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Date : 20140923

Dossier : IMM-6595-13

Référence : 2014 CF 910

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2014

En présence de madame la juge Gleason

ENTRE :

RAOUL ANDRE BURTON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Raoul Burton, est un citoyen de la Jamaïque qui était venu au Canada à titre de résident permanent lorsqu’il avait 10 ans. Il s’était établi à Toronto avec sa famille et, alors qu’il était adolescent, il a joint le Malvern Crew, un gang de rue criminel.

[2]               En 2004, M. Burton a été arrêté et interrogé par la police en lien avec le meurtre d’un membre d’un gang rival. Il a accepté de devenir informateur et il a plaidé coupable à une accusation de participation aux activités d’une organisation criminelle. Il a par la suite été assigné à témoigner pour le compte de la Couronne dans le procès hautement médiatisé de Warren Abbey, qui était membre du même gang que lui et qui avait été accusé du meurtre d’un membre d’un gang rival. M. Abbey a été condamné en 2011 après son procès, au cours duquel M. Burton a livré un récit à titre de témoin oculaire du meurtre. La participation de M. Burton au procès a été rapportée par les médias, en contravention d’une interdiction de publication ordonnée par la cour.

[3]               En raison du fait que son témoignage a été hautement publicisé, M. Burton prétend qu’il serait exposé à un risque de subir un préjudice s’il devait retourner en Jamaïque, en raison de la prédominance des gangs dans ce pays ainsi que de la violence qui y règne et de la volonté des gangs d’éliminer les informateurs. Il est surtout préoccupé du fait que plusieurs autres membres du Malvern Crew, lesquels connaissent son rôle dans la déclaration de culpabilité de M. Abbey, ont été expulsés vers la Jamaïque à partir du Canada.

[4]               M. Burton a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] en 2011, après qu’il eut perdu son statut de résident permanent en raison de sa déclaration de culpabilité. Cette demande d’ERAR a été rejetée le 29 juin 2012. L’agent d’ERAR, en rejetant la demande, a [traduction] « reconnu que M. Burton pouvait être exposé à un risque de subir un préjudice aux mains des membres du gang en Jamaïque », mais il a conclu que M. Burton n’avait pas réfuté la présomption de protection adéquate de l’État dans ce pays.

[5]               Dans la décision Burton c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 549, [2013] ACF no 583 [Burton], ma collègue la juge Anne Mactavish a annulé la décision d’ERAR rendue le 29 juin 2012. Elle a conclu que le premier agent d’ERAR avait reconnu que M. Burton serait exposé à un risque aux mains des gangs en Jamaïque en raison du fait qu’il avait été informateur pour la police. À la lumière de cette conclusion, elle a statué que l’agent d’ERAR avait agi de manière déraisonnable en examinant la question de la protection de l’État de manière générale, plutôt que de mettre l’accent sur la capacité des autorités jamaïcaines à protéger les personnes qui donnent des renseignements à la police à propos des crimes ayant un lien avec les gangs. À cet égard, la juge Mactavish a conclu que « des omissions [soulevaient] de réelles préoccupations compte tenu des renseignements sur la situation au pays », renseignements qui contenaient plusieurs indices portant que la police jamaïcaine était incapable de protéger les anciens membres de gangs qui ont passé du côté des informateurs, ou qu’elle était possiblement non disposée à le faire.

[6]               Plutôt que de simplement annuler la décision d’ERAR datée du 29 juin 2012, comme c’est souvent le cas, la juge Mactavish a donné des directives précises quant à la manière dont l’ERAR du demandeur devrait être réexaminée. Sa décision dans Burton était libellée ainsi : « La Cour statue [que] la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvel examen, conformément aux présents motifs ». Une lecture de ses motifs révèle que la juge Mactavish prévoyait que le caractère adéquat de la protection de l’État en Jamaïque serait la question qui serait traitée lors du nouvel examen, compte tenu du profil de M. Burton, soit celui d’un ancien membre de gang qui est devenu informateur et qui a joué un rôle crucial dans la déclaration de culpabilité de M. Abbey pour meurtre.

[7]               Conformément à la décision de la juge Mactavish, la demande d’ERAR de M. Burton a été renvoyée à un autre agent d’ERAR pour nouvelle décision. Cependant, dans sa décision du 29 août 2013, le deuxième agent d’ERAR n’a pas effectué l’analyse que la juge Mactavish anticipait et il a plutôt conclu que M. Burton ne serait pas exposé à un risque aux mains des membres de gang s’il devait être renvoyé en Jamaïque. Dans sa décision, le deuxième agent d’ERAR n’a pas discuté de la première décision d’ERAR ou de la décision rendue par la juge Mactavish dans Burton.

[8]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire, M. Burton sollicite l’annulation du deuxième ERAR défavorable, en prétendant que la décision constitue un abus de procédure ou qu’elle est déraisonnable, parce qu’elle fait totalement abstraction de la décision rendue par la juge Mactavish dans Burton. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions en litige suivantes :

1.    La doctrine de l’abus de procédure peut-elle constituer un fondement pour annuler la deuxième décision d’ERAR?

2.    La deuxième décision d’ERAR est-elle déraisonnable?

3.    Quelle est la réparation appropriée?

J’examinerai successivement ci-dessous chacune de ces trois questions.

I.                   La doctrine de l’abus de procédure peut-elle constituer un fondement pour annuler la deuxième décision d’ERAR?

[9]               L’argument principal de M. Burton est que la décision rendue par le deuxième agent d’ERAR constitue un abus de procédure et qu’elle devrait être annulée pour ce motif. Il soutient à cet égard que la doctrine de l’abus de procédure, telle que formulée par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Toronto (Ville) c SCFP, section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 RCS 77 [Ville de Toronto], Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 RCS 422 [Figliola] et Penner c Niagara (Commission régionale de services policiers), 2013 CSC 19, [2013] 2 RCS 125 [Penner], est une doctrine souple qui devrait être appliquée en l’espèce. Dans ses affaires, la Cour suprême du Canada a énoncé que la doctrine de l’abus de procédure peut être appliquée de manière à empêcher une partie de plaider à nouveau une question devant un tribunal administratif lorsque la question a été tranchée de manière définitive dans une autre instance.

[10]           Tout en concédant à juste titre que l’application de la doctrine à la présente affaire constituerait une extension de la doctrine, l’avocat de M. Burton prétend que les préoccupations de politique qui avaient été mentionnées comme motif à l’appui de l’application de la doctrine dans les arrêts Ville de Toronto, Figliola et Penner sont toutes aussi présentes en l’espèce. Il affirme que la nécessité d’empêcher la répétition des instances et la remise en litige des questions ayant déjà été tranchées (ainsi que l’incidence défavorable que les décisions contradictoires entraînent sur l’administration de la justice) est pertinente en l’espèce, parce que la décision de la juge Mactavish dans Burton gardait essentiellement intacte la décision du premier agent d’ERAR quant au risque et renvoyait uniquement pour nouvel examen la question de la protection de l’État. M. Burton fait donc valoir que le nouvel examen conduit par le deuxième agent d’ERAR quant à la question du risque est assimilable au type de remise en instance qui avait été déclaré être un abus de procédure. Il fait remarquer que les deux agents d’ERAR ont tiré des conclusions opposées quant à la question du risque à l’égard de faits identiques et il prétend que [traduction] « ce type de processus décisionnel bipolaire est exactement le type de résultat que la Cour suprême visait à éviter en élargissant le rôle de l’abus de procédure » (paragraphe 48 du mémoire des arguments supplémentaires du demandeur). Il affirme donc que la deuxième décision d’ERAR défavorable devrait être annulée, car celle‑ci constitue un abus de procédure.

[11]           D’un autre côté, le défendeur s’oppose à ce que la doctrine puisse s’appliquer à la deuxième décision d’ERAR pour des raisons de principe et il prétend subsidiairement que, même s’il est possible d’appliquer la doctrine de l’abus de procédure à une affaire comme la présente, il n’y a rien d’abusif au fait que le deuxième agent d’ERAR soit parvenu à un résultat différent en l’espèce.

[12]           À cet égard, le défendeur souligne la récente décision rendue par ma collègue, la juge Cecily Strickland, dans Muhammad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 448, [2014] ACF no 477 [Muhammad] à l’appui de la thèse selon laquelle il était loisible au deuxième agent chargé de l’ERAR de parvenir à un résultat différent. Dans cette affaire, un délégué du Ministre, qui exerçait son pouvoir au titre de l’alinéa 113d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] et l’article 172 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], a tiré une conclusion opposée à celle qui avait été tirée précédemment par l’agent d’ERAR dans le dossier de M. Muhammad en ce qui a trait au risque. Le défendeur prétend que, à l’instar de la situation dans la décision Muhammad, le régime législatif envisage la possibilité qu’un deuxième agent d’ERAR puisse parvenir à une décision différente relativement au risque, surtout à la lumière de changements à la situation factuelle, lesquels pourraient bien comprendre le temps écoulé à titre de facteur important mitigeant le risque établi antérieurement.

[13]           Le défendeur affirme aussi que l’un des éléments essentiels pour que la doctrine de l’abus de procédure s’applique, soit la présence d’une décision définitive antérieure, n’existe pas en l’espèce, puisque la juge Mactavish a annulé la première décision d’ERAR. Le défendeur prétend que la décision de la juge Mactavish a pour effet d’annuler entièrement la première décision rendue au stade de l’ERAR et que, par conséquent, aucune décision n’a été remise en instance devant le deuxième agent d’ERAR.

[14]           Je conviens avec le défendeur que, en principe, la doctrine de l’abus de procédure ne s’applique pas à la présente affaire, en raison autant de la nature de l’examen effectué par les agents d’ERAR que par l’effet du jugement de la juge Mactavish, par lequel la première décision d’ERAR était annulée.

[15]           Je me penche tout d’abord sur la nature de l’examen au stade de l’ERAR. Le fait qu’un agent d’ERAR exerce un pouvoir décisionnel qui lui est conféré par la loi ne suffit pas pour rendre la doctrine de l’abus de procédure inapplicable, puisqu’il a été statué que la doctrine s’applique aux tribunaux administratifs et à leurs décisions.

[16]           Dans le premier des précédents invoqués par M. Burton, l’affaire Ville de Toronto, la juge Arbour, s’exprimant pour les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada, a fait remarquer que la doctrine de l’abus de procédure fait intervenir le pouvoir inhérent du tribunal d’empêcher que des procédures soient utilisées d’une manière qui aurait pour effet de discréditer l’administration de la justice. Dans cette affaire, un arbitre du travail a conclu que, malgré que la déclaration de culpabilité pour agression sexuelle était une preuve prima facie que l’auteur du grief avait agressé sexuellement un enfant, la présomption créée par la déclaration de culpabilité avait été réfutée par l’auteur du grief dans son témoignage. L’arbitre a donc conclu que l’agression n’avait pas eu lieu et, par conséquent, que l’auteur du grief avait été congédié injustement. La Cour suprême du Canada a annulé la décision de l’arbitre et a statué que de permettre à l’auteur du grief de remettre en litige la question de savoir s’il avait commis le crime à l’égard duquel il avait été déclaré coupable constituait un abus de procédure, puisque la culpabilité de l’auteur du grief avait été déterminée de manière définitive par une cour ayant compétence pour rendre une telle décision.

[17]           Dans l’arrêt Figliola, rendu subséquemment, la Cour suprême du Canada a fait remarquer, dans une remarque incidente par ailleurs non contraignante, que la doctrine de l’abus de procédure pourrait être invoquée par une cour de justice pour annuler la décision d’un tribunal – en l’espèce, le British Columbia Human Rights Tribunal – si cette décision permettait à une partie de remettre en litige une question ayant antérieurement fait l’objet d’une décision par un autre tribunal administratif – en l’espèce, le British Columbia Workers’ Compensation Board.

[18]           Dans la même veine, la doctrine de forclusion découlant d’une question déjà tranchée (qui est similaire à un abus de procédure) est applicable afin d’empêcher la remise en litige de décisions définitives rendues par des décideurs administratifs (voir, par exemple, Danyluk c Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 RCS 460, aux paragraphes 21 et 22; Nouveau-Brunswick (Directeur exécutif de l’évaluation) c Ganong Bros. Ltd, 2004 NBCA 46, [2004] NBJ no 219, au paragraphe 48. Il s’ensuit que la doctrine de l’abus de procédure peut être appliquée aux décideurs administratifs et à leurs décisions.

[19]           Lorsque la doctrine est invoquée, celle‑ci permet d’empêcher une partie de soulever et de plaider de nouveau une question qui avait antérieurement fait l’objet d’une décision définitive devant une autre instance.

[20]           Ce type de réargumentation n’a pas eu lieu dans la présente affaire, puisque le défendeur n’a pas tenté de remettre en litige la question du risque devant le deuxième agent d’ERAR, parce que le processus devant l’agent d’ERAR est de nature inquisitoire. Donc, c’est le deuxième agent d’ERAR lui‑même qui a décidé de réexaminer la question du risque.

[21]           M. Burton n’a pas été capable de souligner quelque cas que ce soit dans lequel la doctrine de l’abus de procédure a été appliquée de manière à contraindre un décideur administratif dans une instance non contradictoire à adopter la décision rendue par le décideur antérieur. Bien que cela ne soit pas nécessairement fatal à son argument, les dispositions législatives pertinentes en l’espèce prévoient effectivement le réexamen du risque par un agent d’ERAR dans le deuxième ERAR ou dans un ERAR subséquent selon les circonstances, et par conséquent, je suis d’avis que les dispositions empêchent l’application de la doctrine.

[22]           À cet égard, par application des articles 112 à 115 de la Loi et des articles 160 à 168 du Règlement, les agents d’ERAR ont pour fonction d’apprécier les risques qui n’avaient pas fait l’objet d’une appréciation antérieurement. La jurisprudence reconnaît que cela nécessite que les agents d’ERAR se penchent sur les faits nouveaux ou sur la nouvelle preuve qui ne pouvait faire l’objet d’un examen lors de l’appréciation du risque précédente (voir, à titre d’exemple, l’arrêt Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, 162 ACWS (3d) 1013, au paragraphe 13). Cette exigence a été partiellement consacrée à l’article 113 de la Loi.

[23]           Conformément à l’alinéa 112(2)c) de la Loi, les personnes qui étaient restées au Canada après un premier ERAR pouvaient maintenant présenter une demande d’ERAR subséquente si plus de 12 mois, ou, dans le cas d’un ressortissant d’un pays qui fait l’objet de la désignation visée au paragraphe 109(1), plus de 36 mois, se sont écoulés depuis l’examen précédent. (Avant le 28 juin 2012, un tel délai visant à prévenir les demandes d’ERAR subséquentes n’existait pas. Il s’ensuit que, lorsqu’une décision a été rendue quant au cas de M. Burton, la loi lui permettait de demander qu’un deuxième ERAR ait lieu).

[24]           La Loi envisage donc clairement la possibilité que plus d’un examen du risque soit effectué et elle exige des agents d’ERAR qu’ils apprécient les nouveaux risques qui ont pris naissance depuis l’examen antérieur effectué par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés  ou par l’agent d’ERAR précédent.

[25]           Selon moi, ces dispositions font en sorte que la doctrine de l’abus de procédure ne peut être appliquée à l’appréciation du risque effectuée par les agents d’ERAR, parce que la doctrine s’applique de manière à empêcher qu’une question soit soulevée par une partie lorsque cette question avait été tranchée antérieurement. Cependant, la question du risque auquel est exposé un demandeur d’asile n’est pas tranchée de manière définitive par la décision de la SPR ou par celle au stade de l’ERAR, parce que la Loi et le Règlement prévoient expressément que le risque sera apprécié plus d’une fois dans l’éventualité où un deuxième ERAR a lieu, ou lorsque l’ERAR est entrepris à la suite d’une appréciation du risque par la SPR. En outre, la jurisprudence enseigne que l’analyse du risque qui doit être effectuée est toujours prospective et qu’elle porte sur la question de savoir si, au moment où l’examen est effectué, le demandeur est exposé à un risque s’il devait être renvoyé dans son pays d’origine ultérieurement (voir, à titre d’exemples, Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 99, 155 ACWS (3d) 937, au paragraphe 15; Fernandopulle c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 91, 253 DLR (4th) 425, au paragraphe 23; Yusuf c Canada (M.E.I.) (1995), 179 NR 11, [1995] ACF no 35 (CAF), au paragraphe 2; Pour-Shariati c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 1 CF 767, [1994] ACF no 1928, au paragraphe 17). Il s’ensuit que l’appréciation du risque peut être différente au fil du temps, selon l’évolution de la situation ou la présence de nouveaux éléments de preuve.

[26]           Lorsque le rôle d’un agent d’ERAR est bien interprété, il est évident que la doctrine de l’abus de procédure ne peut être appliquée de manière à ce que les appréciations du risque antérieur lient l’agent d’ERAR, puisque ces appréciations ne sont pas définitives.

[27]           Essentiellement. M. Burton ne vise pas à ce que le risque auquel il est exposé ne soit pas réexaminé au cours du deuxième ERAR, mais il prétend plutôt que le deuxième agent d’ERAR aurait dû parvenir au même résultat, puisque les faits sont identiques à ceux dont était saisi le premier agent d’ERAR. Toutefois, la doctrine de l’abus de procédure s’applique de manière à protéger l’intégrité du processus décisionnel en empêchant la remise en instance, et non en garantissant une issue en particulier lors de la remise en instance. M. Burton ne peut donc pas invoquer la doctrine pour obtenir le résultat qu’il recherche.

[28]           En résumé, puisque la Loi et le Règlement donnent expressément aux agents d’ERAR le mandat de réexaminer la question de savoir si un demandeur est exposé à un risque prospectif, eu égard des faits qui n’avaient pas antérieurement fait l’objet d’un examen, la doctrine de l’abus de procédure n’empêche pas un agent d’ERAR de réexaminer la question du risque. Les préoccupations de M. Burton quant au caractère approprié de la deuxième décision quant aux risques sera donc traitée de manière plus adéquate lorsque la Cour se penchera sur la question de savoir si la deuxième décision au stade de l’ERAR devrait être annulée en raison de son caractère déraisonnable. Il s’ensuit que la nature de l’examen effectué au stade de l’ERAR rend la doctrine de l’abus de procédure inapplicable en l’espèce.

[29]           Dans un deuxième temps, la nature de la décision de la juge Mactavish dans Burton rend aussi la doctrine de l’abus de procédure inapplicable. À cet égard, je souscris à la thèse du défendeur selon laquelle l’effet d’un jugement annulant une décision est de prononcer sa nullité à tous égards. Un tel jugement est de nature similaire à celle d’un bref de certiorari, lequel rend une décision nulle ab initio (voir L. Waldman, Immigration Law and Practice, 2ième éd., feuilles mobiles (Markham, ON: LexisNexis, 2005) at 11.321).

[30]           La Cour a souvent fait des remarques au sujet de l’effet des jugements annulant des décisions administratives et a confirmé que ces jugements ont pour effet de frapper de nullité la décision en question, et ce, à tous égards. À titre d’exemple, dans la décision Hernandez Rodriguez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1331, mon collègue, le juge Luc Martineau, a précisé, au paragraphe 4, qu’une décision annulée ne peut donner lieu à la règle du stare decisis ou à celle de l’autorité de la chose jugée, puisqu’elle a été annulée à tous égards. Dans la même veine, j’ai mentionné, au paragraphe 3 de la décision Zacarias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1155, [2012] ACF no 1252, que, dans le contexte d’une nouvelle décision à l’égard d’une demande d’asile, il était loisible à la SPR de tirer une conclusion différente de celle du premier commissaire quant à la question de la crédibilité, parce que la première décision avait été annulée à tous égards par l’ordonnance rendue par la Cour. (Voir, pour des conclusions analogues, Miah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 2005, [2007] ACF no 1439, au paragraphe 8; Lee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CFPI 743, [2003] ACF no 977, au paragraphe 11).

[31]           Il s’ensuit que la décision de la juge Mactavish dans Burton a eu pour effet d’annuler entièrement la première décision d’ERAR. Par conséquent, cette décision n’existe plus et il s’ensuit qu’elle ne peut pas appuyer l’application de la doctrine d’abus de procédure.

[32]           Pour ces motifs, la deuxième décision d’ERAR ne peut donc être annulée par l’application de la doctrine de l’abus de procédure.

II.                La deuxième décision d’ERAR est-elle déraisonnable?

[33]           Comme il a été mentionné, M. Burton prétend subsidiairement que la deuxième décision d’ERAR défavorable devrait être annulée en raison de son caractère déraisonnable. Je souscris à sa prétention et je crois que la décision ne peut être confirmée, du fait que le raisonnement suivi par le deuxième agent d’ERAR ne résiste pas à l’examen et parce que le résultat auquel il était parvenu est déraisonnable.

[34]           La norme de contrôle de la raisonnabilité, qui s’applique au contrôle de l’appréciation des risques effectuée par les agents d’ERAR, exige de la Cour qu’elle examine le raisonnement suivi ainsi que le résultat qui a été obtenu. Dans le passage souvent cité du paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], les juges Bastarache et LeBel ont été sans équivoque quant au fait que ces deux questions font partie du contrôle selon la norme de la raisonnabilité. La nécessité pour une cour de révision d’examiner autant le raisonnement suivi que le résultat a été confirmée dans de nombreux arrêts subséquents (voir, à titre d’exemples, Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 RCS 559, aux paragraphes 51 et 52; N.L.N.U. c Terre‑Neuve-et-Labrador (Conseil du trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses], aux paragraphes 13 à 16).

[35]           La jurisprudence établit aussi fermement que, dans son appréciation de la raisonnabilité d’une décision rendue par un décideur administratif, la cour de révision doit faire preuve de retenue et qu’elle ne peut pas intervenir pour le simple fait qu’elle ne souscrit pas à la décision. La décision en question doit plutôt être confirmée, au titre de la norme de la raisonnabilité, si le raisonnement du tribunal est justifié, transparent et intelligible, et si le résultat auquel il est parvenu appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit applicable (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[36]           Cette approche déférente nécessite, comme l’a fait remarquer la juge Abella aux paragraphes 11 et 12 de l’arrêt Newfoundland Nurses, que la cour de révision accorde une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision. Il s’ensuit qu’il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits, qu’ils renvoient à l’ensemble de la preuve ou qu’ils tiennent compte de tous les arguments qui ont été formulés devant le tribunal (voir, à titre d’exemples, les arrêts Construction Labour Relations c Driver Iron Inc, 2012 CSC 65, [2012] 3 RCS 405, au paragraphe 3, et ACEP c Bibliothèque du Parlement, 2013 CAF 237, [2013] ACF no 1107, au paragraphe 33), et la décision Herrera Andrade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1490, [2012] ACF no 1594, au paragraphe 12).

[37]           Cela dit, l’invitation à tenir compte des motifs qui auraient pu être donnés par un tribunal n’est pas une carte blanche donnée à la cour de révision pour qu’elle réécrive les motifs comportant des lacunes, comme l’a fait remarquer le juge Stratas, s’exprimant pour le compte de la Cour d’appel fédérale, dans le récent arrêt Lemus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 114, [2014] ACF no 439 [Lemus]. Il y a statué que, lorsqu’un tribunal (et surtout dans un contexte d’immigration) omet de traiter d’une question dont il avait l’obligation expresse de tenir compte, il n’appartient pas à la cour de révision de [traduction] « corriger » les motifs et de trancher la question dont le tribunal avait omis de tenir compte. Dans cette affaire, un agent d’immigration qui avait examiné une demande fondée sur des considérations humanitaires [demande CH] avait mal interprété les modifications récentes qui avaient été apportées au paragraphe 25(1) de la Loi et, par conséquent, il n’a pas tenu compte de la question de savoir si le risque allégué par les demandeurs, dans l’éventualité où ils devaient présenter une demande d’immigration à partir de l’étranger, constituait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives qui justifiaient l’octroi d’une dispense fondeé sur des considérations humanitaires. Le juge Stratas a statué qu’il n’appartenait pas à la Cour de trancher cette question lors du contrôle judiciaire (ce qui aurait effectivement fait en sorte que la Cour aurait usurpé le pouvoir décisionnel discrétionnaire de l’agent CH). Il a donc conclu que la décision était déraisonnable, l’a annulée, et la demande CH a été renvoyée à un autre agent CH pour nouvel examen.

[38]           La conclusion dans l’arrêt Lemus s’applique par analogie en l’espèce, parce que dans la présente affaire, tout comme dans Lemus, l’agent a omis de traiter d’une question cruciale qui devait être traitée. Plus précisément, conformément au jugement et aux motifs dans Burton, le deuxième agent d’ERAR était à tout le moins obligé de donner des explications complètes à savoir pourquoi il s’écartait de la décision précédente quant au risque; dans Burton, la décision prévoyait que la seule question qui ferait l’objet d’un nouvel examen était celle de la disponibilité de la protection de l’État pour M. Burton, compte tenu du fait qu’il était un ancien membre de gang qui était devenu informateur et qui avait témoigné contre un autre membre de gang. Il s’ensuit que la décision Burton exigeait que cette appréciation ne soit pas modifiée, à moins que de nouveaux faits nécessitent qu’une décision différente soit rendue.

[39]           L’agent ne traite nulle part dans la deuxième décision d’ERAR défavorable pourquoi il était nécessaire qu’un deuxième examen du risque soit effectué, ni comment il est parvenu à un résultat différent à celui du premier ERAR. L’absence d’une telle explication signifie que la décision n’est ni justifiée, ni transparente, ni intelligible, puisqu’elle ne renferme aucune explication à savoir comment ou pourquoi l’agent est parvenu à un résultat différent quant à la question déterminante.

[40]           Des omissions similaires de la part des décideurs administratifs à expliquer pourquoi ils sont parvenus à un résultat différent lors d’un deuxième examen d’une question ayant précédemment été tranchée ont été déclarées déraisonnables dans plusieurs contextes sous le régime de la Loi.

[41]           Dans la même veine, dans l’arrêt Canada (MCI) c Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] ACF no 15 [Thanabalasingham], au paragraphe 10, et dans les décisions Kippax c Canada (MCI), 2013 CF 655, [2013] ACF no 700, au paragraphe 34 et Muhammad c Canada (MCI), 2013 CF 203, [2013] ACF no 207, au paragraphe 6, la Cour et la Cour d’appel fédérale ont statué que la Section de l’immigration doit donner des motifs clairs et convaincants pour s’écarter des décisions antérieures en matière de contrôle de la détention lors d’un contrôle subséquent. Comme l’a énoncé le juge Rothstein dans Thanabalasingham, au paragraphe 10, « [b]ien que[…] un commissaire ne soit pas lié par les décisions antérieures […] il faut, dans les cas où un commissaire décide d'aller à l'encontre des décisions antérieures ordonnant la détention d'une personne, que des motifs clairs et convaincants soient énoncés.

[42]           Dans la même veine, lorsque des conclusions portant sur des questions comme l’identité, la disponibilité de la protection de l’État ou la nature terroriste d’une organisation avaient été antérieurement tirées à l’égard de faits identiques, il est nécessaire que les décideurs subséquents qui doivent trancher une question identique donnent des motifs clairs et convaincants pour s’écarter de la conclusion précédente (voir, à titre d’exemples, Siddiqui c Canada (MCI), 2007 CF 6, [2007] ACF no 9, aux paragraphes 17 à 19; Osagie c Canada (MCI), 2007 CF 852, [2007] ACF no 1111, aux paragraphes 31 et 32; Alexander c Canada (MCI), 2009 CF 1305, [2009] ACF no 1682, au paragraphe 8, et Rusznyak c Canada (MCI), 2014 CF 255, [2014] ACF no 281, aux paragraphes 55 à 58).

[43]           On ne trouve pas de tel raisonnement dans le deuxième ERAR défavorable qui a été effectué en l’espèce et, pour ce motif, la deuxième décision d’ERAR est déraisonnable, puisque la Cour ne peut pas rédiger la décision à la place de l’agent d’ERAR et déterminer quels motifs impérieux lui permettraient de s’écarter de l’appréciation du risque précédente. Comme il a été conclu dans Lemus, il n’appartient pas à la Cour d’effectuer cette tâche lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire. Il s’ensuit que l’absence de raisonnement adéquat fait en sorte que la deuxième décision d’ERAR défavorable est déraisonnable.

[44]           Cependant, il ne s’agit pas de la seule raison pour laquelle la deuxième décision d’ERAR doit être annulée. En outre, le résultat auquel est parvenu le deuxième agent d’ERAR est lui aussi déraisonnable, compte tenu des faits dont il disposait et à la lumière des modalités de la décision de la juge Mactavish dans Burton.

[45]           Étant donné qu’elle a renvoyé l’affaire pour nouvelle décision conformément à ses motifs, et étant donné que ces motifs souscrivaient, du moins implicitement, à la conclusion du premier agent d’ERAR quant au risque et qu’elle avait prévu que la question du risque ne ferait pas l’objet d’un nouvel examen dans l’éventualité où les circonstances ne devaient pas changer, le deuxième agent d’ERAR ne pouvait pas, selon moi, s’écarter de l’appréciation antérieure du risque, à moins que des nouveaux faits ou de nouvelles circonstances puissent raisonnablement donner lieu à une conclusion différente quant au risque.

[46]           À cet égard, il ne fait aucun doute que le deuxième agent d’ERAR était lié par la directive de la juge Mactavish, puisque le principe du stare decisis exige des tribunaux administratifs qu’ils suivent les directives données par la cour de révision (voir, à titre d’exemples, Régie des rentes du Québec c Canada Bread Company Ltd, 2013 CSC 46, [2013] 3 RCS 125, au paragraphe 46, et Canada (Commissaire à la concurrence) c Supérieur Propane Inc, 2003 CAF 53, 223 DLR (4th) 55, au paragraphe 54). Donc, à moins qu’il n’existe de nouveaux faits qui auraient pu donner lieu à une conclusion différente quant au risque, le deuxième agent d’ERAR avait l’obligation d’adopter la même conclusion quant au risque que celle tirée par le premier agent d’ERAR.

[47]           Contrairement à ce que le défendeur prétend, la décision rendue dans l’affaire Muhammad n’appuie pas la conclusion opposée, et ce, pour deux motifs. Premièrement, et primordialement, dans cette affaire, aucune ordonnance de la Cour n’a été rendue ou ignorée, comme cela a été le cas en l’espèce. Deuxièmement, le cadre législatif pertinent était différent; cette affaire avait trait à une appréciation du risque qui avait été effectuée par un délégué du Ministre au titre de l’alinéa 113d) de la Loi et de l’article 172 du Règlement, lesquels prévoient que le délégué procédera à une nouvelle détermination du risque et qu’il n’est pas lié par celle de l’agent d’ERAR, et ce, même si les faits sont les mêmes devant les deux décideurs. Ce type de disposition n’existe pas en l’espèce. En fait, conformément à la jurisprudence et à l’article 113 de la Loi, un agent d’ERAR est tenu d’examiner uniquement les nouveaux faits qui sont survenus depuis le dernier examen quant au risque. Par conséquent, la décision dans l’affaire Muhammad ne s’applique pas en l’espèce.

[48]           Dans la présente affaire, la décision rendue par la juge Mactavish faisait en sorte qu’il fallait au deuxième agent d’ERAR des motifs impérieux – sous la forme de nouveaux faits pertinents – de s’écarter de l’appréciation du risque effectuée par le premier agent d’ERAR.

[49]           De tels faits n’existaient pas en l’espèce, puisque la seule nouvelle preuve pertinente dont disposait le deuxième agent d’ERAR se rapportait aux menaces reçues par le père de M. Burton en Jamaïque, menaces provenant de membres de gangs et qui avait été proférées depuis la première décision d’ERAR. Ce fait renforce la conclusion selon laquelle M. Burton est exposé à un risque aux mains des gangs en Jamaïque, puisqu’il a été allégué que les menaces ont été formulées par des membres de gangs. Plutôt que d’accorder de l’importance à cette question, le deuxième agent d’ERAR a plutôt mis l’accent sur le fait que M. Burton n’avait pas reçu d’autres menaces au Canada depuis que la première décision d’ERAR avait été rendue. Je conviens avec M. Burton que l’absence de telles menaces n’est pas pertinente quant aux risques auxquels il pourrait être exposé en Jamaïque. En résumé, le risque n’est pas influencé par ce qui s’est produit (ou ne s’est pas produit) au Canada, là où l’application de la loi est beaucoup plus efficace qu’en Jamaïque, et surtout dans la situation où, comme en l’espèce, la source du risque potentiel – les membres de l’ancien gang Malvern Crew – se trouve en Jamaïque.

[50]           Il s’ensuit que le résultat auquel est parvenu le deuxième agent d’ERAR est déraisonnable et qu’il n’appartient pas aux issues possibles eu égard à la décision Burton et aux faits dont était saisi le deuxième agent d’ERAR.

[51]           Puisque la deuxième décision d’ERAR n’est pas fondée sur un raisonnement adéquat et que son résultat est inacceptable, il s’ensuit qu’elle doit être annulée.

III.             Quelle est la réparation appropriée?

[52]           En dernier lieu, je me penche sur la question de la réparation, laquelle nécessite l’examen de deux éléments, soit, la question de savoir si je devrais donner des directives pour la troisième décision quant à la demande d’ERAR de M. Burton et celle de savoir si une question devrait être certifiée au titre de l’article 74 de la Loi, de manière à permettre qu’un appel puisse être interjeté en l’espèce.

[53]           En ce qui concerne la première question, la Cour a compétence, au titre de l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, d’annuler les décisions rendues par les décideurs administratifs et de la leur renvoyer, avec des « instructions que [la Cour] estime appropriées ». Bien que le pouvoir de rendre de telles directives devrait être utilisé avec parcimonie, je crois qu’il s’agit d’un cas où une telle directive serait justifiée, compte tenu du fait que l’on n’a pas tenu compte de la décision antérieure de la juge Mactavish. Par conséquent, j’ai conclu que je donnerai la directive que la nouvelle décision soit rendue conformément aux présents motifs. Pour récapituler, les présents motifs exigent de l’agent d’ERAR à qui la présente affaire sera renvoyée de faire ce qui suit :

1.                  Examiner la disponibilité d’une protection adéquate de l’État pour M. Burton en Jamaïque, compte tenu de son profil d’ancien membre de gang devenu informateur et dont le témoignage a conduit à la déclaration de culpabilité pour meurtre d’un de ses anciens collègues. Un tel examen devra comprendre une appréciation de toute la preuve pertinente, y compris toute nouvelle preuve que M. Burton pourrait présenter;

2.                  Ne pas s’écarter de la détermination du risque effectuée par le premier agent d’ERAR qui avait examiné le cas de M. Burton, à moins qu’il n’y ait des motifs clairs et convaincants pour ce faire, lesquels devront être expliqués dans la nouvelle décision d’ERAR. De tels motifs peuvent se rapporter aux changements de circonstances, y compris le passage du temps, qui sont pertinents quant à l’appréciation du risque et qui ont eu lieu après le 29 juin 2012.

[54]           En dernier lieu, en ce qui a trait à la certification d’une question aux fins de l’appel, M. Burton prétend qu’aucune question ne devrait être certifiée, puisqu’il croit que l’application de la doctrine de l’abus de procédure est tributaire des faits et que la présente affaire ne soulève par conséquent aucune question convenable de portée générale. D’un autre côté, le défendeur prétend que, dans l’éventualité où je devais souscrire à la thèse de M. Burton et conclure que la deuxième décision d’ERAR constituait un abus de procédure, je devrais certifier la question suivante :

[traduction]

La doctrine de l’abus de procédure, qui empêche la remise en instance (comme il a été expliqué dans l’arrêt SCFP, section locale 29, 2003 CSC 63), peut‑elle s’appliquer à une décision à l’égard de laquelle la Cour a conclu, lors du contrôle judiciaire, qu’elle devait faire l’objet d’une nouvelle décision, et qui pourrait comprendre une conclusion de fait qui survit à l’annulation de la décision et qui pourrait être pertinente lors du réexamen de l’affaire?

[55]           Cependant, le défendeur soutient que si je parviens à la conclusion opposée, et que je refuse d’appliquer la doctrine de l’abus de procédure, aucune question ne devrait être certifiée au titre de l’article 74 de la Loi, puisque toute question se rapportant à l’abus de procédure ne permettrait pas de trancher un appel, ce qui constitue l’un des critères pour que la question soit suceptible de certification.

[56]           Je conviens qu’aucune question ne devrait être certifiée en l’espèce, mais pas tout à fait pour les motifs allégués par les parties.

[57]           La Cour d’appel fédérale a exposé le critère applicable en matière de certification de questions à des fins d’appel  au titre de l’article 74 de la Loi à plusieurs reprises (Liyanagamage c Canada (Secrétaire d’État) (1994), 176 NR 4, [1994] ACF no 1637 (CAF), au paragraphe 4, Zazai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, [2004] ACF no 368, au paragraphe 11, Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145, [2009] ACF no 549, au paragraphe 28, et Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, [2013] ACF no 764, au paragraphe 9). Compte tenu de ces précédents, il est bien établi que la Cour peut certifier une question seulement si celle‑ci transcende les intérêts des parties, qu’elle a des conséquences importantes ou de portée générale et qu’elle permet de trancher l’appel. Pour permettre de trancher l’appel, les questions doivent avoir été tranchées par le juge des demandes, de sorte que la Cour d’appel fédérale en est saisie au stade de son examen d’un appel.

[58]           En l’espèce, la possibilité d’invoquer la doctrine de l’abus de procédure ne soulevait pas une question pouvant faire l’objet de certification, puisque celle‑ci ne permettrait pas de trancher l’appel, car ma décision ne repose pas sur cette doctrine. Il s’ensuit qu’il n’est pas nécessaire que la Cour d’appel fédérale se penche sur cette question. Il n’existe pas non plus d’autres questions susceptibles de certification, car mes conclusions concernant la déraisonnabilité de la décision sont liées aux faits de l’espèce, à la portée et au contenu de la décision de la juge Mactavish dans Burton et à la manière dont la deuxième décision d’ERAR a été rédigée. Par conséquent, la présente affaire ne soulève pas une question susceptible de certification au titre de l’article 74 de la Loi.

[59]           Pour les motifs susmentionnés, la deuxième décision d’ERAR est annulée, avec directives, mais aucune question n’est certifiée au titre de l’article 74 de la Loi.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire de la deuxième décision rendue au stade de l’ERAR, datée du 29 août 2013, est accueillie;

2.      L’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour nouvelle décision, conformément aux présents motifs, lesquels exigent de l’agent d’ERAR qui en sera saisi qu’il effectue ce qui suit :

1.    Examiner la disponibilité d’une protection adéquate de l’État pour M. Burton en Jamaïque, compte tenu de son profil d’ancien membre de gang devenu informateur et dont le témoignage a conduit à la déclaration de culpabilité pour meurtre d’un de ses anciens collègues. Un tel examen devra comprendre une appréciation de toute la preuve pertinente, y compris toute nouvelle preuve que M. Burton pourrait présenter;

2.    Ne pas s’écarter de la détermination du risque effectuée par le premier agent d’ERAR qui avait examiné le cas de M. Burton, à moins qu’il n’y ait des motifs clairs et convaincants pour ce faire, lesquels devront être expliqués dans la nouvelle décision d’ERAR. De tels motifs peuvent se rapporter aux changements de circonstances, y compris le passage du temps, qui sont pertinents quant à l’appréciation du risque et qui ont eu lieu après le 29 juin 2012.

3.      Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

4.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Mary J.L. Gleason »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6595-13

 

INTITULÉ :

RAOUL ANDRE BURTON

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GLEASON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 23 SEPTEMBRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Anthony Navaneelan

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Martin Anderson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Anthony Navaneelan, J.D.

Mamann, Sandaluk & Kingwell, LLP

Migration Law Chambers

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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