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Date : 20140724


Dossier : IMM-6832-13

Référence : 2014 CF 740

Ottawa (Ontario), le 24 juillet 2014

En présence de madame la juge Bédard

ENTRE :

PIARA SINGH GILL et

GURDIAL KAUR GILL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs recherchent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 30 septembre 2013 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR] au terme de laquelle elle a rejeté leur demande d’asile. Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

I.                   Contexte

[2]               Les demandeurs, qui sont citoyens de l’Inde, allèguent avoir été ciblés par la police en raison de démêlés que leur fils aurait lui-même eus avec la police en raison des relations qu’il entretenait avec son beau-frère, membre d’un groupe sikh.

[3]               La réclamation des demandeurs est fondée sur les principaux éléments suivants. En 2008, le fils des demandeurs a été arrêté par la police. Il a été libéré le lendemain avec l’obligation de se présenter au poste de police tous les mois. Le fils des demandeurs s’est soumis à cette exigence jusqu’au 1er novembre 2009, alors qu’il a disparu en se rendant au poste de police. Les policiers ont affirmé que le fils des demandeurs ne s’était jamais rendu au poste, mais les demandeurs ne croient pas cette hypothèse et soupçonnent les policiers d’être responsables de sa disparition.

[4]               Les demandeurs allèguent que le 2 novembre 2009, ils ont consulté un avocat pour qu’il les aide à retrouver leur fils. Ils soutiennent que l’avocat leur a conseillé de déposer une plainte contre la police. Or, le lendemain matin – et avant qu’ils n’aient posé quelque geste en regard d’une éventuelle plainte contre la police – trois policiers se sont présentés chez eux et ont demandé au demandeur principal s’il avait consulté un avocat la veille en vue de déposer une plainte contre les forces policières. Les demandeurs soutiennent avoir été arrêtés, conduits au poste de police, détenus et battus par les policiers. Le demandeur principal soutient avoir été interrogé puis torturé avant d’être libéré le lendemain. Il soutient avoir reçu des soins médicaux pour soigner les blessures que lui ont infligées les policiers.

[5]               Les demandeurs ont alors pris la décision de venir au Canada puisque leur fille y habite. Toutefois, alors qu’ils étaient en attente de leurs visas pour le Canada, des policiers se sont à nouveau présentés à leur résidence le 15 décembre 2009. Les demandeurs soutiennent que les policiers les ont sommés de trouver et de signaler leur fils et son beau-frère avant le 15 février 2010, à défaut de quoi ils seraient tués.

[6]               Les demandeurs ont reçu leurs visas pour le Canada le 6 janvier 2010 et ils ont quitté leur pays le 4 février 2010. Ils ont déposé leur demande d’asile le 8 février 2010.

II.                La décision de la SPR

[7]               La SPR a conclu que le récit des demandeurs n’était pas crédible. Sa conclusion est principalement fondée sur les éléments suivants :

                     La SPR a jugé que le témoignage des demandeurs était hésitant et parfois incohérent. Indiquant avoir tenu compte de l’âge des demandeurs qui ont 71 et 73 ans, la SPR a jugé que l’âge des demandeurs n’expliquait pas les problèmes de crédibilité et d’invraisemblance survenus durant leur témoignage.

                     La SPR n’a accordé aucune valeur probante au certificat médical attestant des blessures subies par le demandeur principal le 3 novembre 2009 parce qu’elle a jugé qu’il y avait des contradictions entre le certificat et le témoignage du demandeur principal : le certificat fait état de blessures externes et internes, alors que le demandeur principal a déclaré n’avoir subi que de nombreuses ecchymoses.

                     La SPR n’a pas cru à la disparition du fils. D’abord, elle n’a accordé aucune valeur probante à la lettre de l’avocat que les demandeurs auraient consulté pour tenter de retrouver leur fils. La SPR a relevé que le contenu de la lettre était incompatible avec les motifs pour lesquels les demandeurs ont déclaré avoir consulté l’avocat. Dans la lettre, l’avocat indique qu’il serait difficile d’obtenir réparation devant la Cour puisqu’aucune preuve n’existait. L’avocat poursuit en indiquant que les demandeurs devraient recueillir des déclarations écrites de villageois pour attester de l’innocence de leur fils. La SPR a jugé que la culpabilité ou l’innocence du fils des demandeurs n’était pas pertinente aux fins de le retrouver et que le conseil donné par l’avocat n’était pas logique en regard de la raison pour laquelle ils l’avaient consulté. La SPR a également retenu le fait que les demandeurs n’avaient entrepris aucune démarche pour retrouver leur fils depuis leur arrivée au Canada et jugé que ces éléments soulevaient des doutes quant à sa disparition. La SPR n’a pas non plus été satisfaite de l’explication donnée par les demandeurs selon laquelle ils n’avaient pas entrepris de démarches parce qu’ils avaient trop de « tension », d’autant plus que leur fille, qui habite toujours en Inde, aurait pu les aider.

                     La SPR a réservé le même sort à l’affidavit du Sarpanch du village des demandeurs parce que les déclarations contenues dans l’affidavit ne concordaient pas avec le témoignage des demandeurs. Dans son affidavit, le Sarpanch réitère les allégations des demandeurs, mais il indique également que depuis le départ des demandeurs, les policiers enquêtaient sur eux auprès de diverses sources. Or, dans son témoignage le demandeur principal a indiqué avoir été informé que des policiers faisaient des rondes devant leur maison, mais qu’ils n’interrogeaient personne puisque la maison est inhabitée. La SPR n’a pas été satisfaite de l’explication qu’a donnée le demandeur principal lorsqu’il a été confronté à la contradiction; il a déclaré ne pas savoir si les policiers enquêtaient toujours. La SPR a également jugé invraisemblable que les policiers, s’ils recherchaient toujours les demandeurs, n’aient pas été en mesure de trouver la fille des demandeurs qui habite près de leur village et qui ne vit pas de façon cachée.

[8]               La SPR a donc conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré que les policiers pouvaient avoir un intérêt à leur endroit.

III.             Question en litige

[9]               La seule question soulevée dans la présente demande consiste à déterminer si la SPR a erré dans son appréciation de la crédibilité des demandeurs.

IV.             Norme de contrôle

[10]           Il est bien établi que la norme de contrôle qui s’applique relativement à l’évaluation de la crédibilité des demandeurs est celle de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF) au para 4, 160 NR 315; Dunsmuir c Nouveau- Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 SCR 190 [Dunsmuir] ; Vargas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 484 au para 9).

V.                Analyse

[11]           Les demandeurs reprochent à la SPR d’avoir apprécié la preuve soumise de façon déraisonnable et d’avoir omis de considérer leurs circonstances particulières.

[12]           Dans un premier temps, les demandeurs reprochent à la SPR de ne pas avoir tenu compte de leur âge et de leur condition médicale, circonstances qui pourraient expliquer les hésitations et les incohérences lors de leur témoignage. Avec égards, rien dans la preuve ne permet de conclure que bien qu’étant âgés de 71 et 73 ans, les demandeurs ont des problèmes de mémoire ou qu’ils ne sont pas en mesure de témoigner de façon cohérente.

[13]           Deuxièmement, les demandeurs reprochent à la SPR de ne pas avoir mentionné, ni soupesé, le certificat médical préparé par le médecin traitant qui les suit depuis trois ans. Je reconnais que la SPR n’a pas traité de ce certificat dans sa décision. J’estime par ailleurs que cette omission n’est pas de nature à invalider la décision puisque le certificat médical, qui est des plus laconique, ne contient aucun élément qui permettrait de conclure que les demandeurs sont atteints d’une condition médicale qui pourrait influencer leur mémoire, leur capacité de témoigner, ou encore, leur capacité d’entreprendre des démarches pour retrouver leur fils. Le certificat indique seulement que le médecin suit les demandeurs depuis trois ans et qu’ils souffrent d’anxiété, de dépression et d’hypertension en raison de stress familiaux. Le médecin ajoute qu’il traite les demandeurs depuis trois ans en leur donnant de la psychothérapie et de la médication. Le médecin ne se prononce aucunement sur l’impact que la condition médicale des demandeurs pourrait avoir sur leur capacité de fonctionner, de se remémorer des événements ou de témoigner devant un tribunal.

[14]           Troisièmement, les demandeurs reprochent à la SPR de n’avoir accordé aucune valeur probante au certificat médical attestant des blessures subies par le demandeur principal en novembre 2009. Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SPR est fondée sur des spéculations et sur sa propre conception de ce que peuvent constituer des blessures internes. À cet égard, je partage l’avis des demandeurs. Je ne vois pas nécessairement de contradiction entre le fait pour le demandeur, qui n’a pas de connaissance médicale, de dire qu’il avait des ecchymoses partout sur le corps, et le fait pour un médecin d’attester que le demandeur avait des blessures internes et externes. J’estime que la conclusion de la SPR était spéculative et qu’elle était fondée, non pas sur la preuve, mais plutôt sur sa propre perception de ce qui constitue une blessure interne. Je considère donc que la SPR a tiré une conclusion déraisonnable quant à la valeur probante à accorder au certificat médical. Cette conclusion ne suffit toutefois pas à  invalider les autres conclusions de la SPR puisque le certificat médical ne fait rien d’autre que corroborer le fait que le demandeur principal a été traité pour des blessures le 4 novembre 2009. Il n’apporte aucun éclairage quant aux circonstances dans lesquelles le demandeur aurait subi ses blessures.

[15]           Quatrièmement, les demandeurs reprochent à la SPR de ne pas avoir accordé de valeur probante à la lettre de l’avocat. Ils soutiennent que la lettre corrobore le fait qu’ils ont consulté cet avocat relativement à la disparition de leur fils et que la SPR ne pouvait leur imputer la façon dont l’avocat a rédigé sa lettre. Avec égard, ce sont les demandeurs qui ont choisi de déposer la lettre de l’avocat au soutien de leurs allégations et, à la lumière de la confusion qui émane du contenu de cette lettre, il n’était pas déraisonnable pour la SPR de ne lui accorder aucune valeur probante. Si la lettre de l’avocat contient des informations erronées quant à la teneur des échanges qu’ils ont eus avec ce dernier, il appartenait aux demandeurs de faire corriger ces erreurs avant de déposer la lettre au soutien de leur demande d’asile. En l’espèce, il n’était pas déraisonnable pour la SPR de juger que la recommandation faite par l’avocat pour aider les demandeurs à prouver l’innocence de leur fils était absurde lorsque l’on considère qu’ils prétendent avoir consulté l’avocat pour qu’il les aide à retrouver leur fils disparu.

[16]           Il n’était pas non plus déraisonnable pour la SPR de retenir le fait que les demandeurs n’ont entrepris aucune démarche depuis leur arrivée au Canada pour tenter de retrouver leur fils, et de rejeter l’explication donnée par les demandeurs pour justifier leur inaction, soit qu’ils vivaient du stress. Cette explication, en l’absence de toute preuve médicale, est insuffisante pour expliquer une inaction de trois ans, alors qu’ils auraient pu demander l’aide de leur fille qui habite toujours en Inde ou de l’avocat qu’ils ont consulté avant leur départ.

[17]           Enfin, les demandeurs reprochent également à la SPR d’avoir aussi écarté l’affidavit du Sarpanch et d’avoir mis en doute la disparition de leur fils. Je ne partage pas cet avis. Je considère qu’il n’était pas déraisonnable pour la SPR de conclure qu’il y avait une contradiction entre la déclaration du Sarpanch et le témoignage du demandeur principal. Le Sarpanch a déclaré que les policiers continuaient d’enquêter sur les demandeurs auprès de diverses sources. Le demandeur principal a quant à lui déclaré avoir été informé que les policiers faisaient des rondes devant leur maison, mais sans interroger quiconque, pour par la suite, déclarer que finalement, il ne savait pas si les policiers continuaient de manifester un intérêt à leur endroit. La version du Sarpanch et celle du demandeur diffèrent considérablement. Je considère également qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure qu’il était invraisemblable que les policiers, s’ils recherchaient activement les demandeurs, n’aient pas retrouvé la fille des demandeurs qui habite à quelques kilomètres de leur maison.

[18]           Je considère donc que dans l’ensemble la SPR a analysé la preuve de façon raisonnable et que sa décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir au para 47).

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

« Marie-Josée Bédard »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6832-13

 

INTITULÉ :

PIARA SINGH GILL et GURDIAL KAUR GILL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 juillet 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Claudette Menghile

 

Pour les demandeurs

 

Soury Phommachakr

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Claudette Menghile

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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