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Date : 20140514

Dossiers :

T-1572-11

T-1723-12

 

Référence : 2014 CF 463

[TRADUCTION FRANÇAISE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 mai 2014

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

GREENPEACE CANADA,

LAKE ONTARIO WATERKEEPER, NORTHWATCH ET L’ASSOCIATION CANADIENNE DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

 

demanderesses

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT,

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS,

LE MINISTRE DES TRANSPORTS,

LA COMMISSION CANADIENNE DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE ET ONTARIO POWER GENERATION INC.

 

défendeurs


 

 

 

ET ENTRE :

GREENPEACE CANADA

ET L’ASSOCIATION CANADIENNE DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

 

demanderesses

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET

ONTARIO POWER GENERATION INC.

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

TABLE DES MATIÈRES

Contexte.. 7

Décisions faisant l’objet du contrôle.. 13

Questions en litige.. 16

Norme de contrôle.. 17

Dispositions législatives. 24

ARGUMENT.. 32

Demanderesses. 32

Rapport d’évaluation environnementale – Dossier T‑1572‑11. 32

Omission de se conformer à la LCEE.. 32

L’approche de l’EPC.. 35

Déclassement et gestion des déchets. 40

Erreurs procédurales. 43

Permis de préparation de l’emplacement – Dossier T‑1723‑12. 47

Conditions préalables prévues par la Loi 48

Omission de se conformer aux exigences obligatoires. 48

Équité procédurale. 49

Défendeurs. 50

Rapport d’évaluation environnementale – Dossier T‑1572‑11. 50

Décision distincte relativement à la portée du projet – Contestation incidente  52

Il y avait un projet à examiner 52

L’approche limitative. 54

Respect de l’article 16 de la Loi 56

Aucune délégation illégale. 60

Aucune erreur procédurale. 63

Permis de préparation de l’emplacement – Dossier T‑1723‑12. 65

Respect du régime législatif. 65

Équité procédurale. 66

Observations des demanderesses présentées en réponse. 68

Rapport d’évaluation environnementale – Dossier T‑1572‑11. 68

Absence de contestation incidente. 68

ANALYSE.. 71

L’évaluation environnementale – Dossier T‑1572‑11. 71

Le litige  71

Le droit et les principes directeurs. 74

Les questions soulevées. 82

Aucun projet à évaluer 82

Contestation indirecte irrégulière. 85

Portée du projet 91

Portée des éléments à examiner 95

Y a‑t‑il eu omission d’évaluer le projet en conformité avec la LCEE?. 107

Quelles étaient les exigences de la LCEE?. 117

La preuve présentée par les demanderesses. 136

Liens avec la question de la délégation irrégulière. 143

Lacunes du scénario limitatif concernant les émissions de substances dangereuses et les stocks de produits chimiques se trouvant sur place. 151

Prise en compte du combustible nucléaire épuisé. 172

Report de l’analyse d’un accident grave de cause commune. 190

Jurisprudence pertinente. 198

West Vancouver 199

Inter-Church Uranium Committee. 202

Express Pipelines  206

Omission d’examiner la « nécessité » du projet et ses solutions de rechange. 210

Délégation illégale. 218

Questions de procédure. 223

Conclusions  225

Le permis de préparation de l’emplacement – Dossier T‑1723‑12. 228

Le litige  228

L’évaluation environnementale a-t-elle été réalisée en conformité avec la LCEE?. 229

La CCSN s’est-elle conformée à la LSRN?. 229

Équité procédurale. 233

La requête en radiation. 236

Bien-fondé de la question de l’équité procédurale. 239

JUGEMENT.. 245

LA COUR STATUE que : 245

Dossier T-1572-11  245

1....... La demande présentée dans le dossier T‑1572‑11 est accueillie en partie. 245

2....... L’évaluation environnementale réalisée par la Commission en ce qui a trait au projet n’était pas conforme à la LCEE et à l’Entente concernant l’établissement d’une commission d’examen conjoint pour la nouvelle centrale nucléaire d’Ontario Power Generation (Darlington) dans la municipalité de Clarington, en Ontario (y compris le cadre de référence de la Commission) datée de janvier 2009 (l’Entente), dans la mesure indiquée dans les motifs du présent jugement. En bref, comme l’indiquent les motifs plus en détail, il y a eu non-conformité sous trois aspects : 245

a)..... les lacunes dans le scénario limitatif concernant les émissions de substances dangereuses et les stocks de produits chimiques se trouvant sur place; 245

b)..... l’examen du combustible nucléaire épuisé; 245

c)...... le report de l’analyse d’un accident grave de cause commune. 245

3....... Le rapport d’évaluation environnementale n’est pas annulé dans son ensemble, mais est renvoyé à la Commission (ou à une commission dûment constituée) pour qu’elle l’examine à nouveau et rende une décision quant aux questions précises énoncées ci-dessus et dans les motifs du présent jugement, et quant à toute question découlant de ce nouvel examen que la Commission (ou une commission dûment constituée) estime importante. 246

4....... Tant que la Commission (ou une commission dûment constituée) n’aura pas terminé le nouvel examen et n’aura pas rendu de décision conformément au paragraphe 3 ci-dessus, le gouverneur en conseil n’a pas compétence en vertu de la LCEE pour approuver la réponse d’une autorité responsable quant au rapport de la Commission et la CCSN, le ministère des Pêches et des Océans (MPO) et Transports Canada ne sont pas compétents pour délivrer des autorisations ou prendre toute autre mesure qui permettrait au projet d’aller de l’avant en totalité ou en partie. 246

5....... Tant que la Commission (ou une commission dûment constituée) n’aura pas terminé le nouvel examen et n’aura pas rendu de décision conformément à ce qui précède, il est interdit à la CCSN, au ministre des Pêches et des Océans et au ministre des Transports et à tout autre mandataire, employé et représentant de délivrer une licence, un permis, un certificat ou une autorisation prévu par la loi qui permettrait au projet d’être exécuté en totalité ou en partie. 246

Dossier T‑1723‑12  247

6....... La requête en radiation présentée par les demanderesses dans le dossier T‑1723‑12 est rejetée. 247

7....... La demande des demanderesses présentée dans le dossier T‑1723‑12 est accueillie pour le seul motif que, dans l’état actuel des choses, le rapport d’évaluation environnementale n’est pas encore complètement conforme à la LCEE en ce qui a trait aux questions précises énoncées dans mes motifs et le jugement prononcé dans le dossier T‑1572‑11. Cela signifie que : 247

a)..... la délivrance du permis par la CCSN est invalide et illégale en raison du non‑respect de la LCEE; 247

b)..... la CCSN n’a pas compétence pour délivrer le permis tant qu’il n’y aura pas eu respect complet de la LCEE conformément à mes motifs et à mon jugement dans le dossier T‑1572‑11; 247

c)...... le permis délivré à OPG par la CCSN le 17 août 2012 est annulé. 247

Dépens et dispositions générales. 247

8....... Tant dans le dossier T‑1572‑11 que dans le dossier T‑1723‑12, les parties sont libres de s’adresser à la Cour au sujet de la question des dépens dans les deux demandes et au sujet de la requête en radiation présentée par les demanderesses dans le dossier T‑1723‑12. 247

9....... Une copie du présent jugement et des motifs sera versée à la fois au dossier T‑1572‑11 et au dossier T‑1723‑12. 248


INTRODUCTION

[1]               Le présent jugement vise deux demandes de contrôle judiciaire présentées en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 (la Loi sur les Cours fédérales) concernant le projet de nouvelle centrale nucléaire de Darlington (le projet) proposé par Ontario Power Generation (OPG). La première demande conteste le caractère suffisant de l’évaluation environnementale fédérale menée par une commission d’examen conjoint (la CEC ou la Commission) établie en vertu d’une entente conclue en mars 2009 entre le ministre fédéral de l’Environnement (le ministre) et la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) conformément à l’article 40 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, LC 1992, c 37 (la LCEE ou la Loi). Étant donné que l’évaluation a pris fin le 25 août 2011, la loi applicable est la LCEE, qui a été abrogée et remplacée depuis. La deuxième demande conteste un permis de préparation de l’emplacement (le permis) que la CCSN a délivré à OPG le 17 août 2012 en vertu de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, LC 1997, c 9 (LSRN), suite à la réalisation de l’évaluation environnementale et de la réponse du gouvernement du Canada au rapport d’évaluation environnementale de la commission d’examen conjoint (le rapport d’évaluation environnementale).

 

Contexte

[2]               En juin 2006, le ministre de l’Énergie de l’Ontario a enjoint à OPG, qui est la propriété exclusive de l’Ontario, d’entamer le processus d’approbations fédérales en vue de construire de nouveaux réacteurs sur un complexe nucléaire existant. Cette directive coïncidait avec la Directive sur le profil de l’approvisionnement énergétique du gouvernement de l’Ontario transmise à l’Office de l’électricité de l’Ontario, indiquant la nécessité d’une combinaison de nouveaux réacteurs et de réacteurs remis en état pour répondre aux besoins énergétiques futurs de l’Ontario en matière de charge de base. Le gouvernement de l’Ontario a plus tard choisi l’emplacement du complexe nucléaire existant de Darlington comme l’emplacement préféré pour le projet. En septembre 2006, OPG a présenté à la CCSN une demande de permis de préparation de l’emplacement de Darlington pour la construction d’une nouvelle centrale nucléaire pouvant compter jusqu’à quatre nouveaux réacteurs nucléaires. L’emplacement de Darlington est situé à Bowmanville (Ontario), sur la rive nord du lac Ontario, dans la municipalité de Clarington, et à l’endroit où se situe la centrale nucléaire existante de Darlington (la CN de Darlington).

 

[3]               En vertu du Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées, DORS/94‑636 (le Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées), il était nécessaire de réaliser une évaluation environnementale avant l’octroi du permis. Le projet proposé par OPG – qui comprenait la construction, l’exploitation, le déclassement et l’abandon des réacteurs proposés ainsi que la gestion des déchets conventionnels et radioactifs connexes – nécessitait également d’autres approbations fédérales qui justifiaient une autre évaluation conformément à la LCEE en vertu du Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées, y compris des autorisations en vertu du paragraphe 35(2) de la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F‑14 (la Loi sur les pêches) et de l’article 5 de la Loi sur la protection des eaux navigables, LRC 1985, c N‑22 (LPEN) (maintenant appelée la Loi sur la protection de la navigation). La CCSN a demandé au ministre de renvoyer le projet pour examen par une commission d’examen conjoint, ce qu’il a fait en mars 2008. La Commission avait un caractère « conjoint » en ce qu’elle devait effectuer une évaluation environnementale du projet en vertu de la LCEE et agir aussi comme formation de la CCSN afin d’examiner la demande de permis.

 

[4]               En septembre 2008, le ministre et la CCSN ont publié l’ébauche des Lignes directrices pour la préparation de l’énoncé des incidences environnementales du projet de nouvelle centrale nucléaire Darlington d’Ontario Power Generation (les Lignes directrices de l’EIE) et un projet d’Entente relative à la commission d’examen conjoint (l’Entente), y compris le cadre de référence de la Commission (le cadre de référence), pour examen public. Les Lignes directrices de l’EIE donnaient à OPG une orientation sur la façon de préparer l’énoncé des incidences environnementales (l’EIE) pour l’analyse de la Commission et l’Entente décrivait le cadre pour l’établissement de la Commission et le déroulement de l’examen conjoint. La version finale de ces documents a été publiée le 12 mars 2009, après la prise en compte des commentaires reçus du public. Les deux documents indiquaient qu’une série de technologies de réacteur était à l’étude et qu’aucune décision n’avait encore été prise.

 

[5]               Le 30 septembre 2009, OPG a déposé son EIE, accompagné de documents d’appui et d’une demande révisée de permis de préparation d’un emplacement. Puisqu’aucune technologie de réacteur nucléaire précise n’avait été choisie, OPG a rédigé son EIE en fonction de ce qui est appelé une « approche limitative », aussi appelée « l’enveloppe des paramètres de la centrale » (EPC) ou approche du « scénario limitatif », qui englobe plusieurs technologies de réacteur possibles. Comme l’a décrit OPG dans ses observations présentées à la Cour, cette approche comporte l’identification des éléments de conception importants du projet et, à l’égard de chaque élément, l’application de la « valeur limitative » (la valeur comportant la plus grande possibilité de donner lieu à un effet environnemental négatif) en fonction des options de conception envisagées. En théorie, cette approche permet de délimiter les incidences environnementales prévues maximales, soit le scénario limitatif ou EPC.

 

[6]               Au départ, trois options de technologies de réacteur ont été prises en compte pour élaborer le scénario limitatif, soit le réacteur ACR‑1000, le réacteur américain EPR et le réacteur AP‑1000. Plus tard dans le processus, la version améliorée du réacteur CANDU 6 (EC 6) a été ajoutée comme option de technologie, bien qu’elle n’ait pas été prise en compte dans l’EIE. OPG déclare que l’option du réacteur EC 6 a été ajoutée au modèle de l’EPC en juillet 2010 en raison d’une lettre de la CCSN au président de la Commission. Dans la lettre, la CCSN expliquait que l’approche de l’EPC devait présenter un EIE général « neutre sur le plan technologique » et que l’inclusion de la technologie du réacteur EC 6 dans l’examen de la Commission offrirait de la souplesse dans les phases ultérieures du projet et minimiserait la probabilité de la nécessité d’une autre évaluation environnementale si OPG choisissait la technologie du réacteur EC 6. La Commission a demandé à OPG des renseignements supplémentaires pour faciliter son évaluation de l’option du réacteur EC 6. En octobre 2010, les demanderesses se sont opposées, pour des motifs d’équité et d’autres motifs, à ce qu’elles ont appelé l’inclusion tardive de la conception du réacteur EC 6, mais la Commission a rejeté ces objections.

 

[7]               Les trois membres de la Commission ont été nommés le 30 octobre 2009. En novembre 2009, la Commission a entamé son examen de la recevabilité de l’EIE. Cet examen a comporté la prise en compte des commentaires et recommandations reçus du public, des membres du personnel de la CCSN et d’autres parties intéressées, notamment les organismes et ministères du gouvernement; cet examen s’est étalé sur une période de onze mois. Ces observations contenaient une lettre du personnel de la CCSN adressée au secrétariat de la Commission et datée du 2 novembre 2009. Cette lettre expliquait que l’EIE contenait tous les renseignements exigés par les Lignes directrices de l’EIE et les règlements applicables à la préparation d’un emplacement en vertu de la LSRN.

 

[8]               La Commission a présenté à OPG 284 demandes de renseignements supplémentaires concernant l’EIE et 26 demandes concernant la demande de permis, en partie fondées sur les commentaires reçus. La Commission a tenu deux séances d’information technique ouvertes au public à l’administration centrale de la CCSN en décembre 2009 et en juin 2010. Les commentaires relatifs à la recevabilité de l’EIE ont été acceptés jusqu’au 8 octobre 2010. En décembre 2010, la Commission a conclu que l’EIE et les réponses supplémentaires d’OPG contenaient suffisamment de renseignements pour permettre à la Commission de tenir des audiences publiques sur le projet.

 

[9]               Ces audiences ont duré 17 jours, entre le 21 mars et le 8 avril 2011. Les demanderesses ont participé en qualité d’intervenantes tant à l’occasion des audiences publiques qu’à l’occasion des procédures préalables à l’instance. Au dernier jour des audiences, la Commission a émis une procédure révisée pour les commentaires écrits, permettant aux participants aux audiences (autres qu’OPG) de présenter par écrit des observations finales au plus tard le 17 mai 2011 et à OPG de présenter par écrit des observations finales au plus tard le 22 mai 2011. Le 3 juin 2011, la Commission a annoncé qu’elle avait obtenu et publié tous les renseignements dont elle avait besoin pour préparer son rapport et a clos le dossier de l’évaluation environnementale.

 

[10]           Le 25 août 2011, la Commission a terminé l’évaluation environnementale et a présenté le rapport d’évaluation environnementale au ministre. Le rapport d’évaluation environnementale concluait que le projet n’était pas susceptible de causer des effets environnementaux négatifs importants si les mesures d’atténuation proposées par OPG et les engagements pris par celle-ci au cours de l’examen et si les 67 recommandations de la Commission étaient mis en œuvre.

 

[11]           Le 23 septembre 2011, les demanderesses ont présenté la première demande de contrôle judiciaire en cause en l’espèce (dossier T‑1572‑11), contestant le caractère suffisant de l’évaluation environnementale et du rapport d’évaluation environnementale.

 

[12]           Une fois qu’une commission d’examen présente un rapport d’évaluation environnementale, les autorités responsables rédigent une réponse du gouvernement, qui est présentée au gouverneur en conseil (le Cabinet) pour approbation. L’expression « autorités responsables » est une expression définie qui désigne les ministères ou organismes fédéraux qui doivent prendre une décision ou une action pour qu’un projet aille de l’avant et qui sont donc tenus de veiller à ce que l’évaluation environnementale ait lieu (voir le paragraphe 2(1), l’alinéa 5(1)d) et le paragraphe 11(1) de la LCEE). En l’espèce, la CCSN, le ministère des Pêches et des Océans (le MPO) et Transports Canada sont les autorités responsables et le défendeur procureur général du Canada (PGC) indique que le ministère des Ressources naturelles et Santé Canada ont également participé à la rédaction de la réponse du gouvernement.

 

[13]           La réponse du gouvernement a été publiée le 2 mai 2012, déclarant que le gouvernement avait conclu que le projet n’était pas susceptible de causer des effets environnementaux négatifs importants. La Loi exige que les autorités responsables prennent une « décision » qui est compatible avec la réponse du gouvernement approuvée par le Cabinet (voir le paragraphe 37(1.1) de la LCEE). Le 8 mai 2012, les autorités responsables ont annoncé leur « décision » (ou décision définitive) déclarant que les autorités responsables pouvaient exercer leurs attributions à l’égard du projet puisqu’elles estimaient que la réalisation de ce projet n’était pas susceptible d’entraîner des effets négatifs importants sur l’environnement.

 

[14]           Le 17 août 2012, la Commission, agissant en qualité de formation de la CCSN aux fins de la demande de permis, a délivré à OPG un permis de dix ans l’autorisant à entreprendre une série d’activités de préparation de l’emplacement en rapport avec le projet.

 

Décisions faisant l’objet du contrôle

[15]           Le rapport d’évaluation environnementale présenté par la Commission au ministre le 25 août 2011 compte 171 pages (plus les annexes) et contient 67 recommandations adressées aux autorités gouvernementales fédérales, provinciales et municipales. Selon la conclusion générale du rapport d’évaluation environnementale, « le projet n’est pas susceptible de causer des effets environnementaux négatifs importants pourvu que les mesures d’atténuation proposées et les engagements pris par OPG pendant l’examen ainsi que les recommandations de la Commission soient mis en œuvre » (rapport d’évaluation environnementale, à la page 143).

 

[16]           En ce qui concerne l’utilisation de l’approche de l’EPC, la Commission a fait les observations suivantes à la page 56 du rapport :

La Commission accepte l’utilisation d’une enveloppe des paramètres de la centrale aux fins de l’évaluation environnementale en tant qu’approche permettant de prédire les effets environnementaux négatifs d’un groupe déterminé de technologies de réacteurs. La Commission reconnaît toutefois qu’il s’agit d’une dérogation par rapport à une approche plus traditionnelle dans laquelle les principaux éléments du projet sont définis avant l’évaluation environnementale.

 

De plus, la Commission fait remarquer que des aspects de l’enveloppe des paramètres de la centrale se fondaient sur des renseignements préliminaires sur la conception. Il faudra par conséquent vérifier en permanence les conclusions obtenues en ce qui concerne l’importance des effets négatifs sur l’environnement.

 

 

[17]           La Commission a déclaré que si le projet devait être mis à exécution, la technologie de réacteur choisie « devra démontrer qu’elle est conforme à l’enveloppe des paramètres de la centrale et aux exigences de la réglementation, et doit être conforme aux hypothèses, aux conclusions et aux recommandations de l’évaluation environnementale et aux détails de la réponse du gouvernement au rapport d’évaluation environnementale ». La Commission a indiqué que cela devra être évalué par les autorités responsables dès qu’une technologie de réacteur aura été choisie et devra être démontré dans le cadre du processus d’examen de la demande du permis de construction (rapport d’évaluation environnementale, à la page 13). Si la technologie de réacteur choisie est fondamentalement différente de celles qui ont été évaluées, la Commission a déclaré ce qui suit : « alors cet examen ne s’applique pas et une nouvelle évaluation environnementale doit être réalisée » (rapport d’évaluation environnementale, à la page 171). Cette déclaration se reflète dans la recommandation 1 du rapport d’évaluation environnementale, qui est rédigée comme suit :

La Commission comprend que, avant la construction, la Commission canadienne de sûreté nucléaire déterminera si la présente évaluation environnementale s’appliquera à la technologie de réacteur choisie par le gouvernement de l’Ontario pour le projet. Néanmoins, si la technologie de réacteur choisie est fondamentalement différente des technologies de réacteur spécifiques délimitant l’enveloppe des paramètres présentement à l’étude, la Commission recommande d’effectuer une nouvelle évaluation environnementale.

 

 

[18]           Le permis, qui est valide du 17 août 2012 au 17 août 2022, autorise OPG à exercer une série d’activités de préparation de l’emplacement, y compris le défrichement et l’essouchage, l’excavation et le nivelage de l’emplacement, l’installation de services et d’équipements, la construction de bureaux administratifs et des infrastructures de soutien. Le permis est étayé par un Compte rendu des délibérations, y compris les motifs de décision, qui compte plus de 50 pages (les motifs de la décision relative au permis). Ces motifs décrivent comme suit les sujets sur lesquels il était nécessaire de se prononcer et les conclusions de la Commission (agissant en qualité de formation de la CCSN) :

9.         Dans son examen de la demande, la Commission devait décider si l’emplacement convenait à la construction d’une centrale nucléaire, conformément aux exigences réglementaires du Règlement sur les installations nucléaires de catégorie I et aux attentes établies dans le document d’application de la réglementation RD‑3466 de la CCSN. De plus, elle devait décider, conformément au paragraphe 24(4) de la LSRN :

 

a)                  si OPG est compétente pour exercer les activités qui seraient autorisées par le permis

 

b)                  si, dans le cadre de ces activités, OPG prendra les mesures voulues pour protéger l’environnement, préserver la santé et la sécurité des personnes, maintenir la sécurité nationale, et respecter les obligations internationales que le Canada a assumées.

 

[…]

 

13.       D’après son examen de la question, décrit plus en détail dans les sections suivantes du présent compte rendu, la Commission conclut qu’OPG est compétente pour exercer les activités visées par le permis. Elle est d’avis qu’OPG, dans le cadre de ces activités, prendra les mesures voulues pour préserver la santé et la sécurité des personnes, protéger l’environnement, maintenir la sécurité nationale et respecter les obligations internationales que le Canada a assumées.

 

Questions en litige

[19]           Les questions soulevées dans les présentes demandes de contrôle judiciaire peuvent être résumées comme suit :

a)      La Commission a-t-elle omis de répondre aux exigences de la LCEE en menant l’évaluation environnementale :

i.                    en omettant de réaliser l’évaluation environnementale d’un « projet » au sens de la Loi;

ii.                  en omettant de prendre en compte les « effets environnementaux » du projet comme l’exige l’article 16 de la Loi;

iii.                en omettant d’évaluer la nécessité du projet et ses solutions de rechange comme le prescrivent la Loi et le cadre de référence de la Commission;

iv.                en omettant de s’acquitter de ses obligations, prévues à l’article 34 de la LCEE, de veiller à l’obtention des renseignements, de tenir une consultation publique et de présenter son rapport;

v.                  en déléguant illégalement ses obligations prévues à la Loi?

 

b)      En délivrant le permis, la Commission a-t-elle omis de respecter les exigences de la LCEE et de la LSRN :

i.                    en omettant de veiller à ce qu’une évaluation environnementale conforme à la LCEE soit effectuée avant de délivrer le permis;

ii.                  en omettant de respecter le paragraphe 24(4) de la LSRN en examinant et en octroyant le permis en l’absence des renseignements expressément exigés par les règlements pertinents?

 

c)      La Commission a-t-elle commis un manquement à l’équité procédurale en empêchant la participation efficace du public à l’examen conjoint par ses décisions en matière de procédure ou en s’appuyant sur une preuve extrinsèque lorsqu’elle a octroyé le permis?

 

Norme de contrôle

[20]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. Dans les cas où la jurisprudence antérieure a établi de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à une question particulière sur laquelle la cour doit se prononcer, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que dans les cas où cette démarche se révèle infructueuse ou dans les cas où les précédents pertinents semblent être incompatibles avec les principes de common law relatifs au contrôle judiciaire que la cour de révision doit se livrer à un examen des quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

 

[21]           Les parties ne contestent pas que les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, au paragraphe 100; Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53).

 

[22]           Les demanderesses font valoir que l’omission de se conformer à une exigence obligatoire prévue dans la LCEE est une erreur de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte et que cette norme s’applique à la question de savoir si, en l’espèce, la Commission s’est acquittée de ses obligations prévues par la Loi (Mines Alerte Canada c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2007 CF 955, aux paragraphes 135‑137 [Mines Alerte (CF)], infirmée par 2008 CAF 209, infirmé par 2010 CSC 2; Pembina Institute for Appropriate Development c Canada (Procureur général), 2008 CF 302, aux paragraphes 37, 41 [Pembina Institute]; Alberta Wilderness Assn c Cardinal River Coals Ltd, [1999] 3 CF 425 (1re inst), aux paragraphes 39‑41 [Cardinal River Coals]; Friends of the West Country Assn c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [2000] 2 CF 263 (CAF), au paragraphe 25 [Friends of the West Country]; Prairie Acid Rain Coalition c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2006 CAF 31, aux paragraphes 9‑12; Environmental Resource Centre c Canada (Ministre de l’Environnement), 2001 CFPI 1423, aux paragraphes 154‑159, [2001] ACF no 1937 (1re inst) [Environmental Resource Centre]; Georgia Straight Alliance c Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (sub nom Canada (Pêches et Océans) c La Fondation David Suzuki), 2012 CAF 40, aux paragraphes 88‑90, 96‑106 [David Suzuki].

 

[23]           Les défendeurs soutiennent essentiellement que les demanderesses attaquent la suffisance ou la « qualité » de la preuve et le caractère raisonnable des conclusions sur laquelle elles se fondent, et la Cour a fait une mise en garde contre la mauvaise caractérisation de tels sujets en tant que questions liées à l’omission de respecter les exigences de la Loi (Pembina Institute, précitée, aux paragraphes 38-40). Ils font valoir que l’examen de la preuve par la Commission, y compris les conclusions quant à la suffisance de la preuve ou l’importance des effets environnementaux, doivent être contrôlés selon la norme de la décision raisonnable (Pembina Institute, précitée, au paragraphe 37; Bow Valley Naturalists Society c Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [2001] 2 CF 461 (CAF), au paragraphe 55 [Bow Valley]; Inverhuron & District Ratepayers’ Assn c Canada (Ministre de l’Environnement), 2001 CAF 203, aux paragraphes 32-40 [Inverhuron (CAF)]; Alberta Wilderness Assn c Express Pipelines Ltd (1996), 137 DLR (4th) 177, [1996] ACF no 1016 (CAF), au paragraphe 10 [Express Pipelines]. Les défendeurs soutiennent qu’il en va de même en ce qui concerne la question de savoir si la Commission a examiné de façon appropriée la nécessité du projet et ses solutions de rechange (Grand Riverkeeper, Labrador Inc c Canada (Procureur général), 2012 CF 1520, aux paragraphes 27‑40 [Grand Riverkeeper]). Ils soulignent que même si les tribunaux doivent veiller à ce que les exigences de la LCEE soient respectées, ils doivent s’en remettre aux décisions sur le fond. Une cour de révision ne doit pas agir comme une « académie des sciences ». Si les étapes prévues par la loi sont suivies, ce n’est pas aux juges de décider quels projets doivent être autorisés (Inverhuron (CAF), précité, au paragraphe 36, citant Bow Valley, précité).

 

[24]           En outre, compte tenu de l’évolution récente de la jurisprudence en matière de contrôle judiciaire, les défendeurs soutiennent que même à l’égard de plusieurs questions de droit, il y a lieu de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de la Commission (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, au paragraphe 24; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, aux paragraphes 33-34 [Alberta Teachers]. De même, les défendeurs soulignent que la Cour a, dans le contexte d’une demande de renouvellement de permis, établi que l’interprétation et l’application de la LSRN par la CCSN sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable (Première nation Denesuline de Fond du Lac c Canada (Procureur général), 2010 CF 948, au paragraphe 42, conf. par 2012 CAF 73 [Fond du Lac]).

 

[25]           Il est vrai qu’avant l’arrêt Dunsmuir, précité, la Cour et la Cour d’appel ont toujours appliqué la norme de la décision correcte à l’occasion du contrôle judiciaire de l’interprétation de la LCEE et des obligations prévues par la Loi par une commission d’examen ou un autre décideur administratif (Cardinal River Coals, précitée; Friends of the West Country, précité; Bow Valley, précité, au paragraphe 55; Environmental Resource Centre, précitée, aux paragraphes 138, 154; Pembina Institute, précité, aux paragraphes 37, 41), et qu’elles ont appliqué la norme de la décision raisonnable lors du contrôle judiciaire de l’appréciation de la preuve par une telle commission et des conclusions de fond tirées en fonction de cette preuve, comme la question de savoir si le projet est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants (Bow Valley, précité, au paragraphe 55; Inverhuron (CAF), précité, aux paragraphes 39‑40; Pembina Institute, précitée, au paragraphe 37). Ainsi, par exemple, l’interprétation de l’obligation de prendre en compte les éléments énoncés à l’article 16 (Environmental Resource Centre, précitée, aux paragraphes 138, 152‑154) et de l’obligation, prévue aux alinéas 34a) et c), de la part d’une commission d’examen d’obtenir les renseignements nécessaires et d’établir un rapport, (Cardinal River Coals, précitée, au paragraphe 26), a été considérée comme une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[26]           En pratique, il s’est révélé parfois difficile de discerner la différence entre les questions portant sur l’interprétation par une commission ou un décideur de leurs obligations en vertu de la LCEE d’une part, et les questions concernant la suffisance ou la qualité de la preuve présentée devant le décideur, d’autre part (voir Cardinal River Coals, précitée, au paragraphe 24; Pembina Institute, précitée, au paragraphe 39; Express Pipelines, précité, au paragraphe 10). Cela n’est pas étonnant puisque satisfaire à une obligation d’effectuer un « examen », d’obtenir les « renseignements nécessaires » et d’établir un rapport assorti de « sa justification, de ses conclusions et recommandations » est toujours une question de degré. Il serait toujours possible d’aller plus en profondeur pour examiner les éléments, obtenir des renseignements ou justifier ses conclusions.

 

[27]           La jurisprudence postérieure à l’arrêt Dunsmuir a tendance à refléter la reconnaissance de ce fait. Je ne doute pas que la détermination de l’étendue des renseignements à recueillir, de l’examen d’un élément particulier ou de l’établissement du rapport concernant ses justifications, conclusions et recommandations comporte un aspect lié à l’interprétation législative. Mais il s’agit également d’une question de jugement fondée sur les faits et les circonstances de chaque espèce et une question à l’égard de laquelle on peut s’attendre à ce qu’une commission d’examen apporte son expérience et son expertise (Grand Riverkeeper, précitée, aux paragraphes 35‑40; Conseil des innus de Ekuanitshit c Canada (Procureur général), 2013 CF 418, aux paragraphes 69‑71 [Conseil des innus de Ekuanitshit]; Canadian Transit Co c Canada (Ministre des Transports), 2011 CF 515, aux paragraphes 83‑86, conf. par 2012 CAF 70 [Canadian Transit]. Cela correspond au principe maintenant bien établi portant que la déférence est de mise à l’égard d’un décideur administratif qui interprète sa loi constitutive ou une loi qui y est étroitement liée (voir McLean c Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, aux paragraphes 21‑22, [2013] 3 RCS 895 [McLean]; Alberta Teachers, précité, au paragraphe 34; Dunsmuir, précité, au paragraphe 54). La Cour d’appel fédérale a récemment confirmé que le principe énoncé dans David Suzuki, précité, voulant que cette présomption de déférence ne s’applique pas de la même manière aux instances non juridictionnelles, a été remplacé par une jurisprudence ultérieure de la Cour suprême (voir Kandola c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 85, aux paragraphes 30‑42 (le juge Noël, avec l’accord du juge Webb) et au paragraphe 86 (le juge Mainville).

 

[28]           Des questions de droit peuvent être soulevées au titre de la LCEE ou de la loi qui l’a remplacée à l’égard desquelles, suivant une analyse contextuelle, la présomption d’assujettissement à la norme de contrôle de la décision raisonnable sera réfutée et la norme de la décision correcte s’appliquera (voir McLean, précité, au paragraphe 22; Rogers Communications Inc c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, au paragraphe 16, [2012] 2 RCS 283; Dunsmuir, précité, aux paragraphes 58-61). Toutefois, j’estime que de telles questions ne sont pas soulevées ici. Bien que les réponses aux questions en litige a) i. à a) v. puissent comporter un élément d’interprétation de la loi, chaque question est également une question mixte de fait et de droit qui fait appel à l’expertise et au jugement de la Commission. À ce titre, chacune de ces questions est, à mon avis, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

[29]           Dans la même veine, selon la conclusion que j’ai tirée dans Fond du Lac, précitée, au paragraphe 42, « son interprétation et son application [celles de la CCSN] de la Loi [la LSRN] doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable » dans le cadre de ses décisions concernant des licences et des permis. En conséquence, la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle de la décision de la Commission (agissant en qualité de la CCSN) de délivrer le permis de préparation de l’emplacement en l’espèce, y compris les questions b)i. et b)ii. ci-dessus.

 

[30]           Par souci de clarté, je soulignerai qu’étant donné que la LCEE énonce les obligations et les responsabilités précises d’une commission d’examen, une cour de révision doit aller au-delà de l’évaluation de la question de savoir si une commission en est arrivée à une conclusion raisonnable. La cour doit prendre en compte les obligations énoncées dans la Loi et s’assurer que la commission y a satisfait. Pour ce faire, il y a cependant lieu de faire preuve de déférence à l’égard du jugement de la commission en ce qui a trait à la manière de s’acquitter de ses responsabilités dans un cas donné. Il s’agit d’obligations qui doivent être interprétées et exécutées de façon raisonnable dans les circonstances (voir Grand Riverkeeper, précitée, au paragraphe 62).

 

[31]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, son analyse s’attachera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [Khosa]). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable dans le sens où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »

 

Dispositions législatives

[32]           Les dispositions suivantes de la LCEE s’appliquent à la présente instance :

Objet

 

4. (1) La présente loi a pour objet :

 

a) de veiller à ce que les projets soient étudiés avec soin et prudence avant que les autorités fédérales prennent des mesures à leur égard, afin qu’ils n’entraînent pas d’effets environnementaux négatifs importants;

 

 

b) d’inciter ces autorités à favoriser un développement durable propice à la salubrité de l’environnement et à la santé de l’économie;

 

 

 

[…]

 

d) de veiller à ce que le public ait la possibilité de participer de façon significative et en temps opportun au processus de l’évaluation environnementale.

 

[…]

 

 

Mission du gouvernement du Canada

 

(2) Pour l’application de la présente loi, le gouvernement du Canada, le ministre, l’Agence et les organismes assujettis aux dispositions de celle-ci, y compris les autorités fédérales et les autorités responsables, doivent exercer leurs pouvoirs de manière à protéger l’environnement et la santé humaine et à appliquer le principe de la prudence.

 

[…]

 

Éléments à examiner

 

16. (1) L’examen préalable, l’étude approfondie, la médiation ou l’examen par une commission d’un projet portent notamment sur les éléments suivants :

 

a) les effets environnementaux du projet, y compris ceux causés par les accidents ou défaillances pouvant en résulter, et les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à l’existence d’autres ouvrages ou à la réalisation d’autres projets ou activités, est susceptible de causer à l’environnement;

 

b) l’importance des effets visés à l’alinéa a);

 

 

c) les observations du public à cet égard, reçues conformément à la présente loi et aux règlements;

 

d) les mesures d’atténuation réalisables, sur les plans technique et économique, des effets environnementaux importants du projet;

 

 

e) tout autre élément utile à l’examen préalable, à l’étude approfondie, à la médiation ou à l’examen par une commission, notamment la nécessité du projet et ses solutions de rechange, — dont l’autorité responsable ou, sauf dans le cas d’un examen préalable, le ministre, après consultation de celle-ci, peut exiger la prise en compte.

 

 

Éléments supplémentaires

 

(2) L’étude approfondie d’un projet et l’évaluation environnementale qui fait l’objet d’une médiation ou d’un examen par une commission portent également sur les éléments suivants :

 

a) les raisons d’être du projet;

 

b) les solutions de rechange réalisables sur les plans technique et économique, et leurs effets environnementaux;

 

 

 

c) la nécessité d’un programme de suivi du projet, ainsi que ses modalités;

 

 

d) la capacité des ressources renouvelables, risquant d’être touchées de façon importante par le projet, de répondre aux besoins du présent et à ceux des générations futures.

 

 

Obligations

 

(3) L’évaluation de la portée des éléments visés aux alinéas (1)a), b) et d) et (2)b), c) et d) incombe :

 

 

a) à l’autorité responsable;

 

 

b) au ministre, après consultation de l’autorité responsable, lors de la détermination du mandat du médiateur ou de la commission d’examen.

 

 

[…]

 

Commission d’évaluation environnementale

 

34. La commission, conformément à son mandat et aux règlements pris à cette fin :

 

 

a) veille à l’obtention des renseignements nécessaires à l’évaluation environnementale d’un projet et veille à ce que le public y ait accès;

 

b) tient des audiences de façon à donner au public la possibilité de participer à l’évaluation environnementale du projet;

 

c) établit un rapport assorti de sa justification, de ses conclusions et recommandations relativement à l’évaluation

environnementale du projet, notamment aux mesures d’atténuation et au programme de suivi, et énonçant, sous la forme d’un résumé, les observations reçues du public;

 

 

 

 

 

d) présente son rapport au ministre et à l’autorité responsable.

Purposes

 

4. (1) The purposes of this Act are

 

(a) to ensure that projects are considered in a careful and precautionary manner before federal authorities take action in connection with them, in order to ensure that such projects do not cause significant adverse environmental effects;

 

(b) to encourage responsible authorities to take actions that promote sustainable development and thereby achieve or maintain a healthy environment and a healthy economy;

 

[…]

 

(d) to ensure that there be opportunities for timely and meaningful public participation throughout the environmental assessment process.

 

[…]

 

 

Duties of the Government of Canada

 

(2) In the administration of this Act, the Government of Canada, the Minister, the Agency and all bodies subject to the provisions of this Act, including federal authorities and responsible authorities, shall exercise their powers in a manner that protects the environment and human health and applies the precautionary principle.

 

[…]

 

Factors to be considered

 

16. (1) Every screening or comprehensive study of a project and every mediation or assessment by a review panel shall include a consideration of the following factors:

 

(a) the environmental effects of the project, including the environmental effects of malfunctions or accidents that may occur in connection with the project and any cumulative environmental effects that are likely to result from the project in combination with other projects or activities that have been or will be carried out;

 

(b) the significance of the effects referred to in paragraph (a);

 

(c) comments from the public that are received in accordance with this Act and the regulations;

 

(d) measures that are technically and economically feasible and that would mitigate any significant adverse environmental effects of the project; and

 

(e) any other matter relevant to the screening, comprehensive study, mediation or assessment by a review panel, such as the need for the project and alternatives to the project, that the responsible authority or, except in the case of a screening, the Minister after consulting with the responsible authority, may require to be considered.

 

 

Additional factors

 

(2) In addition to the factors set out in subsection (1), every comprehensive study of a project and every mediation or assessment by a review panel shall include a consideration of the following factors:

 

(a) the purpose of the project;

 

(b) alternative means of carrying out the project that are technically and economically feasible and the environmental effects of any such alternative means;

 

(c) the need for, and the requirements of, any follow-up program in respect of the project; and

 

(d) the capacity of renewable resources that are likely to be significantly affected by the project to meet the needs of the present and those of the future.

 

 

Determination of factors

 

(3) The scope of the factors to be taken into consideration pursuant to paragraphs (1)(a), (b) and (d) and (2)(b), (c) and (d) shall be determined

 

(a) by the responsible authority; or

 

(b) where a project is referred to a mediator or a review panel, by the Minister, after consulting the responsible authority, when fixing the terms of reference of the mediation or review panel.

 

[…]

 

Assessment by review panel

 

 

34. A review panel shall, in accordance with any regulations made for that purpose and with its term of reference,

 

(a) ensure that the information required for an assessment by a review panel is obtained and made available to the public;

 

 

(b) hold hearings in a manner that offers the public an opportunity to participate in the assessment;

 

 

(c) prepare a report setting out

 

(i) the rationale, conclusions and recommendations of the panel relating to the environmental assessment of the project, including any mitigation measures and follow-up program, and

 

(ii) a summary of any comments received from the public; and

 

(d) submit the report to the Minister and the responsible authority.

 

[33]           Les dispositions suivantes de la LSRN s’appliquent à la présente instance :

Catégories

 

24. (1) La Commission peut établir plusieurs catégories de licences et de permis; chaque licence ou permis autorise le titulaire à exercer celles des activités décrites aux alinéas 26a) à f) que la licence ou le permis mentionne, pendant la durée qui y est également mentionnée.

 

[…]

 

Conditions préalables à la délivrance

 

(4) La Commission ne délivre, ne renouvelle, ne modifie ou ne remplace une licence ou un permis ou n’en autorise le transfert que si elle est d’avis que l’auteur de la demande ou, s’il s’agit d’une demande d’autorisation de transfert, le cessionnaire, à la fois :

 

a) est compétent pour exercer les activités visées par la licence ou le permis;

 

 

b) prendra, dans le cadre de ces activités, les mesures voulues pour préserver la santé et la sécurité des personnes, pour protéger l’environnement, pour maintenir la sécurité nationale et pour respecter les obligations internationales que le Canada a assumées.

 

 

[…]

Licences

 

24. (1) The Commission may establish classes of licences authorizing the licensee to carry on any activity described in any of paragraphs 26(a) to (f) that is specified in the licence for the period that is specified in the licence.

 

 

 

[…]

 

Conditions for issuance, etc.

 

 

(4) No licence shall be issued, renewed, amended or replaced — and no authorization to transfer one given — unless, in the opinion of the Commission, the applicant or, in the case of an application for an authorization to transfer the licence, the transferee

 

(a) is qualified to carry on the activity that the licence will authorize the licensee to carry on; and

 

(b) will, in carrying on that activity, make adequate provision for the protection of the environment, the health and safety of persons and the maintenance of national security and measures required to implement international obligations to which Canada has agreed.

 

[…]

 

[34]           Les dispositions suivantes du Règlement sur les installations nucléaires de catégorie I, DORS/2000‑204 (le Règlement), s’appliquent à la présente instance :

Dispositions générales

 

3. La demande de permis visant une installation nucléaire de catégorie I, autre qu'un permis d'abandon, comprend les renseignements suivants, outre ceux exigés à l'article 3 du Règlement général sur la sûreté et la réglementation nucléaires:

 

a) une description de l'emplacement de l'activité visée par la demande, y compris l'emplacement de toute zone d'exclusion et de toute structure s'y trouvant;

 

b) des plans indiquant l'emplacement, le périmètre, les aires, les ouvrages et les systèmes de l'installation nucléaire;

 

c) la preuve que le demandeur est le propriétaire de l'emplacement ou qu'il est mandaté par celui-ci pour exercer l'activité visée;

 

d) le programme proposé d'assurance de la qualité proposé pour l'activité visée;

 

e) le nom, la forme, les caractéristiques et la quantité des substances dangereuses qui pourraient se trouver sur l'emplacement pendant le déroulement de l'activité visée;

 

f) les politiques et procédures proposées relativement à la santé et à la sécurité des travailleurs;

 

g) les politiques et procédures proposées relativement à la protection de l'environnement;

 

h) les programmes proposés pour la surveillance de l'environnement et des effluents;

 

i) lorsque la demande vise une installation nucléaire mentionnée à l'alinéa 2b) du Règlement sur la sécurité nucléaire, les renseignements exigés à l'article 3 de ce règlement;

 

j) le programme destiné à informer les personnes qui résident à proximité de l'emplacement de la nature et des caractéristiques générales des effets prévus de l'activité visée sur l'environnement ainsi que sur la santé et la sécurité des personnes;

 

 

k) le plan proposé pour le déclassement de l'installation nucléaire ou de l'emplacement.

 

Permis de préparation de l'emplacement

 

4. La demande de permis pour préparer l'emplacement d'une installation nucléaire de catégorie I comprend les renseignements suivants, outre ceux exigés à l'article 3 :

 

a) une description du processus d'évaluation de l'emplacement, ainsi que des analyses et des travaux préalables qui ont été et seront effectués sur l'emplacement et dans les environs;

 

b) une description de la vulnérabilité de l'emplacement aux activités humaines et aux phénomènes naturels, y compris les secousses sismiques, les tornades et les inondations;

 

c) le programme devant servir à déterminer les caractéristiques environnementales de base de l'emplacement et des environs;

 

d) le programme d'assurance de la qualité proposé pour la conception de l'installation nucléaire;

 

e) les effets sur l'environnement ainsi que sur la santé et la sécurité des personnes que peut avoir l'activité visée par la demande, de même que les mesures qui seront prises pour éviter ou atténuer ces effets.

 

[…]

General Requirements

 

3. An application for a licence in respect of a Class I nuclear facility, other than a licence to abandon, shall contain the following information in addition to the information required by section 3 of the General Nuclear Safety and Control Regulations:

 

(a) a description of the site of the activity to be licensed, including the location of any exclusion zone and any structures within that zone;

 

 

(b) plans showing the location, perimeter, areas, structures and systems of the nuclear facility;

 

 

 

(c) evidence that the applicant is the owner of the site or has authority from the owner of the site to carry on the activity to be licensed;

 

(d) the proposed quality assurance program for the activity to be licensed;

 

(e) the name, form, characteristics and quantity of any hazardous substances that may be on the site while the activity to be licensed is carried on;

 

(f) the proposed worker health and safety policies and procedures;

 

 

(g) the proposed environmental protection policies and procedures;

 

(h) the proposed effluent and environmental monitoring programs;

 

 

(i) if the application is in respect of a nuclear facility referred to in paragraph 2(b) of the Nuclear Security Regulations, the information required by section 3 of those Regulations;

 

(j) the proposed program to inform persons living in the vicinity of the site of the general nature and characteristics of the anticipated effects on the environment and the health and safety of persons that may result from the activity to be licensed; and

 

(k) the proposed plan for the decommissioning of the nuclear facility or of the site.

 

Licence to Prepare Site

 

 

4. An application for a licence to prepare a site for a Class I nuclear facility shall contain the following information in addition to the information required by section 3:

 

(a) a description of the site evaluation process and of the investigations and preparatory work that have been and will be done on the site and in the surrounding area;

 

 

(b) a description of the site's susceptibility to human activity and natural phenomena, including seismic events, tornadoes and floods;

 

 

 

(c) the proposed program to determine the environmental baseline characteristics of the site and the surrounding area;

 

 

(d) the proposed quality assurance program for the design of the nuclear facility; and

 

(e) the effects on the environment and the health and safety of persons that may result from the activity to be licensed, and the measures that will be taken to prevent or mitigate those effects.

 

 

[…]

 

ARGUMENT

Demanderesses

Rapport d’évaluation environnementale – Dossier T‑1572‑11

Omission de se conformer à la LCEE

[35]           Les demanderesses contestent l’évaluation environnementale pour plusieurs raisons. Selon leur position générale, en menant l’évaluation environnementale, la Commission a omis de respecter les exigences obligatoires prévues à la LCEE et à son propre cadre de référence. Elles soutiennent qu’en droit, la Commission a omis d’effectuer l’évaluation environnementale d’un « projet » au sens de la LCEE et qu’elle a omis de prendre en compte les éléments obligatoires énoncés à l’article 16 de la Loi et dans le cadre de référence. En outre, elles font valoir que la Commission a omis de s’acquitter des obligations imposées par l’article 34 de la Loi en ce qui a trait à l’obtention des renseignements, la participation du public et la présentation d’un rapport et qu’elle a illégalement tenté de transférer ou de déléguer à d’autres entités et organismes ses obligations prévues à l’article 34. Les demanderesses demandent que la Cour renvoie l’évaluation environnementale à la Commission pour qu’elle fasse un nouvel examen conformément aux exigences prévues par la LCEE.

 

[36]           Les demanderesses soutiennent que la LCEE a pour objet global de réaliser un développement durable en prenant en compte les facteurs environnementaux dans le processus décisionnel du gouvernement fédéral relativement à des projets. Elles décrivent la Loi comme la loi fédérale de [traduction] « regarder avant de sauter », soulignant que le paragraphe 4(1) exige que les projets soient étudiés « avec soin et prudence », de même qu’il exige que le public ait la possibilité de participer de façon significative et en temps opportun au processus de l’évaluation environnementale. En outre, les demanderesses font valoir que le paragraphe 4(2) impose une obligation positive en ce que « les organismes assujettis aux dispositions de celle-ci [la Loi] doivent exercer leurs pouvoirs de manière à protéger l’environnement et la santé humaine et à appliquer le principe de la prudence. »

 

[37]           Les demanderesses soulignent que la Cour suprême du Canada a approuvé le principe de la prudence (R c Hydro‑Québec, [1997] 3 RCS 213, au paragraphe 86; 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c Hudson (Ville), 2001 CSC 40, au paragraphe 31 [Spraytech]; Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, au paragraphe 84). De plus, la Cour d’appel fédérale a statué que « [l]e principe de précaution veut qu'on ne donne aucune suite à tout projet qui pourrait avoir des effets négatifs importants sur l'environnement, même s'il n'est pas possible de démontrer avec quelque certitude que ces effets vont en fait se réaliser » (non souligné dans l’original) (Société pour la protection des parcs et des sites naturels du Canada c Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2003 CAF 197, au paragraphe 24 [Société pour la protection des parcs et des sites naturels]; voir aussi Pembina Institute, précitée, aux paragraphes 29‑31). De l’avis des demanderesses, l’approche adoptée par la Commission en l’espèce équivaut à une approche qui consiste à [traduction] « sauter avant de regarder ».

 

[38]           Les demanderesses soutiennent qu’il n’était pas possible de mener une évaluation environnementale qui satisfaisait aux exigences de la LCEE alors que la technologie de réacteur n’avait pas été choisie et que d’autres composantes clés du projet, tels que l’aménagement de l’emplacement, l’option pour les systèmes de refroidissement, l’option pour l’entreposage du combustible nucléaire épuisé et l’option pour la gestion des déchets radioactifs, n’avaient pas encore été précisées. Même si le paragraphe 11(1) de la Loi prévoit qu’une évaluation environnementale doit être effectuée le plus tôt possible au stade de la planification du projet, avant la prise d’une décision irrévocable, l’évaluation environnementale doit également être effectuée à une étape où il est possible de pleinement examiner et déterminer la question de savoir si le projet peut entraîner des effets environnementaux négatifs importants (Friends of the Island Inc c Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] 2 CF 229, aux paragraphes 41, 47, 53-54, 99 [Friends of the Island]).

 

[39]           Même si le projet nécessitera des licences et permis supplémentaires en vertu de la LSRN, les demanderesses soulignent que l’évaluation environnementale fédérale en cause en l’espèce est la seule évaluation environnementale qui sera effectuée à l’égard du projet dans son ensemble. Contrairement à la caractérisation de l’évaluation environnementale par les défendeurs, pour lesquels il s’agit d’un outil d’obtention de renseignements et de planification, les demanderesses citent l’arrêt Friends of the Oldman River Society c Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 CSC 3, au paragraphe 103 [Oldman River], pour faire valoir que le processus d’évaluation renferme un mécanisme « de collecte de renseignements et de prise de décisions, qui fournit au décideur une base objective sur laquelle il pourra s’appuyer pour autoriser ou refuser un projet d’aménagement ».

 

L’approche de l’EPC

[40]           Les demanderesses s’opposent plus particulièrement à l’utilisation du « scénario limitatif » ou approche de l’EPC décrite plus haut pour effectuer l’évaluation environnementale. En premier lieu, elles soutiennent que cela a comme conséquence que la Commission n’a pas examiné un « projet » au sens de la LCEE parce que la nature précise des ouvrages à réaliser n’a pas été définie. Subsidiairement, même si la proposition examinée était un « projet », l’adoption de l’approche du scénario limitatif a empêché la Commission d’évaluer les effets environnementaux du projet comme l’exige la LCEE.

 

[41]           Puisque les évaluations environnementales visent des « projets », les demanderesses font valoir que le mot « projet » est au cœur du régime législatif. Selon la définition du paragraphe 2(1) de la Loi, un « projet » est la réalisation d’un ouvrage ou la proposition d’exercice d’une activité concrète énumérée dans le Règlement sur la liste d’inclusion. En l’espèce, le premier volet de la définition est pertinent. Les demanderesses font valoir que pour être évalué en vertu de ce volet, le projet doit : a) être une activité physique exécutée par des êtres humains; b) être au stade de la proposition et avant le début de la construction comme telle; c) avoir des caractéristiques et des résultats identifiables et concrets (Bennett Environmental Inc c Canada (Ministre de l’Environnement), 2005 CAF 261, au paragraphe 77 [Bennett Environmental]; Canadian Transit, précitée).

 

[42]           De l’avis des demanderesses, pour qu’un « projet existe », un promoteur doit avoir identifié la nature précise de l’ouvrage proposé du début à la fin, y compris les moyens privilégiés pour l’exécuter. Cela fait contraste avec les plans, les politiques et les programmes, qui sont de nature plus large et plus floue et qui comportent [traduction] « divers processus de modification, d’ajout et de retrait de différents éléments » (Canadian Transit, précitée, aux paragraphes 34‑35; Stephen Hazell et Hugh Benevides, Federal Strategic Environmental Assessment: Towards A Legal Framework, (1998) 7 JELP 349 à la page 371). Lorsqu’un promoteur étudie toujours différents moyens de réaliser un projet, il n’existe pas encore un « ouvrage » précis qui peut être évalué de façon pratique en ce qui concerne les effets environnementaux qu’il peut entraîner. La LCEE n’a pas pour but d’évaluer une série conceptuelle d’options et de solutions de rechange, mais bien d’évaluer un projet précis, décrit avec suffisamment de détails qui permettent un examen significatif des effets environnementaux possibles (Friends of the Island, précitée, aux paragraphes 41, 53, 99; Canadian Transit, précitée, aux paragraphes 53, 54, 139, 141). Comme l’a souligné la Cour dans Friends of the Island, au paragraphe 53 : « Les audiences publiques concernant une proposition au stade conceptuel ne sauraient remplacer une évaluation spécifique du projet précis dont la réalisation est prévue. »

 

[43]           En l’espèce, les demanderesses soutiennent que l’évaluation environnementale devait étudier avec soin la construction, l’exploitation et le déclassement d’une nouvelle centrale nucléaire identifiable. Elles font valoir que le rapport d’évaluation environnementale transfère ou délègue plutôt l’évaluation d’une conception précise de réacteurs à d’autres organismes que la Commission. OPG a présenté, et la Commission a évalué, une série d’options conceptuelles trop généralisées et des choix flous de l’aménagement du site qui devaient être faits après la période d’évaluation environnementale, sans autre examen supplémentaire en vertu de la LCEE. Cela équivaut à un plan plutôt qu’à un projet. Les demanderesses soulignent que la Commission elle‑même a conclu qu’il manquait des renseignements importants à propos du projet.

 

[44]           Les demanderesses font valoir qu’en réalisant une évaluation environnementale alors que les principales composantes de la proposition en étaient encore au stade conceptuel, la Commission et le public n’ont pas pu examiner de façon significative les effets environnementaux précis du projet. Les décideurs fédéraux ne connaissent toujours pas les éléments suivants : a) les détails du projet précis qui doit être mis en œuvre à l’emplacement de Darlington; b) la gamme complète des effets environnementaux propres au site ou cumulatifs; c) la question de savoir s’il existe des mesures d’atténuation réalisables pendant le cycle de vie complet du projet. L’approche de la Commission et sa conclusion selon laquelle le projet n’est pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux importants – pourvu que d’autres organismes comblent éventuellement les importantes lacunes en matière de renseignements et que de nombreuses mesures d’atténuation à déterminer soient mises en œuvre – sont l’antithèse du principe de la prudence inscrit au paragraphe 4(2) de la Loi et approuvé par la Cour suprême du Canada.

 

[45]           Selon les prétentions des demanderesses, même si un « projet » au sens de la LCEE existait, la Commission a commis une erreur en acceptant et en appliquant l’approche limitative et cette erreur a fait en sorte que les effets environnementaux du projet n’ont pas été pleinement évalués comme l’exigent les paragraphes 15(3), 16(1) et (2) et les alinéas 34a) et b) de la LCEE. Le paragraphe 15(3) impose une obligation impérative d’assujettir toutes les composantes de « l’ouvrage » à une évaluation environnementale. Les paragraphes 16(1) et (2) énoncent les éléments obligatoires qui doivent être pris en compte à l’égard de chacune de ces composantes, y compris leurs effets environnementaux (Mines Alerte (CF), précitée, au paragraphe 39; Friends of the West Country, précité, au paragraphe 25; Pembina Institute, précitée, aux paragraphes 21, 33). En vertu des alinéas 34a) et b), la Commission est tenue d’obtenir les renseignements nécessaires à l’examen des éléments énoncés à l’article 16 et dans le cadre de référence, de les communiquer et de tenir des audiences publiques. Il s’agit d’une obligation qui ne peut être déléguée et qui ne dépend pas du succès du promoteur, des organismes publics ou des intervenants à obtenir les renseignements ou de leur échec à cet égard (Cardinal River Coals, précitée, aux paragraphes 39‑41). Le recours à l’approche limitative en l’espèce était non seulement une « dérogation » au processus habituel d’évaluation environnementale, comme l’a reconnu la Commission, mais il a entraîné une omission cruciale de satisfaire aux obligations prévues par la Loi mentionnées ci‑dessus.

 

[46]           Les demanderesses soutiennent que l’article 16 de la Loi exige que la Commission décrive tout d’abord les effets environnementaux liés aux différents aspects du projet et qu’elle tire ensuite des conclusions concernant l’importance de ces effets, prenant en compte les mesures d’atténuation qui sont réalisables sur les plans technique et économique (Cardinal River Coals, précitée, aux paragraphes 54-56). Le recours à l’approche limitative et l’omission d’évaluer une technologie de réacteur précise ont miné la capacité de la Commission d’évaluer les effets environnementaux du projet de façon adéquate. Les demanderesses renvoient plus particulièrement aux conclusions et observations suivantes du rapport d’évaluation environnementale :

La Commission a trouvé que l’évaluation des effets environnementaux potentiels était qualitative à de nombreux égards étant donné qu’elle était menée sans connaissance spécifique des rejets potentiels. OPG a expliqué que certains paramètres du scénario limitatif, tels que les émissions de substances dangereuses et les stocks de produits chimiques se trouvant sur place, ne pouvaient être mis au point tant qu’une technologie de réacteur spécifique n’aura pas été choisie par le gouvernement de l’Ontario. (Page 47)

 

[…]

 

En l’absence d’un choix de technologie de réacteur pour le projet, OPG n’a pas entrepris d’évaluation détaillée des effets des effluents liquides et de l’entraînement par les eaux de pluie dans l’environnement des eaux de surface. Le promoteur s’est plutôt engagé à gérer les rejets d’effluents liquides conformément aux exigences réglementaires applicables et à mettre en œuvre des pratiques de gestion exemplaires pour les eaux pluviales. (Page 80)

 

[…]

 

En réponse à une demande d’information de la Commission concernant les stocks de matières dangereuses entreposées et les sources, catégories et quantités de déchets non radioactifs qui seraient générés par le projet, OPG a indiqué qu’il ne serait pas possible de fournir de détails précis concernant les produits chimiques à entreposer et à utiliser sur le site tant qu’une technologie de réacteur n’aura pas été sélectionnée pour le projet. (Page 95)

 

[…]

 

La Commission accepte l’adoption de l’approche fondée sur les objectifs de sûreté pour l’évaluation des conséquences d’un accident lorsqu’aucune technologie de réacteur n’a été sélectionnée. La Commission relève toutefois que, dès que ce choix aura été fait, le promoteur devra être tenu de réaliser une évaluation des conséquences hors site d’un accident grave pouvant découler de la technologie choisie. (Pages 149-150)

 

 

[47]           Les demanderesses soutiennent que compte tenu de ces lacunes et d’autres lacunes dans les renseignements, la Commission ne s’est pas acquittée de ses obligations en vertu de l’article 16 de la Loi. Elles font valoir que la Commission n’a pas pleinement évalué les effets environnementaux des composantes suivantes du projet :

a)      la technologie de réacteur précise;

b)      l’aménagement précis de la conception du site;

c)      l’option précise pour le refroidissement par eau;

d)     l’option précise pour l’entreposage du combustible nucléaire épuisé;

e)      l’option pour la gestion à long terme des déchets radioactifs.

 

Déclassement et gestion des déchets

[48]           En ce qui a trait au déclassement de l’emplacement et à la gestion à long terme des déchets nucléaires, les demanderesses soutiennent que la Commission a accepté, de la part d’OPG, une prédiction optimiste non fondée sur la prudence selon laquelle « des mesures d’atténuation efficaces et pratiques seraient disponibles au moment requis dans le futur », contrairement à la directive antérieure de la Cour que « de vagues espoirs en une technologie future » ou « les possibilités de recherche et développement futurs » ne constituent pas des mesures d’atténuation adéquates aux termes de la LCEE (Pembina Institute, précitée, aux paragraphes 25-26, 69). La Commission a reconnu qu’il existait plusieurs lacunes en matière de renseignement en ce qui a trait à la gestion à long terme des déchets radioactifs. Toutefois, plutôt que d’exiger qu’OPG fournisse les renseignements nécessaires, la Commission a simplement recommandé la réalisation d’analyses et d’études futures. Ce faisant, la Commission a omis d’examiner la question de savoir si les déchets radioactifs provenant du projet entraîneraient des effets négatifs importants et celle de savoir s’il existait des mesures réalisables sur les plans technique et économique pour les atténuer. Il n’existait aucun fondement factuel pour la conclusion de la Commission selon laquelle « les déchets radioactifs et les déchets de combustible nucléaire épuisé ne sont pas susceptibles d’entraîner des effets négatifs importants sur l’environnement ».

 

[49]           Selon les demanderesses, les alinéas 34a) et b) de la Loi ne permettent pas à la Commission de relever les renseignements manquants pour ensuite simplement recommander des études et une cueillette de renseignements visant à combler ces lacunes après la fin de l’évaluation environnementale. Le législateur a manifestement voulu que ces étapes aient lieu et qu’elles soient assujetties à la participation du public dans le cadre du processus d’évaluation environnementale lui-même (Cardinal River Coals, précitée, aux paragraphes 39‑41). Tant que ces lacunes, sur le plan de la preuve, ne sont pas comblées, la Commission n’a pas effectué évaluation environnementale conformément à la Loi et n’a pas fourni aux décideurs fédéraux le fondement de preuve nécessaire pour prendre une décision éclairée. Par conséquent, la Commission n’avait pas la compétence nécessaire pour présenter quelque recommandation que ce soit au ministre en vertu de l’alinéa 34c) (Cardinal River Coals, précitée, aux paragraphes 40‑41, 43, 51; Alberta Wilderness Assn c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1999] 1 CF 483, aux paragraphes 17‑21).

 

[50]           La Commission a également omis de dûment examiner les effets cumulatifs comme l’exige l’alinéa 16(1)a) de la Loi, plus particulièrement compte tenu de l’intention d’OPG de remettre en état les réacteurs existants de la CN de Darlington. La Commission aurait dû examiner la probabilité et l’importance des effets cumulatifs des nouveaux réacteurs et des réacteurs existants à Darlington, y compris les effets d’un scénario d’accident grave de « cause commune » à l’emplacement (Bow Valley, précité).

 

[51]           Les demanderesses soutiennent de plus que la Commission a omis de dûment examiner la question de la « nécessité » du projet et « ses solutions de rechange ». L’alinéa 16(1)e) de la Loi permet au ministre de décider que ces éléments doivent être pris en compte et, en l’espèce, le ministre les a inclus dans le cadre de référence. Au mieux, la Commission a fait peu de cas de ces éléments, acceptant simplement la déclaration d’OPG figurant dans l’EIE selon laquelle le projet avait pour but de lui permettre de se conformer à une directive du ministre de l’Énergie de l’Ontario lui demandant d’entamer le processus d’approbation de nouveaux réacteurs nucléaires. Selon les prétentions des demanderesses, en droit, un ministre provincial ou le promoteur d’un projet ne peut lier la Commission dans l’exercice de ses responsabilités prévues par la loi et la Commission a bel et bien refusé d’exercer sa compétence en tenant la directive pour décisive quant à la question de la « nécessité » du projet (Innisfil (Township) c Vespra (Township), [1981] 2 RCS 145, à la page 173).

 

[52]           Les demanderesses soutiennent que lorsqu’un projet comporte des risques environnementaux, le promoteur doit présenter une preuve et une analyse détaillées démontrant que le projet est réellement nécessaire (West Northumberland Landfill Site (Re) (1996), 19 CELR (NS) 181 (Commission mixte de l’Ontario), aux paragraphes 88, 90; Canadian Transit, précitée, aux paragraphes 5, 27‑28, 78, 111, 115‑118). La Commission aurait dû préciser l’objet fonctionnel du projet, soit fournir une partie de la « charge de base » d’électricité de l’Ontario, et aurait dû examiner, sous cet angle, la nécessité du projet et ses solutions de rechange. La Commission a plutôt conclu à tort qu’il s’agissait de questions de politique énergétique provinciale dont l’examen relevait davantage de la Commission de l’électricité de l’Ontario à l’occasion d’audiences futures. La seule preuve sur la nécessité réelle du projet consistait en un bref aperçu non vérifié provenant du ministère provincial de l’Énergie, produit après la fin des audiences et sans que les demanderesses aient l’occasion de soumettre une preuve en réponse, contrairement au principe audi alteram partem.

 

Erreurs procédurales

[53]           Les demanderesses soutiennent que les soi-disant problèmes concernant l’évaluation environnementale décrits ci-dessus ont été aggravés par des erreurs procédurales, notamment le refus par la Commission : a) de prolonger la période de consultation publique à propos de l’EIE pour permettre l’analyse plus en détail de l’ajout de la conception du réacteur EC 6; b) de permettre le contre‑interrogatoire à propos de la preuve ou des réponses quant aux engagements; c) d’ajourner les audiences publiques pour que les lacunes dans la preuve puissent être comblées et qu’elle communique au public les renseignements pertinents et les examine avec soin.

 

[54]           Ces allégations sont étroitement liées aux décisions de la Commission à l’égard d’une série d’objections préliminaires que les demanderesses ont soulevées le premier jour des audiences publiques, après avoir prévenu la Commission qu’elles les soulèveraient. La Commission a rejeté chacune de ces objections, tout d’abord de vive voix, puis ensuite dans des motifs écrits qui sont joints au rapport d’évaluation environnementale, à l’annexe 3 (rapport d’évaluation environnementale, aux pages 163‑168).

 

[55]           Les demanderesses soutiennent que juste avant la fin de la période de consultation publique à propos de l’EIE qui précédait les audiences, elles ont appris que la technologie du réacteur EC 6 serait ajoutée comme quatrième option examinée dans le cadre de l’évaluation environnementale. Puisqu’à leur avis cette technologie présente des risques pour la santé et l’environnement qui sont très différents de ceux que présentent les trois réacteurs mentionnés dans l’EIE, les demanderesses se sont opposées à l’inclusion tardive de cette technologie pour des motifs d’équité et d’autres motifs. Elles ont soutenu que le processus d’évaluation environnementale devait être repris ou que les échéances pour formuler des commentaires devaient être prolongées si l’évaluation environnementale devait aussi porter sur le réacteur EC 6. La Commission a rejeté cet argument, concluant que, dès le début, il était entendu que l’évaluation environnementale devait être « neutre sur le plan technologique » et qu’il était connu depuis le début qu’elle suivrait une approche tenant compte des paramètres de la centrale qui n’exclurait pas le choix éventuel de technologies qui n’étaient pas incluses dans la proposition ou l’EIE. La Commission a indiqué que la prise en considération de technologies supplémentaires, y compris celle du réacteur EC 6, n’entraînait pas une modification de la portée du projet envisagé. La Commission a également conclu que les demanderesses disposaient d’assez de temps, car elles avaient été avisées suffisamment à l’avance pour pouvoir se préparer et qu’elle leur offrirait l’occasion de formuler des observations supplémentaires ou prévoirait des journées d’audience supplémentaire si elles étaient nécessaires pour aborder cette question. Les demanderesses soutiennent que cette décision était erronée et qu’elle les a empêchées de participer aux audiences de façon efficace.

 

[56]           Dans ces mêmes motifs, la Commission a rejeté un argument selon lequel les audiences devaient être suspendues à la lumière de l’accident qui avait eu lieu à Fukushima Daiichi au Japon dix jours seulement avant le début des audiences, au motif qu’une évaluation environnementale qui n’incluait pas les leçons tirées de cette crise serait incomplète. La Commission a indiqué qu’en tant que décideurs entièrement indépendants, les membres de la Commission pouvaient décider si les nouveaux renseignements émanant des événements étaient nécessaires et qu’ils continueraient d’examiner le projet jusqu’à ce qu’ils soient convaincus qu’ils possédaient tous les renseignements pertinents pour prendre une décision adéquate et éclairée. Dand la même veine, la Commission a rejeté une objection selon laquelle les renseignements présentés à la Commission étaient insuffisants ou inadéquats et qu’ils ne pouvaient ainsi pas servir de fondement à une évaluation environnementale ou à une décision de délivrance de permis et selon laquelle l’absence d’une décision quant à la technologie empêchait le public de participer. La Commission a conclu que si elle ne pouvait tenir des audiences publiques que lorsqu’elle disposait de tous les renseignements nécessaires pour l’évaluation environnementale, il ne serait en effet plus nécessaire d’en tenir. La Commission a également rejeté la demande de la demanderesse Association canadienne du droit de l’environnement (ACDE) que la Commission reçoive les renseignements d’OPG et d’organismes pertinents sous la foi du serment, concluant qu’elle n’était pas tenue d’adopter les règles officielles en matière de preuve applicables dans le cadre d’un procès civil ou pénal. Les demanderesses soutiennent que ces décisions étaient erronées et qu’elles les ont empêchées de participer au processus d’évaluation environnementale de manière efficace.

 

[57]           De plus, les demanderesses soutiennent qu’une fois les audiences terminées, la Commission a accepté des éléments de preuve supplémentaires de deux participants, soit OPG et le ministre de l’Énergie de l’Ontario, à l’égard desquels elles n’ont pas eu l’occasion de déposer des éléments de preuve en réponse. Les éléments de preuve en cause sont les réponses aux engagements 75 et 76 concernant la question de la nécessité du projet et ses solutions de rechange, et qui ont été admis malgré les objections de la demanderesse ACDE fondées sur des motifs d’équité procédurale. Les demanderesses font valoir que cela était contraire au principe audi alteram partem.

 

[58]           Selon les demanderesses, la Commission a également enfreint la règle delegatus non potest delegare bien établie en droit administratif, qui prévoit qu’un organisme auquel un pouvoir est délégué en vertu d’une loi ne peut pas déléguer ce pouvoir à moins que la loi ne l’y autorise explicitement ou implicitement (Sara Blake, Administrative Law in Canada, 5e éd, Toronto, LexisNexis, 2011, aux pages 143‑146). Même si les commissions d’examen ne se prononcent pas sur la question de savoir si un projet doit être autorisé à aller de l’avant, le législateur leur a confié l’importante responsabilité – qu’elles ne peuvent pas déléguer – d’examiner les projets importants et de présenter des rapports à leur sujet pour que les autorités responsables puissent prendre des décisions éclairées en matière d’évaluation environnementale. Puisque la Loi ne confère pas expressément aux commissions d’examen le pouvoir de déléguer leurs obligations prévues à l’article 34, elles doivent s’acquitter elles-mêmes de toutes leurs obligations avant de pouvoir légalement présenter leurs rapports au ministre. Bien qu’il soit permis à une commission d’examen de laisser à d’autres organismes le soin de traiter des détails de peu d’importance en matière de confirmation, de surveillance ou de mesures d’atténuation dans les cas où un projet a été autrement pleinement examiné, en l’espèce, la plupart des recommandations de la Commission visaient la production de renseignements d’une importance cruciale afin de combler d’importantes lacunes en matière de preuve. Ce niveau de délégation n’est pas permis (Environmental Resource Centre, précitée, aux paragraphes 154‑159; Pembina Institute, précitée, aux paragraphes 20, 60-62, 67, 69).

 

Permis de préparation de l’emplacement – Dossier T‑1723‑12

[59]           Les demanderesses soutiennent que la CCSN a commis trois erreurs de droit fondamentales susceptibles de révision lorsqu’elle a décidé de délivrer le permis : 1) elle a omis de veiller à ce que toutes les conditions préalables prévues par la LCEE soient satisfaites dans l’évaluation environnementale du projet avant de rendre sa décision de délivrer le permis; 2) elle a omis de se conformer aux exigences prévues par la LSRN et le Règlement connexe, en ce qu’elle a omis de prendre les mesures voulues pour préserver la santé et la sécurité des personnes et protéger l’environnement. Elle a également omis de veiller à ce que la demande de permis d’OPG contienne les renseignements nécessaires concernant les effets sur la santé et l’environnement qui peuvent découler des activités faisant l’objet du permis ainsi que les mesures qui seront prises pour empêcher ces effets ou les atténuer; 3) la Commission, en s’appuyant sur des documents étrangers ne figurant pas au dossier, a manqué à son obligation d’équité procédurale envers les intervenants qui ont participé aux audiences publiques concernant le projet.

 

Conditions préalables prévues par la Loi

[60]           Le premier argument fait valoir que la réalisation d’une évaluation environnementale en conformité avec la LCEE est une condition préalable à la délivrance du permis et que cette condition préalable n’a pas été satisfaite en l’espèce. Cet argument se fonde sur les mêmes erreurs qui ont été alléguées relativement au rapport d’évaluation environnementale lui-même, comme je les ai déjà décrites.

 

Omission de se conformer aux exigences obligatoires

[61]           Selon le deuxième argument, la CCSN a omis de satisfaire aux exigences du paragraphe 24(4) de la LSRN en n’assujettissant pas le projet à un examen en vertu de la LSRN et du Règlement pris en vertu de celle-ci. Autrement dit, peu importe les conclusions de la Cour concernant les exigences prévues à la LCEE et la question de savoir si elles ont été satisfaites lors de l’évaluation environnementale effectuée en l’espèce, les demanderesses soutiennent que le paragraphe 24(4) de la LSRN et le Règlement connexe exigent que le projet fasse l’objet d’un examen détaillé, y compris la conception de l’installation et de la technologie de réacteur visées, avant qu’un permis de préparation de l’emplacement puisse être délivré en toute légalité. Elles fondent leur argument sur le libellé du paragraphe 24(4) et sur les exigences énoncées aux articles 3 et 4 du Règlement sur les installations nucléaires de catégorie I, susmentionnés, concernant les renseignements que doit contenir une demande de permis. Les demanderesses font valoir que puisqu’OPG n’a fait mention d’aucune technologie de réacteur particulière pour le projet, les renseignements exigés n’ont pas été fournis et la CCSN n’avait pas compétence pour examiner la demande ou délivrer le permis.

 

Équité procédurale

[62]           Enfin, les demanderesses soutiennent que pour en arriver à sa décision à l’égard du permis, la Commission a manqué à son obligation d’équité en s’appuyant sur deux documents produits après la fin des audiences publiques, soit le Rapport du Groupe de travail de la CCSN sur Fukushima, daté d’octobre 2011, et le Plan d’action de la CCSN connexe, daté du 2 mars 2012. Les demanderesses prétendent que la Commission s’est également appuyée sur le Manuel des conditions de permis de la CCSN qui, au moment des audiences, n’existait que sous forme d’ébauche ou n’existait pas du tout. Aucun de ces documents n’a été déposé comme pièce au cours des audiences publiques qu’a tenues la Commission. Ces documents n’ont donc pas fait l’objet d’un avis et les demanderesses et les autres intervenants n’ont pas eu l’occasion de présenter des observations. Si cela avait été le cas, les demanderesses déclarent qu’elles auraient fait valoir de sérieuses réserves concernant le Rapport du Groupe de travail et le Plan d’action de la CCSN et le fait que la Commission se soit appuyée sur ceux-ci. Ces réserves auraient également porté sur l’insuffisance de l’évaluation des risques réalisée par OPG et sur le fait que le Plan d’action ne pouvait pas combler les lacunes de l’évaluation environnementale en ce qui a trait aux renseignements propres au projet.

 

[63]           À la lumière des facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], les demanderesses font valoir que la décision de délivrer le permis est une décision qui commande un degré élevé d’équité procédurale. Elles soutiennent que le processus décisionnel est proche du modèle du procès, car le paragraphe 40(5) de la LSRN exige des audiences publiques, le paragraphe 24(4) exige que la Commission tire plusieurs conclusions de fait, et les parties intervenantes investiront souvent beaucoup de temps et de ressources (Baker, précité, au paragraphe 23). En outre, le régime législatif ne prévoit aucun mécanisme d’appel et la décision de délivrance du permis est très importante pour les demanderesses parce qu’elle constitue la première étape de la construction de nouveaux réacteurs nucléaires sur l’emplacement de Darlington en l’absence, selon elles, d’une évaluation environnementale valide. Les demanderesses soutiennent que ce résultat est tout à fait à l’opposé de leur travail de longue date dans le domaine de l’énergie et de la planification de l’énergie nucléaire et de la gestion des risques. En outre, les demanderesses pouvaient légitimement s’attendre à ce que seuls les éléments de preuve versés au dossier public soient pris en compte parce que cela fait partie des « pratiques habituelles des décideurs administratifs » (Baker, précité, au paragraphe 26).

 

Défendeurs

Rapport d’évaluation environnementale – Dossier T‑1572‑11

[64]           Bien que chacun des défendeurs, soit OPG, la CCSN et le Procureur général du Canada, ait déposé des observations distinctes, leurs points de vue s’accordent pour l’essentiel et se chevauchent.

 

[65]           Tous les défendeurs soutiennent que le processus d’évaluation environnementale et le rapport se conforment entièrement à la LCEE et qu’il n’existe aucun fondement qui puisse justifier l’intervention de la Cour. Ils font valoir que le recours à l’approche du « scénario limitatif » était approprié et que l’argument des demanderesses selon lequel la Commission a irrégulièrement délégué son pouvoir dénote une incompréhension de la nature d’une évaluation environnementale, qui est fondamentalement un outil de collecte de renseignements et de planification. Les défendeurs soulignent que le projet sera assujetti à des approbations réglementaires supplémentaires qui comporteront l’examen des effets environnementaux, y compris la nécessité d’obtenir des permis ou licences auprès de la CCSN à chaque étape du développement du projet. À leur avis, il convenait que la Commission prenne en compte l’ensemble du contexte réglementaire pour formuler ses conclusions et ses recommandations.

 

[66]           Les défendeurs font valoir que la réalisation de l’évaluation environnementale avant le choix d’une technologie de réacteur précise est compatible avec l’exigence d’effectuer l’évaluation le plus tôt possible au stade de la planification du projet et avant la prise d’une décision irrévocable (voir le paragraphe 11(1) de la LCEE). Les défendeurs soutiennent essentiellement que les demanderesses contestent les conclusions de la Commission portant sur la suffisance de la preuve et non le respect de ses obligations prévues par la Loi. La conclusion de la Commission selon laquelle il y avait suffisamment de renseignements pour mener une évaluation environnementale commande la retenue. Dans la mesure où le dossier contient des renseignements sur lesquels la Commission pouvait rationnellement fonder ses conclusions, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

Décision distincte relativement à la portée du projet – Contestation incidente

[67]           Les défendeurs soutiennent que la décision d’effectuer l’évaluation environnementale avant le choix d’une technologie de réacteur et de fonder cette évaluation sur l’approche limitative était une décision distincte prise par le ministre relativement à la portée du projet lorsqu’il a publié les Lignes directrices de l’EIE et le cadre de référence de la Commission le 12 mars 2009. Il était loisible aux demanderesses de contester à ce moment-là cette décision relative à la portée du projet par voie de contrôle judiciaire, mais elles ne l’ont pas fait et le délai pour le faire est expiré depuis longtemps (Citizens’ Mining Council of Newfoundland and Labrador Inc c Canada (Ministre de l’Environnement) (1999), 163 FTR 36 (CF), aux paragraphes 47‑49; Hamilton-Wentworth (Municipalité régionale) c Canada (Ministre de l’Environnement), 2001 CFPI 381, au paragraphe 60, confirmée par 2001 CAF 347; Ottawa (Ville) c Canada (Commission des droits de la personne) (sub nom Desormeaux c Commission de transport d’Ottawa‑Carleton), 2004 CF 1778, au paragraphe 68). L’argument des demanderesses selon lequel la Commission a commis une erreur en omettant d’évaluer un « projet » au sens de la LCEE équivaut à une contestation incidente irrégulière de la décision relative à la portée du projet prise par le ministre. Les parties doivent se prévaloir de leur recours en temps opportun et, si elles ne le font pas, en règle générale elles ne peuvent pas attaquer indirectement des décisions définitives (R c Wilson, [1983] 2 RCS 594, à la page 599; Boucher c Stelco Inc, 2005 CSC 64, au paragraphe 35).

 

Il y avait un projet à examiner

[68]           Selon les défendeurs, l’argument selon lequel la proposition examinée ne constituait pas un « projet » au sens de la LCEE est quoi qu’il en soit dénué de tout fondement. Selon le premier volet de la définition à l’article 2 de la Loi, un projet existe s’il y a « réalisation » d’un « ouvrage ». Puisque la construction, l’exploitation, le déclassement et l’abandon sont tous proposés en l’espèce et qu’ils sont inclus de façon précise comme exemples de réalisations au paragraphe 2(1) de la Loi, et puisque les réacteurs proposés sont des ouvrages, la définition de « projet » est clairement satisfaite (voir Bennett Environmental, précité, au paragraphe 77; Agence canadienne d’évaluation environnementale, Loi canadienne sur l’évaluation environnementale : Un aperçu, décembre 2011 (mise à jour), à la page 10, et Agence canadienne d’évaluation environnementale, Glossaire, 2006, aux pages 21 et 22 (dossier des défendeurs (CCSN), volume 5, onglets 4J et 4K).

 

[69]           Les défendeurs soulignent que cette conclusion est également étayée par le régime de la Loi. Le paragraphe 11(1) prescrit que les autorités fédérales doivent veiller à ce que l’évaluation environnementale soit effectuée le plus tôt possible au stade de la planification du projet, avant la prise d’une décision irrévocable. La CCSN soutient qu’il est préférable de cerner les effets sur l’environnement que peut avoir un projet avant le choix d’une conception définitive et d’utiliser le processus d’évaluation environnementale comme outil de planification (Friends of the Island, précitée, au paragraphe 41; Québec (Procureur général) c Canada (Office national de l’énergie), [1994] 1 RCS 159, au paragraphe 74). La jurisprudence reconnaît que l’évaluation environnementale est « un instrument de planification hâtif » (Pembina Institute, précitée, aux paragraphes 33‑34).

 

L’approche limitative

[70]           Dans la décision Canadian Transit, à laquelle ont renvoyé les demanderesses, la Cour n’a eu aucune difficulté à conclure qu’un projet existait et qu’il était relativement bien défini même si trois options concernant des ponts étaient envisagées au moment de l’évaluation (Canadian Transit, précitée, aux paragraphes 50-51). De même, dans Inverhuron & District Ratepayers’ Assn c Canada (Ministre de l’Environnement) (2000), 191 FTR 20, 34 CELR (NS) 1 (1re inst) [Inverhuron (1re inst)], confirmée par Inverhuron (CAF), précité, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont toutes deux maintenu une décision du ministre de l’Environnement approuvant un projet de développement de stockage à sec pour combustible nucléaire usé, un projet à l’égard duquel les effets environnementaux ont été évalués en fonction de solutions de rechange qui étaient examinées.

 

[71]           La décision Friends of the Island, citée par les demanderesses, se distingue de l’espèce par ses faits. Même si dans cette affaire la Cour a conclu qu’une évaluation générale comparant trois propositions pour traverser le détroit de Northumberland Strait (deux ponts et un tunnel) ne répondait pas aux exigences du Décret sur les lignes directrices environnementales qui ont précédé la LCEE, l’évaluation indiquait expressément qu’elle ne portait pas sur toutes les répercussions environnementales possibles et insistait sur le fait qu’une évaluation des projets précis devait être entreprise (Friends of the Island, précitée, au paragraphe 41).

 

[72]           La jurisprudence n’étaye pas l’argument des demanderesses selon lequel une évaluation environnementale doit comporter une analyse détaillée d’une technologie précise. Il n’existe pas qu’une seule méthode pour effectuer une évaluation environnementale. Elle doit uniquement être réalisée à un moment et d’une manière qui permettent l’examen des éléments énoncés dans la Loi (Inverhuron (CAF), précité, aux paragraphes 54-57). L’accent porte sur la question de savoir si les répercussions environnementales d’un projet peuvent faire l’objet d’un « examen approfondi » (Friends of the Island, précitée, au paragraphe 41). Cela peut désigner l’examen de conceptions de référence et des solutions de rechange, une approche fondée sur l’EPC, ou toute autre approche qui permet la réalisation de cet objectif.

 

[73]           L’utilisation d’une « conception de référence » pour mener une évaluation environnementale qui, selon les défendeurs, n’est pas différente de l’approche limitative en cause en l’espèce, a été expressément approuvée dans Inverhuron: Inverhuron (1re inst), précitée, aux paragraphes 46‑56, et Inverhuron (CAF), précité, aux paragraphes 54‑56. La Cour fédérale a déclaré ce qui suit au paragraphe 55 :

… [D]ans la mesure où la contestation de la décision du ministre repose sur l’utilisation d’une conception de référence qui ne correspond pas à la conception finalement choisie, elle doit être rejetée. Dans la mesure où les éléments prévus par la loi ont été pris en compte, on ne peut obtenir le contrôle judiciaire de la décision en invoquant qu’ils ont été considérés par rapport à une conception de référence plutôt qu’en eux-mêmes. Dans la mesure où la demande se fonde sur un vice de la procédure consistant en ce que la conception qui a fait l’objet de l’étude n’est pas la même que la conception approuvée, ce qui revient en fait à une attaque contre l’utilisation d’une conception de référence en vue d’effectuer l’évaluation, elle est mal fondée. Le choix de la méthodologie est une affaire qui relève de la compétence de l’autorité responsable et dans la mesure où cette méthodologie permet de prendre en compte les éléments prévus par la loi, la Cour ne peut intervenir.

 

 

Selon le juge Sexton dans l’arrêt Inverhuron (CAF), la question pertinente était celle de savoir si le rapport d’évaluation environnementale avait « procuré à la ministre un fondement rationnel l'autorisant à décider que le projet n'était pas susceptible d'entraîner des effets environnementaux négatifs importants » et l’approche de la conception de référence répondait à cette exigence dans ce cas (Inverhuron (CAF), précité, aux paragraphes 57‑58).

 

[74]           En l’espèce, même s’il avait été [traduction] « plus facile » pour la Commission d’évaluer les effets environnementaux du projet si seulement une technologie et une conception avaient été présentées, celle-ci a conclu qu’elle pouvait exercer ses fonctions en vertu de la Loi tout en examinant plusieurs technologies en fonction de l’approche limitative (rapport d’évaluation environnementale, à la page 13). En vertu de cette approche, le scénario le plus défavorable à l’égard de chaque effet environnemental a été examiné et il est raisonnable de présumer que si l’effet maximum peut être atténué, des effets de moindre importance peuvent l’être également. De plus, dans le cas d’une proposition qui va au-delà de la portée de ce qui est évalué, il serait nécessaire de faire une nouvelle évaluation environnementale.

 

Respect de l’article 16 de la Loi

[75]           Les défendeurs rejettent la prétention selon laquelle la Commission a omis d’examiner les effets du projet sur l’environnement comme l’exige l’article 16 de la Loi. Ils soutiennent que le dossier indique que la Commission a pris en compte tous les effets environnementaux prescrits, y compris les déchets radioactifs et les déchets de combustible nucléaire épuisé et la technologie de refroidissement. Bien que les demanderesses ne soient pas d’accord avec les conclusions de la Commission, il était raisonnable pour celle-ci de conclure que le projet n’était pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants, pourvu que les mesures d’atténuation proposées, les engagements pris par OPG et les recommandations de la Commission soient mis en œuvre. Les tribunaux ont reconnu que les renseignements à propos des effets environnementaux probables ou possibles d’un projet ne peuvent jamais être complets ni éliminer toute incertitude. L’évaluation de ces effets est un exercice de prédiction qui fait largement appel au jugement et à l’opinion. Les conclusions de la Commission concernant la suffisance et l’exhaustivité de la preuve concernant les effets futurs et leur importance commandent la retenue (Inverhuron (CAF), précité, au paragraphe 5; Express Pipelines, précité, aux paragraphes 10‑12). Étant donné la nature prédictive d’une évaluation environnementale, la Loi reconnaît l’importance des mécanismes de suivi pour tenir compte des effets d’un projet (Pembina Institute, précitée, aux paragraphes 22‑23).

 

[76]           Contrairement aux prétentions des demanderesses, les défenderesses CCSN et OPG soutiennent que le dossier fait mention des éléments suivants :

a)      la Commission disposait d’éléments de preuve concernant les effluents liquides et le ruissellement des eaux de pluie et elle a été en mesure de réaliser l’évaluation environnementale à cet égard;

 

b)      les réponses d’OPG fournissaient suffisamment d’éléments de preuve concernant les sources, les types et les quantités de déchets non radioactifs générés par le projet pour permettre à la Commission d’effectuer l’évaluation environnementale à cet égard;

 

c)      la question de la gestion à long terme des déchets radioactifs a été examinée en profondeur devant la Commission qui a conclu, à la lumière de la preuve dont elle disposait, qu’il n’y aurait pas d’effets environnementaux négatifs importants;

 

d)     la Commission a bel et bien réalisé une évaluation des conséquences hors site d’un accident grave.

 

[77]           OPG n’ayant pas fourni d’analyse concernant les effets cumulatifs d’un accident grave de « cause commune » impliquant à la fois les nouveaux réacteurs et les réacteurs existants situés sur l’emplacement, la Commission a recommandé que la CCSN exige une telle analyse avant la construction.

 

[78]           Concernant l’exigence prévue à l’alinéa 16(1)d) de la Loi selon laquelle la Commission doit examiner les mesures d’atténuation, la défenderesse CCSN soutient que l’incertitude n’est pas fatale et qu’il peut convenir d’appliquer des mesures d’atténuation incertaines futures, même dans des cas où la technologie requise pour atténuer les effets environnementaux négatifs futurs n’est pas encore au point. Ceci cadre avec la nature permanente et dynamique de l’évaluation environnementale (Pembina Institute, précitée, aux paragraphes 57‑58).

 

[79]           En ce qui a trait à l’examen de la « nécessité » du projet et de « ses solutions de rechange » par la Commission, les défendeurs font valoir que la portée de l’examen des éléments énoncés à l’article 16 de la Loi par une commission d’examen est une décision discrétionnaire que prend le ministre et ne relève pas du pouvoir discrétionnaire de la Commission (paragraphe 16(3) de la LCEE; Friends of the West Country, précité, aux paragraphes 25‑27; Inverhuron (1re inst), précitée, aux paragraphes 51‑52; Express Pipelines, précité, aux paragraphes 11‑12). Les Lignes directrices de l’EIE exigeaient qu’OPG présente, de son point de vue, la nécessité et la raison d’être du projet et mentionnaient que « les solutions de rechange au projet ne doivent pas aller à l’encontre des directives ou des plans officiels de l’Ontario », car « l’examen de la politique énergétique provinciale n’entre pas dans le mandat de la commission d’examen » (Lignes directrices de l’EIE, à la page 18). La Commission aurait le droit d’arriver à la même conclusion par elle‑même puisqu’elle a le pouvoir discrétionnaire d’établir les paramètres de l’examen requis et que la LCEE n’est pas destinée à être utilisée comme un moyen déguisé de donner un pouvoir de réglementation économique (Grand Riverkeeper, précitée, aux paragraphes 53‑54; Sharp c Canada (Office des transports), [1999] 4 CF 363 (CAF), aux paragraphes 24‑28 [Sharp]. Le cadre de référence exigeait qu’OPG rédige l’EIE en conformité avec les Lignes directrices de l’EIE. De l’avis des défendeurs, quoi qu’il en soit, la Commission a entendu le ministre de l’Énergie de l’Ontario à deux reprises concernant la nécessité du projet et ses solutions de rechange, et qu’elle a reçu des éléments de preuve supplémentaires concernant ces questions par l’entremise des réponses aux engagements. Les demanderesses ont également eu l’occasion de fournir des éléments de preuve concernant des solutions de rechange possibles au projet.

 

[80]           Au bout du compte, les défendeurs font valoir qu’il était raisonnable pour la Commission de fonder sa conclusion sur la « nécessité » du projet et « les solutions de rechange » au projet du point de vue du promoteur, compte tenu des directives que le gouvernement de l’Ontario lui a données, et de conclure qu’il existait d’autres lieux plus appropriés permettant au public d’exprimer ses points de vue concernant la politique énergétique de l’Ontario.

 

Aucune délégation illégale

[81]           En ce qui a trait à la position des demanderesses selon laquelle la Commission a illégalement délégué ses fonctions en vertu de la Loi, les défendeurs soutiennent que cet argument doit être rejeté parce qu’il est incompatible avec le régime de la Loi et qu’il limiterait de façon inappropriée le pouvoir discrétionnaire des commissions d’effectuer leurs examens et de recommander les mesures d’atténuation indiquées. Accepter le point de vue des demanderesses voulant que seuls des sujets [traduction] « peu importants » ou [traduction] « secondaires » peuvent être reportés pour que d’autres organismes les traitent amènerait les tribunaux à examiner de façon détaillée la preuve de fond scientifique et technique présentée devant une commission (Canadian Transit, précitée, aux paragraphes 7‑9). La Cour d’appel fédérale s’est penchée sur un argument semblable dans Express Pipelines, précité, et a conclu comme suit :

[14]      Finalement, on nous demande de conclure que la commission a irrégulièrement délégué certaines de ses fonctions lorsqu'elle a recommandé que certaines autres études et rapports en cours destinés à l'Office national de l'énergie soient réalisés avant, pendant et après les travaux de construction. Cet argument démontre que les requérants comprennent mal la fonction de la commission, qui joue simplement un rôle de cueillette d'éléments d'information et de formulation de recommandations. La Cour se refuse de modifier à la légère l'opinion de la commission suivant laquelle elle disposait de suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir s'acquitter de cette fonction « le plus tôt possible au stade de la planification du projet, avant la prise d'une décision irrévocable » (voir le paragraphe 11(1)). De par sa nature, le rôle de la commission consiste à faire des prévisions et il n'est pas étonnant que la loi envisage explicitement la possibilité de programmes « de suivi ». D'ailleurs, compte tenu de cette tâche, nous doutons qu'on puisse jamais en arriver à une évaluation environnementale définitive et infaillible.

 

 

[82]           Le défendeur PGC soutient qu’une évaluation environnementale est un « outil de planification » qui « prévoit un mécanisme permettant de prendre en compte des facteurs environnementaux dans la planification et la prise de décisions » (Oldman River, précité, au paragraphe 103). Comme la Cour l’a souligné dans Pembina Institute, « [l]’évaluation de la suffisance et de l’exhaustivité des éléments de preuve se fait en tenant compte de la nature préliminaire de l’évaluation de la Commission » (Pembina Institute, précitée, au paragraphe 23). La LCEE « constitue un régime législatif sophistiqué pour l’examen de l’incertitude entourant les effets environnementaux » et impose une évaluation hâtive jumelée à la souplesse des processus de suivi pouvant s’adapter à de nouveaux renseignements. La « fluidité et la dynamique » de ce processus « impliquent que rien n’oblige d’en arriver à une certitude absolue en matière d’effets environnementaux » (Pembina Institute, précitée, au paragraphe 34). Les fonctions de la Commission ne comprennent pas l’élimination de l’incertitude qui entoure les effets des projets.

 

[83]           Les défendeurs soulignent que l’alinéa 34c) de la Loi autorise expressément les recommandations concernant les programmes de suivi pour vérifier l’exactitude de l’évaluation environnementale et déterminer l’efficacité de mesures d’atténuation. Ils font valoir que les recommandations sont également compatibles avec le concept de la « gestion adaptative » visé par la LCEE et qui « est fondé sur le fait qu’il est difficile, sinon impossible, de prédire toutes les conséquences environnementales d’un projet avec les données connues » et qu’il « a pour but de pallier les effets paralysants potentiels du principe de précaution sur des projets qui peuvent avoir des avantages sociaux et économiques » (Société pour la protection des parcs et des sites naturels, précité, au paragraphe 24; Inter‑Church Uranium Committee Educational Co‑operative c Canada (Commission de contrôle de l’énergie atomique), 2004 CAF 218, au paragraphe 49 [Inter‑Church Uranium Committee]).

 

[84]           Les défendeurs soulignent que chacune des cinq phases de la durée de vie d’une centrale nucléaire (la préparation de l’emplacement, la construction, l’exploitation, le déclassement et l’abandon) nécessite une licence ou un permis de la CCSN. Chacune de ces demandes de permis ou licence comporte un processus d’audiences publiques et, avant de délivrer chaque licence ou permis, la CCSN doit être convaincue qu’OPG « prendra […] les mesures voulues […] pour protéger l’environnement » (alinéa 24(4)b) de la LSRN). Le projet doit également se conformer aux autres exigences réglementaires fédérales, provinciales et municipales pourvu qu’elles n’entrent pas en conflit avec la LSRN et les règlements pris en vertu de celle‑ci. Le défendeur PGC fait valoir qu’il convenait que la Commission tienne compte de ce contexte réglementaire puisqu’il contribue à l’efficacité et à l’efficience du processus d’évaluation environnementale. Les processus ultérieurs de délivrance de permis ou de licences permettront la gestion efficace de certains effets du projet grâce à la supervision d’organismes de réglementation dotés d’une expertise précise. La prise en compte de ce contexte réglementaire est à la fois compatible avec la fonction et l’objet pratique d’une évaluation environnementale à titre d’outil de planification et compatible avec le paragraphe 37(2.1) de la Loi qui permet à une autorité responsable de prendre en compte les mesures d’atténuation dont elle peut assurer l’application ou toute autre mesure d’atténuation dont elle est convaincue qu’elle sera appliquée par une autre personne ou un autre organisme.

 

[85]           Essentiellement, le PGC soutient que la Commission a examiné des processus d’octroi de permis ou de licence ultérieurs, qu’ils soient fédéraux ou provinciaux, en guise de mesures d’atténuation et qu’elle avait le droit de le faire (Canadian Transit, précitée, au paragraphe 183; West Vancouver (District) c Colombie‑Britannique (Ministère des Transports), 2005 CF 593, au paragraphe 104 [West Vancouver]; Inter-Church Uranium Committee, précité, aux paragraphes 47 et 49; Pembina Institute, précitée, au paragraphe 24). Il n’est pas nécessaire que la Commission décrive les mesures d’atténuation dans les moindres détails. Il lui suffit plutôt de décrire de façon générale des mesures d’atténuation dont les détails seront précisés dans l’avenir, plus particulièrement dans le cas d’un secteur d’activité doté d’un ensemble bien établi de mesures d’atténuation « connues » (Pembina Institute, précitée, au paragraphe 24; Union of Nova Scotia Indians c Canada (Procureur général), [1997] 1 CF 325 (1re inst), aux paragraphes 66‑67 [Union of Nova Scotia Indians]; West Vancouver, précitée, au paragraphe 102).

 

Aucune erreur procédurale

[86]           Les défendeurs soutiennent que les arguments des demanderesses concernant les erreurs procédurales sont également non fondés. Ils font valoir ce qui suit :

       L’ajout de la technologie du réacteur EC 6 aux options évaluées a été décrit dans une lettre de la CCSN au président de la Commission. Cette lettre était accessible sur le site Web public de l’Agence d’évaluation environnementale le 30 juillet 2010, bien avant que prenne fin la période de consultation publique concernant l’EIE le 8 octobre 2010. Cette technologie a été discutée dans un échange ultérieur de correspondance entre la Commission et OPG (voir la lettre du 30 juillet 2010 de la CCSN au président de la Commission, la lettre du 17 août 2010 d’OPG à la Commission, la lettre du 20 août 2010 de la Commission à OPG et la lettre du 30 août 2010 d’OPG à la Commission, dossier des défendeurs (OPG), volume 14, onglets A72, A77, A73 et A78, respectivement).

       La décision de la Commission de ne pas prolonger la période de consultation et de tenir des audiences publiques était raisonnable.

       La Commission n’était pas tenue de permettre le contre‑interrogatoire, plus particulièrement parce que la LSRC exige que les questions soient tranchées de la façon la plus informelle et la plus rapide possible, compte tenu des circonstances et de l’équité.

       Le rejet de la demande des demanderesses d’ajourner l’audience pour permettre la collecte [traduction] « de renseignements absents du dossier » était également raisonnable parce que les audiences elles‑mêmes ont pour but d’exercer une fonction de collecte de renseignements.

       Alors que les demanderesses soutiennent qu’OPG et le ministère de l’Énergie de l’Ontario ont présenté des éléments de preuve après la fin des audiences à l’égard desquels elles n’ont pas eu l’occasion de répondre, les éléments de preuve en cause (des réponses à certains engagements) étaient accessibles dans le registre plus d’un mois avant l’échéance prévue pour le dépôt des observations finales des participants et les demanderesses ont eu pleinement l’occasion de répondre à ces éléments de preuve (voir la liste des documents du Registre canadien d’évaluation environnementale (numéro de référence 07‑05‑29525), dossier des défendeurs (OPG), volume 1, onglet 5 à la page 149; transcription, dossier des demanderesses, volume 6, onglet 5V, aux pages 2285‑2288; instructions révisées pour les observations finales écrites, dossier des défendeurs (OPG), volume 13, onglets A59 et A60). Dans les cas où, comme en l’espèce, aucune loi ni aucun règlement n’établissent de règles précises, le tribunal fixe sa propre procédure, sous réserve des règles de l’équité (Prassad c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560, aux pages 568‑569 [Prassad]).

 

Permis de préparation de l’emplacement – Dossier T‑1723‑12

Respect du régime législatif

[87]           De l’avis des défendeurs, la prétention des demanderesses selon laquelle la Commission a omis de se conformer au paragraphe 24(4) de la LSRN et des règlements pris en vertu de celle-ci ne tient pas compte du régime législatif. Selon les défendeurs, la loi prévoyait deux conditions préalables avant que la Commission puisse rendre sa décision relative au permis. Premièrement, en vertu de l’article 37 de la LCEE, la réponse des autorités responsables à l’évaluation environnementale devait être approuvée par le Cabinet avant qu’une autorité responsable puisse exercer quelques attributions que ce soit ce qui a trait au projet. Deuxièmement, le paragraphe 24(4) de la LSRN empêche la CCSN de délivrer le permis ou une licence à moins d’être d’avis que l’auteur de la demande prendra, entre autres, les mesures voulues pour préserver la santé et la sécurité des personnes et pour protéger l’environnement.

 

[88]           La première exigence été satisfaite lorsque le Cabinet a approuvé la réponse des autorités responsables à l’évaluation environnementale. La CCSN (en l’espèce, la Commission) n’était pas tenue de prendre d’autres mesures pour examiner la nature de l’évaluation environnementale approuvée par le Cabinet.

 

[89]           La deuxième exigence a été également satisfaite. Pour respecter le paragraphe 24(4), la CCSN doit examiner le dossier et se former une opinion quant à la question de savoir si l’auteur de la demande de permis ou de licence respectera les critères prévus par la loi. En l’espèce, la Commission a examiné le dossier et a produit 57 pages de motifs à l’appui de sa conclusion selon laquelle OPG prendra les mesures voulues pour préserver la santé et la sécurité des personnes et protéger l’environnement. La Commission a reconnu qu’OPG avait fourni suffisamment de renseignements pour répondre aux exigences prévues par règlement. Il s’agit de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel la Cour doit faire preuve de retenue.

 

[90]           Les défendeurs rappellent que le permis est l’un de cinq permis ou licences qu’OPG sera tenue d’obtenir au cours de la durée de vie du projet. Ils font de plus valoir que le processus d’autorisation initial, qui comprend le permis d’exploitation, doit durer environ neuf ans. À chaque étape d’autorisation, OPG devra fournir des détails supplémentaires concernant la conception et l’exploitation et la CCSN et d’autres autorités de réglementation les examineront. Le public aura l’occasion de participer à toutes les étapes du processus d’autorisation.

 

Équité procédurale

[91]           En ce qui concerne les allégations de manquement à l’équité procédurale, les défendeurs soutiennent que le degré d’équité procédurale requis dans les circonstances est faible et que les brefs renvois de la Commission au Rapport du Groupe de travail sur Fukushima et au Plan d’action n’ont en aucun cas violé les droits à l’équité procédurale des demanderesses.

 

[92]           Les défendeurs soulignent que l’obligation d’équité est souple et est fonction du contexte (Baker, précité, aux paragraphes 27, 30; Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, aux paragraphes 40‑42). En l’espèce, la question à trancher ne portait pas sur la détermination de droits individuels et la LSRN prévoit que la CCSN doit trancher les questions dont elle est saisie « de la façon la plus informelle et la plus rapide possible, compte tenu des circonstances et de l’équité ». Le degré d’équité procédurale exigé était simplement une occasion véritable de participer. Les demanderesses ne pouvaient raisonnablement pas s’attendre à plus (Baker, précité, aux paragraphes 24, 25, 27; Banque Internationale de Commerce Mega (Canada) c Canada (Procureur général), 2012 CF 407, aux paragraphes 33, 35; Amis de la Rivière Kipawa c Canada (Procureur général), 2007 CF 1267, aux paragraphes 83‑90).

 

[93]           Selon les défendeurs, les demanderesses ont eu des occasions de participer de façon significative et en temps opportun à l’étape des consultations publiques du processus de la Commission et se sont prévalues de ces occasions, y compris les occasions de présenter des observations à propos de préoccupations découlant de l’accident nucléaire à Fukushima. Ainsi, les demanderesses ont bénéficié de toute l’équité à laquelle elles avaient droit. De plus, il y a eu des périodes distinctes de consultation et de participation publiques concernant les travaux du Groupe de travail lui-même et certaines demanderesses ont participé à ces processus.

 

[94]           En outre, les défendeurs soutiennent qu’avant d’accorder quelque réparation que ce soit à l’égard d’un manquement allégué à l’équité procédurale, la Cour doit être convaincue qu’un préjudice a été causé (Uniboard Surfaces Inc c Kronotex Fussboden GmbH et Co, 2006 CAF 398, au paragraphe 22; Loi sur les Cours fédérales, au paragraphe 18.1(5)). Il n’y a pas eu de préjudice en l’espèce. Les cinq brèves mentions du Rapport du Groupe de travail et du Plan d’action visaient toutes à obliger OPG à traiter des conclusions du Groupe de travail dans ses observations futures à la CCSN. Elles n’avaient aucun rapport avec la décision de la Commission concernant la demande de permis d’OPG. Ces mentions énonçaient simplement les attentes de la CCSN concernant le contenu de certains documents qui seront rédigés dans l’avenir.

 

Observations des demanderesses présentées en réponse

Rapport d’évaluation environnementale – Dossier T‑1572‑11

Absence de contestation incidente

[95]           Les demanderesses soutiennent que, contrairement à la caractérisation que font valoir les défendeurs, les décisions du ministre relatives à la portée du projet ne sont pas contestées dans la présente demande de contrôle judiciaire. La demande vise plutôt les erreurs et les omissions de la Commission elle‑même, qui ont eu lieu après les décisions relatives à la portée du projet. Ces erreurs et omissions n’ont pas été causées par ces décisions ni n’étaient exigées par celles-ci en vertu de la loi. La décision relative à la portée du projet ne comportait pas d’erreur de droit ou de compétence manifeste qui aurait justifié l’intervention de la Cour. Le problème soulevé porte plutôt sur le fait que l’évaluation environnementale exhaustive exigée par la loi en l’espèce n’a pas été réalisée et la Commission en est responsable.

 

[96]           Les demanderesses font la distinction entre le contenu et les effets juridiques des Lignes directrices de l’EIE d’une part, et l’Entente fixant le cadre de référence d’autre part. Elles soutiennent que les Lignes directrices de l’EIE avaient pour effet de fixer la portée du projet à examiner dans l’exercice des pouvoirs du ministre en vertu des paragraphes 15(1) et 15(3) de la LCEE. Le ministre a essentiellement adopté le projet tel qu’il était proposé par le promoteur, en conformité avec Mines Alerte Canada c Canada, 2010 CSC 2, aux paragraphes 39‑40, 42.

 

[97]           En revanche, l’approche limitative, qui n’était pas mentionnée dans la description du projet dans les Lignes directrices de l’EIE, a modifié la portée de l’évaluation, non la portée du projet. Les demanderesses soutiennent que l’approche limitative ne comporte aucun fondement en droit, mais que la Commission l’a néanmoins adoptée et utilisée.

 

[98]           Les demanderesses reconnaissent que d’autres parties des Lignes directrices de l’EIE donnaient au promoteur des indications concernant les éléments sur lesquels devait porter son EIE avant l’audience. Elles font toutefois valoir que le ministre ne possède aucun pouvoir en vertu de la LCEE d’approuver des Lignes directrices de l’EIE qui restreignent la portée de l’évaluation environnementale qui doit être effectuée par la Commission. Selon elles, en matière d’interprétation des lois, ces Lignes directrices ne l’emportaient pas, pas plus qu’elles ne peuvent l’emporter, sur les exigences prévues par la LCEE en ce qui avait trait à la portée de l’évaluation environnementale que devait réaliser la Commission, qui incluait la prise en compte obligatoire des éléments prévus à l’article 16. Par ailleurs, ces lignes directrices ne modifiaient pas ces exigences de la Loi ni n’y renonçaient et ne pouvaient pas le faire. L’EIE n’est pas l’évaluation environnementale. Il constitue simplement les observations du promoteur et n’a pas une importance ou un poids plus important que d’autres documents déposés par des intervenants ou des autorités fédérales dans le cadre du processus d’évaluation environnementale.

 

[99]           Selon les demanderesses, la seule décision ministérielle délimitant la portée de l’évaluation était l’Entente qui fixait le cadre de référence et mentionnait les éléments que devait examiner la Commission lors de l’évaluation environnementale. En droit, l’approbation de cette Entente représente l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu du paragraphe 16(3) de la LCEE. En l’espèce, le ministre a essentiellement adopté tous les éléments énumérés aux paragraphes 16(1) et 16(2) sans limite ni réserve. Le cadre de référence ou la Loi ne mentionne aucunement l’EPC ou l’approche limitative. La Commission a pris la décision d’adopter cette approche pour l’évaluation et les décisions du ministre relatives à la portée du projet n’exigeaient pas l’adoption de cette approche. La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si, par le biais de cette décision ou autrement, la Commission a omis de respecter les exigences de la LCEE et de son cadre de référence et cette question demeure prête à être tranchée.

 

[100]       Même s’il existait des motifs possibles pour contester la décision du ministre relative à la portée du projet, les demanderesses soutiennent que la jurisprudence établit que, en l’absence de circonstances spéciales ou exceptionnelles, les décisions interlocutoires ne devraient pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire. En fait, il y a lieu de décourager les demandes de contrôle judiciaire qui divisent, retardent, perturbent ou prolongent des procédures administratives à moins qu’il n’existe un risque réel d’injustice ou d’iniquité fondamentale (Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, au paragraphe 36). Dans Mines Alerte, la Cour a accordé une mesure de réparation pour des motifs liés à la portée d’un projet, même si la demande avait été présentée après la réalisation de l’évaluation environnementale plutôt qu’au moment de la décision relative à la portée du projet (Mines Alerte (CF), précitée, aux paragraphes 145, 148‑154). Il était raisonnable, voire souhaitable, pour les demanderesses de participer au processus d’évaluation environnementale plutôt que de contester chacune de leur côté la décision relative à la portée. Si la Commission avait recommandé de ne pas réaliser le projet, la question aurait été théorique (Lorenz c Air Canada, [1999] ACF no 1383, aux paragraphes 33‑35).

 

[101]       Enfin, les demanderesses soutiennent que puisque la principale réparation demandée n’est pas contre la Commission elle‑même, mais contre les décisions du Cabinet et des autorités responsables qui n’existaient pas au moment du dépôt de la présente demande, le délai de 30 jours prévu par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales ne s’applique pas (Krause c Canada, [1999] 2 CF 476 (CAF), aux paragraphes 20‑24).

 

ANALYSE

L’évaluation environnementale – Dossier T‑1572‑11

Le litige

[102]       La Cour est appelée à se prononcer sur la question de savoir si en réalisant l’évaluation environnementale à l’égard du projet, la Commission s’est conformée à la LCEE. Dans le présent litige, deux opinions très différentes de ce que la LCEE exige de la Commission en l’espèce s’opposent.

 

[103]       Les demanderesses soutiennent que la LCEE exige que la Commission adopte une approche restrictive fondée sur la prudence à l’égard des évaluations environnementales. Elles attirent l’attention et mettent l’accent sur les obligations positives qu’impose le paragraphe 4(2) à toutes les parties assujetties aux dispositions de la Loi à savoir qu’elles doivent « exercer leurs pouvoirs de manière à protéger l’environnement et la santé humaine et à appliquer le principe de la prudence. » Selon la caractérisation des demanderesses, la LCEE est une loi qui consiste à [traduction] « regarder avant de sauter » et elles citent la jurisprudence qui a confirmé cet aspect de la Loi. En l’espèce, les demanderesses soutiennent que la Commission a sauté, et en a fait sauter d’autres, avant de regarder avec soin à l’horizon.

 

[104]       Pour leur part, les défendeurs insistent sur la nature plus fluide et « prédictive » d’une évaluation environnementale et sur les difficultés d’évaluer à l’avance toutes les conséquences d’un projet en fonction des données connues. Ils soutiennent que les tribunaux ont reconnu que le principe de la prudence pouvait avoir des effets paralysants et que ceux-ci ont adopté la « gestion adaptative » en guise de contrepoids nécessaire pour assurer la réalisation de projets souhaitables d’un point de vue social et économique.

 

[105]       La nature d’une évaluation environnementale dans son ensemble comporte la mise en équilibre de la prudence nécessaire et de la souplesse requise pour rendre une proposition de développement réalisable, sûre et durable. La présente demande constitue un litige classique concernant la question de savoir si l’équilibre approprié a été atteint pour ce projet. Toutefois, à mon avis, l’ampleur et la durée prévue du projet rendent particulièrement difficile l’atteinte d’un juste équilibre.

 

[106]       Pour les demanderesses, l’évaluation environnementale joue une fonction de contrôle qui met fin aux projets nuisibles pour l’environnement avant leur mise en œuvre (ou avant que les pelles ne creusent la terre) (voir Bennett Environmental, précité, aux paragraphes 82‑83). En effet, il y a eu des cas où la conclusion d’une commission d’examen selon laquelle un projet entraînerait des effets négatifs importants sur l’environnement a fait en sorte que les décideurs n’ont pas permis que ce projet aille de l’avant. Cependant, le rôle de la Commission, en ce qu’il concerne l’aspect décisionnel de l’évaluation environnementale, consiste à veiller à ce que les décideurs disposent du fondement factuel nécessaire pour prendre une décision éclairée sur le plan scientifique. La juge Tremblay‑Lamer a décrit cette division des rôles et des responsabilités dans Pembina Institute, précitée, et qui est discutée plus loin. Cela est compatible avec l’avis même de la Commission selon lequel son « mandat […] consistait à évaluer les effets environnementaux du projet et à déterminer si le projet est susceptible d’entraîner des effets négatifs importants sur l’environnement, compte tenu de la mise en œuvre de mesures d’atténuation » (rapport d’évaluation environnementale, à la page 45). Comme nous le verrons plus loin, le rôle de la Commission ne comprend pas l’élimination de toute incertitude. Les décideurs doivent plutôt pouvoir raisonnablement conclure qu’un projet est susceptible, ou n’est pas susceptible, d’entraîner des effets négatifs importants sur l’environnement, tout en gardant à l’esprit les principes directeurs énoncés plus loin, y compris le principe de la prudence.

 

[107]       La responsabilité principale d’évaluer la question de savoir si des effets environnementaux négatifs importants sont susceptibles de découler d’un projet incombe à l’organisme qui effectue l’évaluation environnementale (en l’espèce, la Commission) et aux décideurs ultérieurs et non à la Cour. L’expertise de la Commission, les ressources dont elle dispose et la nature de son processus, comme le montre le rapport d’évaluation environnementale dans la présente affaire, la placent dans une meilleure situation pour assumer cette responsabilité et s’en acquitter. La Cour offre est un niveau supplémentaire d’imputabilité en s’assurant que le processus suivi par la Commission était conforme aux règles de l’équité, que la Commission a rempli ses obligations énoncées dans la LCEE et que les conclusions tirées satisfont à la norme de la décision raisonnable décrite au paragraphe 31.

 

Le droit et les principes directeurs

[108]       Pour évaluer le projet de façon appropriée, la Commission était tenue de respecter la LCEE et les directives des tribunaux portant sur cette Loi. L’obligation fondamentale de la Commission consistait à examiner la proposition d’OPG et à rédiger un rapport conformément à l’article 34 de la LCEE. Comme le mentionne l’article 2 de la LCEE, un « examen par une commission » signifie ce qui suit :

Évaluation environnementale effectuée par une commission d’évaluation environnementale constituée aux termes de l’article 33 et qui comprend la prise en compte des éléments énumérés aux paragraphes 16(1) et (2).

 

[109]       Les paragraphes 16(1) et (2) de la Loi sont ainsi libellés :

Éléments à examiner

 

16. (1) L’examen préalable, l’étude approfondie, la médiation ou l’examen par une commission d’un projet portent notamment sur les éléments suivants :

 

a) les effets environnementaux du projet, y compris ceux causés par les accidents ou défaillances pouvant en résulter, et les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à l’existence d’autres ouvrages ou à la réalisation d’autres projets ou activités, est susceptible de causer à l’environnement;

 

b) l’importance des effets visés à l’alinéa a);

 

 

c) les observations du public à cet égard, reçues conformément à la présente loi et aux règlements;

 

d) les mesures d’atténuation réalisables, sur les plans technique et économique, des effets environnementaux importants du projet;

 

 

e) tout autre élément utile à l’examen préalable, à l’étude approfondie, à la médiation ou à l’examen par une commission, notamment la nécessité du projet et ses solutions de rechange — dont l’autorité responsable ou, sauf dans le cas d’un examen préalable, le ministre, après consultation de celle-ci, peut exiger la prise en compte.

 

 

Éléments supplémentaires

 

(2) L’étude approfondie d’un projet et l’évaluation environnementale qui fait l’objet d’une médiation ou d’un examen par une commission portent également sur les éléments suivants :

 

a) les raisons d’être du projet;

 

b) les solutions de rechange réalisables sur les plans technique et économique, et leurs effets environnementaux;

 

 

 

c) la nécessité d’un programme de suivi du projet, ainsi que ses modalités;

 

 

d) la capacité des ressources renouvelables, risquant d’être touchées de façon importante par le projet, de répondre aux besoins du présent et à ceux des générations futures.

 

Factors to be considered

 

16. (1) Every screening or comprehensive study of a project and every mediation or assessment by a review panel shall include a consideration of the following factors:

 

(a) the environmental effects of the project, including the environmental effects of malfunctions or accidents that may occur in connection with the project and any cumulative environmental effects that are likely to result from the project in combination with other projects or activities that have been or will be carried out;

 

(b) the significance of the effects referred to in paragraph (a);

 

(c) comments from the public that are received in accordance with this Act and the regulations;

 

(d) measures that are technically and economically feasible and that would mitigate any significant adverse environmental effects of the project; and

 

(e) any other matter relevant to the screening, comprehensive study, mediation or assessment by a review panel, such as the need for the project and alternatives to the project, that the responsible authority or, except in the case of a screening, the Minister after consulting with the responsible authority, may require to be considered.

 

 

Additional factors

 

(2) In addition to the factors set out in subsection (1), every comprehensive study of a project and every mediation or assessment by a review panel shall include a consideration of the following factors:

 

(a) the purpose of the project;

 

(b) alternative means of carrying out the project that are technically and economically feasible and the environmental effects of any such alternative means;

 

(c) the need for, and the requirements of, any follow-up program in respect of the project; and

 

(d) the capacity of renewable resources that are likely to be significantly affected by the project to meet the needs of the present and those of the future.

 

 

[110]       Un élément important de la présente demande est la définition pertinente du mot « projet » figurant à l’article 2 et qui signifie :

 

Réalisation — y compris l’exploitation, la modification, la désaffectation ou la fermeture — d’un ouvrage […].

                                                                             

 

[111]       En l’espèce, le projet nécessitait des approbations fédérales en vertu de la LSRN, de la Loi sur les pêcheries et de la LPEN et cela signifiait qu’une évaluation environnementale en vertu de la LCEE devait être réalisée et donner lieu à une décision favorable de la part de chaque autorité responsable (voir la LCEE, au paragraphe 37(1)). Cette décision doit être prise « conformément à l’agrément [du gouverneur en conseil] » (la LCEE, au paragraphe 37(1.1)), ce qui signifie que le Cabinet fédéral doit donner son approbation avant qu’un projet de cette nature puisse aller de l’avant. Selon la Loi, les autorités responsables visées devaient veiller à ce qu’une évaluation environnementale soit effectuée le plus tôt possible au stade de la planification du projet :

Moment de l’évaluation

 

11. (1) Dans le cas où l’évaluation environnementale d’un projet est obligatoire, l’autorité fédérale visée à l’article 5 veille à ce que l’évaluation environnementale soit effectuée le plus tôt possible au stade de la planification du projet, avant la prise d’une décision irrévocable, et est appelée, dans la présente loi, l’autorité responsable de ce projet.

Timing of assessment

 

11. (1) Where an environmental assessment of a project is required, the federal authority referred to in section 5 in relation to the project shall ensure that the environmental assessment is conducted as early as is practicable in the planning stages of the project and before irrevocable decisions are made, and shall be referred to in this Act as the responsible authority in relation to the project.

 

[112]       Les mots « le plus tôt possible au stade de la planification du projet » ont une importance particulière dans le présent litige parce que selon l’argument principal des demanderesses, il n’y avait pas de « projet » à évaluer ou la réalisation de ce dernier n’était pas suffisamment avancée pour permettre une évaluation environnementale significative.

 

[113]       Comme le souligne OPG dans ses observations écrites, pour aller de l’avant avec le projet, il est à la fois nécessaire d’entreprendre une évaluation environnementale et d’obtenir les permis et licences prévus par règlement. Chacune des cinq phases de la durée de vie d’une centrale nucléaire exige que le promoteur obtienne de la CCSN une licence ou un permis au titre du paragraphe 24(2) de la LSRN : (1) un permis de préparation de l’emplacement; (2) un permis de construction; (3) un permis d’exploitation; (4) un permis de déclassement; (5) un permis d’abandon. Le Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées pris en vertu de la LCEE prévoit qu’une évaluation environnementale doit être effectuée avant qu’une licence ou un permis soit délivré en vertu du paragraphe 24(2) de la LSRN. Cette exigence s’applique à chacun des permis et licences nécessaires au cours de la durée de vie d’une centrale nucléaire. Cependant, comme les demanderesses le soulignent, cela ne signifie pas que d’autres évaluations environnementales seront effectuées à l’égard de ce projet en vertu de la LCEE ou de la loi qui la remplacera. L’évaluation environnementale examinée en l’espèce visait toutes les phases de la durée de vie du projet. Avant la délivrance de chaque permis ou licence, la CCSN doit s’assurer que l’évaluation environnementale s’applique toujours. Si le projet est fondamentalement différent, il peut être nécessaire d’effectuer une nouvelle évaluation environnementale (voir la Réponse du gouvernement du Canada au rapport de la commission d’examen conjoint (recommandation 1), dossier des demanderesses dans le dossier T‑1723‑12, à la page 920 [la réponse du gouvernement]; motifs de la décision relative au permis, au paragraphe 96, dossier des demanderesses dans le dossier T-1723-12, à la page 41; le paragraphe 24(2) de la LCEE). Il se peut cependant que cette évaluation environnementale soit la seule qui sera effectuée pendant toute la durée de vie du projet.

 

[114]       À l’instar de toutes les autres évaluations environnementales réalisées en vertu de la LCEE, l’évaluation environnementale en l’espèce devait être effectuée « le plus tôt possible au stade de la planification du projet, avant la prise d’une décision irrévocable ».

 

[115]       C’est la demande de permis de préparation de l’emplacement présentée par OPG qui a déclenché la réalisation de l’évaluation environnementale en cause en l’espèce. En mars 2008, à la suite d’une recommandation de la CCSN, le ministre de l’Environnement a renvoyé le projet pour examen par une commission. L’approche d’une commission d’examen conjoint a été adoptée parce que l’évaluation environnementale et le permis de préparation de l’emplacement nécessitaient un processus d’audiences publiques. La nomination des membres de la Commission a été annoncée le 30 octobre 2009 et la Commission a entrepris ses travaux.

 

[116]       Comme ce bref aperçu des obligations de la Commission au titre de la LCEE le révèle, il existe une tension inhérente et inévitable entre le besoin de veiller à ce qu’une évaluation environnementale soit effectuée « le plus tôt possible au stade de la planification, avant la prise d’une décision irrévocable » et les obligations de la Commission de veiller à ce que les éléments énumérés aux paragraphes 16(1) et (2) soient pris en compte de façon significative. Cette tension est au cœur du présent litige. Les demanderesses soutiennent que le projet proposé était trop hypothétique et incomplet pour permettre la réalisation d’une véritable évaluation environnementale en conformité avec la Loi. Évidemment, les défendeurs soutiennent le contraire.

 

[117]       Rien dans la LCEE elle-même ne nous indique à quel moment la réalisation d’un projet est suffisamment avancée pour permettre une évaluation environnementale véritable en conformité avec la Loi. Nous devons donc consulter la jurisprudence pour obtenir un éclairage relativement à cette question fondamentale.

 

[118]       À cet égard, les demanderesses renvoient la Cour à juste titre aux propos de la juge Reed dans Friends of the Island, précitée, selon lesquels la décision relative à une évaluation environnementale devrait être prise à un moment où le promoteur choisit un projet précis et le décrit de façon suffisamment détaillée pour permettre et faciliter un véritable examen des effets environnementaux potentiels par les organismes de réglementation et le public. Autrement dit, il doit y avoir quelque chose qui va au-delà du stade conceptuel. La juge Reed a souligné que les « audiences publiques concernant une proposition au stade conceptuel ne sauraient remplacer une évaluation spécifique du projet précis dont la réalisation est prévue » (aux paragraphes 53 et 59).

 

[119]       Il me semble cependant que la question de savoir si un projet proposé comporte le niveau de détail nécessaire pour faciliter la réalisation d’une véritable évaluation environnementale et permettre aux organismes de réglementation et au public de l’examiner sera toujours une question de fait dans chaque cas. Il n’y a pas de réponse conceptuelle facile à l’égard de cette question et la réponse sera toujours fonction du projet particulier et du contenu de la proposition particulière. Qui plus est, il s’agit d’une question que la commission d’examen elle-même devra toujours prendre en compte et à l’égard de laquelle elle devra se prononcer parce qu’il s’agit d’un aspect inhérent à la réalisation d’une évaluation environnementale en conformité avec la LCEE. À mon avis, tout ce que peut faire la Cour c’est d’examiner si, compte tenu d’un ensemble de faits donné et de la nature du projet proposé, une telle conclusion tirée par une commission est raisonnable. J’estime que ce point de vue est étayé par d’autres décisions portant sur cette question.

 

[120]       À titre d’exemple, à mon avis, l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Inverhuron (CAF), précité, confirme l’inévitabilité de cette approche :

[56]      Vu la nature du processus et les différences entre les divers genres de projets soumis à une évaluation environnementale, il ne peut y avoir une méthode réglementaire unique pour la conduite d'une évaluation environnementale. L'appelante n'a pu d'ailleurs indiquer à la Cour aucun fondement juridique autorisant une règle qui obligerait Hydro-Ontario à effectuer l'analyse détaillée qu'elle préconise pour les effets radiologiques. L'appelante a signalé l'affaire Friends of the Island c. Canada (Ministre des Travaux publics), un précédent qui pour elle autorise la proposition selon laquelle une évaluation environnementale générique ne suffisait pas. Cependant, il s'agissait là d'une évaluation effectuée sous le régime très différent d'un décret antérieur à l'actuelle Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. D'ailleurs, dans cette affaire, le [sic] juge Reed a refusé d'examiner si le décret exigeait même qu'un projet proposé soit évalué « au stade conceptuel ou durant une autre étape de conception plus détaillée ». Elle a tout simplement jugé que l'évaluation doit être faite durant une étape où les répercussions environnementales peuvent être pleinement examinées. À mon avis, l'évaluation en question dans la présente instance a été effectuée durant une telle étape.

 

[Non souligné dans l’original; notes de bas de page omises.]

 

 

[121]       Dans la récente décision Grand Riverkeeper, précitée, le juge Near (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a rappelé et résumé le rôle et la raison d’être d’une commission d’examen conjoint dans le cadre du processus d’évaluation environnementale :

[29]      Une CEC est constituée en vue de recueillir des renseignements et de formuler des recommandations conformément à la LCEE (article 34 de la LCEE; arrêt Express Pipelines, précité, au paragraphe 14). La commission ne rend aucune décision définitive en ce qui concerne le Projet et les recommandations qu’elle formule n’ont aucun caractère obligatoire. Son objectif principal consiste plutôt à aider les AR, qui sont les décideurs ultimes, à obtenir les renseignements dont ils ont besoin pour prendre des décisions éclairées sur le plan environnemental. La commission n’est qu’un des rouages du processus de prise de décisions prévu par la LCEE.

 

[…]

 

[43]      Les objectifs fondamentaux de l’évaluation environnementale consistent de façon générale à [traduction] « 1) déterminer et évaluer avant coup toutes les conséquences environnementales possibles d’une entreprise proposée; (2) permettre une prise de décisions qui à la fois garantira l’à‑propos du processus et conciliera le plus possible les désirs d’aménagement du promoteur et la protection et la préservation de l’environnement » (Friends of the Oldman River Society c Canada (Ministre des Transports), [1992] ACS no 1, [1992] 1 RCS 3, au paragraphe 95). […]

 

 

[122]       En l’espèce, le dossier indique qu’en septembre 2008, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale et la CCSN ont publié une ébauche des Lignes directrices de l’énoncé des incidences environnementales (EIE) ainsi qu’une ébauche de l’Entente de la commission d’examen conjoint. Les Lignes directrices de l’EIE avaient pour but de préciser les renseignements qu’OPG serait tenue d’inclure dans l’EIE, un document qui présenterait une analyse détaillée des effets potentiels du projet sur l’environnement. Un des objets de l’Entente était de fixer le cadre de référence que suivrait la Commission pour effectuer l’évaluation environnementale. Ces documents ont été finalisés en mars 2009 à la suite d’une période de consultation publique.

 

[123]       Tel qu’il est décrit plus en détail ci-après, le cadre de référence énoncé dans l’Entente était le mécanisme suivant lequel le ministre, conformément au paragraphe 15(1), à l’alinéa 15(3)b) et au paragraphe 16(3) de la LCEE, fixait la portée du projet et les éléments à prendre en compte dans l’évaluation environnementale. Les Lignes directrices de l’EIE, qui ont été publiées en même temps, aident la Cour à interpréter l’intention du ministre.

 

Les questions soulevées

Aucun projet à évaluer

[124]       Les demanderesses soutiennent que la Commission a omis d’effectuer l’évaluation environnementale d’un « projet » parce que le projet figurant dans la proposition d’OPG ne répondait pas à la définition du mot « projet » figurant à l’article 2 de la LCEE. Elles font valoir qu’il ne s’agissait pas d’un ouvrage contenant suffisamment de détails pour permettre la réalisation d’une véritable évaluation environnementale. L’argument des demanderesses est essentiellement le suivant :

[traduction] Cependant, les demanderesses soutiennent en l’espèce que dans le cadre de l’évaluation environnementale qu’elle a réalisée, la [Commission] aurait dû obtenir des renseignements précis et raisonnablement détaillés concernant la construction, l’exploitation, la modification, le déclassement, l’abandon et les autres entreprises proposés par OPG et qui font partie de la durée de vie de l’ouvrage lui-même ou qui sont secondaires ou accessoires à l’ouvrage. OPG a essentiellement présenté une série très générale d’options conceptuelles et de choix vagues de développement du site qu’elle adopterait au cours de la période postérieure à l’évaluation environnementale, mais sans autre évaluation au titre de la LCEE. Ainsi, ce que la [Commission] a prétendu évaluer était un plan – une mesure future proposée ou temporaire – plutôt qu’un « projet » au sens de la LCEE.

 

 

[125]       Autrement dit, les demanderesses soutiennent que ce qui a été présenté à la Commission n’était pas un « projet », mais [traduction] « simplement un plan en vue d’une planification, d’une évaluation et d’une prise de décision futures » et que cela mine et contredit le principe de droit international de la prudence enchassé dans le paragraphe 4(2) de la LCEE et que la Cour suprême a approuvé dans l’arrêt Spraytech, précité, et dans d’autres arrêts.

 

[126]       Les demanderesses font grand cas de la distinction entre [traduction] « un plan en vue d’une planification future » et la nécessité d’un « ouvrage » dans le premier volet de la définition du mot « projet ». La LCEE ne contient pas de définition du mot « ouvrage ». Il me semble cependant que la proposition d’OPG était de construire, d’exploiter, de modifier, de déclasser et d’abandonner une centrale nucléaire située sur l’emplacement de la centrale actuelle à Darlington. Si la proposition est exécutée, elle donnera lieu à un ouvrage. À mon avis, cela n’est pas différent d’une autre proposition de projet. La véritable question est celle de savoir si la proposition du projet en l’espèce contient suffisamment de détails pour permettre la réalisation d’une véritable évaluation environnementale en conformité avec les dispositions de la Loi. J’estime que cela ne soulève pas une question d’interprétation des lois. Comme je l’ai dit plutôt, il s’agit fondamentalement d’une question de fait à l’égard de laquelle la Commission devait se prononcer dans le cadre de son examen du projet proposé ou il s’agit d’une question mixte de fait et de droit (inévitablement une question à l’égard de laquelle les faits sont importants) pour déterminer si la proposition d’OPG contenait suffisamment de détails pour permettre la réalisation d’une véritable évaluation environnementale en conformité avec les dispositions de la Loi, y compris l’étendue des obligations énoncées aux articles 16 et 34. 

 

[127]       En résumé, les demanderesses se plaignent essentiellement de ce qui suit :

[traduction] Comme l’indique le rapport, la [Commission] elle‑même a conclu que des renseignements clés concernant le projet étaient absents des documents de l’évaluation environnementale. À titre d’exemple, la Commission a conclu qu’aucune technologie de réacteur nucléaire, conception d’emplacement, option d’eau de refroidissement, option de stockage du combustible nucléaire épuisé ou option de gestion des déchets radioactifs précis n’avaient été choisies. Ainsi, à l’heure actuelle, les décideurs fédéraux ne connaissent toujours pas les éléments suivants : a) les détails du projet précis qui doit être exécuté à l’emplacement de Darlington; b) la gamme complète des effets environnementaux propres à l’emplacement ou les effets cumulatifs; c) la question de savoir s’il existe des mesures d’atténuation réalisables pendant la durée de vie complète du projet. Ces lacunes et d’autres lacunes fondamentales sont attribuables au fait que la [Commission] n’avait pas devant elle un « projet », mais bien un plan pour planification, examen et décision futurs.

 

[128]       La préoccupation compréhensible des demanderesses est qu’il n’est pas possible d’évaluer les incidences environnementales du projet tant qu’une technologie de réacteur précise n’a pas été choisie. Cette préoccupation a été présentée à la Commission qui l’a rejetée. À mon avis, la question sur laquelle la Cour doit se pencher est celle de savoir si ce rejet était raisonnable, non pas celle de savoir si la proposition contenait un « ouvrage ».

 

[129]       À mon avis, la proposition n’était pas hypothétique. Elle mentionnait quatre options précises de réacteurs. En conséquence, la tâche de la Commission consistait à évaluer les incidences environnementales d’un projet dans le cadre duquel une de ces options serait éventuellement choisie. Un projet qui contient des options technologiques n’est pas nécessairement incomplet ou de nature simplement conceptuelle. Cela signifie simplement que l’évaluation environnementale doit examiner les incidences environnementales d’une manière qui prend en compte les quatre options, peu importe l’option qui sera éventuellement choisie. Cela complique l’évaluation, mais à mon avis, cela ne la rend pas nécessairement hypothétique pas plus que cela n’empêche la définition du mot « projet » figurant dans la LCEE de s’appliquer au projet en l’espèce.

 

Contestation indirecte irrégulière

[130]       Les défendeurs prétendent que l’allégation des demanderesses selon laquelle la Commission a omis d’évaluer un « projet » au sens de la LCEE est une contestation indirecte irrégulière de la décision du ministre relative à la portée du projet, qui a établi le cadre de référence et le contenu des Lignes directrices de l’EIE, de même que ce que la Commission devait examiner en l’espèce.

 

[131]       J’ai déjà conclu que l’approche limitative incluse dans la proposition d’OPG et acceptée par la Commission n’était pas incompatible avec la définition du mot « projet » au sens de la LCEE, et que la véritable question est celle de savoir s’il était possible d’effectuer une évaluation environnementale significative à la lumière des renseignements disponibles. Il est néanmoins nécessaire d’examiner l’argument des défendeurs concernant la nature de la décision du ministre relative à la portée du projet parce qu’elle comporte des répercussions potentielles sur la principale question en litige dans la présente demande, qui est la question de savoir si l’évaluation environnementale a été effectuée d’une manière conforme aux exigences de la LCEE.

 

[132]       Essentiellement, la position des défendeurs concernant la contestation indirecte irrégulière est énoncée par le PGC dans ses observations écrites :

[traduction]

 

36.       La description du projet d’OPG, incorporée par renvoi dans la décision relative à la portée du projet, contient une explication de « l’approche limitative ». Les demanderesses ont participé à la période de consultation publique portant sur l’ébauche d’Entente [sur l’établissement de la commission d’examen] et ont donc eu avis de son contenu. Les demanderesses auraient pu présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision relative à la portée du projet. Elles ne l’ont pas fait.

 

37.       La décision relative à la portée du projet et la décision relative à l’évaluation environnementale ont été prises par des décideurs distincts (le ministre et la [Commission], respectivement), à différents moments (en mars 2009 et en août 2011, respectivement). De plus, les décisions portaient sur des questions distinctes : la décision relative à la portée du projet fixait les paramètres de l’évaluation environnementale conformément au paragraphe 15(1) et à l’alinéa 15(3)b) de la LCEE; la décision de la [Commission] d’évaluer les effets environnementaux du projet, conformément à l’article 34 et aux paragraphes 16(1) et (2) de la LCEE.

 

38.       Les demanderesses sollicitent l’annulation de la décision relative à la portée du projet en étirant les limites du présent contrôle judiciaire au-delà de la décision [de la Commission] en cause et des formes de réparation sollicitée dans leur avis de demande. Compte tenu de la décision relative à la portée du projet, la [Commission] a agi de façon régulière en fonction de la prémisse portant que la portée du projet était fondée sur l’approche limitative [non souligné dans l’original]. Même si les demanderesses avaient décidé de contester la portée du projet de façon appropriée, lorsqu’elles en avaient l’occasion, elles ont omis de démontrer la mesure dans laquelle elle était erronée compte tenu de l’exigence d’examiner un projet « le plus tôt possible au stade de la planification », avant la prise d’une décision irrévocable [souligné dans l’original].

 

[133]       En réponse à ces allégations, les demanderesses font valoir qu’elles ne contestent pas les décisions du ministre relatives à la portée du projet. Elles soutiennent que [traduction] « la question fondamentale que vise la présente demande de contrôle judiciaire est que l’évaluation environnementale exhaustive qu’exigent la loi, ainsi que les décisions du ministre relatives à la portée du projet, n’a pas été réalisée jusqu’à maintenant […] ». Voici leur argument plus en détail :

[traduction] 14.       En soutenant que cet aspect de la norme de contrôle judiciaire est prescrit, les défendeurs semblent avoir mal qualifié les observations pertinentes formulées dans le mémoire des faits et du droit des demanderesses (pages 12-17). Essentiellement, la prétention des demanderesses est que pour qu’il y ait un « projet » au sens de l’article 2 de la LCEE, un promoteur doit identifier la nature précise de l’ouvrage proposé et il doit avoir choisi les moyens préférés de l’exécuter. Les demanderesses font valoir qu’en vertu de la loi, la [Commission] était tenue d’obtenir et d’analyser les renseignements nécessaires pour évaluer les effets environnementaux d’un projet identifiable de nouvelle centrale nucléaire. Ainsi, les demanderesses contestent précisément l’exercice du mandat [de la Commission] au titre de la LCEE et elles ne contestent pas la décision concernant la « portée du projet » rendue par le ministre en vertu des paragraphes 15(1) et 15(3) de la LCEE. Cette distinction est compatible avec l’arrêt Mines Alerte de la Cour suprême du Canada dans lequel la Cour a statué que le mot « projet » figurant dans la LCEE désignait un « projet tel qu’il est proposé » par le promoteur et non le « projet dont la portée a été définie ».

 

[134]       À mon avis, les défendeurs confondent les questions lorsqu’ils soutiennent que la décision du ministre concernant la portée du projet incluait une décision selon laquelle l’approche du « scénario limitatif » devait être suivie pour effectuer l’évaluation environnementale.

 

[135]       La portée du projet concerne les ouvrages qui doivent être construits et les activités qui doivent être entreprises à leur égard. L’approche du scénario limitatif décrit une méthodologie pour effectuer l’évaluation du projet. À mon avis, il s’agit de deux questions distinctes.

 

[136]       Toutefois, en vertu de la LCEE, le ministre a le pouvoir d’évaluer « la portée des éléments visés aux alinéas (1)a), b) et d) et (2)b), c) et d) » de la Loi (para 16(3) de la LCEE). Il se peut que le ministre limite la portée des facteurs qui doivent être pris en compte d’une manière qui confine la Commission à examiner un scénario limitatif ou EPC. La question est de savoir si c’est ce que le ministre a fait en l’espèce.

 

[137]       Selon la LCEE, le ministre était tenu et avait le pouvoir de prendre deux décisions relativement à la portée du projet en matière d’évaluations environnementales renvoyées à une commission d’examen.

 

[138]       Premièrement, selon l’alinéa 15(1)b), le ministre devait, après consultation de l’autorité responsable, déterminer « la portée du projet à l’égard duquel l’évaluation environnementale doit être effectuée ». Selon l’alinéa 15(3)b), dans les cas où, comme en l’espèce, un projet est lié à un ouvrage, l’évaluation environnementale doit inclure « toute opération — construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre — constituant un projet lié à un ouvrage » lorsque « l’opération est proposée par le promoteur [...] ou [...] le ministre estime l’opération susceptible d’être réalisée en liaison avec l’ouvrage ». L’article 15.1, qui a été adopté après la décision relative à la portée du projet à l’étude en l’espèce et qui n’est donc pas pertinent, confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de s’écarter du principe énoncé précédemment. Par conséquent, selon l’article 15, le ministre était tenu de déterminer la portée du projet.

 

[139]       Deuxièmement, l’alinéa 16(3)b) confère au ministre, « lors de la détermination du mandat […] de la commission d’examen » le pouvoir d’évaluer « la portée des éléments visés aux alinéas [16](1)a), b) et d) et (2)b), c) et d) ». Ainsi, le ministre pourrait circonscrire la plupart des éléments prescrits par l’article 16. Les exceptions sont « les observations du public […] reçues conformément à la présente loi et aux règlements » (alinéa 16(1)c)) et « la raison d’être du projet » (alinéa 16(2)a)). En outre, le ministre avait le pouvoir discrétionnaire de déterminer si certains autres éléments devaient être pris en compte ou non, notamment « la nécessité du projet et ses solutions de rechange » (alinéa 16(1)e)). Selon l’article 16, le ministre était donc tenu de déterminer la portée de la plupart des éléments examinés en lien avec le projet.

 

[140]       Les défendeurs soutiennent que trois documents sont pertinents pour ces décisions : l’Entente (qui comprend le cadre de référence de la Commission), les Lignes directrices de l’EIE et la description du projet qui, selon les défendeurs, était incorporée par renvoi. La description du projet est un document mis au point par OPG et elle a été publiée avec l’avis de lancement du processus d’évaluation environnementale en mai 2007 (voir le dossier des demanderesses, volume 4, onglet 4A, Project Description for the Site Preparation, Construction and Operation of the Darlington B Nuclear Generating Station, le 12 avril 2007 [description du projet] [en anglais seulement]).

 

[141]       Les demanderesses soutiennent que seule l’Entente pouvait définir la portée du projet, bien qu’elles semblent admettre que les Lignes directrices de l’EIE sont pertinentes pour la « portée de l’examen », ce qui vraisemblablement signifie selon elles la portée des éléments à examiner.

 

[142]       L’Entente, et plus particulièrement le cadre de référence qui en fait partie, visent expressément tous deux la portée du projet et la portée des éléments à examiner. La Commission était d’avis que le cadre de référence cernait à la fois la portée du projet et la portée des éléments à prendre en considération (voir le rapport d’évaluation environnementale, à la page 7) et je suis d’accord avec cette interprétation. Il se peut que les Lignes directrices de l’EIE puissent être utiles à la Cour pour interpréter l’intention du ministre, puisqu’elles ont été publiées en même temps.

 

[143]       À mon avis, ni l’Entente ni les Lignes directrices de l’EIE ne limitaient la Commission à l’examen d’un scénario limitatif ni n’obligeaient l’adoption de l’approche de l’EPC.

 

Portée du projet

[144]       Selon l’Entente, le mot « projet » est défini comme suit :

« Projet » s’entend de la préparation d’un site, de la construction, de l’exploitation, du déclassement et de l’abandon de nouveaux réacteurs nucléaires (jusqu’à quatre) sur l’emplacement du complexe nucléaire de Darlington dans la municipalité de Durham (Ontario); le projet est décrit dans la Partie I de l’annexe à la présente entente[.]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[145]       Le cadre de référence joint à l’Entente contient la description suivante du projet :

Partie I – Description du projet

 

Conformément aux alinéas 15(1)b) et 15(3)b) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, le ministre de l’Environnement propose que la portée du projet comprenne la préparation de l’emplacement, la construction, l’exploitation, le déclassement et l’abandon des composantes et activités du projet d’OPG, selon la description fournie dans le document OPG New Build Project Environmental Assessment – Project Description.

 

La portée du projet de nouvelle centrale nucléaire Darlington inclut la préparation de l’emplacement, la construction, l’exploitation, le déclassement et l’abandon d’au plus quatre nouveaux réacteurs nucléaires pouvant produire jusqu’à 4 800 MW pour alimenter le réseau électrique de l’Ontario.

 

L’exploitation inclurait les activités requises pour exploiter et maintenir la nouvelle centrale nucléaire Darlington, y compris la gestion de tous les déchets ordinaires et radioactifs. La province de l’Ontario a envisagé diverses conceptions de réacteurs. On s’attend à ce que les nouveaux réacteurs aient une durée de vie utile d’environ 60 ans. Cela pourrait comporter des travaux de remise à neuf à mi‑vie selon la technologie choisie par le promoteur.

 

Le projet inclut jusqu’à quatre ensembles des principales composantes suivantes :

 

         le bâtiment-réacteur – contenant la cuve du réacteur, le système de manutention du combustible, le circuit caloporteur, le modérateur, les mécanismes de contrôle de la réactivité, les systèmes d’arrêt et le confinement.

 

         la centrale électrique – contenant les turbines, les générateurs et ainsi que les systèmes et structures connexes qui convertissent la vapeur produite en électricité.

 

Le projet inclut aussi les installations partagées entre les réacteurs :

 

         les circuits et les structures de refroidissement du condenseur, notamment les tours de refroidissement ou le système de refroidissement à passage unique, avec tous les réservoirs immergés connexes, le bassin d’admission et les systèmes de décharge;

 

         l’installation de gestion des déchets de faible et de moyenne activité (sur le site ou hors site);

 

         l’agrandissement de l’installation existante de gestion des déchets à Darlington à des fins de stockage du combustible irradié ou construction d’une nouvelle installation.

 

Les activités auxiliaires qui pourraient être nécessaires comprennent le transport des déchets de faible et de moyenne activité vers une installation autorisée appropriée à des fins de gestion.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[146]       Cette description est suivie d’une description plus détaillée des phases du projet, soit la préparation, la construction, l’exploitation et l’entretien, le déclassement et l’abandon.

 

[147]       À mon avis, il ressort clairement de tout ceci que la portée du projet concerne les activités à réaliser relativement aux ouvrages en cause, c’est-à-dire « la préparation de l’emplacement, la construction, l’exploitation, le déclassement et l’abandon d’au plus quatre nouveaux réacteurs nucléaires ». Cela n’a rien à voir avec la méthodologie selon laquelle l’évaluation doit être effectuée.

 

[148]       Le défendeur PGC soutient que la description du projet d’OPG a été [traduction] « incorporée par renvoi » dans le cadre de référence de la Commission et qu’elle comprenait une explication de « l’approche limitative » (voir Appendix A: Plant Parameter Envelope Description & Reactor Technology Descriptions [en anglais seulement]). À mon avis cependant, il n’est pas possible d’interpréter le renvoi aux documents de description du projet dans le cadre de référence comme une décision selon laquelle l’approche de l’EPC doit être adoptée comme méthodologie (encore moins comme méthodologie unique) pour effectuer l’évaluation environnementale. Comme le PGC le souligne, le cadre de référence indique ce qui suit :

         la préparation de l’emplacement comprend « la préparation de l’emplacement, la construction, l’exploitation, le déclassement et l’abandon des composantes et activités du projet d’OPG, selon la description fournie dans [la description du projet] »;

 

  • le projet « inclut jusqu’à quatre ensembles », comportant chacun un bâtiment‑réacteur et une centrale électrique;

 

  • Le projet inclut les installations partagées suivantes entre les réacteurs : les circuits et les structures de refroidissement du condenseur (les tours de refroidissement ou le système de refroidissement à passage unique); l’installation de gestion de déchets de faible et de moyenne activité (sur le site ou hors site); l’agrandissement de l’installation existante à des fins de stockage du combustible irradié ou construction d’une nouvelle installation.

[Souligné par le PGC.]

 

[149]       La première de ces observations confirme simplement ce qui a été énoncé ci-dessus : le projet comprend « la préparation de l’emplacement, la construction, l’exploitation, le déclassement et l’abandon d’au plus quatre nouveaux réacteurs nucléaires ». Cela ne traite pas de la méthodologie selon laquelle l’évaluation doit être effectuée. Le renvoi dans le cadre de référence à la description du projet préparée par OPG n’est pas une acceptation générale de tout ce que le document contient, y compris la description de l’approche de l’EPC figurant à l’annexe A. Il s’agit plutôt d’une observation précise portant que le projet comprend « la préparation de l’emplacement, la construction, l’exploitation, le déclassement et l’abandon des composantes et activités du projet d’OPG, selon la description fournie dans [la description du projet] » (non souligné dans l’original).

 

[150]       Dans les deuxième et troisième observations on reconnaît que les options de technologies et de conceptions sont encore à l’examen quant à un certain nombre de composantes du projet. Encore ici, rien ne traite de la manière selon laquelle ces options doivent être présentées et examinées dans le cadre de l’évaluation environnementale. Si, afin de respecter la LCEE, il se révélait nécessaire de décrire et d’évaluer chaque option et leurs effets potentiels avec le même degré de précision qui serait normalement fourni si les choix de technologies et de conceptions avaient déjà été faits, une telle approche serait compatible avec le libellé de l’Entente et du cadre de référence.

 

[151]       En bref, comme on le verra ci-après à l’occasion de l’examen des Lignes directrices de l’EIE, la reconnaissance que « [l]a province de l’Ontario a envisagé diverses conceptions de réacteurs » ne dicte pas l’adoption d’une méthodologie particulière pour effectuer l’évaluation environnementale.

 

Portée des éléments à examiner

[152]       En ce qui a trait à la portée des éléments à examiner, il convient d’examiner à la fois la description explicite de ces éléments et les descriptions du ministre quant au processus à suivre pour effectuer l’évaluation.

 

[153]       Le cadre de référence prévoit ce qui suit à cet égard :

Partie IV – Portée de l’évaluation environnementale et éléments à prendre en compte dans l’examen

 

L’examen inclura la prise en compte des éléments suivants, énumérés aux alinéas 16(1)a) à d) et au paragraphe 16(2) de la LCEE :

 

a.       les effets environnementaux du projet, y compris ceux causés par les défaillances, les accidents et les actes malveillants pouvant en résulter, et les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à l’existence d’autres ouvrages ou à la réalisation d’autres projets ou activités, est susceptible de causer à l’environnement;

 

b.      l’importance des effets visés au paragraphe a);

 

c.       les observations reçues dans le cadre de l'évaluation environnementale;

 

d.      les mesures d’atténuation réalisables, sur les plans technique et économique, des effets environnementaux importants du projet;

 

e.       la raison d’être du projet;

 

f.       la nécessité de mettre en œuvre le projet;

 

g.      les solutions de rechange au projet;

 

h.      les solutions de rechange réalisables sur les plans technique et économique, et leurs effets environnementaux;

 

i.        les mesures susceptibles d’accroître tout effet environnemental bénéfique;

 

j.        la nécessité d'un programme de suivi du projet;

 

k.      la capacité des ressources renouvelables, qui risquent d'être touchées de façon importante par le projet, de répondre aux besoins des générations actuelles et futures;

 

l.        la prise en compte des connaissances des collectivités et des connaissances traditionnelles autochtones

 

Partie V – Portée de l’évaluation d’une demande de permis pour la préparation d’un site

 

Conformément à l’article 24 de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires (LSRN) et de ses règlements, le processus d’examen conjoint par une commission examinera :

 

         si le demandeur est compétent pour exercer les activités autorisées par les permis

 

         si, dans le cadre de ces activités, le promoteur prendra les mesures nécessaires pour protéger l’environnement, préserver la santé et la sécurité des personnes, maintenir la sécurité nationale et respecter les obligations internationales que le Canada a assumées.

 

Il n’y a aucune mention ici de « scénario limitatif » ou d’approche de l’EPC, pas plus qu’il ne semble y avoir de limite sur la prise en compte des éléments énoncés à l’article 16.

 

[154]       Les dispositions de l’Entente elle-même renforcent cette opinion :

2.2       La présente entente relative à la CEC ne doit en aucun cas être interprétée comme limitant la capacité de la CEC de prendre en considération tous les éléments qui semblent pertinents aux termes de l’article 24 de la LSRN et les éléments précisés dans les articles 16 et 16.1 de la LCEE.

 

[155]       Les mêmes descriptions du projet, la portée de l’évaluation et les éléments à prendre en compte son essentiellement repris dans les Lignes directrices de l’EIE.

 

[156]       À mon avis, le libellé des Lignes directrices de l’EIE étaye en grande partie l’opinion des demanderesses selon laquelle elles sont principalement destinées au promoteur et non à la Commission. Les Lignes directrices de l’EIE mentionnent ce qui suit (à la page 1) :

Le présent document indique au promoteur, Ontario Power Generation (OPG), la nature, la portée et l’étendue des renseignements dont il doit tenir compte dans la préparation de l’énoncé des incidences environnementales (EIE) ayant trait à son projet de nouvelle centrale nucléaire de Darlington, dont les réacteurs produiraient environ 4 800 MW. […]

 

[157]       Même si les Lignes directrices de l’EIE utilisent un libellé impératif quant aux renseignements qui doivent être inclus, à mon avis, elles laissent au promoteur le choix de choisir la méthode ou les méthodes à employer pour présenter les éléments de preuve qui convaincront la Commission que le projet n’entraînera pas d’effets négatifs importants sur l’environnement. Les Lignes directrices de l’EIE mentionnent ce qui suit (à la page 1) :

Les lignes directrices de l’EIE constituent un cadre pour la préparation d’un EIE complet et accessible. Toutefois, le promoteur doit lui-même se charger de fournir des données et des analyses suffisantes sur tous les effets potentiels sur l’environnement, pour que la commission d’examen conjoint, le public, les organismes techniques et les organismes de réglementation puissent procéder à une évaluation adéquate. Les lignes directrices de l'EIE décrivent les renseignements minimaux exigés, mais le promoteur peut choisir les méthodes de compilation et d'analyse des données aux fins de l'EIE.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[158]       Il est loisible au promoteur de ne pas être d’accord avec les opinions exprimées dans les Lignes directrices de l’EIE quant aux renseignements exigés, mais il doit justifier les choix qu’il a faits. Il incombe à la Commission de déterminer si des renseignements supplémentaires doivent être fournis (à la page 8) :

Le promoteur doit respecter l'intention des lignes directrices de l'EIE, et cerner tous les effets environnementaux que la mise en œuvre du projet pourrait entraîner (y compris les situations qui ne sont pas expressément décrites dans ces lignes directrices), les mesures d'atténuation qui seront appliquées, ainsi que l'importance des effets résiduels négatifs. Il se peut que les lignes directrices de l’EIE comportent des aspects qui, dans l’optique du promoteur, ne s’appliquent pas au projet. S'il omet de mentionner ces aspects dans l'EIE, il doit l'indiquer clairement dans l'EIE et fournir une justification appropriée afin que le public et d'autres parties intéressées aient la possibilité de se prononcer sur ce point de vue. Si la commission d’examen conjoint n’est pas d’accord avec la décision du promoteur, elle peut exiger qu’il fournisse d’autres renseignements.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[159]       Néanmoins, l’existence d’un lien entre le cadre énoncé dans les Lignes directrices de l’EIE et la décision de la Commission est clairement prévue. À titre d’exemple, la Commission devait déterminer s’il y avait suffisamment de renseignements pour tenir une audience sur la question de savoir à quel point le promoteur avait satisfait aux Lignes directrices de l’EIE. Le cadre de référence mentionne ce qui suit, sous la rubrique intitulée Composantes de l’examen :

6.         La CEC établira un horaire et annoncera le début de ses audiences lorsqu’elle aura jugé que l'EIE du promoteur ainsi que tous les renseignements supplémentaires satisfont adéquatement aux lignes directrices pour l’EIE.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Cependant, même si les Lignes directrices de l’EIE pouvaient être considérées comme restreignant certains aspects des délibérations de la Commission, à mon avis, elles ne commandent pas l’adoption de l’approche du « scénario limitatif ». Au contraire, les Lignes directrices de l’EIE mentionnent qu’une quantité importante de détails doit être fournie à l’égard de chacune des technologies de réacteur examinées et des répercussions environnementales respectives. À titre d’exemple, le paragraphe 8.1 des Lignes directrices de l’EIE prévoit que les renseignements suivants devaient être inclus dans l’EIE :

Pour toutes les conceptions de réacteur envisagées, fournir des renseignements sur les points suivants :

 

         la configuration de base, l’aménagement, la forme, la taille, la conception et l’exploitation de l’installation;

 

         les spécifications en matière de rendement relatives à la conception, au type de réacteur, à la configuration de centrale, et à tous les systèmes, structures et composants importants sur le plan de la sûreté;

 

         les caractéristiques de sûreté;

 

         la durée de vie prévue;

 

         la description des procédures et exigences relatives à la mise en service ou au « démarrage »;

 

         les exigences relatives à la remise à neuf;

 

         les questions relatives au vieillissement et à l’usure, et la gestion de ces questions, dans la mesure où cela s’applique à la fiabilité et à la performance environnementale;

 

         les systèmes de sécurité physique (à l'exclusion des renseignements réglementés), conçus spécialement pour isoler le projet du milieu avoisinant, ou pour éviter, arrêter ou atténuer les effets des défaillances, des accidents ou des actes malveillants;

 

         la détermination et la description des mesures de contrôle techniques et administratives, y compris l’utilisation d’une marge de criticité approuvée pour la sûreté, qui permet d’assurer que l’ensemble du procédé (à l’extérieur du réacteur) sera sous-critique dans des conditions normales et dans des conditions d’accident plausibles – accidents ou séquences d’accidents – dont la fréquence est égale ou supérieure à un événement par million d’années;

 

         les stocks de matières radioactives et d’autres matières dangereuses, y compris les lieux et les méthodes de stockage, ainsi que les plans de contrôle de la criticité;

 

         les sources, les quantités et les points de rejet associés aux effluents et aux émissions radiologiques et non radiologiques courants, y compris les rejets thermiques;

 

         les procédés et les installations de gestion des déchets radioactifs et non radioactifs (déchets de faible activité, d’activité moyenne et de combustible irradié, et déchets conventionnels, sanitaires et dangereux) générés par le projet, y compris les méthodes de collecte, de manutention, de stockage et de transport;

 

         les sources et les caractéristiques des risques d’incendie;

 

         les sources et les caractéristiques du bruit, des odeurs, des poussières et autres effets néfastes probables du projet;

 

         les sources et les caractéristiques des risques potentiels découlant du projet (y compris les risques radiologiques) pour les travailleurs, la population ou l’environnement.

 

[160]       Les Lignes directrices concernant les descriptions plus détaillées de chacune des phases du projet qui devaient être incluses dans l’EIE (voir les paragraphes 8.2 à 8.6 des Lignes directrices de l’EIE) ne mentionnent aucunement l’approche du « scénario limitatif ». À titre d’exemple, le paragraphe concernant la phase d’exploitation et de maintenance mentionne ce qui suit :

 

La description de la phase d’exploitation et de maintenance ainsi que de l’échéancier du projet et des activités connexes doit comprendre, sans s’y limiter :

 

         les activités de mise en service, comme la vérification générale des systèmes et des équipements, le chargement du combustible dans le réacteur;

 

         les essais de pression du bâtiment de confinement, l’approche de la criticité et, éventuellement, l’approche de la pleine puissance, ainsi que le raccordement au réseau d’électricité;

 

         les activités d’exploitation et de maintenance requises pour les systèmes ou circuits, comme le circuit d’alimentation en vapeur, le groupe turbo-alternateur et les circuits d’eau d’alimentation, les systèmes d’eau de refroidissement, les systèmes d’alimentation électrique, les systèmes de sûreté nucléaire, les systèmes auxiliaires, les systèmes de sécurité pour la protection physique des installations, les activités associées au programme de maintenance, les systèmes de manutention des matières, les systèmes de manutention des déchets solides et les systèmes d’administration et de soutien;

 

         les activités associées à la remise à neuf à mi-vie dans le cas des réacteurs de type CANDU, ainsi que les activités liées aux arrêts en vue du chargement du combustible ou de la remise à neuf des réacteurs à eau légère;

 

         le fonctionnement de l’équipement de production d’électricité;

 

         la vérification, l’échantillonnage, les essais et la maintenance durant l’exploitation en régime de puissance;

 

         la maintenance, les réparations, le nettoyage et la décontamination durant les arrêts prévus;

 

         le chargement et rechargement du combustible dans le réacteur; la gestion des déchets de faible activité et d’activité moyenne, la gestion des déchets de combustible irradié, y compris le transfert des déchets en vue du stockage temporaire ou à long terme;

 

         les événements antérieurs qui s’appliquent à l’évaluation de la fiabilité et de la performance environnementale futures;

 

         les sources, les quantités et les points de rejet associés aux effluents et aux émissions radiologiques et non radiologiques courants, y compris les rejets thermiques (chaleur);

 

         la zone d’exposition aux effets physiques du jet de décharge et de l’aspiration aux points d’admission;

 

         s’il y a lieu, la caractérisation des déchets, y compris une estimation de l’activité en becquerels (Bq), qui seront générés et stockés dans chacune des zones de gestion des déchets par suite de l’exploitation ou de toute remise à neuf future;

 

         les prévisions des émissions et des effluents futurs associés au projet, dans des conditions normales d’exploitation;

 

         les caractéristiques techniques standard et les procédures opérationnelles clés qui s’appliquent à la protection des travailleurs, de la population et de l’environnement, y compris le programme de sûreté-criticité nucléaire;

 

         les effectifs requis pour les opérations, leur composition ainsi que l’infrastructure requise;

 

         les systèmes requis pour appliquer et maintenir le programme de sécurité de l’installation;

 

         le contrôle, le traitement, la surveillance et la surveillance environnementale des émissions et des effluents;

 

         la manutention, le stockage et l’évacuation des déchets non radioactifs;

 

         les activités liées à la surveillance environnementale et à la radioprotection.

 

[161]       La partie des Lignes directrices de l’EIE intitulée Stratégie et méthodologie de l’étude ne fait pas non plus mention de l’approche du scénario limitatif ou de l’EPC. Voici plutôt ce qu’elles mentionnent aux pages 8 et 9 :

[…] Les sections de l’EIE concernant le milieu existant ainsi que les prévisions et l’évaluation des effets négatifs potentiels sur l’environnement doivent être préparées à l’aide des meilleures données et méthodes disponibles, en tenant compte des critères les plus rigoureux qui sont pertinents à un domaine donné. Toutes les constatations doivent être justifiées.

 

L’EIE doit indiquer toutes les lacunes importantes en matière de connaissances et de compréhension des éléments dont découlent les principales conclusions présentées dans l’énoncé. Le promoteur doit aussi préciser les étapes qu’il entend suivre pour combler ces lacunes. […]

 

[162]       Les Lignes directrices de l’EIE mentionnent l’approche ou le scénario limitatif uniquement à trois endroits et, à mon avis, aucune de ces mentions n’indique qu’il s’agissait de la méthodologie globale dont on devait obligatoirement se servir pour évaluer le projet avant la décision concernant la technologie de réacteur. Les Lignes directrices de l’EIE ne comportent non plus aucune mention d’une « enveloppe des paramètres de la centrale ».

 

[163]       Le paragraphe 9 des Lignes directrices de l’EIE traite de la nécessité d’établir des limites spatiales et temporelles pour l’évaluation, c’est-à-dire définir la région géographique et la période à l’égard de laquelle les effets environnementaux devaient être évalués. Voici ce qui est indiqué relativement aux limites temporelles :

On s'attend à ce que l'évaluation comprenne, à tout le moins, la période durant laquelle l'effet maximum devrait se produire. [traduction] « Effet maximum » désigne la modification la plus importante des conditions de base par rapport à ce qui est prévu et qui devrait englober tous les types de réacteur.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[164]       Le paragraphe 11.1 des Lignes directrices de l’EIE traite de la prévision des effets et comprend ce qui suit concernant la modélisation du risque :

L’EIE décrira les analyses exhaustives des effets à court et à long terme du projet sur l’environnement. Le promoteur doit indiquer le degré d’incertitude de sa prévision des effets environnementaux déterminés. Lorsqu’il recourt à des modèles numériques (p. ex., modèle quantitatif d’évaluation des risques écologiques, modèle d’évaluation des risques écologiques à l’échelle de la population), il doit démontrer la solidité du projet du point de vue scientifique en soumettant le modèle utilisé à une vérification (p. ex., examen par des pairs de la théorie du modèle), à une calibration (p. ex., ajustement des principaux paramètres aux données propres à un site), à un processus de validation (p. ex., comparaison des faits prévus et observés) et à une analyse de sensibilité et d’incertitude. La modélisation du risque d'exposition des CVÉ à des rejets de radionucléides ou de substances dangereuses (y compris des courants thermiques) doit être déterminée à l'aide de scénarios de la limite supérieure ou d'une combinaison de rejets moyens prévus et d'un scénario de la limite supérieure.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[165]       Le paragraphe 12.2 des Lignes directrices de l’EIE mentionne ce qui suit en ce qui a trait aux accidents nucléaires :

L’EIE doit préciser et décrire la probabilité des défaillances ou accidents associée à chaque conception de réacteur et à d’autres installations de la centrale nucléaire qui contiennent des substances radiologiques. Il doit aussi tenir compte des effets potentiellement négatifs de ces événements sur l’environnement.

 

Le promoteur doit démontrer de manière plausible qu’il respecte les objectifs de sûreté décrits dans le document d’application de la réglementation RD-337 de la CCSN, « Conception des nouvelles centrales nucléaires » [réf. 10], avec une certaine marge de sûreté quant à la fréquence ou aux conséquences, ou les deux. Ces objectifs en matière de sûreté permettent de s'assurer que le risque que présente une centrale nucléaire pour les membres du public vivant à proximité d'une centrale est faible comparativement aux risques auxquels ils sont normalement exposés, et les rejets décrits englobent toutes les conceptions.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[166]       Les première et troisième fois que le mot « bounding » est utilisé dans la version anglaise indiquent qu’OPG était tenue de veiller à ce que l’analyse exclût la gamme complète des effets ou des répercussions potentiels. La deuxième fois que le mot est utilisé, il indique qu’une approche de « scénario de la limite supérieure » devrait être utilisée, seule ou jumelée à d’autres renseignements, pour évaluer les risques d’exposition à des rejets de radionucléides ou de substances dangereuses.

 

[167]       À mon avis, rien dans cette description ne limite la Commission à une analyse fondée sur un « scénario limitatif » ni ne l’empêche de demander des renseignements supplémentaires, au besoin, pour évaluer de façon adéquate les effets sur la santé humaine et sur l’environnement ou leur importance.

 

[168]       Au bout du compte, à mon avis, ni l’Entente ni les Lignes directrices de l’EIE ne dictaient l’adoption de l’approche de l’EPC ou du « scénario limitatif ». 

 

[169]       OPG a plutôt choisi cette approche, et la Commission l’a finalement acceptée, comme méthode d’évaluation appropriée des effets environnementaux probables avant la prise d’une décision relativement à la technologie de réacteur. Il était loisible à la Commission de tirer une conclusion différente et il est loisible à la Cour de conclure que la conclusion de la Commission était erronée.

 

[170]       Cette conclusion est pertinente tant à l’égard de la prétention des demanderesses selon laquelle l’évaluation environnementale n’a pas examiné un « projet » (et de l’allégation des défendeurs selon laquelle il s’agit d’une contestation incidente de la décision relative à la portée du projet), qu’à l’égard de la prétention des demanderesses selon laquelle la Commission n’a pas évalué de façon adéquate les effets du projet sur l’environnement.

 

[171]       J’ai déjà conclu que la prétention des demanderesses selon laquelle il n’y avait pas de « projet » à évaluer était dépourvue de fondement. Ainsi, il n’est pas à proprement parler nécessaire d’examiner la question de savoir s’il s’agit d’une contestation incidente de la décision relative à la portée du projet, mais j’inclus ma conclusion sur ce point pour compléter mon analyse.

 

[172]       Je suis d’avis que les demanderesses contestent non pas la décision relative à la portée du projet, mais bien la décision du ministre de renvoyer le projet à une commission d’examen. À mon avis, avant que cela puisse se produire il faut qu’il y ait un « projet ». Il se peut que l’absence d’un « projet » ne soit pas évidente tant que la décision relative à la portée de celui-ci n’a pas été prise, mais il s’agit d’une question distincte.

 

[173]       Quoi qu’il en soit, il ressort clairement de la description du projet, de l’Entente et des Lignes directrices de l’EIE qu’il y avait un « projet » à évaluer en l’espèce.

 

[174]       La véritable question, que j’examine ci‑après, est celle de savoir si une évaluation environnementale conforme à la LCEE pouvait être (et a été) effectuée selon une approche de scénario limitatif. Pour analyser cette question, le pouvoir du ministre de déterminer la portée des éléments qui doivent être pris en compte et l’exercice de ce pouvoir devront être examinés.

 

Y a‑t‑il eu omission d’évaluer le projet en conformité avec la LCEE?

[175]       Il s’agit de la principale question déterminante dont je suis saisi. Les demanderesses soutiennent que même s’il y avait un « projet » à évaluer en l’espèce, la Commission n’a pas effectué une évaluation environnementale en conformité avec la LCEE. Elles font essentiellement valoir que l’omission d’OPG de désigner une seule technologie de réacteur précise pour le projet signifiait que la Commission ne pouvait pas effectuer, et n’a pas effectué, une évaluation environnementale qui répondait à ses obligations prévues à l’article 34 de la Loi ou qui prenait en compte les éléments énoncés aux paragraphes 16(1) et 16(2) de la Loi. Je le répète, à mon avis, il s’agit d’une question de fait ou d’une question mixte de fait et de droit. La Commission a conclu qu’elle avait les renseignements et les observations nécessaires pour évaluer les incidences environnementales du projet en conformité avec la Loi. La question qui se pose pour la Cour est de savoir si cette conclusion était raisonnable.

 

[176]       Je le répète, le principal problème que les demanderesses ont identifié est que l’omission d’OPG de choisir une option de réacteur particulière dans sa proposition a empêché la réalisation d’une véritable évaluation environnementale conforme à la Loi.

 

[177]       Dans la proposition de projet, l’approche d’OPG à l’égard de cette question était « l’enveloppe des paramètres de la centrale » ou approche « limitative ». Comme je l’ai mentionné plus tôt, la description de projet d’OPG contenait une annexe [en anglais seulement] (Appendix A) intitulée Plant Parameter Envelope Description & Reactor Technology Descriptions qui traitait de l’utilisation de la méthode de l’EPC et mentionnait qu’OPG [traduction] « envisageait plusieurs types de conceptions de réacteurs pour la nouvelle centrale nucléaire possible » à l’emplacement du projet. OPG expliquait que l’EPC avait été mise au point par l'examen de chaque conception de réacteur et par l'utilisation, pour chaque paramètre (par exemple, les émissions radiologiques) de la valeur représentant le potentiel le plus élevé d’effet environnemental néfaste.

 

[178]       La Commission décrit comme suit l’approche de l’EPC aux pages 13 et 14 du rapport d’évaluation environnementale :

2.1              Approche multi-technologies

 

Un certain nombre de fournisseurs et de technologies de réacteurs ont été pris en considération dans le processus d’approvisionnement lancé par le gouvernement de l’Ontario. Aucune décision n’a été prise quant au choix de la technologie de réacteur avant le début de l’évaluation environnementale. Pour cette raison, OPG a choisi une approche multitechnologie pour décrire le projet aux fins de l’évaluation environnementale. Cette approche a conduit à l’élaboration d’une enveloppe des paramètres de la centrale permettant d’englober l’éventail des technologies de réacteurs à l’étude. L’enveloppe des paramètres de la centrale est un ensemble de données tirées des renseignements des fournisseurs disponibles pour plusieurs technologies de réacteurs, et fournit une enveloppe limitative de valeurs des paramètres liées à la conception de la centrale et à l’emplacement à utiliser dans la demande de permis de préparation de l’emplacement et l’évaluation environnementale.

 

OPG a expliqué que l’enveloppe des paramètres de la centrale a identifié un ensemble de paramètres de conception et de valeurs limitatives connexes, tel qu’un scénario le plus défavorable, issu des diverses technologies utilisées pour décrire les caractéristiques limitatives du projet. OPG a indiqué que cette approche est conforme au document d’information de la Commission canadienne de sûreté nucléaire INFO-0756, Révision 1, Processus d’autorisation des nouvelles centrales nucléaires au Canada (mai 2008), qui offre un aperçu du processus d’autorisation de nouvelles centrales nucléaires au Canada en tenant compte des exigences de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires et des règlements d’application connexes, ainsi que d’une évaluation environnementale.

 

L’enveloppe limitative des paramètres de la centrale utilisée dans l’évaluation des effets se fonde sur les valeurs limitatives des paramètres provenant soit :

 

         des exemples de technologies de réacteurs;

         de la catégorie de réacteur, comme le réacteur à eau sous pression, le réacteur hybride à eau lourde et à eau ordinaire sous pression et le réacteur à eau lourde sous pression;

         de l’emplacement lui-même.

 

OPG a expliqué que le cadre délimitant l’enveloppe des paramètres de la centrale a été établi pour s’assurer que les effets négatifs potentiels de chaque type de réacteur actuellement examiné par le gouvernement de l’Ontario soient inclus aux fins de l’analyse des effets. Ainsi, l’importance des effets négatifs potentiels de chaque technologie de réacteur faisant [sic] délimitée par l’analyse a été prise en considération.

 

Si le projet devait être mis à exécution, la technologie de réacteur choisie par le gouvernement de l’Ontario devra démontrer qu’elle est conforme à l’enveloppe des paramètres de la centrale et aux exigences de la réglementation, et doit être conforme aux hypothèses, aux conclusions et aux recommandations de l’évaluation environnementale et aux détails de la réponse du gouvernement au rapport d’évaluation environnementale de cette commission d’examen conjoint. Cette évaluation devra être effectuée par les autorités responsables une fois qu’une technologie de réacteur aura été choisie, et elle devra être démontrée dans le cadre du processus d’examen de la demande du permis de construction.

 

2.2              Conceptions de réacteurs

 

Les technologies de réacteurs qui suivent constituaient le fondement des paramètres de la centrale :

 

         le réacteur CANDU avancé ACR-1000 d’Énergie atomique du Canada limitée;

         le réacteur EPR d’AREVA;

         le réacteur AP-1000 de Westinghouse;

         la version améliorée du réacteur CANDU 6 (EC 6) d’Énergie atomique du Canada limitée.

 

Aux fins de l’évaluation environnementale, le nombre de réacteurs qui représenteraient la construction complète du projet pour chaque type de réacteur a été adopté pour examiner les effets potentiels durant la phase d’exploitation et de maintenance du projet. La portée du projet comprend l’aménagement potentiel maximal de l’emplacement, sans dépasser la limite supérieure de 4 800 mégawatts. Ceci signifie que le nombre de tranches de chaque type de réacteur permettant de produire au maximum 4 800 mégawatts d’électricité variera en fonction de la technologie de réacteur, à savoir :

 

         4 réacteurs ACR‑1000 pour obtenir environ 4 300 mégawatts;

         3 réacteurs EPR pour obtenir environ 4 700 mégawatts;

         4 réacteurs AP-1000 pour obtenir environ 4 200 mégawatts;

         4 réacteurs EC 6 pour obtenir environ 2 960 mégawatts.

 

Durant la période d’examen et de commentaires, le personnel de la CCSN a recommandé à la Commission qu’OPG mette à jour l’enveloppe des paramètres de la centrale destinée au projet afin d’inclure la technologie du réacteur EC 6 d’Énergie atomique du Canada limitée. La recommandation du personnel de la CCSN se fondait sur le fait que le processus d’approvisionnement destiné à la sélection du réacteur par le gouvernement de l’Ontario avait été suspendu et qu’aucun réacteur n’avait encore été choisi. Le personnel de la CCSN était d’avis que la technologie du réacteur EC 6 était un choix possible pour le projet et qu’elle devrait par conséquent figurer dans l’enveloppe des paramètres de la centrale. Le personnel de la CCSN a fait remarquer que, pour accroître l’efficacité de la réglementation et réduire au maximum la probabilité de devoir procéder à une nouvelle évaluation environnementale en cas de mise en avant de la technologie du réacteur EC 6 comme la technologie à construire sur le complexe nucléaire de Darlington, il serait prudent de tenir également compte de cette option technologique dans le processus d’examen actuel réalisé par la Commission.

 

OPG a répondu que l’enveloppe des paramètres de la centrale destinée au projet était suffisamment vaste pour inclure d’autres variantes technologiques offertes sur le marché et susceptibles d’être choisies par le gouvernement de l’Ontario, y compris les réacteurs à eau bouillante et la technologie du réacteur EC 6. OPG était d’avis que le choix d’une autre technologie de réacteur ne devrait pas modifier les conclusions de l’évaluation environnementale.

 

En tenant compte des recommandations formulées par le personnel de la CCSN ainsi que de la réponse fournie par OPG, la Commission a demandé à OPG de fournir une description des éléments de ces technologies qui pourraient sortir de l’enveloppe des paramètres de la centrale définie dans l’EIE. OPG devait fournir des détails sur la façon dont ceci pourrait changer les effets potentiels du projet sur les composantes de l’environnement et tout autre aspect de l’évaluation environnementale, ainsi que tout changement requis aux réponses aux demandes d’information qu’OPG avait déjà fournie à la Commission.

 

OPG a répondu à cette demande en présentant une mise à jour de l’enveloppe des paramètres de la centrale et des réponses aux demandes d’information, en tenant compte de la technologie du réacteur EC 6. À la suite d’autres demandes de renseignements formulées par la Commission, OPG a présenté une version modifiée de l’enveloppe des paramètres de la centrale le 30 novembre 2010. OPG a fait remarquer qu’une évaluation similaire n’avait pas été réalisée pour le réacteur à eau bouillante, car OPG disposait d’informations insuffisantes pour le faire. OPG a aussi précisé que si le gouvernement de l’Ontario décidait d’inclure des réacteurs à eau bouillante dans son processus d’approvisionnement, l’enveloppe des paramètres de la centrale serait modifiée en conséquence.

 

De plus, OPG a indiqué que, bien que certaines valeurs de l’enveloppe des paramètres de la centrale aient changé en raison de la prise en compte du réacteur EC 6 et d’autres considérations, on ne prévoyait pas d’effets supplémentaires sur l’environnement et aucune autre mesure d’atténuation ne serait nécessaire.

 

[179]       La Commission a alors évalué et accepté l’approche de l’EPC dans les termes suivants aux pages 55 et 56 du rapport d’évaluation environnementale (au paragraphe 4.5.1, intitulé Autres technologies de réacteurs) :

Évaluation de la Commission

 

Selon le personnel de la CCSN, les conceptions de réacteurs qui ont été évaluées comme étant limitées par l’enveloppe des paramètres de la centrale sont toutes des améliorations de la conception de réacteurs actuellement exploités. Ces conceptions intègrent des caractéristiques apportant des améliorations en matière de sûreté par rapport aux conceptions précédentes. Parmi les changements figure l’intégration de dispositifs de sûreté passifs tels que la capacité de continuer à maintenir les fonctions de sûreté même en cas de perte d’alimentation électrique. Le personnel de la CCSN a indiqué que les conceptions présentent un chevauchement de mesures redondantes pour la prévention et l’atténuation des effets causés par les défaillances et les accidents impliquant le réacteur, et que toutes ces autres conceptions de réacteurs possèdent de solides enceintes de confinement.

 

Le personnel de la CCSN a noté qu’une grande partie des renseignements relatifs à la conception et à la sûreté, pris en considération pour les conceptions de réacteurs visées par l’enveloppe des paramètres de la centrale, sont des renseignements préliminaires qui peuvent être acceptés aux fins de l’évaluation environnementale. Le personnel de la CCSN a indiqué que des analyses finales de la sûreté et des renseignements détaillés relatifs à la conception seront requises pour confirmer la conformité aux exigences réglementaires au moment de la présentation d’une demande de permis de construction d’un réacteur.

 

Le personnel de la CCSN a conclu que l’approche tenant compte de l’enveloppe des paramètres de la centrale avait permis d’évaluer les effets environnementaux potentiellement négatifs d’une gamme raisonnable de conceptions de réacteurs conformément aux lignes directrices de l’EIE.

 

De plus, la Commission fait remarquer que des aspects de l’enveloppe des paramètres de la centrale se fondaient sur des renseignements préliminaires sur la conception. Il faudra par conséquent vérifier en permanence les conclusions obtenues en ce qui concerne l’importance des effets négatifs sur l’environnement.

 

La sélection d’une technologie de réacteur différente des quatre conceptions envisagées nécessitera un examen attentif pour confirmer l’applicabilité continue des hypothèses et des conclusions de cette évaluation environnementale. Une détermination de l’applicabilité de cette évaluation environnementale sera effectuée par les autorités responsables lorsque le gouvernement de l’Ontario aura choisi une technologie de réacteur pour le projet.

 

Il convient de noter que, sur les quatre conceptions de réacteurs décrites dans l’EIE, seul le réacteur EC 6 d’Énergie atomique du Canada limitée a été mis en service et présente des données en matière de rendement environnemental des centrales en activité. Toutefois, en ce qui concerne la sûreté de la technologie et le rendement environnemental attendu, tous ces réacteurs disposent de dispositifs de sûreté passifs et sont conçus pour atténuer les effets causés par les défaillances et les accidents. Les dispositifs de sûreté fournissent une défense en profondeur et des systèmes destinés à contrôler et refroidir le réacteur et à confiner la radioactivité dans la centrale. Ces attributs sont des caractéristiques courantes des conceptions de réacteurs modernes.

 

Recommandation 1 :

 

La Commission comprend que, avant la construction, la Commission canadienne de sûreté nucléaire déterminera si la présente évaluation environnementale s’appliquera à la technologie de réacteur choisie par le gouvernement de l’Ontario pour le projet. Néanmoins, si la technologie de réacteur choisie est fondamentalement différente des technologies de réacteur spécifiques délimitant l’enveloppe des paramètres présentement à l’étude, la Commission recommande d’effectuer une nouvelle évaluation environnementale.

 

[180]       Les demanderesses soulignent que la LCEE ne fait aucune mention de concepts comme l’« EPC » ou le « scénario limitatif », ni d’aucun autre concept semblable. À mon avis, il est toutefois utile de souligner que la LCEE ne fait mention d’aucune approche précise pour effectuer une évaluation environnementale et, comme la Cour d’appel fédérale l’a clairement déclaré dans l’arrêt Inverhuron (CAF), précité, au paragraphe 56, « [v]u la nature du processus et les différences entre les divers genres de projets soumis à une évaluation environnementale, il ne peut y avoir une méthode réglementaire unique pour la conduite d'une évaluation environnementale ». Il me semble que la question dans chaque cas sera nécessairement celle de savoir si la méthode choisie permet la réalisation d’une véritable évaluation environnementale conformément à la LCEE. En l’espèce, la Commission a conclu que l’approche de l’EPC lui permettait bel et bien d’évaluer le projet de façon appropriée et a conclu qu’il « n’est pas susceptible de causer des effets environnementaux négatifs importants pourvu que les mesures d’atténuation proposées et les engagements pris par OPG pendant l’examen ainsi que les recommandations de la Commission soient mis en œuvre ».

 

[181]       Les demanderesses ont clairement indiqué qu’elles ne souscrivent pas à l’approche de l’EPC ni à l’évaluation de cette approche par la Commission. Toutefois, à mon avis, elles n’ont pas démontré, compte tenu des obligations de la Commission prévues aux articles 34, 15 et aux paragraphes 16(1) et 16(2), et du cadre de référence contenu dans l’Entente, qu’il était impossible d’effectuer une véritable évaluation environnementale en utilisant l’approche de l’EPC. Elles n’ont pas non plus démontré que la Commission ne l’avait pas fait en l’espèce, rendant ainsi le rapport d’évaluation environnementale de la Commission déraisonnable, sauf en ce qui concerne les sujets que je mentionne expressément plus loin dans les présents motifs.

 

[182]       Le cadre limitatif incorporait l’EPC, qui est un ensemble de paramètres de conception qui délimite des caractéristiques clés du projet. L’EPC représente les valeurs limites représentant le potentiel le plus élevé d’effets environnementaux négatifs pour les principaux éléments des options de conceptions que le projet proposé a identifiés. Les différents types de réacteurs ont été présentés comme des méthodes de rechange pour exécuter le projet. Pour chaque composante environnementale donnée, la Commission a fondé son analyse sur la conception de réacteur, parmi les quatre présentées, qui aurait le plus grand effet sur cette composante. Selon le raisonnement suivi, si l’effet maximum sur chaque composante peut être atténué, alors les incidences moindres des autres options de technologies peuvent également être atténuées de façon adéquate. La Commission a conclu que l’approche de l’EPC proposée lui permettait d’évaluer les incidences environnementales potentielles de toutes les conceptions et configurations de réacteurs potentielles qu’OPG lui avait présentées comme options pour le projet.

 

[183]       La Commission a clairement mentionné que si la technologie de réacteur qui était finalement choisie pour le projet était fondamentalement différente des technologies de réacteur précises délimitées par l’EPC, une nouvelle évaluation environnementale devrait alors être réalisée. La Commission a également reconnu que l’approche tenant compte de l’EPC était « une dérogation par rapport à une approche plus traditionnelle dans laquelle les principaux éléments du projet sont définis avant l’évaluation environnementale ». Elle a néanmoins accepté « l’utilisation d’une enveloppe des paramètres de la centrale aux fins de l’évaluation environnementale en tant qu’approche permettant de prédire les effets environnementaux négatifs d’un groupe déterminé de technologies de réacteurs. »

 

[184]       Compte tenu de la preuve dont je dispose dans la présente demande, et exception faite des cas précis mentionnés ci‑après, les demanderesses n’ont pas établi que cette conclusion était déraisonnable, à la lumière des faits présentés à la Commission. Dans Friends of the Island, précitée, la juge Reed a clairement affirmé que la question n’était pas de savoir si un projet était au stade conceptuel ou à un stade de conception plus précis, mais bien de savoir si un projet est à un stade où ses répercussions environnementales peuvent être pleinement examinées. Dans l’arrêt Inverhuron (CAF), précité, la Cour d’appel fédérale a souscrit à cette approche. En effet, le juge Sexton a accepté l'approche du modèle de référence présentée dans cette affaire et a conclu que la méthodologie choisie par le promoteur procurait à la ministre un fondement rationnel l’autorisant à conclure que le projet n’était pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants.

 

[185]       La LCEE ne prescrit aucune méthode pour effectuer une évaluation. Les demanderesses soutiennent qu’une évaluation significative effectuée le plus tôt possible exige, en l’espèce à tout le moins, que la Commission choisisse et identifie une technologie de réacteur précise. Cependant, le paragraphe 11(1) de la LCEE exige expressément que les autorités fédérales veillent à ce qu’une évaluation environnementale soit effectuée le plus tôt possible au stade de la planification d’un projet, avant la prise d’une décision irrévocable. Ainsi, à mon avis, le libellé de la Loi concernant la réalisation d’une évaluation le plus tôt possible est la notion clé pour déterminer la façon dont une évaluation environnementale devrait être effectuée et le moment de le faire. Il s’agira d’une question de fait dans chaque cas. En l’espèce, compte tenu de toutes les observations présentées, la Commission a conclu qu’elle était en mesure d’effectuer une évaluation environnementale du projet en conformité avec la LCEE. Les demanderesses n’ont pas établi qu’il s’agissait d’une conclusion déraisonnable. Cela ne signifie cependant pas que la Commission a traité tous les aspects du projet de façon adéquate et je mentionne plus loin dans les présents motifs les aspects à l’égard desquels la Commission n’a pas, à mon avis, raisonnablement pris en compte des sujets de préoccupation précis.

 

Quelles étaient les exigences de la LCEE?

[186]       Je suis d’accord avec les demanderesses pour affirmer que la Commission était obligée d’agir, plus particulièrement conformément aux paragraphes 15(3), 16(1) et (2) et à l’article 34 de la LCEE. Les demanderesses se plaignent essentiellement de ce que la Commission n’a pas évalué les aspects clés du projet et a laissé une trop grande part à des études, des analyses et des décisions futures qui relèveraient d’autres parties. La question fondamentale est celle de savoir si, compte tenu des renseignements et des observations présentés à la Commission, sa conclusion selon laquelle le projet n’était pas susceptible d’entraîner des répercussions environnementales négatives était raisonnable et si la Commission s’est conformée de façon raisonnable à la LCEE et a fourni aux décideurs visés par l’article 37 le fondement en fonction duquel ils pouvaient prendre leurs décisions.

 

[187]       L’article 15 de la Loi porte sur la décision du ministre relative à la portée d’un projet et le paragraphe 15(3) doit être interprété dans ce contexte. Ce paragraphe mentionne que lorsqu’un projet est lié à un ouvrage, l’évaluation environnementale doit inclure « toute opération — construction, exploitation, modification, désaffectation, fermeture ou autre — constituant un projet lié à un ouvrage » dans les cas où « l’opération est proposée par le promoteur [ou] après consultation de [l’autorité responsable], le ministre estime l’opération susceptible d’être réalisée en liaison avec l’ouvrage » (la LCEE, au paragraphe 15(3)). Cela permet d’assurer que des composantes ou des activités du projet ne sont pas exclues de la portée de l’évaluation. Les demanderesses n’ont fait mention d’aucune composante du projet (activité ou engagement concernant le projet) qui a été complètement exclue de l’évaluation en l’espèce. Elles se plaignent plutôt du niveau de renseignements disponibles pour évaluer certaines composantes du projet. Ainsi, l’analyse doit véritablement porter en l’espèce sur les attributions énoncées aux articles 16 et 34.

 

[188]       Comme la Cour l’a déjà mentionné, certains « principes fondamentaux » peuvent aider à interpréter la portée de ces attributions, y compris le principe de précaution et celui de la gestion adaptative (Pembina Institute, précitée, au paragraphe 33). Pour évaluer où la ligne devrait être tirée entre appliquer le « principe de précaution » et permettre la « gestion adaptative », la LCEE elle-même et la jurisprudence sont d’un secours considérable.

 

[189]       En premier lieu, nous savons qu’une évaluation environnementale doit être effectuée « le plus tôt possible au stade de la planification, avant la prise d’une décision irrévocable […] » conformément au paragraphe 11(1) de la LCEE. Plusieurs décisions ont souligné que le rôle d’une commission consistait à recueillir des renseignements et à formuler des recommandations et qu’il n’est tout simplement pas possible que les évaluations environnementales soient définitives et infaillibles. À titre d’exemple, dans Express Pipelines, précité, le juge Hugessen décrit le rôle de la commission d’examen comme suit :

[14]      Finalement, on nous demande de conclure que la commission a irrégulièrement délégué certaines de ses fonctions lorsqu'elle a recommandé que certaines autres études et rapports en cours destinés à l'Office national de l'énergie soient réalisés avant, pendant et après les travaux de construction. Cet argument démontre que les requérants comprennent mal la fonction de la commission, qui joue simplement un rôle de cueillette d'éléments d'information et de formulation de recommandations. La Cour se refuse de modifier à la légère l'opinion de la commission suivant laquelle elle disposait de suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir s'acquitter de cette fonction « le plus tôt possible au stade de la planification du projet, avant la prise d'une décision irrévocable » (voir le paragraphe 11(1)). De par sa nature, le rôle de la commission consiste à faire des prévisions et il n'est pas étonnant que la loi envisage explicitement la possibilité de programmes « de suivi ». D'ailleurs, compte tenu de cette tâche, nous doutons qu'on puisse jamais en arriver à une évaluation environnementale définitive et infaillible.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[190]       Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Société pour la protection des parcs et des sites naturels, précité, il incombe de traiter des difficultés de prédire l’ensemble des conséquences d’un projet en fonction des données connues en appliquant le principe de la gestion adaptative :

[24]      Le concept de « gestion adaptative » est fondé sur le fait qu'il est difficile, sinon impossible, de prédire toutes les conséquences environnementales d'un projet avec les données connues. Il a pour but de pallier les effets paralysants potentiels du principe de précaution sur des projets qui peuvent avoir des avantages sociaux et économiques. Le principe de précaution veut qu'on ne donne aucune suite à tout projet qui pourrait avoir des effets négatifs importants sur l'environnement, même s'il n'est pas possible de démontrer avec quelque certitude que ces effets vont en fait se réaliser. Les méthodes de gestion adaptative et le principe de précaution sont des outils importants pour la préservation de l'intégrité écologique.

 

[191]       Dans Pembina Institute, précitée, la juge Tremblay‑Lamer de la Cour a suivi le juge Hugessen dans Express Pipelines, précité, et a insisté sur la nature « permanent[e] et dynamique » du processus d’évaluation environnementale :

[23]      L’évaluation de la suffisance et de l’exhaustivité des éléments de preuve se fait en tenant compte de la nature préliminaire de l’évaluation de la Commission. Dans l’arrêt Express Pipelines, précité, au par. 14, le juge Hugessen a élaboré sur la nature prédictive et préliminaire du rôle de la Commission :

 

La Cour se refuse de modifier à la légère l'opinion de la Commission suivant laquelle elle disposait de suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir s'acquitter de cette fonction « le plus tôt possible au stade de la planification du projet, avant la prise d'une décision irrévocable » (voir le paragraphe 11(1)). De par sa nature, le rôle de la Commission consiste à faire des prévisions et il n'est pas étonnant que la loi envisage explicitement la possibilité de programmes « de suivi ». D'ailleurs, compte tenu de cette tâche, nous doutons qu'on puisse jamais en arriver à une évaluation environnementale définitive et infaillible.

 

Cette opinion a été partagée par le juge Sexton dans l’arrêt Inverhuron & District Ratepayers’ Association c. Canada (Ministre de l’Evironnement [sic]), 2001 ACF 203, [2001] A.C.F. no 1008 (QL) au par. 55. En conséquence, compte tenu de la fonction de la Commission qui consiste à établir des prévisions et de l’existence de programmes de suivi prévus par la LCEE, l’évaluation que la Commission porte sur l’importance n’a pas pour effet d’éliminer l’incertitude entourant les effets d’un projet.

 

[24]      De même, il est évident que l’évaluation des effets environnementaux, y compris des mesures d’atténuation, ne doit pas se concevoir comme un événement précis et isolé. À cet égard, le juge Mackay a souligné dans Union of Nova Scotia Indians c. Canada (Procureur général), [1997] 1 C.F. 325, [1996] A.F.C. no 1373 (QL), au par. 32, qu’il n’était pas convaincu que la LCEE exige que tous les détails concernant les mesures d'atténuation soient réglés avant que l'on accepte le rapport d'examen. Il a ajouté que le processus d’évaluation était « permanent et dynamique » par nature et donnait lieu à un dialogue constant entre le promoteur, les autorités responsables et les groupes communautaires en cause.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[192]       Selon l’alinéa 16(1)d) de la LCEE, la Commission est tenue d’examiner :

les mesures d’atténuation réalisables, sur les plans technique et économique, des effets environnementaux importants du projet […]

 

[193]       De même, selon l’alinéa 16(2)c), la Commission doit examiner :

la nécessité d’un programme de suivi du projet, ainsi que ses modalités […]

Comme le relève la Commission à la page 48 du rapport d’évaluation environnementale, les mesures d’atténuation et les programmes de suivi sont deux concepts distincts. Ils sont tous deux définis au paragraphe 2(1) de la Loi. Les mesures d’atténuation portent sur l’élimination, la réduction ou la maîtrise des effets négatifs d’un projet, tandis que les programmes de suivi visent à permettre de vérifier la justesse de l’évaluation environnementale ou de juger de l’efficacité des mesures d’atténuation. 

 

[194]       Selon l’alinéa 34c), dans son rapport, la Commission est tenue de prendre en compte les mesures d’atténuation et les programmes de suivi.

 

[195]       En vertu des paragraphes 16(1) et 16(2) de la LCEE, l’examen de la Commission devait « porte[r] » sur les éléments désignés. La définition de l’expression « examen par une commission » contenue dans la Loi mentionne également la « prise en compte » des éléments sur lesquels l’examen au titre des paragraphes 16(1) et 16(2) doit porter. La forme et l’étendue de cette prise en compte ne sont pas mentionnées. Cependant, le régime de la Loi me porte à croire qu’une commission spécialisée, comme celle établie en l’espèce, est tenue d’appliquer son expertise pour mesurer l’étendue et la forme de la « prise en compte » exigée dans chaque cas particulier afin de faciliter l’atteinte de l’objet de la Loi énoncé au paragraphe 4(1), qui est ainsi libellé :

 

Objet

 

4. (1) La présente loi a pour objet :

 

a) de veiller à ce que les projets soient étudiés avec soin et prudence avant que les autorités fédérales prennent des mesures à leur égard, afin qu’ils n’entraînent pas d’effets

 

 

environnementaux négatifs importants;

 

b) d’inciter ces autorités à favoriser un développement durable propice à la salubrité de l’environnement et à la santé de l’économie;

 

 

 

[…]

 

d) de veiller à ce que le public ait la possibilité de participer de façon significative et en temps opportun au processus de l’évaluation environnementale

Purposes

 

4. (1) The purposes of this Act are

 

(a) to ensure that projects are considered in a careful and precautionary manner before federal authorities take action in connection with them, in order to ensure that such projects do not cause

 

significant adverse environmental effects;

 

(b) to encourage responsible authorities to take actions that promote sustainable development and thereby achieve or maintain a healthy environment and a healthy economy;

 

[…]

 

(d) to ensure that there be opportunities for timely and meaningful public participation throughout the environmental assessment process.

 

 

[196]       À mon avis, il ressort clairement de ces dispositions que la Commission était tenue en l’espèce de prendre en compte la question de savoir si, selon son expertise, le projet entraînerait ou n’entraînerait pas d’effets négatifs importants sur l’environnement. Ce faisant, l’article 34 de la Loi l’obligeait entre autres choses à établir un rapport :

assorti de sa justification, de ses conclusions et recommandations relativement à l’évaluation environnementale du projet, notamment aux mesures d’atténuation et au programme de suivi […]

 

[197]       Je le répète, il appartient à la commission spécialisée de déterminer la forme du rapport, ses justifications, ses conclusions et recommandations, conformément aux objets de la LCEE.

 

[198]       En contestant le rapport d’évaluation environnementale pour son insuffisance, les demanderesses demandent dans une très large mesure à la Cour d’évaluer et de soupeser à nouveau la méthodologie utilisée par une commission spécialisée ainsi que ses conclusions. Ce n’est pas le rôle de la Cour. Il est vrai que les paragraphes 16(1) et (2) de la LCEE prévoient que l’examen « porte » sur certains éléments, mais il appartient à la commission spécialisée d’examiner la façon de le faire et de soupeser chaque élément conformément à l’objet de la Loi.

 

[199]       Les paragraphes 16(1) et (2) obligent également la Commission à prendre en compte les mesures d’atténuation et la nécessité d’un programme de suivi du projet et ses modalités. La Loi ne prévoit pas que la Commission elle-même est chargée de s’occuper des mesures d’atténuation et des programmes de suivi et, comme l’objet de la Loi énoncé à l’article 4 et la jurisprudence applicable le mentionnent clairement, la protection de l’environnement est une responsabilité permanente fondée sur la collaboration.

 

[200]       Alors dans l’ensemble, il me semble que ce que la Commission était obligée de faire en l’espèce était d’évaluer les répercussions environnementales d’un projet qui durera plusieurs années et qui nécessitera la participation et la collaboration de différents ordres et organismes du gouvernement et qui nécessitera également des mesures d’atténuation et des programmes de suivi futurs. Il s’agit en l’espèce d’un exercice extrêmement complexe et la Cour d’appel fédérale a déclaré que « compte tenu de cette tâche, nous doutons qu'on puisse jamais en arriver à une évaluation environnementale définitive et infaillible » (voir Express Pipelines, précité, au paragraphe 14).

 

[201]       En l’espèce, les demanderesses sont d’avis que la LCEE exigeait que la Commission fournisse une évaluation beaucoup plus définitive et infaillible que, selon son expertise, elle a cru nécessaire de fournir, compte tenu de la nature du présent projet. Comme l’indique le dossier, les demanderesses et d’autres intervenants ont été en mesure de faire valoir devant la Commission leur forte opposition au projet et à l’approche adoptée par la Commission pour évaluer ses répercussions environnementales tout au long du processus d’évaluation. La Commission n’a pas accepté les critiques des demanderesses portant sur l’EPC et l’approche limitative et les raisons invoquées par les demanderesses pour lesquelles une telle approche ne donnerait pas lieu à une véritable évaluation environnementale conforme à la Loi. Le désaccord n’est pas un motif de contrôle judiciaire. En conséquence, si la Commission a agi en conformité avec la LCEE et qu’elle a, dans le contexte, observé les règles d’équité procédurale, la Cour ne peut pas intervenir. Ainsi, à mon avis, plusieurs questions que soulèvent les demanderesses concernent l’appréciation et la portée de la preuve et des conclusions tirées de cette preuve par la Commission. Dans Conseils des innus de Ekuanitshit, précitée, le juge Scott (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) avait récemment eu l’occasion d’insister sur le fait que la norme de contrôle applicable à ce genre de question est celle de la décision raisonnable :

[69]      Dans la décision Pembina Institute for Appropriate Development c Canada (Procureur général), 2008 CF 302, au para 37 [Pembina], la juge Tremblay‑Lamer résume la jurisprudence concernant la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer aux décisions prises aux termes de l’article 16 de la LCEE :

 

Dans la mesure où les questions soulevées ont trait à l’interprétation de la LCEE, toutes les parties conviennent que celles-ci, en tant que questions de droit, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Friends of West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [2000] C.F. 263, [1999] A.C.F. no 1515 (QL), au par. 10; Bow Valley Naturalists Society c. Canada (Ministre de Patrimoine canadien), [2001] 2 C.F. 461, [2001] A.C.F. no 18 (QL), au par. 55). Toutefois, les questions concerant [sic] l’appréciation de la portée de la preuve et des conclusions tirées de cette preuve, y compris l’importance d’un effet environnemental, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable simpliciter (Bow Valley, précitée, au par.55; Inverhuron, précitée, aux para 39 et 40).

 

[70]      En l'espèce, la question en litige consiste à savoir si la CEC pouvait, en l’absence de certains renseignements, conclure valablement que l’impact du Projet sur l’utilisation du demandeur des terres à des fins traditionnelles serait négatif, mais non important, une fois la mise en œuvre de mesures d’atténuation. Là il s’agit clairement d’une question liée à « l’appréciation de la portée de la preuve et des conclusions tirées de cette preuve, y compris l’importance d’un effet environnemental […] ». La norme de contrôle qui s’applique à une telle question est celle de la décision raisonnable (voir Pembina, précitée, au para 37).

 

[71]      On doit aussi mentionner que bien plus récemment, dans la décision Grand Riverkeeper, Labrador Inc c Canada (Procureur général), 2012 CF 1520 [Grand Riverkeeper], le juge Near réévalue la norme de contrôle applicable à la même question dans le contexte des quatre facteurs décrits dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008 ] ACS no 9 [Dunsmuir], soit : 1) l’existence d’une clause privative; 2) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante; 3) l’expertise du tribunal administratif; et 4) la nature de la question en cause (Dunsmuir, précité, au para 64). Le juge Near conclut également que la norme de contrôle qui s’applique à de telles questions est celle de la décision raisonnable (voir la décision Grand Riverkeeper, précitée, au para 40).

 

[202]       Comme le juge Hugessen l’a souligné dans l’arrêt Express Pipelines, précité, au paragraphe 14, la « Cour se refuse de modifier à la légère l'opinion de la commission suivant laquelle elle disposait de suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir s'acquitter de cette fonction le plus tôt possible au stade de la planification du projet, avant la prise d'une décision irrévocable (voir le paragraphe 11(1)) ».

 

[203]       Dans la présente demande, les demanderesses font valoir de deux façons principales qu’il y a erreur susceptible de contrôle. Premièrement, elles soutiennent que l’omission de la Commission d’évaluer ou de préciser une technologie de réacteur a miné sa capacité d’évaluer adéquatement les effets du projet sur l’environnement et d’exercer autrement ses attributions au titre de la LCEE et du cadre de référence. Deuxièmement, elles prétendent que la nature vague et schématique du projet a mené la Commission à déléguer illégalement à d’autres organismes ses attributions prévues dans la LCEE.

 

[204]       Les demanderesses soutiennent que l’omission de la Commission de s’acquitter de ses attributions au titre de la LCEE dans des domaines clés est particulièrement évidente dans son traitement de la technologie de réacteur précise, de l’aménagement précis de la conception du site, de l’option précise pour le refroidissement par eau, de l’option précise pour l’entreposage du combustible nucléaire épuisé et de l’option pour la gestion à long terme des déchets radioactifs.

 

[205]       Les demanderesses soutiennent ce qui suit au paragraphe 58 de leur mémoire :

[traduction] En omettant de recueillir les renseignements nécessaires à propos des effets du projet sur l’environnement, la [Commission] ne s’est pas acquittée de ses obligations prévues aux alinéas 34a) et b) de la LCEE qui consistent à obtenir les renseignements exigés par les paragraphes 16(1) et (2) et le cadre de référence de la [Commission], à les communiquer et à tenir des audiences publiques. Cette obligation non susceptible de délégation incombe à la [Commission] elle-même et ne dépend pas du succès ou de l’échec du promoteur, des organismes publics ou des intervenants en ce qui a trait à la présentation des renseignements à l’audience publique. En outre, il est impossible de tenir une audience publique significative à l’égard d’un « projet » qui manque de précision ou à l’égard duquel il manque des renseignements essentiels. Par conséquent, aux fins des alinéas 34a) et b), il ne suffit pas que la [Commission] identifie les renseignements manquants, pour ensuite simplement recommander des études, la cueillette de renseignements et des analyses futures pour combler ces lacunes après la conclusion du processus d’évaluation environnementale. En établissant un processus « rigoureux » de commission d’examen, le législateur a clairement voulu que de telles mesures soient entreprises et qu’elles soient pleinement assujetties à la participation du public dans le cadre partie du processus même d’évaluation environnementale.

 

[206]       Lorsque j’examine chacun de ces aspects importants dans le rapport d’évaluation environnementale, il me semble que la Commission en traite, mais pas nécessairement de la manière selon laquelle les demanderesses estiment qu’ils auraient dû être traités. Les demanderesses préconisent une approche d’évaluation environnementale particulière au titre de la LCEE, laquelle exigerait des promoteurs beaucoup plus de précisions que ce qu’OPG a fourni en l’espèce. La question de savoir s’il s’agit d’une meilleure approche en matière d’évaluation environnementale n’est pas la question sur laquelle je dois me prononcer. La question est de savoir si le régime de la Loi et les indications fournies par la jurisprudence exigeaient que la Commission aille plus en profondeur qu’elle ne l’a fait en l’espèce.

 

[207]       La conclusion de la Commission est claire :

[…] le projet n’est pas susceptible de causer des effets environnementaux négatifs importants pourvu que les mesures d’atténuation proposées et les engagements pris par OPG pendant l’examen ainsi que les recommandations de la Commission soient mis en œuvre.

 

(Rapport d’évaluation environnementale, à la page 148)

 

[208]       Autrement dit, la conclusion générale de la Commission est conditionnelle à la mise en œuvre des mesures d’atténuation et des engagements futurs. La sécurité et les répercussions environnementales du projet sont fonction de ce qu’OPG et d’autres organismes feront dans l’avenir à mesure que le projet évoluera et qu’OPG présentera les demandes de permis et de licences distincts nécessaires à chaque phase successive. La Commission émet une opinion sur les répercussions environnementales très tôt dans la vie du présent projet. Le rapport d’évaluation environnementale équivaut à une opinion selon laquelle le projet n’est pas susceptible d’entraîner des effets négatifs importants sur l’environnement, compte tenu des données actuelles et si les mesures appropriées sont entreprises. Plusieurs seront en désaccord, mais, dans l’état actuel des choses, le législateur a décidé qu’il s’agissait de l’étendue et de la fonction d’une évaluation environnementale réalisée au titre de la LCEE. La Commission doit veiller à ce que les décideurs visés par l’article 37 disposent d’un dossier de preuve suffisant sur lequel fonder leurs décisions. Elle peut en outre formuler des recommandations relativement à des programmes de suivi et des mesures d’atténuation pour veiller à ce que ses conclusions demeurent pertinentes. Elle n’est toutefois pas tenue de surveiller la mise en œuvre de ces recommandations et de veiller à ce que les engagements et les attentes soient satisfaits, ni n’en à la compétence. Ce rôle doit nécessairement incomber à d’autres organismes et autorités responsables.

 

[209]       Les demanderesses soutiennent essentiellement que les renseignements dont disposait la Commission en l’espèce n’étaient pas suffisamment précis pour même faire d’éventuelles prévisions à propos des effets de ce projet sur l’environnement. À mon avis toutefois, exception faite des cas que j’énonce plus loin, je ne peux pas conclure que l’approche de la Commission n’était pas conforme aux exigences de la Loi ou qu’elle était déraisonnable, compte tenu de la nature de ce projet et de l’ensemble du contexte dans lequel le rapport d’évaluation environnementale a été réalisé. Le paragraphe 34(1) de la Loi enjoint expressément à la Commission d’énoncer les mesures d’atténuation et les programmes de suivi qu’elle estime indiqués. De telles mesures d’atténuation et de tels programmes de suivi doivent inévitablement être évalués, exécutés et surveillés par d’autres dans l’avenir.

 

[210]       Comme la juge Tremblay-Lamer l’a souligné dans Pembina Institute, précitée :

[34]      En résumé, la LCEE constitue un régime législatif sophistiqué pour l’examen de l’incertitude entourant les effets environnementaux. À cet égard, elle impose aussi bien une évaluation hâtive des conséquences environnementales que des mesures d’atténuation, jumelées à la souplesse du processus de suivi pouvant s’adapter à de nouveaux renseignements et à des changements circonstanciels. La dynamique et la fluidité du processus impliquent que rien n’oblige d’en arriver à une certitude absolue en matière d’effets environnementaux.

 

[211]       Comme le souligne le PGC dans la présente demande, l’ensemble du contexte réglementaire dans lequel la Commission a pris la décision en cause inclut les processus ultérieurs d’octroi de licences et de permis dans le cadre desquels seront évalués et gérés certains effets du projet. Voir à cet égard, West Vancouver, précitée, au paragraphe 104 et Inter‑Church Uranium Committee, précité, aux paragraphes 47 et 49. Comme nous le verrons plus loin en lien avec cette décision et cet arrêt, cela ne libère pas la Commission de la responsabilité d’évaluer les effets du projet. Il s’agit tout simplement de la reconnaissance selon laquelle le processus d’évaluation et de gestion de ces effets ne prend pas fin une fois que l’évaluation environnementale est terminée.

 

[212]       Dans l’arrêt Inter-Church Uranium Committee, précité, la Cour d’appel fédérale a fourni les indications suivantes sur ce point :

[47]      Cela ne veut pas dire que la fin des travaux de la Commission conjointe signifie la fin de l'ensemble des activités d'examen environnemental pour le Projet du lac McClean. Les questions environnementales doivent être examinées relativement à chaque licence délivrée en application du Règlement sur les mines d'uranium et de thorium et du règlement qui le remplace, soit le Règlement sur les mines et les usines de concentration d'uranium. Qui plus est, le processus d'examen préalable et d'évaluation environnementale prévu par la LCEE pourra être déclenché plus tard si le paragraphe 74(3) de cette Loi s'applique. Tel serait le cas, notamment, si une proposition ayant pour but d'entreprendre une activité liée au Projet du lac McClean qui n'était pas visée par le mandat de la Commission conjointe était présentée (comme l'augmentation de la production proposée que la Commission de sûreté a autorisée en 2001, mais que la Commission conjointe mise sur pied en vertu du Décret n'avait pas examinée).

 

[…]

 

[49]      […] La Commission conjointe a reconnu que des changements scientifiques et technologiques surviendraient pendant la durée du Projet et qu'il appartiendrait à la Commission de contrôle d'évaluer les effets de ces changements dans le contexte de ses responsabilités en matière d'octroi de licences.

 

[213]       Cette approche est également compatible avec Pembina Institute, précitée, décision dans laquelle la juge Tremblay‑Lamer, suivant le juge Mackay dans Union of Nova Scotia Indians, précitée, a souligné que l’évaluation des effets environnementaux, y compris les mesures d’atténuation, ne devait pas être perçue comme un événement précis et isolé, mais qu’il s’agissait d’un processus permanent et dynamique qui « donnait lieu à un dialogue constant entre le promoteur, les autorités responsables et les groupes communautaires en cause ».

 

[214]       Les demanderesses ont raison de souligner que la Commission n’est pas une « autorité responsable ». L’alinéa 34c) de la Loi exige toutefois clairement que la Commission prenne en compte les mesures d’atténuation et les programmes de suivi qui feront inévitablement partie d’un processus continu auquel participeront, entre autres, les autorités responsables et les organismes de réglementation. Cela ne dispense pas la Commission de se conformer à l’article 34 et aux paragraphes 16(1) et (2) de la Loi. Cela signifie tout simplement que l’ensemble du contexte doit être pris en compte en conformité avec l’objet de la Loi énoncé à l’article 4. Dans le rapport d’évaluation environnementale, la Commission explique l’approche de précaution qu’elle a adoptée pour évaluer les effets environnementaux et mentionne clairement que la « gestion adaptative » ne doit pas remplacer les données scientifiques :

4.1.1    L’approche de précaution

 

OPG a décrit la façon dont elle avait appliqué le principe de précaution lors de la préparation de l’EIE conformément aux exigences des lignes directrices de l’EIE et en se fondant sur le document du Bureau du Conseil privé du Canada intitulé Cadre d’application de la précaution dans un processus décisionnel scientifique en gestion du risque (Gouvernement du Canada, 2003). OPG a indiqué qu’elle avait tenu compte de ce principe lors de la conception du projet et lors de son évaluation des effets environnementaux.

 

La Commission note que l’application du principe de précaution conformément au cadre du Bureau du Conseil privé du Canada ne répond pas nécessairement aux souhaits de certains des participants à l’examen et que différentes interprétations du concept avaient été avancées.

 

Un des objectifs de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale est de veiller à ce que les projets soient étudiés avec soin et prudence afin qu’ils n’entraînent pas d’effets environnementaux négatifs importants. Dans l’administration de la Loi, le gouvernement du Canada, le ministre de l’Environnement, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale et l’ensemble des autorités fédérales et des autorités responsables sont tenus d’exercer leurs pouvoirs de façon à protéger l’environnement et la santé humaine et à appliquer le principe de précaution. La Commission fait remarquer que le cadre du Bureau du Conseil privé du Canada a été délivré afin de rendre l’application de la précaution par le gouvernement fédéral plus prévisible, plus crédible et plus uniforme, afin d’assurer des décisions adéquates, raisonnables et financièrement efficientes.

 

Le cadre énonce cinq principes généraux d’application de la précaution dans la prise de décisions scientifiques dans les secteurs d’activité réglementés au palier fédéral et concernant la protection de la santé et de la sécurité, l’environnement, et la conservation des ressources naturelles. Ces principes sont :

 

1.      L’utilisation de la précaution est une démarche légitime et particulière de décision dans la gestion du risque;

 

2.      Il est légitime que les décisions soient guidées par le niveau de protection contre le risque que choisit la société;

 

3.      L’application de la précaution doit reposer sur des données scientifiques solides et sur leur évaluation; la nature des données scientifiques et la partie chargée de les produire peuvent changer avec l’évolution du savoir;

 

4.      Il devrait y avoir des mécanismes pour réévaluer le fondement des décisions et pour tenir éventuellement d’autres consultations dans un processus transparent;

 

5.      Il convient d’assurer un degré élevé de transparence, de reddition de comptes et de participation du public.

 

La Commission accepte ces principes généraux d’application de la précaution dans la prise de décisions scientifiques, mais souligne l’importance qu’il convient d’apporter à la définition de la société touchée lorsqu’on examine le concept du niveau de tolérance de la société à l’égard du risque. La Commission relève également que la population de la région de Durham est le groupe présentant le plus de chances d’être touché par le projet, mais qui, en général, accepte le mieux la possibilité d’effets environnementaux ou les risques posés par ceuxci [sic]. Les populations voisines vivant autour du lac Ontario, y compris la région du Grand Toronto, pourraient également être touchées par le projet, mais elles semblent avoir une tolérance moindre à l’égard des risques liés au projet.

 

La [sic] cadre énonce également les cinq principes d’application des mesures de précaution suivants :

 

1.      Les mesures de précaution devraient être sujettes à réexamen selon l’évolution de la science, de la technologie et du niveau de protection choisi par la société;

 

2.      Les mesures de précaution devraient être proportionnelles à la gravité possible du risque que l’on veut gérer et au niveau de protection choisi par la société;

 

3.      Les mesures de précaution devraient être non discriminatoires et concorder avec celles prises dans des circonstances similaires;

 

4.      Les mesures de précaution devraient être efficientes et avoir pour objectif d’assurer (i) un avantage net global à la société au moindre coût et (ii) un choix judicieux de mesure;

 

5.      Lorsque plusieurs options réunissent ces caractéristiques, on devrait choisir celle qui entrave le moins le commerce.

 

En tenant compte du projet et des cinq principes d’application des mesures de précaution, la Commission relève qu’en ce qui concerne le principe no 2, les mesures requises pourraient être substantielles si elles sont proportionnelles à la gravité du risque. En outre, en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, la Commission est d’avis que le gouvernement fédéral devrait agir de manière préventive et ne pas attendre des certitudes scientifiques ou qu’un accident survienne pour prendre des mesures, par exemple en cas d’accident nucléaire grave ou d’événements résultant de changements climatiques. En raison de l’ampleur potentiellement importante des effets causés par les projets nucléaires, la Commission croit que le principe de précaution devrait être appliqué pour éviter la dégradation de l’environnement et protéger les citoyens dans le cadre du niveau de protection choisi par la société.

 

En ce qui concerne les principes no 3 et 5, la Commission reconnaît que l’industrie nucléaire s’adapte sans cesse aux nouvelles circonstances. Les systèmes de sécurité et les mesures de protection de l’environnement doivent évoluer à la suite de chaque défaillance ou accident. La Commission est d’avis que la protection des citoyens et des composantes du milieu physique peut exiger l’élaboration de nouvelles mesures ou de mesures améliorées qui ne correspondent pas nécessairement à celles prises dans des circonstances similaires, ou à celles qui entravent le moins le commerce.

 

Dans le cadre de l’examen du principe no 4, la Commission insiste sur le fait que, bien que les coûts constituent un élément important, la sûreté et la sécurité doivent toujours primer.

 

Par conséquent, la Commission souligne la nécessité d’identifier et de recommander des mesures allant, le cas échéant, au-delà des normes et des pratiques existantes pour protéger le public et l’environnement.

 

[…]

 

4.1.3    Évaluation des effets environnementaux

 

La première tâche majeure de la Commission a été d’examiner l’évaluation des effets environnementaux du projet réalisée par le promoteur. La Commission a trouvé que l’évaluation des effets environnementaux potentiels était qualitative à de nombreux égards étant donné qu’elle était menée sans connaissance spécifique des rejets potentiels. OPG a expliqué que certains paramètres du scénario limitatif, tels que les émissions de substances dangereuses et les stocks de produits chimiques se trouvant sur place, ne pouvaient être mis au point tant qu’une technologie de réacteur spécifique n’aura pas été choisie par le gouvernement de l’Ontario. Lorsque l’information spécifique à la technologie de réacteur choisie est requise, la Commission recommande que certaines mesures soient prises avant d’entreprendre le projet.

 

La Commission est chargée de déterminer si le projet est susceptible d’entraîner des effets négatifs importants sur l’environnement compte tenu des mesures d’atténuation qu’elle juge indiquées. À cet égard, la Commission a suivi le guide de référence de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale intitulé Déterminer la probabilité des effets environnementaux négatifs importants d’un projet (novembre 2004).

 

La Commission a d’abord déterminé si un effet environnemental pouvait être négatif en comparant la qualité de l’environnement existant à la qualité prévue une fois le projet mis en place[.] Quand un effet était jugé négatif, la Commission s’est attelée à déterminer son importance. À cet égard, la Commission a examiné l’ampleur, l’étendue géographique, la durée et la fréquence, la réversibilité et le contexte écologique de l’effet, le cas échéant. Enfin, la Commission a déterminé si l’effet négatif important est susceptible de se produire. Deux critères ont été pris en considération pour déterminer la probabilité d’occurrence : la probabilité que l’effet se produise et l’incertitude scientifique, qui est souvent qualifiée d’intervalle de confiance.

 

Contrairement au guide de 1994, OPG a intégré la probabilité d’occurrence en tant que paramètre dans l’évaluation de l’importance. Afin de s’assurer que l’application des mesures d’atténuation ou des programmes de suivi soit soigneusement prise en considération, la Commission croit qu’il conviendrait de déterminer l’importance d’un effet avant d’en évaluer la probabilité d’occurrence. Par exemple, pour s’assurer que des mesures d’atténuation sont élaborées pour les accidents nucléaires graves, il conviendrait de déterminer l’importance des effets de l’accident avant de conclure que la probabilité de son occurrence est tellement faible que ses effets ne sont pas importants. La Commission croit qu’il conviendrait d’adopter une approche prudente dans cette situation pour identifier des mesures d’atténuation adéquates en dépit de la faible probabilité d’occurrence.

 

La Commission a pris en compte les mesures réalisables sur les plans technique et économique pour atténuer tout effet négatif important du projet sur l’environnement et les méthodes de rechange pour la réalisation du projet. OPG a fourni un certain nombre de plans et de mesures d’atténuation et a indiqué que les détails seront communiqués à des étapes ultérieures du projet, par exemple après la sélection d’une technologie de réacteur par le gouvernement de l’Ontario.

 

Pour faire face à l’absence de plans d’atténuation détaillés, le personnel de la CCSN a recommandé à la Commission d’assortir le permis de préparation de l’emplacement d’une condition stipulant qu’OPG obtienne l’acceptation des plans requis par la Commission canadienne de sûreté nucléaire ou par le personnel de la CCSN avant de commencer les activités autorisées correspondantes. La Commission accepte cette recommandation et ajoute que le programme de surveillance et les plans de compensation devraient être traités de la même façon.

 

Enfin, la Commission relève la distinction qu’il convient de faire entre les programmes de surveillance et les programmes de suivi, ainsi qu’entre les mesures d’atténuation et les plans de compensation. La Commission considère que la surveillance concerne l’observation et l’acquisition de connaissances tandis que le suivi est spécifiquement conçu pour confirmer les prédictions tirées de l’évaluation environnementale et l’efficacité des mesures d’atténuation. La Commission est d’avis que la gestion adaptative, qui constitue un processus systématique d’amélioration continue des pratiques de gestion environnementale, devrait être uniquement appliquée lorsqu’il est possible de définir des seuils. La gestion adaptative ne devrait pas être utilisée pour surmonter les situations caractérisées par un manque de données ou de certitudes scientifiques.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[215]       Nonobstant les préoccupations compréhensibles des demanderesses à l’égard d’un projet de cette envergure et de cette durée, leurs observations et leurs arguments pertinents à propos de ce que la Commission aurait dû faire, exception faite des cas précis mentionnés plus loin, je ne puis voir aucune preuve indiquant que la Commission n’a pas suivi ces principes directeurs pour en arriver à une décision fondée sur la science et sur laquelle les décideurs mentionnés à l’article 37 pouvaient s’appuyer ou qu’elle a remplacé les données scientifiques ou la certitude par une gestion adaptative.

 

La preuve présentée par les demanderesses

[216]       La preuve que les demanderesses ont présentée devant moi concerne principalement les lacunes quant aux renseignements soumis à la Commission. Ces présumées lacunes sont énumérées de façon très détaillée dans l’affidavit de Kathleen Cooper, chercheuse principale à l’ACDE (dossier des demanderesses, volume 4, onglet 4), aux paragraphes 104-130 [l’affidavit de Cooper]. Mme Cooper allègue que le rapport d’évaluation environnementale lui-même relevait les lacunes suivantes (avec renvois au rapport d’évaluation environnementale), renumérotées et résumées comme suit par souci de commodité :

  1. Aucune technologie de réacteur précise n’a été choisie (aux pages 55-56).
  2. Aucune méthode ni aucun emplacement précis (c’est-à-dire sur le site, hors site ou remblayage du lac) n’ont été choisis pour la gestion des terres et des roches excavées (aux pages 57‑58).
  3. Aucune technologie précise de condenseur n’a été choisie (aux pages 59‑60).
  4. L’évaluation des systèmes d’eau de refroidissement du condenseur présentée par OPG « n’a pas fourni de comparaison définitive des différentes options en ce qui concerne les effets environnementaux » (à la page 60).
  5. Aucune conception précise d’aménagement de l’emplacement n’a été choisie, même si OPG a présenté trois scénarios « conceptualisés » (aux pages 15, 63).
  6. L’évaluation des effets potentiels sur l’environnement a été « menée sans connaissance spécifique des rejets potentiels » provenant du projet parce qu’une technologie de réacteur n’a pas été choisie (à la page 47).
  7. Certains « paramètres du scénario limitatif, tels que les émissions de substances dangereuses et les stocks de produits chimiques se trouvant sur place, ne pouvaient être mis au point tant qu’une technologie de réacteur spécifique n’aura pas été choisie » (à la page 47).
  8. Il y avait « l’absence de plans d’atténuation détaillés » parce qu’une technologie de réacteur précise n’avait pas été choisie (à la page 48).
  9. Seul un plan de déclassement « conceptuel » a été présenté dans l’EIE (aux pages 63-65).
  10. OPG n’a pas fourni de programme de surveillance ou de plan de compensation détaillé relativement aux effets potentiels sur l’environnement (à la page 48).
  11. OPG n’a pas présenté de programme de suivi, de programme de gestion adaptative ou de plan d’action en lien avec certains contaminants dans l’air préoccupants (aux pages 73‑74).
  12. La description des conditions géologiques générales présentée par OPG « est fondée sur une enquête dont la portée semble avoir été réduite » (à la page 78).
  13. OPG a reconnu que des contaminants radiologiques et non radiologiques provenant du projet s’introduiraient dans le milieu aquatique, mais n’a précisé aucun point d’émission des rejets dans le lac Ontario, n’a pas fourni de données de référence pour la qualité de l’eau et les sédiments et n’a pas réalisé « d’évaluation des scénarios limitatifs pour les effluents liquides conventionnels ». De plus, elle a fourni « peu de renseignements sur les charges de polluants et de contaminants qui seraient introduites dans l’environnement des eaux de surface par le ruissellement des eaux de pluie » (aux pages 79‑80).
  14. OPG n’a pas entrepris une évaluation détaillée de l’infiltration ou du transport de contaminants dans les eaux souterraines causé par les activités sur le site ni des effets cumulatifs des activités d’exploitation de la carrière ou de l’assèchement des terres environnantes (aux pages 81‑82).
  15. OPG n’a « pas fourni d’examen approfondi des options potentielles en matière d’aménagement de l’emplacement » (à la page 89).
  16. OPG n’a pas présenté de programme de suivi pour vérifier les prévisions de l’évaluation environnementale ou évaluer l’efficacité des mesures d’atténuation relativement aux oiseaux, aux mammifères, aux insectes, aux amphibiens, aux reptiles ou à la connectivité du paysage (aux pages 83, 90, 92, 95).
  17. OPG n’a pas présenté de plan pour gérer les espèces que l’on sait qu’elles seront en péril sur l’emplacement du projet (aux pages 92‑95).
  18. OPG n’a pas fourni de détails précis sur les types ou les quantités de produits chimiques qui doivent être stockés ou utilisés à l’emplacement et ne peut le faire avant qu’une technologie de réacteur soit choisie (à la page 95).
  19. Les données sur les populations de poissons et les renseignements provenant d’échantillonnage étaient « plutôt limité[s] » et un plus grand nombre d’études sont nécessaires pour comprendre les effets de la modification du littoral (aux pages 97‑98).
  20. OPG « a effectué une évaluation des effets des risques géotechniques et sismiques fondée sur des renseignements de base peu nombreux » (à la page 105).
  21. OPG a présenté une évaluation des changements climatiques qui « se fonde sur des prévisions très générales qui ne sont pas propres au projet » (à la page 107).
  22. OPG n’a pas présenté de plan d’urgence à l’égard de toutes les phases du projet pour tenir compte des incertitudes liées aux inondations et aux autres phénomènes météorologiques extrêmes (à la page 107).
  23. Aucune installation ni aucun endroit n’a été choisi sur l’emplacement pour le stockage temporaire ou à long terme du combustible nucléaire épuisé et des déchets radioactifs de faible et de moyenne activité (aux pages 141 et 142)
  24. OPG n’a pas présenté d’analyse détaillée des conséquences hors site sur la santé et l’environnement d’un accident grave pouvant découler d’un réacteur puisqu’aucune technologie de réacteur n’avait été choisie (aux pages 149‑150).
  25. OPG n’a pas présenté d’évaluation détaillée des effets cumulatifs d’un accident grave de « cause commune » impliquant plusieurs réacteurs à l’emplacement de Darlington (à la page 159).

 

[217]       Certaines de ces présumées lacunes en matière de renseignements sont liées au fait que les choix de technologies et de conceptions du projet n’avaient pas encore été faits, d’autres ne le sont pas.

 

[218]       Outre ces présumées lacunes, l’affidavit de Cooper souligne ce qui suit en ce qui a trait aux conclusions du rapport d’évaluation environnementale concernant les effets du projet sur l’environnement :

  1. Le milieu aquatique « risque de subir » un effet cumulatif important découlant du projet à moins que des mesures d’atténuation « appropriées » soient mises en place (à la page 158).
  2. Plusieurs sources dans le voisinage du projet sont susceptibles d’entraîner un effet cumulatif sur la qualité de l’air dans la région (à la page 158).
  3. Les déchets radioactifs produits par le projet pourraient entraîner des effets cumulatifs importants « liés aux doses reçues par les travailleurs, le public et l’environnement s’ils ne sont pas gérés de façon adéquate advenant qu’ils doivent rester en permanence sur place » (aux pages 158‑159).
  4. Malgré les mesures d’atténuation et les plans de compensation proposés par OPG, « il pourrait toujours y avoir une perte de biodiversité » (à la page 161).
  5. Il y aura un changement de « la qualité des eaux de surface dans le lac Ontario en rapport avec le tritium en raison de l’augmentation des rejets de tritium causée par le projet » (à la page 162).
  6. Les effets du projet sur le ménomini rond « peuvent être plus importants que ceux initialement prévus par OPG » (à la page 162).

 

[219]       Les demanderesses ont déposé d’autres affidavits qui font état de préoccupations semblables (voir l’affidavit de Mark Mattson, président de Lake Ontario Waterkeeper, dossier des demanderesses, volume 6, onglet 5, aux paragraphes 101‑103 [l’affidavit de Mattson]; l’affidavit de Shawn-Patrick Stensil, analyste des questions énergétiques et militant pour Greenpeace Canada, dossier des demanderesses, volume 1, onglet 3, aux paragraphes 78-81 [l’affidavit de Stensil]; l’affidavit de Brennain Lloyd, coordonnateur de projets à Northwatch, dossier des demanderesses, volume 7, onglet 6, aux paragraphes 30, 33, 36‑37 [l’affidavit de Lloyd]).

 

[220]       L’affidavit de Mattson porte sur plusieurs préoccupations semblables relevées dans l’affidavit de Cooper et ajoute également ce qui suit :

 

[traduction]

  • Les options de refroidissement disponibles ont des effets potentiels extrêmement différents sur les poissons et leur habitat et les technologies visant à réduire les répercussions sur les poissons ne pouvaient pas être examinées lors de l’audience en raison de l’absence d’une conception détaillée de la centrale (aux alinéas 101 d. et e.).
  • La Commission n’a pas exigé qu’OPG effectue ou évalue un « scénario limitatif » quant au rejet de matières dangereuses conventionnelles ou d’effluents liquides provenant du projet et quant aux répercussions qui en découleraient; par conséquent, le dossier ne contient aucun renseignement concernant la pollution de l’air, du sol, des eaux souterraines et du lac Ontario qui pourrait être causée par le projet (au paragraphe 101 h.).

 

[221]       En ce qui concerne la preuve visant à démontrer que ces lacunes en matière de renseignements ont pour conséquence que l’évaluation environnementale est non conforme à la LCEE ou que les conclusions de la Commission sont déraisonnables, les demanderesses ont plus particulièrement insisté sur la gestion des déchets radioactifs, comme nous le verrons plus loin.

 

[222]       La principale critique des demanderesses à propos du rapport d’évaluation environnementale est qu’il contient de nombreuses lacunes en matière de renseignements en raison de l’utilisation du scénario limitatif ou de l’approche de l’EPC et qu’une technologie de réacteur et une option de refroidissement n’ont pas encore été choisies. En conséquence, je dois me prononcer sur une question importante qui est celle de savoir si ces lacunes en matière de renseignements ont pour conséquence que le rapport d’évaluation environnementale n’est pas conforme à la LCEE.

 

[223]       À mon avis, pour étayer un argument portant que l’évaluation environnementale n’est pas conforme à la LCEE, il est nécessaire d’aller plus loin que l’identification des lacunes en matière de renseignements. La quantité de renseignements qui pourraient être recueillis ne comporte aucune limite et, par conséquent, il ne sera jamais possible de réunir des renseignements [traduction] « exhaustifs » ou parfaits à propos d’un projet ou de ses effets.

 

[224]       L’élément central de la thèse des demanderesses est qu’il reste trop d’éléments inconnus à propos du projet pour qu’une évaluation environnementale appropriée ait pu être effectuée. Lu dans son ensemble, le rapport d’évaluation environnementale révèle que la Commission faisait face à de l’incertitude sous plusieurs angles différents.

 

[225]       Dans certains cas, la Commission a demandé d’autres études sur les effets potentiels et sur la manière de les atténuer, malgré le fait que l’on ne s’attendait pas à ce que ces effets augmentent le niveau d’importance. À mon avis, cela reflète le rôle de cueillette de renseignements et de planification du principe de précaution et la fonction de l’évaluation environnementale.

 

[226]       De façon plus controversée, la Commission a conclu dans plusieurs cas que malgré les lacunes en matière de renseignements, il était raisonnable de conclure que les effets du projet n’atteindraient pas un niveau qui était important ou qu’ils pouvaient être atténués de manière à être sous la barre d’un niveau important. Ce faisant, la Commission semble s’appuyer sur les éléments suivants :

  • des scénarios limitatifs qui évaluent ou estiment les effets attendus maximums du projet pour toutes les options de technologies et les choix de conceptions;
  • des renseignements concernant des options pour la gestion ou l’atténuation des effets en cause, y compris les pratiques existantes dans l’industrie nucléaire;
  • une évaluation selon laquelle les régimes de réglementation existants géreront de façon adéquate les effets du projet ou selon laquelle le projet ne sera pas autorisé à aller aux autres étapes ultérieures d’octroi de permis ou de licence à moins que les répercussions environnementales négatives ne soient gérées et atténuées de façon appropriée.

 

[227]       À différents degrés, les demanderesses estiment que ces éléments sont problématiques. Le dernier élément est plus particulièrement la cible de critiques en ce qu’il constitue une forme non autorisée de délégation des attributions de la Commission prévues par la Loi.

 

[228]       Une lecture attentive du rapport d’évaluation environnementale montre que malgré certaines lacunes en matière de renseignements et à l’égard desquelles les demanderesses ont exprimé des préoccupations compréhensibles, la Commission disposait de suffisamment de renseignements pour effectuer – ce qu’elle a fait – une évaluation environnementale qui fournissait aux décideurs prévus à l’article 37 une preuve appropriée sur laquelle fonder les décisions qu’ils étaient tenus de prendre. Ainsi, la Commission a permis à ces décideurs de prendre des décisions raisonnables fondées sur des données scientifiques, malgré la persistance d’incertitudes qui devront être gérées au fil du temps. Toutefois, à mon avis, trois aspects du rapport d’évaluation environnementale soulèvent des problèmes et requièrent une nouvelle évaluation plus approfondie de la part de la Commission ou d’une autre commission dûment constituée. Voici ces trois aspects :

  • La prétendue omission de la Commission d’insister sur la réalisation d’une analyse portant sur un scénario limitatif concernant les émissions de matières dangereuses, plus particulièrement les effluents liquides et le ruissellement des eaux pluviales dans le milieu des eaux de surface, et concernant les sources, les types et les quantités de déchets non radioactifs que produirait le projet;
  • le traitement de la question de la gestion des déchets rétroactifs par la Commission;
  • la conclusion de la Commission selon laquelle une analyse des effets d’un accident grave de cause commune survenant à l’installation n’était pas nécessaire à cette étape, mais devrait être réalisée avant la construction.

 

Liens avec la question de la délégation irrégulière

[229]       La Commission a traité de plusieurs incertitudes en recommandant des études et des analyses futures ou en prenant en compte les mesures futures de délivrance de permis ou de licences. La question de savoir si les conclusions de la Commission concernant les effets négatifs importants étaient raisonnables est très étroitement liée à la question de savoir si la Commission a irrégulièrement délégué ses fonctions dans certains cas.

 

[230]       Pour apprécier cet argument, je crois qu’il est important d’avoir à l’esprit la structure du processus décisionnel que le législateur a mis sur pied par le biais de la LCEE. Les demanderesses soutiennent que même si le projet fera l’objet d’autres étapes de délivrance de permis et de licences qui examineront les incidences environnementales, la présente évaluation environnementale est susceptible d’être la seule évaluation environnementale du projet qui sera effectuée en vertu de la LCEE ou de la loi qui la remplacera. Les défendeurs ne contestent pas ce qui précède. Les demanderesses ont fait valoir à la fois devant la Commission et devant la Cour que même si d’autres étapes pouvaient donner lieu à la participation du public et à la prise en compte des répercussions environnementales, le processus de délivrance de licences et de permis est différent d’une évaluation environnementale à plusieurs égards importants (voir par exemple l’affidavit de Mattson, aux paragraphes 58, 65‑66). À leur avis, cette différence ne repose pas simplement sur la différence du moment où l’évaluation a lieu, mais vise la nature même du processus dans le cadre duquel les effets environnementaux sont pris en compte.

 

[231]       À mon avis, cette observation est fondée. Les décisions de la CCSN relatives à l’octroi de licences et de permis sont différentes des évaluations environnementales en ce qui a trait au cadre législatif appliqué et à l’identité du décideur et cela peut avoir des répercussions sur la façon dont les considérations d’ordre environnemental sont évaluées.

 

[232]       Selon la LCEE, le gouverneur en conseil (dans la pratique, le Cabinet fédéral) est le décideur ultime dans le cas de projets renvoyés à des commissions d’examen. Il se prononce sur la question de savoir si les autorités responsables seront autorisées à prendre les mesures pour permettre l’exécution du projet. Le législateur a choisi d’attribuer la prise de cette décision aux représentants élus qui sont responsables envers le Parlement lui-même et, au bout du compte, envers les électeurs.

 

[233]       Les prochaines étapes de délivrance de licences et de permis pour le projet comportent des décisions que prendra la CCSN (ainsi que le MPO et d’autres). La CCSN est un organisme spécialisé qui a à sa disposition une vaste expertise technique et qui sera elle‑même tenue de veiller à plusieurs étapes du projet à ce qu’OPG prenne les mesures voulues pour préserver la santé des personnes et protéger l’environnement (la LSRN, au paragraphe 24(4)). Toutefois, l’évaluation environnementale faisant l’objet du présent contrôle est la seule occasion où des décideurs fédéraux démocratiquement élus et responsables prendront directement une décision concernant la question de savoir si le projet doit aller de l’avant.

 

[234]       À mon avis, en attribuant certains rôles et certaines décisions à des organismes spécialisés et d’autres à des organismes démocratiques comme le Cabinet fédéral, il est nécessaire de tenir compte de l’intention du législateur et de la respecter.

 

[235]       Le plus important rôle d’une commission d’examen consiste à fournir un fondement probatoire quant aux décisions que le Cabinet et les autorités responsables doivent prendre. La jurisprudence établit que l.établissement de ce fondement probatoire, sa communication et la tenue d’audiences publiques pour l’apprécier est une fonction indépendante d’une commission d’examen et que le défaut de s’en acquitter mine la capacité du Cabinet et des autorités responsables de s’acquitter de leurs propres fonctions que leur attribue la Loi.

 

[236]       Dans Pembina Institute, précité, la juge Tremblay‑Lamer a discuté de l’interrelation entre le rôle d’une commission d’examen, qui est chargée de faire une évaluation fondée sur des faits, et celui des décideurs politiques qui est « de prendre en compte des éléments plus vastes de politique affectant le public lors de l’approbation de projet » :

[14]      La LCEE établit un processus décisionnel qui comporte deux étapes. La première est une évaluation environnementale qui analyse les effets environnementaux négatifs qu’un projet est susceptible d’entraîner (art. 5). La seconde étape comporte une prise de décision et un suivi alors que l’autorité fédérale décide, en prenant en compte l’évaluation, si un projet précis devrait être autorisé et quel programme de suivi est requis pour vérifier la justesse de l'évaluation environnementale et l'efficacité des mesures d'atténuation (art. 37 et 38).

 

[…]

 

[20]      En particulier, les attributions générales du mandat que la Commission est chargée de remplir se divisent en quatre volets (art. 34). Premièrement, celle-ci veille à l'obtention des renseignements nécessaires à l'évaluation environnementale d'un projet et veille à ce que le public y ait accès (al. 34a)). Deuxièmement, la Commission tient des audiences de façon à donner au public la possibilité de participer à l'évaluation environnementale (al. 34b)). Troisièmement, la Commission remplit un rôle en matière de rapports en ce sens qu’elle établit un rapport assorti « de sa justification, de ses conclusions et recommandations relativement à l'évaluation environnementale du projet, notamment aux mesures d'atténuation et au programme de suivi » ainsi qu’un résumé des observations reçues du public (al. 34c)). Enfin, elle présente son rapport au ministre et à l'autorité responsable (al. 34d)).

 

[…]

 

[72]      Bien que je convienne que le mandat de la Commission ne couvre pas la recommandation de politique, elle se doit néanmoins d’effectuer une évaluation scientifique et factuelle des effets environnementaux potentiellement négatifs d’un projet proposé. Faute d’une telle approche factuelle, les choix politiques des décideurs ultimes ne trouveront aucun champ d’application.

 

[73]      Je reconnais qu’il serait disproportionné d’imposer à la Commission le fardeau administratif d’expliquer en détail les données scientifiques de toutes ses conclusions et recommandations. Toutefois, compte tenu que le rapport doit servir de fondement objectif à une décision définitive, je crois que la Commission se doit d’expliquer de façon générale pourquoi les effets négatifs possibles seront négligeables, que des mesures d’atténuation soient mises en place ou non.

 

[74]      La Commission devait-elle en venir à la conclusion que les mesures d’atténuation proposées ne permettraient pas de minimiser les possibles effets environnementaux négatifs, qu’il serait également de son devoir de le faire savoir. L’évaluation des effets environnementaux d’un projet et des mesures d’atténuation proposées déborde du débat des politiques gouvernementales, lequel de par sa nature propre prend en compte une gamme étendue de points de vue et de facteurs additionnels que la Commission écarte d’emblée en se concentrant sur les effets environnementaux liés à un projet. En revanche, l’al. 37(1)a) autorise l’autorité responsable à approuver la mise en œuvre totale ou partielle d’un projet même si celui-ci est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs si ces effets « sont justifiables dans les circonstances ». En conséquence, c’est au décideur ultime qu’il appartient de prendre en compte des éléments plus vastes de politique affectant le public lors de l’approbation de projet.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[237]       En somme, le législateur fédéral a conçu un processus décisionnel aux termes de la LCEE; lorsqu'il se déroule correctement, les décisions sont prises en fonction des éléments de preuve et répondent aux impératifs d'un système démocratique. Lorsque la CCSN examinera les demandes de permis et de licences en vue de décisions futures, elle sera dans une position fondamentalement différente de celle de la Commission qui a effectué l’évaluation environnementale. La CCSN sera l’autorité ultime qui prendra la décision et non une simple commission spécialisée. Bien que la CCSN aborde ce rôle avec une expertise considérable, elle ne possède pas la même légitimité et responsabilité démocratiques que le Cabinet fédéral.

 

[238]       À mon avis, cette distinction est plus particulièrement pertinente dans les cas où les questions nécessitent que l’on ne tienne pas uniquement compte d’une preuve scientifique, mais qu’on tienne également compte des valeurs sociales et aux choix d’intérêt public correspondants. À titre d’exemple, le document destiné à fournir aux décideurs fédéraux des indications sur la façon d’appliquer le principe de la prudence énoncé au paragraphe 4(2) de la LCEE mentionne à plusieurs reprises la nécessité de prendre en compte « le degré de protection que choisit la société contre le risque » (voir Bureau du Conseil privé, Cadre d’application de la précaution dans un processus décisionnel scientifique en gestion du risque (Gouvernement du Canada, 2003)) et de prendre les décisions à la lumière de ce degré de protection. Voilà manifestement le type d’élément que les représentants élus, plutôt que des organismes spécialisés, semblent bien placés pour apprécier.

 

[239]       Si la Commission faisait des choix qui pourraient diminuer la capacité du Cabinet d’examiner de telles questions et de se prononcer sur celles-ci, reportant plutôt son examen à une date future par un organisme spécialisé, cela pourrait indiquer une dérogation à l’intention du législateur concernant la structure décisionnelle prévue dans la LCEE. La question ne porte pas tant sur l’opportunité du moment que sur l’intention du législateur quant à savoir qui devrait se prononcer sur quoi.

 

[240]       Dans certains cas, ce qui devra être effectué dans l’avenir sera la vérification que le rendement réel est conforme à la norme reconnue de préservation de la santé ou de protection de l’environnement (voir le rapport d’évaluation environnementale, à la page 56). Si c’était là l’unique objet d’une évaluation environnementale, celle-ci pourrait vraisemblablement être entièrement confiée à des organismes spécialisés. Cependant, lorsque la norme appropriée est elle-même en cause, ou lorsqu’il n’existe aucune norme, une telle approche peut susciter des difficultés.

 

[241]       Cela ne signifie pas que les processus réglementaires futurs n’ont aucun rôle à jouer en ce qui a trait à la gestion et à l’atténuation des effets environnementaux d’un projet ou qu’ils ne devraient pas être pris en compte dans le cadre de l’analyse faite par une commission d’examen. Plusieurs exemples en l’espèce illustrent ce point et sont analysés plus loin dans les présents motifs.

 

[242]       À mon avis, la question de fond clé en ce qui a trait à la structure décisionnelle prévue à la LCEE est qu’il incombe aux décideurs visés par l’article 37 de déterminer ce qui est un niveau acceptable d’incidence ou de risque environnemental. Cette composante décisionnelle de la Loi n’est pas sa seule caractéristique, mais le libellé de l’article 37, la structure de la Loi et plus de deux décennies d’expérience relativement à sa mise en œuvre font en sorte qu’il est indéniable qu’il s’agit d’une caractéristique importante (voir Pembina Institute, précitée, au paragraphe 15, appliquant Oldman River, précité, au paragraphe 103). Nous ne pouvons pas tout simplement l’exclure de la Loi et les tribunaux et les responsables de sa mise en œuvre doivent chercher à préserver l’intégrité de la structure décisionnelle que le législateur a mise en place.

 

[243]       Parallèlement, on ne peut ignorer la réalité selon laquelle plusieurs projets sont réglementés par des organismes spécialisés dont la mission d’intérêt public comprend la gestion et le contrôle des incidences d’un projet sur l’environnement et la santé. En effet, au cours de la vie d’un projet comme celui en cause en l’espèce, il se peut fort bien que ces autres organismes aient le plus grand effet pour ce qui est de minimiser les effets négatifs d’un projet, si celui-ci est approuvé par le Cabinet. La détermination des cas où ces processus constituent un indicateur fiable qu’un projet n’entraînera pas d’effets négatifs importants sur l’environnement n’est pas une question simple. Il peut être nécessaire d’examiner la nature du régime réglementaire lui‑même, puisque les régimes varieront grandement quant à leur objet et leur effet.

 

[244]       Cependant, en guise de principe général, je crois qu’il est possible de dire que pour s’acquitter de ses obligations au titre des articles 16 et 34 de la LCEE, la Commission doit fournir dans son évaluation une analyse des effets prévus réels du projet ou une norme établie (ou un ensemble de normes) à laquelle le projet sera tenu dans le cadre des autres mesures prévues par règlement. La norme ou l’ensemble de normes remplace en quelque sorte l’analyse des effets. Après tout, la LCEE exige que la Commission examine « les effets environnementaux du projet » et leur importance. Lorsqu’aucune de ces composantes n’est présente et qu’il y a une preuve indiquant qu’un effet peut être important, il est difficile de voir comment le rapport de la Commission peut orienter adéquatement les décisions futures qui doivent être prises.

 

[245]       En l’espèce, l’approche de l’EPC prétend régler cette question en fixant une limite. Si plus tard il devient clair que le projet ne respectera pas la limite à un égard important, on devra peut-être faire une nouvelle évaluation environnementale. Dans le contexte actuel, le rapport d’évaluation environnementale et la réponse du gouvernement mentionnent tous deux, et les parties semblaient être d’accord, que la CCSN doit, avant la délivrance de chaque nouvelle licence ou nouveau permis, s’assurer que l’évaluation environnementale réalisée à l’égard du projet s’applique toujours. Le problème que peuvent causer des lacunes importantes dans l’EPC est que ces lacunes menaceront l’intégrité de ce raisonnement.

 

[246]       La raison d’être du scénario limitatif ou de l’approche de l’EPC est qu’il présente une vue d’ensemble des effets négatifs maximums qui sont susceptibles de découler du projet pour plusieurs choix de technologies ou de conceptions. La Commission a accepté l’EPC comme approche valable pour cette raison, tout en reconnaissant qu’elle constituait une dérogation aux pratiques habituelles en matière d’évaluation environnementale et qu’elle lui posait certaines difficultés. À mon avis, je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion à première vue.

 

[247]       Cependant, après avoir accepté cette raison et souligné les difficultés connexes, il incombait à mon avis à la Commission de veiller à ce que la méthodologie soit pleinement suivie pour expliquer les raisons pour lesquelles des dérogations importantes à celle-ci (c’est-à-dire les lacunes en matière de renseignements à propos du scénario limitatif) ne rendaient pas l’évaluation non conforme à la LCEE.

 

[248]       Il ne fait pas de doute que les raisons doivent être lues dans leur ensemble, conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 CSC 708. Ainsi, dans les cas où la Commission ne présente pas explicitement une telle explication, le rapport d’évaluation environnementale lu dans son ensemble peut indiquer clairement les raisons pour lesquelles la Commission estimait que les lacunes dans l’EPC n’étaient pas fatales à son évaluation. Toutefois, lorsque de telles explications ne sont ni explicites ni clairement implicites dans l’analyse de la Commission, cela pourrait signaler une erreur susceptible de révision qui exige un examen plus approfondi.

 

[249]       C’est particulièrement le cas lorsque l’on examine les difficultés que peut poser l’approche de l’EPC en ce qui a trait à une participation efficace du public. Moins les renseignements fournis à propos des caractéristiques de conceptions et des incidences particulières d’un projet sont précis, plus il peut être difficile pour les parties intéressées de contester les hypothèses, de vérifier la preuve scientifique, de relever les lacunes dans l’analyse et de veiller à ce que leurs intérêts soient pleinement pris en compte (voir le rapport d’évaluation environnementale, à la page 39, concernant la Transparence de l’évaluation environnementale, et aux pages 40 et 41 concernant la Qualité de l’eau et la Qualité de l’air).

 

Lacunes du scénario limitatif concernant les émissions de substances dangereuses et les stocks de produits chimiques se trouvant sur place

 

[250]       Les demanderesses allèguent que le scénario limitatif comportait des lacunes si importantes que, en droit, la Commission n’a pas pris en compte les effets environnementaux du projet comme l’exigeait l’article 16 de la LCEE. Comme preuve de ce qu’elles avancent, elles soulignent les commentaires suivants qui se figurent dans le rapport d’évaluation environnementale (non souligné dans l’original) :

[…] La Commission a trouvé que l’évaluation des effets environnementaux potentiels était qualitative à de nombreux égards étant donné qu’elle était menée sans connaissance spécifique des rejets potentiels. OPG a expliqué que certains paramètres du scénario limitatif, tels que les émissions de substances dangereuses et les stocks de produits chimiques se trouvant sur place, ne pouvaient être mis au point tant qu’une technologie de réacteur spécifique n’aura pas été choisie par le gouvernement de l’Ontario. Lorsque l’information spécifique à la technologie de réacteur choisie est requise, la Commission recommande que certaines mesures soient prises avant d’entreprendre le projet.

 

(Rapport d’évaluation environnementale, à la page 47.)

 

En l’absence d’un choix de technologie de réacteur pour le projet, OPG n’a pas entrepris d’évaluation détaillée des effets des effluents liquides et de l’entraînement par les eaux de pluie dans l’environnement des eaux de surface. Le promoteur s’est plutôt engagé à gérer les rejets d’effluents liquides conformément aux exigences réglementaires applicables et à mettre en œuvre des pratiques de gestion exemplaires pour les eaux pluviales. Cette stratégie ne répond pas aux attentes des lignes directrices de l’EIE. Néanmoins, le personnel de la CCSN a indiqué qu’il existe des exemples d’application de limites réglementaires et de pratiques de gestion similaires dans d’autres installations nucléaires pour contrôler et minimiser les effets des rejets sur l’environnement des eaux de surface.

 

(Rapport d’évaluation environnementale, à la page 80.)

 

En réponse à une demande d’information de la Commission concernant les stocks de matières dangereuses entreposées et les sources, catégories et quantités de déchets non radioactifs qui seraient générés par le projet, OPG a indiqué qu’il ne serait pas possible de fournir de détails précis concernant les produits chimiques à entreposer et à utiliser sur le site tant qu’une technologie de réacteur n’aura pas été sélectionnée pour le projet. Le personnel de la CCSN a indiqué que la réponse d’OPG était acceptable « sous condition » en se fondant sur son examen des évaluations des risques écologiques précédemment menées au complexe nucléaire, sur une évaluation des pratiques actuelles en matière de gestion des produits chimiques dangereux à la centrale nucléaire existante de Darlington, et sur le besoin d’une évaluation complète des rejets dangereux.

 

(Rapport d’évaluation environnementale, à la page 95.)

 

[251]       Le rapport d’évaluation environnementale contient d’autres observations sur les lacunes causées par l’absence de décisions en matière de technologies en ce qui a trait aux renseignements fournis : voir à la page 25 (OPG n’a pas présenté de scénario limitatif en ce qui concerne le rejet de matières dangereuses pour le projet), aux pages 15 à 18 (les détails de l’aménagement et du développement du site ne pouvaient pas être déterminés), à la page 18 (il n’avait pas été possible de déterminer les détails du mode d’exploitation de la centrale), à la page 56 (des aspects de l’EPC se fondaient sur des renseignements préliminaires sur la conception, ce qui nécessitera une vérification en permanence).

 

[252]       Pour leur part, les défendeurs soutiennent ce qui suit :

  • la Commission disposait d’éléments de preuve concernant les effluents liquides et le ruissellement des eaux de pluie et elle a été en mesure d’effectuer l’évaluation environnementale à cet égard (mémoire de la CCSN, au paragraphe 61). Pour preuve, la CCSN renvoie à ce qui suit : document des membres de la Commission présenté par la CCSN [PMD], 11‑P1.2 (le 31 janvier 2011), aux pages 45‑51 (dossier des défendeurs (CCSN), volume 3, onglet BB); document des membres de la CCSN présenté par la CCSN [CMD], 11‑P1.3 (le 31 janvier 2011), aux pages 82‑86 (dossier des défendeurs (CCSN), volume 3, onglet BB); Énoncé des incidences environnementales d’OPG [EIE], aux pages 5‑1 à 5‑195 (chapitre 5) (dossier des défendeurs (OPG), volumes 2 – 5, onglet 10);

 

  • les réponses d’OPG ont fourni suffisamment d’éléments de preuve concernant les sources, les types et les quantités de déchets non radioactifs que générerait le projet pour permettre à la Commission d’effectuer l’évaluation environnementale à cet égard (mémoire de la CCSN, au paragraphe 62). Pour preuve, la CCSN renvoie au rapport d’évaluation environnementale, à la page 142, et à la réponse d’OPG à la demande d’information no 19 (dossier des défendeurs (OPG), volume 6, onglet 19).

 

Le PMD et le CMD mentionnés par les défendeurs sont des rapports rédigés par le personnel de la CCSN pour aider la Commission dans ses délibérations. À mon avis cependant, les parties citées ne sont pas particulièrement utiles en ce qui a trait aux effluents liquides et au ruissellement des eaux de pluie. 

 

[253]       Le chapitre 5 de l’EIE présente une analyse détaillée des effets environnementaux probables du projet et des mesures d’atténuation possibles. Le paragraphe 5.3 porte sur les effets sur le milieu des eaux de surface. Le paragraphe 5.3.2.3 mentionne ce qui suit :

[traduction]

 

Les constituants chimiques et leur concentration (qui sont des renseignements exclusifs et propres aux fournisseurs et aux technologies) dans les différents déversements d’effluents liquides de la centrale, y compris la présence et le type de systèmes de traitement des eaux pour les déversements, ne sont pas actuellement connus avec suffisamment de détails pour effectuer une évaluation de la qualité des eaux à l’égard des paramètres individuels. Toutefois, les facteurs de dilution dans le lac Ontario pour les systèmes d’eau de refroidissement ont été calculés pour appuyer une évaluation de niveau préliminaire.

 

(EIE, à la page 5‑25)

 

[254]       En ce qui a trait aux sources, aux outils et aux quantités de déchets non radioactifs que générerait le projet, la demande d’information no 19 demandait ce qui suit à OPG :

[traduction]

 

Fournir des renseignements supplémentaires sur les produits chimiques qui sont utilisés à la centrale nucléaire existante de Darlington et sur les produits chimiques qui seront vraisemblablement utilisés au cours de la phase d’exploitation du projet, de même que sur les sources, les points de rejet, les types et les quantités de déchets non radioactifs, y compris les déchets dangereux, qui seraient générés par le projet.

 

Fournir une description précise de la façon dont les produits chimiques seront utilisés et une évaluation de leurs rejets et de leurs effets potentiels sur l’environnement (par exemple, la qualité des eaux de surface, le milieu aquatique et le milieu atmosphérique).

 

[255]       Dans sa réponse, OPG a indiqué qu’une liste représentative des produits chimiques qui seraient normalement entreposés et utilisés dans une telle centrale avait été fournie dans un document technique présenté auparavant, mais que des détails précis sur le type de produits chimiques qui seraient entreposés et utilisés ne pouvaient être fournis tant qu’un fournisseur ne serait pas choisi. OPG a présenté un exemple de concentration prévue de produits chimiques dans les effluents liquides pour l’une des technologies envisagées (l’option AP 1000), tiré d’une demande de permis ou de licence aux États‑Unis. OPG a alors indiqué (dossier des défendeurs (OPG), à la page 1569) :

[traduction]

 

Peu importe la nature précise des produits chimiques utilisés […] des contrôles procéduraux seront en place pour veiller à la sécurité de leurs transports, de leur entreposage et de leur manutention. Les produits chimiques dangereux seront générés selon les principes du Système d’information sur les matières dangereuses utilisées au travail (SIMDUT).

 

Les effets de tels produits chimiques et déchets dangereux sur l’environnement seront atténués en incorporant de bonnes pratiques de gestion pour l’industrie dans la mise en œuvre du projet. Au fur et à mesure que la planification et de la conception du projet évoluent, toutes les bonnes pratiques de gestion pour l’industrie (incorporant les pratiques usuelles des services publics) seront intégrées dans un plan de gestion environnementale exhaustif et global (PGE).

 

La production de déchets non radioactifs sera minimisée dans la mesure du possible par la mise en œuvre de programmes de réutilisation et de recyclage. Des entrepreneurs autorisés feront régulièrement la collecte des déchets non résiduels et les transféreront à des installations d’élimination autorisées appropriées situées à l’extérieur de l’emplacement. Les déchets dangereux seront manipulés en conformité avec les règlements applicables.

 

[256]       J’ai jugé utile de me reporter aux observations écrites d’Environnement Canada (EC), une des autorités fédérales décrites comme ayant des connaissances spécialisées en ce qui a trait au projet, pour comprendre le processus en vertu duquel les émissions dangereuses du projet ont été évaluées dans le cadre de l’évaluation environnementale (voir Submission of the Department of the Environment (Environnement Canada), le 31 janvier 2011, dossier des demanderesses, volume 5, onglet EE). EC est le seul parmi les intervenants intéressés à avoir présenté des observations à la Commission et la Commission avait, au bout du compte, la responsabilité d’évaluer les effets prévus du projet sur l’environnement. EC possède néanmoins des connaissances spécialisées sur lesquelles la Commission s’est appuyée et a fourni des renseignements contextuels utiles sur la façon dont les contaminants entreraient dans l’environnement et la façon dont ils ont été examinés dans le cadre de l’évaluation environnementale.

 

[257]       En ce qui concerne les effluents liquides, EC mentionne ce qui suit dans ses observations (aux pages 25‑26) :

[traduction]

 

Les effluents liquides provenant de centrales nucléaires émettent divers contaminants, tant conventionnels que radiologiques. De façon générale, les émissions seront fonction de la technologie de réacteur, de la façon dont le réacteur est exploité et du traitement entrepris avant le rejet des effluents dans l’environnement. De façon caractéristique, les rejets comportent des métaux lourds, des produits chimiques organiques, des biocides, des nutriments, de la graisse et des radionucléides.

 

[…]

 

De plus, le système d’eau de refroidissement à passage unique peut émettre des métaux lourds provenant de l’abrasion des tuyaux. Les tours de refroidissement rejetteront des contaminants dans les effluents provenant du circuit de purge.

 

[…]

 

L’examen de l’EIE par EC a révélé qu’OPG n’avait pas présenté de scénario limitatif pour les contaminants conventionnels. Suivant les conseils d’EC, la Commission a présenté diverses demandes d’information pour demander des précisions sur les effluents de transformation, y compris un scénario limitatif pour les contaminants conventionnels, afin de savoir quels contaminants seront rejetés et quelles seront les quantités maximales et les concentrations maximales prévues de ces contaminants. Dans ses réponses aux demandes d’information, OPG a bien fourni une indication des types de produits chimiques normalement utilisés dans des centrales nucléaires, mais n’a pas fourni d’évaluation fondée sur un scénario limitatif.

 

Bien qu’EC convînt qu’OPG avait fourni certains renseignements complémentaires dans ses réponses, l’objectif global des demandes d’information n’avait pas été pleinement satisfait (c’est-à-dire fournir un scénario limitatif suffisamment détaillé qui permettrait l’évaluation des effets potentiels dans le cadre de l’évaluation environnementale).

 

OPG a bien fourni une certaine analyse de la qualité prévue des effluents, tirée d’une demande de permis ou de licence présentée aux États-Unis pour la centrale William States Lee III. OPG n’a pas discuté de la qualité des effluents provenant de la CN existante de Darlington, soutenant que cet élément n’était pas pertinent pour les technologies de réacteur envisagées pour le projet. Toutefois, l’inclusion ultérieure de la technologie du réacteur EC 6 dans le processus d’évaluation environnementale rend maintenant les données de la CN de Darlington pertinentes, puisque le réacteur EC 6 est semblable à la conception du réacteur CANDU employé à la CN de Darlington.

 

Au bout du compte, OPG fait valoir que l’absence d’une technologie de réacteur définitive l’a empêchée de réaliser à ce moment-ci une évaluation détaillée de la qualité des effluents de transformation et des options de traitement. Selon la position d’OPG, elle ne peut fournir des renseignements sur la qualité des effluents conventionnels qu’après qu’un fournisseur (c’est-à-dire une technologie de réacteur) aura été choisi et qu’une conception détaillée est en voie d’élaboration. Cette approche entraîne le report de l’examen des effluents de transformation par le gouvernement et le public jusqu’à l’examen de la CCSN prévu par règlement dans le cadre de l’étude d’une demande de permis de construction au titre de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires (la LSRN).

 

Compte tenu de cette limite, l’approche d’EC a consisté à examiner les renseignements concernant les conditions ambiantes existantes dans le voisinage du projet et à tenter d’identifier les préoccupations qui pouvaient avoir surgi en raison des activités d’exploitation de la CN de Darlington au cours des deux dernières décennies. EC a pris en compte la qualité de l’eau ambiante et des sédiments qui existent dans le voisinage du projet et l’évaluation des risques écologiques (ERE) qui a évalué les risques que présentaient les conditions existantes. L’absence de scénario limitatif pour les contaminants conventionnels ne permettait pas de faire une ERE pour les contaminants conventionnels en fonction du scénario futur d’émissions combinées provenant du projet et de la CN de Darlington existante.

 

[…]

 

OPG a pris divers engagements, déclarant que tous les effluents rejetés pendant la construction et l’exploitation de la centrale nucléaire seront conformes à toutes les exigences prévues par la loi, y compris les exigences prévues à l’article 36 de la Loi sur les pêches concernant le rejet de substances nocives. OPG s’est engagée à entreprendre le traitement de tous les effluents, au besoin, pour répondre aux normes de qualité applicables avant de rejeter les effluents dans le milieu récepteur.

 

D’un point de vue conceptuel, les engagements d’OPG seraient acceptables du point de vue environnemental puisqu’ils sont compatibles avec nos attentes. Cependant, compte tenu de l’absence de renseignements disponibles à ce moment-ci sur les rejets des contaminants possibles, il serait prudent de vérifier la qualité des effluents de transformation pendant la phase de délivrance de permis par la CCSN.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[258]       En ce qui a trait aux émissions de radionucléides par l’entremise des effluents liquides, l’opinion d’EC est la suivante (à la page 26) :

[traduction]

 

Un scénario limitatif a été présenté quant aux radionucléides. Ce scénario limitatif a permis la réalisation d’une ERE quantitative à l’égard des paramètres radiologiques en fonction du futur scénario d’émissions combinées provenant du projet et de la CN de Darlington existante.

 

[259]       En ce qui a trait aux ruissellements des eaux pluviales, EC a souligné ce qui suit (aux pages 28‑29) :

[traduction]

 

Comme l’a souligné EC dans ses observations antérieures présentées à la Commission, les données fournies par OPG ont montré qu’il y a eu des cas de toxicité aiguë dans des déversements d’eaux pluviales à la CN de Darlington existante. Cela met en lumière l’importance de la conception et de l’exploitation appropriées d’un système de gestion des eaux pluviales.

 

Quel que soit l’emplacement industriel, les eaux pluviales entraîneront avec elles une variété de contaminants conventionnels et propres à l’industrie. À une centrale nucléaire, les eaux pluviales peuvent également entraîner avec elles des radionucléides. On s’attend à ce que les eaux pluviales du projet soient contaminées par des paramètres conventionnels (par exemple, des métaux, des nutriments, etc.) et des radionucléides, plus particulièrement étant donné que l’on s’attend à ce qu’une fraction importante des radionucléides émis soit déposée sur l’emplacement du projet (selon des données de surveillance et une modélisation de dispersion atmosphérique).

 

[…]

 

EC avait demandé des renseignements supplémentaires concernant le plan de gestion des eaux de pluie à la fois pour la phase de préparation/construction de l’emplacement et la phase d’exploitation. La Commission a formulé plusieurs demandes d’information concernant la gestion des eaux pluviales. Bien qu’EC convienne qu’OPG avait fourni certains renseignements complémentaires dans ses réponses, l’objectif global des demandes d’information n’avait pas été pleinement satisfait (c’est-à-dire fournir un plan de gestion des eaux pluviales suffisamment détaillé qui permettrait l’évaluation des effets potentiels dans le cadre de l’évaluation environnementale).

 

D’un point de vue conceptuel, les réponses d’OPG à ces demandes d’information expliquaient le type de mesures qu’elle entreprendrait pour la gestion des eaux pluviales. OPG a également pris des engagements pour mettre en œuvre les bonnes pratiques de gestion dans l’industrie et répondre à tous les objectifs réglementaires applicables et à toute limite de chargement qui pouvait être imposée. Ces mesures et engagements conceptuels sont compatibles avec nos attentes. Cependant, OPG n’indiquait pas de façon précise dans sa réponse les paramètres sur lesquels elle se concentrerait, les objectifs de qualité d’eau qu’elle fixerait et concevrait pour que la centrale y réponde. Idéalement, EC aurait aimé qu’OPG présente une analyse précise fondée sur des données historiques de la qualité des eaux pluviales à la CN de Darlington, qu’elle identifie tous les autres paramètres préoccupants en fonction des technologies de réacteurs envisagées et toute autre considération découlant des options d’aménagement de l’emplacement. À titre d’exemple, quels sont les paramètres radiologiques qu’OPG a l’intention de prendre en compte, quels sont les objectifs de qualité de l’eau pour ces paramètres radiologiques et quelles sont les options de conceptions qui peuvent être utilisées pour les atteindre?

 

Au bout du compte, l’absence d’une technologie de réacteur définitive a empêché l’évaluation d’options réalistes d’aménagement de l’installation et une évaluation plus détaillée des options de gestion des eaux pluviales. OPG a adopté la position selon laquelle les décisions concernant la gestion des eaux pluviales seraient prises au cours de la phase de conception détaillée du projet. Cette phase entraîne le report de l’examen des plans détaillés de gestion des eaux de pluie par le gouvernement et par le public jusqu’à l’examen de la CCSN prévu par règlement dans le cadre de l’étude d’une demande de permis de construction au titre de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires (la LSRN). Dans le contexte global des incidences potentielles du projet, EC estime que cette approche est acceptable compte tenu de l’application des meilleures pratiques de gestion (c’est-à-dire ce qu’OPG appelle les bonnes pratiques de gestion de l’industrie) et diverses mesures d’atténuation (comme le traitement) peuvent être mises en œuvre pour veiller à la protection de la qualité de l’eau dans des eaux qui reçoivent des déversements d’eaux pluviales.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[260]       EC a également présenté son évaluation des renseignements qu’OPG a fournis concernant le rejet de contaminants dans l’air. En ce qui a trait aux polluants atmosphériques conventionnels (c’est-à-dire non radiologiques), EC a fait l’observation suivante (à la page 41) :

[traduction]

 

OPG a utilisé une approche limitative pour des produits chimiques tels que l’hydrazine, l’ammoniaque, l’acide acétique, etc., en calculant au prorata les émissions de la CN de Darlington en comparant la capacité de production d’électricité existante et future à l’emplacement de Darlington. Même si ce calcul offrait un fondement numérique pour évaluer les effets, la validité de ces estimations ne pouvait pas être vérifiée pour le projet puisse que la conception détaillée n’était pas disponible.

 

Ces questions sont également traitées dans le rapport d’évaluation environnementale lui-même.

 

[261]       Au paragraphe 2.6, intitulé Gestion des déchets conventionnels et des déchets dangereux, la Commission mentionne que la principale utilisation des produits chimiques dangereux durant l’exploitation et la maintenance de l’installation du projet sera liée au traitement de l’eau, au circuit d’acide borique utilisé pour le contrôle de la réactivité dans les réacteurs à eau ordinaire et à l’utilisation de petites quantités de produits chimiques dangereux dans les laboratoires. La Commission souligne l’engagement d’OPG selon lequel les produits chimiques dangereux seraient gérés selon les principes du SIMDUT et selon lequel des précautions particulières seraient prises en ce qui a trait à l’acide borique qui est hautement corrosif pour l’acier au carbone. La Commission mentionne ce qui suit, comme je l’ai dit plus haut :

OPG n’a pas présenté de scénario limitatif en ce qui concerne le rejet de substances dangereuses pour le projet proposé. OPG a expliqué qu’elle n’envisageait pas de le faire avant qu’une technologie de réacteur ne soit sélectionnée.

 

[262]       Au paragraphe 5.3, intitulé Environnement des eaux de surface (dans le chapitre intitulé Évaluation des effets sur le milieu biophysique), la Commission mentionne que les effets les plus importants sur les eaux de surface se feraient sentir sur le lac Ontario, qui jouxte l’emplacement. Elle mentionne que même si la qualité des eaux de surface du lac Ontario se trouvant dans la zone d’étude satisfaisait généralement aux lignes directrices et aux objectifs fédéraux et provinciaux, il y a eu des dépassements sporadiques causés par des rejets dans le lac. OPG a identifié le cadmium, le cuivre, le plomb et le sélénium en tant que contaminants potentiellement préoccupants dans les sédiments du lac Ontario en se fondant sur des données de référence sur la qualité des sédiments indiquant que les concentrations dépassent les critères et les normes prévus dans la réglementation. OPG a relevé la présence de niveaux élevés de certaines autres substances sur les plans d’eau de surface (phosphore, nitrates, conductivité, sodium, aluminium, bore, cobalt, fer et zirconium). OPG impute ceci à l’utilisation de sel de voirie dans la région, du ruissellement provenant du site d’enfouissement existant et des applications d’engrais par les fermiers locaux. OPG a fourni les renseignements suivants concernant les effets probables du projet sur la qualité des eaux de surface :

OPG a indiqué qu’un certain nombre de contaminants s’introduiraient dans le milieu aquatique en raison de l’exploitation des réacteurs. Les rejets de contaminants radiologiques découleraient de l’exploitation du système de gestion des déchets radioactifs liquides. Des rejets thermiques et des contaminants conventionnels seraient rejetés par l’exploitation du circuit d’eau de refroidissement du condenseur, des circuits d’eau de service et des systèmes de refroidissement. OPG a également indiqué qu’on s’attend aussi à ce que les déversements d’eaux pluviales rejettent des constituants chimiques, en particulier au cours des étapes de préparation de l’emplacement et de construction. Le promoteur a indiqué que les contaminants provenant de ces différents systèmes seraient gérés à l’aide de traitements appropriés pour se conformer aux exigences réglementaires.

 

OPG a indiqué qu’à différentes étapes du projet, les travaux de construction menés le long de la rive du lac et au large auraient une incidence sur la qualité de l’eau, modifieraient les courants et les conditions des eaux de surface locales, et influeraient sur le transport des sédiments. OPG a de nouveau proposé des mesures telles que de bonnes pratiques de gestion de l’industrie et un contrôle des sédiments pour gérer et limiter les effets négatifs.

 

[…]

 

OPG a conclu que, compte tenu des mesures d’atténuation proposées, le projet ne produirait par d’effets nuisibles importants sur l’environnement des eaux de surface.

 

(Rapport d’évaluation environnementale, à la page 79; non souligné dans l’original.)

 

[263]       La Commission a fait état de plusieurs limites concernant ce qui pouvait être analysé compte tenu des renseignements fournis par OPG, mais a finalement conclu que le projet n’entraînerait pas d’effets négatifs importants sur l’environnement étant donné les engagements pris par OPG, les mesures d’atténuation et les contrôles réglementaires. 

 

[264]       En ce qui a trait aux limites, la Commission a mentionné ce qui suit (rapport d’évaluation environnementale, aux pages 79‑80) :

5.3.2 Évaluation de la Commission

 

En raison de l’approche limitative adoptée dans l’évaluation environnementale, le plan d’aménagement et les points de rejet précis dans le lac Ontario n’ont pas été définis. […]

 

[…]

 

Le promoteur n’a pas réalisé d’évaluation des scénarios limitatifs pour les effluents liquides conventionnels comportant la mise en œuvre de mesures d’atténuation. La Commission note qu’une telle évaluation aurait permis de confirmer les conclusions obtenues concernant les effets possibles des effluents liquides sur l’environnement.

 

OPG a fourni peu de renseignements sur les charges de polluants et de contaminants qui seraient introduites dans l’environnement des eaux de surface par le ruissellement des eaux de pluie. […]

 

En l’absence d’un choix de technologie de réacteur pour le projet, OPG n’a pas entrepris d’évaluation détaillée des effets des effluents liquides et de l’entraînement par les eaux de pluie dans l’environnement des eaux de surface. […]

 

[265]       En ce qui concerne les engagements d’OPG, les contrôles et les mesures d’atténuation, la Commission a mentionné ce qui suit (rapport d’évaluation environnementale, à la page 80) :

[…] [L]e promoteur s’est engagé à concevoir des installations de gestion des eaux pluviales conformément aux exigences du document intitulé Stormwater Management Planning and Design Manual (mars 2003), publié par le ministère de l’Environnement de l’Ontario. Cet engagement était appuyé par un engagement visant à développer un programme de suivi qui préciserait les paramètres à mesurer et la fréquence des échantillonnages. Compte tenu de ces engagements et des renseignements complémentaires fournis par le promoteur, la Commission est d’avis que les contrôles et les mesures d’atténuation adéquats seraient en place pour éviter que le projet n’entraîne d’effets nuisibles importants sur l’environnement des eaux de surface.

 

Et :

 

Le promoteur s’est […] engagé à gérer les rejets d’effluents liquides conformément aux exigences réglementaires applicables et à mettre en œuvre des pratiques de gestion exemplaires pour les eaux pluviales. Cette stratégie ne répond pas aux attentes des lignes directrices de l’EIE. Néanmoins, le personnel de la CCSN a indiqué qu’il existe des exemples d’application de limites réglementaires et de pratiques de gestion similaires dans d’autres installations nucléaires pour contrôler et minimiser les effets des rejets sur l’environnement des eaux de surface.

 

 

[266]       Compte tenu de cette analyse, la Commission a conclu comme suit sur ce point (rapport d’évaluation environnementale, à la page 80) :

La Commission est d’avis que le projet n’est pas susceptible d’entraîner des effets négatifs importants sur l’environnement étant donné les mesures d’atténuation proposées et les engagements pris par le promoteur, ainsi que les recommandations qui suivent.

 

 

[267]       La Commission a alors formulé plusieurs recommandations pertinentes, dont les suivantes :

Recommandation  14 :

 

La Commission recommande que, à la suite du choix d’une technologie de réacteur pour le projet, la Commission canadienne de sûreté nucléaire exige qu’OPG effectue une évaluation détaillée des rejets d’effluents prévus pour ce projet. L’évaluation doit comprendre, sans s’y limiter, la quantité, la concentration, les points de rejets et une description de leur traitement; elle doit aussi démontrer que l’option choisie constitue la meilleure technologie de traitement disponible et économiquement réalisable. La Commission canadienne de sûreté nucléaire doit aussi exiger qu’OPG effectue une évaluation des risques liés aux rejets résiduels anticipés du projet, afin de déterminer si d’autres mesures d’atténuation peuvent être nécessaires.

 

Recommandation 15 :

 

La Commission recommande qu’à la suite du début de l’exploitation des réacteurs, la Commission canadienne de sûreté nucléaire exige qu’OPG effectue une surveillance de l’eau ambiante et de la qualité des sédiments du milieu récepteur afin de s’assurer que les conséquences des rejets d’effluents sont conformes aux prédictions faites dans l’énoncé des incidences environnementales et à celles définies pendant la phase de conception détaillée.

 

Recommandation 16 :

 

La Commission recommande que, avant le début des travaux de construction, la Commission canadienne de sûreté nucléaire exige du promoteur qu’il établisse les critères des tests de toxicité et fournisse la méthodologie et la fréquence des tests qui serviront à confirmer que les eaux pluviales déversées par la nouvelle centrale nucléaire respectent les exigences de la Loi sur les pêches.

 

[268]       Le gouvernement du Canada a accepté les recommandations 14 et 15, de même qu’il a accepté l’intention de la recommandation 16, tout en déclarant qu’il appuierait également une telle approche à l’égard des effluents de transformation.

 

[269]       La Commission, au paragraphe 5.5, intitulé Milieu terrestre, a également traité des effets potentiels concernant les matières dangereuses conventionnelles. Elle a repris les renseignements mentionnés plus haut concernant l’incapacité d’OPG de fournir des détails concernant les produits chimiques qui seraient entreposés et utilisés sur l’emplacement jusqu’au choix d’une technologie de réacteur. La Commission a alors souligné la contribution du personnel de la CCSN et d’Environnement Canada (rapport d’évaluation environnementale, à la page 95) :

[…] Le personnel de la CCSN a indiqué que la réponse d’OPG était acceptable « sous condition » en se fondant sur son examen des évaluations des risques écologiques précédemment menées au complexe nucléaire, sur une évaluation des pratiques actuelles en matière de gestion des produits chimiques dangereux à la centrale nucléaire existante de Darlington, et sur le besoin d’une évaluation complète des rejets dangereux.

 

Environnement Canada a résumé les exigences liées à la présence de substances dangereuses dans toute installation au Canada. En vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (L.C. 1999, ch. 33), Environnement Canada devrait évaluer s’il existe des substances dont les quantités sont égales ou supérieures aux seuils spécifiés obligeant le promoteur à informer le public et à préparer des plans d’urgence. Selon les circonstances, Environnement Canada évaluerait la dispersion de la substance, l’élaboration d’une stratégie d’intervention, les priorités en matière de nettoyage, le prélèvement d’échantillons et les exigences en matière de surveillance. Environnement Canada a informé la Commission que l’ammoniac et l’hydrazine devraient être évalués une fois qu’une technologie de réacteur aura été choisie.

 

[270]       La Commission a conclu que le projet n’était pas susceptible de produire des effets environnementaux négatifs importants sur le milieu terrestre pourvu que les mesures d’atténuation proposées et ses recommandations soient mises en œuvre. Elle a de plus formulé la recommandation suivante :

Recommandation 26 :

 

La Commission recommande que la Commission canadienne de sûreté nucléaire exige qu’OPG mette au point une évaluation complète des rejets de substances dangereuses, ainsi que les mesures nécessaires à la gestion des produits chimiques dangereux qui se trouvent sur le site du projet, conformément à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, une fois qu’une technologie de réacteur aura été choisie.

 

[271]       Ainsi, dans l’ensemble, en l’absence de scénario limitatif en ce qui a trait à l’utilisation de substances dangereuses dans le cadre du projet, à leur stockage et à leur rejet, la Commission s’appuie sur une évaluation selon laquelle divers engagements, recommandations et contrôles réglementaires veilleront à ce que le projet ne produise pas d’effets négatifs importants sur le milieu terrestre et l’environnement des eaux de surface.

 

[272]       Il se peut très bien que la conclusion soit raisonnable. La question consiste toutefois à savoir si elle respecte les obligations de la Commission de prendre en compte les effets environnementaux du projet et leur importance (la LCEE, aux alinéas 16(1)a) et b)), de veiller à l’obtention des renseignements nécessaires à l’évaluation environnementale du projet et de veiller à ce que le public y ait accès (la LCEE, à l’alinéa 34a)), d’établir un rapport assorti de sa justification, de ses conclusions et recommandations relativement à l’évaluation environnementale du projet (la LCEE, à l’alinéa 34c)), et, comme la jurisprudence et le régime de la Loi l’indiquent clairement, de veiller à ce que ceux qui sont tenus de prendre des décisions en vertu de l’article 37 disposent d’une preuve appropriée. Pour répéter ce qui est énoncé plus haut, en raison de son rôle particulier à l’intérieur du régime législatif, une commission d’examen est tenue de faire plus qu’examiner la preuve et tirer une conclusion raisonnable. Elle doit fournir une analyse et une justification suffisantes pour permettre aux décideurs prévus à l’article 37 de faire la même chose, en fonction d’un plus large éventail de considérations scientifiques et d’intérêt public. On pourrait dire que l’élément « justification de la décision, [...] transparence et [...] intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Khosa, précité, au paragraphe 59) prend une importance accrue dans le présent contexte.

 

[273]       En l’espèce, il est fait référence à des engagements pris par OPG pour respecter des exigences prévues par la loi et les règlements ou des normes de qualité applicables qui ne sont pas précisées, et pour appliquer de bonnes pratiques de gestion. Il est fait référence à des textes qui peuvent contenir ou non des normes ou des seuils pertinents compte tenu des renseignements dont dispose la Cour (par exemple, le document ontarien intitulé Stormwater Management Planning and Design Manual, mars 2003). Enfin, il est fait référence à des seuils ou à des normes prévus dans des textes législatifs (par exemple, la Loi sur les pêches, la Loi canadienne sur la protection de l’environnement) qui ne sont pas accompagnés de renseignements précis sur la façon dont ils sont pertinents en ce qui a trait aux effets du projet, la façon dont ils les limiteront ou les contrôleront.

 

[274]       Il convient de souligner que la Commission elle-même a conclu qu’en ce qui a trait aux rejets d’effluents liquides, la « stratégie [d’OPG] ne répond pas aux […] lignes directrices de l’EIE » (rapport d’évaluation environnementale, à la page 80), et « l’évaluation des effets environnementaux potentiels [par la Commission] était qualitative à de nombreux égards étant donné qu’elle était menée sans connaissance spécifique des rejets potentiels » (rapport d’évaluation environnementale, à la page 47). Les observations d’Environnement Canada sont du même ordre en ce qu’il n’y avait pas suffisamment de renseignements pour évaluer les effets potentiels des effluents liquides ou du ruissellement des eaux pluviales provenant du projet pendant l’évaluation environnementale. Le rapport d’évaluation environnementale ne contient rien qui contredit ces observations. La Commission a plutôt décidé que malgré cela, il était possible de conclure que le projet n’était pas susceptible d’entraîner des effets négatifs importants compte tenu des engagements pris par le promoteur, des mesures d’atténuation et des contrôles réglementaires.

 

[275]       Essentiellement, la Commission prend un raccourci en passant par-dessus l’évaluation des effets, qui se rapporte à leur importance ou à leur vraisemblance, pour aller directement à l’examen des mesures d’atténuation. Cela est contraire à l’approche que la Commission déclare avoir adoptée (voir le rapport d’évaluation environnementale, à la page 47) et soulève un doute quant à la question de savoir si la Commission a réellement pris en compte les effets du projet à cet égard.

 

[276]       À mon avis, un tel raccourci pourrait être permis dans les cas où une norme ou un seuil clair peut servir d’indicateur des effets réels. Dans un tel cas, les décideurs prévus à l’article 37 peuvent évaluer la norme ou le seuil comme mesure de « l’importance » des effets potentiels et peuvent évaluer la probabilité que la norme sera appliquée (par exemple, peut-elle être appliquée, est‑elle sous leur contrôle ou est-elle appliquée régulièrement?) comme mesure de la probabilité de la survenance d’effets négatifs importants. La présente affaire offre plusieurs exemples.

 

[277]       Par exemple, les participants aux audiences de la Commission ont fait remarquer que l’Ontario Drinking Water Advisory Council avait recommandé que l’Ontario abaisse sa norme de qualité de l’eau potable pour le tritium, une substance radioactive, à environ un 350e de son niveau actuel (de 7 000 becquerels par litre (Bq/l) à 20 Bq/l) (voir le rapport d’évaluation environnementale, à la page 35). Certains participants ont soutenu que les effets du projet devraient être évalués en fonction de cette norme plus stricte. À mon avis, il s’agit d’une question qui concerne non seulement la preuve scientifique, mais également « le niveau de protection contre le risque que choisit la société ». La Commission a examiné la preuve concernant l’exposition au tritium dans l’eau potable et, s’appuyant sur l’approche de précaution, a recommandé que la CCSN « exige qu’OPG adopte des mesures de gestion des rejets du projet afin d’éviter que les niveaux de tritium dans l’eau potable ne dépassent une moyenne annuelle courante de 20 Bq/l dans les usines d’approvisionnement en eau potable situées dans la zone d’étude régionale. » Dans sa réponse approuvée par le Cabinet, le gouvernement du Canada avait une opinion différente. Il a accepté « l’intention de la recommandation de protéger l’eau potable », mais a précisé que « toute limite imposée devrait être conforme aux normes en matière de tritium mises en place par les autorités réglementaires. » Ainsi, les délibérations concernant le seuil approprié ont servi d’indicateur approprié pour l’importance des effets négatifs potentiels et le contrôle de cet aspect du projet par la CCSN sert d’indicateur de « probabilité ».

 

[278]       De même, en ce qui a trait au transport de marchandises dangereuses, la Commission a mentionné les limites réglementaires pertinentes (un débit de dose maximal à la surface d’un emballage de 2 millisieverts par heure au contact et à 0,1 millisievert par heure à une distance d’un mètre), et a tiré la conclusion explicite suivante :

En se fondant sur les renseignements présentés par Transports Canada et le personnel de la CCSN, la Commission est d’avis que le transport des marchandises dangereuses est suffisamment réglementé en vertu de la Loi de 1992 sur le Transport des marchandises dangereuses et le Règlement sur l’emballage et le transport des substances nucléaires pris en application de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires pour protéger la santé et la sécurité des personnes et l’environnement. La Commission conclut par conséquent que le transport des marchandises dangereuses n’est pas susceptible d’entraîner des effets négatifs importants sur l’environnement.

 

(Rapport d’évaluation environnementale, à la page 140)

 

[279]       À d’autres égards, une analyse des effets potentiels a été menée en fonction de données préliminaires ou de base qui doivent être vérifiées ou complétées par d’autres études ou analyses (voir par exemple le paragraphe 5.9.1, intitulé Risques et effets géotechniques et sismiques, et diverses recommandations concernant les effets du projet sur les poissons et leur habitat). Voilà l’objet des programmes de suivi au sens du paragraphe 2(1), mais comme le présent jugement le mentionne ailleurs, de tels programmes ne doivent pas être utilisés en l’absence de données de base ou de seuils.

 

[280]       À mon avis, il est possible de faire une distinction conceptuelle entre les situations à l’égard desquelles la Commission, malgré certaines incertitudes, conclut que des effets environnementaux négatifs importants sont susceptibles de survenir :

a)      lorsqu’elle s’appuie sur une norme ou une pratique ou la probabilité selon laquelle les structures réglementaires pertinentes garantiront son respect;

 

b)      lorsqu’elle exprime sa confiance que les structures réglementaires permettront de gérer les effets du projet au fil du temps.

 

[281]       La difficulté que soulève le deuxième aspect est qu’il peut miner l’intention du législateur en ce qui concerne qui détermine le niveau d’incidences environnementales acceptables d’un projet. Autrement dit, il peut court‑circuiter le processus en deux étapes en vertu duquel un organisme spécialisé évalue la preuve concernant les effets probables d’un projet et des décideurs politiques évaluent la question de savoir si le niveau d’incidence est acceptable compte tenu des considérations de politique, notamment « le niveau de protection contre le risque que choisit la société ».

 

[282]       Cela n’exclut pas la possibilité qu’une évaluation plus « qualitative » de ces faits et de leur importance soit plus appropriée dans certains cas. Il se peut que certains effets soient difficiles à quantifier même lorsque des renseignements fiables sont disponibles. Toutefois, le rapport d’évaluation environnementale ne mentionne aucune évaluation qualitative des effets des émissions de substances dangereuses. À mon avis, ce que reflète le rapport est une évaluation qualitative des mesures d’atténuation qui seront disponibles pour gérer et contrôler ces effets. À cet égard, le rapport ne respecte pas pleinement les exigences de la LCEE.

 

Prise en compte du combustible nucléaire épuisé

[283]       Voici ce que soutiennent les demanderesses dans leur mémoire :

[traduction]

 

53.       Même si le combustible nucléaire épuisé nécessitera un stockage à long terme et qu’il devra être surveillé pendant des milliers d’années à titre de matière dangereuse, la [Commission] a omis d’effectuer une évaluation des effets de la gestion des déchets rétroactifs avant de tirer une conclusion concernant l’importance des effets négatifs du projet sur l’environnement. Plus particulièrement, la [Commission] a commis une erreur de droit en omettant d’examiner la question de savoir si les déchets radioactifs du projet entraîneront des effets environnementaux négatifs importants et s’il existe des mesures réalisables sur les plans technique et économique qui pourraient atténuer les effets environnementaux négatifs importants découlant du projet conformément à l’alinéa 16(1)d) de la LCEE.

 

54.       La [Commission] a conclu que les déchets radioactifs produits par le projet pourraient entraîner des effets cumulatifs importants « liés aux doses reçues par les travailleurs, le public et l’environnement s’ils ne sont pas gérés de façon adéquate advenant qu’ils doivent rester en permanence sur place ». La [Commission] a également reconnu l’existence de plusieurs lacunes importantes concernant les renseignements sur la gestion à long terme des déchets radioactifs. Plutôt qu’exiger qu’OPG fournisse ces renseignements à l’audience, la [Commission] a simplement recommandé la réalisation d’études et d’analyses futures. La [Commission] a commis une erreur en omettant d’évaluer les effets environnementaux des déchets radioactifs et par conséquent, elle ne disposait d’aucun fondement factuel pour conclure que « les déchets radioactifs et les déchets de combustible nucléaire épuisé ne sont pas susceptibles d’entraîner des effets négatifs importants sur l’environnement ».

 

[284]       L’affidavit de Stensil mentionne des rapports que Greenpeace Canada a présentés à la Commission à ce sujet. Un premier rapport était daté de septembre 2010 et est intitulé Rock Solid? A scientific review of geological disposal of high-level radioactive waste. Il a été commandé par Greenpeace International et rédigé par Helen Wallace de GeneWatch UK (dossier des demanderesses, volume 2, onglet F1 [le rapport GeneWatch]). L’autre rapport était daté de mai 2010 et a été rédigé par Marvin Resnikoff, Ph. D., Jackie Travers et Ekaterina Alexandrova de Radioactive Waste Management Associates, sous le parrainage de Greenpeace Canada. Ce rapport s’intitule The Hazards of Generation III Reactor Fuel Wastes: Implications for Transportation and Long-Term Management of Canada’s Used Nuclear Fuel (dossier des demanderesses, volume 2, onglet F3 [le rapport Resnikoff])

 

[285]       L’affidavit de Brennain Lloyd, coordonnateur de projets à Northwatch, porte également sur cette question et mentionne que trois rapports commandés par Northwatch, tous datés du 21 février 2011, ont été présentés à la Commission le 29 mars 2011 (affidavit de Lloyd, dossier des demanderesses, volume 7, onglet 6, au paragraphe 30; transcription de l’audience, dossier des demanderesses, volume 7, onglet K, aux pages 11-85).

 

[286]       Selon la thèse centrale du rapport Resnikoff, le combustible épuisé des conceptions de réacteurs envisagées pour le projet sera plus difficile à gérer que les déchets nucléaires provenant des centrales nucléaires existantes au Canada et aucun plan adéquat n’est en place pour gérer ces déchets. Le rapport indique que contrairement à tous les réacteurs CANDU exploités au Canada, qui utilisent de l’uranium naturel comme combustible, tous les réacteurs envisagés pour le projet utilisent de l’uranium enrichi comme combustible (ceci ne serait pas le cas pour la conception du réacteur EC 6 ajoutée plus tard). Selon le rapport Resnikoff, les déchets de combustible provenant de ces réacteurs seront deux à 158 fois plus radioactifs que les déchets produits par les réacteurs CANDU existants, contiendront des niveaux plus élevés de radionucléides dangereux de longue durée de vie, comme l’américium, le curium et le plutonium (bien que le combustible épuisé sera moindre par poids), et prendront beaucoup plus de temps (2,6 millions d’années en comparaison d’environ un million d’années) pour décroître à des niveaux de radioactivité équivalant à ceux de l’uranium naturel. En bref, le rapport indique que le combustible épuisé sera plus dangereux et plus difficile et plus coûteux à gérer. À la page 22, le rapport insiste sur ce qui suit :

[traduction]

 

Le passage proposé aux conceptions de réacteurs de troisième génération qui utilisent du combustible nucléaire enrichi et dont la combustion du combustible est plus élevée mènera à la production de combustible nucléaire épuisé qui est beaucoup plus dangereux que le combustible provenant des réacteurs de deuxième génération.

 

Dans son évaluation environnementale de la construction de nouveaux réacteurs à Darlington, OPG n’a pas analysé les dangers liés au transport à un dépôt centralisé et à la gestion à long terme du combustible nucléaire épuisé de troisième génération, puisque suivant son hypothèse, toute installation hors site « serait assujettie à son propre processus d’approbation ». Étant donné que la gestion adaptative progressive de la SGDN à l’égard d’un dépôt géologique en profondeur centralisé se limite aux stocks prévus de combustible nucléaire épuisé de réacteurs de deuxième génération au Canada, l’ajout des déchets de réacteurs de troisième génération au dépôt ne relève pas de la portée de la gestion adaptative progressive de la SGDN. Si la construction de nouveaux réacteurs par OPG se poursuit comme prévu à l’emplacement de Darlington, alors des réacteurs de troisième génération, qui n’ont pas encore fait l’objet d’essais ni n’ont été exploités à quelque endroit dans le monde, pourront être exploités au Canada sans aucune analyse des dangers et des incidences de leurs déchets de combustible nucléaire épuisé.

 

L’ajout du combustible nucléaire épuisé de troisième génération dont la combustion est plus élevée créera des risques accrus pour l’environnement et la santé humaine à toutes les étapes du processus de gestion adaptative progressive, de l’exploitation des réacteurs à la surveillance à long terme du combustible nucléaire épuisé placé dans le dépôt géologique en profondeur. Le combustible nucléaire épuisé des réacteurs de troisième génération aura une incidence non seulement sur le coût de construction et la taille du dépôt géologique en profondeur, mais également sur le stockage temporaire et le transport du combustible nucléaire épuisé. Puisque le combustible nucléaire dont la combustion est plus élevée contient des stocks plus élevés de radionucléides, les dangers pour la santé créés pour les travailleurs qui le manipulent, de même que pour la population qui réside le long des routes de transport ou dans le voisinage du dépôt géologique en profondeur, seront également grandement touchés.

 

[287]       Le rapport Resnikoff décrit ensuite plus en détail les opinions des auteurs selon lesquelles l’utilisation d’un combustible dont la combustion est plus élevée crée des dangers supplémentaires au cours de l’exploitation (à la page 23), au cours du stockage temporaire, dont la durée peut être beaucoup plus longues (aux pages 24-25), pendant le transport (aux pages 26‑28) et pendant toute élimination à long terme future dans un dépôt géologique (aux pages 29‑33). De l’avis des auteurs, tous ces éléments rendent les estimations d’OPG très incertaines et conjecturales en ce qui a trait à la gestion du combustible (à la page 34).

 

[288]       Le rapport Resnikoff indique que ce type de déchets se situe à l’extérieur des paramètres des études déjà réalisées ou des études prévues de la Société de gestion des déchets nucléaires (la SGDN), un organisme financé par l’industrie auquel la loi a donné le mandat de gérer les déchets de combustible nucléaire au Canada. Le rapport indique de plus que ce type de déchets nécessitera des techniques qui n’ont pas encore été éprouvées. Le rapport insiste sur le fait que la planification actuelle de la SGDN englobe seulement le combustible épuisé prévu provenant des réacteurs existants. Le rapport Resnikoff cite un rapport du Conseil consultatif de la SGDN qui indique que tout nouveau développement de l’énergie nucléaire qui créerait une quantité supplémentaire de combustible épuisé ou un différent type de combustible épuisé (en raison de l’enrichissement) « devrait déclencher une révision des travaux accomplis jusqu’ici par la SGDN » et devrait comporter « un vaste débat public sur la politique du Canada avant de prendre une décision au sujet du développement futur de l’énergie nucléaire » (rapport Resnikoff, à la page 8).

 

[289]       Le rapport Resnikoff indique également que la [traduction] « combustion » plus élevée du combustible dans les réacteurs de troisième génération crée de nouveaux défis pour l’exploitation sécuritaire de ces réacteurs et, en cas d’accident, entraînera des répercussions accrues sur l’environnement et la santé humaine. Puisque tous les réacteurs envisagés sont des [traduction] « prototypes non éprouvés », le rapport souligne l’absence de preuve empirique pour appuyer les prétentions en matière de sécurité.

 

[290]       Outre les préoccupations en matière de faisabilité et de sécurité, le rapport Resnikoff soulève une préoccupation selon laquelle la toxicité plus élevée et la durée de vie plus longue des déchets radioactifs provenant du projet augmenteront les coûts de gestion des déchets radioactifs à court, moyen et long terme et qu’en l’absence d’une évaluation appropriée de ces coûts, le projet imposera un fardeau financier injuste aux contribuables, aux consommateurs d’électricité et aux générations futures.

 

[291]       Le rapport GeneWatch présente une analyse documentaire d’articles publiés dans des revues scientifiques concernant le concept de stockage souterrain à long terme (c’est-à-dire un dépôt situé dans une formation géologique) de déchets très radioactifs. Il souligne plusieurs incertitudes et phénomènes qui pourraient, de l’avis de l’auteur, mettre en péril les barrières de confinement de telles installations et entraîner des rejets significatifs de radioactivité. Selon ce rapport, jusqu’à ce que ces difficultés puissent être résolues, plusieurs scénarios existent selon lesquels un important rejet de radioactivité provenant d’un dépôt en profondeur pourrait survenir, entraînant des répercussions graves pour la santé et la sécurité de générations futures.

 

[292]       En ce qui concerne les observations des défendeurs, OPG traite de cette question très directement aux paragraphes 67‑71 de son mémoire. OPG renvoie aux paragraphes 240‑241 et 245‑248 de l’affidavit de Laurie Swami (dossier des défendeurs (OPG), volume 1, onglet A, aux pages 58‑59 [affidavit de Swami]). À son tour, l’affidavit de Swami renvoie aux pages 2‑8, 2‑17 et 13‑11, ainsi qu’au paragraphe 2.4.3 du document des membres de la Commission (extrait à la pièce 82 de l’affidavit de Swami) et à la transcription des audiences du mardi 29 mars 2011, en matinée, alors que la question de la gestion des déchets radioactifs était abordée. Un représentant d’OPG a fait une présentation, des personnes liées à Northwatch ont fait des présentations et des membres de la Commission ont posé des questions aux représentants d’OPG, de la CCSN, de la SGDN et aux présentateurs de Northwatch.

 

[293]       Les extraits tirés de l’EIE et du document des membres de la Commission confirment que l’EIE d’OPG et ses réponses aux demandes d’information n’ont pas traité de la question de la gestion et de l’entreposage à long terme du combustible nucléaire épuisé en profondeur. OPG a plutôt adopté la position que l’élaboration et la mise en œuvre d’une approche de gestion à long terme du combustible épuisé incombaient à la SGDN et que cette approche de gestion était assujettie à un processus fédéral d’approbation distinct (EIE, à la page 2‑8). Il n’y avait aucune mention de l’approche proposée par la SGDN, des études et des approbations réglementaires qui avaient été obtenues ou réalisées ou non ni de la question de savoir si le combustible épuisé provenant de réacteurs utilisant de l’uranium enrichi susciterait des difficultés supplémentaires. La description de la gestion sur place (temporaire) du combustible épuisé était de nature générale, puisque chaque type de réacteur comporte les moyens de stockage qui lui sont propres (document des membres de la Commission, à la page 22, dossier des défendeurs (OPG), à la page 4146). OPG a cependant indiqué dans l’EIE que [traduction] « [l]’évaluation des effets a montré que toutes les formes envisagées de stockage à sec du combustible épuisé seront acceptables d’un point de vue environnemental » (EIE, à la page 13‑11).

 

[294]       À l’audience devant la Commission, les discussions ont porté sur des questions concernant la faisabilité et les risques liés à un dépôt situé dans une formation géologique en profondeur et la question de savoir s’il serait possible de stocker et de gérer le combustible épuisé à l’emplacement de Darlington pendant une période beaucoup plus longue que la durée de vie d’exploitation des réacteurs, peut‑être pendant des centaines d’années, si un tel dépôt n’était pas disponible. Selon mon interprétation des transcriptions, il y avait de très nombreuses divergences d’opinions sur ces questions et il serait difficile de tirer des conclusions fermes fondées uniquement sur les renseignements présentés et discutés à l’audience.

 

[295]       Sur la question de savoir si OPG serait en mesure de gérer les déchets indéfiniment ou pendant des centaines de milliers d’années, si cela se révélait nécessaire, au bout du compte, OPG a indiqué qu’il s’agissait du sujet que le gouvernement du Canada avait demandé à la SGDN d’étudier (voir les transcriptions, aux pages 164-165, dossier des défendeurs (OPG), aux pages 4135‑4136, réponse de Mme Herminia Roman, Ph. D.).

 

[296]       Il a été confirmé à l’audience devant la Commission qu’OPG continuera d’être chargée de la gestion du combustible épuisé jusqu’à ce que celle‑ci soit transférée à un autre titulaire de permis ou de licence (c’est-à-dire la SGDN) pour s’en occuper. Même si OPG demeurera la [traduction] « propriétaire » des déchets à perpétuité, le personnel de la CCSN a souligné que la propriété ne constituait pas un critère pertinent en ce qui concerne la responsabilité de la gestion des déchets et leur sécurité. La question est plutôt de savoir quel titulaire de permis ou de licence exerce un contrôle sur les déchets (transcriptions à la page 127, dossier des défendeurs (OPG), à la page 4098, réponse de Barclay Howden, CCSN, aux lignes 8‑16).

 

[297]       À mon avis, le dossier confirme que la question de la gestion et du stockage à long terme du combustible nucléaire épuisé que produira le projet n’a pas fait l’objet d’un examen suffisant. Le processus fédéral distinct d’approbation concernant une éventuelle installation de la SGDN, et qui n’a pas encore été entrepris (voir les transcriptions, à la page 99, dossier des défendeurs (OPG), à la page 4070, réponse de Barclay Howden, CCSN, aux lignes 9‑12), veillera vraisemblablement à ce qu’une telle installation ne soit pas construite si elle n’est pas sécuritaire et si elle ne veille à pas la protection de l’environnement. Toutefois, la décision à propos de la création de ces déchets est un aspect du projet qui devrait être présenté aux décideurs prévus à l’article 37 et ces derniers devraient disposer d’un dossier adéquat en ce qui a trait à la gestion des déchets à long terme et à ce qui est connu et à ce qui n’est pas connu à cet égard.

 

[298]       La question du transport du combustible nucléaire épuisé a également été discutée à l’audience devant la Commission et il peut s’agir d’une question qui nécessitera un examen plus approfondi de la part de la Commission lorsque celle-ci étudiera la question de la gestion à long terme du combustible nucléaire épuisé provenant du projet.

 

[299]       Le rapport d’évaluation environnementale discute de la gestion du combustible nucléaire épuisé dans plusieurs paragraphes, notamment le paragraphe 2.5.3, intitulé Gestion des déchets (dans Méthodes de rechange pour la réalisation du projet), le paragraphe 3.3, intitulé Aperçu des observations formulées par le public lors de l’audience, le paragraphe 4.6.6, intitulé Déclassement et abandon, et le paragraphe 6.8, intitulé Gestion des déchets (dans Analyse du milieu humain).

 

[300]       OPG a expliqué que la gestion du combustible épuisé était un processus en deux étapes, comportant le stockage humide pour le refroidissement initial, qui dure environ dix ans, suivi du stockage à sec. À l’exception de la conception du réacteur EC 6, chacune des technologies de réacteur envisagées nécessitera l’utilisation de combustible enrichi, contrairement aux réacteurs CANDU actuellement exploités au Canada qui utilisent de l’uranium naturel comme combustible. Ceci « ajoute des éléments aux exigences en matière de contrôle des risques de criticité pour le stockage ainsi que des problèmes de charge thermique potentiels pour le stockage à sec et la gestion à long terme définitive. » La Commission souligne que « le traitement pourrait exiger certaines modifications » suivant la technologie de réacteur choisie « en raison des dimensions du nouveau combustible, de la combustion nucléaire plus importante et de la charge thermique. » Il est prévu que le stockage temporaire ait lieu sur place et que des conteneurs spécifiques choisis pour le stockage à sec « seraient choisis pour s’adapter à la technologie de réacteur choisie et que leur fonction serait autorisée avant de les utiliser » (rapport d’évaluation environnementale, aux pages 21‑22).

 

[301]       Aux fins de la planification, OPG a formulé l’hypothèse voulant que seuls 50 % du combustible épuisé nécessiteraient un stockage temporaire sur place, soulignant que la gestion à long terme du combustible épuisé relevait de la responsabilité de la SGDN. OPG a supposé qu’un dépôt pour la gestion à long terme du combustible nucléaire épuisé serait en service d’ici environ 2035 et que tout le combustible épuisé serait retiré de l’installation de gestion de déchets de Darlington pour aller au dépôt au plus tard en 2064. En ce qui a trait aux besoins d’espace, OPG a indiqué qu’il y aurait suffisamment d’espace sur l’emplacement de Darlington pour entreposer à perpétuité l’ensemble du combustible épuisé provenant du projet, advenant que le dépôt pour la gestion à long terme du combustible nucléaire épuisé ne soit pas en service (rapport d’évaluation environnementale, aux pages 22‑23). En ce qui a trait aux aspects techniques, le rapport d’évaluation environnementale indique ce qui suit :

Les principaux aspects techniques qui auraient besoin d’être pris en considération pour les combustibles nucléaires épuisés des réacteurs du projet dans le dépôt de la Société de gestion des déchets nucléaires sont les effets causés par la configuration physique différente, l’effet de la combustion nucléaire plus importante, l’effet de l’enrichissement initial plus élevé et la capacité du dépôt à traiter le combustible supplémentaire.

 

(Rapport d’évaluation environnementale, à la page 22.)

 

[302]       La Commission a souligné les préoccupations exprimées par de nombreux participants à l’audience concernant l’approche proposée :

De nombreux participants ont exprimé des préoccupations à propos de la gestion à long terme des déchets nucléaires produits par le projet, en particulier le combustible usé. Des participants étaient d’avis qu’OPG n’avait pas traité de façon adéquate de nombreuses questions liées à la gestion à long terme des déchets de combustible nucléaire et ont fait remarquer qu’aucune solution éprouvée n’avait encore été mise au point par l’industrie nucléaire pour l’élimination du combustible nucléaire usé. Des participants étaient d’avis qu’il ne faudrait pas produire d’autres déchets nucléaires jusqu’à ce qu’une solution adéquate soit trouvée.

 

De nombreux participants étaient d’avis que le combustible usé constituerait un fardeau pour les générations futures étant donné qu’il nécessiterait un stockage et une surveillance à long terme durant toute la durée de vie en tant que substance dangereuse, ce qui pourrait prendre des milliers d’années. À cet égard, des participants estimaient que le stockage à long terme du combustible usé du projet n’avait pas été correctement évalué.

 

Des participants ont fait remarquer que, bien que la responsabilité de la gestion à long terme des déchets de combustible épuisé au Canada ait été assignée à la Société de gestion des déchets nucléaires par le gouvernement fédéral dans le cadre de la Loi sur les déchets de combustible nucléaire (L.C. 2002, ch. 23), l’approche visant la gestion adaptative progressive adoptée par la société a été conçue pour s’appliquer à la flotte de centrales nucléaires [sic] existante [sic] et ne tient pas compte du combustible usé provenant de nouveaux réacteurs.

 

[…]

 

A [sic] l’opposé de ces points de vue, certains participants étaient d’avis qu’OPG a démontré que le combustible usé a été géré de manière sécuritaire dans ses installations de gestion des déchets existantes et espéraient qu’une solution serait finalement trouvée pour les déchets. D’autres participants étaient d’avis que le combustible usé pourrait être retraité pour être utilisé comme combustible par les générations futures dans de nouvelles technologies de réacteurs.

 

(Rapport d’évaluation environnementale, à la page 34.)

 

[303]       Dans le contexte de l’examen de la phase de déclassement du projet, la Commission déclare ce qui suit concernant la gestion du combustible nucléaire épuisé :

 

La Commission est d’avis que le plan préliminaire de déclassement devra refléter le fait qu’aucune solution n’a été mise en œuvre à ce jour pour la gestion à long terme du combustible épuisé. La Commission reconnaît que le plan préliminaire de déclassement devrait être mis à jour conformément aux exigences de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires et des règlements connexes.

 

(Rapport d’évaluation environnementale, à la page 64.)

 

[304]       L’évaluation de la Commission concernant l’approche que proposait OPG à l’égard de la gestion du combustible nucléaire épuisé et ses effets sur l’environnement se trouve principalement au paragraphe 6.8, intitulé Gestion des déchets (dans Analyse du milieu humain). La Commission a relevé les observations d’OPG sur la question, notamment les suivantes :

OPG a indiqué que l’enveloppe des paramètres de la centrale comprenait des renseignements sur les différences de conception liées au combustible requis par les différentes technologies de réacteurs. OPG a noté que ces différences de conception nécessiteraient des dispositions différentes pour le stockage à sec, en particulier en cas d’utilisation de combustible d’uranium enrichi. OPG a en outre noté que les exigence [sic] de conception de chaque type de réacteur permettraient d’assurer la sûreté en matière de criticité et le refroidissement adéquat du stockage à sec du combustible nucléaire.

 

Lors de l’audience, OPG a confirmé que les doses de rayonnement découlant des activités de gestion du combustible épuisé n’entraîneraient pas d’effets négatifs importants pour les travailleurs et le public. Le promoteur a également confirmé que, au besoin, le combustible épuisé pourrait être chargé dans un nouveau conteneur de stockage à sec en cas de dommage ou de détérioration due [sic] au vieillissement d’un conteneur existant. OPG a indiqué que ceci pourrait être effectué sans aucun effet négatif important dans les piscines de manutention du combustible des réacteurs. Le promoteur a indiqué que les silos de stockage à sec seraient robustes et résisteraient à des charges d’impact à haute énergie sans rejet des éléments du combustible nucléaire épuisé.

 

[305]       La Commission a ensuite présenté sa propre évaluation, déclarant ce qui suit :

En se fondant sur l’évaluation réalisée par le personnel de la CCSN, la Commission accepte la conclusion selon laquelle les mesures décrites pour la gestion sur place des déchets radioactifs de faible et de moyenne activité, des déchets de combustible nucléaire épuisé, des déchets conventionnels et des autres déchets dangereux assureront que cette activité n’entraîne pas d’effets négatifs importants sur l’environnement, compte tenu des mesures d’atténuation et des contrôles établis pour la gestion des déchets.

 

(Rapport d’évaluation environnementale, à la page 141; non souligné dans l’original.)

 

[306]       La Commission souligne que l’hypothèse d’OPG concernant le déplacement du combustible épuisé vers une installation hors site dépend du résultat d’une initiative entreprise par la SGDN. La Commission a conclu que « la disponibilité du dépôt proposé pour le combustible nucléaire usé pourrait être retardée à cause d’un certain nombre de facteurs ». Notamment, « [i]l pourrait être difficile d’obtenir une collectivité hôte consentante, un emplacement acceptable d’un point de vue géotechnique, l’approbation réglementaire […], l’acceptation de l’installation par le public, ou l’acceptation par le public des conditions relatives au transport du combustible épuisé vers le dépôt » (rapport d’évaluation environnementale, à la page 141). Compte tenu de ce qui précède, la Commission a conclu qu’il conviendrait de prendre des mesures pour assurer le stockage du combustible épuisé sur place durant une période plus longue que celle prévue par OPG. La Commission a par conséquent formulé la recommandation suivante :

Recommandation 52 :

 

La Commission recommande que, avant la construction, la Commission canadienne de sûreté nucléaire exige qu’OPG prévoie des dispositions pour l’entreposage sur place de tout combustible nucléaire utilisé pendant la durée du projet, au cas où une solution adéquate de gestion à long terme hors site du combustible nucléaire usé ne puisse être trouvée.

 

[307]       Bien que la Commission mentionne la possibilité de retards en ce qui a trait à la disponibilité d’un dépôt hors site, elle ne mentionne aucunement ici les répercussions de l’utilisation de combustible nucléaire enrichi. Cependant, si les demanderesses voient juste, et les défendeurs n’ont fait valoir aucun renseignement contraire, la SGDN n’a fait aucune évaluation du caractère convenable ou de la disponibilité d’un dépôt géologique en profondeur, ou plus généralement son approche adaptative progressive, pour ce type de déchets de combustible. En effet, les demanderesses soutiennent qu’aucune planification n’a été réalisée à l’égard du combustible nucléaire épuisé au-delà de ce qui existe déjà et de ce que l’on prévoit qui sera produit par les réacteurs CANDU existants au cours du reste de la durée d’utilisation prévue.

 

[308]       La Commission a souligné plus avant dans le rapport d’évaluation environnementale que le combustible enrichi présentait de nouveaux aspects techniques dont il fallait tenir compte pour le dépôt éventuel de la SGDN, notamment « les effets causés par la configuration physique différente, l’effet de la combustion nucléaire plus importante, l’effet de l’enrichissement initial plus élevé et la capacité du dépôt à traiter le combustible supplémentaire » (rapport d’évaluation environnementale, à la page 22). La Commission a aussi souligné « qu’aucune solution n’a été mise en œuvre à ce jour pour la gestion à long terme du combustible épuisé » (rapport d’évaluation environnementale, à la page 64). Pourtant, la Commission n’a aucunement discuté de l’aspect convenable de l’actuel plan de la SGDN pour le type de déchets que produirait le projet ni de la faisabilité de solutions de rechange si ce plan se révélait inadéquat pour les déchets provenant de cette nouvelle installation.

 

[309]       La Commission recommande qu’OPG soit tenue de prévoir des dispositions pour l’entreposage sur place « de tout combustible nucléaire utilisé pendant la durée du projet ». Cependant, au cas où « une solution adéquate de gestion à long terme hors site du combustible nucléaire usé ne puisse être trouvée », la « durée du projet » s’étendra à la durée pendant laquelle le combustible épuisé doit être géré. Il s’agit essentiellement d’une période indéfinie, étant donné que le combustible nucléaire épuisé demeure radioactif pendant des centaines de milliers d’années. La Commission n’offre aucune analyse de la faisabilité de l’entreposage et de la gestion du combustible nucléaire épuisé à perpétuité à Darlington.

 

[310]       À mon avis, il existe une lacune importante dans cette analyse qui prive les décideurs politiques d’une partie importante du dossier de preuve nécessaire pour s’acquitter de leurs responsabilités au titre de l’article 37 de la LCEE. En l’absence de renseignements concernant le caractère convenable des plans existants pour la gestion du combustible nucléaire épuisé en ce qui a trait aux déchets provenant du projet, les décideurs politiques ne peuvent pas évaluer de façon réaliste la question de savoir si les risques et les incidences sont conformes au « niveau de protection contre le risque que choisit la société ». Il se peut que les décideurs prévus à l’article 37 aient le droit de croire que les technologies nécessaires seront disponibles lorsque leur besoin se fera sentir. Cette question n’a cependant pas été soumise à la Cour. S’ils agissent de cette façon, ils doivent au moins disposer d’un dossier factuel complet. À mon avis, il semblerait approprié que ce dossier comprenne l’analyse des éléments suivants :

  • les effets que l’ajout du combustible provenant de l’uranium enrichi aurait sur les plans actuels pour la gestion et l’élimination du combustible nucléaire épuisé;
  • la probabilité qu’un dépôt géologique en profondeur, soit la fin proposée de l’approche de gestion adaptative progressive, sera disponible ou approprié pour ce type de combustible, ou à tout le moins une analyse du degré auquel cela a été analysé ou ne l’a pas été, afin d’offrir une idée du degré d’incertitude en cause;
  • si une telle installation se révèle inappropriée ou non disponible, les solutions de rechange qui existent pour gérer ce type de combustible à perpétuité pour l’isoler de la population et de l’environnement;
  • les répercussions des coûts engendrés par les scénarios susmentionnés pour les générations actuelles et futures.

 

[311]       Je me rends bien compte que nous traitons ici d’une question dont les limites temporelles portent sur des centaines d’années, voire même des centaines de milliers d’années. On ne peut s’attendre à ce que la Commission décrive en détail précis tout ce qui est susceptible de se produire pendant cette période ni les technologies qui seront disponibles ou qui ne le seront pas. Cependant, précisément en raison de l’ampleur des incidences en ce qui a trait aux limites temporelles et à la gravité potentielle, une telle question ne peut être traitée de façon superficielle. La Commission devrait à tout le moins énoncer ce qui est connu et ce qui n’est pas connu à propos de la gestion dans l’avenir du combustible épuisé provenant d’uranium, notamment la planification et les évaluations qui ont été réalisées et celles qui ne l’ont pas été.

 

[312]       À mon avis, il ne s’agit pas d’une [traduction] « question distincte » dont l’examen peut être reporté si jamais la SGDN sollicite une approbation pour une installation de gestion et d’élimination permanentes des déchets produits. En ce qui concerne le présent projet, l’évaluation environnementale est la seule occasion à l’égard de laquelle les décideurs politiques fédéraux pourront se prononcer sur la question de savoir si, en premier lieu, ces déchets devraient être produits. Ils doivent être en mesure de comprendre si on leur demande de faire un acte de foi et, si c’est le cas, l’ampleur de cet acte.

 

[313]       Rien dans le cadre de référence et les Lignes directrices de l’EIE n’indique que cette question ne devait pas être traitée dans l’évaluation environnementale. Les Lignes directrices indiquent ce qui suit :

En plus des exigences susmentionnées propres à chaque étape du projet et qui s’appliquent aux déchets, l’EIE doit présenter le plan proposé par le promoteur pour évacuer tous les déchets radioactifs et dangereux et le combustible irradié. Il doit décrire les activités du promoteur qui sont liées à la préparation de l'emplacement, la construction, l'exploitation, le déclassement et l'abandon des installations de stockage des déchets radioactifs à faible ou moyenne densité et des installations de stockage du combustible irradié. Lorsque ce plan indique que les déchets radioactifs ou dangereux et le combustible irradié devraient être gérés par une organisation autre que le promoteur, l’EIE doit décrire, au niveau conceptuel, les méthodes qui peuvent être utilisées pour s’assurer que ces matières sont gérées de façon à protéger la santé, la sûreté et l’environnement.

 

(Lignes directrices de l’EIE, à la page 27.)

 

Les mots « les méthodes qui peuvent être utilisées » sous-entendent que la faisabilité doit faire partie de l’évaluation.

 

[314]       En ce qui concerne les limites temporelles pertinentes, les Lignes directrices de l’EIE énoncent ce qui suit :

On s'attend à ce que l'évaluation comprenne, à tout le moins, la période durant laquelle l'effet maximum devrait se produire. [traduction] « Effet maximum » désigne la modification la plus importante des conditions de base par rapport à ce qui est prévu et qui devrait englober tous les types de réacteur [fin de la traduction]. L’approche adoptée pour déterminer les limites temporelles de l’évaluation devrait tenir compte des éléments suivants :

 

         la durée de vie dangereuse des contaminants, y compris ceux associés aux déchets et au combustible usé, ou aux rejets dans l’environnement durant l'exploitation normale et lors des accidents concevables, des défaillances et des actes malveillants;

[…]

 

(Lignes directrices de l’EIE, à la page 30; non souligné dans l’original.)

 

[315]       Le fait qu’il se pourrait que la SGDN assure, à un certain moment, le contrôle des déchets après OPG n’est pas pertinent en ce qui a trait à leur potentiel de causer des effets négatifs importants. Quoi qu’il en soit, les déchets doivent être gérés.

 

[316]       Le fait que l’option du réacteur EC 6 n’utiliserait pas d’uranium enrichi comme combustible n’est pas non plus pertinent. Comme dans le cas de tous les autres éléments du « scénario limitatif », OPG doit être en mesure de démontrer que chacune des technologies envisagées comporte un niveau de risque environnemental acceptable.

 

[317]       Il convient de noter qu’il s’agit de la première nouvelle construction nucléaire envisagée au Canada depuis plus d’une génération, la première depuis l’adoption de la LCEE et la première qui pourrait utiliser de l’uranium enrichi comme combustible. S’il semble que ce projet doive répondre à une norme plus élevée que les projets antérieurs en ce qui a trait à la planification concernant le combustible nucléaire épuisé qu’il produira, il ne s’agit rien de plus qu’une conséquence du contexte législatif dans laquelle le projet a été proposé. Il ne devrait pas être étonnant de constater que l’approche du Canada à l’égard des approbations environnementales s’est développée et a évolué au cours des dernières décennies.

 

[318]       En ce qui a trait à cette question, je conclus que la Commission n’a pas traité de manière raisonnable la question de la gestion et de l’élimination à long terme du combustible nucléaire épuisé en conformité avec ses obligations prévues à la LCEE et elle doit compléter ou modifier son rapport en conséquence. À titre de maître de sa propre procédure, il appartient à la Commission de décider si cela exigera des recherches ou des consultations supplémentaires, mais elle devrait à tout le moins traiter des points décrits ci‑dessus.

 

Report de l’analyse d’un accident grave de cause commune

[319]       La Commission a examiné la possibilité d’un accident grave de « cause commune » touchant plusieurs réacteurs à l’emplacement de Darlington dans le contexte de l’évaluation des « effets cumulatifs » que pourrait entraîner le projet en combinaison avec d’autres projets ou activités. Fait à noter, les audiences publiques concernant l’évaluation environnementale ont eu lieu immédiatement après la catastrophe nucléaire de Fukushima Daiichi, dont la Commission fait mention dans son analyse.

 

[320]       La Commission a souligné que le projet serait ajouté à l’emplacement de la CN de Darlington existante et que « la dose cumulée qui en résulte devrait également être évaluée en tant qu’effet cumulatif » (rapport d’évaluation environnementale, à la page 159). La Commission a souligné qu’OPG n’avait pas analysé les effets cumulatifs des installations existantes et des nouvelles installations pour les scénarios d’accidents et de défaillances « parce qu’ils étaient considérés comme étant hypothétiques et ayant une probabilité d’occurrence très faible. » La Commission a souligné qu’OPG était d’avis que cette attitude était conforme aux directives de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale qui mentionnent que les accidents devraient être évalués comme des scénarios uniques. La Commission avait toutefois une opinion différente quant aux directives pertinentes :

La Commission prend note de l’interprétation d’OPG à propos de cet aspect du Guide du praticien de l’évaluation des effets cumulatifs de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale. La Commission est d’avis que, dans ce cas, une interprétation plus adéquate eut été d’inclure une évaluation des effets cumulatifs d’un accident de cause commune impliquant plusieurs réacteurs de la zone d’étude du site.

 

La Commission a conclu que les défaillances et accidents classiques ne sont pas susceptibles de causer d’effets environnementaux négatifs importants compte tenu des systèmes de sûreté prévus par la conception et les mesures d’atténuation proposées, y compris les mesures préventives et les capacités d’intervention d’urgence. Toutefois, en se fondant sur les points de vue exprimés par des participants durant l’examen et les préoccupations relatives aux scénarios d’accidents tels que l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi, la Commission est d’avis qu’aux fins de la planification des mesures d’urgence, OPG devrait évaluer les effets cumulatifs d’un scénario d’accident grave de cause commune, qui comprendrait tous les réacteurs de production d’électricité d’origine nucléaire de la zone d’étude du site.

 

(Rapport d’évaluation environnementale, aux pages 159 et 160.)

 

[321]       La Commission a alors formulé la recommandation suivante :

Recommandation 63 :

 

La Commission recommande que, avant la construction, la Commission canadienne de sûreté nucléaire exige qu’OPG évalue les effets cumulatifs d’un accident grave de cause commune, qui impliquerait tous les réacteurs nucléaires de la zone d’étude du site, afin de déterminer si des mesures de planification d’urgence supplémentaires sont nécessaires.

 

[322]       Il est utile de placer cette analyse et cette recommandation dans le contexte d’une analyse antérieure de la Commission concernant les accidents et les défaillances « classiques » mentionnée dans la citation ci-dessus et qui se trouve aux pages 147‑150 du rapport d’évaluation environnementale. Dans cette analyse, la Commission souligne qu’OPG a analysé « un certain nombre de défaillances et d’accidents radiologiques limitatifs » dans le cadre de son EIE. L’analyse des scénarios d’accidents a été effectuée en fonction du document d’application de la réglementation RD‑337 de la CCSN, intitulé Conception des nouvelles centrales nucléaires [RD‑337]. Les scénarios analysés incluaient les accidents qui pouvaient survenir pendant la manipulation des déchets, un « événement de criticité hors cœur » (tel un accident pendant la manipulation de nouveau combustible nucléaire), un accident à l’occasion du transport hors site des déchets radioactifs de faible ou de moyenne activité et les défaillances ou les accidents qui pouvaient toucher un réacteur lui‑même.

 

[323]       Pour la majorité de ces scénarios, OPG a conclu qu’il n’y aurait pas d’effets négatifs importants sur l’environnement et que les doses de rayonnement potentielles pour les travailleurs et le public seraient sous les limites d’exposition prévues par règlement. La Commission a accepté cette conclusion.

 

[324]       Pour certains scénarios de dommages au cœur du réacteur, la question de savoir si les limites prévues par règlement étaient dépassées à la périphérie du site du projet dépendraient de certaines variables, notamment, « la méthode de calcul adoptée et […] l’utilisation d’un facteur de dispersion atmosphérique propre au site » (rapport d’évaluation environnementale, à la page 149).

 

[325]       Cela signifiait que « les analyses du promoteur comportaient toujours un certain nombre d’incertitudes en ce qui concerne les conséquences d’un accident touchant le réacteur. » La Commission a déclaré que cette préoccupation devait être examinée une fois que les conceptions du projet seraient plus complètes, mais que l’analyse de « scénarios limitatifs » qu’OPG avait présentés était suffisante aux fins de l’évaluation environnementale, parce que les objectifs qualitatifs et quantitatifs en matière de sûreté précisés dans le document RD‑337 seraient appliqués à une phase ultérieure :

Le personnel de la CCSN a indiqué que l’approche limitative adoptée par OPG dans son évaluation des conséquences sanitaires d’un accident nucléaire était acceptable aux fins de l’évaluation environnementale. Le personnel de la CCSN a indiqué que cette approche était acceptable parce que l’exploitation d’un réacteur ne respectant pas les limites de rejet fondées sur les objectifs en matière de sûreté spécifiées [sic] dans le document RD-337 ne serait pas acceptée étant donné que ce réacteur ne serait pas conforme aux exigences réglementaires du Canada.

 

La Commission accepte l’adoption de l’approche fondée sur les objectifs de sûreté pour l’évaluation des conséquences d’un accident lorsqu’aucune technologie de réacteur n’a été sélectionnée. La Commission relève toutefois que, dès que ce choix aura été fait, le promoteur devra être tenu de réaliser une évaluation des conséquences hors site d’un accident grave pouvant découler de la technologie choisie.

 

[…]

 

La Commission est d’avis que, dès qu’une technologie aura été sélectionnée pour le projet, il sera nécessaire d’effectuer des analyses plus précises des accidents potentiels ainsi que des rejets et des conséquences sanitaires qui s’ensuivent. L’examen de la demande de permis de construction du réacteur devrait confirmer que la conclusion relative aux effets sanitaires dégagée dans le cadre de la présente évaluation demeure valide pour les conditions d’accident prévues.

 

[…]

 

La Commission conclut que le projet n’est pas susceptible d’entraîner des effets négatifs importants sur la santé et la sécurité des travailleurs et du public lors d’accidents ou de défaillances, compte tenu de la mise en œuvre des mesures d’atténuation telles que le fonctionnement des systèmes de sûreté du réacteur, les Plans conjoints d’intervention en cas d’urgence nucléaire sur place, les mesures d’urgence hors-site ainsi que les recommandations qui suivent.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[326]       La Commission a alors formulé les recommandations suivantes :

Recommandation 57 :

 

La Commission recommande que, avant la construction, la Commission canadienne de sûreté nucléaire exige qu’OPG entreprenne une évaluation des conséquences hors site d’un accident grave. L’évaluation doit déterminer si les conséquences sur la santé et l’environnement hors site, considérées dans la présente évaluation environnementale, engloberont celles pouvant être causées par la technologie de réacteur qui sera choisie.

 

Recommandation 58 :

 

La Commission recommande que, avant la construction, la Commission canadienne de sûreté nucléaire confirme que les critères d’acceptation des doses spécifiés dans le document RD‑337 à la limite du site du projet, dans le cas d’accidents de dimensionnement limite pour la technologie de réacteur choisie, seront respectés.

 

[327]       Bien qu’il ne fasse pas l’unanimité (voir le rapport d’évaluation environnementale, à la page 36), le document RD‑337 semble présenter une méthodologie multiniveaux pour évaluer la capacité d’une centrale nucléaire à résister à des accidents et au risque de niveaux dangereux d’exposition aux rayonnements pour les travailleurs et les membres du public. Selon la preuve présentée à la Cour, la construction ou l’exploitation d’une centrale qui n’est pas conforme aux objectifs qualitatifs et quantitatifs de sûreté énoncés dans le document RD‑337 ne sera pas approuvée. Il est possible de débattre de la méthodologie, mais rien dans le dossier ne permettrait à la Cour de dire que le fait que la Commission ou les décideurs prévus à l’article 37 s’y appuient équivaut à l’absence de conformité avec les exigences de la Loi. Il s’agit d’une question à l’égard de laquelle la Cour doit s’en remettre à l’expertise de la Commission.

 

[328]       Le document RD‑337 énonce, en matière de sûreté, une norme claire, mais complexe à laquelle les nouvelles installations nucléaires doivent répondre. Cette norme et le fait de savoir qu’elle sera appliquée permettent à la fois à la Commission et aux décideurs prévus à l’article 37 de s’acquitter de responsabilités que leur impose la Loi, même en l’absence de renseignements complets quant à la conception dès le début du projet.

 

[329]       Autrement dit, en ce qui concerne la sûreté du projet lui-même, l’analyse de la Commission fournit un fondement factuel suffisant pour les décisions qui doivent être prises et elle satisfait aux obligations de la Commission prévues par la Loi.

 

[330]       La question que la Commission a soulevée dans son analyse des effets cumulatifs en ce qui a trait aux circonstances précises de l’espèce, c’est‑à‑dire que la construction du projet est prévue à l’emplacement d’une centrale nucléaire existante, est que les accidents ou les défaillances qui touchent à la fois la centrale existante et la nouvelle centrale pourraient avoir des effets qui vont au-delà de ceux visés par la méthodologie mentionnée dans le document RD‑337. La Commission a conclu que ces effets doivent être pris en compte, plus particulièrement en ce qui a trait à la planification des mesures d’urgence.

 

[331]       Ceci semble s’appliquer au domaine des événements extrêmement improbables, mais dont l’éventualité peut être catastrophique. Pour des raisons de principe, il est logique que les décideurs politiques prennent en compte de tels scénarios, parce qu’ils semblent faire principalement appel, encore une fois, à des questions liées au « niveau de protection contre le risque que choisit la société » qu’il sera difficile pour un organisme de réglementation spécialisé d’évaluer avec légitimité. Dans cette optique, après avoir conclu qu’une telle analyse était nécessaire, il aurait été plus approprié que la Commission insiste pour qu’elle soit réalisée dans le cadre du processus d’évaluation environnementale, afin d’être examinée dans le contexte de l’article 37.

 

[332]       Le libellé de la Loi suscite une certaine incertitude sur ce point. L’alinéa 16(1)a) prévoit que l’examen d’un projet par une commission porte sur :

les effets environnementaux du projet, y compris ceux causés par les accidents ou défaillances pouvant en résulter, et les effets cumulatifs que sa réalisation, combinée à l’existence d’autres ouvrages ou à la réalisation d’autres projets ou activités, est susceptible de causer à l’environnement;

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[333]       Par conséquent, les effets cumulatifs doivent être examinés s’ils sont susceptibles de survenir, tandis que les accidents et les défaillances du projet pouvant en résulter doivent être pris en compte. Ainsi, la question de savoir si un accident grave de cause commune touchant à la fois les réacteurs nucléaires existants et les réacteurs nucléaires proposés à Darlington, un événement dont la probabilité est faible, devait être pris en compte dans le contexte de l’évaluation environnementale est fonction de la catégorie dans laquelle il se situe : un effet cumulatif concernant à la fois l’installation existante ou la nouvelle installation ou un accident « pouvant en résulter [résulter du projet] » (non souligné dans l’original). À mon avis, cette dernière catégorie est suffisamment large pour englober l’analyse proposée. Le libellé de la Loi ne limite pas l’examen des accidents à ceux qui se rapportent exclusivement au projet, pas plus qu’il n’exclut l’examen des interactions avec l’environnement avoisinant, y compris d’autres installations à proximité.

 

[334]       À mon avis, la seule conclusion que le libellé de la Loi n’étaye pas est la conclusion de la Commission selon laquelle l’analyse devait être effectuée, mais pouvait être reportée à plus tard. À mon avis, cette analyse devait plutôt être effectuée dans le cadre de l’évaluation environnementale pour que les décideurs politiques puissent la prendre en compte en lien avec le projet.

 

[335]       Je reconnais qu’en répondant à la recommandation de la Commission, le gouvernement du Canada a déclaré ce qui suit :

Le gouvernement du Canada accepte l’intention de la recommandation d’exiger que l’OPG évalue les effets cumulatifs d’un accident grave de cause commune dans la zone d’étude. Le gouvernement du Canada signale que la Commission canadienne de sûreté nucléaire a mis sur pied un groupe de travail chargé d’examiner les leçons tirées du tremblement de terre japonais et qu’elle évaluera les conséquences opérationnelles, techniques et réglementaires de l’accident nucléaire qui s’est produit au Japon dans le contexte des centrales nucléaires canadiennes.

 

Plus tôt dans sa réponse, le gouvernement du Canada a indiqué que lorsqu’il « accepte l’intention » d’une recommandation, cela signifie « qu’il est d’accord avec l’esprit de la recommandation, mais il se peut qu’il ne la mette pas en œuvre telle qu’elle a été proposée par la Commission. »

 

[336]       L’existence d’un examen plus large concernant l’incident de Fukushima Daiichi, qui a maintenant été réalisé selon qu’indique le dossier, ne diminue en rien la nécessité d’effectuer une analyse propre à un emplacement dans le cas des nouvelles centrales nucléaires proposées. En effet, on s’attendrait à ce que les leçons formulées dans l’examen plus large servent à renforcer l’idée d’effectuer une analyse propre à l’emplacement.

 

[337]       Alors à mon avis, l’approche de la Commission à l’égard de cette question était déraisonnable et non conforme à ses obligations prévues par la LCEE. L’approche doit être revue dans un complément au rapport ou en modifiant celui-ci.

 

Jurisprudence pertinente

[338]       Il est impossible d’analyser en détail toute la jurisprudence sur laquelle les parties se sont appuyées dans la présente demande. Cependant, compte tenu de mes conclusions à l’égard des erreurs susceptibles de contrôle énoncées ci-dessus, j’estime qu’il est nécessaire de se pencher sur la décision et les arrêts qui suivent.

 

West Vancouver

[339]       La décision West Vancouver, précitée, montre que la question de savoir si un décideur disposait de suffisamment de renseignements pour évaluer les effets environnementaux d’un projet et leur importance (en tenant compte des mesures d’atténuation réalisables) est une question qui doit être décidée en fonction des faits de chaque affaire.

 

[340]       J’ai déjà mentionné que dans certains cas, il peut être difficile de quantifier des effets et qu’une évaluation plus qualitative peut être nécessaire ou appropriée. En l’espèce, il n’y a pas eu de véritable évaluation « qualitative » des rejets de substances dangereuses, et plus particulièrement une évaluation des effets des effluents liquides et du ruissellement des eaux pluviales, mais plutôt uniquement l’examen de mesures d’atténuation potentielles. À mon avis, il est possible de distinguer l’analyse du juge Lemieux dans West Vancouver pour le motif suivant : West Vancouver était une affaire dans laquelle la Cour a expressément conclu qu’une évaluation qualitative adéquate de l’effet en cause avait été réalisée en fonction d’une preuve suffisante et la décision reposait sur cette conclusion.

 

[341]       Bien que cet aspect n’ait pas été déterminant, il y a aussi lieu de mentionner que le niveau d’examen en cause dans West Vancouver était un « examen préalable », qui est en général moins rigoureux qu’un examen par une commission.

 

[342]       La question était formulée comme suit :

[4]        West Vancouver soutient que l'examen préalable fédéral et la décision consécutive à cet examen ne sont pas conformes à la LCEE pour trois raisons :

 

(1) Dans le cadre de leur évaluation environnementale, les AR n'ont pas analysé les risques inhérents à un effet environnemental important, soit les répercussions du chablis ou du déracinement d'arbres par le vent qu'entraînera vraisemblablement la construction d'une nouvelle autoroute à quatre voies dans le secteur adjacent à Eagleridge Bluffs et à la zone humide de Larsen Creek. Subsidiairement, West Vancouver fait valoir que, si les AR ont conclu que le chablis n'était pas un effet environnemental négatif important, la décision ne pouvait reposer sur aucun fondement logique, eu égard à l'ampleur de l'évaluation effectivement menée. L'avocat de West Vancouver a formulé comme suit la question qui se pose à ce sujet : [TRADUCTION] « [L]e fait de déceler l'existence d'une question environnementale, d'en reporter l'évaluation et de conclure avant celle‑ci que le projet n'est pas susceptible d'entraîner des effets environnementaux négatifs importants constitue‑t‑il une erreur de droit » ?

 

[…]

 

[5]        Le Canada a admis que, si les hypothèses factuelles sous‑jacentes à la question formulée par l'avocat de West Vancouver étaient vraies, la décision des AR comporterait une erreur de droit. Cependant, il a ajouté qu'aucune erreur n'a été commise, parce que l'évaluation a été faite à la lumière de données accessibles et très sérieuses. L'évaluation n'a pas été reportée. À cet égard, l'avocat de la Colombie‑Britannique a nié que le scénario constituerait une erreur de droit parce que les mesures d'atténuation dépendaient de la conception finale.

 

[343]       Dans West Vancouver, la demanderesse a cité des parties d’un rapport rédigé à l’intention du ministère des Transports de la Colombie-Britannique qui semblait indiquer qu’à la date où l’examen préalable a pris fin, il n’y avait pas suffisamment de renseignements pour déterminer les répercussions du chablis ou du déracinement d'arbres par le vent et l’importance de ces répercussions. Le juge Lemieux a insisté sur le fait qu’il était essentiel d’examiner ces renseignements dans leur contexte, compte tenu des autres renseignements dont disposaient les décideurs :

[102]    Je conviens avec les avocats du Canada et de la Colombie‑Britannique que les AR étaient saisies d'une preuve plus que suffisante qui leur permettait d'évaluer les répercussions environnementales du chablis dans le secteur en cause et d'en examiner l'importance au regard de techniques d'atténuation connues qui ne peuvent être mises en œuvre à l'étape de la conception préliminaire, mais qui devront plutôt être prises une fois que la conception de l'autoroute aura pris forme.

 

[103]    Plus précisément, il appert de l'ensemble du rapport Dunster et des autres éléments de preuve accumulés que, le 7 mai 2004, conscients du problème de chablis dont il avait été question au cours de cette réunion, les examinateurs fédéraux et provinciaux ont conclu provisoirement que ni l'option B ni l'option D n'étaient susceptibles d'entraîner des effets environnementaux négatifs importants, pourvu que des mesures d'atténuation soient prises. Il s'agit là d'une opinion à laquelle ils pouvaient raisonnablement en arriver et qu'ils pouvaient confirmer subséquemment après la réunion tenue le 10 mai avec West Vancouver.

 

[104]    Dans les circonstances, il était raisonnable de la part des AR de se fonder sur l'engagement du ministère des Transports de la Colombie-Britannique à prendre des mesures d'atténuation au moyen d'études de suivi en temps opportun.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[344]       À mon avis, les paragraphes 102 et 104 de West Vancouver doivent être lus ensemble et non de manière isolée. Les autorités responsables disposaient « d’une preuve plus que suffisante qui leur permettait d'évaluer les répercussions environnementales du chablis […] et d'en examiner l'importance au regard de techniques d'atténuation connues […] ». Compte tenu de ce qui précède, « il était raisonnable de la part des [autorités responsables] de se fonder sur l’engagement […] de la Colombie‑Britannique à prendre des mesures d’atténuation au moyen d’études de suivi en temps opportun. »

 

Inter-Church Uranium Committee

[345]       À mon avis, l’arrêt Inter-Church Uranium Committee, précité, est d’une utilité limitée pour les défendeurs. L’affaire concernait l’exploitation d’une mine d’uranium située dans le nord de la Saskatchewan (le Projet du lac McClean). Le projet a été proposé alors que le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84-467 (le Décret), qui a précédé la LCEE, était en vigueur et qu’une évaluation environnementale avait eu lieu en vertu du Décret. Comme en l’espèce, le régime applicable de délivrance des licences était un régime de délivrance des licences par étapes, en vertu duquel des licences distinctes étaient délivrées lors des étapes successives du projet. Après l’entrée en vigueur de la LCEE et des nouveaux règlements, les demanderesses ont contesté la délivrance par la Commission de contrôle de l’énergie atomique (remplacée par la CCSN) d’une licence d’exploitation d’un broyeur et d’une installation de gestion des résidus connexe, la cinquième licence d’exploitation délivrée à l’égard du projet, outre une licence de défrichement du site et trois licences de construction qui avaient précédé les licences d’exploitation. Les demanderesses ont soutenu qu’une nouvelle évaluation environnementale devait être faite sous le régime de la LCEE. La Cour fédérale (le juge Campbell) a retenu cet argument en raison de l’interprétation des dispositions transitoires de la LCEE (plus précisément le paragraphe 74(1)), mais la Cour d’appel a donné à ces dispositions une interprétation différente et a infirmé la décision de la Cour fédérale. L’affaire reposait entièrement sur l’interprétation des dispositions transitoires de la LCEE.

 

[346]       Dans Inter‑Church Uranium Committee, la commission conjointe avait exprimé dans l’évaluation environnementale des préoccupations à propos de la méthode proposée pour la gestion des résidus, qui n’avait pas réellement fait ses preuves, et avait recommandé que le projet soit reporté d’au moins cinq ans afin d’obtenir plus de renseignements sur sa viabilité en examinant une installation semblable alors en exploitation. Les autorités responsables ont rejeté cette approche et ont permis au projet d’aller de l’avant en vertu du processus de délivrance des licences lors des étapes successives. En effet, il était prévu que le processus de délivrance des licences durerait plusieurs années et qu’au fil du temps, il traiterait les questions soulevées par la commission concernant la gestion des résidus. Cette décision prise par les autorités responsables n’était pas en litige devant la Cour.

 

[347]       Comme je l’ai déjà mentionné, la question en cause était plutôt celle de savoir si une nouvelle évaluation environnementale était nécessaire avant qu’une nouvelle licence puisse être délivrée à la suite de l’entrée en vigueur de la LCEE. La Cour d’appel a traité de cette question comme suit :

[47]      Cela ne veut pas dire que la fin des travaux de la Commission conjointe signifie la fin de l'ensemble des activités d'examen environnemental pour le Projet du lac McClean. Les questions environnementales doivent être examinées relativement à chaque licence délivrée en application du Règlement sur les mines d'uranium et de thorium et du règlement qui le remplace, soit le Règlement sur les mines et les usines de concentration d'uranium. Qui plus est, le processus d'examen préalable et d'évaluation environnementale prévu par la LCEE pourra être déclenché plus tard si le paragraphe 74(3) de cette Loi s'applique. Tel serait le cas, notamment, si une proposition ayant pour but d'entreprendre une activité liée au Projet du lac McClean qui n'était pas visée par le mandat de la Commission conjointe était présentée (comme l'augmentation de la production proposée que la Commission de sûreté a autorisée en 2001, mais que la Commission conjointe mise sur pied en vertu du Décret n'avait pas examinée).

 

[48]      L'ICUCEC craint qu'en raison d'une interprétation trop restrictive du paragraphe 74(1) de la LCEE, il n'y ait pas de nouvelle évaluation environnementale lorsque le Projet du lac McClean sera finalement déclassé dans plusieurs années. Cette crainte est purement hypothétique à ce stade-ci. La question de savoir si une nouvelle évaluation environnementale sera nécessaire aux fins de la délivrance d'une licence de déclassement dépendra des circonstances qui existeront à ce moment-là et de la proposition qui sera présentée à la Commission de sûreté dans la demande de licence de cette nature.

 

[49]      L'ICUCEC a également soutenu que le paragraphe 74(1) de la LCEE ne s'applique pas, parce que l'actuel Projet du lac McClean n'est pas la même « proposition » que celle que la Commission conjointe a étudiée en vertu du Décret. L'ICUCEC souligne plusieurs modifications apportées au Projet depuis 1993, dont une modification du promoteur et du propriétaire majoritaire, des changements touchant la conception, la découverte de nouvelles menaces pour l'environnement découlant de l'arsenic, l'existence d'une étude scientifique indiquant que des contaminants radioactifs peuvent migrer sur de longues distances dans la nappe d'eau souterraine plus rapidement que ce qui était cru à l'origine, l'adoption d'un nouveau régime de réglementation concernant les critères relatifs à la qualité de l'eau en ce qui a trait à l'arsenic et l'ajout des radionucléides provenant des usines de concentration d'uranium à la Liste des substances toxiques qui figure à l'annexe I de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999), L.C. 1999, ch. 33. À mon avis, aucun de ces changements n'a pour effet de transformer le Projet du lac McClean en nouvelle proposition. La Commission conjointe a reconnu que des changements scientifiques et technologiques surviendraient pendant la durée du Projet et qu'il appartiendrait à la Commission de contrôle d'évaluer les effets de ces changements dans le contexte de ses responsabilités en matière d'octroi de licences.

 

[…]

 

[51]      Étant donné que le paragraphe 74(1) de la LCEE permet de trancher les appels déposés en l'espèce ainsi que la demande de contrôle judiciaire, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres arguments que les appelantes ont invoqués.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[348]       Lus dans leur contexte, les paragraphes 47 et 49 de cet arrêt n’étayent pas, à mon avis, la position des défendeurs. Ils soulignent simplement que même si une évaluation environnementale valide avait été effectuée en vertu du Décret et qu’elle s’appliquait toujours au projet, les préoccupations d’ordre environnemental continueraient d’être examinées tout au long du processus de délivrance des licences. Ceci confirme plutôt la prétention des demanderesses voulant qu’il soit vraisemblable qu’une seule évaluation environnementale sera effectuée à l’égard du projet en cause en l’espèce, malgré le fait que plusieurs autres étapes ultérieures de délivrance de permis et de licences incluront la prise en compte des effets environnementaux. Cet arrêt reconnaît que le processus d’évaluation et de gestion des effets d’un projet ne prend pas fin une fois que l’évaluation environnementale est terminée, mais au-delà de cela, il n’aide pas les défendeurs.

 

[349]       La question en litige en l’espèce est celle de savoir si une évaluation environnementale valide a été effectuée. L’arrêt Inter-Church Uranium Committee a apporté une réponse à cette question en renvoyant aux dispositions transitoires de la LCEE, qui n’ont aucune pertinence en l’espèce. La suffisance intrinsèque de l’évaluation réalisée en vertu du Décret n’était pas en cause. En effet, il n’était « pas allégué que le Décret comporte des lacunes majeures ou qu'un problème environnemental associé au Projet McClean a été ignoré ou n'a pas été relevé en raison de l'application du Décret plutôt que la LCEE » (au paragraphe 33). Par conséquent, à mon avis, l’arrêt n’est d’aucune utilité pour les défendeurs en ce qui a trait à la question de savoir si l’évaluation en l’espèce a été effectuée en conformité avec les exigences de la Loi.

 

Express Pipelines

[350]       L’arrêt Express Pipelines, précité, porte sur des questions étroitement liées. Il s’agissait de la première affaire dans laquelle la Cour d’appel fédérale examinait la LCEE. La Cour d’appel a instruit la demande de contrôle judiciaire en première instance (voir les paragraphes 6 et 7). Les paragraphes 13 et 14 sont particulièrement pertinents :

[13]      Les requérants font valoir - et, en cela, ils font écho aux vues du commissaire dissident - que le paragraphe 16(1) exige que l'on procède à un examen séquentiel des facteurs qui y sont énumérés. Les requérants soutiennent en particulier que la commission a commis une erreur en ne tenant pas compte des effets environnementaux éventuels du projet avant de se pencher sur les mesures d'atténuation possibles. Rien dans la Loi n'appuie une telle opinion. L'article 16 ne prévoit certainement pas de façon expresse ou implicite que l'on doit examiner les facteurs qui y sont énumérés de façon séquentielle, et l'article 37 – de même que les articles 20 et 23, qui ne s'appliquent pas à la présente affaire - donnent fortement à penser que les mesures d'atténuation et les effets environnementaux doivent être examinés en même temps. À notre avis, la logique et le bon sens nous amènent à la même conclusion : il est absolument inutile d'examiner des effets environnementaux purement hypothétiques alors que l'on sait que l'on atténuera ces effets au moyen des mesures appropriées et que l'on se propose de le faire.

 

[14]      Finalement, on nous demande de conclure que la commission a irrégulièrement délégué certaines de ses fonctions lorsqu'elle a recommandé que certaines autres études et rapports en cours destinés à l'Office national de l'énergie soient réalisés avant, pendant et après les travaux de construction. Cet argument démontre que les requérants comprennent mal la fonction de la commission, qui joue simplement un rôle de cueillette d'éléments d'information et de formulation de recommandations. La Cour se refuse de modifier à la légère l'opinion de la commission suivant laquelle elle disposait de suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir s'acquitter de cette fonction « le plus tôt possible au stade de la planification du projet, avant la prise d'une décision irrévocable » (voir le paragraphe 11(1)). De par sa nature, le rôle de la commission consiste à faire des prévisions et il n'est pas étonnant que la loi envisage explicitement la possibilité de programmes « de suivi ». D'ailleurs, compte tenu de cette tâche, nous doutons qu'on puisse jamais en arriver à une évaluation environnementale définitive et infaillible.

 

 

[351]       Prononcée à l’audience, l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Express Pipelines est bref. Le contexte présenté offre peu de détails sur la façon précise dont la commission a examiné les effets du projet en cause et les mesures d’atténuation potentielles. L’arrêt n’élabore pas non plus sur la prétention des requérants selon laquelle « la commission a irrégulièrement délégué certaines de ses fonctions lorsqu'elle a recommandé que certaines autres études et rapports en cours destinés à l'Office national de l'énergie soient réalisés avant, pendant et après les travaux de construction ». À mon avis, il est nécessaire d’examiner avec soin l’analyse de la Cour d’appel pour éviter d’y trouver des principes qu’elle n’a pas énoncés.

 

[352]       Au paragraphe 13, la Cour d’appel a conclu que la commission n’était pas tenue de procéder à « un examen séquentiel des facteurs […] énumérés » au paragraphe 16(1). Autrement dit, la commission n’était pas tenue d’examiner les effets du projet en premier lieu, leur importance en deuxième lieu et les mesures d’atténuation possibles en troisième lieu, même si la Commission en l’espèce a déclaré qu’il s’agissait de la meilleure approche et de l’approche qu’elle avait l’intention de suivre (voir le rapport d’évaluation environnementale, aux pages 47‑48). La Cour d’appel a plutôt déclaré que « les mesures d'atténuation et les effets environnementaux doivent être examinés en même temps » à la lumière du libellé de la Loi et de la conclusion fondée sur le bon sens voulant qu’« il est absolument inutile d'examiner des effets environnementaux purement hypothétiques alors que l'on sait que l'on atténuera ces effets au moyen des mesures appropriées et que l'on se propose de le faire » (non souligné dans l’original).

 

[353]       À mon avis, cette conclusion est la plus pertinente en l’espèce en ce qui a trait à la question de savoir si les lacunes du scénario limitatif concernant les rejets prévus de substances dangereuses provenant du projet (plus particulièrement les effluents liquides et le ruissellement des eaux pluviales) signifient que la Commission n’a pas raisonnablement examiné les effets du projet à cet égard, soit l’une des trois possibilités d’insuffisance analysées.

 

[354]       À mon avis, la déclaration selon laquelle les mesures d’atténuation et les effets environnementaux « doivent être examinés en même temps » n’écarte pas entièrement, du moins en l’espèce, la nécessité d’examiner les effets potentiels. Il est plutôt inutile d’examiner « des effets environnementaux purement hypothétiques alors que l'on sait que l'on atténuera ces effets au moyen des mesures appropriées et que l'on se propose de le faire » (non souligné dans l’original).

 

[355]       Vu les faits de l’espèce, il n’est pas possible, à mon avis, de savoir que « l’on atténuera [les] effets [potentiels en cause] [et] que l’on se propose de le faire » sous le niveau d’importance (que la Cour d’appel a identifié au paragraphe 10 comme le « principal critère » établi par la loi) sans avoir une idée du niveau d’effet qui pourrait être important, une décision qui relève des décideurs prévus à l’article 37. En l’absence d’une norme ou d’un ensemble de normes qui peut ou peuvent servir d’indicateur de l’importance (et la Commission n’en a pas mentionné en l’espèce en ce qui a trait aux rejets de substances dangereuses), à mon avis, ces décideurs doivent disposer des renseignements sur les effets prévus réels et la mesure dans laquelle ils seront atténués. Dans certains cas (comme dans West Vancouver), cette analyse sera de nature plus qualitative, alors que d’autres circonstances permettront et commanderont une approche plus quantitative, comme je soutiendrais que c’est le cas en l’espèce. Quoi qu’il en soit, dans le cas où un effet est potentiellement important, déclarer simplement qu’un niveau inconnu des faits sera atténué à un autre niveau inconnu n’est pas suffisant pour permettre aux décideurs prévus à l’article 37 de s’acquitter de leurs responsabilités.

 

[356]       Le paragraphe 14 quant à lui nous indique deux choses. Premièrement, il n’est pas inapproprié qu’une commission d’examen recommande que d’autres autres études et rapports en cours destinés à un organisme de réglementation soient réalisés avant, pendant et après les travaux de construction d’un projet. Cette conclusion n’est pas du tout surprenante.

 

[357]       La deuxième chose a une importance plus fondamentale à l’égard de la présente affaire. En effet, « l'opinion de la commission suivant laquelle elle disposait de suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir s'acquitter » de sa fonction de cueillette d’information et de formulation de recommandations « le plus tôt possible » comme le prévoit la loi est une opinion « [qu’une cour devrait] se refuse[r] de modifier à la légère ». À mon avis, la norme de contrôle que la Cour a choisi d’adopter en l’espèce traite pleinement de cet aspect : la Cour n’interviendra que si l’approche de la Commission à l’égard d’un aspect important de son analyse était déraisonnable ou que dans la mesure où elle peut l’avoir été. À mon avis, l’analyse de la Cour en l’espèce reflète pleinement et intègre les principes énoncés dans l’arrêt Express Pipelines.

 

Omission d’examiner la « nécessité » du projet et ses solutions de rechange

[358]       Selon les demanderesses, l’examen de la « nécessité » du projet par la Commission est tellement incomplet et dénué de renseignements, d’éléments de preuve ou d’analyses qu’il ne respecte pas les attributions de la Commission prévues dans la LCEE et le cadre de référence.

 

[359]       La question de la « nécessité » du projet est abordée au paragraphe 4.3 du rapport d’évaluation environnementale et les conclusions de la Commission sont les suivantes :

La Commission est d’avis que le ministère de l’Énergie de l’Ontario a expliqué la nécessité du projet et la logique qui sous-tend les instructions données à OPG par le gouvernement de l’Ontario. La Commission indique en outre que le gouvernement de l’Ontario à affiché l’ébauche de la Directive sur le profil de l’approvisionnement énergétique sur le Registre environnemental de l’Ontario aux fins d’un d’examen public de 45 jours avant que le Cabinet n’approuve la directive finale en février 2011. De plus, l’Office de l’électricité de l’Ontario a consulté le public en mai et juin 2011 au sujet de son projet de Plan pour le réseau d’électricité intégré et on s’attend à ce qu’il présente le plan à la Commission de l’énergie de l’Ontario en vue de l’examen public, ultérieurement en 2011. Conformément aux pouvoirs qui lui sont conférés en vertu de la Loi de 1998 sur l’électricité (Règl. de l’Ont. 164/99), le ministre de l’Énergie de l’Ontario a demandé à la Commission de l’énergie de l’Ontario d’examiner le projet de Plan pour le réseau d’électricité intégré lors d’audiences publiques, au plus tard 12 mois après sa présentation par l’Office de l’électricité de l’Ontario. La Commission croit que ces possibilités de consultation du public sont les lieux appropriés permettant au public d’exprimer ses points de vue concernant la politique énergétique de l’Ontario.

 

[360]       Les demanderesses soutiennent que la directive du ministre provincial n’équivaut pas en droit à une analyse appropriée ni à une démonstration de la « nécessité » du projet selon la LCEE. Selon leur prétention, si la Cour y souscrit, une telle approche permettra à la Commission d’éviter son obligation légale d’examiner pleinement les éléments obligatoires énoncés à l’article 16 de la LCEE et dans le cadre de référence, y compris la « raison d’être » et la « nécessité » du projet. De plus, elles soutiennent qu’en droit, un ministre provincial ou le promoteur d’un projet ne peut contraindre ou lier la Commission dans l’exercice de ses attributions prévues par des lois fédérales. Ainsi, les demanderesses font valoir que la Commission a refusé d’exercer sa compétence en considérant erronément que la directive tranchait la question de la « nécessité » prévue par la LCEE.

 

[361]       Selon l’alinéa 16(1)e) de la LCEE, la Commission doit examiner les éléments suivants :

16. (1) L’examen préalable, l’étude approfondie, la médiation ou l’examen par une commission d’un projet portent notamment sur les éléments suivants :

 

[…]

 

e) tout autre élément utile à l’examen préalable, à l’étude approfondie, à la médiation ou à l’examen par une commission, notamment la nécessité du projet et ses solutions de rechange, — dont l’autorité responsable ou, sauf dans le cas d’un examen préalable, le ministre, après consultation de celle-ci, peut exiger la prise en compte.

16. (1) Every screening or comprehensive study of a project and every mediation or assessment by a review panel shall include a consideration of the following factors:

 

[…]

 

(e) any other matter relevant to the screening, comprehensive study, mediation or assessment by a review panel, such as the need for the project and alternatives to the project, that the responsible authority or, except in the case of a screening, the Minister after consulting with the responsible authority, may require to be considered.

 

 

 

[362]       En l’espèce, la Commission a manifestement pris en compte la « nécessité » du projet et a décidé de s’en remettre aux Lignes directrices de l’EIE (qui indiquaient que la politique énergétique provinciale ne faisait pas partie du cadre de référence) et au processus appliqué par le ministère de l’Énergie de l’Ontario.

 

[363]       Les demanderesses semblent être d’avis que la Commission était tenue d’effectuer sa propre analyse détaillée de la « nécessité » du projet. La jurisprudence indique le contraire. Dans l’arrêt Sharp, précité, la Cour d’appel fédérale a déclaré que « l'alinéa 16(1)e) n'est pas un moyen déguisé de redonner à [l'Office des transports du Canada (l’Office)] un pouvoir de réglementation économique sur la construction de lignes de chemin de fer » (au paragraphe 28). Dans cette affaire, le législateur avait intentionnellement adopté une attitude non interventionniste qui laissait principalement aux compagnies de chemin de fer le soin de décider de la nécessité d’une ligne de chemin de fer en particulier. Sauf en présence d’une incompatibilité grave (par exemple, les répercussions environnementales d’un projet proposé étaient extrêmement élevées), l’Office devait tenter d’harmoniser ses attributions au titre de la LCEE avec « l'intention expresse du législateur en matière de déréglementation » en vertu du régime législatif applicable. En l’espèce, l’élément contextuel pertinent n’est pas une « intention du législateur en matière de déréglementation », mais bien le partage constitutionnel des pouvoirs. À mon avis, le principe que la Cour a énoncé dans Sharp s’applique avec encore plus de force dans le présent contexte. Le ministre avait pris soin de souligner que les questions liées à la politique énergétique de l’Ontario échappaient au mandat de la Commission. La LCEE n’est pas un moyen déguisé de donner à la Commission un pouvoir de réglementation économique sur la politique énergétique de l’Ontario. La principale fonction de la Commission consistait plutôt à déterminer si le projet proposé entraînerait des effets négatifs importants sur l’environnement. En l’absence d’une indication selon laquelle ce mandat ne pouvait pas être autrement rempli, la Commission n’était pas tenue d’entreprendre une analyse en profondeur des avantages et des inconvénients des divers moyens de répondre aux besoins énergétiques, pas plus qu’elle n’avait le droit de le faire. Elle avait « le droit de faire reposer sa décision concernant la nécessité et les solutions de rechange sur les déclarations » du promoteur et du ministère de l’Énergie de l’Ontario (Sharp, précité, au paragraphe 25).

 

 

[364]       Autrement dit, dans les circonstances de l’espèce, il était raisonnable pour la Commission de conclure que la question de la nécessité avait été tranchée comme question de politique énergétique de l’Ontario, dont le processus avait fourni ou fournirait aux membres du public, notamment aux demanderesses, des occasions d’exprimer leurs opinions.

 

[365]       Le paragraphe 4.4 du rapport d’évaluation environnementale contient des considérations semblables relativement à la façon dont la Commission a traité les « solutions de rechange ».

 

[366]       Lorsqu’elle a examiné cette question, la Commission a demandé à OPG de fournir des renseignements complémentaires sur les solutions de rechange au projet. OPG a présenté un tableau et une analyse sur les solutions de rechange qui concluaient qu’il n’existait pas de solution de rechange raisonnable au projet dont elle avait la maîtrise, qui soutenait ses intérêts et qui était compatible avec « les instructions et les éclaircissements fournis par le gouvernement de l’Ontario. »

 

[367]       La Commission a également souligné que les Lignes directrices de l’EIE établissaient la façon dont elle devait aborder cette question. Elle a accepté les contraintes empêchant OPG d’envisager d’autres formes d’énergie. Nonobstant le fait que « l’examen de la politique énergétique provinciale échapp[ait] au mandat de la commission d’examen » et que « les solutions de rechange au projet ne [devaient] pas aller à l’encontre des directives ou des plans officiels de l’Ontario » (à la page 51), la Commission a néanmoins procédé à une évaluation et exprimé des préoccupations :

Le ministère de l’Énergie de l’Ontario a présenté un aperçu des solutions de rechange et des considérations qui ont conduit à l’éventail des sources d’approvisionnement proposé dans le Plan énergétique à long terme. Dans ses observations finales, le ministère a présenté un résumé sur la nécessité d’un éventail de sources d’approvisionnement équilibré et les options envisagées.

 

La Commission comprend les contraintes qui empêchent OPG d’envisager le développement d’autres formes d’énergies. Le Plan énergétique à long terme et la Directive sur le profil de l’approvisionnement énergétique du gouvernement de l’Ontario dictent les projets que le promoteur devra mener à bien. Cependant, si le gouvernement de l’Ontario modifie le profil de l’approvisionnement énergétique actuel à une date ultérieure et réduit la capacité de charge de base d’origine nucléaire, il serait possible d’élaborer un portefeuille différent dans les limites des compétences d’OPG. Bien que la Commission reconnaisse la consultation publique menée jusqu’à présent à propos de la politique énergétique du gouvernement de l’Ontario, elle regrette le fait que le projet de nouvelle centrale nucléaire de Darlington soit évalué avant l’achèvement des audiences de la Commission de l’énergie de l’Ontario sur le Plan pour le réseau d’électricité intégré.

 

La Commission fait également remarquer que le Plan énergétique à long terme et la Directive sur le profil de l’approvisionnement énergétique ont été élaborés avant l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi. Depuis cet accident, un plus grand nombre de préoccupations ont été soulevées au sujet de la production d’électricité d’origine nucléaire dans le monde entier. La Commission comprend les défis auxquels le gouvernement de l’Ontario est confronté alors qu’il procède à l’abandon progressif du charbon pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et à la fermeture définitive de la centrale nucléaire de Pickering. Néanmoins, la Commission tient à souligner le désir exprimé par de nombreux participants à l’égard d’un réexamen de la direction suivie par l’Ontario sur le plan énergétique.

 

[368]       L’alinéa 16(1)e) confère au ministre un pouvoir discrétionnaire concernant la question de savoir si l’évaluation environnementale doit porter sur la nécessité du projet et ses solutions de rechange. À mon avis, si le ministre décide que ces éléments doivent être inclus, il a implicitement le pouvoir discrétionnaire de déterminer la portée de leur examen.

 

[369]       Le ministre n’a pas traité directement de cet aspect dans l’Entente ou dans le cadre de référence qui y est joint. La liste des éléments à examiner incluait, sans plus de précision, « la nécessité de réaliser le projet » et « les solutions de rechange au projet ». Cependant, le ministre a mentionné ce qui suit dans les Lignes directrices de l’EIE, aux pages 18‑19 :

 

7.1 Raison d’être et nécessité du projet

 

Le promoteur doit clairement décrire en quoi les nouveaux réacteurs sont nécessaires. Cet exposé doit décrire le problème que ce projet prévoit résoudre ou l'occasion qu'il permet de saisir, en plus d'établir la raison d'être fondamentale du projet.

 

Le promoteur doit décrire la raison d’être du projet en définissant les réalisations prévues dans le cadre de son exécution.

 

La « nécessité » et la « raison d’être » du projet devraient être établies à partir de la perspective du promoteur du projet et offrir un contexte à l’analyse des solutions de rechange décrites aux sections 7.2 et 7.3 ci-dessous.

 

7.2 Solutions de rechange au projet

 

L’analyse des solutions de rechange au projet doit décrire différentes façons fonctionnelles de combler les besoins et de réaliser l’objectif du projet, à partir de la perspective du promoteur. Par conséquent, on doit cerner dans cette section d'autres méthodes de production d’électricité, viables sur le plan technique et économique, mis à part la construction et l'exploitation de la nouvelle centrale Darlington dont OPG a la maîtrise, et qui soutiennent ses intérêts. Comme l'examen de la politique énergétique provinciale échappe au mandat de la commission d'examen, les solutions de rechange au projet ne doivent pas aller à l'encontre des directives ou des plans officiels de l'Ontario. Toutefois, l'EIE doit expliquer où cette justification a été appliquée pour exclure la prise en compte des solutions de rechange possibles au projet.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Il aurait été souhaitable que le ministre fasse mention de ces limites à la portée des éléments à prendre en compte dans l’Entente et le cadre de référence, qui constituaient le mécanisme le plus direct dont il disposait à cette fin.

 

[370]       Il incombait au ministre, « lors de la détermination du mandat du médiateur ou de la commission d’examen », d’établir la portée de l’évaluation des éléments obligatoires visés aux alinéas 16(1)a), b) et d) et 16(2)b), c) et d) (la LCEE, alinéa 16(3)b)). Par contre, l’alinéa 16(1)e) ne précise pas le mécanisme en vertu duquel le ministre indique sa décision concernant l’inclusion d’éléments non obligatoires en vertu de cet alinéa, prévoyant seulement qu’une commission inclut l’examen de « tout autre élément utile à […] l’examen […], notamment la nécessité du projet et ses solutions de rechange, — dont l’autorité responsable ou […] le ministre, après consultation de celle-ci, peut exiger la prise en compte » (la LCEE, alinéa 16(1)e)).

 

[371]       En raison du libellé moins précis de l’alinéa 16(1)e), je reconnais que l’Entente et les Lignes directrices de l’EIE devraient être lues ensemble afin de déterminer la question de savoir si, et dans quelle mesure, l’évaluation environnementale doit prendre en compte la « nécessité du projet » et « ses solutions de rechange ». Même si ces éléments étaient inclus sans précision dans la liste des éléments à examiner comme l’énonce le cadre de référence, le libellé des Lignes directrices de l’EIE impose des limites que la Commission a prises en compte de manière appropriée.

 

[372]       Je conclus également, comme le soutiennent les défendeurs, que la Commission avait le droit d’en arriver elle-même à la même conclusion en ce qui a trait à l’approche qu’il convient d’adopter pour prendre ces éléments en compte. À mon avis, la Commission avait le droit d’avoir à l’esprit le partage constitutionnel des pouvoirs et la jurisprudence antérieure lors de l’interprétation de son mandat. Le profil d’approvisionnement en électricité de l’Ontario est une question de compétence provinciale. Une évaluation environnementale fédérale ne devrait pas devenir un forum de rechange pour se prononcer sur cette question ni un moyen déguisé de donner un pouvoir de réglementation économique (Sharp, précité, au paragraphe 28; Grand Riverkeeper, précitée, au paragraphe 53‑54).

 

[373]       Ainsi, à mon avis, l’analyse relative aux « solutions de rechange », tout comme celle de la « nécessité du projet », a été effectuée par la Commision conformément au cadre de référence et aux Lignes directrices de l’EIE énoncés par le ministre de l’Environnement fédéral et, compte tenu de ces contraintes, la Commission est allée aussi loin qu’elle le pouvait dans son examen des solutions de rechange en vertu de l’alinéa 16(1)e) de la LCEE. Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle ici.

 

Délégation illégale

[374]       Selon les demanderesses, puisque la LCEE ne confère pas expressément aux commissions d’examen le pouvoir de déléguer leurs obligations prévues à l’article 34, la Commission en l’espèce ne s’est pas acquittée de ses fonctions avant de présenter son rapport au ministre et de formuler des recommandations selon lesquelles certaines questions devraient être examinées plus en profondeur par d’autres organismes. Les demanderesses soutiennent que la Commission est allée au-delà des types de délégation limités autorisés et qu’elle a formulé des recommandations destinées à produire des renseignements fondamentalement importants qui combleraient après coup d’importantes lacunes de preuve. Selon les demanderesses, ces lacunes concernent la conception précise du projet, les conditions de base, les effets environnementaux, le développement et l’aménagement de l’emplacement et d’autres aspects clés que la Commission était tenue, en vertu de l’article 34, d’examiner et de communiquer et à l’égard desquels elle devait solliciter la consultation du public et présenter un rapport.

 

[375]       Voilà essentiellement une partie de l’argument des demanderesses selon lequel l’absence d’un choix d’une technologie de réacteur précise dans le projet proposé a empêché la tenue d’une véritable évaluation sous le régime de la LCEE et a forcé une délégation irrégulière de fonctions à d’autres organismes dans l’avenir.

 

[376]       Comme le rapport d’évaluation environnementale l’indique clairement, la Commission elle‑même souscrit à l’opinion des demanderesses en ce qui a trait à ses attributions découlant de la LCEE. Lorsqu’elle discute du cadre analytique du rapport au paragraphe 4.1, la Commission indique qu’elle « a appliqué une approche de précaution et a tenu compte des principes du développement durable dans son examen. » La Commission décrit dans le menu détail la signification de l’approche de précaution en matière d’évaluation, ainsi que les « principes généraux d’application de la précaution dans la prise de décisions scientifiques dans les secteurs d’activité réglementés au palier fédéral et concernant la protection de la santé et de la sécurité, l’environnement, et la conservation des ressources naturelles » (rapport d’évaluation environnementale, à la page 46).

 

[377]       Dans sa conclusion au paragraphe 4.1.3 du rapport d’évaluation environnementale, intitulé Évaluation des effets environnementaux, la Commission fait valoir le point suivant concernant son approche à cet égard :

La Commission est d’avis que la gestion adaptative, qui constitue un processus systématique d’amélioration continue des pratiques de gestion environnementale, devrait être uniquement appliquée lorsqu’il est possible de définir des seuils. La gestion adaptative ne devrait pas être utilisée pour surmonter les situations caractérisées par un manque de données ou de certitudes scientifiques.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[378]       Je ne vois rien ici qui, du moins en principe, est incompatible avec les attributions de la Commission prévues à l’article 34 ou avec toute autre disposition de la LCEE.

 

[379]       Ces énoncés de principe de la Commission doivent être examinés de concert avec sa conclusion précise voulant que, selon le processus de présentation d’observations et d’audience qu’exige la LCEE, elle disposait des renseignements et des données nécessaires pour effectuer l’évaluation environnementale en conformité avec la Loi et les principes mentionnés dans le rapport, que j’ai mentionnés plus haut. La Commission établit toutefois explicitement un lien entre cette conclusion et l’existence d’étapes futures de délivrance de permis ou de licences. À la page 63 du rapport d’évaluation environnementale, elle déclare ce qui suit :

La Commission relève qu’il existe une étape d’autorisation des activités d’exploitation et d’entretien durant laquelle le promoteur sera tenu de présenter des détails spécifiques. Par conséquent et à la lumière des données présentées, la Commission a décidé qu’elle disposait de renseignements suffisants, aux fins de l’évaluation environnementale, pour déterminer si le projet est susceptible d’entraîner des effets négatifs importants sur l’environnement.

 

Comme je l’ai déjà dit, il s’agissait d’une commission d’examen scientifique spécialisée et elle nous indique dans son rapport qu’elle dispose des ressources nécessaires pour évaluer la question de savoir si les seuils requis ont été respectés conformément à l’approche de précaution à l’égard de l’examen. Mais il semblerait que la conclusion de la Commission sur ce point était tout autant une interprétation du caractère approprié de s’en remettre à la CCSN pour certaines questions qu’une détermination scientifique factuelle concernant la suffisance de la preuve dont elle disposait.

 

[380]       Les demanderesses ont tenté de qualifier le rapport de différentes façons et attaquent son approche du point de vue conceptuel. Elles soutiennent que le rapport n’évalue pas un « projet », que le scénario limitatif n’est pas compatible avec la réalisation d’une évaluation environnementale sous le régime de la LCEE et que la Commission s’est livrée à une délégation inappropriée de ses attributions afin de combler après coup des lacunes en matière de renseignements et de données qui étaient la conséquence inévitable de son omission d’insister sur un type précis de réacteur comme condition préalable à une évaluation significative.

 

[381]       Toutes ces questions sont certainement défendables, mais, au bout du compte, les demanderesses soutiennent en fait que la Commission ne disposait pas des renseignements et des autres éléments nécessaires pour réaliser une véritable évaluation environnementale en conformité avec la Loi. Elles attaquent le fondement de la conclusion de la Commission sur ce point et elles demandent à la Cour d’exprimer son désaccord avec l’évaluation de la Commission spécialisée à propos d’une conclusion de fait scientifique. J’estime qu’il va sans dire que la Cour doit être très réticente à modifier une telle conclusion.

 

[382]       Évidemment, cela ne signifie pas que la Cour accepte tout simplement à leur face même les déclarations de la Commission à propos de sa méthodologie, de son adhésion à l’approche de précaution ou de sa connaissance des dangers de la gestion adaptative en l’absence des données scientifiques pour établir les seuils requis. Les demanderesses ont souligné dans le rapport des cas précis où elles estiment que la Commission s’est appuyée sur une délégation irrégulière de ses attributions. J’ai examiné chacun de ces cas et il me semble que la Commission reconnaît les éventualités qu’un projet de cette nature et de cette durée soulève nécessairement et qui nécessiteront des mesures d’atténuation et de suivi, le recours à d’autres organismes et une évaluation future. Cependant, les seuils requis et les données et conseils scientifiques pour étayer ces seuils sont, de façon générale, présents et permettent à la Commission de dire que ce projet n’est pas susceptible d’entraîner des effets négatifs importants sur l’environnement. À mon avis, les seules occasions où ce n’est pas le cas et où une délégation irrégulière d’attribution a eu lieu, sont les cas que j’ai énumérés ci-dessus à l’égard desquels je suis d’avis que les seuils ne sont pas suffisamment précisés et les données scientifiques ne sont pas disponibles pour en arriver à des évaluations raisonnables.

 

[383]       Pour l’essentiel cependant, l’approche de la Commission me semble être conforme aux propos tenus par la Cour d’appel fédérale dans Express Pipelines, précité :

[14]      Finalement, on nous demande de conclure que la commission a irrégulièrement délégué certaines de ses fonctions lorsqu'elle a recommandé que certaines autres études et rapports en cours destinés à l'Office national de l'énergie soient réalisés avant, pendant et après les travaux de construction. Cet argument démontre que les requérants comprennent mal la fonction de la commission, qui joue simplement un rôle de cueillette d'éléments d'information et de formulation de recommandations. La Cour se refuse de modifier à la légère l'opinion de la commission suivant laquelle elle disposait de suffisamment d'éléments de preuve pour pouvoir s'acquitter de cette fonction « le plus tôt possible au stade de la planification du projet, avant la prise d'une décision irrévocable » (voir le paragraphe 11(1)). De par sa nature, le rôle de la commission consiste à faire des prévisions et il n'est pas étonnant que la loi envisage explicitement la possibilité de programmes « de suivi ». D'ailleurs, compte tenu de cette tâche, nous doutons qu'on puisse jamais en arriver à une évaluation environnementale définitive et infaillible

 

 

[384]       À l’exception des cas précis que j’ai mentionnés, l’approche de la Commission consiste à veiller à la présence des seuils requis pour un projet d’une ampleur et d’une durée considérables qui, en raison de sa nature, oblige la Commission à prendre en compte et à examiner les mesures de protection scientifiques et réglementaires qui seront mises en œuvre à chaque étape successive. Comme le souligne le PGC, les centrales nucléaires sont assujetties à plusieurs domaines différents de surveillance réglementaire. Selon la LSRN, une centrale nucléaire est assujettie à un processus de délivrance de licences ou de permis par étapes. OPG doit demander des permis ou licences distincts pour la préparation de l’emplacement, la construction, l’exploitation, le déclassement et l’abandon du projet. À chaque étape, OPG sera tenue de fournir des renseignements supplémentaires à propos des spécifications de la conception du projet et de ses effets sur l’environnement. La CCSN ne délivrera pas de licence ou de permis à moins qu’elle ne soit d’avis qu’OPG « dans le cadre de ces activités, [...] prendra les mesures nécessaires pour protéger l’environnement ».

 

[385]       À mon avis, il ne s’agit pas d’une délégation irrégulière ni d’une prédiction de l’avenir. Outre les exceptions que j’ai déjà mentionnées, l’approche de la Commission est, à mon avis, compatible avec les propos tenus par la Cour dans des affaires comme Pembina Institute, précitée, aux paragraphes 23 et 34.

 

Questions de procédure

[386]       Les demanderesses soutiennent que l’omission de la Commission d’évaluer le projet conformément aux paragraphes 15(3), 16(1) et (2) et à l’article 34 de la LCEE a été aggravée par des erreurs procédurales en ce que la Commission a refusé :

a)                  de prolonger la période de consultation publique ou l’EIE;

b)                  de permettre le contre‑interrogatoire sur la preuve ou les réponses quant aux engagements;

c)                  d’ajourner l’audience publique pour que les renseignements manquants puissent être obtenus, communiqués au public et que la Commission puisse les examiner avec soin.

 

[387]       Mon examen du dossier confirme le contexte factuel qu’OPG a fourni concernant ces questions :

[traduction]

 

50.       Les demanderesses ont écrit à la Commission demandant qu’OPG et le personnel de la CCSN soient tenus de témoigner sous la foi du serment à l’audience. Avant la mise sur pied de la Commission, Waterkeeper avait présenté une demande semblable concernant l’Agence, demande qui a été rejetée. La Commission a rejeté les demandes des demanderesses dans des motifs rendus oralement le premier jour de l’audience. La Commission a déclaré qu’elle n’était pas un tribunal et qu’elle se réservait le droit d’examiner et d’accepter les éléments de preuve et les informations qu’elle estimait appropriés. Ni la LCEE ni la LSRN n’obligent les décideurs à accepter ou à rejeter des preuves en se fondant sur les règles officielles en matière de preuve dans le cadre d’un procès civil ou pénal.

 

51.       Les demanderesses ACDE et Waterkeeper ont aussi demandé à la Commission d’ajourner l’audience pour permettre la cueillette de ce qu’elles ont appelé « des renseignements manquants au dossier ». La Commission a rejeté cette demande dans le cadre des mêmes motifs rendus oralement. Elle a déclaré que si les audiences publiques devaient être tenues uniquement une fois qu’elle avait obtenu tous les renseignements nécessaires pour formuler ses recommandations, l’évaluation n’atteindrait jamais l’étape des audiences. La Commission a déclaré qu’une fois qu’elle aurait entendu tous les participants, elle examinerait les éléments de preuve recueillis et rendrait une décision quant à la suffisance des renseignements fournis.

 

52.       Dans sa décision, la Commission a également examiné la demande des demanderesses sollicitant l’ajournement de l’audience parce qu’elles n’avaient pas eu suffisamment de temps pour étudier la conception du réacteur EC 6. La Commission a expressément rejeté « les affirmations des intervenants selon lesquelles ils n’ont pas disposé d’assez de temps et n’ont pas reçu d’avis les informant de manière suffisante pour se préparer ». La Commission a expliqué qu’elle avait fourni des instructions à cet effet en 2010 et en mars 2011, que ses instructions avaient clairement indiqué que le processus d’examen était neutre sur le plan technologique et que si elle déterminait que des renseignements supplémentaires étaient nécessaires concernant le réacteur EC‑6, elle fournirait aux participants l’occasion de présenter d’autres observations. Après avoir examiné toutes les observations sur la question, la Commission a conclu qu’elle ne devait pas ajourner l’audience parce que la technologie du réacteur EC 6 serait examinée au cours de l’audience.

 

[388]       En vertu du cadre de référence, les procédures de la Commission devaient se dérouler conformément à la LCEE, à la LSRN et à l’Entente de la Commission. Comme la Cour suprême du Canada l’a clairement précisé dans l’arrêt Prassad, précité, aux pages 568-569,

Nous traitons ici des pouvoirs d'un tribunal administratif à l'égard de sa procédure. En règle générale, ces tribunaux sont considérés maîtres chez eux. En l'absence de règles précises établies par loi ou règlement, ils fixent leur propre procédure à la condition de respecter les règles de l'équité et, dans l'exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, de respecter les règles de justice naturelle. Il est donc clair que l'ajournement de leurs procédures relève de leur pouvoir discrétionnaire.

 

[389]       En l’espèce, la LCEE, la LSRN et l’Entente de la Commission ne prévoient aucune règle précise applicable au processus d’audience qu’a mené la Commission. Je ne vois rien de déraisonnable ou d’inéquitable du point de vue de la procédure quant à la manière dont la Commission a traité ces questions.

 

Conclusions

[390]       Étant donné que la Commission a reconnu que l’EPC constituait « une dérogation par rapport à une approche plus traditionnelle dans laquelle les principaux éléments du projet sont définis avant l’évaluation environnementale », une évaluation environnementale qui testait les limites fixées dans la LCEE devait inévitablement susciter la controverse. À mon avis cependant, le dossier indique que par le biais de la participation et du processus d’audience, les demanderesses et les participants partageant les mêmes idées ont eu amplement l’occasion de présenter leurs opinions quant aux insuffisances de l’EPC comme approche à l’égard de l’évaluation environnementale et quant aux problèmes précis auxquels elle a donné lieu en ce qui a trait à ce projet particulier. Le rapport d’évaluation environnementale lui-même reconnaît pleinement et examine en détail les arguments à l’encontre de l’approche de l’EPC et l’omission d’OPG d’identifier une technologie précise de réacteur (voir le paragraphe 3.3.10, par exemple) et la Commission se montre sensible aux critiques des demanderesses et d’autres tout au long du rapport.

 

[391]       Ce débat s’est poursuivi devant la Cour dans la présente demande. Quelle que soit la façon dont les questions juridiques sont décrites (absence de « projet », omission d’appliquer l’article 34 et les paragraphes 16(1) et (2) de la LCEE, etc.), le principal argument invoqué est que l’approche de l’EPC ne permettait pas une véritable évaluation environnementale comme l’exige la LCEE. La Commission a cependant tiré une conclusion précise selon laquelle l’approche de l’EPC utilisée en l’espèce permettait bel et bien d’effectuer une évaluation véritable :

La Commission accepte l’utilisation d’une enveloppe des paramètres de la centrale aux fins de l’évaluation environnementale en tant qu’approche permettant de prédire les effets environnementaux négatifs d’un groupe déterminé de technologies de réacteurs.

 

[392]       Au bout du compte, les demanderesses demandent à la Cour d’être en désaccord avec cette conclusion. Les demanderesses ont présenté plusieurs objections concernant l’approche qui ne m’apparaissent pas déraisonnables. Cependant, la question n’est pas de savoir si je suis d’accord ou en désaccord avec les demanderesses ou la Commission. Le paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, précité, exige que j’examine « […] la justification, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel » et que je me prononce sur « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[393]       Il est assurément possible d’être en désaccord à la fois avec la conclusion de la Commission selon laquelle l’approche de l’EPC permet une véritable évaluation environnementale et avec l’application de l’EPC aux éléments prescrits par la LCEE. Mais je ne crois pas qu’il soit possible de dire que la conclusion n’appartient pas aux issues énoncées dans l’arrêt Dunsmuir, précité. Je ne crois pas non plus qu’il soit possible de dire que l’utilisation de l’approche de l’EPC par la Commission tout au long de son analyse, outre les cas que j’ai mentionnés plus tôt, n’était pas conforme à la LCEE. Et cela, même si la nature et la durée du présent projet et l’omission d’OPG de désigner une technologie précise de réacteur ont fait en sorte que la Commission s’est grandement appuyée sur des mesures d’atténuation, des programmes de suivi, des engagements et des actions futurs qui devront être examinés et mis en œuvre au fil du déroulement du projet dans le cadre de ses différentes phases. Toutefois, au bout du compte, la Commission était d’avis que tout cela pouvait être exécuté d’une manière qui n’était pas susceptible d’entraîner des effets négatifs sur la santé et l’environnement. Nonobstant les vives inquiétudes des demanderesses, à l’exception des cas que j’ai déjà soulignés, la Cour ne peut pas dire que cette conclusion était déraisonnable ou que les mentions de mesures futures signifient qu’une véritable évaluation des incidences environnementales n’a pas été faite en conformité avec la Loi.

 

[394]       Les conclusions précises que j’ai tirées quant aux insuffisances et quant au caractère déraisonnable du rapport d’évaluation environnementale ne vicient pas le rapport dans son entier, bien qu’il me semble qu’il soit nécessaire de faire un nouvel examen et d’apporter une mesure correctrice afin de permettre au Cabinet et aux décideurs prévus à l’article 37 d’évaluer ou d’évaluer à nouveau l’ensemble du projet et de prendre leur décision en conséquence. J’ai tenté de concevoir une mesure qui permettra que cela se produise, sans écarter le travail de la Commission, que je qualifie d’excellent.

 

Le permis de préparation de l’emplacement – Dossier T‑1723‑12

Le litige

[395]       Le double mandat de la Commission consistait à réaliser l’évaluation environnementale exigée par la LCEE et (intervenant en qualité de CCSN) à examiner la demande d’OPG présentée en titre de la LSRN pour obtenir un permis de préparation de l’emplacement de Darlington.

 

[396]       La question de savoir si la Commission a réalisé une évaluation environnementale conforme à la LCEE (question traitée ci‑dessus dans le dossier T‑1572‑11) constitue la toile de fond de la présente demande. Il est également question de savoir si en délivrant le permis, la Commission a omis de respecter certaines exigences prescrites par la LSRN et commis un manquement à l’équité procédurale en s’appuyant sur des documents étrangers qui ne faisaient pas partie du dossier.

 

[397]       Conjointement avec la présente demande, les demanderesses ont également présenté une requête en radiation de certaines parties de l’affidavit de Mme Laurie Swami signifié par la défenderesse OPG au motif que celles-ci ne seraient pas liées à la décision relative au permis en cause dans la présente demande et ne seraient pas pertinentes quant à la question de savoir si la Commission a fait preuve d’équité procédurale envers les demanderesses.

 

L’évaluation environnementale a-t-elle été réalisée en conformité avec la LCEE?

[398]       Ce motif comporte une répétition des motifs et des questions que j’ai déjà traitées dans le dossier T‑1572‑11 ci-dessus. Par conséquent, je renvoie aux motifs prononcés dans le dossier T‑1572‑11 et je les adopte aux fins du contrôle dans la présente demande T-1723-12.

 

[399]       Étant donné que j’ai conclu que l’évaluation environnementale comportait des lacunes à certains égards, les conditions préalables prévues par la loi pour la délivrance du permis n’ont pas été remplies et le permis est donc invalide. Toutefois, les autres arguments que les demanderesses ont évoqués pour attaquer la décision relative à la licence ne sont pas retenus pour les motifs énoncés ci‑après.

 

La CCSN s’est-elle conformée à la LSRN?

[400]       Selon les demanderesses, puisqu’OPG n’a pas fait mention de la technologie de réacteur choisie pour le projet dans sa demande de permis, la demande était prématurée et, élément plus important, cela signifiait que la CCSN n’était pas compétente pour délivrer un permis, n’ayant pas les renseignements suffisants sur les questions prévues par le Règlement sur les installations nucléaires de catégorie I.

 

[401]       Il me semble que cet argument est fondé sur une interprétation particulière de la LSRN et du Règlement qui ne peut être retenue. Il s’agissait d’une demande de permis de préparation de l’emplacement. À mon avis, aucune disposition de la LSRN ou du Règlement n’exige que la technologie de réacteur choisie soit expressément mentionnée avant la délivrance d’un tel permis. Évidemment, il se peut que l’omission de faire mention de la technologie de réacteur qui a été choisie empêche la Commission (en qualité de CCSN) de respecter les dispositions applicables, mais il s’agira d’une question de fait dans chaque cas.

 

[402]       Selon le paragraphe 24(4) de la LSRN, la CCSN ne peut délivrer une licence ou un permis que si « elle est d’avis » que l’auteur de la demande :

b)         prendra, dans le cadre de ces activités, les mesures voulues pour préserver la santé et la sécurité des personnes, pour protéger l’environnement, pour maintenir la sécurité nationale et pour respecter les obligations internationales que le Canada a assumées.

 

[403]       L’« activité » en question en l’espèce est clairement la préparation de l’emplacement et non le projet dans son ensemble, lequel nécessitera des permis ou licences supplémentaires dans l’avenir si des décisions sont prises pour aller de l’avant avec la construction, l’exploitation, l’abandon et le déclassement.

 

[404]       En conséquence, la question en l’espèce est celle de savoir si, de l’avis de la Commission (en qualité de CCSN), OPG prendra les mesures voulues pour la protection des éléments mentionnés à l’alinéa 24(4)b), si elle procède à la préparation de l’emplacement.

 

[405]       Tout au long de sa décision relative au permis, la Commission (en qualité de CCSN) indique clairement que certaines questions, comme l’Analyse de la sûreté, la Conception matérielle, l’Aptitude fonctionnelle, sont exclues de la portée du permis de préparation de l’emplacement et seront examinées plus tard dès que la conception de la technologie de réacteur aura été choisie pour la construction et qu’une demande de permis de construction aura été présentée.

 

[406]       La Commission a mis cette position en relief au paragraphe 102 des motifs de la décision relative au permis, intitulé Conclusion sur l’évaluation de l’emplacement :

D’après les renseignements présentés, la Commission est d’avis que, compte tenu des mesures d’atténuation déjà en place et des mesures qui seront mises en place, et des engagements pris par OPG lors de l’évaluation environnementale du projet, l’emplacement répond aux exigences relatives aux nouvelles centrales nucléaires, conformément au document RD-346. Par conséquent, la Commission conclut que l’emplacement convient à la construction de la nouvelle centrale nucléaire proposée. Elle indique que la technologie de réacteur que l’Ontario sélectionnera en vue de la construction de la centrale nucléaire fera l’objet d’un examen et d’une évaluation dans le cadre d’une demande de permis de construction, et que cette technologie devra répondre aux exigences réglementaires relatives à la délivrance d’un permis de construction, notamment celles touchant la conformité à l’enveloppe des paramètres de la centrale, pour que la phase de construction puisse se dérouler.

 

[407]       Il ressort aussi clairement du permis lui-même, dont la partie 4 mentionne que [traduction] « [l’]Activité visée par le permis » ne vise que les [traduction] « Activités de la préparation de l’emplacement ».

 

[408]       Les demanderesses renvoient la Cour aux alinéas 3b) et e) et 4e) du Règlement. L’alinéa 4e) mentionne « l’activité visée par la demande » qui, en l’espèce, est la préparation de l’emplacement, non la construction de la technologie de réacteur. La lecture des motifs de la décision relative au permis révèle que la Commission (en qualité de CCSN) a clairement étudié les plans de l’emplacement et les substances dangereuses « qui pourraient se trouver sur l'emplacement pendant le déroulement de l'activité visée » pour se former une opinion.

 

[409]       L’alinéa 3b) du Règlement s’écarte quelque peu du libellé des dispositions qui l’entourent en ce qu’il exige « des plans indiquant l'emplacement, le périmètre, les aires, les ouvrages et les systèmes de l'installation nucléaire » et pas simplement les activités à être autorisées par le permis précis qui est délivré. À mon avis cependant, il ressort clairement du rapport d’évaluation environnementale que ce critère a été satisfait. Ce rapport indique qu’OPG a conceptualisé « trois scénarios d’implantation d’une centrale modèle distincts » décrivant « l’étendue maximale de l’aménagement sous différents angles de planification pour chaque technologie de réacteur et chaque technologie de refroidissement » et « a présenté des plans d’aménagement mis à jour et des plans d’aménagement supplémentaires » au fil du déroulement de l’évaluation (rapport d’évaluation environnementale, à la page 15). Ces plans étaient loin d’être définitifs, mais compte tenu de la phase à laquelle le projet était rendu et du régime législatif dans son ensemble, j’estime qu’il était raisonnable pour la Commission (en qualité de CCSN) de les accepter comme satisfaisant aux exigences prévues à l’alinéa 3b) aux fins de la demande de permis de préparation de l’emplacement. Aux paragraphes 124 et 125 des motifs de la décision relative au permis, la Commission (en qualité de CCSN) a conclu que la « conception matérielle » de l’installation nucléaire elle-même n’était pas visée par la demande de permis de préparation de l’emplacement. En outre, les demanderesses n’ont pas démontré qu’il s’agissait d’une conclusion déraisonnable compte tenu du libellé de l’alinéa 3b) du Règlement, qui exige uniquement « des plans indiquant […] les ouvrages et les systèmes de l'installation nucléaire ». La Commission (en qualité de CCSN) a également déclaré ce qui suit au paragraphe 15 :

[…] [P]our atténuer les conséquences globales sur les milieux terrestre et aquatique, et pour maximiser les possibilités de réhabilitation d’un habitat terrestre de qualité, OPG doit effectuer une évaluation en profondeur des possibilités d’aménagement de l’emplacement avant le début des travaux de préparation.

 

Par conséquent, je suis convaincu que la Commission (en qualité de CCSN) a respecté à la fois la lettre et l’esprit de l’alinéa 3b) du Règlement en délivrant le permis de préparation de l’emplacement.

 

[410]       À mon avis, les demanderesses n’ont pas démontré qu’en l’absence d’un choix de technologie de réacteur, il était déraisonnable que la Commission (en qualité de CCSN) formule l’opinion exprimée dans les motifs de la décision relative au permis ou qu’en ce faisant, la Commission (en qualité de CCSN) a omis de prendre en compte ou de respecter une disposition de la LSRN ou du Règlement.

 

Équité procédurale

[411]       Les demanderesses soutiennent ici que dans les motifs qu’elle a rendus dans le cadre de sa décision relative au permis, la Commission (en qualité de CCSN) s’est appuyée sur le Rapport du Groupe de travail sur Fukushima et le Plan d’action qui en a découlé, de même que sur plusieurs documents cités dans le Manuel des conditions de permis qui, au cours des audiences, n’existait que sous forme d’ébauche ou pas du tout. Elles font valoir que ces documents ne faisaient pas partie du dossier et ainsi, conformément aux principes d’équité procédurale énoncés dans l’arrêt Baker, précité, et au principe des attentes raisonnables, les demanderesses ont été privées de la possibilité de présenter des observations sur des questions visées par la décision relative au permis.

 

[412]       À cet égard, il est nécessaire de comprendre la façon dont l’accident de Fukushima et le Rapport du Groupe de travail et le Plan d’action qui en a découlé se sont insérés dans la procédure d’évaluation environnementale dans le dossier T‑1572‑11 et la demande de permis de préparation de l’emplacement qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. OPG a présenté un résumé que les demanderesses n’ont pas contesté :

[traduction]

 

27.       À l’audience, la Commission a demandé la présentation d’informations concernant l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi. En réponse à cette demande, le personnel de la CCSN a fait une présentation sur les implications de l’accident (y compris le séisme et le tsunami) pour le projet, et la Commission géologique du Canada a fait une présentation sur les séismes au Canada. OPG a également fait une présentation sur l’évaluation des risques sismiques du projet.

 

28.       Dans son rapport, la Commission a reconnu « que l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi a eu des répercussions du [sic] l’audience. De nombreux participants ont évoqué les récents événements survenus au Japon en exprimant leur sympathie et les ont cités comme exemple de ce qui pourrait arriver si un accident hors dimensionnement devait se produire à l’emplacement du projet. » Les participants ont évoqué l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi en lien avec plusieurs questions examinées par la Commission, notamment les accidents et les défaillances, la planification des mesures d’urgence, les coûts et les effets économiques, l’activité sismique et la géologie et les solutions de rechange au projet. La Commission a également pris en compte l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi dans ses conclusions sur les coûts estimatifs du projet et l’utilisation et l’aménagement des terres.

 

29.       La Commission a conclu dans son rapport que les accidents ou défaillances conventionnels n’étaient pas susceptibles d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants. Elle a toutefois aussi conclu qu’« en se fondant sur les points de vue exprimés par des participants durant l’examen et les préoccupations relatives aux scénarios d’accidents tels que l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi », OPG devrait évaluer les effets cumulatifs d’un scénario d’accident grave de cause commune « qui comprendrait tous les réacteurs de production d’électricité d’origine nucléaire de la zone d’étude du site. » La Commission a recommandé que la CCSN exige qu’OPG effectue une telle évaluation avant la construction des réacteurs.

 

 

[413]       En ce qui a trait à la procédure relative au permis de préparation de l’emplacement, les demanderesses soulignent ce qui suit :

[traduction]

 

19.       Malgré l’intérêt que les demanderesses avaient démontréi lors des audiences publiques à l’égard de la catastrophe de Fukushima et la pertinence des leçons qui pouvaient en être tirées, la CCSN a par la suite examiné des documents produits par un groupe de travail externe de la CCSN après la clôture des audiences publiques. Les motifs de la décision de la CCSN relative à la délivrance du permis mentionnent à plusieurs reprises le Rapport du Groupe de travail sur Fukushima et le Plan d’action qui en découle (aux pages 5, 14, 17, 21, 54). Le Rapport du Groupe de travail sur Fukushima est daté d’octobre 2011 (environ quatre mois après la fermeture du dossier public par la Commission et six mois après la fin des audiences publiques en lien avec le projet). Le Plan d’action est daté du 2 mars 2012 (environ neuf mois après la fermeture du dossier public par la Commission et 11 mois après la fin des audiences publiques).

 

20.       En réponse à la demande fondée sur l’article 317 des Règles par laquelle les demanderesses demandaient qu’on leur transmette le dossier de la Commission dans la présente demande de contrôle judiciaire, l’avocat de la CCSN a informé les demanderesses que le dossier de la Commission portant sur la décision relative au permis était identique au dossier de la Commission portant sur l’évaluation environnementale et qu’aucun autre document ne serait communiqué ou produit. Ce dossier n’inclut ni le Rapport du Groupe de travail sur Fukushima ni le Plan d’action.

 

21.       Le Rapport du Groupe de travail sur Fukushima et le Plan d’action n’ont pas été présentés comme pièces lors des audiences publiques qu’a tenues la Commission et par conséquent, ils n’ont pas fait l’objet d’un avis ni n’ont donné lieu à la possibilité pour les participants ou d’autres intervenants de formuler des commentaires aux audiences publiques.

 

22.       Si le Rapport du Groupe de travail sur Fukushima et le Plan d’action avaient été dûment présentés comme pièces et si les intervenants en avaient été avisés ou avaient eu la possibilité de formuler des commentaires à leur égard, les demanderesses auraient exprimé d’importantes réserves à l’égard de ces documents et à l’égard du fait que la Commission se soit appuyée sur eux, notamment à l’égard de l’insuffisance continue de l’évaluation des risques réalisée par OPG et du fait que le Rapport du Groupe de travail sur Fukushima et le Plan d’action connexe ne pouvaient combler les lacunes en matière de renseignements propres au projet que contenait toujours l’évaluation de la Commission.

 

[414]       Les demanderesses n’ont pas élaboré leurs arguments relatifs à l’équité procédurale fondés sur des documents du Manuel des conditions de permis qui étaient uniquement sous forme d’ébauche ou qui ne faisaient pas partie de la procédure. Par conséquent, même si la Commission (en qualité de CCSN) peut avoir fait mention de ces documents, les demanderesses n’ont pas démontré qu’ils constituaient un fondement important des motifs de la Commission pour la délivrance du permis de préparation de l’emplacement.

 

La requête en radiation

[415]       Les demanderesses cherchent à faire exclure des parties d’un affidavit déposé par les défendeurs décrivant le processus de consultation publique en lien avec le Rapport du Groupe de travail sur Fukushima et le Plan d’action de la CCSN (affidavit de Swami, aux paragraphes 12‑22), au motif que ni le Rapport ni le Plan d’action n’ont été présentés comme éléments de preuve devant la Commission (en qualité de CCSN) dont la décision fait l’objet d’un contrôle judiciaire dans le dossier T‑1723‑12.

 

[416]       De façon générale, les seuls documents pertinents à l’occasion d’une demande de contrôle judiciaire sont le dossier dont disposait le décideur. Cette règle connaît cependant des exceptions bien établies comme les demandes qui soulèvent la partialité, la compétence et l’équité procédurale (voir Première Nation Tl'Azt'En c Joseph, 2013 CF 767, au paragraphe 16; International Relief Fund for the Afflicted and Needy (Canada) c Canada (Ministre du Revenu national), 2013 CAF 178, aux paragraphes 9‑10; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22, aux paragraphes 19‑20).

 

[417]       En l’espèce, les demanderesses allèguent que la Commission (en qualité de CCSN) a manqué à l’équité procédurale en faisant mention du Rapport du Groupe de travail et du Plan d’action et en se fondant sur eux, car les demanderesses n’ont pas reçu d’avis à l’égard de ces documents ni n’ont eu la possibilité de formuler des commentaires à leur égard avant que la Commission ne rende sa décision de délivrer le permis. À l’appui de cette allégation, les demanderesses ont déposé les affidavits de Stensil et de Cooper. M. Stensil déclare que le Rapport du Groupe de travail et le Plan d’action [traduction] « n’ont pas fait l’objet d’un avis et l’ACDE ou d’autres intervenants n’ont pas eu la possibilité de formuler des commentaires à leur égard ».

 

[418]       Il semble clair que le Rapport du Groupe de travail et le Plan d’action n’ont pas été produits en vertu de l’article 317 des règles pour faire partie du dossier dont disposait Commission (en qualité de CCSN) dans le cadre de la procédure de délivrance du permis, pas plus qu’ils n’étaient inscrits sur la liste des pièces. Le principe de l’équité procédurale s’attache toutefois au fond, non à la forme. L’une des questions sur lesquelles la Cour doit se prononcer est celle de savoir si le Rapport du Groupe de travail et le Plan d’action [traduction]  « n’ont pas fait l’objet d’un avis ou que les demanderesses ou d’autres intervenants n’ont pas eu la possibilité de formuler des commentaires à l’audience » (au paragraphe 2 du mémoire des faits et du droit des demanderesses).

 

[419]       Les paragraphes de l’affidavit de Swami auxquels s’opposent les demanderesses portaient sur cette même question. Elles soutiennent que le Rapport du Groupe de travail et le Plan d’action ont été publiés pour faire l’objet de commentaires et décrivent le processus de consultation publique en ce qui les concerne et qui s’est déroulé entre octobre 2011 et mai 2012. Ceci était après les audiences publiques tenues par la Commission (en qualité de CCSN) à la fois relativement à l’évaluation environnementale et relativement au permis de préparation de l’emplacement, mais avant la décision relative à la licence, qui a été rendue le 17 août 2012. L’affidavit indique que deux des demanderesses, Greenpeace et Lake Ontario Waterkeeper, ont formulé des observations écrites pendant ce processus et que Greenpeace a fait une présentation à la CCSN concernant ces deux documents à l’occasion d’une rencontre en mai 2012.

 

[420]       Les défendeurs soutiennent que ce processus de consultation publique répondait également aux exigences de l’équité procédurale en ce qui a trait au Rapport du Groupe de travail sur Fukushima et au Plan d’action pour les besoins de la demande de permis de préparation de l’emplacement.

 

[421]       Les demanderesses répondent que les défendeurs brouillent la distinction entre la Commission qui s’est prononcée sur la demande de permis de préparation de l’emplacement et la CCSN, dans l’ensemble, qui a mené la consultation publique concernant l’accident de Fukushima.

 

[422]       Le bien-fondé de l’argument des défendeurs fondé sur l’affidavit de Swami sera examiné plus loin, mais il s’agissait assurément d’un argument que les défendeurs pouvaient raisonnablement invoquer. Les deux processus relevaient des travaux de la Commission et les demanderesses, ou certaines d’entre elles, ont participé aux deux. La question de savoir s’il est possible de faire une distinction entre la procédure de délivrance de permis et la consultation publique plus générale sur Fukushima est la question de fait et de droit à laquelle il faut répondre et la Cour doit disposer d’un dossier factuel pour ce faire. L’affidavit de Mme Swami a directement trait à cette question même et il doit faire partie du dossier de demande de contrôle judiciaire.

 

[423]       En bref, les parties contestées de l’affidavit de Swami ont directement trait à la question de l’équité procédurale que les demanderesses ont présentée à la Cour dans leur demande dans le dossier T‑1723‑12, et elles constituent des éléments de preuve admissibles.

 

Bien-fondé de la question de l’équité procédurale

[424]       Selon la règle de l’équité procédurale applicable, telle qu’énoncée par le juge en chef Dickson dans l’arrêt Kane c Conseil d’administration de l’Université de la Colombie‑Britannique, [1980] 1 RCS 1105, aux pages 1115‑1116, « chaque partie à une affaire a le droit d'être informée des éléments de preuve qui ont trait à la décision et de faire valoir ses arguments à leur égard » (non souligné dans l’original) (voir aussi Pfizer Co c Canada (Sous‑ministre du Revenu national pour les douanes et l’accise), [1977] 1 RCS 456, à la page 463).

 

[425]       À mon avis, si la Commission avait accordé une grande importance aux documents en cause dans sa décision relative au permis, cela aurait pu constituer (selon la nature de cette importance) un manquement à l’équité procédurale. Il en est ainsi parce que même si les demanderesses ont eu la possibilité de formuler des commentaires généraux sur ces documents dans le cadre d’un autre processus, elles n’ont pas eu l’occasion de s’adresser aux véritables décideurs qui prenaient la décision relative au permis, soit les membres de la Commission (en qualité de CCSN), concernant leur pertinence et leur application au projet lui-même. En effet, il semble qu’aucun membre de la Commission n’était présent à l’audience publique tenue par la CCSN à propos de ces documents et à laquelle Greenpeace a fait une présentation. Les audiences publiques de la Commission ont eu lieu avant même que l’ébauche du Rapport du Groupe de travail et du Plan d’action ne soit communiquée afin d’obtenir des commentaires de la part du public. C’est dans ce contexte que Waterkeeper a demandé que la proposition de projet soit renvoyée à la Commission pour un nouvel examen précisément en regard au Rapport du Groupe de travail.

 

[426]       Ce qui est cependant décisif en l’espèce est que la Commission (en qualité de CCSN) ne s’est aucunement appuyée sur le Rapport du Groupe de travail sur Fukushima et le Plan d’action pour en arriver à sa décision relative au permis. Elle a plutôt exigé que les futurs rapports présentés à la CCSN concernant le projet incorporent les conclusions du Rapport du Groupe de travail et a réitéré sa recommandation formulée dans le rapport d’évaluation environnementale selon laquelle toute exigence réglementaire renforcée qui découlera du Rapport du Groupe de travail et du Plan d’action devra être intégrée dès que possible au projet

 

[427]       La Commission (en qualité de CCSN) fait mention du Rapport du Groupe de travail sur Fukushima et du Plan d’action à cinq reprises dans ses motifs de la décision relative au permis. Voici ce qu’elle a écrit :

16.       La Commission demande à OPG de produire un rapport de mi-parcours sur la réalisation des activités autorisées ainsi que sur la mise en œuvre des engagements pris au cours de l’évaluation environnementale. Ce rapport doit aussi tenir compte des conclusions du Groupe de travail de la CCSN sur Fukushima.

 

[…]

 

58.       La Commission juge que les renseignements fournis par OPG répondent aux exigences réglementaires relatives à la demande de PPE et aux attentes établies dans le document RD-346. Compte tenu du rapport d’évaluation environnementale, la Commission note toutefois que les leçons tirées de l’accident nucléaire survenu à la centrale nucléaire Fukushima Daiichi en 2011 sont susceptibles d’entraîner des changements au plan des exigences réglementaires. La Commission suggère donc que toute exigence réglementaire renforcée qui en découlera devra être intégrée dès que possible au projet. Elle indique également que la CCSN a publié un plan d’action afin de donner suite aux leçons tirées de l’accident nucléaire de la centrale nucléaire Fukushima Daiichi et elle réitère la suggestion formulée dans le rapport d’évaluation environnementale.

 

[…]

 

68.       De plus, la Commission souligne que l’analyse des événements à faible probabilité d’occurrence est mentionnée dans le rapport du Groupe de travail de la CCSN sur Fukushima comme méthode d’établissement de stratégies d’atténuation possibles.

 

[…]

 

84.       La Commission a indiqué que le groupe de travail de la CCSN avait préparé un plan d’action, qui fera l’objet de consultations publiques et d’une séance publique en mai 2012. Elle s’attend à ce que les conclusions du rapport du Groupe de travail de la CCSN sur Fukushima soient prises en considération dans le cadre de l’examen de mi‑parcours du permis de préparation de l’emplacement.

 

[…]

 

235.     La Commission approuve les exigences de rapport proposées par le personnel de la CCSN, y compris la présentation du rapport annuel de la CCSN intitulé Évaluation intégrée en matière de sûreté des centrales nucléaires au Canada par le personnel de la CCSN. Elle demande à OPG et au personnel de la CCSN de produire des rapports de mi-parcours détaillés sur l’exécution des activités autorisées et sur l’état de la mise en œuvre des engagements pris pendant l’évaluation environnementale, en tenant compte des conclusions du Groupe de travail de la CCSN sur Fukushima. Le rapport du personnel de la CCSN devrait aussi comprendre des renseignements détaillés sur la vérification de l’utilisation des terres situées à proximité du site pendant la période d’exploitation de la centrale nucléaire ainsi que sur le programme de surveillance environnementale et de suivi

 

 

[428]       Compte tenu de la manière dont la question de l’accident de Fukushima s’est insérée dans la procédure d’évaluation environnementale et compte tenu des discussions et des observations qui ont eu lieu à cette occasion, il n’est guère surprenant que la Commission ait jugé approprié de faire mention de l’accident ainsi que du Rapport du Groupe de travail et du Plan d’action dans les motifs de la décision relative au permis. Cependant, les demanderesses ne m’ont pas démontré la mesure dans laquelle l’accident de Fukushima, le Rapport du Groupe de travail et le Plan d’action constituent un aspect important de l’évaluation de l’emplacement par la Commission, sur laquelle reposent la délivrance du permis et l’opinion que la Commission (en qualité de CCSN) s’est faite conformément au paragraphe 24(4) de la LSRN et aux articles 3 et 4 du Règlement et que les demanderesses citent comme étant des dispositions clés. Les renvois au Rapport du Groupe de travail et au Plan d’action indiqués plus haut sont soit des extraits du rapport mentionnés au passage, soit des directives selon lesquelles les rapports futurs devraient en tenir compte. De toute évidence, la Commission (en qualité de CCSN) n’a pas jugé que l’accident de Fukushima ou le Rapport du Groupe de travail et le Plan d’action constituaient des éléments importants quant à sa sa décision de délivrer le permis de préparation de l’emplacement.

 

[429]       Les demanderesses ont raison de souligner que le dossier dont disposait la Commission n’incluait pas le Rapport du Groupe de travail sur Fukushima ou le Plan d’action, mais ce faisant, elles accordent plus d’importance à la forme qu’au fond. Cette omission serait importante uniquement :

a)                  si la Commission s’était fondée sur ces documents quant à la décision relative au permis;

b)                  dans le cas où la Commission s’était fondée sur ceux-ci, si les demanderesses ont été véritablement privées de la possibilité d’exprimer « d’importantes réserves à l’égard de ces documents » et le fait que les documents « ne pouvaient combler les lacunes en matière de renseignements propres au projet que contenait toujours l’évaluation de la Commission. »

 

[430]       Les demanderesses n’ont pas indiqué clairement ce que pourrait comprendre l’expression « importantes réserves » et elles n’ont pas démontré la façon dont la Commission a utilisé le Rapport du Groupe de travail et le Plan d’action pour combler les lacunes en matière d’information que comportait son évaluation. À mon avis, si la Commission (en qualité de CCSN) s’était appuyée de façon importante sur le Rapport du Groupe de travail pour en arriver à sa conclusion à l’égard de la demande de permis, les demanderesses pourraient légitimement soutenir qu’elles n’ont pas eu la possibilité de s’exprimer sur ce que représentaient ces documents par rapport au projet et sur la question de savoir si le permis devait être délivré. À mon avis, cependant rien au dossier n’indique qu’on s’est appuyé sur ces documents. En effet, il semble clair que la Commission (en qualité de CCSN) ne s’est pas appuyée sur ceux-ci.

 

[431]       C’est la norme de contrôle de la décision correcte qui s’applique aux questions d’équité procédurale. Pour les motifs prononcés, je conclus qu’il n’y a pas eu en l’espèce manquement au principe de l’équité procédurale.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

Dossier T-1572-11

1.                  La demande présentée dans le dossier T‑1572‑11 est accueillie en partie.

2.                  L’évaluation environnementale réalisée par la Commission en ce qui a trait au projet n’était pas conforme à la LCEE et à l’Entente concernant l’établissement d’une commission d’examen conjoint pour la nouvelle centrale nucléaire d’Ontario Power Generation (Darlington) dans la municipalité de Clarington, en Ontario (y compris le cadre de référence de la Commission) datée de janvier 2009 (l’Entente), dans la mesure indiquée dans les motifs du présent jugement. En bref, comme l’indiquent les motifs plus en détail, il y a eu non-conformité sous trois aspects :

a)      les lacunes dans le scénario limitatif concernant les émissions de substances dangereuses et les stocks de produits chimiques se trouvant sur place;

b)      l’examen du combustible nucléaire épuisé;

c)      le report de l’analyse d’un accident grave de cause commune.

3.                  Le rapport d’évaluation environnementale n’est pas annulé dans son ensemble, mais est renvoyé à la Commission (ou à une commission dûment constituée) pour qu’elle l’examine à nouveau et rende une décision quant aux questions précises énoncées ci-dessus et dans les motifs du présent jugement, et quant à toute question découlant de ce nouvel examen que la Commission (ou une commission dûment constituée) estime importante.

4.                  Tant que la Commission (ou une commission dûment constituée) n’aura pas terminé le nouvel examen et n’aura pas rendu de décision conformément au paragraphe 3 ci-dessus, le gouverneur en conseil n’a pas compétence en vertu de la LCEE pour approuver la réponse d’une autorité responsable quant au rapport de la Commission et la CCSN, le ministère des Pêches et des Océans (MPO) et Transports Canada ne sont pas compétents pour délivrer des autorisations ou prendre toute autre mesure qui permettrait au projet d’aller de l’avant en totalité ou en partie.

5.                  Tant que la Commission (ou une commission dûment constituée) n’aura pas terminé le nouvel examen et n’aura pas rendu de décision conformément à ce qui précède, il est interdit à la CCSN, au ministre des Pêches et des Océans et au ministre des Transports et à tout autre mandataire, employé et représentant de délivrer une licence, un permis, un certificat ou une autorisation prévu par la loi qui permettrait au projet d’être exécuté en totalité ou en partie.

Dossier T‑1723‑12

6.                  La requête en radiation présentée par les demanderesses dans le dossier T‑1723‑12 est rejetée.

7.                  La demande des demanderesses présentée dans le dossier T‑1723‑12 est accueillie pour le seul motif que, dans l’état actuel des choses, le rapport d’évaluation environnementale n’est pas encore complètement conforme à la LCEE en ce qui a trait aux questions précises énoncées dans mes motifs et le jugement prononcé dans le dossier T‑1572‑11. Cela signifie que :

a)      la délivrance du permis par la CCSN est invalide et illégale en raison du non‑respect de la LCEE;

b)      la CCSN n’a pas compétence pour délivrer le permis tant qu’il n’y aura pas eu respect complet de la LCEE conformément à mes motifs et à mon jugement dans le dossier T‑1572‑11;

c)      le permis délivré à OPG par la CCSN le 17 août 2012 est annulé.

Dépens et dispositions générales

8.                  Tant dans le dossier T‑1572‑11 que dans le dossier T‑1723‑12, les parties sont libres de s’adresser à la Cour au sujet de la question des dépens dans les deux demandes et au sujet de la requête en radiation présentée par les demanderesses dans le dossier T‑1723‑12.

9.                  Une copie du présent jugement et des motifs sera versée à la fois au dossier T‑1572‑11 et au dossier T‑1723‑12.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

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cour fédérale

avocats inscrits au dossier


 

                                                           

 

Dossier :

T-1572-11

 

Intitulé :

GREENPEACE CANADA ET AUTRES c procureur général du Canada ET AUTRES

 

ET DOSSIER :

T-1723-12

 

Intitulé :

GREENPEACE CANADA ET AUTRES c procureur général du Canada ET AUTRES

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                        Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

                                                            Les 12 et 13 novembre 2013

 

Motifs du jugement

et jugement :                            LE JUGE RUSSELL

 

Date des motifs :

                                                            Le 14 mai 2014

Comparutions :

Justin Duncan

Richard Lindgren

Theresa McClenaghan

 

Pour les demanderesses

 

Michael H. Morris

Joel Robichaud

Laura Tausky

 

Pour le défendeur

procureur général du Canada

 

Michael A. James

Christina Maheux

Pour la défenderesse

commission canadienne de sûreté nucléaire

 

John Laskin

Alexander Smith

James Gotowiec

 

 

Pour la défenderesse

ONTARIO POWER GENERATION

 


avocats inscrits au dossier :

EcoJustice, Centre for Green Cities

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour les défendeurs

procureur général du Canada,

ministre de l’environnement, ministre des pêches et des océans

et ministre des transports

 

Commission canadienne de sûreté nucléaire, Service juridique

Ottawa (Ontario)

 

Pour la défenderesse

COMMISSION CANADIENNE DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE

 

Torys S.E.N.C.R.L.

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

ONTARIO POWER GENERATION

 

 

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