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Date : 20140521


Dossier : T-725-13

Référence : 2014 CF 485

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE NON RÉVISÉE]

 

Toronto (Ontario), le 21 mai 2014

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

SALVATORE CONSIGLIO

demandeur

et

MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES  ET DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Monsieur Salvatore Consiglio (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par un membre désigné de la Commission d’appel des pensions en date du 7 mars 2013, (la CAP ou la Commission) qui a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel d’une décision du tribunal de révision  (le tribunal de révision). Le tribunal de révision a conclu qu’il ne disposait pas du pouvoir discrétionnaire qui lui permettrait de faire débuter le versement de la prestation d'enfant de cotisant invalide («PECI») antérieurement au onzième mois précédant le mois suivant celui où la demande a été reçue. 

I.                   Aperçu

[2]               Les faits qui suivent sont tirés du dossier de la Cour et des dossiers de demande déposés par le demandeur et le procureur général du Canada (le défendeur), qui représente la Commission, c’est-à-dire le décideur.  

[3]               Le demandeur a présenté une demande de prestations d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C-8 (le régime) le 2 octobre 1991. Il mentionnait dans sa demande qu’il était le père marié de trois enfants.  

[4]               La demande de prestation fut approuvée et le versement de la prestation commença en novembre 1990. La prestation fut également approuvée pour les trois enfants du demandeur dont les noms figuraient dans la demande et qui vivaient avec lui. 

[5]               Un quatrième enfant est né du mariage du demandeur le 22 novembre 1993. La demande de prestations quant à cet enfant ne fut pas reçue avant le 28 septembre 2011. Cette demande fut approuvée et la date du début du versement des prestations fut fixée au mois d’octobre 2010. Dans sa demande de prestations pour ce quatrième enfant, le demandeur a mentionné qu’il ne savait pas qu’il devait présenter une demande additionnelle de prestations en cas de naissance d’un autre enfant. Il a demandé un paiement rétroactif des prestations quant à cet enfant.

[6]               Le demandeur a présenté une demande de réexamen de la décision initiale dans une lettre datée du 17 novembre 2011. Il a affirmé une fois de plus qu’il ignorait que s’il avait un autre enfant il devrait faire une demande au nom de cet enfant. Le demandeur a écrit ce qui suit dans sa lettre du 17 novembre 2011 : 

[Traduction]

Lorsque j’ai présenté une demande de prestations pour invalidité, la lettre que j’ai reçue de Service Canada mentionnait que je recevrais un certain montant tous les mois à telle date.  

La lettre ne mentionnait pas que si j’avais un autre enfant, je devais appeler et que les prestations augmenteraient. 

J’aurais certainement appelé, mais personne ne me l’a dit, je ne le savais pas.  

Je ne me suis pas plaint, je n’ai pas appelé, je ne connaissais pas les règles s’il y en avait. J’ai composé avec le revenu moins élevé auquel j’étais habitué. 

[7]               Dans une lettre datée du 24 avril 2012, Service Canada, l’agence responsable de l’administration des prestations en vertu du Régime, a visé le demandeur qu’elle maintenait sa décision quant à la date du début du versement des prestations pour le quatrième enfant. Le demandeur fut avisé qu’il pouvait faire appel de cette décision devant un tribunal de révision.  

[8]               Le demandeur a exercé son droit d’interjeter appel devant le tribunal de révision. La décision fut défavorable. Le tribunal de révision a conclu qu’il ne disposait pas du pouvoir discrétionnaire qui lui permettrait de faire remonter la date de début du versement des prestations pour le plus jeune des enfants du demandeur au-delà de ce que la loi prévoit. Il a examiné le cadre législatif et a constaté qu’aucun pouvoir fondé sur l’equity ne lui permettait de faire remonter la date du début du versement des prestations au-delà de la période maximale prévue par la loi. 

[9]               Le demandeur a alors présenté une demande d’autorisation d’interjeter appel à un membre désigné de la Commission pour interjeter appel de cette décision de la Commission. Le membre désigné a refusé l’autorisation d’interjeter appel au motif qu’il n’existe aucun pouvoir discrétionnaire « pour rendre une ordonnance qui ferait débuter le versement rétroactivement au onzième mois » précédant la demande de prestations.

[10]           Suite à la décision du 7 mars 2013 refusant l’autorisation d’interjeter appel, le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire. 

II.                Discussion et dispositif

[11]           La première question à trancher porte sur la nature de la présente procédure. Une demande de contrôle judiciaire est un moyen par lequel la décision d’un décideur administratif est examinée par la Cour. Les pouvoirs de la Cour se limitent à l’examen du processus décisionnel suivi par le décideur administratif. La décision doit être examinée en fonction d’une norme de contrôle.

[12]           Les questions d’équité procédurale, y compris le droit d’un demandeur de faire valoir ses arguments, doivent être examinées selon la norme de la décision correcte; voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43. Dans les autres cas, la décision doit être examinée selon la norme de la raisonnabilité, c’est-à-dire qu’on s’attardera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité » du processus décisionnel : voir l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.

[13]           L’étape suivante consiste à analyser la nature de la décision. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision qui a rejeté sa demande d’autorisation d’interjeter appel devant la Commission d’une décision portant sur le versement rétroactif, en vertu du Régime, de prestations pour enfant à charge.

[14]           Le Régime est un texte législatif  qui prévoit le versement de prestations dans les situations précises qui y sont énoncées. 

[15]           Comme discuté dans Granovsky c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [2000] 1 RCS 703, le Régime n’est pas un régime d’aide sociale, mais est un programme qui prévoit le versement de prestations aux Canadiens qui y sont admissibles et qui sont privés de revenus, notamment pour cause d’invalidité. Il s’agit d’un régime contributif dans lequel « le législateur a défini à la fois les avantages et les conditions d’admissibilité » : voir Granovsky, précité, au paragraphe 9.

[16]           La décision approuvant le paiement d’une prestation d’enfant de cotisant invalide exige le respect des dispositions de la loi. Le paragraphe 74(2) du Régime énonce les délais pertinents comme suit :

Début du versement de la prestation

Commencement of payment of benefit

      (2)  Sous réserve de l’article 62, lorsque le paiement d’une prestation d’enfant de cotisant invalide ou d’une prestation d’orphelin est approuvé, relativement à un cotisant, la prestation est payable pour chaque mois à compter

      74. (2)  Subject to section 62, where payment of a disabled contributor’s child’s benefit or orphan’s benefit in respect of a contributor is approved, the benefit is payable for each month commencing with,

      a)   dans le cas d’une prestation d’enfant de cotisant invalide, du dernier en date des mois suivants :

(a)  in the case of a disabled contributor’s child’s benefit, the later of

            (i) le mois à compter duquel une pension d’invalidité est payable au cotisant en vertu de la présente loi ou selon un régime provincial de pensions,

            (i)   the month commencing with which a disability pension is payable to the contributor under this Act or under a provincial pension plan, and

            (ii) le mois qui suit celui où l’enfant est né ou est devenu de quelque autre manière l’enfant du cotisant;

            (ii) the month next following the month in which the child was born or otherwise became a child of the contributor, and

      b)   dans le cas d’une prestation d’orphelin, du dernier en date des mois suivants :

      (b)  in the case of an orphan’s benefit, the later of,

            (i) le mois qui suit celui où le cotisant est décédé,

            (i) the month following the month in which the contributor died, and

            ii) le mois qui suit celui où l’enfant est né.

            (ii) the month next following the month in which the child was born,

Toutefois, ce mois ne peut en aucun cas être antérieur au douzième précédant le mois suivant celui où la demande a été reçue.

but in no case earlier than the twelfth month preceding the month following the month in which the application was received.

[17]           Le paragraphe 74(2) est important étant donné qu’il stipule que le début du versement de la prestation « ne peut en aucun cas être antérieur au douzième précédant le mois suivant celui où la demande a été reçue ».  

[18]           En l’espèce, la demande relative au quatrième enfant a été reçue en septembre 2011. La demande a été approuvée et la date de début du versement des prestations a été fixée au mois d’octobre 2010. Cette décision, initialement établie par Service Canada, fut maintenue à l’issue de la demande de nouvel examen et de l’appel devant le tribunal de révision. 

[19]           Le membre désigné a conclu que la décision était bien fondée en droit et a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel devant la Commission.  

[20]           La décision faisant l’objet du contrôle est le refus d’accorder l’autorisation d’interjeter appel. Dans Callihoo c Canada (Procureur général) (2000), 190 FTR 114, la Cour a conclu que le contrôle d’une décision rendue par un membre désigné dans le cadre d’une demande d’autorisation d’interjeter appel soulève deux questions : premièrement, il faut déterminer si le critère de la cause défendable a été examiné, et deuxièmement, si la conclusion selon laquelle aucune cause défendable n’a été soulevée est erronée. 

[21]           La première question en litige consiste à savoir si le membre désigné a appliqué le critère juridique approprié, est une question de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte; voir la décision Canada (Procureur général) c Zakaria, 2011 CF 136, au paragraphe 15.

[22]           La signification de « cause défendable » fut discutée dans Canada (Procureur général) c Carroll (2011), 397 FTR 166, au paragraphe 14, où la Cour a écrit :

La CAP a aussi l’obligation d’appliquer le bon critère pour accorder l’autorisation d’interjeter appel. Ce critère est de savoir si le demandeur sollicitant l’autorisation a présenté une cause défendable (Callihoo c. Canada (Attorney General), [2000] A.C.F. no 612 (1ère inst.)). Un demandeur présentera une cause défendable s’il dépose de nouveaux éléments de preuve ou des éléments de preuve additionnels (sur lesquels ne s’était pas penché le TR), soulève une question qui n’a pas été examinée par le TR ou démontre que la décision du TR est entachée d’une erreur. 

[23]           Bien que le membre désigné n’ait pas mentionné la première partie du critère, je suis convaincue que sa prise en compte du critère est implicite dans la décision.

[24]           Le membre désigné a examiné les éléments essentiels de la plainte du demandeur. Aucun nouvel élément de preuve n’a été présenté, aucune question qui n’a pas été examinée par le tribunal de révision n’a été soulevée et le demandeur n’a fait ressortir aucune erreur dans la décision du tribunal de révision. Il n’y a pas d’erreur dans la façon dont le membre désigné a examiné la première partie du critère. Un contrôle effectué selon la norme de la décision correcte signifie que la Cour de révision peut examiner l’affaire de nouveau et déterminer si le bon critère a été appliqué. 

[25]           La deuxième partie du critère qui consiste à déterminer si une erreur a été commise lors de l’examen de la question de savoir s’il existe une cause valable est contrôlable selon la norme de la raisonnabilité. Comme je l’ai déjà souligné, la norme de la raisonnabilité signifie que la décision est étayée par la preuve et est intelligible au regard du texte législatif pertinent.  

[26]           Compte tenu de la preuve et des observations formulées par le demandeur, tant devant le membre désigné qu’aux présentes, je suis convaincue que la décision du membre désigné satisfait à cette norme. Le membre désigné a examiné les faits et a conclu que la décision du tribunal de révision était correcte. Cette conclusion est raisonnable dans les circonstances. 

[27]           La décision du membre désigné ne contient aucune erreur susceptible de contrôle et la présente demande sera rejetée.  

[28]           Bien qu’il n’existe aucun fondement juridique justifiant de modifier la décision du membre désigné de rejeter la demande d’autorisation d’interjeter appel, il peut exister un certain fondement qui permettrait d’accorder un redressement au demandeur. 

[29]           Le demandeur a soutenu qu’il ne savait pas qu’il recevait des prestations pour ses trois filles qui étaient incluses dans sa demande originale, ou qu’il devait aviser Service Canada de la naissance de sa quatrième fille. Il soutient qu’il a reçu des paiements forfaitaires, sans aucune explication voulant que les versements comprenaient des prestations pour ses enfants. 

[30]           Il ressort de la correspondance figurant au dossier certifié du tribunal qu’une modification a été apportée à la politique de Service Canada postérieurement au début du versement des prestations au demandeur. Cette modification portait sur la façon dont un demandeur était informé du détail des prestations qui lui étaient versées et des bénéficiaires de ces prestations, ainsi que sur la façon d’informer les demandeurs de la nécessité d’aviser Service Canada en cas de naissance d’un autre enfant à charge. 

[31]           Des courriels figurant à l’onglet 7 du dossier certifié du tribunal indiquent que quelque temps après que le demandeur eut commencé à recevoir ses prestations, Service Canada a commencé à envoyer aux prestataires des « lettres de ventilation » donnant le détail des prestations qu’ils recevaient. 

[32]           Il n’y a rien au dossier qui indique que le demandeur ait à quelque moment reçu l’une de ces lettres. En fait, la correspondance laisse transparaître un doute pour ce qui est de savoir si le demandeur a été informé à un moment quelconque qu’il recevait des prestations relativement à ses enfants. Selon la preuve soumise par le demandeur, on ne lui a jamais dit qu’il recevait des prestations relativement à ses trois filles les plus âgées ou qu’il devait aviser Service Canada afin de recevoir des prestations relativement à sa quatrième fille. Cela peut ouvrir la voie à d’autres recours en vertu du Régime.  

[33]           En conclusion, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Dans le cadre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, je n’adjuge aucuns dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Dans le cadre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, je n’adjuge aucuns dépens.

«E. Heneghan»

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-725-13

 

INTITULÉ :

SALVATORE CONSIGLIO c MINISTRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 NovembrE 2013

 

juGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 21 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Salvatore Consiglio

 

LE DEMANDEUR

 

 

Tania Nolet

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Salvatore Consiglio

Toronto (Ontario)

 

LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

pour le défendeur

 

 

 

 

 

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