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Date : 20140507


Dossier :

T-1609-11

            T-999-12

Référence : 2014 CF 437

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Dossier :

T-1609-11

ENTRE :

GARY GURMUKH SALES LTD. ET

PER-DESIGN INC.

demanderesses

et

QUALITY GOODS IMD INC.

défenderesse

ET ENTRE :

 

Dossier :

T-999-12

ENTRE :

QUALITY GOODS IMD INC.

demanderesse

et

GARY GURMUKH SALES LTD. ET

PER-DESIGN INC.

défenderesses

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

LE JUGE HENEGHAN

INTRODUCTION

[1]               Gary Gurmukh Sales Ltd. (GGS) et Quality Goods IMD Inc. (Quality) sont deux entreprises canadiennes spécialisées dans la fabrication, la distribution et la vente de produits destinés au marché canadien des articles de souvenir. Per-Design Inc. (Per) est une autre compagnie canadienne et elle crée des logos et des dessins utilisés sur divers produits, y compris des vêtements. Des désaccords ont surgi entre GGS et Per, d’une part, et Quality d’autre part, concernant la validité et la contrefaçon de certaines marques de commerce, et notamment une allégation de commercialisation trompeuse.

[2]               À cet égard, GGS et Per ont intenté une action, numéro de dossier T‑1609‑11, en vertu de l’article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi) et de l’alinéa 300b) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles); nous l’appellerons l’« action en contrefaçon ». GGS sollicite une injonction interdisant à Quality d’utiliser les marques de commerce, et lui ordonnant de restituer sa marchandise contrefaite, et de verser des dommages-intérêts pour contrefaçon de marque de commerce, les intérêts avant et après jugement ainsi que les dépens suivant le barème le plus élevé.

[3]               En réponse, Quality a intenté sa propre action, numéro de dossier T‑999‑12, dans laquelle elle conteste la validité des marques déposées de GGS; nous la désignerons comme l’« action en radiation ». Quality sollicite une ordonnance radiant les enregistrements des marques de commerce canadiennes no TMA 727 452 (« CANADIAN FAST FOOD ») et TMA 727 877 (« CANADIAN POLAR BEAR IN SNOW STORM »), des dommages-intérêts pour les pertes de ventes continuelles liées aux lettres de menace reçues par ses clients après l’enregistrement irrégulier des marques de commerce, ainsi que les intérêts avant et après jugement sur toute adjudication de dommages-intérêts.

CONTEXTE

[4]               Les affidavits et pièces déposés par les parties révèlent les faits suivants.

[5]               GGS a déposé à l’appui de l’action en contrefaçon deux affidavits établis sous serment par monsieur Gary Gurmukh. Le premier, daté du 9 novembre 2011, décrit les activités de GGS, l’historique des marques de commerce et de leur enregistrement, les circonstances dans lesquelles GGS a appris que Quality se servait des marques de commerce et les mesures prises en conséquence. L’affidavit comprend un certain nombre de pièces.

[6]               Dans son second affidavit, établi sous serment le 8 mai 2012, en réponse à celui de monsieur Harold Rosen déposé par Quality, M. Gurmukh nie l’existence d’une entente entre les parties et explique son point de vue sur les conversations décrites dans l’affidavit de M. Rosen. Le 29 août 2012, M. Gurmukh a été contre-interrogé relativement à ces deux affidavits. Une pièce est jointe à la transcription de ce contre-interrogatoire.

[7]               Quality a déposé un affidavit dans sa réponse à l’action en en contrefaçon, celui de M. Harold Rosen, daté du 30 avril 2012. Ce dernier y décrit les activités de Quality, les antécédents concernant les marques de commerce, leur utilisation, et l’accord conclu avec GGS l’autorisant à les apposer sur la marchandise. Un certain nombre de pièces sont jointes à cet affidavit. L’une d’elles consiste en des copies de rapports de ventes des marchandises arborant les marques de commerce contestées effectuées par Quality. GGS fonde sa demande d’adjudication de dommages-intérêts sur ces chiffres de vente.

[8]               M. Harold Rosen a été contre-interrogé relativement à cet affidavit le 29 août 2012. Un certain nombre de pièces sont jointes à la transcription de ce contre-interrogatoire.

[9]               Les parties ont déposé d’autres affidavits dans le cadre de l’action en radiation, numéro de dossier T‑999‑12.

[10]           Quality a soumis un affidavit établi sous serment par M. Harold Rosen le 3 juillet 2012. GGS a pour sa part déposé un affidavit établi sous serment par M. Gary Gurmukh le 31 juillet 2012. Ils ont tous deux été contre-interrogés relativement à ces affidavits et les transcriptions des contre-interrogatoires figurent dans les dossiers de demande conjoints.

[11]           Dans l’affidavit déposé dans le cadre de l’action en radiation, M. Rosen décrit la structure commerciale, les pratiques et la clientèle de Quality. Il souligne que GGS est un concurrent.

[12]           M. Rosen affirme que son équipe de design a créé les marques de commerce contestées et les dessins qui s’y rapportent en 2004. La vente de marchandises arborant ces dessins a commencé en 2005.

[13]           M. Rosen ajoute que l’emploi des marques de commerce par Quality était parfaitement connu de GGS, qui a présenté, de mauvaise foi, une demande d’enregistrement. Il rappelle que Quality et GGS ont passé une entente ou un accord, et soutient que Quality a perdu environ 100 000 $ de ventes pour l’avoir respecté. Les mises en demeure envoyées par GGS à ses clients ont nui à son entreprise et à sa réputation. Un certain nombre de pièces jointes à l’affidavit de M. Harold Rosen viennent étayer ses déclarations.

[14]           Dans l’affidavit déposé dans le cadre de l’action en radiation, M. Gurmukh décrit la structure commerciale et les activités de GGS et de Per, ainsi que leur clientèle. Il revient aussi sur l’historique de la conception des marques de commerce contestées, et déclare qu’elles ont toutes deux été créées en 2004. Les ventes ont commencé peu après. Il affirme par ailleurs qu’au moment où les marchandises arborant les marques de commerce ont été mises sur le marché, il ne connaissait aucune entreprise vendant des articles au design comparable.

[15]           La déposition de M. Gurmukh porte aussi sur l’enregistrement des marques de commerce et sur la vente des produits arborant celles-ci. Il décrit à quel moment il a été mis au courant de la contrefaçon des marques de commerce et les mesures qui ont été prises pour faire respecter les droits de GGS et de Per. Il conteste la déposition de M. Harold Rosen selon laquelle GGS a copié plusieurs dessins de Quality, et ses déclarations concernant la perte de certains partenaires commerciaux de cette entreprise du fait des mises en demeure envoyées par GGS. Il nie que les parties aient jamais conclu une entente les autorisant toutes les deux à utiliser les marques de commerce. Plusieurs pièces sont jointes à l’affidavit de M. Gurmukh.

[16]           GGS est une entreprise constituée en personne morale en vertu des lois de l’Ontario. M. Gary Gurmukh en est le président et le fondateur. Depuis 1990, GGS se spécialise dans la fabrication, la distribution et la promotion de marchandises sur le marché des articles de souvenir et du tourisme au Canada. Elle distribue des produits à différents magasins de détail et participe à plusieurs foires commerciales dans le but d’attirer des clients. Sa marchandise consiste en des articles « typiquement canadiens » destinés aux touristes.

[17]           Per est aussi une entreprise constituée en personne morale en vertu des lois de l’Ontario. M. Gary Gurmukh est président et actionnaire de Per Design Inc. Per crée des dessins artistiques, des logos et des marques à l’égard desquels elle accorde des licences d’utilisation sur différents produits destinés au marché canadien du tourisme. Ces dessins apparaissent sur les marchandises de GGS, souvent agrémentés de phrases spirituelles ou humoristiques. Ses produits sont vendus au Canada depuis 2005.

[18]           En vertu d’un accord de licence en vigueur depuis le 1er janvier 2006, GGS est la licenciée exclusive de Per. Le 30 novembre 2008, Gary Gurmukh, son associé d’affaires et ses deux fils, ont acheté Per en vertu d’un accord de rachat d’actions.

[19]           Per est la détentrice des deux marques déposées en cause dans les présentes demandes. La première a été enregistrée le 30 octobre 2008 sous le numéro TMA 727 452 et consiste en l’expression « CANADIAN FAST FOOD ». La marque était généralement apposée sur un article et s’accompagnait du dessin d’une personne pourchassée par un ours ou un autre animal sauvage.

[20]           La seconde marque de commerce, enregistrée le 6 novembre 2008 sous le numéro TMA 727 877, consiste en l’expression « CANADIAN POLAR BEAR IN SNOW STORM ». Elle figurait généralement sur un article de couleur blanche, sauf pour la phrase visée par la marque de commerce, avec le dessin des yeux et du nez sombres d’un ours polaire. Les deux marques de commerce ont été enregistrées sur la base de leur emploi au Canada depuis 2005.

[21]           Les deux marques de commerce ont été enregistrées en vue d’un emploi en liaison avec des tee-shirts, pulls d’entraînement, débardeurs, grandes tasses, aimants pour réfrigérateur, tabliers, chapeaux et sacs à provisions. GGS a effectué de bonnes ventes sur les articles arborant les marques de commerce.

[22]           Quality est une entreprise constituée en personne morale en vertu des lois du Québec. Il s’agit d’une concurrente directe de GGS. M. Harold Rosen en est le président et fondateur. La société est enregistrée depuis 1964 et a été constituée en personne morale en 1969.

[23]           Au cours des 45 dernières années, Quality a importé, fabriqué et distribué des articles destinés à la vente sur le marché canadien du tourisme. Comme la marchandise de GGS, une grande partie des produits de Quality sont « typiquement canadiens ». Ceux-ci sont vendus dans des magasins de touristes au Canada et aux États-Unis, sur Internet, par catalogue, ainsi que dans les foires commerciales. Quality a sa propre équipe de conception artistique : c’est elle qui crée les dessins pour les produits.

[24]           Depuis 2005, Quality utilise sur ses marchandises les phrases visées par les marques de commerce, souvent accompagnées d’images ressemblant à celles qu’emploie GGS. Elle prétend que son service de conception artistique a créé les dessins de manière indépendante en 2004, et qu’ils étaient bien connus dans l’industrie touristique/des articles de souvenir au Canada.

[25]           Lorsque GGS a essayé d’enregistrer les marques de commerce, Quality était au courant de la demande d’enregistrement et aurait pu déposer une opposition. Elle ne l’a pas fait parce qu’elle était alors aux prises avec des difficultés financières.

[26]           En août 2007, GGS a appris que Quality vendait des articles arborant ses marques de commerce. Un employé de l’entreprise a acheté des échantillons de produits dans un magasin en Alberta et les a montrés à M. Gary Gurmukh. GGS a demandé à son avocat de mettre en demeure Quality de cesser la vente des marchandises arborant les phrases. Comme les marques de commerce n’avaient pas encore été enregistrées, la lettre de GGS ne faisait état que de son droit d’auteur enregistré à l’égard du dessin. Quality a répondu qu’elle avait l’intention de poursuivre la vente des marchandises contestées.

[27]           En octobre 2008, GGS a appris que Quality continuait de vendre les articles contestés. Son avocat a envoyé une nouvelle mise en demeure, faisant valoir cette fois les marques de commerce de l’entreprise, alors en cours d’enregistrement. Rien n’indique que Quality ait répondu à cette lettre.

[28]           En mars 2010, GGS a appris que Quality avait continué de vendre les marchandises arborant les marques de commerce. Elle a fait envoyer par son avocat une autre lettre de mise en demeure à Quality, faisant valoir les marques de commerce et énonçant une liste de conditions. Si celles-ci étaient remplies, GGS s’engageait à n’exercer aucun recours juridique contre Quality. Ces conditions n’ont pas été respectées.

[29]           En juillet 2011, un représentant de GGS a informé M. Gurmukh que des articles arborant les marques de commerce étaient vendus dans un magasin de détail à Vancouver. GGS a écrit au commerçant pour lui demander de cesser de vendre les marchandises contrefaites et d’identifier son fournisseur. Le commerçant l’a informée par téléphone que Quality lui avait fourni les marchandises contrefaites et qu’il avait l’intention de les lui retourner.

[30]           Plus tard ce même mois, M. Gurmukh a reçu un appel téléphonique de M. Rosen. Il prétend que ce dernier l’a avisé que Quality continuerait d’approvisionner les détaillants en marchandises arborant les marques de commerce, et que GGS pouvait déposer une action en justice si elle le désirait. En août 2011, l’associé de M. Gurmukh s’est rendu compte qu’un détaillant albertain vendait des articles arborant les marques de commerce, et il a acheté un pull portant la marque CANADIAN POLAR BEAR IN A SNOW STORM. GGS a envoyé une mise en demeure à ce commerçant, mais n’a reçu de lui aucune réponse.

[31]           Toujours en août 2011, l’associé de M. Gurmukh a remarqué que des marchandises arborant les marques de commerce étaient vendues à l’Aéroport international de Calgary. Cette fois-ci, il a acheté un chapeau arborant la marque CANADIAN POLAR BEAR IN SNOW STORM. GGS a envoyé une mise en demeure à ce commerçant, mais n’a reçu de lui aucune réponse.

[32]           En septembre 2011, GGS a été informée par un client de Vancouver que Quality avait proposé de lui vendre en gros ses propres marchandises arborant les marques de commerce. Il ne les a pas achetées. GGS savait que Quality avait un site Web faisant la publicité de ses produits. À cette époque, GGS a remarqué que certains articles vendus sur ce site arboraient les marques de commerce.

[33]           Le 8 novembre 2011, alors qu’il rendait visite à un client détaillant de GGS à Toronto, M. Gurmukh a remarqué un pull d’entraînement offert à la vente et portant la phrase CANADIAN POLAR BEAR IN A BLIZZARD. L’étiquette indiquait que ce pull avait été fabriqué par Quality.

[34]           En plus des exemples décrits dans son affidavit, M. Gurmukh a fourni des copies des lettres de mise en demeure envoyées à différents détaillants, et ce dès le 24 août 2007. Toutes ces lettres concernent la vente de marchandises arborant les marques de commerce.

[35]           Quality nie que les marques de commerce soient uniques et soutient que les concepts étaient bien connus dans l’industrie avant que GGS ne les enregistre comme marques de commerce. Quality savait que GGS les avait enregistrées et elle aurait pu s’y opposer validement, n’eussent été ses difficultés financières. Quality prétend avoir préféré conclure une entente avec GGS autorisant les deux entreprises à vendre des marchandises arborant les marques de commerce.

[36]           D’après la déposition de M. Harold Rosen, son fils, M. Jeff Rosen, s’est entretenu avec M. Gurmukh dans des foires commerciales qui se sont déroulées à Edmonton et à Toronto en 2009. Les deux hommes se seraient entendus pour que Quality ne vende pas d’articles arborant les marques de commerce aux clients de GGS. Quality a énuméré un certain nombre de détaillants à qui GGS lui a demandé de ne pas vendre de marchandises, et elle déclare avoir respecté cette condition.

[37]           L’entente a été conclue par une poignée de main et n’a jamais été officialisée par écrit. M. Rosen a rencontré M. Gurmukh en personne en 2010 dans des foires commerciales à Toronto et Edmonton et ils ont ainsi renouvelé leur entente.

[38]           Quality affirme que GGS a violé cette entente en envoyant des lettres de mise en demeure à ses clients. Elle soutient que plusieurs d’entre eux, en conséquence, ont retourné les marchandises en réclamant un crédit ou ont diminué leurs commandes. D’après la déposition de M. Rosen, M. Gurmukh lui a expliqué au téléphone que GGS avait commencé à envoyer ses mises en demeure lorsqu’elle s’est rendu compte que Quality avait vendu des marchandises à l’un de ses clients. D’après M. Rosen, il s’agissait d’une erreur puisque Quality n’avait rien fait de tel. En réponse aux démarches de GGS, Quality a « intensifié » ses ventes de marchandises arborant les marques de commerce.

[39]           M. Gurmukh nie avoir passé un tel accord avec Quality. Il reconnaît avoir parlé avec M. Jeff Rosen lors de la foire commerciale d’Edmonton en 2009, mais soutient que pour sa part, leur conversation s’est limitée à exiger de Quality qu’elle cesse de mettre à l’étalage des marchandises arborant les marques de commerce.

[40]           M. Gurmukh ne se souvient pas d’avoir parlé avec M. Jeff Rosen lors de la foire commerciale de Toronto en 2009. Il nie également avoir discuté d’une entente avec M. Harold Rosen en 2010. Il déclare qu’il n’a jamais été question d’un accord entre GGS et Quality durant leur conversation téléphonique en juillet 2011.

[41]           Pour éviter la contrefaçon, Quality a commencé à vendre des articles arborant les phrases « FAST FOOD CANADIAN STYLE » et « CANADIAN POLAR BEAR IN A BLIZZARD » en septembre 2011. M. Gurmukh affirme dans sa déposition avoir estimé que c’en était trop lorsqu’il a appris que Quality avait approché un client détaillant de GGS à Vancouver. GGS a poursuivi Quality pour contrefaçon de marque de commerce et commercialisation trompeuse le 28 septembre 2011.

[42]           L’action en radiation intentée par Quality, numéro de dossier T‑999‑12, remet en cause la validité des marques de commerce. Il convient de traiter de cette question avant d’examiner les allégations de contrefaçon et de commercialisation trompeuse soulevées par GGS dans l’action T‑1609‑12.

ACTION EN RADIATION, T-999-12

[43]           L’action en radiation soulève les questions suivantes :

a)                  Quality a-t-elle reconnu la confusion dans le cadre de l’action en radiation, et GGS peut-elle s’en servir pour les besoins de l’action en contrefaçon?

b)                  Les marques de commerce sont-elles distinctives?

c)                  Au moment de l’enregistrement, les marques de commerce de GGS créaient-elles de la confusion avec une marque ou un nom commercial qu’une autre partie avait déjà fait connaître au Canada?

d)                 Les marques de commerce donnent-elles une description claire ou une description fausse et trompeuse?

e)                  La conduite de GGS donne-t-elle droit à des dommages-intérêts à Quality?

[44]           À l’audition de la présente affaire, l’avocat de Quality a indiqué qu’il n’invoquait plus les questions (iv) et (v) susmentionnées.

 

 

OBSERVATIONS DES PARTIES ET DISCUSSION

(i)                 Quality a-t-elle reconnu la confusion dans le cadre de l’action en radiation et GGS peut-elle s’en servir pour les besoins de l’action en contrefaçon?

[45]           Cette question découle du libellé de l’avis de demande déposé par Quality dans la poursuite T‑999‑12 :

[traduction] Per n’avait pas le droit d’obtenir l’enregistrement d’aucune de ses marques [sic] compte tenu de l’article 18 et de l’alinéa 16(2)a) de la Loi sur les marques de commerce puisque chacune de ces marques [sic] créait de la confusion avec les marchandises de QG que cette dernière avait déjà utilisées et fait connaître au Canada.

[46]           GGS est la seule à invoquer cet argument : Quality n’y a pas répondu. Elle soutient que comme l’acte de procédure de Quality, c’est-à-dire son avis de demande, contient une déclaration concernant la confusion et les marques de commerce qu’elle avait déjà fait connaître au moment de l’enregistrement de celles de GGS, elle a reconnu de ce fait que ses marques créaient de la confusion avec celles de GGS.

[47]           GGS invoque la règle générale selon laquelle toute partie est liée par un aveu fait dans le cadre d’une procédure. Cependant, je ne suis pas convaincu que l’« aveu » d’une confusion fait dans le cadre de l’action en radiation est déterminant à l’égard de l’action en contrefaçon.

[48]           L’action en contrefaçon intentée par GGS soulève l’enjeu de la contrefaçon au titre de l’article 19 de la Loi, mais cette disposition n’exige pas qu’il y ait confusion.

[49]           GGS invoque la contrefaçon en s’appuyant sur l’article 20 de la Loi. La confusion est pertinente en l’occurrence, mais la marque de commerce que Quality mentionne dans son avis de demande n’est pas celle qui est visée par l’allégation de contrefaçon au titre de l’article 20.

[50]           La confusion intéresse l’allégation de commercialisation trompeuse soulevée par GGS dans l’action en contrefaçon, mais l’aveu de Quality n’est pas déterminant à cet égard. J’aborderai cette question plus en détail lorsque nous reviendrons sur l’allégation de commercialisation trompeuse.

(ii)               Les marques de commerce sont-elles distinctives?

Observations

[51]           Quality soutient que GGS a décidé de déposer les expressions CANADIAN FAST FOOD et CANADIAN POLAR BEAR IN SNOW STORM sans référence à des dessins d’accompagnement. Elle affirme que GGS a choisi le mauvais véhicule pour protéger ses dessins; elle aurait dû demander un dessin-marque pour protéger à la fois les expressions et les dessins qui les accompagnent plutôt que les expressions seulement. Aucune des deux phrases ne donne une idée des marchandises de GGS.

[52]           Aucune preuve sous forme de sondage n’indique que le public est en mesure de distinguer les marchandises de GGS, ou celles visées par les marques de commerce, de celles d’autres entreprises, et rien ne prouve qu’un budget publicitaire était alloué aux marques de commerce. Rien ne démontre qu’il existe dans l’esprit des consommateurs un lien entre les marques de commerce et GGS comme source des marchandises associées à ces marques; voir la décision Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc. (2001), 205 F.T.R. 176, au paragraphe 19. Quality fait valoir que GGS n’avait pas le droit d’enregistrer les marques de commerce au titre de l’alinéa 18(1)b) de la Loi puisqu’elles ne distinguent pas ses marchandises de celles d’autres entreprises et qu’elles ne sont pas distinctives.

[53]           GGS réplique que les enregistrements de marques de commerce sont présumés valides et qu’il incombe à Quality de démontrer que les marques de commerce ont perdu leur caractère distinctif. La date pertinente aux fins de l’analyse du caractère distinctif des marques de commerce est énoncée à l’alinéa 18(1)b) de la Loi : c’est la date à laquelle est intentée l’action contestant la validité des marques en question, soit en l’espèce le 22 mai 2012.

[54]           GGS soutient qu’elle a activement surveillé le marché et tenté d’arrêter les contrefacteurs. L’emploi de la marque par des tiers n’a pas entraîné une perte du caractère distinctif des marques déposées. Quality ne peut s’appuyer sur ses propres ventes de marchandises contrefaites pour faire valoir que les marques de commerce ont perdu leur caractère distinctif; voir la décision Anne of Green Gables Licensing Authority Inc. et. al. c. Avonlea Traditions Inc. (2000), 4 C.P.R. (4th) 289, au paragraphe 153. Quand bien même les ventes de Quality seraient prises en compte pour examiner ce facteur, leur volume n’est pas suffisant pour amoindrir le caractère distinctif de ses marques de commerce.

Discussion

[55]           Pour établir que les marques de commerce ne sont pas distinctives, Quality doit démontrer qu’elles ne permettent plus de distinguer les marchandises de GGS de celles des autres entreprises sur le marché.

[56]           La violation des droits du détenteur d’une marque déposée n’entraîne pas la perte de son caractère distinctif. L’usage concurrent doit être substantiel pour établir une telle perte.

[57]           À mon avis, Quality n’a pas démontré que les marques de commerce avaient perdu leur caractère distinctif. La question est de savoir si elles étaient distinctives lorsque la demande en radiation a été présentée. Il est faux de donner à penser, comme le fait Quality, que la date applicable aux fins de l’analyse est celle de la soumission de la demande d’enregistrement des marques de commerce. L’alinéa 18(1)b) indique clairement que la date pertinente est celle du dépôt de l’action en radiation.

[58]           Je ne suis pas convaincu que Quality a produit assez d’éléments de preuve pour établir que les marques de commerce ne sont plus distinctives. Il lui incombe de démontrer l’invalidité d’une marque déposée; voir la décision Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, [2006] 1 R.C.S. 824, au paragraphe 5.

[59]           L’argument de Quality voulant que le caractère distinctif des marques de commerce soit insuffisant repose sur le fait que GGS n’a produit aucun élément de preuve établissant que ses marques permettent de distinguer ses produits. Cela ne suffit pas à prouver qu’une marque n’est plus distinctive; voir la décision Kamsut Inc. c Jaymei Enterprises Inc. (2009), 347 F.T.R. 1, au paragraphe 62.

[60]           Il n’incombe nullement à GGS de démontrer la validité de sa marque. La preuve de Quality établit seulement qu’elle a vendu des marchandises arborant des marques de commerce identiques ou similaires. Elle n’a prouvé d’aucune autre manière que les marques de commerce avaient perdu leur caractère distinctif. Il s’ensuit qu’elle n’a pas réussi à réfuter la présomption de validité.

(iii)             Au moment de l’enregistrement, les marques de commerce de GGS créaient-elles de la confusion avec une marque ou un nom commercial qu’une autre partie avait déjà fait connaître au Canada?

Observations

[61]           Quality prétend avoir présenté des éléments de preuve attestant que des marchandises arborant les phrases visées par les marques de commerce ont été vendues dès 2005. Elle a également produit des dossiers de son service de conception indiquant qu’elle avait créé les deux dessins en question en 2004. Elle soutient qu’elle a fait connaître les marques au Canada avant que GGS n’enregistre les phrases.

[62]           Quality soutient qu’elle ne devrait pas être pénalisée pour ne s’être pas opposée à la demande d’enregistrement des marques de commerce GGS. Elle affirme que les phrases étaient protégées par des marques reconnues par la common law avant d’être enregistrées par GGS.

[63]           GGS soutient que la date à prendre à compte pour déterminer l’enregistrabilité lorsque la confusion est invoquée, est celle de la première utilisation de la marque déposée au Canada. Elle prétend que cette date est le 31 décembre 2005.

[64]           GGS avance qu’il incombe à Quality de démontrer que les marques de commerce déposées créaient de la confusion avec une autre marque utilisée ou connue au Canada, durant la période pertinente. Elle ne s’est pas acquittée de ce fardeau. Quality n’a produit aucune preuve concernant les ventes réalisées au Canada avant avril 2006.

[65]           GGS soutient par ailleurs que les dossiers de conception invoqués par Quality ne sont pas convaincants. Celle-ci affirme que les numéros de dessin permettent de déduire que ceux qui arborent les marques de commerce ont été produits dans le courant de 2003 ou de 2004. Pour GGS, rien ne permet de le confirmer en dehors de la déclaration de M. Harold Rosen concernant la date de création des dessins figurant sur les pages. Les dossiers de conception ne comportent aucune date, et seules deux pages ont été produites. GGS prétend donc que la date de création de ces dossiers est incertaine.

Discussion

[66]           GGS souligne à juste titre que la date à prendre en compte aux fins de l’analyse relative à l’alinéa 16(1)a) est celle du premier emploi de la marque de commerce; voir Habib Bank Ltd. c. Habib Bank AG Zurich (2013), 108 C.P.R. (4th) 83, au paragraphe 25.

[67]           Des éléments de preuve établissent que GGS a employé les marques de commerce en 2005. Aucun des éléments fournis par Quality n’indique qu’elle s’est servie des marques de commerce ou qu’elle les a fait connaître avant cette date. Les premières ventes par Quality de marchandises arborant la marque CANADIAN POLAR BEAR IN SNOW STORM remontent à décembre 2005 et concernaient un détaillant en Alaska.

[68]           Je conviens avec GGS que la preuve de Quality ayant trait aux dossiers de conception n’est d’aucun secours. Ils ne contiennent aucune date et il est impossible d’établir avec certitude quand les dessins ont été créés. Quoi qu’il en soit, la création des dessins en soi ne constitue pas un emploi de la marque au Canada aux termes de l’article 4 de la Loi. La création ou la conception des marques de commerce ne prouve pas qu’elles figuraient sur des marchandises à l’étape de la vente, et rien n’indique non plus que ces dessins aient fait l’objet d’une publicité qui aurait permis de les faire connaître au Canada durant la période pertinente.

[69]           Je conclus que Quality n’a pas produit assez d’éléments de preuve pour démontrer qu’elle avait utilisé les marques de commerce ou les avait fait connaître avant GGS. Il s’ensuit qu’elle n’a pas réussi à prouver l’invalidité au titre des alinéas 16(1)a) et 12(1)a) de la Loi.

ACTION EN CONTREFAÇON, T-1609-11

[70]           L’action en contrefaçon soulève les questions suivantes :

(i)                 Existait-il une entente en vertu de laquelle GGS avait consenti à ce que Quality emploie les marques de commerce?

(ii)               GGS est-elle légalement dans l’impossibilité d’intenter la présente action en contrefaçon, attendu qu’elle ne détient pas les marques de commerce et qu’elle n’est pas licenciée pour faire appliquer les droits de propriété commerciale de la détentrice?  

(iii)             Quality a-t-elle contrefait les marques de commerce de GGS aux termes de l’article 19 de la Loi?

(iv)             Quality a-t-elle contrefait les marques de commerce de GGS aux termes de l’article 20 de la Loi?

(v)               Quality s’est-elle livrée à une commercialisation trompeuse aux termes de l’alinéa 7b) de la Loi?

(vi)             Quelle mesure de réparation devrait être accordée à GGS?

OBSERVATIONS DES PARTIES ET ANALYSE

(i)                 Existait-il une entente en vertu de laquelle GGS avait consenti à ce que Quality emploie les marques de commerce?

Observations

[71]           GGS soutient n’avoir passé aucune entente avec Quality. M. Gurmukh nie l’existence d’un tel accord, et il est resté inébranlable sur ce point lors du contre-interrogatoire. Quality ne l’a invoquée qu’en avril 2012, dans un affidavit déposé en prévision de la présente instance. GGS lui a envoyé une série de lettres de mises en demeure concernant des marchandises arborant les marques de commerce. Rien n’indique que Quality ait invoqué l’entente entre les deux entreprises en réponse à ces lettres.

[72]           Par ailleurs, GGS soutient que la preuve de Quality concernant la prétendue entente est contradictoire. Elle avance qu’aucun élément crédible n’en confirme l’existence.

[73]           Quality fait valoir le contraire. Ses registres de vente montrent qu’elle n’écoulait pas de marchandises aux sociétés nommées par GGS. Il est illogique qu’elle restreigne ses activités commerciales en l’absence d’une entente.

[74]           Quality soutient qu’il est déraisonnable que GGS ait attendu quatre ans après avoir appris qu’elle vendait des marchandises arborant les marques de commerce pour mettre ses menaces de poursuites à exécution. La seule explication plausible est qu’elle ait respecté l’entente conclue entre les deux sociétés.

 

Discussion

[75]           Je conclus qu’il n’existait pas d’entente par laquelle GGS a consenti à ce que Quality utilise les marques de commerce. Il est illogique que Quality n’ait pas invoqué l’existence d’une pareille entente pour répondre aux mises en demeure envoyées par GGS. La preuve présentée par Quality est contradictoire et ne suffit pas à prouver l’existence d’un accord.

 

(ii)               GGS est-elle légalement dans l’impossibilité d’intenter la présente action en contrefaçon, attendu qu’elle ne détient pas les marques de commerce et qu’elle n’est pas autorisée à faire valoir les droits de propriété commerciale de la détentrice?

Observations

[76]           GGS n’a soumis aucune observation à ce sujet, sinon pour indiquer dans son avis de demande qu’elle est la licenciée exclusive des marques de commerce.

[77]           Quality fait valoir que GGS n’est pas la propriétaire inscrite des marques de commerce; c’est Per qui l’est. GGS a simplement vendu des marchandises arborant les marques. L’accord de licence conclu entre ces deux sociétés n’autorise pas GGS à prendre des mesures concernant ces marques. La seule marque dont il soit fait mention dans cet accord est un logo de Per.

 

Discussion

[78]           À mon avis, les observations de Quality sur ce point ne sont pas fondées. Per est l’une des parties nommées dans la présente instance. Le paragraphe 10 de l’accord de licence autorise explicitement GGS à prendre des mesures pour éviter la contrefaçon d’[traduction] « ouvrages protégés par une licence ». La définition de cette expression à l’alinéa 3b) de l’accord de licence renvoie à un catalogue en annexe contenant des copies des ouvrages en question. Les marques de commerce figurent dans ce catalogue. Par conséquent, GGS a le droit de faire respecter ces marques de commerce à titre de titulaire de licence.

 

(iii)             Quality a-t-elle contrefait les marques de commerce de GGS aux termes de l’article 19 de la Loi?

Observations

[79]           GGS soutient qu’entre le 30 octobre 2008, date de l’enregistrement de la marque de commerce CANADIAN FAST FOOD, et septembre 2011, Quality a reproduit exactement la marque et contrevenu à l’article 19. De même, entre le 6 novembre 2008, date de l’enregistrement de la marque CANADIAN POLAR BEAR IN SNOW STORM, et septembre 2011, Quality a reproduit exactement cette marque. C’est à partir de septembre 2011 que Quality a commencé à vendre des marchandises arborant des phrases différentes.

[80]           GGS reconnaît que Quality vendait des marchandises arborant l’expression CANADIAN POLAR BEAR IN A SNOW STORM, alors que la marque enregistrée de GGS se rapportait à l’expression CANADIAN POLAR BEAR IN SNOW STORM. Elle soutient cependant que cette différence est insignifiante et que la marque a été employée au sens de l’article 19 de la Loi. Subsidiairement, l’expression CANADIAN POLAR BEAR IN A SNOW STORM crée de la confusion avec l’expression CANADIAN POLAR BEAR IN SNOW STORM et donc avec la marque déposée de GGS. Il s’agit d’une contrefaçon aux termes de l’article 20 de la Loi.

[81]           Quality fait valoir qu’une marque de commerce ne peut être distinctive si elle est employée simultanément au Canada par au moins deux entreprises. GGS et Quality ont commencé toutes les deux à vendre des marchandises arborant les marques de commerce en 2005 ou 2006. Ces marques n’ont été enregistrées qu’à la fin de 2008. À ce moment-là, elles n’étaient plus distinctives et devraient donc être radiées. Comme les ventes réalisées par GGS ne relevaient pas d’un accord de licence valide, les marques de commerce ne permettent pas de distinguer les marchandises du propriétaire inscrit et l’enregistrement est invalide.

[82]           Quality affirme en outre que le défaut de faire respecter ses marques de commerce équivaut à de l’assentiment de la part de GGS. Elle ajoute que les marques sont faibles et n’ont droit qu’à une protection minimale.

 

Discussion

[83]           L’article 19 de la Loi protège le propriétaire ou le licencié d’une marque de commerce déposée contre toute reproduction exacte de la marque par un concurrent. Il empêche les concurrents d’employer des marques de commerce identiques en liaison avec des marchandises identiques à celles visées par l’enregistrement aux fins d’utilisation de la marque.

[84]           L’article 19 de la Loi prévoit :

 Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

 Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trade-mark in respect of any wares or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade-mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade-mark in respect of those wares or services.

[85]           La preuve démontre bien que Quality a vendu des marchandises arborant des phrases identiques à celles visées par l’enregistrement. Les marques de commerce étaient apposées sur des produits à l’égard desquels GGS avait enregistré lesdites marques aux fins d’utilisation. J’estime, compte tenu de la preuve soumise, que Quality a commis une contrefaçon au sens de l’article 19 de la Loi.

[86]           La différence entre la marque de commerce, telle que GGS l’a enregistrée, et celle qu’a utilisée Quality est insignifiante. L’article 19 admet les différences mineures lorsqu’une marque de commerce contrefaite usurpe le caractère ou l’identité de la marque déposée; voir la décision Promafil Canada Ltée. c. Munsingwear Inc. (1992), 142 N.R. 230, aux paragraphes 33 et 34.

[87]           Par ailleurs, la marque de commerce telle qu’elle a été enregistrée se distingue de celle qu’a employée GGS. D’après Promafil, précitée, au paragraphe 37, des changements mineurs peuvent être apportés à la marque de commerce, mais tant et aussi longtemps que l’impression laissée dans l’esprit du consommateur moyen reste la même, l’enregistrement est valide. En l’espèce, les marques de commerce employées par Quality et par GGS sont identiques. Quality a commis une contrefaçon au sens de l’article 19 de la Loi.

 

(iv)             Quality a-t-elle contrefait les marques de commerce de GGS aux termes de l’article 20 de la Loi?

Observations

[88]           GGS soutient que les dates pertinentes pour établir la contrefaçon au titre de l’article 20 de la Loi sont septembre 2011, date à laquelle l’action en contrefaçon a été entamée, et la date de l’audience. Elle affirme qu’après avoir intenté la présente action, Quality avait l’intention de continuer à profiter de l’achalandage généré par les marques de commerce de GGS en produisant et en vendant des imitations déguisées. GGS en voit la preuve dans le fait qu’en réponse à son action en contrefaçon, Quality a remplacé l’expression CANADIAN FAST FOOD par FAST FOOD CANADIAN STYLE, et CANADIAN POLAR BEAR IN A SNOW STORM par CANADIAN POLAR BEAR IN A BLIZZARD.

[89]           La confusion est une affaire de première impression. Le critère consiste à savoir si un consommateur ordinaire plutôt pressé et n’ayant qu’un vague souvenir de la marque de commerce serait confus en voyant la marque contrefaite. Voir Veuve Clicquot, précité, au paragraphe 20. Il n’est pas nécessaire de prouver que la confusion s’est effectivement produite, mais seulement qu’elle est probable; voir la décision Tommy Hilfiger Licensing Inc. c. Quality Goods I.M.D. Inc. et. al. (2005), 267 F.T.R. 259, au paragraphe 30.

[90]           Le fardeau de prouver une confusion probable incombe à la partie qui invoque cet argument. Pour déterminer s’il existe un risque de confusion, la Cour doit examiner les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi.

[91]           GGS soutient que ces facteurs n’ont pas tous la même importance. La Cour les évalue tous dans chaque affaire et décide du poids qu’il convient d’accorder à chacun; voir la décision Toyota Motor Corp. c. Lexus Foods Inc. (2000), 264 N.R. 158, au paragraphe 7. Pour GGS, la preuve établit que les marques employées par Quality créent de la confusion avec ses marques enregistrées, eu égard à chaque facteur énoncé au paragraphe 6(5) de la Loi.

[92]           Quality souscrit à la définition de la confusion avancée par GGS, mais prétend que cette dernière n’a produit aucun élément de preuve établissant une confusion véritable sur le marché, bien que les produits soient offerts à la vente depuis sept ans. Quality soutient que, dans l’ensemble, la preuve ne permet pas d’établir la confusion. Par ailleurs, elle fait valoir que si les marques créent de la confusion avec les marques déposées, GGS a consenti à ce que Quality les utilise.

 


Discussion

[93]           L’article 20 de la Loi prévoit :

Violation

*        (1) Le droit du propriétaire d’une marque de commerce déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l’employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistrement d’une marque de commerce ne peut empêcher une personne :

*                 a) d’utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial;

*                 b) d’employer de bonne foi, autrement qu’à titre de marque de commerce :

*             (i) soit le nom géographique de son siège d’affaires,

*             (ii) soit toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services,

d’une manière non susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce.

*                               Exception

(2) L’enregistrement d’une marque de commerce n’a pas pour effet d’empêcher une personne d’utiliser les indications mentionnées au paragraphe 11.18(3) en liaison avec un vin ou les indications mentionnées au paragraphe 11.18(4) en liaison avec un spiritueux.

Infringement

*        (1) The right of the owner of a registered trade-mark to its exclusive use shall be deemed to be infringed by a person not entitled to its use under this Act who sells, distributes or advertises wares or services in association with a confusing trade-mark or trade-name, but no registration of a trade-mark prevents a person from making

*                 (a) any bona fide use of his personal name as a trade-name, or

*                 (b) any bona fide use, other than as a trade-mark,

*             (i) of the geographical name of his place of business, or

*             (ii) of any accurate description of the character or quality of his wares or services,

in such a manner as is not likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching to the trade-mark.

*                               Exception

(2) No registration of a trade-mark prevents a person from making any use of any of the indications mentioned in subsection 11.18(3) in association with a wine or any of the indications mentioned in subsection 11.18(4) in association with a spirit.

 

[94]           La confusion doit s’évaluer au regard des facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi, qui prévoit :

*                               Éléments d’appréciation

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

*                 a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

*                 b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

*                 c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

*                 d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

*                               What to be considered

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

*                 (a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

*                 (b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

*                 (c) the nature of the wares, services or business;

*                 (d) the nature of the trade; and

*                 (e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

 

[95]           Le risque de confusion doit s’évaluer du point de vue d’un consommateur ordinaire plutôt pressé qui n’aurait qu’un vague souvenir de la marque déposée et qui rencontrerait la marque prétendument contrefaite sur le marché. J’examinerai tour à tour chacun des facteurs énoncés au paragraphe 6(5). Il est bien établi en droit que seul un risque de confusion est requis pour établir la contrefaçon aux fins de l’article 20, et non la preuve d’une confusion véritable.

a)         Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou des noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus

[96]           La jurisprudence indique clairement que le caractère distinctif est l’attribut le plus important d’une marque de commerce; voir la décision Mattel Inc. c. 3894207 Canada Inc., [2006] 1 R.C.S. 772, au paragraphe 75. Je conviens avec Quality que le caractère distinctif des marques de GGS se situe au bas de l’échelle, surtout lorsqu’envisagées indépendamment des dessins qui les accompagnent.

[97]           Il n’est pas nécessaire que le consommateur associe précisément dans son esprit les marques de commerce au propriétaire ou au titulaire de l’enregistrement. Il doit simplement être en mesure de distinguer les marchandises du propriétaire de celles des concurrents; voir la décision Patou (Jean) Inc. c. Luxo Laboratories Ltd. (1998), 158 F.T.R. 16, au paragraphe 26. Même une marque ayant un faible caractère distinctif peut permettre de distinguer des marchandises sur le marché.

[98]           Quant à la mesure dans laquelle les marques de commerce sont devenues connues, aucune preuve directe n’a été présentée sur ce point. Cependant, GGS a produit de nombreux éléments de preuve quant aux ventes de produits arborant ces marques. Il est raisonnable d’affirmer qu’elles sont connues ou à tout le moins reconnaissables par les consommateurs sur le marché. Un consommateur ordinaire plutôt pressé, qui n’aurait qu’un vague souvenir des marques de commerce de GGS, penserait probablement que les produits arborant les marques ressemblantes de Quality proviennent du même producteur. Ce facteur incite à conclure qu’il existe un risque raisonnable de confusion entre les marques de commerce.

b)         La période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage

[99]           À mon avis, en dehors des déclarations de M. Gurmukh, rien n’indique que GGS ait établi une réputation liée aux marques de commerce. Cependant, elle les utilise depuis 2005 et a donc eu plus de temps pour les utiliser et les imposer; voir l’arrêt Veuve Clicquot, précité, au paragraphe 30.

c)         Le genre de marchandises, services ou entreprises

[100]       Les marchandises et les entreprises de GGS et Quality sont pratiquement identiques. Elles vendent leurs produits sur le même marché, à des consommateurs semblables. Les produits sur lesquels elles ont apposé leurs marques sont identiques. Le coût relativement faible des articles vendus est un facteur à prendre en compte, puisque le consommateur moyen sera moins susceptible d’examiner minutieusement le produit visé par la marque de commerce avant de l’acheter; voir l’arrêt Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., [2011] 2 R.C.S. 387, au paragraphe 74. Quoi qu’il en soit, c’est une affaire de première impression, et la nature analogue des marchandises accroît le risque qu’un consommateur moyen se trompe quant à leur source.

d)         La nature du commerce

[101]       Comme l’a noté GGS, les parties sont des concurrentes et la nature de leur commerce est presque identique. La preuve présentée par GGS et Quality est claire à cet égard, ce qui incite à conclure qu’il existe un risque raisonnable de confusion dans l’esprit du consommateur moyen; voir l’arrêt Veuve Clicquot, précité, au paragraphe 34.

e)         Le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent

[102]       En l’espèce, comme l’a fait remarquer Quality, il n’existe aucune preuve de confusion, réelle ou autre. La question est de savoir si les marques de commerce suggèrent la même idée au consommateur, de manière à entraîner un risque de confusion; voir l’arrêt Veuve Clicquot, précité, au paragraphe 35. À mon avis, les marques de commerce suggèrent les mêmes idées.

[103]       Les expressions CANADIAN FAST FOOD et CANADIAN POLAR BEAR IN SNOW STORM, telles que GGS les a enregistrées, évoquent des idées très similaires à celles que véhiculent FAST FOOD CANADIAN STYLE et CANADIAN POLAR BEAR IN A BLIZZARD, les marques utilisées par Quality.

[104]       Compte tenu de l’ensemble des circonstances, de la preuve et des facteurs énoncés au paragraphe 6(5), je conclus que les marques FAST FOOD CANADIAN STYLE et CANADIAN POLAR BEAR IN A BLIZZARD utilisées par Quality depuis 2011 créent de la confusion avec les marques déposées de GGS. Quality a commis une contrefaçon au sens de l’article 20 de la Loi.

[105]       L’assentiment ne place pas GGS dans l’impossibilité légale de présenter une demande en contrefaçon. Comme le soulignait le juge Shore dans Remo Imports Ltd. c. Jaguar Cars Ltd. (2005), 41 C.P.R. (4th) 111, au paragraphe 53, il faut remplir quatre conditions pour établir l’assentiment :

1.         il faut démontrer davantage qu’un simple retard. Le silence à lui seul ne suffit pas à faire obstacle à une procédure judiciaire;

2.         le détenteur de droits doit connaître ses droits et savoir que l’autre partie y a porté atteinte;

3.         le détenteur de droits doit encourager l’autre partie à poursuivre la violation;

4.         l’autre partie doit agir à son détriment en se fiant à l’encouragement du détenteur de droit.

[106]       En l’espèce, la preuve ne permet pas d’établir l’assentiment. Rien n’indique que GGS a encouragé Quality à continuer d’empiéter sur ses droits de propriété commerciale. La preuve montre plutôt que GGS a pris des mesures pour dissuader Quality de contrefaire ses marques de commerce. Par conséquent, toute revendication d’assentiment doit échouer.

[107]       GGS invoque également la contrefaçon au titre de l’article 20 relativement à des marchandises pour lesquelles Quality a remplacé le mot « CANADIAN » dans la marque par « ALASKAN ». Je ne suis pas convaincu qu’il existe un risque raisonnable de confusion à l’égard de ces marchandises.

[108]       GGS a raison de souligner qu’en vertu du paragraphe 4(3) de la Loi, Quality est réputée avoir utilisé les marques de commerce au Canada. Cependant, j’estime que la substitution du mot CANADIAN par ALASKAN suffit à distinguer les produits dans l’esprit du consommateur moyen. Les produits arborant les marques comportant le terme « ALASKAN » sont proposés à différents consommateurs sur un autre marché. Ils ne risquent pas de créer de la confusion avec les marques de commerce déposées par GGS.

(v)               Quality s’est-elle livrée à une commercialisation frauduleuse aux termes de l’alinéa 7b) de la Loi?

Observations

[109]       GGS soutient que la période pertinente aux fins de l’analyse touchant la commercialisation trompeuse de la marque de commerce CANADIAN POLAR BEAR IN SNOW STORM va de 2005, moment à partir duquel les marchandises vendues par GGS ont commencé à arborer la marque, au 6 novembre 2008, date à laquelle la marque a été enregistrée. En ce qui concerne la marque CANADIAN FAST FOOD, la période pertinente va de 2006, moment à partir duquel elle figurait pour la première fois sur des marchandises de GGS, au 30 octobre 2008, date de son enregistrement. L’alinéa 7b) de la Loi codifie l’action pour commercialisation trompeuse fondée sur la common law. Pour établir la commercialisation trompeuse, GGS doit démontrer trois éléments : a) l’achalandage; b) de fausses déclarations de la part des défenderesses; c) les dommages qui en ont résulté. GGS prétend avoir soumis des éléments de preuve établissant les trois éléments de la commercialisation trompeuse.

[110]       Quality soutient en réponse qu’une action en commercialisation trompeuse offre une moins grande protection qu’un enregistrement. Pour qu’il y ait commercialisation trompeuse, la marque concernée doit avoir une réputation sur le marché. Comme Quality et GGS ont toutes deux commencé à vendre des marchandises arborant les marques à la même date, la marque de GGS ne jouit pas d’une réputation unique. Cette dernière n’a d’ailleurs pas soumis de preuve quant à la confusion. Par conséquent, Quality soutient que GGS n’a pas droit à un redressement pour cause de commercialisation trompeuse.

Discussion

[111]       L’alinéas 7b) de la Loi prévoit :

7. Nul ne peut :

b) appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

 No person shall

 

(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another;

 

[112]       La question décisive pour établir la commercialisation trompeuse en l’espèce est de savoir si GGS a démontré l’achalandage attaché à ses marques de commerce; voir l’arrêt Veuve Clicquot, précité, au paragraphe 53. À mon avis, elle ne l’a pas fait.

[113]       GGS s’appuie uniquement sur les chiffres de vente de ses produits pour faire valoir l’achalandage attaché aux marques de commerce. Elle n’a fourni aucune preuve de publicité, n’a pas démontré que les marques de commerce étaient associées à un niveau de qualité particulier, et n’a pas établi le degré de reconnaissance de la marque parmi les consommateurs. De nombreux produits se vendent très bien sur le marché. Cependant, les ventes à elles seules n’établissent pas l’achalandage.

[114]       À mon avis, GGS n’a pas soumis assez d’éléments de preuve pour établir l’achalandage attaché à ses marques de commerce dans l’esprit des consommateurs. L’allégation de commercialisation trompeuse au titre de l’alinéa 7b) n’est pas prouvée.

[115]       J’ai déjà souligné dans les présents motifs que l’aveu de confusion par Quality dans le cadre de l’action en radiation intéressait la question de la commercialisation trompeuse dans l’action en contrefaçon. Comme GGS n’a pas établi l’achalandage attaché à ses marques de commerce, la commercialisation trompeuse n’est pas prouvée, sans égard à l’aveu de Quality touchant la confusion.

(vi)             Quelle mesure de réparation devrait être accordée à GGS?

Observations

[116]       GGS sollicite une injonction, la remise des marchandises contrefaites, des dommages‑intérêts compensatoires, des dommages-intérêts punitifs ainsi que les dépens selon le barème le plus élevé.

[117]       GGS réclame des dommages-intérêts compensatoires s’élevant à 160 000 $. Ce chiffre est basé sur le total des recettes que Quality a tirées de la vente des marchandises contrefaites, soit 318 316,38 $. En appliquant la marge de profit de 50 % de GGS à la vente des marchandises contrefaites par Quality, on arrive au montant approximatif de 160 000 $.

[118]       GGS souligne qu’en raison du système de comptabilité de Quality, certaines de ces ventes ont été comptées deux fois. Elle affirme que cette double computation est annulée par les ventes de marchandises contrefaites, depuis la date de production de la preuve liée aux ventes de Quality au moment de la communication préalable, jusqu’à la date du jugement dans la présente affaire.

[119]       GGS réclame aussi des dommages-intérêts punitifs attendu que Quality savait qu’elle avait enregistré les marques de commerce et qu’elle a néanmoins continué de les employer. Elle a ignoré les lettres de réclamation que GGS lui a envoyées. Quality a persisté dans ses activités de contrefaçon jusqu’à la signification de l’avis de demande, après quoi elle n’a apporté que des changements mineurs à ses dessins pour éviter la contrefaçon. La violation des droits de GGS par Quality était planifiée et délibérée.

[120]       GGS réclame des dommages-intérêts punitifs de 65 000 $, pour un montant total de dommages-intérêts de 225 000 $, à l’exclusion des intérêts et des dépens. À l’audition de la présente demande, GGS a réclamé des dommages-intérêts s’élevant cette fois à 245 000 $, afin de tenir compte de la poursuite des ventes de marchandises contrefaites durant l’instance.

[121]       Quality soutient que la partie lésée dans une demande en contrefaçon de marque de commerce a le droit d’être indemnisée soit pour les dommages qu’elle a subis, soit pour les profits réalisés par la partie fautive. Elle prétend que GGS essaye de gagner sur tous les tableaux. Même si elle indique qu’elle entend réclamer des dommages-intérêts, GGS n’a présenté aucune preuve établissant que la conduite de Quality lui a porté préjudice.

[122]       S’agissant des dommages-intérêts, la jurisprudence prévoit que le défendeur est responsable des pertes réellement subies par le demandeur et qui découlent naturellement et directement de ses actes illégaux: voir la décision Louis Vuitton Malletier S.A. c. Singga Enterprises (Canada) Inc., [2013] 1 R.C.F. 413. Quality fait valoir que GGS n’a présenté aucune preuve qui établisse de telles pertes. Ce ne sont pas les registres de Quality qui importent ici. C’est à GGS qu’il incombe de démontrer les pertes qu’elle a subies.

[123]       Quality soutient que des dommages-intérêts punitifs ne sont pas indiqués. Ceux-ci ne devraient être adjugés que lorsque l’octroi de dommages-intérêts généraux et majorés ne suffit pas pour remplir l’objectif de sanction et de dissuasion; voir la décision 3925928 Manitoba Ltd. c. 101029530 Saskatchewan Ltd. (2005), 44 C.P.R. (4th) 161, aux paragraphes 28 et 29.

Discussion

[124]       Le manque de preuve précise concernant les pertes subies par GGS n’empêche pas de lui accorder des dommages-intérêts; voir la décision Lee’s Food Products Ltd. c. Shafer-Haggart Ltd. et. al. (1984), 81 C.P.R. (2d) 204, au paragraphe 38. La Cour peut s’appuyer sur les connaissances commerciales courantes et le sens commun pour en calculer le montant; voir la décision Louis Vuitton, précitée, au paragraphe 125.

[125]       Lorsque les circonstances l’indiquent, le montant des ventes de marchandises contrefaites et des profits réalisés est un facteur pertinent et la Cour peut se fonder sur sa meilleure estimation des dommages-intérêts qu’il convient d’accorder; voir la décision Ragdoll Productions (UK) Ltd. c Personnes inconnues. (2002), 223 F.T.R. 112, au paragraphe 45.

[126]       Compte tenu de la similarité des marchandises vendues par GGS et Quality, et de l’équivalence de la gamme de prix de leurs produits, il est raisonnable de présumer que la majeure partie des ventes de Quality auraient été réalisées par GGS, n’eût été la contrefaçon des marques de commerce par Quality. Comme j’ai conclu que GGS n’avait pas prouvé son allégation de commercialisation trompeuse, les ventes de marchandises arborant les marques réalisées entre 2005 et 2008 ne devraient pas entrer dans le calcul des dommages-intérêts, ce qui réduit le montant des ventes visées de Quality de 64 231,88 $ pour la marque CANADIAN FAST FOOD, et de 78 518,75 $ pour CANADIAN POLAR BEAR IN SNOW STORM.

[127]       Les chiffres de vente invoqués par GGS pour la période allant de 2009 à 2012 incluent les ventes auprès de détaillants américains. Comme GGS ne fait pas affaire dans ce pays, ces ventes ne peuvent pas être comptées comme des « pertes » et ne devraient pas entrer dans le calcul des dommages. Le montant des ventes admissibles des produits portant la marque CANADIAN FAST FOOD sera donc réduit de 15 000 $, et celui des produits portant la marque CANADIAN POLAR BEAR IN SNOW STORM de 11 036 $, pour les années 2009 à 2011.

[128]       Aucune preuve ne se rapporte au volume des ventes éventuelles de Quality à des clients américains entre septembre 2011 et août 2012. Le montant total de ses ventes durant cette période est inclus dans le calcul des dommages-intérêts.

[129]       Compte tenu de ces réductions, le montant total des ventes de Quality dont il faut tenir compte pour calculer les dommages-intérêts s’élève à 149 529,75 $. En appliquant la marge de profit de 50 % de GGS, le montant de ventes perdues en raison de la contrefaçon de Quality s’élève à 74 764,88 $.

[130]       La double computation des ventes de Quality de septembre au 31 décembre 2011 était raisonnable pour compenser celles qui n’ont pas été prises en compte, à partir du moment où GGS a enregistré les marques de commerce en 2008 jusqu’à la fin de cette année-là, cette dernière n’ayant pas réussi à établir la commercialisation trompeuse. La double computation entrera donc dans le calcul des dommages-intérêts.

[131]       Je conviens avec Quality que des dommages-intérêts punitifs ne sont pas justifiés. Comme le déclarait le juge Binnie dans Whiten c. Pilot Insurance Co., [2002] 1 R.C.S. 595, au paragraphe 36 :

Exceptionnellement, des dommages-intérêts punitifs sont accordés lorsqu’une conduite « malveillante, opprimante et abusive […] choque le sens de la dignité de la cour » : Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 196. Ce critère limite en conséquence de tels dommages-intérêts aux seules conduites répréhensibles représentant un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable. Parce qu’ils ont pour objet de punir le défendeur plutôt que d’indemniser le demandeur (la juste indemnité à laquelle ce dernier a droit ayant déjà été déterminée), les dommages‑intérêts punitifs chevauchent la frontière entre le droit civil (indemnisation) et le droit criminel (punition).

[132]       Quoique Quality ne soit pas irréprochable et que sa conduite ne mérite pas d’éloges, son comportement ne peut être qualifié de malveillant, d’opprimant ou de choquant pour le sens de la dignité de la Cour. Des dommages-intérêts compensatoires suffisent pour réparer le préjudice subi par GGS. Des dommages-intérêts punitifs ne sont pas justifiés.

[133]       En plus des dommages-intérêts compensatoires, GGS se verra accorder l’injonction qu’elle a sollicitée, la restitution des marchandises contrefaites au titre de l’article 53.2 de la Loi, les intérêts accumulés avant et après le jugement, aux termes des articles 36 et 37 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, ainsi que les dépens à l’encontre de Quality.

[134]       Si elles ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, les parties pourront échanger des observations succinctes ne dépassant pas cinq pages : GGS devra déposer et signifier les siennes à Quality dans les 10 jours de la date des présents motifs, et Quality fera de même à l’égard de GGS dans les 10 jours de la réception de ses observations.

CONCLUSION

[135]       Quality n’a pas réussi à réfuter la présomption de validité des marques de commerce enregistrées par GGS. Il s’ensuit que ces marques sont valides. GGS a établi que Quality a commis une contrefaçon de marques de commerce au titre des articles 19 et 20 de la Loi. GGS n’a pas démontré que Quality s’était livrée à une commercialisation trompeuse au titre de l’alinéa 7b) de la Loi. GGS a droit à des dommages-intérêts compensatoires pour les ventes perdues de 74 764,88 $, ainsi qu’à une injonction interdisant l’usage futur des marques de commerce par Quality, et à la restitution de tout produit contrefait, aux termes de l’article 53.2 de la Loi. La demande de dommages-intérêts punitifs est rejetée.

[136]       Ces motifs seront déposés dans le dossier numéro T-1609-11 et ajoutés au dossier numéro T-999-12. Des jugements séparés seront rendus.

« E. Heneghan »

Juge

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

Le 7 mai 2014

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-1609-11

T-999-12

 

INTITULÉ :

GARY GURMUKH SALES LTD. ET PER-DESIGN INC. c QUALITY GOODS IMD INC.

 

QUALITY GOODS IMD INC. c GARY GURMUKH SALES LTD. ET PER-DESIGN INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

oTTAWA (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 OCTOBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Trent Horne

 

POUR LES demanderesseS / défenderesseS

GARY GURMUKH SALES LTD.

ET PER-DESIGN INC.

 

Alexandra Steele

 

POUR LA DÉFENDERESSE / DEMANDERESSE

QUALITY GOODS IMD INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bennett Jones, s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES demanderesseS / défenderesseS

GARY GURMUKH SALES LTD.

ET PER-DESIGN INC.

 

ROBIC, s.r.l.

Avocats, Agents de brevets et de marques de commerce

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE / DEMANDERESSE

QUALITY GOODS IMD INC.

 

 

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