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Date : 20141003


Dossier : T-1257-13

Référence : 2014 CF 917

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

COMMISSAIRE À L’INFORMATION
DU CANADA

demandeur

et

MINISTRE DES RESSOURCES NATURELLES

défendeur

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT

(Motifs confidentiels du jugement rendu le 26 septembre 2014)

LA JUGE HENEGHAN

I.                   INTRODUCTION

[1]               Le commissaire à l’information du Canada (le demandeur) a présenté, en vertu de l’alinéa 42(1)a) de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, ch A‑1 (la Loi), une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 11 mars 2013 par laquelle le ministre des Ressources naturelles du Canada (le défendeur ou le ministre) a refusé de suivre la recommandation du demandeur suivant laquelle certains documents qui avaient été expurgés et considérés comme « des renseignements personnels » au sens du paragraphe 19(1) ne constituaient pas des renseignements personnels et devaient être divulgués. Le ministre était d’avis que les renseignements en question étaient effectivement des renseignements personnels et devaient demeurer expurgés.

[2]               Aux termes d’une ordonnance datée du 16 octobre 2013, la juge McVeigh a fait droit à une demande d’ordonnance de confidentialité en vertu des articles 151 et 152 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 et du paragraphe 47(1) de la Loi. L’ordonnance de confidentialité s’applique aux renseignements qui font l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire et aux autres documents que le défendeur serait autorisé à refuser de divulguer s’il faisait l’objet d’une demande présentée en vertu de la Loi.

II.                LES FAITS

[3]               Le 7 juin 2010, le ministère des Ressources naturelles du Canada (le Ministère) a reçu une demande d’accès à l’information présentée en vertu de la Loi par M. Paul Einarsson, président et directeur de l’exploitation de Geophysical Services Inc. (« GSI »). Dans cette demande, M. Einarsson demandait au ministère ce qui suit :

[traduction]

Les documents se trouvant en la possession de la Direction générale de l’Atlantique et de l’Ouest du Canada de la CGC qui concernent la demande no DC7040‑10‑31 : [traduction] « Veuillez nous transmettre des copies des affiches, présentations PowerPoint, pages Web, interprétations des données séismiques, coupes séismiques, y compris tout document portant sur tous les dossiers dans lesquels GSI des données séismiques appartenant à GSI font partie de renseignements divulgués à des tiers, et notamment à d’autres organismes gouvernementaux, à des organismes gouvernementaux étrangers, à des établissements de recherche ou au public, y compris les détails et les dates de ces communications ».

[4]               Par lettre datée du 15 octobre 2010, le Ministère a transmis les renseignements demandés à M. Einarsson. Le Ministère a fait observer dans sa lettre que certains des renseignements avaient été expurgés conformément au paragraphe 19(1) de la Loi. Le Ministère a également informé M. Einarsson de son droit de porter plainte devant le demandeur au sujet de cette expurgation.

[5]               M. Einarsson a communiqué avec le Ministère pour obtenir des éclaircissements au sujet des motifs de l’expurgation de certains renseignements. Le Ministère a, le 2 décembre 2010, informé par courriel M. Einarsson que les renseignements expurgés étaient des renseignements personnels au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, ch P‑21 (la Loi sur la protection des renseignements personnels). Le Ministère était d’avis que le paragraphe 19(1) de la Loi empêchait la divulgation de ces renseignements.

[6]               M. Einarsson a répondu par courriel le 12 décembre 2010 en citant diverses dispositions de la Loi et de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui, à son avis, justifiaient la divulgation des renseignements en question. Il a également cité de la jurisprudence qui appuyait leur divulgation et a demandé au ministre de réexaminer son refus de divulguer les renseignements.

[7]               Le 14 décembre 2010, M. Einarsson a déposé une plainte auprès du demandeur au sujet du refus du Ministère de divulguer les renseignements expurgés. Dans sa plainte, M. Einarsson alléguait que le Ministère avait refusé de façon injustifiée de communiquer les renseignements demandés.

[8]               Le demandeur a fait enquête sur la plainte.

[9]               Au cours de son enquête, le Ministère a divulgué au demandeur les lettres qu’il avait adressées à plusieurs tiers pour les informer de la demande initiale de M. Einarsson et pour demander leur consentement à la divulgation des renseignements.

[10]           Le 25 août 2011, le demandeur a écrit au Ministère une lettre dans laquelle il résumait la progression de son enquête jusqu’à cette date. Le demandeur s’est dit d’avis que l’expurgation des renseignements en question n’était pas justifiée. Il a offert au Ministère la possibilité de soumettre des observations complémentaires sur la question. Le Ministère a répondu le 17 novembre 2011 en formulant des observations détaillées justifiant l’expurgation des renseignements.

[11]           Le 13 février 2013, le ministre a écrit à M. Einarsson une lettre dans laquelle il divulguait des renseignements complémentaires se rapportant à sa demande initiale d’accès à l’information. Certains renseignements étaient toujours expurgés en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi.

[12]           Par lettre datée du 26 février 2013, le demandeur a écrit au ministre des Ressources naturelles du Canada pour rendre compte des résultats de son enquête. Le demandeur s’est dit d’avis que la plainte était bien fondée et que le refus de communiquer les renseignements expurgés n’était pas justifié en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi. Le demandeur a recommandé au Ministère de divulguer les renseignements à M. Einarsson.

[13]           Le 11 mars 2013, le ministre a répondu à cette lettre en déclarant qu’il refusait de suivre la recommandation de divulguer les renseignements.

[14]           Le 28 mars 2013, le demandeur a écrit à M. Einarsson pour l’informer des résultats de l’enquête et du refus du défendeur de divulguer les renseignements. Il a informé M. Einarsson de son droit de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision du défendeur en vertu de l’article 41 de la Loi ou de faire présenter une demande de contrôle judiciaire par le demandeur en vertu de l’alinéa 42(1)a), avec son consentement.

[15]           M. Einarsson a répondu le 10 juin 2013 en autorisant le demandeur à introduire une demande de contrôle judiciaire de la décision du défendeur en son nom et en accordant son consentement en vertu de l’alinéa 42(1)a) de la Loi.

III.             DÉCISION À L’EXAMEN

[16]           Dans une lettre du 11 mars 2013, le défendeur a refusé de suivre la recommandation du demandeur de divulguer les renseignements expurgés, au motif qu’il n’était pas en mesure de concilier la recommandation de divulguer les renseignements avec la définition de renseignements personnels donnée dans la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[17]           Le défendeur a signalé les tentatives faites par le ministre pour tenter d’obtenir le consentement des personnes concernées pour divulguer les renseignements en question et pour se conformer à la recommandation antérieure du demandeur d’appliquer le paragraphe 19(2) de la Loi. Le défendeur s’est dit d’avis que le ministre s’était parfaitement conformé à cette recommandation antérieure d’appliquer le paragraphe 19(2) et qu’il avait exploré toutes les avenues possibles, y compris celle de divulguer les renseignements.

[18]           De plus, le défendeur s’est dit d’avis que le Ministère avait conclu à juste titre que les renseignements expurgés étaient des renseignements personnels. Le défendeur a refusé de divulguer les renseignements expurgés.

IV.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[19]           Voici les dispositions applicables de la Loi :

Renseignements personnels

19. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Cas où la divulgation est autorisée

(2) Le responsable d’une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où :

a) l’individu qu’ils concernent y consent;

b) le public y a accès;

c) la communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Personal information

19. (1) Subject to subsection (2), the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains personal information as defined in section 3 of the Privacy Act.

 

Where disclosure authorized

(2) The head of a government institution may disclose any record requested under this Act that contains personal information if

(a) the individual to whom it relates consents to the disclosure;

(b) the information is publicly available; or

(c) the disclosure is in accordance with section 8 of the Privacy Act.

[20]           Voici les dispositions applicables de la Loi sur la protection des renseignements personnels :

« renseignements personnels »

“personal information”

« renseignements personnels » Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment :

[…]

b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé;

[…]

i) son nom lorsque celui-ci est mentionné avec d’autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet;

toutefois, il demeure entendu que, pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant :

j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment :

(i) le fait même qu’il est ou a été employé par l’institution,

(ii) son titre et les adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail,

(iii) la classification, l’éventail des salaires et les attributions de son poste,

(iv) son nom lorsque celui-ci figure sur un document qu’il a établi au cours de son emploi,

(v) les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de son emploi;

[…]

“personal information”

« renseignements personnels »

“personal information” means information about an identifiable individual that is recorded in any form including, without restricting the generality of the foregoing,

(b) information relating to the education or the medical, criminal or employment history of the individual or information relating to financial transactions in which the individual has been involved,

(i) the name of the individual where it appears with other personal information relating to the individual or where the disclosure of the name itself would reveal information about the individual,

but, for the purposes of sections 7, 8 and 26 and section 19 of the Access to Information Act, does not include

(j) information about an individual who is or was an officer or employee of a government institution that relates to the position or functions of the individual including,

(i) the fact that the individual is or was an officer or employee of the government institution,

(ii) the title, business address and telephone number of the individual,

(iii) the classification, salary range and responsibilities of the position held by the individual,

(iv) the name of the individual on a document prepared by the individual in the course of employment, and

(v) the personal opinions or views of the individual given in the course of employment,

V.                QUESTIONS EN LITIGE

[21]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

A.           Quelle est la norme de contrôle appropriée?

B.            Les renseignements expurgés sont‑ils des « renseignements personnels » qui sont soustraits à la communication par application du paragraphe 19(1) de la Loi?

C.            Les renseignements peuvent-ils être divulgués en vertu du paragraphe 19(2) de la Loi?

VI.             PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

A.                Quelle est la norme de contrôle appropriée?

Prétentions et moyens du demandeur

[22]           Le demandeur affirme que le contrôle judiciaire prévu à l’article 42 de la Loi est un examen de novo de la décision du défendeur de refuser l’accès aux dossiers ou d’expurger certains extraits de ces documents et que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte (3430901 Canada Inc et autres c Canada (ministre de l’Industrie) (2001), 282 N.R. 284, aux paragraphes 38 et 39). Il soutient qu’il incombe au défendeur de justifier le refus de divulguer les renseignements aux termes de l’article 48 de la Loi.

Prétentions et moyens du défendeur

[23]           Le défendeur affirme que la décision de refuser de divulguer les renseignements en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, se fondant sur l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [2003] 1 RCS 66, au paragraphe 19. Il affirme également que, dès lors qu’il est jugé qu’il était autorisé à refuser de divulguer les renseignements, le pouvoir de révision de novo de la Cour est épuisé (Dagg c Canada (ministre des Finances), [1997] 2 RCS 403, au paragraphe 107).

[24]           Le défendeur affirme que la décision discrétionnaire portant sur la question de savoir si des renseignements personnels peuvent ou non être divulgués en vertu du paragraphe 19(2) est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, invoquant à ce propos l’arrêt Dagg, précité, aux paragraphes 106 à 111. Lorsque le défendeur démontre que le refus de divulguer est justifié, il incombe alors au demandeur de démontrer que l’une des exceptions prévues par le paragraphe 19(2) s’applique, selon la décision Mackenzie c Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1994), 88 FTR 52, au paragraphe 13.

Analyse

[25]           À mon avis, les parties ont raison de dire que c’est la norme de contrôle de la décision correcte qui s’applique à la décision du défendeur suivant laquelle les renseignements en litige sont des renseignements personnels au sens du paragraphe 19(1) de la Loi (Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), précité, au paragraphe 19)).

[26]           La décision du défendeur de divulguer ou non des renseignements personnels en vertu du paragraphe 19(2) est une décision discrétionnaire assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Dagg, précité, aux paragraphes 106 à 111).

B.                 Les renseignements expurgés sont‑ils des « renseignements personnels » qui n’ont pas à être divulgués aux termes du paragraphe 19(1) de la Loi?

Prétentions et moyens du demandeur

[27]           Le demandeur affirme que la Cour d’appel fédérale a élaboré une méthode fondée sur des principes pour déterminer si des renseignements constituent des renseignements personnels au sens de la Loi sur la protection des renseignements personnels (Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Bureau d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports), [2007] 1 RCF 203 (CAF), aux paragraphes 35 à 64). Le demandeur affirme que cette méthode exige que les renseignements personnels soient interprétés comme des renseignements relevant du droit à la vie privée de l’individu et que cette notion intègre celles d’intimité, d’identité, de dignité et d’intégrité de l’individu. Les renseignements doivent « concerner » un individu identifiable.

[28]           Le demandeur affirme que les renseignements de nature professionnelle et non personnelle ne constituent pas des renseignements personnels au sens de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, se fondant à cet égard sur l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Bureau d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports), précité, aux paragraphes 52, 53 et 54.

[29]           Appliquant la méthode suivie par la Cour d’appel fédérale, le demandeur affirme que les noms, les titres et les coordonnées professionnelles des employés de personnes morales qui ont été expurgés par le défendeur ne constituent pas des renseignements personnels, mais bien des renseignements d’ordre professionnel. Ils ne révèlent pas des renseignements relevant de l’intimité, de l’identité, de la dignité ou de l’intégrité d’une personne.

[30]           Le demandeur cite la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LC 2000, ch 5 (la LPRPDE) et affirme que cette loi exclut expressément à la définition de l’expression « renseignements personnels », à son article 2, le nom, le titre, l’adresse et le numéro de téléphone du lieu de travail des employés d’une organisation. Compte tenu des objectifs communs de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la LPRPDE, le demandeur affirme que les deux lois devraient être interprétées de façon cohérente.

Prétentions et moyens du défendeur

[31]           Le défendeur fait observer que la Cour suprême du Canada a signalé que la formulation de la définition de l’expression « renseignements personnels » que l’on trouve dans la Loi sur la protection des renseignements personnels est délibérément large (Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, précité, aux paragraphes 23 et 24). Tous les renseignements concernant un individu sont des renseignements personnels à moins de tomber sous le coup d’une des exceptions prévues dans la définition.

[32]           Le défendeur affirme qu’il n’est pas nécessaire que les renseignements satisfassent à une autre condition pour être considérés comme des renseignements personnels. Les renseignements de base se rapportant au travail constituent des renseignements personnels dès lors qu’ils concernent des individus identifiables (Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), précité, au paragraphe 24, et Dagg, précité, aux paragraphes 1, 70 et 83). Les renseignements en litige dans la présente affaire répondent carrément à la définition générale que l’on trouve dans la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[33]           Le défendeur soutient que les renseignements expurgés par le Ministère tombent également sous le coup d’au moins deux exemples de renseignements personnels prévus à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, c’est‑à‑dire les alinéas 3b) et 3j).

[34]           L’alinéa 3b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels assimile à des renseignements personnels les renseignements concernant un individu identifiable relatifs à ses antécédents professionnels. Le défendeur fait valoir que les renseignements concernant les antécédents professionnels sont liés à l’autonomie, à la dignité et aux droits à la vie privée des individus (Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 401 c Alberta (Information and Privacy Commissioner), (2013) 3 RCS 733, (2013), 451 NR 253 (CSC), aux paragraphes 19 et 24).

[35]           Il n’y a aucune raison d’établir une distinction entre les renseignements personnels et les renseignements concernant une personne agissant à titre professionnel. La Cour d’appel fédérale a expressément écarté l’argument selon lequel le nom des employés du secteur privé constitue un renseignement concernant la compagnie et non un renseignement personnel (Janssen-Ortho Inc c Canada (Ministre de la Santé) (2007), 367 N.R. 134 (CAF)).

[36]           Le défendeur affirme que l’alinéa 3j) de la Loi sur la protection des renseignements personnels exclut de la définition des renseignements personnels les renseignements relatifs au travail concernant les fonctionnaires fédéraux. Il n’aurait pas été nécessaire d’exclure expressément ces renseignements de cette définition s’ils n’avaient pas été des renseignements personnels. Si le législateur avait eu l’intention que cette exclusion s’applique aux employés du secteur privé, il l’aurait dit expressément comme il l’a fait pour les fonctionnaires fédéraux.

[37]           De plus, le défendeur affirme que l’alinéa 3i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels englobe dans la définition des renseignements personnels ceux dont la divulgation du nom de l’individu révélerait d’autres renseignements au sujet de ce dernier. Il n’est pas nécessaire que les renseignements qui accompagnent la divulgation soient eux-mêmes personnels (Dagg, précité, aux paragraphes 1 et 85).

[38]           Le défendeur affirme que la divulgation de noms dans la présente affaire révélerait au sujet d’individus d’autres renseignements qui ne sont pas du domaine public (Janssen-Ortho, précité). Le nom d’une personne est un renseignement personnel qui est soustrait à la communication en vertu du paragraphe 19(1) de la Loi.

[39]           Enfin, le défendeur affirme que le demandeur a tort d’invoquer la définition de l’expression « renseignements personnels » de la LPRPDE. La LPRPDE prévoit expressément qu’elle ne s’applique pas aux institutions gouvernementales auxquelles la Loi sur la protection des renseignements personnels s’applique, y compris le Ministère.

Analyse

[40]           La décision du défendeur suivant laquelle les renseignements en litige constituent des renseignements personnels au sens du paragraphe 19(1) de la Loi est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte. Dans un tel cas, rien n’oblige le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire à faire preuve de retenue à l’égard de la décision; il entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle il décide s’il est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, il y substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 50).

[41]           À mon avis, le défendeur a estimé à juste titre que les renseignements en litige dans la présente affaire constituaient des renseignements personnels au sens de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La Cour suprême du Canada a jugé qu’il convient d’interpréter de façon large la définition de l’expression « renseignements personnels » (Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, précité).

[42]           Les renseignements expurgés répondent carrément à la définition des renseignements personnels à l’article 3 en ce sens qu’ils constituent des renseignements qui concernent des individus identifiables et qui sont consignés dans une formule. Il est difficile d’imaginer des renseignements que l’on pourrait qualifier plus justement de renseignements « concernant » une personne que leur nom, leur numéro de téléphone et leur titre professionnel.

[43]           Les renseignements professionnels ou relatifs au travail concernant un individu peuvent être qualifiés de renseignements personnels (Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, précité, et Janssen-Ortho, précité). La jurisprudence de la Cour suprême du Canada n’exige pas que les renseignements en révèlent plus sur une personne pour pouvoir être considérés comme des renseignements personnels.

[44]           Quant aux décisions citées par le demandeur à l’appui de son argument selon lequel le nom et les titres des employés du secteur privé ne constituent pas des renseignements personnels, y compris la décision Geophysical Service Inc c Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers (2003), 26 CPR (4th) 190, je préfère la démarche suivie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dagg, précité, et par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Janssen-Ortho, précité.

[45]           Dans l’arrêt Janssen-Ortho, précité, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge des requêtes suivant laquelle les noms des employés du secteur privé constituaient des renseignements personnels et ne devaient pas être divulgués (paragraphes 9 à 11 de cette décision).

[46]           De même, dans l’arrêt Dagg, précité, la Cour suprême du Canada a jugé que les noms des employés figurant dans un registre d’inscription constituaient des renseignements personnels. Dans cette affaire, la Cour a ordonné la divulgation des renseignements uniquement parce qu’elle avait conclu qu’ils relevaient de l’exception relative aux fonctionnaires prévue au sous-alinéa 3j)(iii) de la Loi sur la protection des renseignements personnels (paragraphes 1 et 4).

[47]           Dans le cas qui nous occupe, il n’y a pas d’exception semblable qui s’applique, étant donné que les renseignements concernent des employés du secteur privé. Les renseignements constituent donc des renseignements personnels au sens de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[48]           Quant aux arguments invoqués par le demandeur au sujet des liens qui existent entre la LPRPDE et la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Cour suprême du Canada a écarté l’argument suivant lequel la LPRPDE et la Loi sur la protection des renseignements personnels devraient être interprétées l’une par rapport à l’autre (Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c Blood Tribe Department of Health, [2008] 2 RCS 574). La méthode qu’il convient d’appliquer consiste à interpréter chaque loi en fonction du libellé de ses propres dispositions.

C.                 Les renseignements peuvent‑ils être divulgués en vertu du paragraphe 19(2) de la Loi?

Prétentions et moyens du demandeur

[49]           Le demandeur affirme que, si la Cour devait conclure que les renseignements expurgés constituent des renseignements personnels, elle devrait néanmoins les divulguer en vertu du paragraphe 19(2) de la Loi. Le demandeur se fonde à cet égard sur l’alinéa 19(2)b), qui dispose que le défendeur peut divulguer des renseignements personnels s’ils relèvent du domaine public.

[50]           Certains des renseignements dont le Ministère a refusé la divulgation sont accessibles au public sur Internet. Les conditions permettant la divulgation de renseignements en vertu de l’alinéa 19(2)b) ont été respectées. Le demandeur affirme que, dès lors que la Cour détermine que les renseignements font partie du domaine public, le défendeur n’a aucun pouvoir discrétionnaire résiduel de refuser leur divulgation et que la faculté accordée au ministre par l’emploi du mot « peut » au paragraphe 19(2) devient une obligation (Information Commissioner (Can.) c Canada (Minister of Public Works and Government Services) (1996), 121 F.T.R. 1, aux paragraphes 35 à 44).

Prétentions et moyens du défendeur

[51]           Le défendeur affirme qu’il a tenu compte de facteurs pertinents au moment d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser de divulguer des renseignements non accessibles au public. Le demandeur a reconnu au cours de son enquête que le Ministère avait déployé des efforts raisonnables pour obtenir le consentement de tiers pour divulguer les renseignements et pour vérifier s’ils faisaient partie ou non du domaine public. Rien ne permet de penser que le défendeur ou le Ministère pouvaient obtenir ces renseignements lorsqu’ils ont répondu à la première demande d’accès aux renseignements, et le fait que les documents se trouvent maintenant entre les mains du demandeur ne change rien à la question de savoir si le demandeur a exercé de façon raisonnable le pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 19(2) lui confère lorsqu’il a répondu au départ à la demande d’accès.

Analyse

[52]           À mon avis, la décision du ministre de refuser de divulguer des renseignements personnels en vertu du paragraphe 19(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels est une décision discrétionnaire assujettie à la norme de la décision raisonnable. La norme de la décision raisonnable exige que la décision soit justifiable, transparente et intelligible et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). 

[53]           Je reconnais que certains des renseignements expurgés sont accessibles au public. La question à laquelle il faut répondre est celle de savoir s’ils devraient être divulgués en vertu de l’alinéa 19(2)b) de la Loi.

[54]           Le demandeur a versé au dossier confidentiel des éléments de preuve suivant lesquels des renseignements se rapportant à [expurgé] sont accessibles au public sur Internet.

[55]           Le défendeur fait observer à juste titre que la divulgation est une mesure discrétionnaire en vertu du paragraphe 19(2) et qu’il n’est pas nécessaire de vérifier chaque source possible avant de décider si les renseignements personnels sont accessibles au public. Il soutient qu’au moment où la divulgation des renseignements en question a été refusée, les recherches effectuées sur Internet en réponse à la demande d’accès n’avaient pas permis de trouver ces renseignements. 

[56]           À mon avis, en demandant que les renseignements en question lui soient communiqués en vertu de l’alinéa 19(2)b), le demandeur voudrait que ce pouvoir discrétionnaire soit exercé par la Cour. Je ne suis pas disposée à aller aussi loin. 

[57]           Dans la mesure où un pouvoir discrétionnaire devait être exercé, c’est au défendeur qu’il revenait de l’exercer en vertu de l’alinéa 19(2)b). Selon les renseignements dont celui‑ci disposait avant l’introduction de la présente demande, les renseignements mentionnés au paragraphe 54 n’étaient pas accessibles au public.

[58]           À mon avis, une des conditions préalables à une divulgation en vertu de l’alinéa 19(2)b) est que les renseignements soient accessibles au public. Or, cette condition n’existait pas lorsque le défendeur a répondu à la demande d’accès. Je ne vois donc pas comment le défendeur aurait pu disposer d’un pouvoir discrétionnaire en l’espèce. La norme de la décision raisonnable ne s’applique pas.

[59]           À titre subsidiaire, si les renseignements n’étaient pas accessibles au public, le refus du défendeur de divulguer les documents était raisonnable.

[60]           Il semble que les présumés renseignements accessibles au public aient été obtenus par suite de recherches sur Internet effectuées après l’introduction de la présente demande.

[61]           D’un point de vue pratique, les renseignements qui font désormais partie du domaine public pourraient être divulgués au gré du défendeur. Il s’agit d’une question à régler entre les parties et non par la Cour. 

[62]           En conclusion, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. 

[63]           À l’audience, l’avocat du défendeur a expliqué qu’il ne solliciterait pas de dépens. Par conséquent, en vertu du pouvoir discrétionnaire qui m’est confié par les Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, je n’adjuge aucuns dépens.

« E. Heneghan »

Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 3 octobre 2014

Traduction certifiée conforme

S. Tasset

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1257-13

 

INTITULÉ :

COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA c MINISTRE DES RESSOURCES NATURELLES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 MARS 2014

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 OCTOBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Patricia Boyd et Jill Copeland

 

POUR LE DEMANDEUR

Anne McConville

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patricia Boyd

Commissariat à l’information du Canada

Ottawa (Ontario)

Me Jill Copeland

Sack Goldblatt Mitchell LLP

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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