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Date : 20140730


Dossier : IMM-81-13

Référence : 2014 CF 756

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 30 juillet 2014

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

FABIAN PHILMORE FERREIRA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Avant son retour prévu en Jamaïque, M. Fabian Ferreira a demandé qu’il soit procédé à un examen des risques avant renvoi (ERAR). L’agent qui a effectué l’ERAR a conclu que M. Ferreira n’avait pas établi qu’il avait qualité de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la LIPR) (voir l’annexe).

[2]               Dans sa demande d’ERAR, M. Ferreira a décrit son expérience en tant que personne atteinte de schizophrénie, une maladie qui l’a amené à commettre un certain nombre d’actes criminels. Il vit au Canada depuis plus de 15 ans et il n’a plus de famille en Jamaïque. Il est actuellement au début de la trentaine.

[3]               L’agent a examiné les risques de préjudice auxquels M. Ferreira pourrait être exposé en Jamaïque – manque de soins, mauvais traitements, criminalité et incarcération dans de mauvaises conditions – et a conclu qu’ils découlaient principalement de l’incapacité de la Jamaïque à fournir des soins de santé mentale à ses citoyens. Ce type de risque est expressément exclu au sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR. L’agent a jugé que les risques que M. Ferreira craignait étaient de toute façon purement hypothétiques. L’agent a ensuite affirmé qu’il est possible que les personnes atteintes de maladies mentales et les sans‑abri soient discriminés en Jamaïque, mais que ce n’était pas suffisant pour conclure que M. Ferreira était exposé à un risque de persécution ou de mauvais traitements.

[4]               M. Ferreira prétend que la décision de l’agent était déraisonnable parce qu’elle ne tenait pas compte du fait que sa demande ne reposait pas entièrement sur le caractère inadéquat des soins de santé mentale offerts en Jamaïque; en fait, a‑t‑il affirmé, il serait probablement incapable d’avoir accès à un traitement en Jamaïque en raison de ses symptômes et du manque de soutien de sa famille. Par conséquent, il serait exposé à un risque de préjudice en tant que personne expulsée, sans‑abri, sujette au crime et atteinte d’une maladie mentale, sans aucune ressource matérielle ni soutien familial.

[5]               Je suis convaincu que l’agent a omis de reconnaître les risques particuliers auxquels M. Ferreira serait exposé, ce qui l’a amené à tirer la conclusion déraisonnable que M. Ferreira avait échoué à prouver la validité de sa demande d’asile. Je dois donc accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

[6]               La question à trancher est celle de savoir si la décision de l’agent était déraisonnable.

II.                La décision de l’agent

[7]               L’agent a admis que M. Ferreira est atteint de schizophrénie. Il incombait donc à M. Ferreira de prouver que les divers risques auxquels il serait exposé en Jamaïque ne découlaient pas du caractère inadéquat des ressources en santé offertes là‑bas (voir Covarrubias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 365). L’agent a conclu que le fondement réel de la demande de M. Ferreira était en fait le manque de soins médicaux adéquats en Jamaïque.

[8]               L’agent a reconnu que les personnes atteintes d’une maladie mentale sont stigmatisées et font l’objet de discrimination en Jamaïque. Cependant, des éléments de preuve documentaires ont montré que les personnes ayant une « incapacité » mentale sont plus mal traitées que celles ayant une « maladie » mentale. D’autres éléments de preuve ont montré que les personnes sans‑abri sont victimes de violence, mais qu’elles ne sont pas toutes atteintes d’une maladie mentale. L’agent a également admis que les conditions d’incarcération sont mauvaises en Jamaïque.

[9]               Dans l’ensemble, l’agent n’était pas convaincu que M. Ferreira avait établi qu’il serait exposé à un risque de persécution ou de traitements ou peines cruels en Jamaïque qui n’était pas exclu par le sous‑alinéa 97(1)b)(iv).

III.             La décision de l’agent était‑elle déraisonnable?

[10]           Le ministre prétend que l’agent a rejeté avec raison la demande de M. Ferreira parce que le caractère inadéquat des soins médicaux ne constitue pas un fondement valide justifiant un ERAR. Les autres risques cités par M. Ferreira (itinérance, emprisonnement, violence) découlaient tous de l’absence d’un traitement médical convenable.

[11]           À mon avis toutefois, l’agent a sauté trop vite à la conclusion selon laquelle les risques auxquels M. Ferreira serait exposé découlaient du manque de soins médicaux en Jamaïque. En réalité, sa demande reposait sur les faits particuliers de sa situation.

[12]           M. Ferreira a expliqué dans ses observations que s’il ne faisait pas l’objet d’une surveillance médicale adéquate ou s’il n’était pas soutenu par sa famille, il ne chercherait probablement pas à obtenir de traitement ou ne continuerait probablement pas à prendre ses médicaments. Au Canada, sa mère et un travailleur communautaire veillaient à ce qu’il prenne régulièrement ses médicaments. Son état est stable lorsqu’il prend ses médicaments. Ses médecins croient qu’il a besoin de ce type de soutien pour observer son traitement à long terme. Il ne pourrait trouver un tel soutien en Jamaïque.

[13]           Par conséquent, quel que soit le niveau de traitement offert en Jamaïque, M. Ferreira n’en bénéficierait probablement pas. Il mènerait vraisemblablement une vie d’itinérance marquée par la criminalité et les incarcérations dans un pays où les personnes atteintes d’une maladie mentale connaissent des difficultés indéniables. Son cas est semblable à d’autres cas dans lesquels la Cour a reconnu que les mauvais traitements découlant des symptômes particuliers de la maladie mentale d’un demandeur pouvaient avoir une incidence sur la demande d’ERAR, étant donné que le sous‑alinéa 97(1)b)(iv) exclut seulement la protection lorsque le caractère inadéquat des soins médicaux est la cause directe du préjudice appréhendé (voir p. ex. Lemika c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 467; Level c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2013 CF 1226).

[14]           Dans les cas où le risque auquel le demandeur est exposé découle non pas de l’incapacité du pays à fournir les soins médicaux adéquats mais de l’incapacité du demandeur à obtenir un traitement, comme en l’espèce, l’alinéa 97(1)b)(iv) n’empêche pas de procéder à un ERAR. Cela ne signifie certes pas qu’il faille rendre une décision d’ERAR favorable pour toute personne d’origine jamaïcaine atteinte de schizophrénie. Comme l’agent l’a reconnu, chaque affaire doit être tranchée selon les faits qui lui sont propres. Cependant, lorsque le risque ne découle pas du manque de soins mais de l’incapacité du demandeur de bénéficier des soins offerts, quels qu’ils soient, le sous‑alinéa 97(1)b)(iv) ne permet pas de rejeter une demande d’ERAR.

IV.             Conclusion et décision

[15]           Je suis d’avis que l’agent n’a pas apprécié correctement l’essence de la demande de M. Ferreira et a conclu à tort qu’elle était visée par l’exception prévue au sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR. Je conclus donc que la conclusion de l’agent était déraisonnable et je dois ainsi accueillir la demande de contrôle judiciaire et ordonner qu’un autre agent examine la demande de M. Ferreira. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et aucune n’est énoncée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise

 

 


Annexe

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail himself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if:

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail himself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Personne à protéger

 

Person in need of protection

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-81-13

 

INTITULÉ :

FABIAN PHILMORE FERREIRA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 FÉVRIER 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

lE 30 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Erin Bobkin

Alyssa Manning

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lorne McLenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Erin Bobkin

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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