Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140717


Dossier : IMM-7218-13

Référence : 2014 CF 702

Montréal (Québec), le 17 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

ISMAEL GARCIA ALVAREZ

PILAR DE LA CARIDAD MORENO FLEITES

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[1]               Einstein a dit que si on ne comprend pas une matière, on ne peut pas l’expliquer à un enfant de douze ans. Beaucoup d’encre sera utilisée, avec des centaines de paroles, sans assurer que l’on comprend ce qu’on discute au nœud de la matière, si le rôle de la Section d’appel des réfugiés [SAR] n’est pas éclairci. L’essence pour le cas devant la Cour est la suivante : quelle entité fait quoi, quand, et selon quels principes de la loi et de la jurisprudence.

[2]               C’est quoi le rôle de la SAR en relation avec la Section de la protection des réfugiés [SPR] et avec la Cour fédérale?

[3]               La SAR est une entité quasi judiciaire spécialisée avec des commissaires qui possèdent les pouvoirs des commissaires enquêteurs selon le paragraphe 111 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[4]               Si la SPR n’évalue pas la preuve avec des raisons à l’appui, c’est là où la SAR devrait intervenir suite à sa propre considération; ou, si la SPR interprète la loi d’une façon erronée, la SAR devrait intervenir également.

[5]               La Cour rappelle que l’anatomie de la SAR dépend de sa compétence et sa compétence dépend entièrement de la loi qui lui a donné le mandat d’exister et d’agir comme tribunal quasi judiciaire spécialisé qui possède également la compétence d’enquêter, ce qu’un juge de la Cour fédérale ne possède pas (également comme la Section d’appel de l’immigration [SAI]).

II.                Introduction

[6]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR, d’une décision rendue le 18 octobre 2013 par la SAR de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rejetant l’appel interjeté par les demandeurs à l’encontre de la décision de la SPR de refuser la demande de leur reconnaître la qualité de réfugiés ou de personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

III.             Faits

[7]               Le demandeur principal, monsieur Ismael Garcia Alvarez, et son épouse, madame Pilar de la Caridad Moreno Fleites, sont citoyens cubains. Ils sont tous deux arrivés au Canada le 27 janvier 2013 et ont demandé l’asile le 15 février 2013.

[8]               Le 10 juillet 2013, la SPR a rejeté leur demande d’asile jugeant qu’ils n’avaient pas établi une possibilité sérieuse de persécution au sens de l’article 96 de la LIPR ou à l’existence de risques ou menaces visés par l’article 97 de la LIPR.

[9]               Les demandeurs ont interjeté un appel à la SAR de cette décision. La SAR a rejeté cet appel le 18 octobre 2013.

[10]           Le 12 novembre 2013, le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision.

IV.             Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[11]           En premier lieu, la SAR a constaté qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience dans la présente affaire puisque les demandeurs n’avaient pas présenté de nouveaux éléments de preuve conforme aux exigences du paragraphe 110(4).

[12]           La SAR s’est ensuite tourné à évaluer le rôle de la SAR en tant qu’instance d’appel et la norme de contrôle applicable aux questions de fait et questions mixtes de fait et de droit, ainsi qu’aux questions de droit pures. En s’appuyant sur l’arrêt Newton v Criminal Trial Lawyers’ Association, 2010 ABCA 399, la SAR a déclaré que, sauf pour les questions de droit ou questions de justice naturelle, il convient pour les membres de la SAR d’adopter une déférence envers les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision raisonnable. La SPR est la mieux placée pour tirer des conclusions de fait parce qu’elle a l’occasion d’examiner la preuve en profondeur, d’entendre les témoins de vive voix et de se familiariser avec l’affaire dans son ensemble (Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235). L’analyse de la SAR doit donc porter sur la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, et non de réévaluer la preuve.

[13]           Sur le bien-fondé de l’appel, la SAR a ensuite déterminé que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans son application de la notion de « persécution » aux faits. La SAR a constaté que la SPR avait raisonnablement conclu que les problèmes subis par les demandeurs n’atteignaient pas le degré requis pour constituer de la persécution. Elle a donc conclu que leur crainte d’être persécutés s’ils devaient retourner vivre à Cuba n’était pas, en fait, une crainte raisonnable.

V.                Point en litige

[14]           La SAR a-t-elle erré en appliquant la norme de la décision raisonnable aux conclusions de la SPR?

VI.             Dispositions législatives pertinentes

[15]           Les articles suivants de la LIPR s'appliquent en l'espèce :

110. (3) Sous réserve des paragraphes (3.1), (4) et (6), la section procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la Section de la protection des réfugiés, mais peut recevoir des éléments de preuve documentaire et des observations écrites du ministre et de la personne en cause ainsi que, s’agissant d’une affaire tenue devant un tribunal constitué de trois commissaires, des observations écrites du représentant ou mandataire du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et de toute autre personne visée par les règles de la Commission.

110. (3) Subject to subsections (3.1), (4) and (6), the Refugee Appeal Division must proceed without a hearing, on the basis of the record of the proceedings of the Refugee Protection Division, and may accept documentary evidence and written submissions from the Minister and the person who is the subject of the appeal and, in the case of a matter that is conducted before a panel of three members, written submissions from a representative or agent of the United Nations High Commissioner for Refugees and any other person described in the rules of the Board.

[…]

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[…]

(6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

(6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.

[…]

111. (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

111. (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions:

 

(a) confirm the determination of the Refugee Protection Division;

 

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

 

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re-determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate.

Renvoi

Referrals

(2) Elle ne peut procéder au renvoi que si elle estime, à la fois :

(2) The Refugee Appeal Division may make the referral described in paragraph (1)(c) only if it is of the opinion that

a) que la décision attaquée de la Section de la protection des réfugiés est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

(a) the decision of the Refugee Protection Division is wrong in law, in fact or in mixed law and fact; and

b) qu’elle ne peut confirmer la décision attaquée ou casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés.

(b) it cannot make a decision under paragraph 111(1)(a) or (b) without hearing evidence that was presented to the Refugee Protection Division.

[…]

162. (1) Chacune des sections a compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait — y compris en matière de compétence — dans le cadre des affaires dont elle est saisie.

162. (1) Each Division of the Board has, in respect of proceedings brought before it under this Act, sole and exclusive jurisdiction to hear and determine all questions of law and fact, including questions of jurisdiction.

VII.          Norme de contrôle

[16]           La question que la Cour doit trancher en l’espèce consiste à déterminer si la SAR a commis une erreur en choisissant la norme de contrôle à appliquer à la décision de la SPR.

[17]           Une cour de révision peut éviter d’effectuer une analyse complète de la norme de contrôle si des décisions antérieures ont réglé la question de façon satisfaisante (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 aux para 57 et 62). En l’espèce, cette Cour ne considère pas qu’une analyse complète de la norme de contrôle soit nécessaire, car cette Cour a statué à plusieurs reprises que la norme de contrôle qui s’applique à de telles questions de droit est celle de la décision correcte (Budhai c Canada (Procureur général), 2002 CAF 298, [2003] 2 CF 57 au para 22; Canada (Procureur général) c Hunter, 2013 CAF 12 au para 4; voir également, Edmonton (Police Service) v Furlong, 2013 ABCA 121, 50 Admin LR (5th) 259).

VIII.       Position des parties

[18]           Les demandeurs font valoir que la décision de la SAR est déraisonnable puisqu’elle a analysé la décision de la SPR dans le cadre d’analyse des contrôles judiciaires. Les demandeurs soutiennent que la SAR devait plutôt procéder à sa propre analyse juridique des faits et non pas simplement reprendre la décision de la SPR sans exercer sa compétence à cet égard.

[19]           Les demandeurs avancent que le législateur, en créant la SAR, avait l’intention de créer une section d’appel avec une compétence étendue et non limitée; limiter les pouvoirs de révision de la SAR reviendrait à copier le travail déjà assuré par la Cour fédérale.

[20]           Pour sa part, le défendeur soutient que la déclaration de la SAR que son rôle n’est pas de réévaluer la preuve est entièrement cohérente avec la norme de la décision raisonnable. Le défendeur affirme que le rôle de la SAR n’est pas de réévaluer la preuve, mais de déterminer si, considérant la preuve, la décision rendue fait partie des issues possibles acceptables. La SAR ne possède pas d’expertise spéciale à l’égard de la SPR quant à l’interprétation des faits ou de la preuve. L’expertise de la SAR est plutôt de trancher des questions de droit pures. Par conséquent, la SAR doit réviser la décision de la SPR selon la norme de la décision raisonnable.

IX.             Analyse

[21]           Le point de droit soulevé dans la présente affaire concerne la norme de contrôle applicable aux conclusions de faits de la SPR devant la SAR. Avec l’exception de la conclusion brève à ce sujet dans l’arrêt récent, Iyamuremye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 494, au paragraphe 40, il n’existe à ce jour aucune jurisprudence analysant en profondeur la norme de contrôle applicable aux décisions devant la SAR.

[22]           Pour identifier la norme applicable à la SAR examinant une décision de la SPR, il faut tout d'abord se demander quelle est la compétence de la SAR.

[23]           En appliquant les règles en matière d’interprétation aux dispositions pertinentes dans l’affaire (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd, [1998] 1 RCS 27), notamment au paragraphe 111(1) de la LIPR, la Cour est d’accord avec les demandeurs que le législateur semble avoir voulu accordé à la SAR un vaste pouvoir d’intervention, permettant à la SAR de rendre des décisions sur le fond même de l’appel et non simplement à décider si la conclusion de la SPR a été rendue de façon « raisonnable » comme l’a constaté le Commissaire dans la présente affaire.

[24]           Le paragraphe 111(1) définit la compétence de la SAR en les termes suivants :

La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés. [La Cour souligne]

[25]           La Cour convient qu’un appel devant la SAR n’est pas un appel de novo; la LIPR limite le pouvoir de la SAR, par comparaison avec la SAI, de tenir compte de nouveaux éléments de preuve et de tenir une audience qu’aux cas exceptionnels (voir les paras 110(4) et 110(6) de la LIPR). Cependant, la Cour ne peut accepter, qu’en conséquence de ces limitations, le législateur avait l’intention d’accorder à la SAR une compétence similaire à celle d’une autorité exerçant un contrôle judiciaire. La Cour ne considère pas que le législateur avait pour but une telle restriction. La Cour trouve le raisonnement dans l’arrêt Parizeau c Barreau du Québec, 2011 QCCA 1498, [2011] RJQ 1506, présenté par les demandeurs à l’appui de leur requête, persuasif et instructif sur ce point (la demande d'autorisation d'appel de cet arrêt a été rejetée par la Cour suprême du Canada le 15 mars 2012 : 2012 CanLII 12782 (CSC)).

[26]           Dan l’arrêt Parizeau, ci-dessus, la Cour d’appel du Québec a constaté ce qui suit par rapport à la norme d’intervention que doit appliqué un tribunal d’appel administratif :

[63] Le Tribunal des professions s'est rangé à cette façon de voir et applique désormais à la détermination de sa propre norme d'intervention le processus analytique propre à la révision judiciaire. C'est d'ailleurs ce qu'il a fait dans le présent dossier.

[64] Or, soit dit très respectueusement, cette manière d'envisager la fonction d'appel du Tribunal des professions soulève des interrogations sérieuses, ainsi que le note la Cour elle-même dans l'arrêt Laliberté c. Huneault.

[...]

[75] Cela dit, si ces enseignements s'imposent lorsque le législateur prévoit que le droit d'appel des décisions d'un tribunal administratif spécialisé s'exerce auprès d'une cour de justice généraliste -- et c'est bien ce dont il est question dans tous ces arrêts de la Cour suprême --, s'appliquent-ils aussi lorsque l'appel est confié à une autre instance administrative, elle aussi spécialisée? Dans le premier cas, en effet, la dynamique propre au droit administratif s'exprime pleinement et la distinction entre instance administrative spécialisée, à qui le législateur a confié la mission experte du développement des normes dans un secteur particulier, et cour de justice généraliste, gardienne de la légalité, tel que souligné plus haut (voir supra, paragr. [69]), commande que l'on traite l'affaire selon les règles de la révision judiciaire. Cette dynamique et l'impératif qui en découle peuvent-ils jouer cependant dans le second cas, lorsque l'instance d'appel relève elle aussi de l'ordre administratif? Les raisons qui justifient la déférence des cours de justice envers les instances administratives spécialisées, raisons qui dérivent de l'organisation et du rôle respectif des branches exécutive et judiciaire de l'État ainsi que du respect de la volonté législative, ne sont guère persuasives quand l'instance d'appel appartient elle aussi à l'ordre administratif et qu'elle est elle aussi investie d'un mandat spécialisé. La présente affaire l'illustre bien.

[...]

[78] Tout cela, et au premier chef le respect de l'intention du législateur, sans parler de la protection du justiciable à qui l'on a donné droit de recours, milite contre l'assimilation de l'appel au Tribunal des professions à une sorte de révision judiciaire et milite aussi contre le développement d'une politique de déférence ayant pour effet de faire de cet appel une simili-révision judiciaire. À notre avis, le Tribunal des professions exerce bel et bien une fonction et une compétence d'appel.

[...]

[81] La Cour suprême et notre cour ont rappelé sans cesse l'enseignement suivant: l'instance d'appel peut en principe corriger toute erreur de droit entachant la décision dont appel ou toute erreur manifeste et dominante dans la détermination des faits ou dans l'application du droit (s'il a été correctement déterminé) aux faits. Cette norme vaut tout aussi bien pour les appels formés auprès de tribunaux administratifs et la norme d'intervention développée en matière d'appel judiciaire est certainement transposable à l'appel quasi judiciaire, avec les réserves et les adaptations qu'imposent la loi particulière de chaque espèce ainsi que les règles générales du droit administratif.

[82] C'est donc en fonction de cette norme que le Tribunal des professions doit examiner les décisions dont il est saisi en appel. C'est du reste la façon dont on a considéré, par exemple, les décisions du Tribunal du travail, à l'époque où celui-ci existait encore et siégeait en appel des décisions des commissaires du travail : voir, par exemple, Vallée c. Hôpital Jean-Talon et Syndicat des enseignants et enseignantes de la banlieue de Québec c. Commission scolaire des Chutes de la Chaudière.

[...]

[89] [...] Il n'y a toutefois là rien de surprenant : chaque fois qu'un tribunal de première instance (qu'il soit judiciaire ou administratif) jouit d'une discrétion importante sur un certain sujet, le tribunal d'appel fait communément preuve d'une retenue accrue.

[90] Cependant, si ce jugement d'appréciation est fondé sur des déterminations factuelles inexactes, le Tribunal des professions peut intervenir pour rectifier ces erreurs, si elles ont influencé l'issue du litige, et « rendre la décision qui […] aurait dû être rendue en premier lieu » (article 182.6 du Code des professions). De plus, le Tribunal sera aussi justifié d'intervenir lorsque le jugement d'appréciation final posé par le Comité des requêtes ne concorde pas avec les faits révélés par la preuve. Dans les deux cas, en effet, il y a une erreur manifeste et dominante justifiant l'intervention du Tribunal. Refuser au Tribunal des professions la possibilité, et même l'obligation, d'intervenir dans ces circonstances équivaudrait à permettre au Comité des requêtes d'agir de manière arbitraire, et non seulement discrétionnaire, ce qui enfreindrait un principe de justice fondamentale. Même s'il est exact que l'inscription ou la réinscription d'une personne au Tableau de l'Ordre n'est pas automatique, elle n'est pas non plus un pur privilège dont l'octroi peut être refusé de manière autoritaire ou capricieuse.

[91] En définitive, c'est là la lecture qu'il faut faire de l'arrêt Brousseau, tenant compte par ailleurs des développements ou, plus justement, des modulations que la jurisprudence des dernières années a apportés à la norme d'intervention en appel et, en particulier, au concept d'« erreur manifeste et dominante » sur les faits. On peut citer notamment les arrêts H. L. c. Canada (Procureur général), prononcé en 2005, Regroupement des CHSLD Christ-Roy (Centre hospitalier, soins longue durée) c. Comité provincial des malades, paragr. 55, et P. L. c. Benchetrit, paragr. 24. L'erreur manifeste et dominante est l'erreur qui, étant telle indiscutablement -- il ne s'agit donc pas d'une divergence de vues sur l'appréciation de la preuve --, détermine l'issue du litige en ce que la conclusion du décideur des faits, c'est-à-dire le dispositif de sa décision, ne peut tenir, rendant ipso facto cette décision déraisonnable. [La Cour souligne.]

[27]           En l’espèce, bien que la question soulevée traite d’un tribunal d’appel distinct à celui dans l’affaire Parizeau, le raisonnement de la Cour d’appel du Québec se révèle tout à fait pertinent. Comme dans cette affaire, la Cour estime que la SAR doit être en mesure de corriger toute erreur de droit entachant une décision de la SPR ou toute erreur manifeste et dominante dans la détermination des faits ou dans l'application du droit aux faits. Elle ne peut pas être assimilée à une sorte de révision judiciaire comme le Commissaire l’a fait en l’espèce.

[28]           Le législateur a confié à la SAR, un tribunal spécialisé (même surspécialisé), une fonction d'appel véritable siégeant en appel d'une décision d'un autre tribunal administratif. Contrairement au rôle d’un tribunal judiciaire exerçant un pouvoir de surveillance et de contrôle des organismes publics, la SAR a comme responsabilité primordiale d’assurer l’intégrité et l’uniformité des procédures devant la SPR, ainsi que de réduire la multiplication inutile des procédures (notamment ceux devant la Cour fédérale). En analysant une décision de la SPR, la SAR doit non simplement déterminer si elle a été rendue de façon « raisonnable », mais plutôt, si la SPR s'est fondée sur un mauvais principe de droit ou a mal apprécié les faits au point de commettre une erreur manifeste et dominante (Housen, ci-dessus).

[29]           « L’erreur manifeste et dominante » est souvent utilisée de façon interchangeable avec la décision « manifestement erronée » ou « déraisonnable ». Cependant, c’est la norme d'intervention propre à l'appel dont un tribunal d’appel spécialisé tel que la SAR doit appliquer lors d’une révision d’une décision et non la norme de contrôle de la décision raisonnable dans le contexte d’une révision judiciaire. Les deux normes, bien qu’ils soient similaires, ne sont pas assimilables.

[30]           Comme la Cour d’appel du Québec a statué dans l’arrêt Parizeau, au paragraphe 66, citant l’affaire Laliberté c Huneault, 2006 QCCA 929, 15 ACWS (3d) 1136 :

[15] [...] Dans tous ces cas, donc, le facteur de la spécialisation du décideur, un facteur présent dans l’ordre administratif mais absent dans l’ordre judiciaire, milite pour que la juridiction d’appel judiciaire fasse preuve d’une certaine mesure de retenue au profit du décideur administratif. Ce facteur ne saurait jouer avec la même intensité lorsque la juridiction d’appel est elle-même un tribunal administratif, dont la spécialité, comme pour le premier décideur, est le droit professionnel et disciplinaire, et qui bénéficie, contrairement aux tribunaux judiciaires dont les jugements sont sujets à appel, de clauses privatives robustes protégeant des décisions que la loi qualifie de finales et exécutoires. [La Cour souligne.]

[31]           La Cour estime que cette interprétation du rôle de la SAR est d’ailleurs appuyée par la jurisprudence par rapport au libellé presque identique du paragraphe 67(2) de la LIPR. Le libellé du paragraphe 67(2) se lit comme suit :

67. (2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente.

67. (2) If the Immigration Appeal Division allows the appeal, it shall set aside the original decision and substitute a determination that, in its opinion, should have been made, including the making of a removal order, or refer the matter to the appropriate decision-maker for reconsideration.

[32]           Cette jurisprudence est particulièrement importante à la question en l'espèce, car elle a refusé d’accorder au paragraphe 67(2) le sens que la SAI a une compétence similaire à celle d’une autorité exerçant un contrôle judiciaire (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Abdul, 2009 CF 967, 3 Admin LR (5th) 181; Mendoza c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 934). Dans l’arrêt Abdul, le juge Michael Kelen a écrit :

[28] Suivant le demandeur, en cas de contestation de la validité juridique de la décision de l’agent des visas, le rôle de la SAI se borne à se prononcer sur le caractère raisonnable de la décision prise par l’agent au sujet du fardeau excessif au moment où cette décision est prise. La SAI a par conséquent outrepassé sa compétence en ne se contentant pas d’évaluer le caractère raisonnable de la décision de l’agent au moment où cette décision a été prise. Le demandeur cite les arrêts Ahir c. Canada (MCI), [1984] 1 C.F. 1098 (C.A.), Canada (MEI) c. Jiwanpuri (1990), 10 Imm. L.R. (2d) 241 (C.A.F.) et Mohamed c. Canada (MEI), [1986] 3 C.F. 90 (C.A.) à l’appui de son argument.

[29] À mon avis, le demandeur se méprend sur le rôle que joue la SAI lorsqu’elle est saisie d’un appel visé par le paragraphe 67(2) of LIPR.

[30] Aucune des décisions susmentionnées n’appuie la thèse du demandeur. Nulle part dans ces décisions la Cour ne suit un raisonnement qui entraverait la compétence de la SAI de rendre des décisions sur le fond qui peuvent ou non l’amener à substituer sa propre appréciation à celle de l’agent des visas. [La Cour souligne.]

[33]           La Cour est d’accord que la SPR, étant le tribunal de première instance, doit se voir accorder une certaine déférence à l’égard de ses conclusions de fait, et de fait et droit. La SPR est la mieux placée pour tirer ces conclusions parce qu’elle est le tribunal de première instance, le tribunal des faits, possédant l’avantage d’avoir entendu les témoignages à vive voix (Housen, ci-dessus). Cependant, la SAR doit néanmoins effectuer sa propre évaluation de l’ensemble de la preuve afin de déterminer si la SPR s'est fondée sur un mauvais principe de droit ou a mal apprécié les faits au point de commettre une erreur manifeste et dominante. L'idée selon laquelle la SAR pourrait substituer une décision attaquée pour celle qui aurait dû être rendue sans premièrement évaluer la preuve est complètement incompatible avec l'objet de la LIPR et la jurisprudence traitant du libellé presque identique du paragraphe 67(2). La Cour estime que la SAR a mal interprété son rôle en tant qu’instance d’appel en statuant que son rôle n’était que d’évaluer si la décision de la SPR appartenait aux issues possibles acceptables selon la norme de la décision raisonnable.

X.                Conclusion

[34]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie et l’affaire est retournée pour examen à nouveau par un panel de la SAR différemment constitué.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire des demandeurs soit accueillie et l’affaire soit retournée pour examen à nouveau par un panel de la SAR différemment constitué avec aucune question d’importance générale à certifier.

Obiter

Suite à une refaite de nouveau de ce cas par la Section d’appel des réfugiés à cause des faits en preuve, cela est possible que le résultat au niveau de la conclusion sera pareil, mais pour des raisons motivées par la SAR d’une façon différente que celles données antérieurement.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7218-13

 

INTITULÉ :

ISMAEL GARCIA ALVAREZ, PILAR DE LA CARIDAD MORENO FLEITES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 juillet 2014

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 juillet 2014

 

COMPARUTIONS :

Stéphanie Valois

 

Pour les demandeurs

 

Thomas Cormie

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stéphanie Valois

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.