Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140924


Dossier : T-483-14

Référence : 2014 CF 915

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2014

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

DENIS TUMARKIN, LIUDMILA TUMARKINA et ELENA TUMARKINA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande visant à obtenir un bref de mandamus fondée sur une allégation de retard indu dans le traitement des demandes de citoyenneté des demandeurs par Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). Les demandeurs sollicitent aussi une ordonnance enjoignant au défendeur de séparer la demande de citoyenneté de Monsieur Tumarkin des demandes de citoyenneté de son épouse et de sa fille en vue d’accélérer le traitement des demandes de celles‑ci indépendamment de la demande de M. Tumarkin (l’époux/le père).

[2]               La présente demande est présentée dans le contexte d’une enquête qui est actuellement menée concernant la question de savoir si M. Tumarkin peut obtenir le statut de résident permanent.

[3]               Les demandeurs avaient initialement soulevé des questions relatives aux articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), mais l’avocat du défendeur a souligné à juste titre que la présente demande soulève une question de délai déraisonnable, et les demandeurs ont cessé d’insister sur les questions touchant la Charte. La Cour est d’accord avec l’avocat du défendeur pour dire que le présent contrôle judiciaire est régi par les principes de base du mandamus. Il n’est pas nécessaire d’examiner les questions touchant la Charte.

II.                Contexte

[4]               Les dispositions applicables sont les suivantes :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

a) en fait la demande;

(a) makes application for citizenship;

b) est âgée d’au moins dix‑huit ans;

(b) is eighteen years of age or over;

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) un demi‑jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

[…]

14. (1.1) Malgré le paragraphe (1), le juge de la citoyenneté ne peut statuer sur la demande :

14. (1.1) Despite subsection (1), the citizenship judge is not authorized to make a determination until

a) tant que n’est pas terminée l’enquête menée pour établir si le demandeur devrait faire l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ou d’une mesure de renvoi au titre de cette loi ou si les articles 20 ou 22 s’appliquent à l’égard de celui‑ci;

(a) the completion of any investigation or inquiry for the purpose of ascertaining whether the applicant should be the subject of an admissibility hearing or a removal order under the Immigration and Refugee Protection Act or whether section 20 or 22 applies to the applicant; and

b) lorsque celui-ci fait l’objet d’une enquête dans le cadre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, tant qu’il n’a pas été décidé si une mesure de renvoi devrait être prise contre lui.

(b) if the applicant is the subject of an admissibility hearing under the Immigration and Refugee Protection Act, a determination as to whether a removal order is to be made against that applicant.

Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

[…]

42. Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

42. A foreign national, other than a protected person, is inadmissible on grounds of an inadmissible family member if

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;

(a) their accompanying family member or, in prescribed circumstances, their non-accompanying family member is inadmissible; or

b) accompagner, pour un membre de sa famille, un interdit de territoire.

(b) they are an accompanying family member of an inadmissible person.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

[5]               Les demandeurs forment une famille originaire de la Russie. M. Tumarkin est (était) avocat et homme d’affaires. Les demandeurs sont arrivés au Canada à titre de résidents permanents en mai 2009.

Le 10 octobre 2012, ils ont présenté une demande de citoyenneté canadienne.

[6]               Le 8 mars 2013, M. Tumarkin a été informé que l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) avait des motifs raisonnables de croire qu’il était interdit de territoire au titre du paragraphe 36(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), en raison de [traduction] « déclaration(s) de culpabilité ». M. Tumarkin a aussi reçu un rapport établi en application du paragraphe 44(1) sur le fondement de renseignements selon lesquels il avait été accusé d’escroquerie. Au Canada, ce chef d’accusation équivaut à un chef d’accusation de fraude de plus de 5 000 $.

[7]               M. Tumarkin a répondu qu’il s’agissait d’une fausse accusation, qui aurait pu être inventée par l’un ou l’autre de ses adversaires ou de ses anciens clients en Russie. Il a également présenté un rapport d’un avocat russe confirmant qu’aucune accusation du genre n’avait été portée contre lui.

[8]               En juin 2013, le défendeur a envoyé un questionnaire de résidence à M. Tumarkin et celui-ci y a répondu en août 2013.

[9]               Le 18 décembre 2013, les demandeurs ont demandé a) qu’on leur donne des explications pour justifier le retard accusé dans le traitement des demandes de citoyenneté; b) que les demandes de Mme Tumarkina et de la fille soient séparées de celle de M. Tumarkin et traitées immédiatement et c) que la demande de M. Tumarkin soit aussi traitée immédiatement.

[10]           En ce qui concerne la demande présentée en vue d’obtenir que les demandes soient traitées séparément (scinder le dossier), le défendeur a répondu que la scission d’un dossier n’est envisagée que dans certaines circonstances et que, pour le moment, les demandes resteront dans la file d’attente en vue d’être traitées ensemble en tant que demande présentée par une famille.

[11]           Comme il a été concédé, la seule question à trancher est de savoir si un bref de mandamus doit être délivré pour scinder le dossier et si les demandes ainsi scindées doivent être traitées immédiatement.

La question fondamentale a trait au fait qu’il est demandé que la mesure de redressement soit prise « immédiatement », étant donné que rien ne permet d’établir que les demandes ne sont pas en cours de traitement. La question est de savoir si le délai d’attente jusqu’à maintenant dans le cadre du traitement des demandes est raisonnable.

III.             Analyse

[12]           Il convient de souligner que 23 mois se sont écoulés depuis le dépôt des demandes de citoyenneté et que, plus particulièrement, 16 mois se sont écoulés entre le dépôt des demandes de citoyenneté et l’introduction de la présente procédure judiciaire.

[13]           Les principales conditions applicables à une demande de bref de mandamus sont bien définies. Elles sont exposées dans l’arrêt Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 (confirmé par [1994] 3 RCS 110), au paragraphe 45. Il s’agit des conditions suivantes :

1.         Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public : […]

2.         L’obligation doit exister envers le requérant : […]

3.         Il doit exister un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

a)      le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation; […]

b)      il y a eu (i) une demande d’exécution de l’obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n’ait été rejetée sur-le-champ, et (iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable; […]

[…]

5.         Le requérant n’a aucun autre recours : […]

6.         L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique : […]

7.         Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé : […]

8.         Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

[14]           Comme il a été établi dans la décision Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 CF 33, 87 ACWS (3d) 24, un bref de mandamus peut être accordé dans les appels en matière de citoyenneté – lorsque les circonstances le justifient.

[15]           La question de la scission d’un dossier n’est pas un droit autonome distinct. Il s’agit d’un processus ou d’une mesure corrective conçu pour éviter les délais déraisonnables quant au traitement des demandes qui seraient autrement retardé lorsqu’il n’existe aucun lien justifiable avec le dossier dont le traitement est retardé pour de bonnes raisons.

A.                Le dossier de M. Tumarkin

[16]           Les demandeurs n’ont pas établi que le dossier de M. Tumarkin n’est pas en cours de traitement. Bien qu’il n’existe aucune preuve qu’une déclaration de culpabilité a été prononcée en Russie, certains indices portent à croire qu’il se peut que des accusations aient été portées contre lui. Le défendeur a le devoir de déterminer l’état des accusations portées contre M. Tumarkin (s’il y en a) en Russie, mais il n’existe aucune preuve qu’on a refusé d’enquêter ou que le temps pris pour enquêter est déraisonnable.

[17]           Étant donné l’importance de l’octroi de la citoyenneté et la difficulté correspondante que représente la révocation de l’octroi de la citoyenneté, il n’est pas déraisonnable que les agents fassent preuve de diligence en s’assurant de disposer de tous les faits nécessaires. Bien que le délai d’attente en ce qui concerne le traitement de la demande de M. Tumarkin pour ce qui est de la détermination des circonstances relatives aux accusations au criminel en Russie ne puisse pas se poursuivre indéfiniment, rien ne donne à penser que les agents de l’ASFC ont fait preuve d’indifférence, qu’ils ont été lents ou qu’ils n’ont autrement pas traité la question de façon raisonnable.

[18]           Bien que les délais d’attente moyens ne permettent pas nécessairement de trancher la question de savoir si les agents ont agi « dans un délai raisonnable », de telles moyennes donnent un point de référence au moyen duquel on peut évaluer le retard en ce qui concerne le dossier précis et le système. En l’espèce, le délai de traitement de la demande de M. Tumarkin fait partie des délais d’attente moyens et rien ne prouve que les moyennes sont le fruit d’un système défaillant qui souffre d’une pénurie de ressources.

[19]           Comme les demandeurs n’ont pas établi qu’on refuse de traiter leurs demandes (refus réel ou réputé) ou que le délai d’attente est déraisonnable, aucun bref de mandamus ne sera délivré. Non seulement il se peut que des accusations aient été portées en Russie, mais le questionnaire sur la résidence est encore en cours de traitement.

B.                 Mme Tumarkina et la fille

[20]           Les demandeurs allèguent que les demandes de Mme Tumarkina et de la fille devraient être séparées de celle de M. Tumarkin et traitées de façon distincte dans les plus brefs délais.

[21]           Le défendeur applique, à l’égard de la séparation des dossiers, une politique pour éviter les retards dans le traitement des demandes qui seraient autrement liées à une demande retardée – par exemple, pour l’administration de tests linguistiques.

[22]           La question de savoir si un dossier devrait être scindé est une question discrétionnaire et non une question de droit. Elle ne peut donc pas donner lieu à la délivrance d’un bref de mandamus. Un exercice non raisonnable du pouvoir discrétionnaire est une question qui peut donner lieu à des mesures de redressement comme un bref de certiorari ou une déclaration.

[23]           Mme Tumarkina et la fille, tout comme M. Tumarkin, ont le droit que leur demande soit traitée dans un délai raisonnable. Il existe un lien logique et juridique entre la demande de M. Tumarkin et les demandes de Mme Tumarkina et de la fille parce qu’un questionnaire sur la résidence est en cours de traitement.

[24]           Comme la question de savoir si M. Tumarkin est interdit de territoire est une question non encore réglée, il existe des motifs raisonnables de ne pas séparer les demandes des divers membres de la famille. De plus, le temps de traitement des demandes de Mme Tumarkina et de la fille n’excède pas actuellement les temps moyens d’attente.

[25]           Par conséquent, le délai d’attente en ce qui concerne le traitement des demandes de Mme Tumarkina et de la fille est raisonnable.

IV.             Conclusion

[26]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens. Le rejet de la présente demande de contrôle judiciaire n’empêche pas les demandeurs, ou l’un ou l’autre d’entre eux, de présenter une autre demande visant à obtenir des mesures semblables ou d’autres mesures en temps voulu.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens. Le rejet de la présente demande de contrôle judiciaire n’empêche pas les demandeurs, ou l’un ou l’autre d’entre eux, de présenter une autre demande visant à obtenir des mesures semblables ou d’autres mesures en temps voulu.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Marie-Christine Gervais, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-483-14

 

INTITULÉ :

DENIS TUMARKIN, LIUDMILA TUMARKINA et ELENA TURMARKINA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 septembRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 24 septembRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Rocco Galati

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Stephen Jarvis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rocco Galati Law Firm

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.