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Date : 20140722


Dossier : IMM-5752-13

Référence : 2014 CF 728

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

GHIZLENE HABICHE

demanderesse

et

LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[1]               Un manque de crédibilité au nœud même d’un récit ne peut pas être corrigé par des explications devant la Cour fédérale qui vont à l’encontre de l’ensemble du récit antérieurement formulé devant un décideur des faits.

II.                Introduction

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], d’une décision rendue le 1er août 2013 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [SPR] rejetant la demande de la demanderesse de se faire reconnaitre la qualité de réfugié ou de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

III.             Faits

[3]               La demanderesse, madame Ghizlene Habiche, est citoyenne algérienne. En 2008, elle a épousé monsieur Redouanne Guet, un Algérien ayant obtenu sa citoyenneté canadienne en 2002.

[4]               À la suite de ce mariage, la demanderesse allègue qu’elle aurait été maltraitée par sa belle-famille, qui l’aurait obligée à porter un voile au nom de valeurs islamistes. Elle allègue ainsi avoir été maltraitée par son mari.

[5]               En 2010, elle allègue qu’un homme l’aurait agressé; il aurait pointé un couteau dans ses côtes, lui aurait dit de mettre un voile, aurait volé son sac à main et l’aurait menacé de mort si elle le dénonçait à la police. La demanderesse aurait ensuite porté plainte à la police et l’agresseur aurait été arrêté et condamné à six mois d’emprisonnent.

[6]               Malgré la condamnation de son agresseur, la demanderesse aurait continué à recevoir des appels anonymes disant qu’elle allait payer très cher.

[7]               La demanderesse a quitté l’Algérie et est arrivée au Canada le 16 septembre 2010 après l’obtention d’un visa de visiteur demandé pour assister le mariage de sa sœur.

[8]               En octobre 2010, la mère de la demanderesse a présenté une demande de parrainage qui a été refusée en décembre 2010, car la demanderesse était majeure.

[9]               La demanderesse a demandé l’asile que le 27 janvier 2011 malgré qu’elle est arrivée au Canada le 16 septembre 2010. Par la suite, son mari a déposé une demande de parrainage pour la demanderesse.

[10]           Le 1er août 2013, la demande d’asile de la demanderesse a été rejetée par la SPR. Le 3 septembre 2013, la demanderesse a déposé la présente demande de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision.

IV.             Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[11]           La SPR a considéré que la demanderesse n’était pas crédible à cause de nombreuses contradictions, invraisemblances et incohérences dans son témoignage ainsi que des omissions importantes qui touchaient des éléments essentiels de sa demande d’asile.

[12]           En particulier, la SPR a noté que la demanderesse s’est contredite à plusieurs reprises concernant la complicité de son mari dans les agissements abusifs de sa belle-famille et sa crainte envers ce dernier.

[13]           La SPR a également soulevé des incohérences importantes dans la preuve; notamment, le fait que la demanderesse n’a pas mentionné dans sa plainte à un agent de police qu’elle aurait été agressée physiquement par l’agresseur qui a volé son sac à main. La SPR trouvait ainsi étonnant que la demanderesse n’ait pas mentionné dans sa plainte que son agresseur aurait insisté pour qu’elle porte le voile en lui pointant un couteau dans les côtes.

[14]           La SPR a aussi trouvé invraisemblable que la demanderesse fût forcée d’habiter avec sa belle-famille dans une coopérative, car, selon le dossier pour sa demande de visa, son adresse se trouvait à être chez son père.

V.                Point en litige

[15]           La SPR a-t elle commit une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse?

VI.             Dispositions législatives pertinentes

[16]           Les articles 96 et 97 de la LIPR s'appliquent en l'espèce :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Personne à protéger

Person in need of protection

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VII.          Norme de contrôle

[17]           La jurisprudence de la Cour établit que les conclusions de la SPR sur la crédibilité sont des questions de fait et sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF)).

VIII.       Analyse

[18]           La demanderesse allègue que la SPR a erré dans son analyse des agents persécuteurs en omettant d’examiner les principaux agents persécuteurs et a erré en fondant ses conclusions sur des hypothèses et omettant de considérer son témoignage et ses explications.

[19]           Pour les raisons qui suivent, la Cour constate qu’aucune de ces erreurs n’a été commise par la SPR.

[20]           En l’espèce, la SPR a relevé plusieurs problèmes dans le récit et le témoignage de la demanderesse. Elle a constaté que la demanderesse était incapable de maintenir de façon cohérente son récit et de fournir des explications raisonnables pour les divergences et les contradictions dans son histoire. La conclusion de la SPR était raisonnable compte tenu de ces multiples problèmes non résolus.

[21]           Comme cette Cour l’a affirmé dans l’arrêt Bizarro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 140 :

[18] Il a été reconnu à maintes reprises par cette Cour que la SPR peut raisonnablement fonder ses conclusions négatives au sujet de la crédibilité sur les omissions et les contradictions qu’elle relève au sujet de faits importants allégués dans le Formulaire de renseignements personnels et le témoignage de vive voix (voir Basseghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] ACF 1867 au para 33, 52 ACWS (3d) 165; Feradov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 101 au para 18, 154 ACWS (3d) 1183). De plus, il est loisible à la SPR de rejeter une explication fournie au sujet de telles omissions lorsqu’elle n’est pas raisonnable (Sinan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 87 au para 10). Ainsi, les conclusions de la SPR au sujet des omissions dans le récit écrit de la demanderesse ainsi que son refus des explications de la demanderesse au sujet de ces omissions sont bien fondées. [La Cour souligne.]

[22]           Contrairement aux prétentions de la demanderesse, il est clair que la SPR a considéré son témoignage ainsi que ses explications, mais elle ne les a pas trouvés suffisants pour atténuer les contradictions et les incohérences qui minaient sa crédibilité.

[23]           La Cour ne considère non plus l’analyse de la SPR des agents persécuteurs déraisonnable. La SPR a bien considéré les circonstances de la demanderesse vis-à-vis chacun des agents persécuteurs. Elle a déterminé que les allégations concernant sa belle-famille étaient non fondées, car il y avait plusieurs divergences importantes dans son histoire à cet égard. Elle a aussi trouvé que les allégations contre son agresseur n’étaient pas crédibles, car elle avait omis plusieurs faits importants appuyant ces allégations dans son récit et dans sa plainte à la police.

[24]           La Cour est d’avis que la demanderesse lui demande essentiellement d’apprécier de nouveau la preuve et de substituer sa propre appréciation à celle qui a été faite par la SPR. Il n’appartient cependant pas à la Cour de substituer son jugement aux conclusions de fait tirées par le tribunal (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 181, 146 ACWS (3d) 325 au para 36).

[25]           La Cour apprécie que la demanderesse cherche à rejoindre sa famille au Canada. Cependant, les articles 96 et 97 sont réservés seulement aux cas qui méritent un tel traitement (Horta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 609). Le processus de reconnaissance du statut de réfugié au Canada n’a pas pour but de fournir un moyen rapide et pratique d’obtenir le droit d’établissement aux immigrants qui ne peuvent pas, ou ne voulaient pas, l’obtenir de la manière habituelle (Urbanek c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 144 NR 77, 34 ACWS (3d) 315).

IX.             Conclusion

[26]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse soit rejetée sans aucune question d’importance générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5752-13

 

INTITULÉ :

GHIZLENE HABICHE c LE MINISTÈRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 juillet 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 juillet 2014

 

COMPARUTIONS :

Melanie Calisto Azevedo

 

Pour la demanderesse

 

Soury Phommachakr

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Melanie Alisto Azevedo

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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