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Date : 20140710


Dossier : IMM-2834-13

Référence : 2014 CF 673

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

JOSE LUIS FIGUEROA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], de la décision datée du 28 mars 2013 par laquelle une agente de Citoyenneté et Immigration Canada (la déléguée du ministre ou déléguée) a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (demande CH) présentée par M. Jose Luis Figueroa sous le régime de l’article 25 de la LIPR.

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande est accueillie, et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent.

I.                   FAITS

[3]               M. Figueroa est un citoyen du Salvador âgé de 47 ans. M. Figueroa a été membre du Frente Farabundo Marti para la Liberacion Nacional (front de libération nationale Farabundo Martí – FMLN) de 1986 à 1995 environ. Pendant qu’il était à l’Université d’El Salvador, M. Figueroa est devenu membre du Partido Comunista Salvadoreno (parti communiste salvadorien – PCS), un des cinq mouvements de résistance qui se sont ralliés sous l’égide du FMLN pour s’opposer au régime militaire qui contrôlait alors le Salvador. En 1979, un coup d’État a entraîné la mort de protestataires et mené en définitive à une guerre civile qui a duré plus de 12 ans.

[4]               M. Figueroa jouait le rôle de militant politique au sein du FMLN. Il n’a pas pris les armes contre le gouvernement. Il enseignait à des étudiants la situation politique au Salvador et les encourageait à adhérer au FMLN pour aider à changer les choses. Le PCS avait une aile armée, les Fuerzas Armadas de Liberacion (forces armées de libération – FAL), mais M. Figueroa n’a jamais été impliqué dans le conflit armé. M. Figueroa n’était pas mêlé aux FAL ni aux autres mouvements armés jusqu’à ce que les accords de paix soient conclus au début des années 1990, sous les auspices des Nations unies. Après avoir obtenu son diplôme en 1992, il a enseigné à d’anciens combattants pour faciliter leur retour à la vie civile.

[5]               M. Figueroa s’est marié en 1993. À la fin de 1995, il a quitté le Salvador en vue de se rendre au Canada. Sa femme l’a rejoint en cours de route, et ils sont arrivés au Canada en avril 1997. Ils ont demandé l’asile le 6 mai 1997, et leur demande a été rejetée le 25 mai 2000. Les questions déterminantes étaient la crédibilité (le commissaire ne croyait pas qu’ils risquaient d’être assassinés en raison de l’appartenance passée de M. Figueroa au FMLN) et le changement de la situation au Salvador.

[6]               Depuis l’arrivée de Mme et de M. Figueroa au Canada, M. Figueroa est le principal gagne‑pain de la famille. Leurs trois enfants sont tous nés au Canada; Jose Ivan, en août 1997, Esmeralda, en mars 2004, et Ruby Alexandra, en mai 2007. Jose Ivan a reçu un diagnostic d’autisme en 2002. Grâce au dévouement et au soutien de ses parents, conjugués aux services offerts par son école et d’autres organismes, Jose Ivan, aujourd’hui âgé de 15 ans, a un [traduction] « haut niveau de fonctionnement » et est maintenant dans une classe intégrée de 8e année.

[7]               Deux des sœurs de M. Figueroa sont des résidentes canadiennes qui vivent dans la même ville que lui, en Colombie‑Britannique. Trois de ses demi‑sœurs et un demi‑frère demeurent aux États‑Unis. M. Figueroa a un frère qui vit toujours au Salvador.

[8]               En juin 2002, le couple a présenté depuis le Canada une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. En décembre 2003, leur demande a été renvoyée pour examen des risques avant renvoi (ERAR) aux fins d’une double évaluation en raison des risques allégués.

[9]               Le 9 juillet 2004, une décision défavorable a été rendue au terme de l’ERAR. L’agent a toutefois tiré une conclusion favorable relativement aux considérations d’ordre humanitaire, en se fondant plus précisément sur l’intérêt supérieur de Jose Ivan. L’agent a noté l’absence de traitement et d’écoles spéciales au Salvador, et l’incidence qu’un changement de milieu aurait sur Jose Ivan. Ainsi, le 12 juillet 2004, M. Figueroa et sa femme ont reçu une évaluation favorable à la première étape de leur demande de résidence permanente (c.‑à‑d. que leur demande de résidence permanente présentée en vertu de l’article 25 de la LIPR serait traitée depuis le Canada).

[10]           À la suite d’une entrevue menée le 6 juillet 2009 par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada, il a été conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Figueroa était interdit de territoire au Canada pour raison de sécurité aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Un rapport a été établi en application de l’article 44 le 7 juillet 2009, et l’enquête a été fixée au 29 avril 2010. Dans une décision datée du 5 mai 2010, la Section de l’immigration a conclu que M. Figueroa était interdit de territoire et a pris une mesure d’expulsion contre lui. M. Figueroa a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision, mais l’autorisation lui a été refusée le 30 août 2010.

[11]           Dans une lettre datée du 28 juillet 2010, M. Figueroa a demandé un examen au titre du paragraphe 34(2) (abrogé en 2013 par suite de l’adoption de la Loi accélérant le renvoi des criminels – projet de loi C‑43, qui a reçu la sanction royale le 19 juin 2013) et de l’article 25 de la LIPR. Cette demande a été renvoyée à la déléguée du ministre, étant donné que l’agent d’immigration qui était saisi de l’affaire n’avait pas le pouvoir de trancher la question. Le 9 avril 2013, Mme Figueroa a été avisée que sa demande CH était accueillie. Le 22 avril 2013, M. Figueroa a été avisé que sa demande CH était rejetée. Sa demande de dispense ministérielle présentée au titre du paragraphe 34(2) n’a pas encore été tranchée.

II.                DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[12]           Il me paraît utile de décrire plus en détail les conclusions de la déléguée du ministre. Karine Roy-Tremblay, directrice, Détermination des cas, Direction générale du règlement des cas, a rendu la décision.

[13]           M. Figueroa avait déjà admis avoir été membre du FMLN de 1986 à 1995. La déléguée a noté que M. Figueroa avait adhéré au FMLN volontairement et qu’il organisait des réunions, recrutait de nouveaux membres et enseignait à des membres du FMLN dans des camps de démobilisation. Bien que le FMLN soit aujourd’hui un parti politique reconnu au Salvador et qu’il forme l’actuel gouvernement, la déléguée a affirmé que, à l’époque où M. Figueroa en était membre, le FMLN était [traduction] « considéré comme une organisation impliquée dans la perpétration d’actes de terrorisme contre des civils ». La déléguée a précisé les actes de violence commis par le FMLN et a tiré la conclusion suivante sur l’admissibilité de M. Figueroa :

[traduction] De plus, la Section de l’immigration a conclu que M. Figueroa ne participait qu’à des activités politiques pour le FMLN et n’était impliqué dans aucune campagne ou action violente; toutefois, M. Figueroa n’était pas un simple sympathisant de la cause, il était membre de l’organisation du FMLN, et son implication sous quelque forme que ce soit comprenait sa participation à l’organisation, et donc son appartenance à l’organisation. Par conséquent, une mesure d’expulsion a été prise contre M. Figueroa le 5 mai 2010.

D’après l’information qui m’a été présentée, j’ai des motifs raisonnables de croire que M. Figueroa était membre d’une organisation qui se livrait au terrorisme. Je conclus donc que M. Figueroa est interdit de territoire aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

[14]           En examinant les considérations d’ordre humanitaire, la déléguée a noté que les principaux facteurs de la demande CH de M. Figueroa étaient l’intérêt supérieur de ses enfants et son établissement au Canada.

[15]           La déléguée a reconnu que les trois enfants seraient touchés si leur père était renvoyé. Elle a tenu compte du diagnostic de Jose Ivan et du rôle que M. Figueroa avait joué dans le développement de son fils, mais a conclu que les éléments de preuve ne suffisaient pas à établir que Jose Ivan ne continuerait pas à progresser et ne poursuivrait pas son éducation si son père était renvoyé. Selon la déléguée, Jose Ivan continuerait de profiter du soutien de sa mère, de son école et du réseau social familial.

[16]           La déléguée a noté que M. Figueroa vivait au Canada depuis 1997, mais avait eu recours à l’aide sociale une seule fois : quand lui et Mme Figueroa attendaient l’autorisation de leurs permis de travail en 1997. Lui et sa famille sont membres d’une église dans leur collectivité, et les [traduction] « nombreuses lettres » présentées pour le compte de M. Figueroa [traduction] « précisent toutes à quel point il est un membre estimé de sa collectivité et un homme résolument dévoué à sa famille, et comment il ne constitue pas un danger pour le pays ».

[17]           La déléguée a déterminé que M. Figueroa et sa femme vivaient au Canada depuis 15 ans, qu’ils avaient trois enfants nés au Canada et que, selon les éléments de preuve, ils étaient bien établis au Canada sur le plan économique et sur le plan social. De l’avis de la déléguée du ministre, l’intérêt supérieur des enfants était la considération d’ordre humanitaire la plus impérieuse. Sur ce fondement, la déléguée a accueilli la demande de Mme Figueroa pour permettre à celle‑ci de continuer de vivre et de prendre soin des enfants au Canada.

[18]           Toutefois, la déléguée a conclu que la dispense demandée par M. Figueroa ne pouvait être accordée. Son interdiction de territoire au Canada s’expliquait par de graves raisons de sécurité, et les difficultés auxquelles il faisait face étaient [traduction] « prévues par la LIPR, […] compatibles avec les objectifs de la LIPR, et non le résultat de circonstances indépendantes de la volonté de M. Figueroa, car il a, à un moment de sa vie, choisi de devenir membre d’une organisation impliquée dans la perpétration d’actes terroristes et en est resté membre actif pendant une longue période ».

[19]           La déléguée a reconnu que la réunification de la famille est un des objectifs de la LIPR, mais elle a souligné que la séparation dans ce cas‑ci résultait de la décision prise par M. Figueroa de devenir membre du FMLN, qui [traduction] « commettait des actes de terrorisme ». La déléguée a indiqué être [traduction] « convaincue » que M. Figueroa pourrait garder contact avec sa famille et fournir du soutien affectif au moyen de la technologie des communications. Elle a ajouté que la famille de M. Figueroa pourrait lui rendre visite au Salvador.

[20]           Bien que l’intérêt supérieur des enfants, l’établissement de M. Figueroa au Canada et les difficultés auxquelles il ferait face par suite de son renvoi au Salvador l’incitaient à accorder à M. Figueroa la dispense prévue à l’article 25, la déléguée a attribué beaucoup de poids à l’engagement pris par le Canada de ne pas offrir de refuge aux membres des organisations terroristes. Plus particulièrement, la déléguée a conclu que l’interdiction de territoire de M. Figueroa était de nature grave et concernait l’engagement pris par le Canada envers la justice internationale. Sur ce fondement, et selon la prépondérance des probabilités, la déléguée a conclu que les considérations d’ordre humanitaire ne l’emportaient pas sur l’interdiction de territoire pour raison de sécurité dont M. Figueroa était frappé.

III.             QUESTIONS EN LITIGE

[21]           À titre préliminaire, le défendeur s’oppose à l’introduction d’un nouvel affidavit du demandeur qui montre que la déléguée Tremblay‑Roy a recyclé l’analyse faite dans cette affaire en la copiant et en la collant dans une décision concernant une autre affaire non liée. Je conviens avec le défendeur que ce n’est pas pertinent dans le cadre de la présente instance.

[22]           Le défendeur s’oppose aussi à une autre question soulevée dans la plaidoirie qui ne figurait pas dans les observations écrites du demandeur. La question concerne une erreur commise par la déléguée Tremblay‑Roy quant à la nature de l’affaire dont elle était saisie. Dans un paragraphe de conclusion, elle décrit l’affaire comme une demande de permis de séjour temporaire (PST), l’ayant apparemment confondue avec un autre cas. À mon avis, cette erreur ne porte pas à conséquence et semble révéler tout au plus un manque de rigueur et d’attention envers l’affaire qu’elle devait trancher.

[23]           La seule question soulevée dans la présente demande est celle de savoir si la décision de la déléguée était raisonnable.

[24]           La norme de contrôle applicable à la décision rendue par un agent relativement à une demande CH, y compris l’évaluation de l’intérêt supérieur d’un enfant faite par l’agent, est celle de la décision raisonnable : Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 RCF 360 (CA), aux paragraphes 18 et 20.

[25]           Comme il est énoncé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59 :

[…] Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

IV.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[26]           Les dispositions législatives applicables sont reproduites à l’annexe A.

V.                ANALYSE

[27]           Je conviens avec le demandeur que la décision est déraisonnable. Le seul facteur qui joue en défaveur du demandeur en ce qui concerne sa demande CH est l’interdiction de territoire prononcée contre lui sur le fondement de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

[28]           Le guide opérationnel Demande présentée par des immigrants au Canada  pour des motifs d’ordre humanitaire (IP 5) indique ce qui suit à propos des demandeurs interdits de territoire et des cas de sécurité nationale :

5.25. Demandeurs interdits de territoire

L’étranger interdit de territoire peut présenter une demande CH visant à faire lever l’interdiction de territoire. Toutefois, la levée d’une interdiction de territoire doit être évaluée au regard des objectifs de sécurité énoncés dans la LIPR. Le Canada atteint cet objectif en interdisant l’accès aux étrangers qui ont un casier judiciaire ou en les renvoyant du pays, et en insistant sur le fait que les résidents permanents ont l’obligation de respecter les lois du Canada. Il s’agit d’un changement par rapport à l’ancienne loi (1976) qui mettait plus l’accent sur l’intégration réussie des immigrants que sur la sécurité. [Non souligné dans l’original.]

Interdiction de territoire pour raison de sécurité nationale (L34, L35 et LA37)

Dans un cas de sécurité nationale, l’agent de CIC doit communiquer avec la Division de la sécurité nationale (crimes de guerre contemporains, crime organisé ou antiterrorisme) de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Ces unités peuvent aider CIC à déterminer si l’étranger est interdit de territoire pour des motifs de sécurité nationale. Pour aider CIC à rendre une décision à l’égard d’un cas de sécurité nationale, ces unités peuvent formuler des recommandations ou proposer des questions d’entrevue, entre autres.

Pour décider si l’étranger ou le résident permanent est interdit de territoire en vertu des alinéas 34(1)c) ou 35(1)a) de la Loi, les conclusions de fait formulées dans les décisions ou les décisions des autorités compétentes (aux termes du R14 et du R15, respectivement) ont force de chose jugée. L’agent doit examiner tout nouveau renseignement ou élément de preuve fourni par le demandeur quant à son admissibilité, mais la preuve doit être soupesée afin de déterminer si elle est crédible, corroborée et probante.

[29]           À titre d’observation préliminaire, rien dans le dossier n’indique que le demandeur a un casier judiciaire ou qu’il s’est mal comporté au Canada, deux des facteurs qui, selon le guide opérationnel, doivent entrer en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’atteindre l’objectif de la loi qui consiste à donner priorité à la sécurité.

[30]           Dans sa demande, le demandeur a présenté des observations sur la nature du FMLN, son activité au sein de l’organisation et sa dissociation de l’organisation que la déléguée du ministre était tenue d’examiner selon le guide IP 5 : « L’agent doit examiner tout nouveau renseignement ou élément de preuve fourni par le demandeur quant à son admissibilité, mais la preuve doit être soupesée afin de déterminer si elle est crédible, corroborée et probante. »

[31]           À cette fin, la ou le délégué du ministre doit faire deux choses : 1) examiner une conclusion d’interdiction de territoire antérieure à la lumière des observations présentées en vue de déterminer si la conclusion tient toujours; et 2) examiner la gravité de l’interdiction de territoire à la lumière des observations présentées. En l’espèce, la déléguée a omis d’examiner la gravité de l’interdiction de territoire de M. Figueroa à la lumière des observations présentées. La déléguée s’est plutôt contentée de confirmer l’interdiction de territoire au Canada de M. Figueroa aux termes de l’alinéa 34(1)f), se fondant sur le fait qu’il avait été membre du FMLN et que des composantes du FMLN avaient commis des actes terroristes pendant qu’il en était membre. C’est suffisant en soi pour rendre la décision déraisonnable.

[32]           La décision de la déléguée de rejeter la demande CH parce que l’interdiction de territoire de M. Figueroa était de nature grave est également déraisonnable, car elle ne tient pas compte de la nature du conflit et du rôle personnel joué par M. Figueroa à titre de défenseur des intérêts politiques non combattant. La conclusion selon laquelle l’interdiction de territoire de M. Figueroa était de nature grave ne constitue guère plus qu’une observation facile, à savoir qu’il est grave, en général, d’être interdit de territoire pour raison de sécurité. Ce n’est tout simplement pas suffisant.

[33]           Chose surprenante, rien dans l’analyse de la déléguée, malgré sa reconnaissance de « l’engagement pris par le Canada envers la justice internationale », ne rend compte de l’histoire particulière du conflit au Salvador et, surtout, de la violence politique infligée à la population par l’armée et les forces de sécurité pendant nombre d’années. Il est clair que l’implication du demandeur dans cette histoire se résumait à un rôle de militant politique non combattant, qui tentait d’inciter les jeunes à l’université à s’engager dans le mouvement en vue d’instaurer une réforme démocratique au pays. Selon son témoignage, le demandeur n’était pas au courant de la violence politique exercée par des éléments du FMLN jusqu’à ce que des divulgations soient faites dans le cadre de la Commission de la vérité. Cette ignorance rend peut‑être le demandeur coupable d’aveuglement volontaire, comme l’affirme l’avocat du défendeur, mais elle ne fait pas de lui le complice de cette violence.

[34]           Je conviens avec le demandeur que la déléguée a commis une erreur en omettant de tenir compte de cette situation dans son analyse. Il ne fallait pas simplement appliquer la formule convenant à une conclusion factuelle d’appartenance à une organisation aux termes de l’article 34, qui ne comporte pas de composante temporelle – c’est‑à‑dire que celui qui est membre un jour d’une organisation se livrant à des actes de terreur en est membre pour toujours. L’analyse exigeait plutôt un examen plus nuancé de la nature de cette appartenance et du poids à lui accorder par rapport aux lourds facteurs d’ordre humanitaire en vue de décider si la dispense était justifiée sous le régime de l’article 25.

[35]           Les considérations d’ordre humanitaires sont exceptionnellement fortes en l’espèce, comme en fait foi le soutien que le demandeur et sa famille ont reçu de la collectivité. Le rôle que joue le demandeur dans le développement de son fils Jose Ivan a été souligné dans le témoignage des enseignants qui travaillent avec Jose Ivan chaque jour. La déléguée a conclu que cette relation pouvait être préservée malgré la distance grâce à Skype, donnant à entendre que la séparation n’aurait aucun effet néfaste sur le développement de Jose Ivan. Cette conclusion va à l’encontre du témoignage d’un enseignant ressource de l’école cité par l’agent Maekawa de Citoyenneté et Immigration Canada dans le résumé de cas qu’il avait préparé et présenté à la déléguée. La déléguée ne mentionne pas les éléments de preuve selon lesquels la stabilité est importante dans le développement d’un enfant autiste. En concluant que la femme du demandeur pourrait demeurer au Canada et prendre soin des enfants, la déléguée fait abstraction des difficultés que la femme du demandeur éprouverait en tant que mère seule s’efforçant à la foi de subvenir aux besoins de ses enfants et d’en prendre soin.

[36]           La seule mention que fait la déléguée du résumé de cas de l’agent Maekawa concerne le commentaire formulé par l’agent sur les actes terroristes commis par le FMLN. La déléguée a fait abstraction de tous les aspects favorables exposés dans le résumé de l’agent Maekawa, y compris de la conclusion de l’agent selon laquelle la dispense était justifiée.

[37]           Je constate qu’aucun des autres agents d’immigration ayant examiné le cas en instance du demandeur au fil des ans n’a conclu qu’il représentait un risque pour la sécurité du Canada ou pour la sécurité de quiconque. Chacun de ces agents aurait pu rejeter la demande, mais ils ont tous choisi de la renvoyer pour qu’un délégué du ministre examine les facteurs énoncés à l’article 25. La conclusion d’interdiction de territoire reposait seulement sur un degré minime de participation à une organisation de nombreuses années auparavant. La préoccupation soulevée par l’appartenance au FMLN du demandeur s’est manifestée lentement et tardivement – le rapport visé à l’article 44 a été établi quelque cinq ans après l’approbation préliminaire de la demande de résidence permanente du demandeur. Pendant cette période, la famille est devenue bien établie au Canada et a eu un troisième enfant.

[38]           La déléguée a déraisonnablement désigné le FMLN comme une « organisation terroriste ». Ce terme ne figure pas à l’article 34 et ce n’est pas un terme technique utilisé dans la loi. La LIPR mentionne le fait d’être membre d’une organisation qui s’est livrée, se livre ou se livrera au terrorisme. Le FMLN n’a jamais été un groupe pour qui la terreur politique constituait une tactique primaire. Il obtenait un vaste appui auprès de la population et forme aujourd’hui le gouvernement élu par la voie démocratique. L’organisation a attiré de 80 000 à 100 000 membres dans un pays de cinq millions d’habitants. C’était un groupe de résistance légitime diversifié. Les éléments armés du FMLN étaient essentiellement des forces militaires engagées dans une guerre civile contre un régime oppresseur, tout comme le Congrès national africain lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Le FMLN n’est pas une « entité terroriste » proscrite figurant sur la liste du gouvernement du Canada. Le gouvernement du Canada entretient des relations normales avec le gouvernement du Salvador, dirigé maintenant par le FMLN. La déléguée aurait dû accorder une certaine attention à toutes ces considérations avant de conclure que l’appartenance au FMLN du demandeur était de nature si grave qu’elle l’emportait sur les facteurs d’ordre humanitaire favorables qui militaient en faveur de la dispense.

[39]           En définitive, je conclus que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie étant donné que la décision n’était pas raisonnable au sens exigé par la jurisprudence, c’est‑à‑dire que la décision raisonnable est intelligible, transparente, justifiée et appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[40]           Aucune question grave de portée générale n’a été proposée aux fins d’appel, et aucune ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée pour nouvel examen à un autre délégué du ministre conformément aux motifs précisés. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.
ANNEXE A

Loi sur l’immigration et  la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27.

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

[…]

[…]

Section 4 Interdictions de territoire

Division 4 Inadmissibility

[…]

[…]

Sécurité

Security

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

a) être l’auteur de tout acte d’espionnage dirigé contre le Canada ou contraire aux intérêts du Canada;

(a) engaging in an act of espionage that is against Canada or that is contrary to Canada’s interests;

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

b.1) se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

(b.1) engaging in an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

c) se livrer au terrorisme;

(c) engaging in terrorism;

[…]

[…]

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b), b.1) ou c).

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b), (b.1) or (c).

Exception

Exception

(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

[Abrogé, 2013, ch. 16, art. 14]

[Repealed, 2013, c. 16, s. 13]


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2834-13

INTITULÉ :

JOSE LUIS FIGUEROA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 MAI 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

LE 10 JuILLET 2014

COMPARUTIONS :

Peter Edelmann

POUR Le demandeur

Caroline Christiaens

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edelmann & Co. Law Offices

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR Le demandeur

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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