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Date : 20141016


Dossier : IMM‑1035‑14

Référence : 2014 CF 984

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2014

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

MARIAN CONKA, TATIANA CONKOVA, ROZALIA CONKOVA, MATUS CONKA, ZUZANA CONKOVA, BRANISLAV CONKA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs contestent la légalité d’une décision, datée du 6 janvier 2014, dans laquelle un agent principal de l’immigration (l’agent) a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) qu’ils ont présentée en vertu de l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). La présente demande est entendue conjointement avec le dossier IMM‑3593‑13, une demande de contrôle judiciaire d’une décision visant une demande fondée sur des considérations humanitaires (CH) présentée relativement aux mêmes demandeurs (2014 CF 985).

[2]               Les demandeurs sont tous des citoyens de la Slovaquie d’origine rom. Marian Conka et Tatiana Conkova sont les parents de Rozalia, Matus, Zuzana et Branislav. Ils sont arrivés au  Canada le 16 novembre 2009 et ont demandé l’asile à leur arrivée. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté leur demande d’asile le 23 mars 2012 en invoquant l’existence d’une protection de l’État, et la demande d’autorisation de faire appel de cette décision a été rejetée le 30 mai 2012. Après quoi, les demandeurs ont présenté une demande CH le 11 mai 2012. La demande CH a été rejetée le 28 février 2013, et les demandeurs ont ensuite présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire relativement à la décision CH. Les demandeurs ont aussi demandé un ERAR le 6 avril 2013. Une décision défavorable à l’issue de l’ERAR a été rendue le 6 janvier 2014, et les demandeurs ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’égard de la décision d’ERAR. Les demandeurs sont visés par une mesure de renvoi devant être exécutée le 17 mars et le 19 mars 2014, mais ils ont présenté une requête de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. La demande relative à la décision CH a été rejetée, mais la demande de sursis relative à la décision d’ERAR a été accueillie le 13 mars 2014.

[3]               En ce qui concerne la demande d’ERAR, l’agent, en l’espèce, a conclu que les demandeurs avaient essentiellement réitéré les mêmes faits que ceux qui avaient été présentés devant la SPR et n’avaient réfuté aucune de ses conclusions, y compris celles concernant la protection de l’État. De plus, l’agent a conclu que les éléments de preuve documentaire produits par les demandeurs étaient de nature générale et n’établissaient pas un lien direct avec leur situation et que, quoi qu’il en soit, les éléments de preuve ne démontraient pas que de nouveaux risques étaient apparus suite à un changement dans les conditions régnant au pays ou dans leur situation personnelle depuis la décision de la SPR. L’agent a bel et bien reconnu que la population rom en Slovaquie était victime de discrimination, mais a constaté que le gouvernement avait instauré diverses mesures pour faire échec à la discrimination et que l’État était pourvu des institutions nécessaires pour protéger ses citoyens.

[4]               En bref, les demandeurs soumettent deux motifs de contrôle. Premièrement l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents faisant état de changements substantiels en ce qui concerne les conditions régnant au pays depuis la décision de la SPR. Deuxièmement, l’agent a appliqué le mauvais critère juridique pour l’évaluation de l’existence d’une protection de l’État. La première question en litige soulève des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, et la norme de contrôle qui s’applique est, par conséquent, celle de la raisonnabilité, tandis que la seconde question en litige soulève une question de droit qui est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9).

[5]               L’alinéa 113a) de la Loi s’applique à la première question en litige :

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection

[6]               Comme l’a établi la Cour d’appel fédérale dans Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza], un agent d’ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles, aux termes de l’alinéa 113a) de la Loi, auraient pu amener la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance (au paragraphe 13). La Cour d’appel explique ensuite ce qui constitue de « nouvelles preuves » aux termes de l’alinéa 113a) de la Loi :

Les nouvelles preuves sont‑elles nouvelles, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes :

a)                  à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

b)                  à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

c)                  à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer. (Raza, précité, au paragraphe 13).

La Cour précise que, pour être prises en compte, les preuves doivent aussi être « substantielles », c’est‑à‑dire que la demande d’asile aurait probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR (Raza, précité, au paragraphe 13).

[7]               En l’espèce, les demandeurs contestent la façon dont l’agent a traité ce qu’ils considèrent comme étant de nouvelles preuves aux termes de l’alinéa 113a) étant donné qu’elles contredisent les conclusions de la SPR sur la protection de l’État et montrent que, depuis l’audience de la SPR, la situation des Roms en Slovaquie a empiré. Les demandeurs renvoient expressément à un rapport de janvier 2013 du Center for Civil and Human Rights et People In Need, République slovaque, qui réfute les conclusions de la SPR selon lesquelles il existe des recours contre la violence policière et que les dispositions législatives contre la discrimination sont efficaces. L’agent n’a pas fait mention du rapport. Les demandeurs renvoient aussi à diverses réponses aux demandes d’information de la SPR sur la Slovaquie de juillet 2012 ainsi qu’au rapport du Département d’État des États‑Unis de mai 2012, qui fait état d’une vaste discrimination contre les Roms en Slovaquie. Les demandeurs soutiennent que ces nouvelles preuves auraient permis à l’agent d’ERAR de conclure que les graves violations des droits de la personne et que l’effet cumulatif des mesures discriminatoires à l’endroit des Roms équivalent à de la persécution et que les demandeurs ont réfuté la présomption de l’inexistence d’une protection de l’État.

[8]               Le défendeur réplique que la SPR disposait déjà d’un grand nombre d’éléments de preuve documentaire sur les conditions générales régnant en Slovaquie qui abordaient les mêmes questions de fait et que les faits énoncés dans les nouvelles preuves soumises par les demandeurs ne diffèrent pas essentiellement de ceux qu’a déjà pris en compte la SPR, y compris les éléments de preuve relatifs à la brutalité policière, à la discrimination contre les Roms et au climat raciste, au manque d’efficacité des dispositions législatives contre la discrimination, aux stérilisations forcées et aux lacunes dans les mesures gouvernementales. Le défendeur affirme que la SPR n’a pas tiré de conclusion de persécution et a conclu que, quoi qu’il en soit, il existait une protection de l’État. Il ajoute que les éléments de preuve documentaire montrent, en fait, des améliorations dans la situation des Roms et qu’il n’incombe pas à la Cour, en contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau les éléments de preuve, ni de réexaminer, dans le contexte d’un ERAR, la décision rendue par la SPR en ce qui concerne la persécution et la protection de l’État.

[9]               Je dois convenir avec le défendeur que la Cour ne peut pas apprécier à nouveau les éléments de preuve documentaire et n’a pas à redéfinir les critères juridiques qui s’appliquent en ce qui concerne la persécution et la protection de l’État, du moins dans la présente affaire, qui a trait à l’interprétation des éléments de preuve se rapportant aux conditions régnant dans le pays. Les demandeurs n’ont pas soulevé de faits nouveaux importants relativement à leur situation personnelle ou à un risque auquel ils seraient personnellement exposés à leur retour dans leur pays. Ils n’ont pas démontré que les nouvelles preuves contredisent les conclusions de fait de la SPR, qui a conclu que les Roms étaient victimes de discrimination, mais qu’il existe une protection de l’État, même si celle‑ci n’est pas parfaite. Les nouvelles preuves s’ajoutent simplement aux éléments de preuve de discrimination dont disposait déjà la SPR, et rien ne prouve que la situation des Roms en Slovaquie a empiré au point où elle équivaudrait maintenant à de la persécution. Je dois supposer que l’agent a pris en compte l’ensemble des éléments de preuve et, de plus, je ne suis pas convaincu que, en l’espèce, les conclusions de l’agent reposent sur un examen sélectif des éléments de preuve. La SPR a déjà longuement examiné des éléments de preuve documentaires semblables sur les questions soulevées par les demandeurs, y compris la violence policière et les recours contre celle-ci ainsi que les critiques relatives à l’efficacité des dispositions législatives contre la discrimination. Même s’il était possible de rendre une conclusion de fait différente, il n’était pas déraisonnable que l’agent conclue en l’espèce que les nouvelles preuves relatives aux conditions régnant dans le pays ne suffisaient pas, en soi, pour contredire les conclusions de la SPR relatives à la protection de l’État.

[10]           À titre d’argument subsidiaire, les demandeurs soutiennent aussi que l’agent a appliqué le mauvais critère quant à l’appréciation de la protection de l’État lorsqu’il a affirmé : [traduction« Par conséquent, j’estime que le gouvernement slovaque ne soumet pas ses citoyens à un déni constant et systémique de leurs droits humains fondamentaux ». Il convient de lire les motifs de l’agent dans leur ensemble. L’agent renvoie ailleurs à des mesures qu’a instaurées le gouvernement pour faire échec à la discrimination faite aux Roms. Il affirme ensuite que le gouvernement exerce un contrôle effectif sur son territoire national et sur ses institutions de sorte qu’il est capable d’assurer la protection des citoyens et, enfin, conclut que les demandeurs ne seraient exposés à rien de plus qu’une possibilité de persécution et qu’il est moins probable que le contraire qu’ils seraient exposés à un risque de torture, à une menace à leur vie ou à un risque de traitements ou peines cruels ou inusités. Par conséquent, je suis convaincu que l’agent savait quel critère appliquer, qu’il l’a appliqué et que l’affirmation relative à l’absence d’un déni constant et systémique des droits de la personne n’était pas déterminante en ce qui concerne la décision rendue dans le cadre de l’ERAR.

[11]           Pour ces motifs, la demande doit être rejetée. Les avocats n’ont pas soulevé de question de portée générale.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1035‑14

 

INTITULÉ :

MARIAN CONKA, TATIANA CONKOVA, ROZALIA CONKOVA, MATUS CONKA, ZUZANA CONKOVA, BRANISLAV CONKA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 OCTOBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 16 OCTOBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nicholas Dodokin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wazana Law

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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