandeur fut victime d’un second attentat. Il a été poignardé à plusieurs endroits sur le corps, ce qui l’incita à abandonner l’UNCP pour poursuivre ses études au Service national d’entraînement technique industriel jusqu’en décembre 2002.

[11]           Suite à l’obtention d’un visa, le demandeur quitta le Pérou pour arriver aux États-Unis à la fin de juin 2003. C’est alors que le demandeur rencontra sa conjointe, mère de son fils Ken Leonardo. Ils commencèrent à cohabiter à partir du 20 septembre 2003.

[12]           Le 5 décembre 2008, le frère du demandeur fut victime d’un attentat par des membres du SL, qui le questionnèrent quant à la localisation du demandeur. En novembre 2009, c’est le frère aîné du demandeur qui fut intercepté par deux personnes armées, qui le torturèrent et le questionnèrent quant à la localisation du demandeur.

[13]           Craignant la déportation aux États-Unis, le demandeur, son épouse et leur fils demandèrent l’asile au Canada le 27 août 2010.

IV.             Décision

[14]           Deux audiences furent tenues devant la SPR, l’une le 7 mars 2013 et l’autre le 26 septembre 2013, afin de déterminer le statut de réfugié du demandeur, de son épouse et de leur fils. La SPR a rejeté la demande du demandeur en raison de son manque de crédibilité et en raison de sa contribution aux crimes contre l’humanité commis par le SL, selon le test énoncé dans l’arrêt Ezokola, ci-dessus.

a)        Conclusions de la SPR quant au manque de crédibilité du demandeur

[15]           En premier lieu, la SPR conclut au manque de crédibilité du demandeur en raison des nombreuses contradictions dans son témoignage :

[L’]omission concernant la menace exercée sur les étudiants et le demandeur pour les obliger à participer aux réunions, cette incohérence concernant la durée de cette formation s’étant déroulée sur 6 mois ou ayant lieu en 4 réunions de quelques heures, et la contradiction concernant les mesures de sécurité absentes puis présentes à l’université, puis partiellement présentes, minent la crédibilité du demandeur concernant le climat de terreur allégué et qui devait régner dans son département et son université à l’époque. (Décision de la SPR, para 50)

[16]           D’abord, la SPR détermine que le demandeur a volontairement fourni deux litres d’acide, destinés à la fabrication de bombes, à son professeur affilié au SL, et cela en l’absence de contrainte. Selon la SPR, les contradictions dans le témoignage du demandeur quant à la présence de membres du SL armés et cagoulés dans les laboratoires à l’UNCP minent sa crédibilité.

[17]           Ensuite, la SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible dans son récit relativement aux mesures de sécurité à l’UNCP. Le demandeur a d’abord témoigné qu’il y avait des gardiens de sécurité qui contrôlaient les cartes étudiantes des gens qui s’introduisaient dans l’université, pour ensuite affirmer que l’université n’était pas sécurisée, permettant ainsi l’introduction des membres armés et cagoulés du SL à l’UNCP.

[18]           De plus, la SPR a conclu que le demandeur a fourni des déclarations contradictoires relativement au favoritisme existant en ce qui concerne l’accès aux services universitaires pour ceux qui collaboraient avec le SL, notamment en faveur des étudiants en chimie, métallurgie et mines puisqu’ils avaient accès aux laboratoires. Dans un premier temps, le demandeur a témoigné que des services gratuits lui étaient fournis en échange de sa contribution et de sa présence aux discours tenus par le SL. Lors de la deuxième audience, le demandeur s’est contredit en niant ce favoritisme et en témoignant qu’il devait payer pour ces services, à partir du deuxième trimestre.

[19]           La SPR a également constaté des contradictions relativement à la formation paramilitaire suivie par le demandeur, minant sa crédibilité. Notamment, le demandeur a d’abord indiqué, à la question 8 de son Formulaire de renseignements personnels [FRP], qu’il aurait suivi un entraînement paramilitaire du 15 mai au 30 novembre 1997. Lorsque confronté à cette déclaration par le défendeur, le demandeur affirme avoir assisté à deux discours portant sur les idéologies du SL, pour ensuite affirmer avoir assisté à quatre réunions en 1996 et 1997, sans mentionner que ces réunions étaient menées sous la menace de gens armés, pour ensuite se contredire sur ce dernier point.

[20]           De plus, la SPR tire une inférence négative des contradictions du demandeur quant à la période où il aurait étudié à la faculté de chimie et conclut que :

[L]es contradictions relatives à la durée de la période de ses études faite à la faculté de chimie, et concernant la possibilité d’un arrêt de ses études, minent la crédibilité du demandeur à propos de la durée de la période passée à la faculté de chimie concernant la célérité avec laquelle il a quitté cette faculté; le tribunal s’étonne de ce retard à quitter sa faculté. (Décision de la SPR, au para 57)

[21]           Finalement, la SPR constate que le demandeur a d’abord tenté de minimiser sa connaissance des faits entourant le SL pour ensuite démontrer qu’il était bien au courant du projet idéologique du SL et des attentats commis par ce groupe. Sur ce point, la SPR conclut que « le demandeur connaissait pleinement les actes commis par les membres de ce groupe dans son université avant de s’y inscrire en 1996, seize ans après le début de la guerre civile alors qu’il réside au cœur des provinces où ont lieu de nombreux massacres » (Décision de la SPR, au para 53).

[22]           La Cour estime que la SPR a raisonnablement conclu au manque de crédibilité du demandeur, en raison des contradictions, omissions et invraisemblances dans le témoignage du demandeur, expliquées ci-dessus.

b)        Contribution du demandeur aux crimes contre l’humanité commis par le SL

[23]           En deuxième lieu, la SPR conclut à la complicité du demandeur à des crimes contre l’humanité, en raison de sa contribution significative, volontaire et consciente aux crimes perpétrés par le SL. Dans ses motifs, la SPR indique au paragraphe 144 :

Étant donné l’importance de cette organisation, le Sentier lumineux, et le nombre et la gravité des crimes contre l’humanité dont ils ont été coupables, étant donné que le demandeur même s’il ne fait pas partie de cette organisation, a été approché par cette organisation, qu’il a été invité à participer à des formations sur leur idéologie, à des cours sur la fabrication de bombes, et surtout qu’il a fourni à deux reprises du matériel chimique à son professeur qu’il croit associé à cette organisation et puisque le demandeur a pu bénéficier de services gratuits de la part des syndicats étudiants grâce à ses activités avec ce groupe, le tribunal conclut que le demandeur est complice de crimes contre l’humanité.

[24]           Quant à la défense de contrainte soulevée par le demandeur, la SPR constate que ce n’est qu’à la deuxième audience, après que la possibilité d’exclusion en vertu de l’alinéa 1Fa) ait été invoquée, que le demandeur a témoigné avoir été menacé par des membres armés et cagoulés du SL, le forçant à coopérer. En conséquence, en raison du manque de crédibilité du demandeur et de la preuve présentée, la SPR a conclu à la complicité du demandeur à des crimes commis par le SL.


V.                Point en litige

[25]           Est-ce que la décision de la SPR d’exclure le demandeur en vertu de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa 1Fa) de la Convention est raisonnable?

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a)   soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a)   is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b)   soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b)   not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a)   soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a)   to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b)   soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b)   to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i)    elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i)    the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii)   elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii)   the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii)  la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii)  the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv)  la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv)  the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

      (2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

      (2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

Exclusion – Refugee Convention

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

[26]           En outre, l’alinéa 1Fa) de la Convention énonce :

1F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

1F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that :

a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes.

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes.

VI.             Position des parties

[27]           D’une part, le demandeur allègue que les conclusions de la SPR quant au manque de crédibilité du demandeur sont déraisonnables. Selon le demandeur, la SPR a fait preuve d’un manque d’objectivité en n’ayant pas considéré les explications du demandeur, à la lumière de l’ensemble de la preuve.

[28]           De plus, le demandeur soutient que la SPR a erré en concluant à la complicité du demandeur aux crimes commis par le SL et en rejetant la défense de contrainte. Le demandeur prétend qu’il a fourni des litres d’acide au SL sous la menace directe des membres armés du SL. De plus, le demandeur prétend avoir été lui-même victime d’attentats du SL, en raison de son départ de la faculté de chimie.

[29]           D’autre part, le défendeur prétend que le demandeur a contribué aux activités criminelles du SL en lui fournissant des litres d’acide servant à fabriquer des bombes destructrices et mortelles, obtenus grâce à son accès aux laboratoires de chimie, Le défendeur prétend que cette contribution volontaire, significative et consciente démontre la complicité du demandeur aux crimes contre l’humanité perpétrés par le SL.

[30]           Le défendeur soutient que la défense de contrainte soulevée par le demandeur n’a pas de fondement, en raison de l’absence de menaces explicites ou implicites de causer la mort ou des lésions corporelles (R. c Ryan, 2013 CSC 3). De plus, en raison de son manque de crédibilité, la SPR a raisonnablement rejeté le témoignage du demandeur selon lequel il aurait été menacé par des membres armés et cagoulés du SL.

VII.          Norme de contrôle

[31]           Puisque la détermination de la complicité du demandeur aux crimes contre l’humanité commis par le SL est une question mixte de faits et de droit, la norme applicable est celle de la décision raisonnable (Ezokola, ci-dessus; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12; Harb c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39 au para 14).

[32]           Il a été établi que la détermination du caractère raisonnable d’une décision tient « principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 1 SCR 190 au para 47).

[33]           De plus, la Cour doit accorder un haut niveau de déférence envers la SPR, qui est la mieux placée pour procéder à l’analyse de la preuve et d’en tirer les conclusions appropriées. En guise de rappel, le juge John Evans énonce dans Cepeda-Gutierrez, [1998] FCJ No 1425 (QL) :

[14]      Il est bien établi que l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale n'autorise pas la Cour à substituer son opinion sur les faits de l'espèce à celle de la Commission, qui a l'avantage non seulement de voir et d'entendre les témoins, mais qui profite également des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de leur champ d'expertise. En outre, sur un plan plus général, les considérations sur l'allocation efficace des ressources aux organes de décisions entre les organismes administratifs et les cours de justice indiquent fortement que le rôle d'enquête que doit jouer la Cour dans une demande de contrôle judiciaire doit être simplement résiduel. Ainsi, pour justifier l'intervention de la Cour en vertu de l'alinéa 18.1(4)d), le demandeur doit convaincre celle-ci, non seulement que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement erronée, mais aussi qu'elle en est venue à cette conclusion "sans tenir compte des éléments dont [elle disposait]"…

[15]      La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" du fait qu'il n'a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l'égard de l'interprétation qu'un organisme donne de sa loi constitutive, s'il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d'un organisme en l'absence de conclusions expresses et d'une analyse de la preuve qui indique comment l'organisme est parvenu à ce résultat.

VIII.       Analyse

[34]           La Cour estime que la SPR a raisonnablement conclu au manque de crédibilité du demandeur, ainsi qu’à sa complicité aux crimes contre l’humanité commis par le SL.

a)        Crédibilité du demandeur

[35]           Le rôle de cette Cour n’est pas de réévaluer la preuve afin d’en tirer ses propres conclusions quant à la crédibilité du demandeur, mais plutôt de déterminer si les conclusions de la SPR à cet égard sont raisonnables (Cepeda-Gutierrez, ci-dessus).

[36]           Telle que cernée par la SPR dans ses motifs, la question fondamentale devant la SPR était à savoir si le demandeur avait volontairement remis les litres d’acide à son professeur, sachant que ce matériel servirait à la fabrication de bombes pour le SL.

[37]           D’emblée, la SPR a validement constaté que les explications fournies par le demandeur lors de la deuxième audience, le 26 septembre 2013, différent nettement de celles fournies lors de la première audience du 7 mars 2013.

[38]           La Cour rejette l’argument du demandeur selon lequel la SPR aurait tenté de déceler avec zèle des incohérences dans le témoignage du demandeur. Plutôt, la Cour estime que la SPR a systématiquement traité des explications fournies par le demandeur et a soupesé l’ensemble de la preuve afin de tirer des conclusions raisonnables quant à la crédibilité et à la contribution du demandeur, tel qu’il se dégage de son analyse.

[39]           De plus, l’allégation du demandeur selon laquelle la SPR aurait fait preuve de partialité est sans fondement. La Cour estime que le demandeur n’a pas soumis de preuve probante afin de soutenir cette prétention. Le demandeur a plutôt démontré qu’il n’est pas d’accord ou satisfait avec les conclusions de la SPR.

[40]           La SPR constate que ce n’est qu’après l’intervention du défendeur quant à la possibilité d’exclusion en vertu de l’alinéa 1Fa) de la Convention que le demandeur a fait volte-face en offrant une version des faits contradictoire par rapport à son témoignage initial. Plus précisément, en raison des nombreuses contradictions et invraisemblances dans le récit du demandeur, la Cour estime que la SPR a raisonnablement conclu au manque de crédibilité du demandeur, notamment en ce qui concerne :

a)      les contributions de litres d’acide faites par le demandeur sous la menace armée des membres du SL dans les laboratoires de chimie à l’UNCP;

b)      le paiement par le demandeur pour l’accès aux services universitaires en échange de sa contribution et de sa présence aux discours du SL;

c)      le niveau de sécurité existant à l’UNCP et la présence de l’armée péruvienne;

d)     la formation idéologique et paramilitaire du SL suivie par le demandeur;

e)      la durée des études du demandeur à la faculté de chimie;

f)       la nature des agressions par le SL dont a été victime le demandeur.

b)        Complicité des crimes contre l’humanité commis par le SL

[41]           Pour qu’une simple association soit élevée au niveau de la complicité à un crime (ou à un dessein criminel d’un groupe), il doit y avoir des « raisons sérieuses de penser » qu’une contribution aux crimes ou au dessein criminel d’une organisation ait été volontaire, significative et consciente (Ezokola, ci-dessus au para 86).

[42]           Tel qu’énoncé dans Harb, ci-dessus au para 11 :

Ce n'est pas la nature des crimes reprochés à l'appelant qui mène à son exclusion, mais celle des crimes reprochés aux organisations auxquelles on lui reproche de s'être associé. Dès lors que ces organisations commettent des crimes contre l'humanité et que l'appelant rencontre les exigences d'appartenance au groupe, de connaissance, de participation ou de complicité imposées par la jurisprudence (voir, notamment, Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.); Moreno c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.); Sumaida c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [2000) 3 C.F. 66 (C.A.); et Bazargan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1996), 205 N.R. 282 (C.A.F.)), l'exclusion s'applique quand bien même les gestes concrets posés par l'appelant lui-même ne seraient pas, en tant que tels, des crimes contre l'humanité. Bref, si l'organisation persécute la population civile, ce n'est pas parce que l'appelant lui-même n'aurait persécuté que la population militaire qu'il échappe à l'exclusion, s'il est par ailleurs complice par association.

[43]           En l’espèce, il n’est pas contesté que le SL soit responsable de graves crimes contre l’humanité, perpétrés contre la population civile de façon généralisée et étendue. Tel que le constate la SPR, les crimes commis par le SL sont « des meurtres et des enlèvements, la séquestration et le recrutement forcé qui oblige aussi la population au déplacement » (Décision de la SPR, au para 86).

[44]           Le fait que dans son témoignage, le demandeur a admis avoir fourni les litres d’acide à des membres affiliés au SL, qu’il savait que ces acides étaient utilisés pour la fabrication de bombes et qu’il avait même suivi une formation sur la fabrication de bombes, la SPR a conclu :

[Q]ue le demandeur n’est pas un acteur principal de ces crimes mais il pourrait être complice de ce groupe, le Sentier lumineux, car il aurait contribué au crime perpétré par cette organisation en leur fournissant du matériel chimique. (Décision de la SPR, para 110)

[45]           La Cour constate que contrairement au contexte de droit pénal canadien, lors d’une procédure d’exclusion en vertu de l’article 98 de la LIPR, le fardeau de la preuve repose sur le défendeur de démontrer qu’il y a « des raisons sérieuses de penser » qu’une personne devrait être exclue de la définition de réfugié. Cette norme se situe entre le « simple soupçon » et la norme de prépondérance des probabilités applicable en matière civile (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40 au para 114).

[46]           Par la suite, dans ses motifs, la SPR procède à une analyse méthodique de chacun des critères non exhaustifs énoncés par la Cour suprême dans Ezokola, ci-dessus (voir les para 91 et suivants) :

(i)                 Taille et nature de l’organisation : La SPR conclut que, selon la preuve documentaire, le SL est une organisation qui vise clairement de façon générale des fins limitées et brutales.

(ii)               Section de l’organisation à laquelle le demandeur d’asile était associé : La SPR conclut que le demandeur, bien qu’il n’était pas membre de l’organisation, avait toutefois des contacts avec le SL en raison de son inscription à la faculté de chimie.

(iii)             Fonctions et activités du demandeur d’asile au sein de l’organisation : Le demandeur a contribué aux activités du SL puisqu’il déclare lui-même leur avoir remis du matériel chimique, en toute connaissance de cause. La SPR constate que le demandeur obtient en retour de ce matériel un accès gratuit aux services universitaires. De plus, le demandeur a participé à des réunions de formation idéologique du SL et a suivi un cours extracurriculaire sur la fabrication de bombes.

(iv)              Poste ou grade du demandeur d’asile au sein de l’organisation : La SPR constate que le demandeur n’occupait pas de poste particulier au sein du SL et ne semble pas avoir exercé d’autorité ou d’influence particulière au sein du groupe.

(v)                Durée de l’appartenance du demandeur à l’organisation; (vi) Le mode de recrutement du demandeur et la possibilité qu’il a eu de quitter l’organisation : La SPR constate que ces deux facteurs ne sont pas pertinents puisque le demandeur n’était pas membre du SL.

[47]           Par la suite, la SPR procède à l’analyse du caractère volontaire, conscient et significatif de la contribution du demandeur au SL.

[48]           Premièrement, la SPR analyse le caractère volontaire de la contribution du demandeur. Sur ce point, le demandeur évoque la défense de contrainte puisqu’il déclare avoir été forcé de collaborer avec le SL. La SPR rejette cette allégation ainsi que la défense de contrainte évoquée par le demandeur en raison de son manque de crédibilité. Lorsque le demandeur a été questionné relativement aux conséquences qu’il aurait subies en cas de non-collaboration avec le SL, le demandeur a déclaré qu’il aurait perdu le privilège d’un accès gratuit aux services universitaires. Dans cette vue, la SPR conclut raisonnablement que le demandeur a fourni des litres d’acide au SL de façon volontaire.

[49]           Deuxièmement, la SPR conclut que la contribution des deux litres d’acide est une contribution significative, puisque les bombes fabriquées à partir de ces produits chimiques servaient à tuer des gens. De plus, la SPR s’appuie sur une déclaration du demandeur contenue dans son FRP qui indique que ce matériel chimique était utilisé pour la fabrication de bombes domestiques « de fort impact ».

[50]           Troisièmement, la SPR conclut que le demandeur a contribué, en fournissant les litres d’acide, de façon consciente puisqu’il était au courant que l’utilisation de ces produits chimiques était destinée à la fabrication de bombes mortelles. De plus, il connaissait l’idéologie ainsi que les exactions commises par le SL. La SPR s’appuie sur les déclarations du demandeur dans son FRP selon lesquelles il savait que le SL utilisait des explosifs, notamment pour faire tomber des ponts, des collèges et des mairies.


IX.             Conclusion

[51]           La conclusion de la SPR qu’il y a des « sérieuses raisons de penser » que le demandeur ait été complice des crimes commis par le SL, menant ainsi à l’exclusion du demandeur en tant que personne visée par l’alinéa 1Fa) de la Convention est raisonnable.

[52]           En conséquence, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.      La demande de contrôle soit rejetée;

2.      Il n’y a aucune question à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-603-14

 

INTITULÉ :

MARINO MANUEL PACHECO MOYA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 octobre 2014

 

JUGEMENT et motifs :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 OCTOBRE 2014

COMPARUTIONS :

Nadia Martinez

 

Pour la PARTIE demanderesse

 

Michel Pépin

 

Pour la PARTIE défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Nadia Martinez

Montréal (Québec)

 

Pour la PARTIE demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la PARTIE défenderesse

 

 

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