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Date : 20141016


Dossier : IMM-1834-13

Référence : 2014 CF 987

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), 16 octobre 2014

En présence de monsieurle juge Brown

ENTRE :

GEROSEKUMAR SUNTHARALINGAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   APERÇU

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés, Section de la protection des réfugiés [la SPR ou la Commission] rendue le 30 janvier 2013, par laquelle il a été conclu que Gerosekumar Suntharalingam [le demandeur] n’était ni un réfugié au sens de l’article 96 de la Convention, ni une personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La demande est présentée en vertu de l’article 72 de la LIPR.

[2]               Pour les motifs suivants, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II.                CONTEXTE FACTUEL

[3]               Le demandeur est un Tamoul âgé de 29 ans de Trincomalee au Nord du Sri Lanka. Il soutient que sa famille a été durement éprouvée par le conflit ethnique au Sri Lanka. En 1983, avant sa naissance, l’armée sri-lankaise a pillé la résidence familiale et y a mis le feu. Cette même année, le frère aîné du demandeur a disparu et, jusqu’à aujourd’hui, la famille ne sait toujours pas ce qui lui est arrivé.

[4]               En avril 1995, les Tigres de libération de l’Eelam tamoul [les TLET] ont relancé la guerre civile en coulant deux navires de la marine sri-lankaise dans le port de Trincomalee. Au cours des années qui ont suivi, le demandeur a été à plusieurs reprises arrêté, détenu, interrogé et a fait l’objet de violence physique de la part des forces de sécurité sri-lankaises.

[5]               En 2002, des membres de l’armée ont arrêté le demandeur et ses deux frères après une manifestation contre le décès de dix civils tamouls tués par l’unité d’intervention spéciale [l’UIS] des services de police sri-lankais. Le demandeur et ses deux frères ont été battus et relâchés après que leur père eut soudoyé les soldats en leur remettant de l’argent et des bijoux appartenant à leur mère.

[6]               Le 20 avril 2003, le demandeur ainsi que 50 autres étudiants de son ancien établissement scolaire ont été arrêtés au cours d’une rafle. Il a été interrogé, menotté, suspendu à une barre transversale et battu à coups de bâton. Il a été relâché grâce au directeur de son établissement scolaire.

[7]               Le 7 janvier 2006, une mine Claymore a explosé dans le quartier du demandeur et des membres de l’armée sri-lankaise ont été blessés. En réponse, des membres de la Marine ont attaqué des civils innocents. Un membre de la Marine s’est servi du talon de son arme à feu pour frapper l’avant-bras gauche du demandeur, causant une fracture sévère de chaque côté. Le demandeur a séjourné à l’hôpital pendant une semaine.

[8]               Le 3 juillet 2006, des membres de l’armée ont arrêté le demandeur au cours d’une rafle et l’ont détenu pendant deux jours. Ils l’ont interrogé, l’ont pratiquement déshabillé et l’ont frappé à l’aide de tuyaux en plastique remplis de sable. Comme condition de sa mise en liberté, ils l’ont forcé à signer une déclaration rédigée en singhalais, qu’il ne comprenait pas. Après l’avoir photographié, un membre de la Marine a frappé le derrière de la tête du demandeur contre un mur, ce qui lui a causé une douleur intense.

[9]               Des membres de l’armée ont arrêté une nouvelle fois le demandeur le 14 août 2008 avec la participation du Parti démocratique populaire de l’Eelam [le PDPE]. Ils l’ont interrogé pendant toute une nuit et l’ont maltraité. Le lendemain matin, ils l’ont amené au poste de police où il a également subi de mauvais traitements. Avant de le relâcher, les agents de police l’ont photographié et ont relevé ses empreintes.

[10]           Le 15 décembre 2009, le Groupe Karuna a arrêté le demandeur et l’a gardé dans un camp pendant trois jours. Celui-ci n’a pas fait l’objet d’agressions physiques, mais les membres du Groupe ont demandé le versement de 350 000 roupies aux fins de sa mise en liberté. Le père du demandeur, pour satisfaire à la rançon, leur a remis de l’argent et des bijoux. Comme condition de sa mise en liberté, le demandeur s’est présenté sur place à deux reprises; il a été battu à l’une de ces occasions.

[11]           Un soir, en décembre 2010, un membre de la Marine a arrêté le demandeur et lui a demandé de lui remettre de l’argent tout en pressant une arme de poing contre sa poitrine. Le demandeur lui a remis 1 800 roupies et ses bijoux. Il n’a pas porté plainte auprès des services de police par crainte des conséquences possibles.

[12]           Le 17 mars 2011, trois hommes du Groupe Pillayan ont arrêté le demandeur alors qu’il conduisait. Ils se sont introduits dans son véhicule et lui ont demandé 3 millions de roupies. L’un des membres du Groupe a introduit le canon d’une arme à feu dans la bouche du demandeur. Ils l’ont accusé de collaborer avec les TLET et l’ont détenu pendant deux jours. Ils l’ont relâché après son acceptation de verser la somme d’argent demandée dans un délai d’un mois.

[13]           Après cet incident, le demandeur a vécu en clandestinité. Son oncle l’a accompagné à Colombo. En chemin, des agents de police l’ont arrêté à Habarana et l’ont gardé en détention pendant une courte période. Ils l’ont relâché après que son oncle eut versé un pot-de-vin.

[14]           Le 2 mai 2011, le demandeur a quitté le Sri Lanka avec l’aide d’un agent. Il est passé par Dubaï, le Panama, le Guatemala, le Mexique et les États-Unis [É.-U.] avant d’arriver au Canada (le 3 août 2011). Le demandeur a été arrêté et détenu dès son arrivée aux États-Unis. Suivant les conseils de son agent, il a présenté une demande d’asile auprès des autorités américaines le 30 mai 2011. Il s’est par la suite désisté de la demande pour se rendre au Canada, lieu de résidence de trois de ses frères qui ont été acceptés au Canada en qualité de réfugié après s’être enfuis du Sri Lanka.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[15]           Une audience s’est tenue le 21 janvier 2013. Le 30 janvier 2013, la SPR a rejeté la revendication du demandeur en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.

[16]           La SPR a conclu que la crédibilité du demandeur ne suffisait pas pour appuyer une demande d’asile. La SPR a indiqué que « toutes les personnes qui retournent dans leur pays font l’objet de vérifications judiciaires, ce qui peut entraîner une détention de plusieurs jours, selon le jour de la semaine où la personne arrive au pays. Cependant, il est mentionné que cette situation s’applique également à l’ensemble des Sri‑Lankais de toutes les origines ethniques. Le tribunal a conclu que le gouvernement ne considérerait pas le demandeur d’asile comme une personne qui s’oppose au gouvernement ou qui critique celui-ci, ou encore qui est liée aux TLET. Par conséquent, le tribunal est d’avis que la détention pour des motifs administratifs ne constituerait pas de la persécution, même si le demandeur d’asile [risquerait d’] en faire l’objet ». La SPR a également conclu que le demandeur « n’a pas besoin de la protection du Canada en soi parce qu’il est un Tamoul du Nord ou de l’Est du Sri Lanka, ou parce qu’il serait un demandeur d’asile débouté qui retournerait dans son pays ».

A.                Crédibilité

[17]           Dans l’ensemble, la SPR a tiré une conclusion générale sur la crédibilité à l’encontre du demandeur. Elle a conclu ce qui suit : « Compte tenu des préoccupations quant à la crédibilité susmentionnées, le tribunal estime que, dans l’ensemble, les éléments de preuve du demandeur d’asile ne sont pas crédibles et qu’ils ne permettent pas d’appuyer la demande d’asile de ce dernier ».

[18]           La SPR a admis que le demandeur s’était désisté de sa demande d’asile présentée aux États-Unis en vue de se rendre au Canada, étant donné que ses trois frères y résidaient. Toutefois, elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité, puisque la décision du demandeur de se désister de sa demande présentée aux É.-U. ne concordait pas avec le comportement d’une personne qui craint de manière subjective d’être persécutée au Sri Lanka.

[19]           Après avoir souligné le rejet en 2010 de la demande de parrainage au titre de la catégorie de la famille du demandeur en vue d’immigrer au Canada, la SPR a également conclu que « la véritable intention du demandeur d’asile était, et est, de venir au Canada pour y vivre et y rejoindre les membres de sa famille, plutôt que de fuir la persécution ».

[20]           La SPR a également remis en question l’omission du demandeur de fournir certains documents corroborants, comme la preuve de sa présence au Sri Lanka au cours de la période où les incidents présumés seraient survenus. Même si elle a mentionné une lettre d’un docteur canadien confirmant le bras cassé du demandeur, elle a également indiqué que cette lettre ne pouvait confirmer le moment où l’incident était survenu ou la manière dont il s’était produit.

[21]           La SPR a ensuite examiné le témoignage du demandeur sur chacun des incidents présumés figurant dans l’exposé circonstancié de son formulaire de renseignements personnels (le FRP). Elle a relevé des incohérences entre la description manuscrite du demandeur et son témoignage concernant plusieurs incidents, ainsi que dans ses explications justifiant ces incohérences. La SPR a conclu en défaveur du demandeur puisqu’elle a jugé ses explications insatisfaisantes.

[22]           Même si la SPR n’a pas tiré de conclusion défavorable de l’omission du demandeur de fournir des documents corroborants pour ce qui est de son séjour à l’hôpital en 2006, elle a indiqué que le demandeur « a laissé passer la chance d’étayer sa demande d’asile » (motifs, au paragraphe 22). La SPR a tiré une « conclusion défavorable de faible importance » du fait de l’omission du demandeur de mentionner dans sa demande d’asile initiale qu’il avait reçu des traitements médicaux sous forme de comprimés, pour une blessure subie au cours de sa détention en juillet 2006. Elle a également tiré une conclusion défavorable « de faible importance » du fait que le demandeur n’a mentionné son arrestation et sa détention (2006) qu’en réponse à la question 37B (arrestations) et non en réponse à la question 37C (détention) de sa demande initiale. Vu cette omission, la SPR a conclu que la mention du demandeur de sa détention constituait une façon d’« embellir » sa version initiale (motifs, au paragraphe 24). La SPD a tiré une conclusion défavorable en se fondant sur un certain nombre d’incohérences qui sont décrites de manière plus détaillée dans les motifs qui suivent.

B.                 Protection à titre de Tamoul du Nord-Est du Sri Lanka

[23]           La SPR a indiqué qu’elle avait examiné la preuve documentaire qui démontre « clairement que le gouvernement persécute actuellement les personnes qu’il soupçonne de collaborer avec les TLET ainsi que celles qui s’opposent au gouvernement ». Toutefois, pour des motifs liés à la crédibilité, elle a conclu que le demandeur « n’est pas une telle personne ».

[24]           La SPR a également conclu que, même si le demandeur est susceptible de faire l’objet d’une détention aux fins de vérifications judiciaires s’il retourne au Sri Lanka, une telle détention s’applique également à l’ensemble des Sri‑Lankais de toutes les origines ethniques. Par conséquent, tout retard de ce type n’équivaudrait pas à de la persécution. Finalement, la SPR a renvoyé aux Principes directeurs du HCR concernant l’évaluation du droit à la protection internationale des demandeurs d’asile sri Lankais [les Principes directeurs du HCR] et a conclu que le demandeur ne nécessite pas la protection des réfugiés du Canada à proprement parler en sa qualité de Tamoul du Nord-Est du Sri Lanka.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[25]           Les observations du demandeur soulèvent plusieurs questions :

1.                  Déterminer si la SPR a commis une erreur de droit en omettant d’examiner et d’analyser un motif essentiel de la demande d’asile;

2.                  Déterminer si la SPR a commis une erreur de droit en omettant d’appliquer les règles de droit pertinentes aux éléments de preuve;

3.                  Déterminer si la SPR a effectué un examen microscopique des éléments de preuve et tiré des conclusions déraisonnables sur la crédibilité en :

a.                   omettant d’examiner l’explication du demandeur justifiant le désistement de sa demande d’asile aux É.-U.

b.                  tirant des conclusions défavorables sur la crédibilité des incohérences entre les notes du FRP et celles prises au point d’entrée.

c.                   tirant des conclusions défavorables de l’omission du demandeur de fournir des documents manuscrits corroborants.

4.                  Déterminer si la SPR a omis d’évaluer si la détention après le renvoi constitue de la persécution.

[26]           Les observations du défendeur traitent des questions suivantes :

1.                  Déterminer si la Commission a examiné l’ensemble des motifs et des éléments de preuve pertinents, notamment :

a.                   la preuve concernant la persécution fondée sur la situation familiale;

b.                  le fondement objectif de la demande d’asile du demandeur à titre de Tamoul du Nord-Est du Sri Lanka;

c.                   les éléments de preuve sur la question de savoir si la détention équivaut à de la persécution.

2.         Déterminer si les conclusions de la Commission sur la crédibilité étaient raisonnables.

[27]           Je préfère la qualification des questions en litige proposée par le défendeur.

V.                NORME DE CONTRÔLE

[28]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux paragraphes 57 et 62, [2008] 1 RCS 190 [l’arrêt Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à l’analyse relative à la norme de contrôle lorsque « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ».

[29]           Il est bien établi que la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait ainsi qu’aux conclusions mixtes de fait et de droit de la SPR, comme les évaluations de la crédibilité (voir Ortiz Garzon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 299 aux par. 24 et 25 (disponible sur CanLII) et Goltsberg c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 886 au par. 16 (disponible sur CanLII). Voir également Salazar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 466 aux par. 35 et 36 (disponible sur CanLII) et N.A.A.Z. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1156 au par. 17 (disponible sur CanLII)).

[30]           Dans l’arrêt Dunsmuir, déjà mentionné, au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada a donné les explications suivantes :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

VI.             ANALYSE

A.                La Commission a-t-elle examiné l’ensemble des motifs applicables à la demande d’asile du demandeur et tous les éléments de preuve pertinents?

(1)               Persécution sur le fondement du profil de la famille

[31]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en ne prenant pas en considération un aspect fondamental de sa demande d’asile, à savoir le profil de la famille. Le demandeur se fonde sur l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 (disponible sur CanLII), dans lequel la Cour suprême du Canada a indiqué que la Commission doit examiner tous les motifs possibles de la demande d’asile, notamment ceux non soulevés par le demandeur (au par. 80). Selon ce dernier, la Commission disposait de suffisamment d’éléments de preuve pour déterminer si sa situation de famille l’exposerait à un risque au Sri Lanka, notamment le fait que ses trois frères avaient obtenu le droit d’asile au Canada en qualité de réfugié.

[32]           Le défendeur soutient que [traduction] « la Commission n’est pas tenue de traiter les motifs de persécution possibles si ceux-ci ne sont pas corroborés par des éléments de preuve ». (Casteneda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1012 au par. 19 (disponible sur CanLII) [la décision Casteneda]). Le défendeur se demande également si la Commission disposait d’éléments de preuve avant de faire droit aux demandes d’asile des frères du demandeur. Même si c’était le cas, le défendeur soutient que la Commission n’était pas tenue d’examiner ces demandes d’asile puisque chaque demande de ce type doit être tranchée en fonction des faits qui lui sont propres (Bakary c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1111 au par. 10, 155 ACWS (3d) 161).

[33]           Par conséquent, la question pertinente est de savoir si, compte tenu des éléments de preuve versés au dossier, l’omission de la SPR de prendre explicitement en considération le profil de famille du demandeur était raisonnable. Dans son FRP, le demandeur a indiqué que des représentants de l’armée sri-lankaise avaient pillé sa résidence familiale et y avaient mis le feu au cours des émeutes anti-tamoules de 1983. Il a également indiqué que son frère aîné avait disparu à la suite des émeutes et qu’il n’avait jamais été retrouvé. Selon son FRP, le demandeur a également indiqué que lui et de deux de ses frères avaient été arrêtés en 2002. Il ne fait pas d’autres références à sa famille ou à la perception des autorités de leur relation avec les TLET.

[34]           Dans la partie « Renseignements additionnels sur la famille » du FRP, le demandeur a indiqué les noms de ses trois frères qui ont obtenu l’asile au Canada en qualité de réfugié. Au cours de l’audience, lorsque le commissaire lui a demandé pourquoi il voulait venir au Canada, le demandeur a répondu : [traduction] « parce que mes frères y vivent ». Le commissaire n’a demandé aucun autre renseignement.

[35]           Compte tenu des éléments de preuve présentés à la Commission, il était raisonnable pour la SPR de conclure que le demandeur ne risquait pas d’être persécuté à cause de son profil de famille. Outre la disparition de son frère et le pillage de sa résidence familiale (évènements tous deux survenus en 1983), il était raisonnable de conclure qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve suffisants pour établir que la famille du demandeur continue d’être la cible des autorités sri-lankaises du fait d’une association présumée avec les TLET. De plus, le demandeur n’a présenté aucune preuve devant #la Commission concernant les particularités des demandes d’asile de ses frères antérieurement accueillies.

[36]           En outre, compte tenu de ces circonstances, je ne suis pas convaincu par l’argument du demandeur portant sur le profil de famille, étant donné que la SPR était au fait de la présence des frères du demandeur au Canada en qualité de réfugié, s’agissant d’une donnée probante tirée du FRP du demandeur.

(2)               Risque de persécution en tant que Tamoul du Nord-Est du Sri Lanka

[37]           Le demandeur a présenté une preuve documentaire importante à l’appui de sa demande d’asile qui laisse entendre que des Tamouls présumés avoir des liens avec les TLET, comme par l’entremise des membres de la famille, risquent d’être la cible d’agents de l’État (Freedom from Torture Report au par. 1, dossier d’instruction à la page  130, Principes directeurs du HCR au par. 27, dossier d’instruction à la page 227).

[38]           Il s’agit de déterminer s’il était raisonnable que la SPR conclue que le demandeur ne risquait pas d’être persécuté du fait qu’il est un homme tamoul du Nord-Est du Sri Lanka. Le demandeur soutient que malgré ses conclusions défavorables concernant sa crédibilité, la Commission se devait d’évaluer le fondement objectif de sa demande d’asile par rapport aux autres éléments de preuve.

[39]           Il est bien établi que la SPR est présumée avoir pesé et examiné l’ensemble de la preuve dont elle est saisie jusqu’à preuve du contraire (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), [1993] ACF No 598 (CAF) (QL)). En l’espèce, la SPR dans ses motifs a clairement indiqué qu’elle avait examiné la preuve documentaire concernant les droits de la personne au Sri Lanka. Elle a conclu que les éléments de preuve présentés démontrent que « le gouvernement persécute actuellement les personnes qu’il soupçonne de collaborer avec les TLET », ainsi que les demandeurs d’asile déboutés qui font l’objet d’un renvoi. Toutefois, pour des motifs liés à la crédibilité, la SPR a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas à ces deux profils (motifs, aux paragraphes 35 et 36). La SPR a également fait référence aux Principes directeurs du HCR et a conclu que le profil du demandeur en tant que Tamoul du Nord-Est du Sri Lanka ne constituait pas l’un des profils de risque de persécution. Compte tenu du dossier, cette conclusion était raisonnable et ne devrait pas être modifiée dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

(3)               Déterminer si la détention au retour équivaut à une persécution

[40]           En ce qui a trait à ce dernier point, j’ai décidé que le contrôle judiciaire doit être accueilli.

[41]           La question de savoir si des détentions à court terme pour des raisons de sécurité constituent de la persécution repose sur des faits précis et doit être tranchée par rapport à la situation particulière de chaque affaire (Sinnasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 67 au par. 23, 164 ACWS (3d) 667 [Décision Sinnasamy]). Par conséquent, le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en omettant d’examiner si la détention dont il risque de faire l’objet à son retour au Sri Lanka, compte tenu des éléments de preuve qui lui ont été présentés, équivaudrait à de la persécution.

[42]           Faisant référence à sa demande d’information du 22 août 2011 concernant le Sri Lanka, la SPR a conclu que les Sri-Lankais de toutes les origines ethniques, et non seulement les Tamouls, risquaient de faire l’objet d’une détention à leur retour, indiquant que « cependant, il est mentionné que cette situation s’applique également à l’ensemble des Sri‑Lankais de toutes les origines ethniques ». Compte tenu du fait que la SPR a conclu que le demandeur ne serait pas ciblé par le gouvernement pour des raisons politiques ou pour être associé avec les TLET, elle a conclu qu’une telle période n’équivaudrait pas à de la persécution. Cette conclusion semble être à première vue raisonnable étant donné que, comme l’a indiqué la SPR, la politique relative aux rapatriés en détention n’est pas en général discriminatoire.

[43]           Toutefois, un examen du document sur lequel la Commission s’est fondée fournit des renseignements supplémentaires. Il fait référence à des sources selon lesquelles les Tamouls sont traités différemment à leur retour au Sri Lanka, et sont particulièrement à risque s’ils ont quitté le pays illégalement du fait que les autorités pourraient les soupçonner automatiquement d’entretenir des liens avec les TLET. Les éléments de preuve présentés à la Commission démontrent également que les demandeurs d’asile déboutés d’origine ethnique tamoule qui sont rapatriés sont torturés à leur retour.

[44]           Compte tenu des éléments de preuve selon lesquels des demandeurs d’asile déboutés d’origine ethnique tamoule qui ont été rapatriés ont été torturés, il était déraisonnable pour la SPR de simplement affirmer que l’ensemble des rapatriés, peu importe leur origine ethnique, sont traités de la même manière. Cette conclusion ne reflète aucunement le dossier; de plus, la SPR a omis d’examiner la question du statut du demandeur à titre de demandeur d’asile débouté ayant été rapatrié. La décision de la SPR était raisonnable en ce qui concerne la question de la détention, mais ne l’était pas pour ce qui est du risque de torture auquel les demandeurs d’asile déboutés d’origine ethnique tamoule rapatriés seraient exposés. La SPR n’a pas satisfait à l’exigence énoncée dans la décision Sinnasamy, précitée, à savoir qu’il faut tenir compte de la « situation particulière » du demandeur lorsqu’il s’agit de déterminer si sa détention possible équivaudrait à de la persécution en qualité de demandeur d’asile débouté, question d’ordre factuel qui doit être tranchée en fonction des circonstances propres à chaque espèce.

[45]           Le défendeur soutient que la conclusion de la Commission a tiré une conclusion raisonnable à cet égard, étant donné qu’au vu de la preuve documentaire le risque de détention au retour est une politique qui s’applique de la même façon à tous les rapatriés du Sri Lanka. En outre, le défendeur indique qu’il n’y avait aucune preuve permettant d’affirmer que le demandeur s’exposerait à un « risque grave d’agression s’il est détenu », étant donné que la Commission ne l’a pas considéré comme un membre présumé des TLET.

[46]           Je rejette cet argument compte tenu du fait qu’il n’explique pas de manière satisfaisante le risque de persécution du demandeur à titre de demandeur d’asile débouté qui retournerait au Sri Lanka.

[47]           De plus, la SPR semble affirmer que, du fait qu’elle n’a pas cru que le demandeur était ciblé par les autorités en raison de son association présumée avec les TLET, il n’est pas nécessaire qu’elle examine s’il court un risque selon la preuve documentaire objective.

[48]           Toutefois, cette logique ne s’applique pas à la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur ne correspond pas au profil des demandeurs d’asile déboutés et rapatriés au Sri Lanka. Voici les motifs avancés par la SPR :

[37] Le tribunal tient compte du point 14.5 de la pièce R/A‑1. Dans cette publication de la Commission datée du 22 août 2011, il est mentionné que toutes les personnes qui retournent dans leur pays font l’objet de vérifications judiciaires, ce qui peut entraîner une détention de plusieurs jours, selon le jour de la semaine où la personne arrive au pays. Cependant, il est mentionné que cette situation s’applique également à l’ensemble des Sri‑Lankais de toutes les origines ethniques. Le tribunal a conclu que le gouvernement ne considérerait pas le demandeur d’asile comme une personne qui s’oppose au gouvernement ou qui critique celui-ci, ou encore qui est liée aux TLET. Par conséquent, le tribunal est d’avis que la détention pour des motifs administratifs ne constituerait pas de la persécution, même si le demandeur d’asile en faire l’objet.

[49]           En toute déférence, les préoccupations de la SPR liées à la crédibilité ne permettent pas de trancher la question de savoir s’il y a un risque grave que le demandeur soit persécuté en sa qualité de demandeur d’asile débouté et rapatrié. Le statut du demandeur à cet égard est établi de façon objective comme demandeur d’asile débouté - sa demande d’asile a été rejetée par la SPR. Cela n’a rien à voir avec la crédibilité.

[50]           L’examen du dossier présenté à la SPR a démontré que des demandeurs d’asile déboutés et rapatriés au Sri Lanka avaient été détenus et torturés (Freedom from Torture Report au par. 7; principes directeurs du HCR au par. 8; risque auquel sont exposés les demandeurs d’asile d’origine ethnique tamoule déboutés qui sont rapatriés au Sri Lanka). La SPR n’a fait référence à aucun document particulier à cet égard. De plus, elle n’a pas répondu à la préoccupation particulière d’un demandeur d’asile débouté qui est ensuite rapatrié. En toute déférence, la SPR était tenue de déterminer s’il y avait un risque grave de persécution du demandeur en qualité de demandeur d’asile débouté et rapatrié.

[51]           Par conséquent, j’arrive à la conclusion que la décision de la SPR ne satisfait pas au critère établi dans l’arrêt Dunsmuir, précité, selon lequel : « le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » (au par. 47). Compte tenu de la gravité des conséquences éventuelles et de l’absence d’examen et de raisonnement sur cette question, je suis d’avis que la décision de la SPR est déraisonnable et doit être annulée.

B.                 Les conclusions sur la crédibilité du commissaire sont-elles raisonnables?

[52]           En ce qui concerne ma conclusion selon laquelle il convient de renvoyer l’affaire en raison du risque grave de persécution auquel est exposé le demandeur en sa qualité de demandeur d’asile débouté, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les nombreuses questions de crédibilité soulevées par les parties. 

VII.          CONCLUSION

[53]           Compte tenu de ce qui précède, la décision doit être annulée, et il convient de renvoyer l’affaire à un autre tribunal de la SPR en vue d’un nouvel examen.

[54]           Le demandeur a proposé une question à certifier uniquement dans le cas où je devais rejeter la conclusion énoncée dans l’arrêt Viafara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1526, au par. 6, 154 ACWS (3d) 455, comme il en a été question dans l’affaire Casteneda, précitée, au par. 19. J’estime qu’en l’espèce il n’y a aucune question à certifier et qu’aucune question ne donc sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      que le contrôle judiciaire est accordé.

2.      que l’affaire est renvoyée à un autre tribunal de la Section de la protection des réfugiés en vue d’un nouvel examen.

3.      qu’aucune question n’est certifiée.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B, B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1834-13

 

INTITULÉ :

GEROSEKUMAR SUNTHARALINGAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

10 SEPTEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

lE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

16 OCTOBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Ron Pulton

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nina Chandy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman Nazami & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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