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Date : 20140708


Dossier : T-1678-12

Référence : 2014 CF 664

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

JACK BLACK L.L.C.

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit de l’appel de la décision du registraire des marques de commerce datée du 9 juillet 2012 portant rejet de la demande d’enregistrement de la marque de commerce numéro 1,459,921 à l’égard de la marque JACK BLACK [la marque de commerce]. L’appel est introduit aux termes de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC, 1985, c T-13 [la Loi].

[2]               La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision du registraire et lui ordonnant d’approuver l’enregistrement de la marque de commerce.

[3]               Pour les motifs qui suivent, la Cour conclut que la demanderesse a le droit d’obtenir la réparation demandée.

I.                   Les faits

[4]               Les faits de la présente affaire ne sont pas contestés. D’ailleurs, le défendeur ne s’est pas opposé à ce que la demanderesse dans le présent appel soumette de nouveaux éléments de preuve. La Cour n’a pas eu la possibilité d’entendre des arguments au sujet des éléments de preuve, de leur admissibilité ou de leur caractère suffisant pour étayer la conclusion tirée par le registraire, ni sur la pertinence et la force probante des nouveaux éléments de preuve présentés par la demanderesse dans le présent appel.

[5]               La demande de marque de commerce à l’origine de la décision défavorable du 9 juillet 2012 a été présentée le 20 novembre 2009. La demande portait sur les marchandises suivantes :

1.                  Préparation antisolaire, écran solaire, crème adoucissante, lotions pour la peau, crèmes pour les mains, crème hydratante et baume non médicinal pour les lèvres; lotions après-rasage; baumes pour le rasage; gels de bain; gels à raser; gels douche; lotions pour le visage; produits pour le corps et le visage et produits de soins de la peau anti-rides; antisudorifiques; déodorants personnels, produits coiffants; lotions pour le corps, pommades pour cheveux, savons pour la peau, parfums; lotions nettoyantes pour la peau; eaux de toilette, crèmes pour les yeux, crèmes à raser; crèmes pour la peau; exfoliants pour le visage; lotions de rasage, poudre pour la peau; exfoliants pour le corps; shampoings; revitalisants pour cheveux; produits non médicinaux contre l’acné; produits non médicinaux pour le bain; sels de bain non médicinaux.

2.                  Préparation antisolaire, écran solaire, crème adoucissante, lotion pour la peau, crèmes pour les mains, crème hydratante et baume non médicinal pour les lèvres.

3.                  Lotions après-rasage; baumes pour le rasage; gels de bain; lotions nettoyantes pour la peau; eaux de toilette; crèmes pour les yeux; crème à raser; crèmes pour la peau; exfoliants pour le visage; gels de bain; gels à raser; gels douche; lotions pour la peau; lotions pour le visage; lotions de rasage; lotions nettoyantes pour la peau; produits pour le corps et le visage et produits de soins de la peau anti-rides.

[6]               Une demande d’enregistrement de la marque de commerce JACK BLACK AUTHENTIC et ORIGINAL DESIGN a été déposée en 2004. Il semble qu’on ait laissé la demanderesse se désister de cette demande.

[7]               La marque de commerce a toutefois été employée au Canada bien avant la date de la demande d’enregistrement. Le défendeur ne conteste pas, aux fins de la présente affaire, que la marque JACK BLACK est employée au Canada depuis janvier 2002. La marque de commerce JACK BLACK semble même avoir été employée aux États-Unis (É.-U.) depuis 1999 et une demande d’enregistrement de cette marque de commerce aux États-Unis a été déposée le 17 juin 1999. La demanderesse affirme, dans les nouveaux éléments de preuve présentés à la Cour, que le nom a été inventé sans qu’elle sache que quelqu’un portait le nom de Jack Black.

[8]               La marque de commerce a été enregistrée dans un certain nombre de pays. La demanderesse soutient, dans les nouveaux éléments de preuve, que l’enregistrement de la marque de commerce n’a fait l’objet d’aucune plainte ou contestation, notamment de la part de personnes portant le nom de « Jack Black », y compris de l’acteur portant ce nom. Apparemment, seul le registraire des marches s’est opposé à l’enregistrement et il a soulevé l’objection de sa propre initiative.

[9]               Enfin, les nouveaux éléments de preuve établissent que les produits de soin de la peau ont été vendus et annoncés dans des revues à large diffusion en Amérique du Nord. Ces produits sont également en vente sur Internet par des distributeurs haut de gamme bien connus. En d’autres termes, les éléments de preuve présentés à la Cour révèlent que ces produits ne sont pas nouveaux et qu’ils sont assez largement distribués.

II.                La décision

[10]           De nombreux courriers ont été échangés entre la demanderesse et le registraire (par l’intermédiaire d’un examinateur) à la suite de la demande d’enregistrement. La première réaction date du 9 mars 2010 : l’opposition à l’enregistrement était fondée, à cette époque, sur les alinéas 9(1)k) et 12(1)a) de la Loi. Ces alinéas se lisent comme suit :

Marques interdites

Prohibited marks

9. (1) Nul ne peut adopter à l’égard d’une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque composée de ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu’on pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui suit :

9. (1) No person shall adopt in connection with a business, as a trade-mark or otherwise, any mark consisting of, or so nearly resembling as to be likely to be mistaken for,

k) toute matière qui peut faussement suggérer un rapport avec un particulier vivant;

(k) any matter that may falsely suggest a connection with any living individual;

Marque de commerce enregistrable

When trade-mark registrable

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

a) elle est constituée d’un mot n’étant principalement que le nom ou le nom de famille d’un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes;

(a) a word that is primarily merely the name or the surname of an individual who is living or has died within the preceding thirty years;

[11]           Pour ce qui est de l’application de l’alinéa 9(1)k), l’examinateur affirmait que la marque n’était pas [traduction] « enregistrable, puisque JACK BLACK est un acteur, comédien et musicien connu internationalement ». Cela est toujours la raison pour laquelle le registraire s’oppose à l’enregistrement. Une marque dont l’article 9 interdit l’adoption ne peut être enregistrée (alinéa 12(1)e)). Dans la même veine, l’examinateur prétendait que, selon l’alinéa 12(1)a), il n’était pas possible d’enregistrer la marque parce que [traduction] « la [...] demande [était] principalement le nom d’un particulier vivant connu ».

[12]           La demanderesse a présenté des arguments concernant ces oppositions le 23 août 2010. En fait, elle a présenté d’autres arguments les 13 janvier et 21 novembre 2011 ainsi que le 27 janvier 2012. À la suite des arguments du 23 août 2010, le registraire a retiré son opposition fondée sur l’alinéa 12(1)a). La demanderesse soutient que cela s’explique par le fait que le registraire a reconnu que la marque de commerce JACK BLACK n’était pas constituée d’un mot n’étant principalement que le nom d’un particulier vivant, l’acteur Jack Black. Restait donc l’opposition fondée sur l’alinéa 9(1)k) qui a fait l’objet des nombreux arguments qui suivent.

[13]           La demanderesse a prétendu que l’évaluation qu’exige l’alinéa 9(1)k) de la Loi doit s’effectuer au moment où la marque de commerce a été adoptée. En l’espèce, la marque de commerce a été adoptée en 1999, aux États-Unis et, selon l’argument de la demanderesse, l’acteur n’était pas très connu en 1999, au moment où la demanderesse a présenté sa demande d’enregistrement aux États-Unis. Il était donc impossible que la marque soit confondue avec un particulier vivant au moment de son adoption.

[14]           L’examinateur a poursuivi son opposition. En fin de compte, une décision a été rendue le 9 juillet 2012. La décision contenait les éléments suivants :

a)                  la date pertinente pour l’évaluation effectuée aux termes de l’alinéa 9(1)k) est celle de l’adoption de la marque de commerce qui, par l’effet de l’article 3 de la Loi, serait janvier 2002, moment auquel le produit a été vendu pour la première fois au Canada et non pas lorsque la marque a été présentée pour enregistrement aux États-Unis (17 juin 1999);

b)                  les documents, obtenus d’Internet, montrent que [traduction] « Jack Black avait une certaine réputation au Canada à la date de l’adoption de la marque par la demanderesse »; cet élément de « preuve » établit qu’un secteur non négligeable du public canadien avait un rapport avec Jack Black, l’acteur, comédien et musicien de renommée internationale »;

c)                  l’alinéa 9(1)k) laisse entendre qu’il suffit que la demande d’enregistrement d’une marque soit faite par un requérant qui n’est pas le particulier vivant mentionné à l’alinéa 9(1)k), et que, par conséquent, étant donné que la demanderesse n’est pas Jack Black, un lien  est faussement suggéré en l’espèce.

Par conséquent, la marque n’est pas enregistrable par application de l’alinéa 37(1)b) de la Loi. Il se lit ainsi :

Demandes rejetées

When applications to be refused

37. (1) Le registraire rejette une demande d’enregistrement d’une marque de commerce s’il est convaincu que, selon le cas :

37. (1) The Registrar shall refuse an application for the registration of a trade-mark if he is satisfied that

b) la marque de commerce n’est pas enregistrable;

(b) the trade-mark is not registrable, or

III.             Les arguments

[15]           Le défendeur en l'instance, le procureur général [PG], a déclaré qu'il lui [traduction] « importe peu que la demanderesse obtienne ou non l’enregistrement de la marque de commerce JACK BLACK » (Mémoire des faits et du droit du défendeur, paragraphe 6). Le PG ne présente des arguments que sur deux questions :

a)                  le mot « adopter » à l’article 9 ne peut viser une adoption à l’extérieur du Canada, compte tenu de l’article 3 de la Loi;

b)                  la date pertinente pour évaluer le caractère enregistrable aux termes de l’alinéa 12(1)e) n’est pas la date de l’adoption de la marque au Canada, comme l’a déclaré le registraire, mais plutôt la date de la décision.

[16]           Pour ce qui est de l’interprétation de l’article 3 de la Loi, le PG s’appuie sur le libellé de l’article et sur l’idée que le fait de se fonder sur l’adoption d’une marque à l’extérieur du Canada irait à l’encontre de l’objectif de la Loi qui vise à favoriser l’adoption, l’emploi et l’enregistrement des marques de commerce au Canada. L’article 3 est ainsi libellé :

Quand une marque de commerce est réputée adoptée

When deemed to be adopted

3. Une marque de commerce est réputée avoir été adoptée par une personne, lorsque cette personne ou son prédécesseur en titre a commencé à l’employer au Canada ou à l’y faire connaître, ou, si la personne ou le prédécesseur en question ne l’avait pas antérieurement ainsi employée ou fait connaître, lorsque l’un d’eux a produit une demande d’enregistrement de cette marque au Canada.

3. A trade-mark is deemed to have been adopted by a person when that person or his predecessor in title commenced to use it in Canada or to make it known in Canada or, if that person or his predecessor had not previously so used it or made it known, when that person or his predecessor filed an application for its registration in Canada.

[17]           Le PG s’appuie sur une décision de la Commission des oppositions des marques de commerce [COMC] (Villeneuve et al c Mazsport Garment Manufacturing Inc, 50 CPR (4th) 127) pour affirmer que la date de la décision est la date à laquelle il convient d’effectuer l’évaluation relativement au critère de l’alinéa 9(1)k). Quoi qu’il en soit, le PG soutient que, d’après les faits de l’affaire, la date choisie importe peu (2002 ou 2012) puisque les éléments de preuve sont tels qu’il y a lieu d’examiner la décision avec [traduction] « retenue » (paragraphe 21, Mémoire des faits et du droit du défendeur). Le PG cite McDonald's Corp c Silcorp Ltd (1989), 24 CPR (3d) 207 (CFPI), pour affirmer qu’en appel, la Cour doit tenir compte du fait que le registraire possède des connaissances spécialisées.

[18]           De son côté, la demanderesse présente un certain nombre d’arguments. Elle s’appuie sur Rogers Communications Inc. c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 RCS 283, pour soutenir que la norme de contrôle applicable en matière d’interprétation des articles 3 et 9 de la Loi est celle de la décision correcte. Elle soutient ensuite que la date de l’adoption est la date pertinente, qui serait donc, à son avis, la date de l’adoption de la marque aux États-Unis (1999). Étant donné que l’article 3 est une disposition déterminative, le mot « adopter » n’a pas été défini intégralement, ce qui permet d’affirmer que la date de l’adoption de la marque est la date pertinente.

[19]           Sur un autre plan, la demanderesse soutient que l’acteur Jack Black n’a pas acquis une très grande réputation au Canada et qu’il n’est donc pas possible de dire que la marque de commerce lui ressemble au point où elle peut faussement suggérer un rapport avec un particulier vivant.

[20]           Enfin, la demanderesse soutient que l’interprétation donnée à l’article 3 de la Loi est une interprétation nouvelle qui est apparue dans la dernière lettre de refus. Cet aspect va à l’encontre du paragraphe 37(2) de la Loi qui oblige le registraire à faire connaître aux requérants ses objections et à leur donner une occasion convenable d’y répondre.

IV.             L’analyse

[21]           L’affaire n’a pas été pleinement plaidée au fond, étant donné la position qu’a adoptée le PG qui a choisi, en réalité, de soulever deux questions de droit : la question de savoir si l’adoption d’une marque de commerce aux fins de la Loi peut s’effectuer à l’extérieur du Canada et celle de savoir si la date pertinente, aux fins de déterminer si une marque de commerce est enregistrable aux termes de l’alinéa 12(1)e), est la date de son adoption au Canada, la date de son adoption à l’extérieur du Canada ou la date de la décision.

[22]           Ces questions ne se posent toutefois pas si, d’après les éléments de preuve versés au dossier, le critère de l’alinéa 9(1)k) est respecté. En l’espèce, l’information qu’a examinée le registraire consiste, pratiquement, en des imprimés de pages Internet qui ne permettent pas de savoir qu’elle est l’ampleur exacte de la réputation dans ce pays de ce particulier vivant.

[23]           D’un autre côté, le nouvel élément de preuve présenté sous la forme de l’affidavit du cofondateur de Jack Black, LLC , conformément au paragraphe 56(5), établit ce qui suit:

i)                    la marque de commerce JACK BLACK a été adoptée à l’origine sans que la demanderesse sache qu’un acteur portait ce nom et son emploi n’a jamais été contesté, que ce soit au Canada ou à l’étranger, par cet acteur ou par quelqu’un d’autre;

ii)                  la marque de commerce a été enregistrée dans de nombreux autres pays sans que cela soulève de problème;

iii)                il n’y a pas un seul cas où des produits de soins personnels ont été vendus à des acheteurs qui ont cru à tort qu’il existait un rapport entre les produits JACK BLACK et l’acteur JACK BLACK.

[24]           Si l’on compare l’information sur laquelle le registraire s’est fondé en l’espèce pour en arriver à une conclusion à celle dont il disposait dans d’autres affaires touchant l’article 9 de la Loi, on est frappé par le peu d’information dont il disposait en l’espèce. En fait, d’autres dossiers dans lesquels les preuves étaient beaucoup plus solides n’ont pas satisfait au critère de l’alinéa 9(1)k) de la Loi, et la marque n'a donc pas été interdite.

[25]           Dans l’affaire Waltrip c Boogiddy Boogiddy Racing Inc, 2007 CanLII 80867 (CA COMC) [Waltrip], on avait présenté de nombreux éléments de preuve quant à l’ampleur de l’utilisation par Darrell Lee Waltrip, un commentateur sportif pour les courses NASCAR diffusées au Canada qui avait un auditoire d’environ 5,8 millions d’amateurs de courses NASCAR dans ce pays, de l’expression Boogity Boogity Boogity, qu’il employait au début de chaque course NASCAR. Cette même expression se retrouvait, bien visible, sur des marchandises vendues dans ce pays. Waltrip s’est opposé à la demande d’enregistrement de la marque de commerce Boogity Boogity Boogity et il a échoué. Pour ce qui est de l’argument selon lequel l’alinéa 9(1)k) trouvait application dans cette affaire, la COMC a déclaré que les éléments de preuve étaient insuffisants :

En l’espèce, la preuve établit que les courses NASCAR sont suivies par un vaste auditoire au Canada et qu’elles y jouissent d’une popularité grandissante. On peut présumer que de nombreux amateurs ont déjà entendu la formule signature « BOOGITY BOOGITY BOOGITY » au début d’une course, mais il n’a pas été démontré qu’un grand nombre de Canadiens fera le lien entre cette formule et Darrell Waltrip, ni même qu’ils reconnaîtraient le nom de ce dernier. À cet égard, bien que M. Colley ait annexé à son affidavit des copies de page Web présentant des articles, des entrevues et des commentaires d’amateurs qui font foi de la popularité de Darrell Waltrip et de la formule qu’il a adoptée, l’opposant n’a fourni aucun élément de preuve témoignant du nombre de Canadiens qui ont vraisemblablement consulté ces sites Web ou lu ces articles. M. Waltrip affirme que plusieurs rédacteurs de nouvelles de sport et chroniqueurs de magazine qui l’ont interviewé pour des articles l’ont surnommé « M. Boogity », notamment dans le Sports Illustrated et dans le Fox Sports, mais il n’a produit aucune copie de ces articles. Enfin, bien que l’opposant ait commercialisé et vendu des produits au Canada depuis mars 2004, par l’intermédiaire de sa boutique virtuelle, le chiffre d’affaires correspondant à la vente d’articles de marque BOOGITY BOOGITY BOOGITY au Canada n’a pas fourni, et aucun renseignement quant au nombre de Canadiens ayant visité son site Web n’a été déposé en preuve. [Non souligné dans l’original.]

[26]           Voici une autre affaire dans laquelle le rapport avec un particulier vivant n’a pas été jugé suffisamment étroit; il s'agit de l’affaire Aykroyd c Brews Brothers Coffee Corp, 1997 CanLII 15866 (CA COMC) [Aykroyd]. La COMC a jugé qu’[traduction] « un nombre important de Canadiens connaissent le nom de “Blues Brothers”, ce qui pourrait donner à penser à ces Canadiens qu’il existe un rapport avec un particulier vivant, à savoir Daniel E. Aykroyd ». La conclusion tirée de ce dossier particulier se lit ainsi :

[traduction]

L’opposant ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve qui exigeait qu’il établisse la popularité de Daniel E. Aykroyd au Canada. J’estime que les éléments de preuve ne me permettent pas de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le consommateur moyen qui achèterait du thé ou du café portant la marque de commerce BREWS BROTHERS serait trompé par l’utilisation de la marque de commerce BREWS BROTHERS en liaison avec les marchandises du requérant, et penserait qu’un particulier vivant, Daniel E. Aykroyd, qui a utilisé le même nom, “Blues Brothers”, a parrainé/approuvé les marchandises, ou accordé un permis à leur sujet ou que ces marchandises ont un rapport avec les activités de Daniel Aykroyd.

[Non souligné dans l’original.]

[27]           La COMC a comparé les éléments de preuve à ceux qui avaient été présentés dans Carson c Reynolds, (1980) 49 CPR (2d) 57 [Carson], une décision du juge Mahoney de la Cour. La COMC a déclaré :

[traduction]

Dans une des affaires citées par l’opposant, Carson c Reynolds (1980), 49 C.P.R. (2d) 57 (C.F.P.I.), le juge Mahoney était en possession de nombreux éléments de preuve tirés d’une enquête concernant la mesure dans laquelle le public canadien connaissait l’émission Tonight Show et la popularité personnelle de Johnny Carson au Canada. Pour ma part, je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que Daniel E. Aykroyd est célèbre et qu’il est associé dans l’esprit du public avec la marque de commerce BLUES BROTHERS. J’ai donc rejeté ce deuxième motif d’opposition.

[Non souligné dans l’original.]

[28]           Il n’y a rien de comparable dans la présente affaire. La preuve non contestée présentée en l’espèce démontre que la demanderesse n’a jamais eu l’intention d’établir un rapport avec l’acteur Jack Black, et qu’il n’y a pas eu de plainte depuis le début de l’emploi de la marque de commerce aux États-Unis en 1999, au Canada depuis 2002 et ailleurs dans les pays où la marque de commerce est déjà enregistrée. La décision en l’espèce est fondée sur des imprimés de page Internet qui ne sont pas appuyés sur des preuves d’une solidité comparable à celles qui avaient été présentées dans Waltrip, Aykroyd et Carson. En termes simples, il n’a pas été établi que le public canadien connaissait une personne du nom de Jack Black, encore moins que cette connaissance atteignait un niveau pouvant être qualifié de célébrité.

[29]           À mon avis, la conclusion du juge Cullen dans Bousquet également connu sous le nom de Jean Cacharel SA et al c Barmish Inc, (1991) 37 CPR (3d) 516, s’impose dans le dossier soumis à la Cour. Dans le contexte de l’examen relatif à l’alinéa 9(1)k), le juge Cullen a conclu de la façon suivante au sujet d’un rapport avec un particulier vivant :

J’estime toutefois que les requérants ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer que Jean Cacharel a acquis une solide réputation au sein du public canadien à la date d’adoption de la marque de commerce ou à la date de son enregistrement. Dans l’affaire Carson, le juge Mahoney disposait d’éléments de preuve considérables sous forme de sondage au sujet de la notoriété personnelle du requérant au Canada. Bien qu’à mon avis une preuve par sondage ne soit pas la seule façon d’établir l’existence d’une solide réputation au sein du public au sens de l’alinéa 9(1)k), il m’est impossible de conclure, d’après la preuve soumise par les requérants, que Jean Cacharel était suffisamment célèbre au Canada. Les requérants ont soumis des lettres écrites entre 1969 et 1973 à Jean Cacharel par quatre détaillants cherchant à distribuer des vêtements CACHAREL, mais cette preuve ne me convainc pas que Jean Cacharel avait personnellement acquis une solide réputation au sein du public. Les requérants citent également des journaux et des périodiques étrangers dans lesquels le nom de Jean Cacharel a été mentionné entre 1972 et 1974, mais on ne m’a présenté aucune preuve sur le tirage de ces publications au Canada. J’estime que les requérants n’ont pas établi que Jean Cacharel avait une réputation suffisamment solide au sein du public pour que je puisse conclure que l’emploi du mot CACHAREL suggérerait un rapport avec la personne de Jean Cacharel.

[30]           J’en arrive à la même conclusion en l’espèce, compte tenu du dossier. La demanderesse a démontré, dans le dossier, que la marque de commerce n’est pas principalement que le nom d’un particulier. En fait, l’objection formulée par l’examinateur a été retirée. Rien n’indique que la marque ait acquis un caractère distinctif au Canada ou que le nom ait joui d’une grande popularité dans ce pays. David Vaver a résumé la question dans le traité Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade-marks, 2e éd., Toronto, Irwin Law Inc., 2011, à la page 485 :

[traduction]

Un élément suggérant faussement l’existence d’un rapport avec un particulier vivant (y compris un portrait ou une signature) ne peut être utilisé ou enregistré sans le consentement de ce dernier. […] Le particulier en question doit toutefois jouir d’une grande popularité, ce qui veut dire qu’il doit être célèbre en pratique dans l’ensemble du Canada.

[31]           Comme cela est résumé dans le traité Hughes on Trade-marks (Roger T. Hughes et al, Hughes on Trade-marks, 2e éd., Markham (Ont.), Butterworths, 2005, (auto-relieur mis à jour en 2014, publication 38)), au paragraphe 44 :

[traduction]

Lorsque de nouveaux éléments de preuve sont présentés en appel, la Cour doit tout d’abord décider si les éléments de preuve en question auraient eu un effet important sur la décision du registraire. Si la réponse est oui, la Cour doit alors trancher elle‑même la question en litige.

Dans la même veine, voir le jugement rendu par la majorité de la Cour d’appel fédérale dans Brasserie Molson c John Labatt Ltée, [2000] 3 CF 145, aux paragraphes 46 à 51.

[32]           Non seulement il n’y a aucun élément de preuve de ce genre, mais les éléments de preuve présentés en appel par la demanderesse, sans opposition, tendent à confirmer qu’il n’a pas été suggéré faussement qu’il existait un rapport avec un particulier vivant après plus de 10 ans d’emploi de la marque de commerce au Canada et ailleurs.

[33]           L’absence de preuve établissant l’existence d’une solide réputation au sein de la population canadienne pour appuyer la conclusion du registraire relative à l’application de l’alinéa 9(1)k) combinée aux nouveaux éléments de preuve qui tendent à montrer qu’il n’existe pas un tel rapport au Canada, démontrent qu’il y a lieu de faire droit à l’appel. Les nouveaux éléments de  preuve auraient eu un effet important sur la décision du registraire puisqu’ils montraient encore plus clairement que la marque de commerce ne suggérait pas faussement l’existence d’un rapport avec un particulier, rapport que l’examinateur a déduit de la lecture d’imprimés informatiques.

[34]           Il est donc fait droit à l’appel. La demande no 1,459,921 doit être approuvée et annoncée dans le Journal canadien des marques de commerce. Aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT

LA COUR STATUE qu’il est fait droit à l’appel. La demande no 1,459,921 doit être approuvée et annoncée dans le Journal canadien des marques de commerce. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Yvan Roy »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1678-12

 

INTITULÉ :

JACK BLACK SARL c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 octobre 2013

 

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT :

le juge ROY

 

DATE DES MOTIFS Et

DU JUGEMENT :

le 8 juillet 2014

 

COMPARUTIONS :

Mark K. Evans

 

pour lA demanderesse

 

Abigail Browne

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour lA demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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