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Date : 20140711


Dossier : IMM-3310-13

Référence : 2014 CF 683

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

FEI CHAN LIN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de Joel Bousfield, commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission], en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch.27 [la Loi]. La Commission a rejeté la demande d’asile de la demanderesse, concluant qu’elle n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

I.                   Question en litige

[2]               La présente demande soulève la question de savoir si la décision de la Commission était déraisonnable.

II.                Contexte

[3]               La demanderesse est citoyenne de la Chine. Selon les faits contenus dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), elle craint d’être persécutée parce qu’elle a participé à des activités de maisons-églises chrétiennes secrètes.

[4]               En septembre 2009, une amie de la demanderesse, Chen Yun Jin, a invité la demanderesse à travailler dans une librairie avec elle. La demanderesse a accepté. Elle avait 17 ans à l’époque. L’oncle de Chen Yun Jin, Chen Yao, était le propriétaire de la librairie. Au cours du même mois, la demanderesse a été témoin des effets d’un accident de la route et elle s’est convertie au christianisme, encouragée par Chen Yun Jin. Cette dernière a informé la demanderesse qu’elle pratiquait le christianisme en secret et que Chen Yao était le chef d’une maison-église clandestine.

[5]               Le 27 septembre 2009, la demanderesse a accompagné Chen Yun Jin à une maison-église clandestine. La demanderesse a aimé l’expérience et a continué à prendre part aux rencontres tenues aux domiciles de différents membres, en prenant des précautions de sécurité.

[6]               À la fin du mois de novembre 2009, Chen Yao a donné instruction à la demanderesse ainsi qu’à Chen Yun Jin de distribuer des bibles aux clients de la librairie. La demanderesse et Chen Yun Jin ont conseillé à Chen Yao de ne pas distribuer les bibles, mais Chen Yao croyait que ça ne causerait pas de problèmes. Après qu’il y ait eu distribution de bibles pendant cinq jours, sa librairie a été fermée par la police le 30 novembre 2009. La demanderesse en a été informée par Chen Yun Jin, qui lui a conseillé de se cacher. La demanderesse est allée vivre chez sa tante.

[7]               Le 2 décembre 2009, la mère de la demanderesse l’a informée par téléphone que la police avait fouillé la maison de la demanderesse, interrogé les parents de la demanderesse et accusé la demanderesse d’avoir aidé Chen Yao dans ses activités chrétiennes illégales. La police a ordonné à la demanderesse de se présenter au poste de police.

[8]               La demanderesse ne s’est pas présentée au poste de police. Les policiers sont retournés au domicile des parents de la demanderesse et ils ont laissé une assignation exigeant de la demanderesse qu’elle se présente au poste de police. Les parents de la demanderesse ont fait le nécessaire pour que la demanderesse puisse se cacher dans la ville de Guangzhou. Elle a décidé de fuir la Chine et elle a demandé l’asile au Canada en mars 2010.

[9]               En mai 2010, la demanderesse a appris que des personnes qui avaient été arrêtées pour avoir pris part aux activités de l’église clandestine de Chen Yao avaient été condamnées à une peine d’emprisonnement de trois ans et que les autorités chinoises étaient à sa recherche.

[10]           En juillet 2012, la demanderesse a donné naissance à une fille au Canada. Elle craint que le gouvernement chinois s’en prenne à elle étant donné qu’elle a eu un enfant non autorisé, en tant que femme chinoise non mariée.

[11]           Dans son témoignage, la demanderesse a indiqué qu’en juin 2010, les autorités chinoises ont remis à ses parents un mandat d’arrestation à son nom.

[12]           La question déterminante pour la Commission était celle de la crédibilité. La Commission a fondé sa conclusion principalement sur deux conclusions relatives à la vraisemblance :

i.        La Commission n’a pas trouvé plausible que le chef d’une maison-église clandestine invite si rapidement une jeune fille de 17 ans à ses activités, étant donné la possibilité qu’elle puisse facilement faire connaître l’existence de cette église à d’autres personnes;

ii.      La Commission a jugé qu’il était peu plausible que Chen Yao distribue des bibles à partir de sa librairie, étant donné les mesures de sécurité que les membres de son église prenaient pour empêcher que la police découvre ses activités.

[13]           La Commission précise qu’elle a signalé ces invraisemblances à la demanderesse mais qu’aucune explication satisfaisante n’a été fournie.

[14]           La Commission constate que la demanderesse a déclaré que la police était à sa recherche en mai 2010 et avait remis un mandat d’arrestation à ses parents. Toutefois, la demanderesse n’en a pas fait mention dans son FRP. La Commission a tiré une conclusion défavorable de cette omission.

[15]           Étant donné ces invraisemblances et l’omission susmentionnée, la Commission n’a accordé aucune valeur à la preuve corroborante fournie par la demanderesse, laquelle comprenait un certificat de baptême, des photographies, une lettre d’un révérend de Toronto et une assignation fournie par les autorités chinoises. En ce qui a trait à l’assignation, la Commission signale que ce type de document peut facilement être fabriqué. La Commission est arrivée à la conclusion que la demanderesse n’est pas une chrétienne pratiquante.

[16]           La Commission a reconnu que la demanderesse avait une fille, mais elle a conclu qu’il est peu probable que la demanderesse subisse des préjudices sur ce fondement. La Commission a conclu que la demanderesse laisserait vraisemblablement sa fille au Canada, étant donné que le père de l’enfant est un résident permanent du Canada. Si l’enfant demeurait au Canada, elle ne représenterait pas une menace pour la population en Chine et ne serait donc pas considérée comme un risque pour les autorités chinoises. Même si la demanderesse devait emmener sa fille en Chine, une réponse à la demande d’information (CHN 104185.E) indique que la plupart des personnes qui ne respectent pas la politique de l’enfant unique sont forcées de payer une amende plutôt que d’être soumises à une peine draconienne comme la stérilisation forcée.

III.             Norme de contrôle

[17]           La norme de contrôle est celle de la décision raisonnable (Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 288, par. 15 et 16).

IV.             Analyse

A.                 Crédibilité

[18]           Les conclusions de la Commission quant à la vraisemblance en ce qui a trait à la probabilité qu’une église chrétienne clandestine accepte la demanderesse ne sont fondées sur aucun élément de preuve dont je dispose.

[19]           Les conclusions en matière de crédibilité fondées sur l’invraisemblance ne sont possibles que dans les cas les plus évidents (Vodics c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 783, par. 10 et 11). Comme il est indiqué dans la décision Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, par. 7 [Valtchev] :

7     Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu'il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c'est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu'il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu'on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu'on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22].

[20]           Bien qu’il puisse être déconseillé pour une église clandestine d’admettre un jeune membre ou de distribuer de la documentation par crainte d’attirer l’attention, une telle situation ne constitue pas un « cas évident » en ce sens que les faits en cause se situent en dehors de ce à quoi on peut raisonnablement s’attendre. De plus, la Commission ne cite aucune preuve objective à l’appui de sa conclusion d’invraisemblance. Aucune preuve n’a été présentée pour décrire le niveau de surveillance dont ces églises font l’objet par la police, leurs pratiques habituelles de prosélytisme ou le profil des personnes qui sont admises dans l’église. En l’absence de fondements concrets mis en preuve, les conclusions sur la vraisemblance tirées par la Commission n’étaient que des suppositions.

[21]           En outre, le fait que l’église ait mis en place des mesures de sécurité n’appuie pas les hypothèses de la Commission quant à la vraisemblance du fait que le chef de l’église distribuait des bibles. Bien que la demanderesse ait eu l’occasion de traiter de la vraisemblance, il était déraisonnable de la part de la Commission de tirer une conclusion défavorable parce qu’elle n’a pu expliquer la décision d’un tiers (Valtchev, précité, par. 13).

[22]           La Commission a également agi d’une manière déraisonnable en n’accordant aucune valeur à la preuve corroborante soumise. Même si les événements ne s’étaient pas produits en Chine, il est tout de même établi que la demanderesse est une chrétienne pratiquante au Canada (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 677, par. 26). La Commission aurait dû évaluer l’identité religieuse de la demanderesse au Canada, sans égard à son identité religieuse en Chine.

[23]           La seule autre conclusion quant à la crédibilité citée par la Commission repose sur le défaut de mentionner le mandat d’arrestation dans le récit initial. Je ne crois pas qu’il s’agit là d’un fondement suffisant pour justifier une conclusion défavorable déterminante quant à la crédibilité.

[24]           Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité étaient déraisonnables.

B.                 Risques pour la demanderesse

[25]           La demanderesse affirme que la Commission a agi de façon déraisonnable en évaluant les risques pour une femme non mariée en Chine du fait qu’elle n’a pas tenu compte de la preuve documentaire et de l’objectif de réunification de la famille qui sous-tend la Loi.

[26]           J’estime que la conclusion de la Commission était raisonnable. Il était raisonnable de conclure que les autorités ne sauraient rien de l’enfant de la demanderesse ou si cela devait être le cas, qu’elles n’imposeraient pas une peine sévère à la demanderesse. La Commission a cité et examiné la preuve documentaire qui démontre que la prévalence des peines sévères a diminué au cours des dernières années alors qu’elle n’était pas obligée de citer toute la preuve à ce sujet.

[27]           De plus, je conviens également que le désir de la demanderesse d’avoir d’autres enfants ne représentait pas une question devant être examinée par la Commission, étant donné qu’il ne s’agit-là que d’un risque hypothétique (Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 765, par. 76).

[28]           Toutefois, étant donné ma conclusion quant à la crédibilité, j’accueille la présente demande.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  la demande est accueillie et renvoyée pour nouvel examen par un autre commissaire;

2.                  qu’il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Isabelle Mathieu, B.A., trad.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3310-13

 

INTITULÉ :

FEI CHAN LIN c. LE MINISTRE DE LA CIOTYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JUILLET 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 JUILLET 2014

 

COMPARUTIONS :

Jennifer Luu

 

POUR LA DEMANDERESSE,

FEI CHAN LIN

 

Susan Gans

 

POUR LE DÉFENDEUR,

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BLANSHAY & LEWIS

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE,

FEI CHAN LIN

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR,

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

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