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Date : 20140703


Dossier : T‑957‑12

Référence : 2014 CF 650

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 juillet 2014

En présence de monsieur le juge Rennie

ENTRE :

MARTHA GREIN

demanderesse

et

LE MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES

ET DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse dépose la présente demande de contrôle judiciaire en vue d’obtenir l’annulation de la décision par laquelle la Commission d’appel des pensions (la Commission ou la CAP) rejetait sa demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision d’un tribunal de révision (TR). Dans la décision sous‑jacente, le TR avait conclu que la demanderesse n’avait pas droit à une pension de survivante au titre du Régime de pensions du Canada (le RPC ou le Régime), parce qu’elle n’était pas la conjointe de fait du cotisant décédé. La demande d’autorisation d’interjeter appel subséquente a été rejetée par un membre de la CAP, parce que la demanderesse n’avait pas soulevé une cause défendable à l’égard de sa demande de pension de survivante au titre du Régime. C’est le rejet de la demande d’autorisation qui est la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire. Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

I.                   Le contexte

[2]               Le 24 février 2010, la demanderesse (Mme Grein) a présenté une demande de pension de survivante au titre du Régime. Dans sa demande, elle a précisé qu’elle et le cotisant décédé (M. Daneluzzi) avaient commencé à faire vie commune dans une union de fait le 27 janvier 2009 et qu’ils avaient continué à cohabiter jusqu’au moment du décès du cotisant. Le ministre défendeur a rejeté sa demande, autant initialement et au moment d’un réexamen, parce que la demanderesse n’était pas en union de fait avec le cotisant décédé.

[3]               La demanderesse a interjeté appel de cette décision au TR. Le TR a rejeté l’appel de la demanderesse, parce que cette dernière n’était pas la conjointe de fait du cotisant décédé, et qu’elle n’avait donc pas droit à une pension de survivante au titre du RPC :

[traduction]

[37] L’appel est rejeté. Le Tribunal conclut, en se fondant sur la preuve écrite et sur les témoignages, que, selon la prépondérance des probabilités, l’appelante et le décédé, bien qu’ils aient passé beaucoup de temps ensemble, n’entretenaient pas une relation qui répond au critère reconnu de la cohabitation pour une période d’au moins un an avant la mort du décédé. Le Tribunal conclut que l’appelante ne répond pas à la décision de « survivant » en lien avec le cotisant décédé au sens de la loi sur le RPC.

[4]               La demanderesse a finalement demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision du TR à la Commission.

[5]               Le 13 avril 2012, la CAP a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision du TR présentée par la demanderesse. Dans ses motifs, le membre a écrit ce qui suit :

[traduction]

[3] Dans la décision Canada (Attorney General) c. Carroll, 2011 CF 1092, le juge O’Reilly explique qu’un demandeur « présentera une cause défendable s’il dépose de nouveaux éléments de preuve ou des éléments de preuve additionnels (sur lesquels ne s’était pas penché le TR), soulève une question qui n’a pas été examinée par le TR ou démontre que la décision du TR est entachée d’une erreur ».

[4] Compte tenu des commentaires ci-dessus, je suis d’avis que la décision du tribunal de révision est étayée par la preuve et que la demanderesse n’a pas une cause défendable.

II.                Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[6]               Le contrôle de la décision d’un membre de la CAP de faire droit ou non à la demande d’autorisation d’appel nécessite l’examen de deux questions : le critère identifié était‑il le bon (cause défendable); et, en deuxième lieu, le critère a‑t‑il été appliqué de manière adéquate? Le choix du critère juridique est assujetti à la norme de contrôle de la décision correcte; l’application du critère est assujettie à la norme de la raisonnabilité.

[7]               Le critère pour faire droit à la demande d’autorisation d’interjeter appel est celui de savoir si la demande soulève une « cause défendable ». Une cause défendable est soulevée si une preuve importante nouvelle ou supplémentaire est produite avec la demande ou si la demande soulève une question de droit ou une question de fait importante qui n’ont pas été examinées de manière adéquate par le TR dans sa décision : Callihoo c Canada (Procureur général) [2000] ACF no 612 (CFPI), aux paragraphes 15 et 22; Canada (Procureur général) c Zakaria, 2011 CF 136, aux paragraphes 35, 36 et 38.

III.             Analyse

[8]               Je conviens que les motifs pour lesquels l’autorisation d’interjeter appel n’a pas été accordée sont bien peu documentés. Cependant, ces motifs doivent être examinés à la lumière du dossier dont disposait le membre de la CAP, lequel ne comprenait pas quelque nouvel élément de preuve que ce soit, et les motifs de la décision du TR.

[9]               À cet égard, je fais remarquer que l’essentiel de la cause de la demanderesse est que la décision du TR contient un certain nombre d’erreurs en matière de preuve, lesquelles soulèvent une cause défendable. Ces erreurs comprennent le fait que des éléments de preuve n’ont pas été examinés, ou s’ils l’ont été, se sont déraisonnablement vu accorder peu de poids, de sorte que le rejet sommaire de la demande d’autorisation, sans analyse, donne lieu à une erreur susceptible de contrôle. Plus précisément, ces erreurs consistent notamment en l’admission en preuve des lettres rédigées par l’ancienne épouse de M. Daneluzzi, sans que celle‑ci ne soit contre‑interrogée, la minimisation de l’importance du voyage que la demanderesse a fait avec M. Daneluzzi dans les Maritimes et l’omission de traiter (1) des registres de téléphone cellulaire et (2) du fait que l’ancienne épouse de M. Daneluzzi avait présenté une demande en vue d’obtenir une copie de son attestation de mariage et qu’elle avait pris des mesures préliminaires pour obtenir un divorce et (3) du fait que la demanderesse avait défrayé cinq des cinquante‑deux semaines lors de la période où M. Daneluzzi demeurait à hôtel.

[10]           De plus, la demanderesse porte à l’attention de la Cour la décision Stephen c Stawecki, 2006 CanLII 20225 (CA ON) à l’appui de sa thèse selon laquelle le fait de conserver une résidence séparée n’a pas pour effet d’écarter la conclusion selon laquelle les parties vivent ensemble dans une union conjugale. Cependant, je n’interprète pas la décision visée en l’espèce comme allant à l’encontre de la thèse. Le fait que la demanderesse conserve sa propre résidence, où elle garde ses animaux, n’était que l’un des facteurs de l’analyse de la question de savoir si une union conjugale avait été créée.

[11]           Ces questions relatives à la preuve, qu’elles soient examinées ensemble ou de manière isolée, ne donne pas à penser l’existence d’une cause défendable. Cela est particulièrement le cas lorsqu’on replace ces questions, comme il se doit, dans le contexte juridique et factuel plus large dont traitaient les motifs du TR.

[12]           Pour recevoir une pension de survivante au titre du RPC, la demanderesse doit soit être mariée au décédé, soit avoir été en union de fait avec ce dernier. Fait déterminant, une union de fait est définie de manière précise au paragraphe 2(1) du Régime de pensions du Canada (LRC 1985, c C‑8) :

La personne qui, au moment considéré, vit avec un cotisant dans une relation conjugale depuis au moins un an. Il est entendu que, dans le cas du décès du cotisant, « moment considéré » s’entend du moment du décès.

[…] in relation to a contributor, means a person who is cohabiting with the contributor in a conjugal relationship at the relevant time, having so cohabited with the contributor for a continuous period of at least one year. For greater certainty, in the case of a contributor’s death, the “relevant time” means the time of the contributor’s death

[13]           La demanderesse et le décédé s’étaient rencontrés en octobre 2008, et ce dernier est mort en février 2010. Selon ce qu’a affirmé la demanderesse, ce n’est que le 27 janvier 2009 qu’ils étaient devenus de bons amis et qu’elle avait aménagé avec lui au motel. Dans le meilleur des cas, si on accepte cet élément de preuve à première vue, et si on exclut tous les autres indices, il y avait une certaine preuve d’une relation continue pendant douze mois et deux semaines.

[14]           Cependant, le TR était d’avis que les autres éléments d’une relation conjugale n’existaient pas. Je ne dresserai pas une liste exhaustive de ces conclusions, outre que d’affirmer que l’existence d’éléments de preuve qui n’ont pas été traités ou qui n’ont pas reçu de poids n’a pas pour effet à elle seule de rendre la décision déraisonnable. La question de savoir s’il existe une cause défendable ne dépend pas uniquement de la preuve produite par la demanderesse, mais cette preuve doit aussi supplanter, ou démontrer une possibilité raisonnable de supplanter, la preuve contradictoire non contestée constatée par le TR. L’on retrouve, parmi ces éléments de preuve, l’absence de preuve d’interdépendance financière, le fait que la plupart des effets personnels de la demanderesse étaient restés à son domicile et le fait qu’elle n’avait pas connaissance d’aspects clés des antécédents du décédé, comme les circonstances de son divorce. Plus particulièrement, le TR a conclu que certains aspects de la preuve de la demanderesse n’étaient pas vraisemblables.

[15]           La demanderesse n’a pas fait valoir de motifs, de faits ou d’éléments de preuve à l’appui de sa demande qui démontreraient qu’elle aurait une probabilité raisonnable de succès dans le contexte d’un appel devant la CAP. Par conséquent, la demanderesse demande essentiellement à la Cour de pondérer à nouveau la preuve qu’elle avait présentée et que le TR avait antérieurement examinée, et de juger à nouveau le dossier d’une manière plus favorable à sa thèse. Une telle chose est impossible lors du contrôle judiciaire : Giles c Canada (PG), 2010 CAF 54, au paragraphe 6.

[16]           En résumé, la conclusion selon laquelle il n’y avait pas de cause défendable, lorsqu’examinée dans le contexte du dossier dans son ensemble, est raisonnable.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Donald J. Rennie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-957-12

INTITULÉ :

MARTHA GREIN c LE MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 MAI 2014

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 3 JUILLET 2014

COMPARUTIONS :

Me Ken J. Berger

pour la demanderesse

Me Vanessa Luna

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Berger Law Firm and Law Offices of Ken J. Berger Esq. MD, JD

pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Gatineau (Québec)

pour le défendeur

 

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