Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20141016


Dossier : IMM-1774-14

Référence : 2014 CF 986

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2014

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

S.M.G.L., J.C.M.R. ET L.C.R.

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le ministre sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié par laquelle l’asile a été accordé aux défendeurs. L’histoire qu’ont racontée les défendeurs était de celle que l’on retrouve plus souvent dans un roman d’espionnage, mais la Commission était convaincue que ceux-ci craignaient avec raison d’être persécutés au Mexique du fait de leurs opinions politiques et de leur appartenance à un groupe social, étant donné leurs tentatives de dénoncer un complot international visant à lancer des cyberattaques contre les États-Unis d’Amérique.  

[2]               Le ministre ne remet pas en cause la conclusion de la Commission selon laquelle les prétentions des défendeurs étaient crédibles; il fait uniquement valoir que la Commission a commis une erreur en concluant que ceux-ci ne bénéficiaient pas d’une protection de l’État suffisante au Mexique. Plus particulièrement, le ministre soutient que la Commission a commis une erreur en confondant les tentatives infructueuses des défendeurs visant à dénoncer les activités de personnes à l’origine d’un cybercomplot et l’absence de protection de l’État en ce qui a trait aux menaces de mort proférées par ces mêmes personnes à l’encontre des défendeurs. 

[3]               Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que les menaces à leur sécurité personnelle étaient inextricablement liées à leurs activités de dénonciation. Les défendeurs ont demandé, en vain, à de nombreuses autorités au Mexique de les aider à mettre au jour le complot visant à commettre une cyberattaque. Dans les circonstances, il était raisonnable que la Commission en vienne à la conclusion que les défendeurs avaient réussi à réfuter la présomption selon laquelle ils pourraient bénéficier d’une protection suffisante de l’État au Mexique. Par conséquent, la demande sera rejetée.

I.                   Contexte

[4]               Les défendeurs sont des ressortissants du Mexique qui ont lutté activement et publiquement contre le terrorisme. Ils étaient tous membres d’un groupe dirigé par une personne que j’appellerai « M ». Ce groupe a tenté de dénoncer un complot visant à lancer des cyberattaques contre des installations nucléaires et des centres de renseignement aux États-Unis.

[5]               Les gouvernements de l’Iran, de Cuba et du Venezuela, ainsi que des extrémistes de l’Université nationale autonome du Mexique, étaient impliqués dans le complot. La Commission disposait également d’éléments de preuve laissant entendre que le gouvernement iranien entretenait des liens avec des cartels de drogue mexicains, et que le gouvernement mexicain lui-même avait, dans une certaine mesure, été impliqué dans le complot.

[6]               Depuis que ses tentatives de dénoncer le cybercomplot sont connues, M est tombé gravement malade du fait qu’il a contracté une souche hautement inhabituelle du virus de l’hépatite C. Un rapport médical présenté à la Commission indique que la progression accélérée de la maladie dont M est atteint laisse croire que le virus aurait pu provenir d’un laboratoire de l’un des pays impliqués dans le cybercomplot. La Commission en a conclu qu’il s’agissait d’une preuve crédible qu’au moins un des agents de persécution craints par les défendeurs avait intentionnellement inoculé le virus à M. Le ministre ne conteste pas cette conclusion.

[7]               Les défendeurs eux-mêmes sont manifestement devenus des suspects aux yeux des participants au complot, puisqu’ils ont été suivis et photographiés à de nombreuses reprises, dans certains cas du moins, par des individus qui ont été identifiés comme étant des employés de l’ambassade de l’Iran. Au moins un des défendeurs a également reçu des menaces de mort anonymes à plusieurs reprises.

[8]               Le ministre est intervenu dans les demandes d’asile des demandeurs en présentant des éléments de preuve, en interrogeant des témoins et en soumettant des observations à la Commission. L’histoire qu’ont racontée les défendeurs était certainement très inhabituelle, mais lors de l’instruction de la présente demande, l’avocat du ministre a reconnu que la crédibilité de l’histoire des défendeurs n’était, [traduction] « dans l’ensemble », pas contestée, ce qui a été corroboré par une abondante quantité de preuve documentaire. 

[9]               Outre leurs témoignages, les défendeurs ont produit des transcriptions d’enregistrements de diverses réunions et d’activités, des documents provenant du gouvernement américain, des rapports de journaux et des preuves médicales. Des renseignements ont également été fournis concernant un documentaire télévisé portant sur le complot de cyberattaque et le rôle joué par les défendeurs pour tenter de le dénoncer.

[10]           En se fondant sur cette preuve, la Commission était convaincue que les défendeurs avaient raison de craindre d’être persécutés au Mexique et de ne pas pouvoir bénéficier de la protection de l’État dans ce pays. Comme je l’ai déjà souligné, le ministre ne conteste que la conclusion de la Commission relative à la protection de l’État. 

II.                Analyse

[11]           Les défendeurs ont présenté une preuve abondante à la Commission en ce qui a trait à leurs tentatives d’attirer l’attention des autorités mexicaines sur cette question. M a communiqué avec les forces policières mexicaines et leur a fourni des détails sur le complot, notamment les noms de certains participants. Les allégations de M étaient étayées par des enregistrements audios et vidéos qu’il avait subrepticement captés lors de diverses réunions où il était présent et auxquelles assistaient des participants au complot. M a également enregistré sa rencontre avec la police mexicaine. Une transcription de celle-ci révèle que la police n’avait pas l’intention de mener une enquête au sujet des allégations de M, ou de l’aider autrement, et qu’elle l’a plutôt ridiculisé, menacé et agressé.

[12]           M a ensuite communiqué avec le procureur général responsable de lutter contre le crime organisé au Mexique. Il a fourni des renseignements au sujet du complot de cyberattaque et des mauvais traitements qu’il a subis aux mains de la police mexicaine. Le bureau du procureur général a confisqué le disque dur de l’ordinateur de M, mais aucune autre mesure ne semble avoir été prise en réponse aux allégations formulées par celui-ci.

[13]           Le défendeur S.M.G.L. a communiqué avec bon nombre de sénateurs du gouvernement mexicain dans un effort visant à prévenir ceux-ci du complot de cyberattaque. Un seul sénateur a répondu. S.M.G.L. et M l’ont par la suite rencontré, et lui ont remis des copies des enregistrements à l’appui de leurs allégations. Ils lui ont également signalé qu’ils avaient l’impression d’être suivis. Le sénateur ne leur a offert aucune protection, et il ne les a pas non plus dirigés vers un représentant du gouvernement qui aurait pu les aider à obtenir la protection de l’État. On leur a seulement recommandé d’être prudents et de signaler tout incident, le cas échéant.

[14]           Les défendeurs et leurs partenaires ont poursuivi leurs efforts pour attirer l’attention des autorités mexicaines et ont communiqué, entre autres, avec plusieurs grands partis politiques au Mexique. Les défendeurs ont fourni à la Commission une liste des nombreuses organisations et autorités avec lesquelles, eux et leurs partenaires, ont tenté en vain de communiquer. Encore une fois, le ministre ne conteste pas la preuve fournie par les défendeurs à cet égard.  

[15]           Après l’échec de leurs tentatives visant à obtenir de l’aide au Mexique, les défendeurs se sont adressés aux autorités américaines. Les démarches entreprises par les défendeurs ont amené le gouvernement américain à déclarer persona non grata un diplomate vénézuélien soupçonné de complicité dans la cyberattaque. Les défendeurs ont également communiqué avec les médias, ce qui a mené à la production du documentaire concernant leur situation.  

[16]           Selon les motifs de la Commission, il est clair que celle-ci comprenait qu’il existe une présomption réfutable selon laquelle un État sera habituellement en mesure de protéger ses citoyens : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 103 D.L.R. (4th) 1. La Commission a également compris clairement que le critère applicable était celui de l’efficacité de la protection offerte par l’État, et que les États n’étaient pas tenus d’assurer la protection parfaite de leurs citoyens. Il s’agit d’une formulation exacte du critère : Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636.

[17]           Lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision de la Commission en se fondant sur le caractère adéquat de la protection de l’État offerte à des demandeurs dans leur pays d’origine, la Cour n’a pas pour rôle d’analyser chaque ligne des motifs de la Commission pour y déceler des erreurs. Elle tient plutôt compte de « [...] [l]a justification de la décision, [de] la transparence et [de] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que de] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, paragraphe 47, [2008] 1 R.C.S. 190.

[18]           En l’espèce, la Commission a tenu compte de ce que M avait vécu, et elle a conclu qu’il s’agissait d’« un indice solide de ce à quoi les demandeur d’asile pourraient être exposés s’ils devaient retournés au Mexique ». En évaluant le risque auquel les demandeurs étaient exposés, il était raisonnablement loisible à la Commission d’examiner ce qui était arrivé à des personnes se trouvant dans une situation semblable : Ward, précité au paragraphe 57.

[19]           La preuve présentée par les défendeurs a également démontré que l’État du Mexique avait auparavant refusé de les protéger, et qu’il n’avait pas manifesté l’intention de les protéger à l’avenir. Le ministre n’a pas mentionné d’autres mesures que les défendeurs auraient pu prendre pour se protéger au Mexique.

[20]           Le ministre fait valoir que la Commission n’a examiné que la question de savoir si une protection suffisante serait offerte aux défendeurs par l’État en ce qui concerne leurs activités de dénonciation, et qu’elle n’a pas examiné la question de savoir si une telle protection serait assurée contre les menaces à la sécurité personnelle proférées à l’encontre des défendeurs. En fait, les défendeurs étaient exposés à des risques seulement au Mexique en raison de leurs activités de dénonciation, et les personnes qu’ils redoutaient étaient celles qui étaient à l’origine du cybercomplot. Compte tenu du peu d’intérêt manifesté par les autorités mexicaines à l’égard du cybercomplot, la conclusion de la Commission selon laquelle elles ne seraient pas disposées à protéger les défendeurs des conséquences de leur dénonciation était l’une de celles que la Commission pouvait raisonnablement tirer, compte tenu du dossier qu’elle avait à sa disposition.

III.             Conclusion

[21]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Je souscris à la position des parties selon laquelle la présente affaire ne soulève aucune question à certifier compte tenu de ses faits exceptionnels.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.  

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B, B.A. trad

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1774-14

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c S.M.G.L., J.C.M.R. ET L.C.R.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 SEPTEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 OCTOBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Helen Park

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Erica Olmstead

 

POUR LE DÉFENDEUR S.M.G.L.

 

Fiona Begg

 

POUR LE DÉFENDEUR J.C.M.R.

 

Maria Sokolova

 

POUR LE DÉFENDEUR L.C.R.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Edelmann & Co.

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR S.M.G.L.

 

 


 

Fiona Begg

Avocate

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR J.C.M.R.

 

Maria Sokolova

Avocate

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

L.C.R.

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.