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Date : 20140428


Dossiers : T-528-12

T-1451-12

T-1165-12

T-1166-12

Référence : 2014 CF 392

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2014

En présence de monsieur le juge Rennie

ENTRE :

PORTER AIRLINES INC

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT



I.                   Aperçu

[1]               La Cour est saisie d’un recours en révision consolidé, exercé en vertu de l’article 44 de la Loi sur l’accès à l’information, LRC, 1985, c A-1 (la Loi), relativement à la communication de certains renseignements par Transports Canada (le Ministère) dans le cadre de quatre demandes distinctes d’accès à l’information présentées sous le régime de la Loi. Porter Airlines Inc (Porter) demande à la Cour de rendre l’ordonnance visée à l’article 51 de la Loi afin d’interdire la communication de ces renseignements.

[2]               Différentes dispositions de la Loi précisent la nature des documents qui sont soustraits à la divulgation. Le présent recours repose donc sur une question concernant la nature des renseignements, soit celle de savoir si les documents en cause sont visés par l’exception prévue dans la Loi en matière de communication. Je conclus que les renseignements se rapportant aux protocoles de sécurité propres à Porter et les renseignements personnels n’ont pas à être communiqués, mais que les autres renseignements, notamment les conclusions tirées par le Ministère sur le plan réglementaire, ne sont visés par aucune exception.

II.                Genèse de l’instance

A.                Les faits essentiels

[3]               Les principaux faits de l’affaire ne sont pas contestés.

[4]               Porter est titulaire d’un certificat d’exploitation aérienne (EA) et d’un certificat d’organisme de maintenance agréé (OMA) délivrés sous le régime du Règlement de l’aviation canadien, DORS/96‑433. En conséquence, Porter est tenue de mettre au point un système de gestion de la sécurité (SGS), c’est-à-dire une procédure documentée de gestion des risques.

[5]               Dans l’exécution de son mandat réglementaire de surveillance des compagnies aériennes, le Ministère mène périodiquement des activités de validation des programmes en vue de vérifier si les protocoles de sécurité mis au point par ces compagnies respectent les exigences réglementaires. S’il juge que les protocoles de sécurité d’une compagnie aérienne ne respectent pas ces exigences, il l’obligera à élaborer un plan d’action correctif (PAC) pour régler le problème. Puis, après avoir approuvé le PAC, il surveillera sa mise en œuvre. Dans certains cas, il pourra délivrer un avis de suspension et subordonner la levée de la suspension à l’obligation de présenter un PAC.

[6]               En l’espèce, le Ministère a reçu quatre demandes d’accès à l’information concernant [passage omis]. Il a réuni les renseignements qu’il estimait pertinents au regard de ces demandes : il s’agit des renseignements qui sont en litige. Pour chacune des quatre demandes, le Ministère a avisé Porter, qui s’est opposée à la communication des renseignements litigieux. Au final, le Ministère a décidé de communiquer l’ensemble des renseignements, à l’exception des passages dont il a convenu qu’ils n’étaient pas assujettis à la communication pour les motifs soulevés par Porter, motifs qui ont trait à leur caractère personnel ou confidentiel.

[7]               Porter demande maintenant à la Cour de procéder au contrôle judiciaire des quatre décisions du Ministère de communiquer les renseignements litigieux.

B.                 Instances réunies et procédures connexes

[8]               La Cour doit examiner quatre décisions rendues en matière d’accès à l’information. Trois de ces décisions ont été regroupées. La quatrième décision n’a pas été réunie aux autres, mais elle a été instruite dans le cadre de l’instance consolidée. Les quatre demandes partagent une même matrice factuelle et juridique.

[9]               Deux échéances revêtent une importance dans le cadre de ces instances : celle de [passage omis] et celle applicable aux décisions rendues par le Ministère dans le cadre des demandes d’accès à l’information concernant [passage omis].

[10]           La procédure administrative engagée par Porter s’est déroulée comme suit :

[passage omis]

[11]           Bref, [passage omis]. Porter a seulement reçu [passage omis].

[12]           Le Ministère a exposé en ces termes la décision qu’il a rendue à l’égard des quatre demandes d’accès (et des dossiers portant les numéros correspondants) :

[passage omis]

[13]           En somme, les trois dernières décisions du Ministère (T‑1451‑12, T‑1165‑12 et T‑1166‑12), qui portent toutes sur des renseignements concernant [passage omis], ont été réunies. Bien qu’elle n’ait pas été réunie aux autres, la première décision (T-528-12), qui concerne [passage omis], a été instruite dans le cadre de l’instance consolidée.

[14]           Les présents motifs portent sur le contrôle judiciaire des quatre décisions du Ministère. Sur le plan des faits, les quatre décisions sont reliées entre elles : l’objet de la première décision [passage omis] constituait le fondement des trois autres décisions réunies par la suite [passage omis]. En outre, ces quatre décisions sont régies par les mêmes principes juridiques. Le prononcé d’un seul jugement constitue un moyen expéditif de statuer sur ces questions de droit sans que le fond en souffre.

III.             La norme de contrôle

[15]           La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer en l’espèce est celle de la décision correcte. Les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont statué comme suit au paragraphe 53 de l’arrêt Merck Frosst Canada Ltée c Canada (Santé), 2012 CSC 3 :

[D]ans les cas où un tiers […] demande à la Cour fédérale, en vertu de l’art. 44 de la Loi, de « contrôler » la décision du responsable de l’institution de communiquer tout ou partie d’un document, la Cour fédérale doit déterminer si ce dernier a correctement appliqué les exceptions aux documents visés.

[16]           En l’espèce, il s’agit donc de savoir si le Ministère a bien cerné la nature des documents en cause lorsqu’il a décidé qu’ils n’étaient visés par aucune exception à la communication sous le régime de la Loi.

IV.             Analyse

[17]           Sous réserve de l’article 20 de la Loi, le « responsable d’une institution fédérale est tenu […] de refuser la communication de documents contenant » certains types de renseignements (paragraphe 20(1)). En l’espèce, les principales exceptions sont énoncées aux alinéas 20(1)b), c) et d) de la Loi. Toutes ces exceptions sont d’application obligatoire (paragraphe 20(1) de la Loi). Il s’ensuit que si les renseignements en cause sont visés par l’une ou l’autre de ces exceptions, ils ne doivent pas être communiqués.

[18]           J’aborderai également un différend mineur (qui a fait l’objet de brefs arguments écrits) au sujet des exceptions prévues à l’article 19 de la Loi.

[19]           On peut diviser les renseignements litigieux en deux catégories. Il s’agit d’une observation cruciale qui a des incidences à chaque étape de l’analyse des exceptions prévues à l’article 20 de la Loi.

A.                La principale dichotomie : l’opposition entre les renseignements provenant du SGS de Porter et les conclusions d’ordre réglementaire du Ministère

[20]           Porter et le Ministère ont tous deux fondé leur thèse sur un même ensemble de renseignements : les « renseignements litigieux ». Lorsqu’il s’agit d’évaluer si les exceptions prévues par la Loi s’appliquent, cette seule et même expression pour nommer les rapports en cause induit en erreur.

[21]           Il faut plutôt diviser les renseignements litigieux en deux catégories : (1) les renseignements provenant du SGS de Porter (que Porter a communiqué au Ministère); (2) les conclusions tirées par le Ministère en matière réglementaire concernant [passage omis].

[22]           Cette dichotomie n’a rien de nouveau. En fait, la jurisprudence traitant des exceptions de l’article 20 la relève constamment. Dans le jugement Air Atonabee Ltd c Ministère des Transports, 27 CPR (3d) 180, 1989 CarswellNat 585 (C.F. 1re inst.) [Air Atonabee, cité dans WL Can], la Cour relève la dichotomie qui oppose les « communications qui émanent de la requérante » et les « commentaires ou […] observations faites par des inspecteurs publics sur le fondement de leur examen » de ces communications (paragraphes 49 à 51). Dans le jugement Air Transat AT Inc c Canada (Transports), [2001] CarswellNat 1965 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 14 [Air Transat, cité dans WL Can], la Cour souligne qu’« [i]l y a lieu de faire une distinction entre l’analyse faite par l’organisme gouvernemental à partir d’informations constatées au cours de l’inspection et l’information fournie directement par le tiers aux inspecteurs ». Enfin, dans l’arrêt Merck Frosst, la Cour suprême du Canada traite du fait que les documents en cause contenaient à la fois des « renseignements fournis par Merck » et d’autres renseignements, comme « l’analyse et les observations des examinateurs, leurs conclusions et recommandations » (paragraphe 152).

[23]           En outre, il est de jurisprudence constante que les conclusions d’ordre réglementaire ne sont pas, en règle générale, visées par les exceptions, alors que les renseignements fournis au Ministère pour lui permettre de faire une évaluation prévue par la réglementation le sont. Par exemple, dans les deux principales affaires concernant l’évaluation réglementaire de compagnies aériennes citées au cours des plaidoiries, il a été jugé que les renseignements fournis par ces compagnies étaient visés par des exceptions à la divulgation, contrairement aux conclusions tirées en vertu de la réglementation (voir Air Atonabee, aux paragraphes 72 à 74; Air Transat, au paragraphe 20).

[24]           Dans l’affaire qui nous occupe, les avocats, au lieu de se pencher sur cette dichotomie, ont présenté des observations sans concessions, faisant valoir tour à tour que les renseignements litigieux provenaient entièrement soit du SGS de Porter (s’agissant de Porter), soit des conclusions d’ordre réglementaire du Ministère (s’agissant du Ministère). Ni l’un ni l’autre n’a raison. Au contraire, les renseignements litigieux proviennent à la fois du SGS et des conclusions d’ordre réglementaire.

[25]           Bien entendu, il peut y avoir recoupement entre ces deux types de renseignements. Par exemple, dans son mémoire, le Ministère explique en quoi les renseignements litigieux [traduction] « comportent des déclarations sommaires indiquant si [Porter] [passage omis], et exposant les raisons étayant les conclusions [du Ministère] ». Ce sont précisément ces « raisons » qui sont susceptibles de se rapporter à des aspects uniques du SGS de Porter. En fait, le rapport de validation des programmes remis à Porter comprenait [passage omis], dont [traduction] « des références précises à un échantillonnage de documents de la compagnie ». Cela dit, moyennant un caviardage astucieux et efficace, point n’est besoin d’accompagner la divulgation des conclusions du Ministère des renseignements confidentiels provenant du SGS de Porter.

[26]           De son côté, Porter a tenté de démontrer que les conclusions d’ordre réglementaire du Ministère ne pouvaient être dissociées des renseignements confidentiels provenant de son SGS. En particulier, elle soutient que les faits sont analogues à ceux de l’affaire Air Transat, dans laquelle le juge Rouleau a conclu que les conclusions tirées par les inspecteurs ne pouvaient pas « être dissociées » des renseignements fournis par la compagnie aérienne du fait qu’elles y étaient « tellement liées » (paragraphe 16). Or, il s’agit là d’une interprétation erronée de cette décision, puisqu’au final, le juge Rouleau a conclu que les constatations de l’inspecteur pouvaient être communiquées, alors que les documents soumis par la compagnie aérienne ne pouvaient pas l’être (paragraphe 20). En d’autres termes, le juge Rouleau a été en mesure de « dissocier » les conclusions d’ordre réglementaire des documents soumis par la compagnie aérienne aux fins de l’obligation de divulgation prévue par la Loi. Les commentaires du juge Rouleau quant à l’impossibilité de dissocier les conclusions d’ordre réglementaire des renseignements fournis par la compagnie aérienne portaient sur le contenu d’un rapport réglementaire global et non sur les limites du caviardage. Autrement dit, par ces commentaires, le juge Rouleau voulait souligner le fait que, lorsque le Ministère rédigeait un rapport d’inspection, il devait y inclure à la fois ses conclusions d’ordre réglementaire et les renseignements tirés du SGS sur lesquels s’appuyaient ces conclusions, et non qu’il était impossible d’expurger des passages contenant des renseignements tirés d’un SGS au moment de communiquer de l’information sous le régime de la Loi.

[27]           Les renseignements venant du SGS de Porter ne peuvent être considérés comme étant inextricablement liés aux conclusions d’ordre réglementaire du Ministère que dans la mesure où [passage omis]. Le fait de qualifier des conclusions fondamentales d’ordre réglementaire de renseignements techniques confidentiels tirés du [traduction] « SGS unique » de Porter reviendrait à exclure toutes les conclusions d’ordre réglementaire. Le simple fait [passage omis], mais plutôt, que des conclusions fondamentales de nature binaire quant à la question de savoir si ces renseignements provenant du SGS (qui ne sont pas eux‑mêmes divulgués) [passage omis].

[28]           Ayant démontré l’existence capitale de cette dichotomie entre les conclusions d’ordre réglementaire et les renseignements tirés du SGS, je me propose maintenant de me pencher sur la question des exceptions.

B.                 L’alinéa 20(1)b) : l’exception fondée sur la confidentialité des renseignements

[29]           L’alinéa 20(1)b) de la Loi soustrait les renseignements suivants à la divulgation :

des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information […] and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

[30]           Cet alinéa impose quatre conditions bien distinctes : (1) il doit s’agir de renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques; (2) ces renseignements doivent être de nature confidentielle; (3) ils doivent être fournis à une institution fédérale par un tiers; et (4) ils doivent être traités de façon constante comme des renseignements de nature confidentielle par ce tiers (Air Atonabee, au paragraphe 34).

(1)               Les conditions non contentieuses

[31]           Les première et quatrième conditions ne font l’objet d’aucun débat entre les parties. Par conséquent, je serai bref en ce qui les concerne.

[32]           Eu égard à la première condition, précisons que les renseignements litigieux sont de nature à la fois commerciale et technique (selon le sens courant de ces termes : Air Atonabee, au paragraphe 36; Merck Frosst, au paragraphe 139).

[33]           Au paragraphe 15 du jugement Air Transat (modifié en appel, mais non sur ce point), la Cour fédérale conclut que les rapports d’inspection d’établissements constituent « assurément » des renseignements techniques selon l’alinéa 20(1)b) : cette conclusion permet de conclure que les renseignements litigieux dans la présente affaire remplissent la première condition énoncée dans le jugement Air Atonabee. Dans l’affaire Air Transat, les rapports renfermaient des renseignements analogues à ceux des rapports sur le SGS dont il est question ici. Par conséquent, la thèse selon laquelle les renseignements relatifs au SGS seraient, au bas mot, d’ordre technique trouve appui dans la jurisprudence.

[34]           Eu égard à la quatrième condition, Porter a traité de façon constante les renseignements litigieux comme des renseignements confidentiels. Les affidavits souscrits par M. Deluce (président et directeur général de Porter) prouvent amplement ce fait. Ces renseignements sont gardés dans le plus grand secret, les employés ne sont pas autorisés à les divulguer à moins d’y être expressément tenus et ils ne sont jamais rendus publics.

[35]           Après avoir traité des première et quatrième conditions, je me livrerai maintenant à une analyse plus approfondie des deux critères sur lesquels les parties ne s’entendent pas et aux termes desquels il nous faut déterminer si les renseignements ont été fournis au gouvernement par un tiers et s’ils sont de nature confidentielle.

(2)               Les renseignements fournis au gouvernement par un tiers

[36]           Ce critère illustre l’importance d’établir une distinction entre les renseignements du SGS de Porter et les conclusions d’ordre réglementaire du Ministère lorsqu’il s’agit d’analyser les renseignements litigieux par rapport aux exceptions. Dans le premier cas, les renseignements sont fournis au Ministère par un tiers (Porter), de sorte qu’ils satisfont au critère de confidentialité de l’alinéa 20(1)b). On ne peut en dire autant des conclusions du Ministère.

[37]           La jurisprudence démontre, à juste titre selon moi, que les conclusions d’ordre réglementaire fondées sur l’examen des documents d’un tiers ne sont pas des renseignements fournis au gouvernement par le tiers. Conformément aux conclusions tirées par la Cour dans le jugement Air Atonabee, et comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada, au paragraphe 156 de l’arrêt Merck Frosst :

[…] lorsque le document est constitué de commentaires ou d’observations faites par des inspecteurs publics sur le fondement de leur examen des documents conservés par le tiers au moins en partie à des fins d’inspection, […] les renseignements ne doivent pas être considérés comme ayant été fournis par le tiers.

[38]           Pour sa part, Porter a fait valoir que l’arrêt Merck Frosst [traduction] « est une reconnaissance du fait que l’information produite par une institution telle que le Ministère pouvait bénéficier de la protection contre la divulgation si elle résume des renseignements émanant d’un tiers tel que Porter ». Je souscris à ce point de vue. Toutefois, les conclusions fondamentales d’ordre réglementaire du Ministère ne sont pas un résumé des renseignements confidentiels tirés du SGS de Porter; il s’ensuit que cette réserve ne s’applique pas à eux.

[39]           Au paragraphe 158 de l’arrêt Merck Frosst, la Cour suprême du Canada a résumé comme suit la marche à suivre pour déterminer si des renseignements ont été fournis par un tiers :

[…] la question de savoir si des renseignements confidentiels ont été « fournis à une institution fédérale par un tiers » en est une de fait. C’est le contenu plutôt que la forme des renseignements qui doit être pris en compte : le simple fait que les renseignements figurent dans un document d’une institution fédérale ne règle pas en soi la question. Il faut appliquer l’exception aux renseignements qui révèlent les renseignements confidentiels fournis par le tiers ainsi qu’à ces derniers. [Non souligné dans l’original.]

[40]           Essentiellement, la Cour suprême du Canada a voulu préciser que les renseignements de nature confidentielle ne perdaient pas cette qualité du seul fait de changer le nom de celui qui les fournit. La volonté du législateur d’offrir aux renseignements confidentiels la protection de la Loi serait contrariée si le Ministère, après avoir obtenu de tels renseignements, pouvait les divulguer publiquement après les avoir reformulés. C’est pourquoi, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont présentés, les renseignements provenant du SGS de Porter ne peuvent être divulgués. Cela dit, les conclusions d’ordre réglementaire du Ministère se rapportant aux renseignements tirés du SGD n’en sont pas le « résumé ». Ces conclusions découlent plutôt de l’analyse effectuée par le Ministère au sujet de ces renseignements et de la question de savoir si [passage omis].

[41]           Sur ce point, Porter a également fait valoir que les conclusions d’ordre réglementaire du Ministère ne pouvaient être dissociées des renseignements provenant de son SGS, de telle sorte que l’ensemble des renseignements litigieux étaient soustrait à la divulgation. Comme je l’ai expliqué précédemment, cet argument ne peut être retenu. Pour l’essentiel, les conclusions d’ordre réglementaire n’ont pas à comporter de renseignements provenant du SGS. L’argument de Porter repose entièrement sur un extrait du jugement Air Transat (au paragraphe 16) qui, pris hors contexte, mène à une interprétation superficielle de cette affaire, interprétation qui, au demeurant, omet de tenir compte du fait que, quatre paragraphes plus loin, le juge Rouleau a jugé que les conclusions tirées par le Ministère à partir des documents fournis par la compagnie aérienne pouvaient être divulgués (au paragraphe 20).

[42]           Avant de passer au point suivant, je souligne une fois de plus qu’il peut y avoir des cas où les conclusions d’ordre réglementaire révèlent par la force des choses des renseignements normalement confidentiels. Autrement dit, le caviardage « créatif » atteint parfois ses limites. Or, en ce qui concerne les renseignements en cause en l’espèce, aucune situation du genre n’a été portée à l’attention de la Cour.

[43]           En somme, les conclusions d’ordre réglementaire du Ministère n’ont pas été « fourni[e]s à une institution fédérale par un tiers » et ne peuvent donc faire l’objet d’une exception visée par l’alinéa 20(1)b). En revanche, les renseignements de Porter se rapportant à son SGS ont été « fournis à une institution fédérale par un tiers » et respectent ce critère énoncé dans le jugement Air Atonabee. Il n’est pas nécessaire d’examiner les conclusions d’ordre réglementaire du Ministère à la lumière du dernier facteur énoncé dans le jugement Air Atonabee (la nature confidentielle) puisque tous les critères doivent être simultanément remplis. Néanmoins, par souci d’exhaustivité, j’analyserai les conclusions d’ordre réglementaire du Ministère et les renseignements provenant du SGS de Porter en passant en revue chacun des facteurs énoncés dans le jugement Air Atonabee.

(3)               La nature confidentielle des renseignements

[44]           Pour qu’un renseignement puisse être considéré comme confidentiel, trois critères doivent être remplis : (1) il n’a jamais été divulgué publiquement; (2) il est transmis avec l’assurance raisonnable qu’il ne sera pas divulgué; (3) la confidentialité n’est pas contraire à l’intérêt public (Air Atonabee, au paragraphe 20).

[45]           Avant d’analyser ces critères, il est intéressant de relever comment la Cour suprême du Canada a qualifié, au paragraphe 150 de l’arrêt Merck Frosst, la nature de la démarche visant à déterminer si un renseignement est confidentiel selon l’alinéa 20(1)b) :

Une fois les principes juridiques pertinents établis, la question de savoir si tel ou tel dossier est confidentiel ou non constitue principalement une question de fait. Il faut donc se garder de trop généraliser les conclusions tirées dans des affaires données en omettant de tenir compte de la preuve soumise à la cour dans le cadre de celles‑ci.

[46]           Ayant ces remarques à l’esprit, je me pencherai maintenant sur les trois critères de confidentialité énoncés dans le jugement Air Atonabee.

a)                  La divulgation publique antérieure

[47]           Les renseignements litigieux n’ont jamais été divulgués. Ce constat s’applique autant aux conclusions d’ordre réglementaire du Ministère qu’aux renseignements provenant du SGS de Porter.

[48]           Sur la question de la divulgation publique antérieure, il y a lieu de mentionner un autre aspect du dossier. [Passage omis.]

[49]           Se fondant sur ce fait, le Ministère a avancé un argument inédit. À son avis, le fait qu’il ait déjà divulgué accidentellement des renseignements [passage omis] respecte le critère relatif à la divulgation antérieure. Cette interprétation est incompatible avec les principes sous-jacents à la Loi et au jugement Air Atonabee et revient à privilégier la forme au détriment du fond.

[50]           Le critère de la divulgation publique antérieure d’un document vise, en définitive, à déterminer si les renseignements en cause sont, en substance, confidentiels. La divulgation accidentelle d’un document confidentiel n’a pas pour effet d’altérer la nature confidentielle des renseignements qu’il renferme. Prenons l’exemple d’une fuite de renseignements conservés sur les serveurs du gouvernement, tels que les numéros d’assurance sociale de divers citoyens : il ne fait pas de doute que la divulgation publique de ces données témoigne davantage d’un manquement du gouvernement que du caractère insuffisamment confidentiel de renseignements dont la nature délicate et privée est évidente. Et on ne saurait affirmer qu’une telle fuite justifie de poursuivre la divulgation et la diffusion des renseignements et qu’elle est dans l’intérêt public.

[51]           Le critère de la « divulgation antérieure » concerne plutôt les renseignements auxquels le public a normalement accès et dont le degré de confidentialité est, de ce fait, insuffisant. Par exemple, on peut dire de l’information publiée intentionnellement (et non accidentellement) sur les sites Web du gouvernement (comme celui de Statistique Canada) qu’elle a déjà été divulguée d’une manière qui permet de penser qu’elle n’a rien de confidentiel.

[52]           L’arrêt Merck Frosst va dans le sens d’une interprétation téléologique de la notion de divulgation antérieure. Dans cette affaire, Merck soutenait que certains renseignements demeuraient confidentiels même s’ils avaient été rendus publics puisqu’elle les traitait de manière confidentielle dans le cadre de ses activités internes. Par une décision majoritaire, la Cour suprême du Canada a rejeté l’argument, estimant que les activités internes de Merck étaient sans rapport avec la question de savoir si les renseignements avaient effectivement été divulgués publiquement. Précisons, cependant, que la divulgation antérieure dont il était question dans cette affaire n’était pas accidentelle et ne portait pas sur des renseignements normalement confidentiels et inaccessibles, comme c’est le cas en l’espèce. Il s’agissait plutôt d’une compilation d’articles scientifiques publiés figurant dans la présentation de drogue nouvelle de Merck.

[53]           De plus, l’argument du Ministère produit un effet pervers en incitant à la communication de renseignements « censément » confidentiels afin de rendre leur divulgation ultérieure légitime. Je doute certes que le gouvernement puisse se livrer à des agissements aussi inappropriés, mais il y a lieu d’éviter, au minimum, de le récompenser en permettant qu’une telle divulgation négligente de renseignements puisse servir à justifier la divulgation des renseignements normalement confidentiels de Porter.

[54]           Enfin, même si le triple critère énoncé dans le jugement Air Atonabee tenait compte de la question de la divulgation accidentelle antérieure, celle qu’invoque le Ministère ne peut affaiblir le caractère confidentiel des renseignements litigieux puisqu’il n’y a pas chevauchement complet entre les deux. La divulgation antérieure portait uniquement sur [passage omis]. Du fait de sa portée limitée, elle ne peut donc porter atteinte à la confidentialité s’attachant à l’ensemble des renseignements litigieux, dont le contenu dépasse largement ces deux faits.

[55]           En somme, le fait que le gouvernement ait déjà divulgué accidentellement un document ne peut porter atteinte à sa nature confidentielle en ce qui a trait à l’exception prévue à l’alinéa 20(1)b). Il s’ensuit que les renseignements litigieux respectent le premier critère de confidentialité énoncé dans le jugement Air Atonabee.

b)                 L’assurance raisonnable de confidentialité

[56]           Le deuxième critère, qui veut que les renseignements litigieux aient été transmis confidentiellement avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seront pas divulgués, n’est que partiellement rempli. Pour être plus précis, bien que les renseignements provenant du SGS de Porter aient été transmis avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seraient pas divulgués, il n’y avait pas de semblable assurance raisonnable que les conclusions d’ordre réglementaire tirées par le Ministère à la lumière de ces renseignements confidentiels ne le seraient pas (la dichotomie dont il a été fait état précédemment).

[57]           Eu égard au présent volet, Porter et le Ministère ont fait valoir des conclusions opposées en s’appuyant sur des faits inconciliables. Selon Porter, les renseignements litigieux se composent uniquement des renseignements provenant du SGS dont elle s’attendait à juste titre qu’ils soient gardés confidentiels en raison des assurances expressément données par le Ministère à cet effet. À l’opposé, le Ministère prétend que les renseignements litigieux ne contiennent [traduction] « rien d’autre que les opinions, commentaires, conclusions et recommandations formulées par Transports Canada à l’issue de son processus d’évaluation réglementaire ». Comme je l’ai expliqué plus tôt, ces arguments font oublier la dichotomie existant entre les conclusions d’ordre réglementaire et les renseignements provenant du SGS. Les unes et les autres doivent faire l’objet d’une analyse distincte.

[58]           Je conviens avec Porter que les renseignements uniques de son SGS devraient être soustraits à la divulgation. Lorsque Porter a communiqué ces renseignements au Ministère, celui-ci lui a formellement donné l’assurance qu’il en préserverait la confidentialité. On trouvera rarement plus légitime attente de confidentialité.

[59]           Cela dit, l’argument avancé par Porter sur ce point renvoie exclusivement aux renseignements tirés du SGS, lesquels ne forment qu’une partie des renseignements litigieux. Les conclusions d’ordre réglementaire du Ministère, pour lesquelles aucune assurance de confidentialité n’a été donnée, ne sont donc pas visées par l’exception à la divulgation. Même la jurisprudence citée par Porter étaye cette conclusion. Porter a en effet invoqué deux jugements où il a été décidé que les renseignements appartenant à une compagnie aérienne ne devaient pas être divulgués en application de la Loi, mais il s’agissait en l’occurrence des protocoles de sécurité propres à la compagnie aérienne, et non des conclusions d’ordre réglementaire s’y rapportant (voir : Wells c Canada (Ministre des Transports), [1995] ACF no 1447 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 9; Wells c Canada (Ministre des Transports), [1996] ACF no 598 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 5 et 12). Ces exemples ne constituent qu’une preuve additionnelle du fait que la Cour a toujours traité les conclusions d’ordre réglementaire comme étant assujetties à la divulgation sous le régime de la Loi.

c)                  L’intérêt public

[60]           Le dernier critère de confidentialité énoncé dans le jugement Air Atonabee consiste à se demander si le maintien de la confidentialité des renseignements sert l’intérêt public. Ce critère d’intérêt public est plus précisément décrit comme suit, au paragraphe 45 de ce jugement :

[…] les renseignements doivent être communiqués, que ce soit parce que la loi l’exige ou parce qu’ils sont fournis gratuitement, dans le cadre d’une relation de confiance entre l’administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d’une relation qui n’est pas contraire à l’intérêt public, et la communication des renseignements confidentiels doit favoriser cette relation dans l’intérêt du public.

[61]           Essentiellement, le critère de l’intérêt public a trait à la manière dont il convient de qualifier la relation entre le gouvernement (le Ministère) et la partie qui fournit les renseignements (Porter).

[62]           L’extrait précité du jugement Air Atonabee fait état de deux types de relations méritant d’être traitées de manière confidentielle en vertu de l’alinéa 20(1)b) : (1) la relation de confiance et (2) la relation remplissant simultanément deux critères, à savoir : a) ne pas être contraire à l’intérêt public; b) être favorisée, dans l’intérêt du public, par l’assurance que les communications resteront confidentielles (voir Banque Canadian Impériale de Commerce c Canada (Commission des droits de la personne), 2007 CAF 272, au paragraphe 68). Porter et le Ministère n’ont pas une relation de confiance. Il s’ensuit que le maintien de la confidentialité des renseignements litigieux ne servira l’intérêt public que si la relation entre Porter et le Ministère n’est pas contraire à cet intérêt public et si celui‑ci est favorisé par le fait de traiter cette relation comme étant confidentielle. Or, comme la jurisprudence l’a constamment démontré, il n’est pas dans l’intérêt du public de maintenir la confidentialité de conclusions d’ordre réglementaire.

[63]           Les critères de l’intérêt public/intérêt du public ont été examinés dans le contexte propre aux compagnies aériennes et aux autorités de réglementation compétentes dans le jugement Air Atonabee. Au paragraphe 49 de ce jugement, le juge MacKay conclut, à juste titre selon moi, que les renseignements confidentiels émanant de la compagnie aérienne devaient être soustraits à l’obligation de communication parce qu’ils répondent aux deux critères :

[…] les relations dont il est question en l’espèce s’accordent avec l’intérêt public et seraient à mon avis, favorisées dans l’intérêt du public si l’on considérait comme confidentielles les communications qui émanent de la requérante et que celle-ci a traitées comme confidentielles. En l’espèce, le tiers serait encouragé à agir avec ouverture et franchise envers les inspecteurs, si son interprétation des objets et de la circulation limitée de ses communications est reconnue et respectée.

[64]           Par conséquent, les renseignements propres à Porter provenant de son SGS, renseignements qui font partie des « communications qui émanent de la requérante et que celle-ci a traitées comme confidentielles », satisfont au critère de l’intérêt du public.

[65]           Toutefois, dans ce même paragraphe 49, le juge MacKay reconnaît aussi que les conclusions d’ordre réglementaire ne sont pas assujetties aux mêmes restrictions car, sauf dans des cas exceptionnels, le maintien de leur confidentialité est contraire à l’intérêt du public :

Lorsque les documents émanent d’un ministère et ne sont pas par ailleurs soustraits à l’obligation de communication en application du paragraphe 20(1), il y a lieu, à moins que les relations entre le tiers et l’administration soient exceptionnelles et justifient de traiter les documents comme confidentiels, de donner effet à l’objet général de la Loi qui, parmi les considérations d'intérêt public auxquelles le législateur a donné priorité, mentionne l’accès aux documents de l’administration fédérale.

[66]           Les conclusions d’ordre réglementaire du Ministère sont des documents qui « émanent d’un ministère » et leur divulgation n’est donc pas exclue suivant l’alinéa 20(1)b). On peut difficilement qualifier la relation entre Porter et le Ministère d’exceptionnelle; ce type de relation entre société privée et autorité de réglementation est chose commune.

[67]           Porter, de son côté, a avancé deux raisons pour lesquelles les renseignements litigieux devraient constituer une exception à l’obligation de divulgation. Ses arguments se concentrent uniquement sur les renseignements à caractère unique tirés de son SGS mais, compte tenu de la dichotomie entre renseignements dont j’ai fait mention précédemment, j’appliquerai son analyse aux renseignements provenant du SGS comme aux conclusions d’ordre réglementaire du Ministère.

[68]           En ce qui a trait aux renseignements du SGS propres à Porter, j’ai déjà conclu qu’ils ne devraient pas être divulgués. Je souscris à l’argument de Porter selon lequel la communication de ces renseignements très particuliers permettrait à ses concurrents de prendre [traduction] « injustement connaissance des procédures et processus commerciaux et techniques de Porter », ce qui serait contraire à l’intérêt du public.

[69]           Pour ce qui est des conclusions d’ordre réglementaire du Ministère, dans la mesure où l’argument de Porter peut s’appliquer à elles, je ne suis pas d’accord pour dire qu’elles devraient être soustraites à la divulgation. Porter affirme que le [traduction] « [d]éfaut du Ministère de sauvegarder les renseignements commerciaux délicats » nuira à la propension de la compagnie et des autres transporteurs aériens de procéder à une [traduction] « divulgation franche et complète » des renseignements pertinents. Or, étendre cette logique aux conclusions d’ordre réglementaire va à l’encontre de l’objet explicite de la Loi.

[70]           Les exceptions à la divulgation prévues par la Loi sont des dérogations à la règle générale voulant que le public ait un droit d’accès aux renseignements gouvernementaux. Le paragraphe 4(1) de la Loi expose la règle générale, qui est celle de la communication de l’information sur demande, et le paragraphe 2(1) de la Loi énonce clairement que les exceptions à cette règle sont « précises et limitées » :

La présente loi a pour objet d’élargir l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

The purpose of this Act is to extend the present laws of Canada to provide a right of access to information in records under the control of a government institution in accordance with the principles that government information should be available to the public, that necessary exceptions to the right of access should be limited and specific and that decisions on the disclosure of government information should be reviewed independently of government.

[71]           La portée générale de la règle favorisant l’accès à l’information – et son pendant, la portée limitée des exceptions ‑ fait en sorte que l’argument de Porter, selon lequel les conclusions d’ordre réglementaire relatives à son dossier en matière de sécurité ne devraient pas être divulguées de crainte que cela ne compromette la culture actuelle de transparence, ne peut tenir. En termes succincts, l’argument de Porter s’applique à tous les cas possibles où des renseignements sont déclarés à l’administration fédérale et a donc la portée la plus générale et la plus étendue qui puisse être (au lieu d’être « précise et limitée »). Bien que dans le jugement Air Atonabee, la Cour ait retenu un tel argument fondé sur la transparence dans les rapports, elle a limité le champ d’application de cette exception aux « communications qui émanent de la requérante » (au paragraphe 49), à l’image de ce que j’ai conclu en l’espèce quant aux renseignements provenant du SGS de Porter.

[72]           L’obligation de Porter de divulguer des renseignements aux autorités de réglementation n’a rien d’exceptionnel. La réglementation impose semblables obligations à bon nombre de sociétés. En conséquence, l’argument de Porter est d’application générale et ne peut être considéré comme une exception « précise et limitée » à la divulgation. La crainte de voir la divulgation des conclusions d’ordre réglementaire nuire à la bonne communication des protagonistes touche potentiellement d’autres industries sous réglementation fédérale que celle du transport aérien. Je ne peux me convaincre que la Cour devrait interdire la divulgation des conclusions d’ordre réglementaire au motif qu’elle encouragera des entités réglementées à s’abstenir de divulguer certains renseignements alors qu’elles sont tenues de le faire en vertu des lois.

(4)               Les conclusions relatives à l’alinéa 20(1)b)

[73]           Suivant l’alinéa 20(1)b) de la Loi, les renseignements provenant du SGS de Porter devraient être soustraits à la divulgation, alors que les conclusions d’ordre réglementaire du Ministère ne devraient pas l’être.

[74]           En somme, les renseignements provenant du SGS de Porter devraient faire l’objet d’une exception parce qu’ils répondent à l’ensemble des critères de l’alinéa 20(1)b) : il s’agit de renseignements techniques que Porter a fournis au Ministère, qui sont de nature confidentielle et que Porter traite comme tels de façon constante. Par ailleurs, eu égard à leur nature confidentielle, les renseignements tirés du SGS n’ont jamais été rendus publics, Porter les a transmis avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seraient pas divulgués et le maintien de leur caractère confidentiel favorise entre Porter et le Ministère une relation qui va dans le sens de l’intérêt du public en encourageant la transparence.

[75]           En revanche, les conclusions d’ordre réglementaire du Ministère ne devraient pas être soustraites à l’obligation de divulgation parce qu’elles ne répondent pas à l’ensemble des critères de l’alinéa 20(1)b). Cela est principalement dû au fait qu’elles n’ont pas été fournies au Ministère par un tiers. C’est le Ministère lui‑même qui, à partir des renseignements provenant du SGS de Porter, a tiré ses propres conclusions quant à la conformité de ces renseignements aux diverses exigences réglementaires. À défaut de répondre à ce critère, les conclusions d’ordre réglementaire ne peuvent faire l’objet d’une exception à la divulgation visée par l’alinéa 20(1)b).

[76]           Compte tenu des conclusions qui précèdent, l’alinéa 20(1)b) n’empêche pas la divulgation des renseignements litigieux, après que ceux-ci aient été expurgés des renseignements confidentiels provenant du SGS (par voie de caviardage).

C.                L’alinéa 20(1)c) : l’exception fondée sur le préjudice financier

[77]           L’alinéa 20(1)c) de la Loi soustrait les renseignements suivants à l’obligation de communication :

des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

 

information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party;

[78]           Les alinéas 20(1)c) et d) prévoient des exceptions fondées sur le préjudice. Ils s’intéressent aux préjudices pouvant découler de la communication de renseignements, contrairement à l’alinéa 20(1)b), qui est axé sur la nature même des renseignements.

[79]           Le libellé de l’alinéa 20(1)c) nous indique que deux considérations sont principalement à l’œuvre dans cette disposition. Les deux ont été analysées dans l’arrêt Merck Frosst, à savoir : (1) le degré requis de probabilité qu’un préjudice soit causé et (2) le type de préjudice. Ces deux considérations militent en faveur de la communication des conclusions d’ordre réglementaire du Ministère.

(1)               Le degré requis de probabilité qu’un préjudice soit causé

[80]           La norme de preuve associée à l’alinéa 20(1)c) est quelque peu unique. Je m’emploierai donc à décrire le plus précisément possible la façon dont la Cour suprême du Canada a défini cette norme.

[81]           Je traiterai d’abord du nom donné à la norme de preuve. Dans l’arrêt Merck Frosst, la Cour suprême du Canada a confirmé une « formulation [de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale] acceptée depuis longtemps », selon laquelle les mots « risquerait vraisemblablement » figurant à l’alinéa 20(1)c) se traduisent, sur le plan juridique en une norme de preuve correspondant à un « risque vraisemblable de préjudice probable » (au paragraphe 196).

[82]           Ensuite, la Cour suprême a explicité la notion de manière indirecte; autrement dit, elle précise, au paragraphe 199, la teneur de la norme du risque vraisemblable de préjudice probable en la situant entre les deux autres normes de preuve dont elle se distingue :

Le tiers qui invoque une exception prévue à l’al. 20(1)c) de la Loi doit démontrer qu’il existe beaucoup plus qu’une simple possibilité qu’un préjudice soit causé, mais il n’est pas tenu d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice se produira effectivement.

[83]           Essentiellement, au moyen des indications données ci-dessus, la Cour suprême trace les limites à l’intérieur desquelles se situe la norme du « risque vraisemblable de préjudice probable », la limite inférieure étant celle de la « simple possibilité » et la limite supérieure, celle de la « prépondérance des probabilités ». La Cour suprême du Canada fournit d’autres précisions lorsqu’elle ajoute que ces limites définissent « une norme exigeant considérablement plus qu’une simple possibilité, mais un peu moins qu’une probabilité plus grande qu’une chose se produise que le contraire » (au paragraphe 203). En outre, la Cour suprême a expliqué la teneur de ces limites inférieure et supérieure : ainsi, la « simple possibilité » est fondée sur une crainte de préjudice « fantaisiste, imaginaire ou forcée » plutôt que sur la raison, tandis que la prépondérance des probabilités consiste à « établir que le préjudice est plus susceptible de se produire que de ne pas se produire » (au paragraphe 204).

[84]           Enfin, la Cour suprême s’est employée à définir explicitement la norme de preuve : elle a décrit ce à quoi correspond la notion de risque vraisemblable de préjudice probable plutôt que ce à quoi elle ne correspond pas. Ainsi, le risque vraisemblable de préjudice probable désigne « un risque, qui, en toute objectivité, est fondé sur des motifs réels et sérieux » (au paragraphe 204).

(2)               Le type de préjudice requis

[85]           Dans l’arrêt Merck Frosst, la Cour suprême du Canada a dit considérer la liste des préjudices établie à l’alinéa 20(1)c) comme étant « disjonctive »; en ce sens, il suffit à Porter de démontrer que la communication des renseignements litigieux soit lui causera « des pertes ou profits financiers appréciables », soit « nuir[a] à sa compétitivité » (au paragraphe 212). La Cour suprême a donc clairement indiqué que « le tiers n’a pas à démontrer que l’"atteinte" à sa compétitivité cause également un "préjudice" » (au paragraphe 212).

[86]           La Cour suprême du Canada a également formulé des observations sur un sujet qui concerne plus spécifiquement les faits de l’espèce. Ainsi, au paragraphe 224, sur la question du préjudice causé par la divulgation du fait d’une « mauvaise compréhension » du public, elle a dit ceci :

Les tribunaux ont souvent — et avec raison — accueilli avec scepticisme les allégations que la mauvaise compréhension, par le public, des renseignements divulgués sera préjudiciable au tiers […] Refuser trop facilement de divulguer des renseignements par crainte que le public les comprenne mal compromettrait l’objet fondamental de la législation en matière d’accès à l’information. Il s’agit de permettre aux membres du public de prendre connaissance des renseignements pour qu’ils puissent eux-mêmes les apprécier, et non de les empêcher de les obtenir. À mon avis, une exception ne pourrait être invoquée avec succès sur la base d’un tel argument que dans une situation assez exceptionnelle.

(3)               Aucun risque de préjudice démontré en l’espèce

[87]           Le risque qu’un préjudice soit causé s’évalue à la fois de façon objective et subjective. D’un point de vue objectif, on peut difficilement admettre, dans le présent cas, qu’il existe un risque vraisemblable de préjudice. [passage omis]. Je ne puis souscrire à l’idée que ces renseignements, une fois rendus publics, influenceraient les choix des voyageurs au printemps 2014. En particulier, je n’admets pas que [passage omis] correspond à des « motifs réels et sérieux » de croire à l’existence d’un risque qu’un préjudice soit causé à Porter. Monsieur Deluce lui-même signale que [passage omis]. Cela veut donc dire, à coup sûr, que tout préjudice que Porter subirait serait le résultat d’une mauvaise compréhension de la part du public; or, la Cour suprême a explicitement indiqué qu’il fallait se garder d’invoquer ce type de préjudice pour justifier une exception à la Loi.

[88]           Bien que le Ministère n’ait produit aucune preuve et qu’il n’ait pas contre-interrogé M. Deluce, les éléments de preuve déposés par Porter ne remplissent pas les conditions juridiques minimales permettant d’établir l’existence d’un risque vraisemblable de préjudice probable. Je retiens une grande partie du témoignage de M. Deluce, en particulier [passage omis]. Cela dit, [passage omis] et considéré objectivement, aucun lien n’a été démontré ni aucun rapprochement établi entre la communication de ces conclusions d’ordre réglementaire et la probabilité qu’un préjudice financier soit causé à Porter, que ce préjudice prenne la forme d’une perte financière ou d’une atteinte à sa compétitivité.

D.                L’alinéa 20(1)d) : l’exception fondée sur l’entrave aux négociations

[89]           L’alinéa 20(1)d) de la Loi soustrait les renseignements suivants à l’obligation de communication :

des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d’autres fins.

 

information the disclosure of which could reasonably be expected to interfere with contractual or other negotiations of a third party.

[90]           Cette exception ne peut être appliquée aux renseignements litigieux, car aucun fondement factuel ne le permet. Dans son affidavit, M. Deluce ne donne aucun exemple précis ou convaincant de négociations, réelles ou probables, auxquelles la communication des renseignements litigieux nuirait ou pourrait nuire. Pour cette raison, cet aspect ne sera pas examiné davantage.

E.                 L’article 19 : l’exception relative aux renseignements personnels

[91]           Les parties ont débattu assez brièvement des exceptions prévues à l’article 19 de la Loi, lequel soustrait les documents suivants à l’obligation de communication :

… [les] documents contenant les renseignements personnels visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

…any record requested under this Act that contains personal information as defined in section 3 of the Privacy Act.

 

[92]           À l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‑1, les « renseignements personnels » sont définis comme des « renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable ».

[93]           Le Ministère reconnait que les renseignements litigieux peuvent renfermer des renseignements personnels concernant M. Deluce; toutefois, il fait valoir qu’on peut répondre aux inquiétudes de Porter en ce qui a trait à la protection de ces renseignements en retranchant ces derniers des renseignements litigieux et en ne communiquant que le reste. Je suis du même avis. On n’a relevé aucun document dont la communication donnerait lieu à la divulgation de renseignements personnels s’il fait l’objet d’un caviardage soigné.

[94]           Par conséquent, sous réserve de la suppression des renseignements personnels concernant M. Deluce, il n’y a pas lieu de refuser la communication des renseignements litigieux suivant l’article 19 de la Loi.

V.                Conclusion

[95]           La Loi n’a pas été édictée en vue d’empêcher la divulgation des conclusions d’ordre réglementaire formulées par les divers organismes gouvernementaux, mais au contraire, pour faciliter l’accès à de tels renseignements, et par conséquent, pour favoriser la transparence des processus réglementaires et aider le public à se former une opinion éclairée.

[96]           Le Ministère a eu raison de décider de communiquer les renseignements litigieux, sous réserve de la suppression des renseignements provenant du SGS propre à Porter et des renseignements personnels concernant M. Deluce. Les conclusions d’ordre réglementaire du Ministère portant sur le SGS de Porter, en particulier, devraient être communiquées.

[97]           Si un nouveau différend devait surgir entre les parties quant à la question de la différence entre les conclusions d’ordre réglementaire et les renseignements confidentiels tirés du SGS, elles pourront s’adresser à la Cour afin d’obtenir d’autres précisions.

 


JUGEMENT

          LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Les parties doivent présenter leurs observations quant aux dépens dans les vingt jours suivant la date du jugement.

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-528-12

 

INTITULÉ :

PORTER AIRLINES INC c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :               Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :             LE 4 DÉCEMBRE 2013

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT                             LE JUGE RENNIE

DATE DES MOTIFS :                     LE 28 AVRIL 2014

COMPARUTIONS :

Martha Healey

Greg Sheahan

 

POUR LA DEMANDERESSE

Craig Collins-Williams

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS  INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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