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Date : 20140505


Dossier :

T-696-13

Référence : 2014 CF 420

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Vancouver (Colombie-Britannique), le 5 mai 2014

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

ADVENTURE TOURS INC

demanderesse

et

ADMINISTRATION PORTUAIRE

DE ST. JOHN’S

défenderesse

et

ASSOCIATION DES ADMINISTRATIONS

PORTUAIRES CANADIENNES

intervenante

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, en date du 15 mars 2012, par laquelle l’Administration portuaire de St. John’s (l’APSJ) a refusé la demande d’Adventure Tours Inc (ATI), en date du 4 mars 2013, en vue d’obtenir la permission d’exploiter son entreprise de bateaux d’excursion à St. John’s à partir de biens gérés par l’APSJ pour la saison touristique 2013. La présente demande est introduite conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F‑7.

Contexte

[2]               ATI est une société qui exploite depuis plusieurs années une entreprise saisonnière de bateaux d’excursion.

[3]               L’APSJ est une entreprise publique fédérale constituée en vertu des lettres patentes qui lui ont été délivrées sous le régime de la Loi maritime du Canada, LC 1998, c 10 (la LMC). Elle est une des 18 administrations portuaires ainsi constituées au Canada.

[4]               Jusqu’en 2005, ATI exerçait ses activités dans le port de St. John’s. En 2006, l’APSJ a adopté, dans le cadre de l’aménagement du quai no 7, une politique exigeant que toutes les activités habituelles d’excursions en bateau exercées sur les biens de l’APSJ soient désormais menées à partir du quai no 7 et limitant à trois le nombre d’exploitants de bateaux d’excursion. ATI n’était pas au nombre de ces trois exploitants.

[5]               Le 28 octobre 2011, ATI a écrit à l’APSJ pour lui demander s’il lui fallait obtenir une licence spéciale pour reprendre son exploitation de bateaux d’excursion en 2012. Le 7 novembre 2011, l’APSJ a répondu à la demande de renseignements d’ATI en lui expliquant que, pour l’instant, elle ne sollicitait ni n’acceptait de demandes d’exploitants supplémentaires. ATI a tenté de faire annuler cette réponse par voie de contrôle judiciaire en faisant valoir que ce refus contrevenait à l’article 27 du Règlement sur l’exploitation des administrations portuaires, DORS/2000-55 (le Règlement), qu’elle interprétait comme prévoyant l’obligation d’autoriser la délivrance d’une licence dès lors qu’aucune des exceptions prévues par le Règlement ne s’appliquait. ATI a également cherché à obtenir une ordonnance de mandamus en vue d’obliger l’APSJ à lui délivrer une licence d’exploitation de bateaux d’excursion.

[6]               En réponse, l’APSJ a présenté une requête visant l’obtention d’une ordonnance radiant la demande présentée par ATI. Dans une ordonnance datée du 14 mars 2012 (Adventure Tours Inc c Administration portuaire de St John’s, 2012 CF 305 [Adventure Tours 1]), le protonotaire Morneau a conclu qu’on ne trouvait dans la correspondance entre les parties ni de demande officielle ni de demande de licence. De plus, le protonotaire a estimé que, dans sa réponse, l’APSJ n’avait pas écarté la possibilité de futures demandes de licence ou d’autres demandes de renseignements et qu’elle informait simplement ATI de ce qu’il en était à ce moment‑là du processus de traitement des licences. Comme la nature de la correspondance et la conduite dont se plaignait ATI ne constituaient pas dans l’ensemble une conduite susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire, le protonotaire a fait droit à la requête en radiation présentée par l’APSJ. Il a toutefois ajouté que, pour le cas où sa conclusion serait erronée, mais surtout en prévision d’une demande plus officielle de délivrance de licence de la part d’ATI et par souci d’économie des ressources judiciaires, il convenait d’examiner la question de la compétence de la Cour sur la question. Le protonotaire a conclu que l’exploitation d’un service de bateaux d’excursion transportant des touristes était intimement liée à une responsabilité essentielle relevant des pouvoirs des administrations portuaires énoncée au paragraphe 28(2) de la LMC. Comme la question faisant l’objet du contrôle judiciaire était de nature publique et que l’APSJ agissait en qualité d’office fédéral lorsqu’il s’agissait de délivrer des licences d’exploitation de bateaux d’excursion, la demande visait à obtenir réparation de la part d’un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales. Par conséquent, conformément au paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales la Cour pouvait connaître d’une demande de contrôle judiciaire dans cette affaire.

[7]               ATI a interjeté appel de la décision du protonotaire et, le 22 janvier 2013, le juge en chef Crampton a rejeté l’appel (Adventure Tours Inc c Administration portuaire de St John’s, 2013 CF 55 [Adventure Tours 2]). Le juge en chef s’est dit d’accord avec le protonotaire que la réponse du 7 novembre 2011 de l’APSJ ne pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Cette conclusion était suffisante pour trancher la requête, mais le juge en chef a, pour les mêmes raisons que celles qu’a données le protonotaire, également examiné la question de la compétence. Comme le protonotaire, il était d’avis que, lorsque l’APSJ avait envoyé sa lettre du 7 novembre 2011 à ATI, elle exerçait des pouvoirs publics. De plus, le juge en chef a estimé que l’octroi d’une licence d’exploitation de bateaux d’excursion touchait à la fonction essentielle de l’APSJ et était une activité de nature publique. Par conséquent, l’APSJ agissait à titre d’« office fédéral » lorsqu’elle avait envoyé la lettre, et la Cour avait compétence en la matière.

[8]               Le juge en chef a également fait observer que, même s’il était trop tard pour la saison touristique 2012, il était toujours loisible à ATI de demander une licence d’exploitation de bateaux d’excursion. En cas de réponse insatisfaisante, ATI pourrait ensuite vérifier si elle disposait de raisons lui permettant de demander un contrôle judiciaire.

[9]               Le 4 mars 2013, ATI a écrit à l’APSJ une lettre dans laquelle elle affirmait que, malgré son différend avec l’APSJ en rapport avec l’application de sa politique sur les bateaux d’excursion, elle souhaitait reprendre son exploitation de bateaux d’excursion en bateau au port de St. John’s dans les plus brefs délais et qu’elle demandait par conséquent la permission de l’APSJ de le faire pour la saison touristique 2013.

[10]           Le 15 mars 2013, l’APSJ a refusé la demande d’ATI (la décision). Il s’agit de la décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

Décision à l’examen

[11]           L’APSJ a expliqué qu’elle cherchait à trouver le meilleur dosage entre le trafic maritime et les utilisations terrestres pour réussir à s’acquitter de façon optimale de sa mission, ajoutant toutefois qu’elle devait composer avec des installations d’accostage de plus en plus restreintes et avec une hausse de la demande. En réponse, elle a adopté une politique ayant pour effet de restreindre le nombre d’exploitants de bateaux d’excursion dans le port. Il y a présentement deux exploitants qui ont des licences leur permettant d’exercer leurs activités à partir des biens gérés par l’APSJ au quai no 7 jusqu’au 31 mai 2016. L’APSJ se propose de réévaluer en 2015 les activités d’excursion en bateau en fonction de la conjoncture à ce moment‑là au port de St. John’s, ce qui pourrait se solder par l’enclenchement d’un processus public à ce sujet pour les années 2016 et suivantes :

[traduction]

Par conséquent, l’APSJ ne sollicite ni n’accepte de demandes d’exploitants supplémentaires pour des activités à exercer à partir des biens gérés à l’APSJ pour 2013. L’APSJ ne prévoit pas non plus solliciter ou accepter de demandes pour les années 2014 et 2015, tant qu’elle n’aura pas procédé à une évaluation des activités d’excursion en bateau comme il a déjà été indiqué. Par conséquent, l’APSJ doit refuser votre demande de licence pour 2013.

[12]           L’APSJ a fait observer qu’il était toujours loisible aux éventuels exploitants de bateaux d’excursion d’accoster à des biens non gérés par l’APSJ dans le Port de St. John’s.

Questions en litige

[13]           À mon avis, la question en litige dans la présente affaire peut être formulée de la manière suivante : l’APSJ est‑elle légalement autorisée à exiger des exploitants commerciaux de bateaux d’excursion qu’ils obtiennent une licence?

[14]           Dans son mémoire, ATI a soulevé la question de savoir si la Cour a compétence pour examiner la question. À mon avis, cette question a déjà été examinée tant par le protonotaire que par le juge en chef. Bien que leurs décisions portent sur la lettre du 7 novembre 2011 de l’APSJ, la question qui m’est soumise concerne le même processus décisionnel et concerne la même question, en l’occurrence, l’octroi par l’APSJ de licences pour des activités d’excursion en bateau. La même analyse s’applique, étant donné que l’APSJ exerce encore une fois des pouvoirs publics et que l’activité visée relève de ses fonctions essentielles. Par conséquent, l’APSJ agissait à titre d’« office fédéral » lorsqu’elle a rendu sa décision et la Cour a compétence en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales. L’APSJ n’a pas formulé d’observations écrites à ce sujet et a confirmé, lorsqu’elle a comparu devant moi, qu’elle ne contestait pas la compétence de la Cour.

[15]           Dans ses observations écrites, ATI a également soulevé la question de savoir si le refus de l’APSJ de lui octroyer une licence constituait une mesure administrative pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Là encore, dans les observations écrites qu’elle a formulées en réponse à cette question, l’APSJ n’a pas contesté la présente demande de contrôle judiciaire sur ce fondement et elle a confirmé sa position à l’audience.

Norme de contrôle

[16]           Les parties n’ont présenté aucune observation au sujet de la norme de contrôle applicable.

[17]           Toutefois, telle que les parties l’ont formulée, la principale question à laquelle la Cour doit répondre en l’espèce est celle de savoir si l’APSJ a légalement le pouvoir d’octroyer des licences d’exploitation de bateaux d’excursion à partir d’immeubles fédéraux gérés par l’APSJ dans le port de St. John’s et de réglementer les activités en question. Par conséquent, la question que soulève la présente demande concerne l’interprétation que l’APSJ fait des dispositions de la LMC, du Règlement et des Lettres patentes délivrées à l’APSJ de St. John’s, (1999) Gazette du Canada 1, 191 (les Lettres patentes).

[18]           Pour arrêter la norme de contrôle applicable, la Cour doit d’abord vérifier si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. Dans la négative, la Cour doit alors passer à la seconde étape, qui consiste à déterminer la norme applicable en tenant compte de la nature de la question, de l’expertise du tribunal administratif, de l’existence ou l’inexistence d’une cause privative et de la raison d’être du tribunal administratif (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, aux paragraphes 51 à 64 [Dunsmuir]; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48 [Agraira]).

[19]           Bien que la jurisprudence n’ait pas encore traité de cette question précise, elle s’est penchée sur les catégories particulières de questions qui concernent l’interprétation et l’application des lois habilitantes. Il ressort clairement de la jurisprudence que, « [l]orsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 54; Smith c Alliance Pipeline Ltd, 2011 CSC 7, [2011] RCS 160, au paragraphe 28 [Alliance]). Il existe également une présomption suivant laquelle la norme de contrôle applicable dans le cas d’une décision dans laquelle un tribunal administratif interprète ou applique sa loi constitutive est celle de la décision raisonnable (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, au paragraphe 39 [Alberta Teachers]). Ce principe ne s’applique cependant pas lorsque l’interprétation de la loi constitutive relève d’une catégorie de questions à laquelle la norme de la décision correcte demeure applicable, à savoir les questions constitutionnelles, les questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur, les questions portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents et les questions touchant véritablement à la compétence (arrêt Alberta Teachers, précité, au paragraphe 30).

[20]           La Cour suprême a également récemment appliqué la présomption du caractère raisonnable non seulement aux décisions des tribunaux administratifs, mais également aux décisions rendues par d’autres décideurs administratifs interprétant leur loi constitutive (arrêt Agraira, précité; McLean c Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67 [McLean]).

[21]           J’estime par conséquent que la présomption du caractère raisonnable n’a pas été réfutée et qu’elle s’applique à l’interprétation que l’APSJ fait des dispositions de la LMC, du Règlement et de ses lettres patentes, étant donné qu’il ne s’agit pas d’une question assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (arrêt Alberta Teachers, précité, au paragraphe 30). Dans ces conditions, je serais arrivé à la même conclusion si j’avais suivi la seconde étape de l’analyse exposée dans l’arrêt Dunsmuir.

Thèse des parties

Thèse d’ATI

[22]           ATI affirme que le législateur fédéral a compétence exclusive sur la navigation et les bâtiments et navires (shipping) en vertu du paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.‑U.), 30 & 31 Vict, c 3, reproduite dans LRC (1985), App. II, no 5 (la Loi constitutionnelle), qui protège notamment le droit public de navigation de la common law (Friends of the Oldman River Society c Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 RCS 3, aux pages 54 et 55 [Friends of the Oldman River]; Colombie-Britannique (Procureur général) c Lafarge Canada Inc, [2007] 2 RCS 86, aux paragraphes 62 à 64) [Lafarge]).

[23]           Le législateur fédéral a édicté la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, c 26, pour réglementer le transport maritime et la navigation. La LMC n’a pas délégué aux administrations portuaires la compétence que la Constitution reconnaît au Parlement sur le transport maritime et la navigation sur les eaux navigables canadiennes. Le fait que la LMC parle d’activités portuaires liées « à la navigation, au transport des passagers et des marchandises » s’explique par le choix qu’a fait le législateur pour désigner le droit public de navigation de la common law dans le contexte de la gestion foncière, par les administrations portuaires, d’infrastructures fédérales « liées » au droit public de navigation.

[24]           La LMC s’applique uniquement à la gestion des terrains et des infrastructures portuaires fédéraux. L’alinéa 28(2)a) limite les pouvoirs des administrations portuaires à l’accomplissement des activités portuaires relatives à la navigation et au transport des passagers qui sont expressément mentionnées dans ses lettres patentes.

[25]           L’alinéa 7.1c) des Lettres patentes de l’APSJ énumère les activités auxquelles l’APSJ peut se livrer et ne lui confère pas le pouvoir de limiter, de restreindre ou d’interdire la navigation ou le transport de passagers ou de marchandises. Elle ne lui permet pas non plus de porter atteinte au droit public de navigation que la common law reconnaît à ATI, et notamment le droit d’ATI d’exploiter une entreprise de transport de passagers, ou encore d’interdire ou de restreindre l’accès aux installations d’accostage, de restreindre le nombre de navires se livrant à des activités de transport maritime ou de navigation de quelque nature que ce soit ou d’imposer un régime d’octroi de licences à des entreprises de bateaux d’excursion. Toute tentative en ce sens déborde le cadre des pouvoirs conférés à l’APSJ.

[26]           De plus, l’alinéa 7a) du Règlement permet l’accès aux immeubles du port de l’APSJ pour y exercer des activités commerciales légitimes. L’exercice du droit public de navigation reconnu en common law constitue une activité légitime qui peut être exercée dans le port et le fait d’accomplir des activités en tant qu’utilisateur du port confère à ATI l’accès aux terrains gérés et occupés par l’APSJ.

[27]           Le paragraphe 28(2) de la LMC et l’article 7.1 des Lettres patentes limitent expressément la capacité de l’APSJ de se livrer à des « activités portuaires » dans la mesure où ces activités sont précisées dans l’article en question des Lettres patentes. La division 7.1c)(iii)A) des Lettres patentes limite expressément le pouvoir de l’APSJ d’octroyer des licences en rapport avec les immeubles fédéraux qu’elle gère. Ce pouvoir ne s’étend pas à l’octroi de licences pour des activités maritimes exercées dans la zone contiguë aux immeubles fédéraux, et l’APSJ ne peut non plus délivrer des licences portant sur des immeubles fédéraux qui portent atteinte de quelque façon que ce soit au droit public de navigation reconnu par la common law, y compris le droit de transporter des passagers à titre onéreux.

[28]           Bien que le paragraphe 56(1) de la LMC confère effectivement à l’APSJ certains pouvoirs administratifs en matière de contrôle du trafic portuaire, ces pouvoirs sont assujettis aux règlements pris en application du paragraphe 62(1) de la LMC, ainsi qu’aux normes et pratiques nationales énoncées dans la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada en rapport avec les services relatifs au trafic maritime. Par conséquent, le législateur fédéral continue à exercer son contrôle constitutionnel sur les eaux navigables canadiennes, étant donné que toutes les activités de contrôle portuaire que l’APSJ peut exercer sont assujetties à la réglementation et aux normes fédérales en question.

[29]           Bien que l’APSJ affirme qu’ATI est en droit d’accoster à des endroits non gérés par l’APSJ, la réalité est toute autre, étant donné que l’APSJ exerce, en pratique, un monopole en ce qui concerne les lieux d’accostage ou de mouillage offerts au port de St. John’s. Il résulte de plus de la politique de l’APSJ que certains, mais non la totalité, des exploitants de bateaux d’excursion sont autorisés à exercer leur droit public de navigation de common law à partir de certains terrains fédéraux gérés par l’APSJ. Il en résulte par ailleurs que ce droit d’utilisation limite de façon indirecte la navigation et le transport des passagers dans le port (Westshore Terminals Ltd c Administration portuaire de Vancouver, 2001 CFPI 312, aux paragraphes 4 et 5).

[30]           Bien quelle soutienne essentiellement, dans son argumentation écrite, que l’APSJ n’a pas compétence pour obliger les exploitants de bateaux d’excursion à demander une licence, sous peine de porter atteinte à son droit public de navigation de common law, ATI a insisté à l’audience sur le fait qu’à son avis, l’objet de la LMC est de s’assurer que les services de transport maritime soient organisés de façon à satisfaire les besoins des utilisateurs portuaires (LMC, alinéa 4c)).

[31]           Si j’ai bien compris cet argument, en tant qu’utilisateur du port, ATI a le droit d’exploiter son entreprise de transport commercial de passagers dans le port. L’article 5 de la LMC définit comme suit le mot « utilisateur » : « À l’égard d’un port, personne qui utilise le port à des fins commerciales ou y fournit des services. » Les administrations portuaires ne sont pas des « utilisateurs », mais ATI l’est. Le paragraphe 7(1) de la LMC prévoit par ailleurs que les administrations portuaires ne sont mandataires de Sa Majesté du chef du Canada que dans le cadre des activités portuaires visées à l’alinéa 28(2)a), qui limite les pouvoirs conférés aux administrations portuaires en ce qui concerne l’exploitation des ports aux seules activités portuaires liées à la navigation et au transport des passagers et des marchandises. L’APSJ ne peut exercer ses pouvoirs d’une manière qui soit contraire à sa mission, qui est de satisfaire les besoins des « utilisateurs » du port. Le transport des passagers est une utilisation commerciale effectuée par un utilisateur du port et non une activité de l’APSJ. L’APSJ a le droit d’autoriser des « activités » qui sont liées, mais uniquement à titre accessoire, à des « utilisations » à l’appui de l’utilisation du port par des utilisateurs commerciaux (comme notamment vendre des billets d’excursion en bateau), mais elle n’a pas le droit d’octroyer des licences pour des « utilisations » essentielles.

Thèse de l’APSJ

[32]           L’APSJ affirme qu’ATI se propose d’utiliser des immeubles fédéraux, en l’occurrence les infrastructures d’accostage au quai no 7 du port de St. John’s, et d’en faire son lieu d’affaires.

[33]           Le pouvoir de délivrer des licences pour des services d’excursion en bateau à l’appui de l’industrie touristique locale sur des immeubles fédéraux situés dans le port de St. John’s découle des alinéas 8(1)a) et 28(2)a) de la LMC, de la division 7.1c)(iii)C) des Lettres patentes et des articles 23, 24 et 27 du Règlement.

[34]           Le ministre ne peut délivrer des lettres patentes que s’il est convaincu qu’un port est autonome sur le plan financier (LMC, alinéas 8(1)a) et 8(1)b)), et les administrations portuaires peuvent poursuivre des objectifs privés tels que la production de revenus et l’amélioration de leur situation financière (Air Canada c Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347, aux paragraphes 74 et 75 [Air Canada]).

[35]           L’alinéa 28(2)a) de la LMC prévoit que l’autorisation donnée à une administration portuaire d’exploiter un port est restreinte aux activités portuaires liées à la navigation et au transport des passagers et des marchandises, dans la mesure prévue par les lettres patentes. À cet égard, la division 7.1c)(iii)C) des Lettres patentes de l’APSJ comprend les services de commerce au détail à l’appui de l’industrie touristique locale, pourvu que ces utilisations soient menées par des tierces parties ou des filiales, conformément aux arrangements de location ou d’octroi de licence. L’article 23 du Règlement, qui s’applique à l’ensemble des administrations portuaires canadiennes, prévoit que toute personne peut exercer dans un port une activité mentionnée dans la liste des activités prévues par le Règlement lorsqu’elle y est autorisée, par écrit, expressément ou par déduction nécessaire aux termes d’un contrat ou bail conclu avec l’APSJ ou d’une licence délivrée par celle‑ci. Tant la division 7.1c)(iii)C) des Lettres patentes que l’article 23 du Règlement exige qu’une entreprise offrant des services d’excursion en bateau à l’appui du tourisme local sur des immeubles fédéraux soient exploités en vertu d’un bail ou d’une licence, parce qu’un bail ou une licence est exigé pour entrer sur des immeubles fédéraux et pour les utiliser dans de telles circonstances.

[36]           Toute entente conclue avec un tiers pour exploiter un tel service doit prendre la forme d’une licence dont la délivrance est une décision discrétionnaire prise par l’APSJ de manière juste et raisonnable. C’est ce qu’a déjà reconnu le juge en chef Crampton au paragraphe 48 de son ordonnance dans l’affaire Adventure Tours 2, précitée. La licence exigée en l’espèce est une licence d’utilisation d’immeubles fédéraux en vue d’exploiter une entreprise en tant qu’exploitant de bateaux d’excursion.

[37]           Quant au droit public de navigation, ATI affirme que ce droit lui permet de se comporter comme elle le juge bon dans le port de St. John’s, sous réserve uniquement des règles de navigation prévues par la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada. Toutefois, cet avis contredit la conclusion tirée par le protonotaire Morneau et acceptée par le juge en chef dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire déjà introduire dans la présente affaire (décisions Adventure Tours 1 et Adventure Tours 2, précitées).

[38]           Bien qu’elle affirme que le droit public de navigation englobe le droit du propriétaire d’un navire qui navigue dans le port d’exploiter son entreprise à partir d’immeubles fédéraux et que ce droit de navigation n’a pas été modifié ou éteint par loi ou par règlement ou ne peut peut‑être pas l’être, ATI ne cite aucun précédent appuyant précisément cet argument. Les arrêts invoqués par ATI, Friends of the Oldman River et Lafarge, précités, n’appuient pas cet argument.

[39]           De plus, et contrairement à ce que prétend ATI, il est clairement établi en droit que le droit qu’ATI peut avoir d’utiliser des immeubles fédéraux dans ces conditions est limité. Le droit public de navigation ne permet pas d’exploiter une entreprise qui ne possède pas les caractéristiques habituelles ou essentielles du droit public de navigation (North Vancouver (Ville) c “Seven Seas SR” (The), [2000] A.C.F. no 1468, 192 FTR 203, au paragraphe 35; Iveagh c Martin, [1961] 1 QB 232, aux pages 272 et 273, 276; West Kelowa (District) c Newcombe, 2013 BCSC 1411, aux paragraphes 40 à 44). Dans le cas qui nous occupe, ATI essaie de faire beaucoup plus que ce qui est prévu par le droit public de navigation. Elle se propose d’utiliser des immeubles fédéraux pour en faire son lieu d’affaires. On ne saurait affirmer qu’une telle chose constitue un aspect accessoire ou secondaire de la navigation.

[40]           L’APSJ affirme également que, dans l’arrêt Friends of the Oldman River, précité, la Cour suprême du Canada a confirmé que le droit public de navigation peut être modifié ou éteint par une loi habilitante (arrêt Friends of the Oldman River, précité, à la page 55, Wood c Esson, (1884) 9 RCS 239, aux paragraphes 7 et 8). Ainsi, indépendamment de la nature et de la portée du droit public de navigation au Canada, le législateur fédéral a clairement autorisé l’APSJ à réglementer l’exploitation des bateaux d’excursion dans le port de St. John’s, notamment par la délivrance de licences.

[41]           Il n’y a aucun doute que l’exploitation d’une entreprise offrant des excursions en bateau constitue une activité liée au transport de passagers visée à l’alinéa 28(2)a) de la LMC, comme l’a d’ailleurs reconnu le juge en chef au paragraphe 44 de son ordonnance (Adventure Tours 2). La tentative visant à différencier les activités d’ATI en les qualifiant d’activités d’« utilisateur » est dénuée de tout fondement.

Thèse de l’intervenante, l’Association des administrations portuaires canadiennes (AAPC)

[42]           L’AAPC affirme que les administrations portuaires canadiennes (les APC) sont habilitées à réglementer les activités menées par des exploitants commerciaux de bateaux d’excursion sur des immeubles fédéraux, notamment par l’octroi de licences, et de gérer le trafic maritime sur les eaux navigables relevant de leur compétence.

[43]           La principale loi régissant les APC est la LMC, et les pouvoirs et obligations complémentaires des APC découlent de leurs lettres patentes et du Règlement. L’article 4 de la LMC définit l’objet et les objectifs de la Loi. L’article 5 définit comme suit le mot « port » : « L’ensemble des eaux navigables qui relèvent de la compétence d’une administration portuaire ainsi que les immeubles et les biens réels dont la gestion lui est confiée, qu’elle détient ou qu’elle occupe en conformité avec les lettres patentes. » Les lettres patentes d’un port déterminé précisent les immeubles fédéraux et les eaux navigables relevant de la compétence de l’APC pour ce port. L’article 62 de la LMC est également pertinent en l’espèce, puisqu’il permet de constater que le pouvoir réglementaire s’étend à la fois aux terrains et aux eaux navigables (alinéas 62(1)a), b) et c)). De plus, l’article 2 du Règlement prévoit que celui-ci s’applique aux eaux navigables d’un port, aux ouvrages et aux activités dans un port, ainsi qu’aux biens gérés, détenus ou occupés par une administration portuaire.

[44]           Les administrations portuaires canadiennes doivent par ailleurs être financièrement autonomes (LMC, article 8). La plus grande partie des revenus des ports provient de l’usage commercial des terrains et des eaux portuaires, et notamment des baux, des licences et des droits. Les administrations portuaires peuvent fixer des droits équitables et raisonnables (paragraphe 49(1)) et accorder par écrit à une personne l’autorisation d’exercer dans le port une activité qui serait autrement interdite, notamment vendre ou mettre en vente des marchandises ou des services dans un port par contrat, bail ou licence (Règlement, articles 23 et 27 et annexe I, partie 13, article 18). L’octroi de licences constitue également un moyen de contrôler la sécurité du port.

[45]           Les administrations portuaires sont également autorisées à gérer le trafic maritime sur les eaux navigables relevant de leur compétence (Règlement, article 32) et à assurer la sécurité et le maintien de l’ordre dans les ports.

[46]           Suivant l’AAPC, les administrations portuaires sont habilitées à délivrer des licences aux exploitants de bateaux d’excursion lorsqu’ils utilisent des immeubles gérés par le port ou qu’ils exercent des activités dans les eaux navigables du port. Ainsi, l’APSJ a tort d’affirmer qu’il est loisible à ATI d’exercer ses activités dans le port de St. John’s si elle peut utiliser des mouillages privés. C’est l’activité elle-même qui est assujettie à la licence. Toutes les administrations portuaires subiraient un grave préjudice si la Cour devait décider qu’il existe un droit illimité à une exploitation sans licence, surtout dans les ports très achalandés où se trouve une foule d’utilisations et d’utilisateurs exerçant leurs activités sur des biens qui ne sont pas gérés par l’administration portuaire.

[47]           Quant à l’argument d’ATI suivant lequel l’article 27 du Règlement exige d’accorder l’autorisation demandée indépendamment de toute obligation d’obtenir une licence, on arriverait à des résultats absurdes si l’on devait le retenir. En tout état de cause, comme la Loi vise à la fois les terres et les eaux navigables, l’article 18 de la partie 3 du Règlement exige que les personnes qui offrent leurs services dans un port demandent une licence conformément à l’article 23. Cette disposition fournit une réponse complète à cette question dans le cas qui nous occupe.

Analyse

[48]           La question à laquelle il faut répondre en l’espèce est celle de savoir si l’APSJ était légalement autorisée à exiger qu’ATI, en tant qu’exploitant commercial de bateaux d’excursion, obtienne une licence, ce qui nous amène également à nous demander si ce pouvoir outrepassait la compétence de l’APSJ en portant atteinte au droit public de navigation de common law d’ATI.

[49]           Avant toutes choses, il vaut la peine de se demander en quoi consistent les activités d’ATI et ce qu’elle souhaite faire. En tant qu’exploitant de bateaux d’excursion saisonnier, ATI cherche à faire embarquer les passagers à des installations gérées par l’APSJ, le quai no 7 du port de St. John’s, pour leur offrir des excursions à bord de son navire, ce qui suppose que son navire passe par les eaux navigables du port pour ensuite revenir au quai et faire descendre les passagers au même endroit où il les a embarqués.

[50]           Statuant sur la requête en radiation de l’APSJ, le protonotaire Morneau a pris acte de l’argument d’ATI suivant lequel, en tant qu’utilisateur portuaire exerçant des activités touchant à la fonction essentielle du port, ATI a le droit d’exercer ses activités et n’a pas besoin d’autorisation, de licence ou de permission de la part de l’APSJ pour le faire. Tant devant le protonotaire que devant nous, ATI a fait valoir que l’APSJ n’avait ni la compétence ni le droit d’interdire des activités d’excursion en bateau, sauf dans la mesure prévue par la partie I du Règlement. ATI a également fait valoir que le paragraphe 27(2) du Règlement reconnaît à l’utilisateur le droit automatique de vendre ses services. Le protonotaire Morneau a déclaré ce qui suit en réponse à cet argument :

[9]        Dans le cadre d’une requête en radiation, la Cour ne saurait déterminer quelle licence doit détenir un exploitant de bateaux d’excursion. Je ne peux toutefois accepter l’idée qu’aucune licence n’est exigée. S’il n’y avait pas obligation d’obtenir une licence pour autoriser les activités de bateaux d’excursion, le port ne pourrait gérer correctement ses activités; ce résultat serait illogique. Il serait impossible de prévoir, de surveiller ou de limiter le nombre de bateaux d’excursion en activité à un moment donné. Il ressort de la correspondance du capitaine Charles Anonsen avec l’APSJ en octobre 2011 qu’il comprend lui aussi que ses activités doivent être autorisées. Je conclus donc qu’une licence est exigée et j’estime que l’article 27 du Règlement ne donne pas à ATI un droit automatique à cet égard. Il n’existe pas de droit automatique d’exploiter un bateau d’excursion dans le port.

[51]           De plus, pour définir la nature de la question visée par le contrôle judiciaire et trancher la question de compétence permettant de savoir si l’APSJ agissait comme office fédéral, le protonotaire Morneau a également examiné l’alinéa 28(2)a) de la LMC et a conclu ce qui suit :

[27]      Compte tenu de l’analyse qui précède, je conclus que les circonstances de l’espèce sont nettement différentes de celles exposées tant dans DRL Vacations que dans 54039 Newfoundland. J’estime que l’exploitation d’un service de bateaux d’excursion pour transporter des passagers, même s’il ne s’agit pas forcément d’un service de traversiers, mais uniquement d’un service de transport pour les touristes, est de toute évidence visée par l’alinéa 28(2)a) de la Loi. À la différence d’un restaurant ou d’une boutique de cadeaux, le service de bateaux d’excursion d’ATI est plus intimement lié à une responsabilité essentielle en matière de gestion des activités portuaires.

[…]

[29]      L’activité proposée, visée par la présente demande, concerne une activité que seule une administration portuaire peut autoriser. Il ne s’agit pas de quelque chose que pourrait faire n’importe quelle autre entreprise; il s’agit du mandat législatif exclusif de l’administration portuaire. Je conclus qu’est en cause en l’espèce un « service de bateaux d’excursion » – soit une activité portuaire qui n’est pas simplement accessoire aux principales responsabilités de gestion de l’APSJ – et que la question visée par le contrôle est de nature publique.

[52]           Le juge en chef a confirmé cette conclusion en réponse à l’appel interjeté par ATI de la demande rendue au sujet de la requête en radiation :

[traduction]

[44]      Je souscris à la conclusion du protonotaire Morneau suivant laquelle l’exploitation d’un service de bateaux d’excursion pour transporter des passagers est une activité se rapportant au « transport des passagers » [alinéa 28(2)a) LMC] et que, par conséquent, la délivrance de licences autorisant l’exploitation d’un service de bateaux d’excursion fait partie des fonctions « essentielles » de l’APSJ et qu’il ne s’agit pas d’une activité simplement accessoire à ces fonctions. Je suis également d’accord avec lui pour dire que l’octroi de licences permettant d’exploiter un service de bateaux d’excursion se fait dans le cadre de l’exercice d’un pouvoir administratif qui, par définition et de par sa nature, est public et non privé.

[53]           Il importe de se rappeler que les conclusions en question ont été formulées dans le cadre d’une analyse relative à la compétence concernant la nature publique plutôt que privée des actes que l’APSJ accomplit. Quoi qu’il en soit, ces conclusions sont utiles pour qualifier la nature des activités exercées par ATI et, par conséquent, la question de savoir si l’APSJ peut exiger que ces activités fassent l’objet d’une licence. De toute évidence, le protonotaire et le juge en chef ont considéré qu’ATI exploitait un service de bateaux d’excursion pour transporter des passagers, activité qui relève de l’alinéa (28)(2)e) de la LMC.

[54]           À mon avis, ce pouvoir ressort également du régime législatif régissant les administrations portuaires. Aux termes de la LMC, les administrations portuaires sont des mandataires de la Couronne fédérale, mais uniquement lorsqu’elles se livrent aux activités portuaires prévues à l’alinéa 28(2)a) de la LMC. Le ministre peut délivrer des lettres patentes constituant une administration portuaire si celle-ci satisfait aux exigences prévues, notamment l’autonomie financière (paragraphe 8(1) de la LMC). L’article 28 dispose :

28.(1) Une administration portuaire est constituée pour l’exploitation du port visé par ses lettres patentes et a, à cette fin et pour l’application de la présente loi, la capacité d’une personne physique.

(2) L’autorisation donnée à une administration portuaire d’exploiter un port est restreinte aux activités suivantes :

a) les activités portuaires liées à la navigation, au transport des passagers et des marchandises, et à la manutention et l’entreposage des marchandises, dans la mesure prévue par les lettres patentes.

b) les autres activités qui sont désignées dans les lettres patentes comme étant nécessaires aux opérations portuaires.

[55]           Je ne donne pas à l’alinéa 28(2)a) l’interprétation restrictive proposée par ATI. Cet alinéa permet de toute évidence à une administration portuaire de se livrer à des activités portuaires liées à la navigation et au transport de passagers. Bien qu’elle affirme qu’en mentionnant la navigation et le transport de passagers, le législateur fédéral visait le droit public de navigation de la common law dans le contexte de la gestion foncière, par des administrations portuaires, des infrastructures fédérales « liées » au droit public de navigation, ATI ne cite aucun précédent à l’appui de son interprétation. De plus, ainsi qu’ATI l’a reconnu lors de l’audition de la présente affaire, l’article 5 de la LMC englobe dans sa définition du mot « port » les eaux navigables relevant de la compétence d’une administration portuaire ainsi que les immeubles qu’elle gère. Dans le cas qui nous occupe, les limites des eaux navigables de l’administration portuaire sont précisées dans ses lettres patentes (annexe A) et, selon ce qui a été déclaré à l’audience, elles correspondent essentiellement à l’ensemble du port délimité par une ligne imaginaire traversant le passage donnant accès au port de St. John’s.

[56]           Il convient également de signaler que l’article 56 de la LMC dispose qu’afin de promouvoir la sécurité et l’efficacité de la navigation ou la protection dans l’environnement dans les eaux du port, l’autorité portuaire peut surveiller la circulation des navires qui se trouvent dans les eaux du port dont il est question aux articles 56 à 60. De plus, une administration portuaire peut prendre les mesures nécessaires en vue du maintien de l’ordre et de la sécurité des personnes et des biens dans le port (paragraphe 61(1)).

[57]           Le pouvoir de réglementation prévu par la LMC traduit la volonté du législateur d’autoriser les administrations portuaires à réglementer les divers aspects de la navigation dans le port et, de façon générale, de veiller au maintien de l’ordre et d’assurer la sécurité en leur permettant de contrôler les opérations portuaires :

62. (1) Pour l’application de la présente partie, le gouverneur en conseil peut prendre des règlements concernant :

a) la navigation et l’usage des eaux navigables de la voie maritime par des navires, y compris le mouillage, l’amarrage, le chargement et le déchargement de ceux-ci, ainsi que l’équipement de chargement et de déchargement;

b) l’usage du port, la protection de son environnement, y compris la réglementation ou l’interdiction de l’équipement, de bâtiments, d’ouvrages ou d’activités;

c) l’enlèvement ou la disposition, notamment par destruction, de navires ou de toutes parties s’en étant détachées, de bâtiments, d’ouvrages ou d’autres choses qui gênent la navigation dans la voie maritime, et le recouvrement des coûts afférents;

d) le maintien de l’ordre et la sécurité des personnes et des biens dans le port;

d.1) les renseignements et documents que doit fournir le propriétaire ou la personne responsable du navire à l’administration portuaire;

e) la réglementation des personnes, véhicules et aéronefs dans le port; [...]

[58]           À mon avis, les dispositions précitées démontrent clairement que le législateur voulait que les administrations portuaires exercent une gestion et un contrôle efficaces des opérations portuaires pour l’application de la LMC. Le paragraphe 28(2) impose évidemment des limites au pouvoir que possèdent les administrations portuaires de se livrer à des activités portuaires liées à la navigation et au transport des passagers dans la mesure où ces activités sont précisées dans leurs lettres patentes. Dans le cas de l’APSJ, la disposition pertinente des Lettres patentes est l’article 7 :

7.1 Activités de l’Administration liées à certaines opérations portuaires. Pour exploiter le port, l’Administration peut se livrer aux activités portuaires mentionnées à l’alinéa 28(2)a) de la Loi dans la mesure précisée ci-dessous :

 

a) élaborer, appliquer et modifier des règles, ordonnances, règlements administratifs, pratiques et procédures, et en contrôler l’application; délivrer et administrer des autorisations concernant l’utilisation, l’occupation ou l’exploitation du port; prendre des règlements conformément au paragraphe 63(2) de la Loi et en contrôler l’application;

 

[…]

 

c) sous réserve des restrictions prévues aux paragraphes 8.1 et 8.3, gérer ou louer des immeubles fédéraux décrits à l’annexe « B » ou décrits dans des lettres patentes supplémentaires comme étant des immeubles fédéraux, ou octroyer des permis à leur égard, à condition que la gestion, la location ou l’octroi de permis vise les activités suivantes :

 

[…]

 

(iii) les utilisations suivantes, dans la mesure où elles ne sont pas décrites aux paragraphes 7.1, 7.2 ou 7.3 :

 

(A) utilisations liées à la navigation, au transport des passagers et des marchandises […] notamment les activités suivantes [à l’intention des utilisateurs] du port, relativement à leur utilisation du port et de ses installations : […] services de traversier, […] commerces au détail, services de tourisme et activités de tourisme semblables situées dans les installations terminales pour passagers;

 

                                                […]

 

(C) services alimentaires et de commerce au détail à l’appui de l’industrie touristique locale […]

 

pourvu qu’elles soient menées par des filiales ou des tierces parties conformément aux arrangements de location ou d’octroi de permis;

[Non souligné dans l’original]

[59]           Les Lettres patentes définissent également les eaux navigables relevant de la compétence de l’APSJ (article 3.1, annexe A) ainsi que les immeubles fédéraux gérés par l’APSJ (article 3.1, annexe B).

[60]           Le Règlement s’applique aux eaux navigables d’un port, aux ouvrages et aux activités dans un port ainsi qu’aux biens gérés, détenus ou occupés par l’administration portuaire (article 2). Les activités interdites sont énumérées à l’article 5 et les modalités d’accès au port sont précisées à l’article 7. La partie 3, intitulée « Autorisations et instructions visant les activités dans les ports » comprend les articles 23, 24 et 27, qui nous intéressent en l’espèce :

23. Toute personne peut exercer dans un port une activité mentionnée à la colonne 1 de la liste des activités lorsqu’elle y est autorisée, par écrit, expressément ou par déduction nécessaire aux termes d’un contrat ou bail conclu avec l’administration portuaire, ou d’une licence délivrée par celle-ci.

24 L’administration portuaire qui, par la conclusion d’un contrat ou d’un bail, ou par la délivrance d’une licence, autorise une activité mentionnée à la colonne 1 de la liste des activités qui entraîne, ou est susceptible d’entraîner, une des conséquences interdites à l’article 5 doit indiquer, comme condition du contrat, du bail ou de la licence, que le contractant ou le titulaire de la licence est tenu de prendre des mesures visant à l’atténuer ou à la prévenir, si cela est réalisable sur les plans technique et économique.

[…]

27. (1) L’administration portuaire peut accorder par écrit à une personne, en vertu du présent article, l’autorisation d’exercer dans le port une activité mentionnée à la colonne 1 de la liste des activités, dans les cas suivants :

a) la mention « X » figure à la colonne 3;

b) la mention « X » figure à la colonne 2 et la personne ou l’une quelconque des personnes qui seraient visées dans l’autorisation n’est pas en mesure de respecter les conditions affichées ou indiquées sur des formulaires pour l’exercice de l’activité en vertu de l’article 25.

(2)  À la réception d’une demande d’autorisation, du paiement du droit applicable, le cas échéant, et des renseignements exigés en vertu du paragraphe 28(2), l’administration portuaire doit, selon le cas :

a) accorder son autorisation;

b) si les conséquences de l’exercice de l’activité ne sont pas claires ou si l’exercice de l’activité est susceptible d’entraîner l’une quelconque des conséquences interdites à l’article 5 :

(i) refuser d’accorder son autorisation,

(ii) accorder son autorisation assortie de conditions visant à atténuer ou à prévenir ces conséquences;

c) refuser son autorisation si elle avait exigé que la personne obtienne une couverture d’assurance, une garantie de bonne fin ou une garantie relative aux dommages à l’égard de l’exercice de l’activité et qu’aucune n’a été obtenue ou que celle qui a été obtenue n’est pas suffisante.

[61]           La liste d’activités énumérées à la partie 13 de l’annexe 1 concerne le port de St. John’s :

Article

Colonne 1

Colonne 2

Colonne 3

Colonne 4

Activité

Autorisation affichée ou prévue par formulaire (article 25)

Autorisation à une personne (article 27)

Interdiction

(article 6)

[…]

 

 

 

 

17.

Installer des placards, affiches, panneaux ou dispositifs.

 

X

 

18.

Vendre ou mettre en vente des marchandises ou des services.

 

X

 

19.

Distribuer des circulaires, des feuillets ou du matériel publicitaire.

 

X

 

20.

Exercer toute forme de sollicitation.

 

X

 

21.

Se baigner.

 

 

X

[62]           Il ressort clairement du cadre législatif susmentionné que le port de St. John’s comprend, pour l’application de la LMC, à la fois les eaux navigables définies du port et les biens gérés par l’APSJ. En vertu de l’alinéa 28(2)a), l’APSJ a le pouvoir d’exploiter le port en se livrant à des activités liées à la navigation et au transport des passagers dans la mesure où ces activités sont prévues dans ses lettres patentes. ATI offre un service saisonnier d’excursions en bateau dans le cadre duquel elle transporte des passagers à titre onéreux, et elle souhaite exercer ses activités à partir du quai 7, bien géré par l’APSJ, ce qui relève de toute évidence de la navigation et du transport de passagers. Par conséquent, l’APSJ a le pouvoir de se livrer à des activités se rapportant aux opérations d’ATI en vertu de l’alinéa 28(2)a) dès lors que les activités en question sont précisées dans ses lettres patentes.

[63]           Les Lettres patentes précisent que les activités portuaires en question comprennent la gestion, la location ou l’octroi de permis relativement aux immeubles fédéraux qui y sont décrits, ce qui comprendrait le quai no 7, pourvu que la gestion, la location d’immeubles fédéraux ou l’octroi de permis vise des utilisations liées à la navigation, au transport des passagers ou au service de commerce au détail à l’appui de l’industrie touristique locale (division 7.1c)(iii)A) et C)). À mon avis, il est évident que l’activité à laquelle se livre l’APSJ en octroyant des licences permettant à ATI d’exploiter son entreprise de bateaux d’excursion à partir d’immeubles de l’APSJ se rapporte à une utilisation que fait ATI en rapport avec le transport de passagers et avec des services de commerce au détail à l’appui de l’industrie locale. Par conséquent, l’octroi de licence pour ces activités relève de la compétence de l’APSJ.

[64]           La question de la délivrance de licences en vertu de lettres patentes délivrées à des administrations portuaires a déjà été examinée par les tribunaux. Dans l’arrêt Air Canada, précité, la Cour d’appel fédérale, qui était appelée à déterminer si l’Administration portuaire de Toronto était un office fédéral, s’est penchée sur l’article 2.1 des Lettres patentes de l’Administration portuaire de Toronto, lequel est très semblable à l’article 7.1 des Lettres patentes de l’APSJ. La Cour a accepté que l’article 2.1 des Lettres patentes visait notamment les « licences » à l’égard d’immeubles fédéraux ainsi que la délivrance d’« autorisations » quant à l’utilisation du port. Elle a cependant estimé que les licences et les autorisations ne se rapportaient pas aux créneaux de décollage et d’atterrissage à l’aéroport de la ville, et ce, parce que l’octroi de créneaux de décollage et d’atterrissage, même si on considérait qu’ils étaient assimilés à l’octroi de licences à l’égard d’immeubles fédéraux, faisait partie intégrante de l’exploitation de l’Aéroport de la ville, question traitée expressément et de façon distincte à l’alinéa 7.2j). À mon avis, si le décollage et l’atterrissage sur une propriété gérée par le port constituent une activité qui pourrait, si elle n’était pas traitée de façon distincte dans un autre article, donner lieu à l’octroi d’une licence en vertu de l’article équivalent, l’embarquement et le débarquement de passagers au quai no 7 peuvent relever aussi de l’article 7.1.

[65]           De plus, notre Cour a interprété l’article 28 de la LMC et l’article 7.1 des Lettres patentes de l’Administration portuaire de Vancouver, disposition identique à l’article 7.1 des Lettres patentes de l’APSJ, en concluant que ces dispositions conféraient à l’Administration portuaire de Vancouver le pouvoir de délivrer des licences à ceux qui ont accès au port dans le contexte de sociétés de transport par camion fournissant des services de livraison de marchandises dans le port (PRTI Transport Inc c Administration portuaire de Vancouver, [1999] ACF no 1701, 178 FTR 310, au paragraphe 30; Pro-West Transport Ltd c Canada (Procureur général), 2006 CF 881, au paragraphe 43 (1re inst) (QL) [Pro-West Transport]). Dans Pro-West Transport, le juge Teitelbaum a écrit ce qui suit :

[42]      […] L’APV délivre des permis donnant accès à ses immeubles en fixant des conditions à cet égard. 

[…]

[43]      En conclusion, ainsi que l’a également statué mon collègue le juge Rouleau dans la décision PRTI Transport, précitée, l’APV, comme de nombreuses autres administrations publiques, peut exercer son pouvoir d’accorder des licences assorties de conditions relativement à l’utilisation de ses biens et à l’accès à ceux‑ci. En agissant ainsi, elle n’outrepasse pas sa compétence.

[…]

[66]           Outre les pouvoirs prévus aux divisions 7.1(iii)A) et C) des Lettres patentes, l’article 23 du Règlement permet également à une personne de se livrer à une des activités mentionnées à la colonne 1 de la liste des activités lorsqu’elle y est autorisée, par écrit, expressément ou par déduction nécessaire aux termes d’un contrat ou bail conclu avec l’administration portuaire, ou d’une licence délivrée par celle‑ci. Dans le cas de l’APSJ, l’article 18, dans la colonne 1 de la partie 13 de l’annexe 1 du Règlement, décrit l’activité consistant à vendre ou à mettre en vente des marchandises ou des services. ATI peut par conséquent se livrer à l’activité consistant à offrir ses services à titre d’exploitant de bateaux d’excursion à partir de biens gérés par l’APSJ, étant donné qu’il s’agit d’une activité visée à l’article 18 de la colonne 1, pourvu qu’elle y soit autorisée par écrit par un contrat, un bail ou une licence délivrée par l’APSJ. Bien que l’article 7.1 porte sur le pouvoir de l’APSJ d’entreprendre les activités portuaires en liaison avec les utilisations précisées, l’article 23 du Règlement parle de la conduite des activités énumérées, y compris le fait d’offrir des services de vente. À mon avis, ces deux dispositions permettent, dans ces conditions, d’octroyer une licence pour les activités d’ATI.

[67]           ATI soutient que, comme l’alinéa 27(2)a) du Règlement est libellé de façon impérative, ainsi que le démontre l’emploi du verbe « doit », l’APSJ doit accorder son autorisation dès réception d’une demande d’autorisation. De plus, ATI affirme également que l’obligation de délivrer une licence énoncée à l’article 23 est subordonnée à l’alinéa 27(2)a) et elle ajoute que ces deux dispositions ne s’excluent pas mutuellement. Dès lors que l’autorisation est accordée de plein droit, la demande de licence ne constitue qu’une étape de plus pour concrétiser l’autorisation qui a déjà été accordée.

[68]           En revanche, l’APSJ fait valoir que le paragraphe 27(1) prévoit seulement que l’APSJ « peut » accorder par écrit une autorisation et que l’alinéa 27(2)a) est assujetti à cette disposition.

[69]           Suivant l’AAPC, l’interprétation qu’ATI fait de l’alinéa 27(2)a) du Règlement conduirait à un résultat absurde, en ce sens qu’il suffirait de demander une autorisation pour l’obtenir, et ce, indépendamment des répercussions que cette autorisation pourrait avoir sur les activités portuaires. Je suis d’accord avec l’argument de l’AAPC. Je suis également d’avis que le législateur ne pouvait envisager pareil résultat, étant donné que celui-ci réduirait à toutes fins utiles à néant le contrôle exercé par l’administration portuaire sur les activités portuaires advenant le cas où elle accorderait une autorisation pour toute activité si l’autorisation de se livrer à une activité devait être accordée de plein droit. Il convient à cet égard de faire observer que les activités énumérées à la partie 13 comprennent des travaux à chaud, la manutention de marchandises dangereuses, le transport de pétrole et de gaz naturel liquéfié, du dynamitage et d’autres activités qui, si elles devaient être autorisées de plein droit, présenteraient un danger et un risque inacceptables.

[70]           L’obligation imposée par le mot « doit » au paragraphe 27(2) n’exige pas que l’administration portuaire accorde son autorisation dès qu’elle reçoit n’importe quelle demande. En effet, l’article 27 doit être considéré dans son ensemble. Le paragraphe 27(1) dispose que l’administration portuaire peut accorder par écrit à une personne l’autorisation de se livrer à une activité définie. Le paragraphe 27(2) précise les options dont dispose l’administration portuaire à cet égard : elle peut soit donner son autorisation, soit refuser de l’accorder ou l’assortir de conditions, ou refuser son autorisation si elle n’obtient pas une couverture d’assurance ou une garantie, ou si la couverture d’assurance ou la garantie obtenue n’est pas suffisante. Le paragraphe 27(2) n’oblige pas l’administration portuaire à accorder une autorisation et il n’a pas pour effet de rendre le paragraphe 27(1) inopérant.

[71]           Je ne suis par ailleurs pas d’accord pour dire que l’alinéa 27(2)a) a pour effet de supprimer les exigences prévues à l’article 23 en ce qui concerne la nécessité de demander une licence. La partie 3 du Règlement porte sur les autorisations accordées sous forme de contrat, de bail ou de licence en vertu de l’article 23 ou toute autre autorisation écrite visée à l’article 27. Ces dispositions sont distinctes. Il est impossible que le législateur ait voulu que l’autorisation accordée automatiquement en vertu de l’article 27 permette de contourner ou de restreindre une obligation d’obtenir une licence aux termes de l’article 23. Ce résultat serait lui aussi absurde.

[72]           Comme je l’ai déjà mentionné, ATI a également affirmé devant le protonotaire Morneau que l’APSJ n’avait ni la compétence ni le droit d’interdire les activités d’excursion en bateau sauf dans la mesure prévue par la partie 1 du Règlement, ajoutant que le paragraphe 27(2) accorde à l’utilisateur le droit automatique de vendre ses services. Cet argument a été rejeté, étant donné que la bonne gestion d’un port exige que les activités des exploitants de bateaux d’excursion soient assujetties à une licence. Je souscris à ce point de vue.

[73]           Quant à l’argument d’ATI voulant que l’objectif principal de la LMC est de veiller à ce que les services de transport maritime soient organisés de façon à satisfaire les besoins des utilisateurs et que ces services leur soient offerts à un coût raisonnable (alinéa 4c) de la LMC), et que, par conséquent l’APSJ doit répondre à ces besoins et permettre la tenue des activités mentionnées sans pouvoir pour autant exercer de contrôle sur la façon dont les utilisateurs utilisent effectivement le port, il ne saurait lui non plus être retenu. Si ATI avait raison sur ce point, des utilisations concurrentes telles que les porte-conteneurs et les terminaux à conteneurs, les bateaux d’excursion, les hydravions, le transit et les activités des pétroliers, les traversiers à passagers, les cargos et les voiliers, dont les activités concernent toutes la navigation et le transport de personnes ou de marchandises et qui sont tous des utilisateurs du port seraient libres d’utiliser les biens gérés par le port et de naviguer dans les eaux portuaires à leur guise. L’interprétation qu’ATI fait de l’alinéa 4c) de la LMC méconnait l’objectif général de la Loi, qui est de favoriser la fourniture efficace, sécuritaire et viable sur le plan commercial des services portuaires en fonction des normes internationales. Ce qu’ATI propose se situe aux antipodes de cet objectif.

[74]           La proposition sous‑jacente des observations écrites d’ATI est que toute décision ou mesure prise par l’APSJ qui porte atteinte directement ou indirectement aux droits publics de navigation de common law d’ATI ou qui les restreint est ultra vires.

[75]           Il est évidemment exact d’affirmer que le Parlement fédéral a compétence exclusive sur la navigation et les bâtiments et navires (shipping) en vertu du paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle. Toutefois, pour exercer cette compétence, le Parlement doit légiférer. Suivant ATI, c’est ce que le législateur fédéral a fait en adoptant la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, qui réglemente de façon exclusive le transport maritime et la navigation et qui régit l’exercice du droit public de navigation de common law. Par conséquent, tout aspect de la LMC qui touche à ces domaines est ultra vires. Selon ATI, [traduction] « [l]a Loi maritime du Canada n’a pas délégué aux administrations portuaires la compétence que la Constitution reconnaît au Parlement sur la navigation et les bâtiments et navires sur les eaux navigables canadiennes ».

[76]           À mon avis, le législateur n’est pas limité à édicter une seule loi portant sur des questions relatives au transport maritime et à la navigation. Il peut aborder ce sujet comme il l’entend. Il est par ailleurs parfaitement libre de choisir de traiter de divers aspects de ce sujet dans diverses lois, dès lors que cela ne crée pas de conflit quant à l’application de ces lois. La décision de procéder de cette manière n’entraîne pas l’inconstitutionnalité de la nouvelle loi fédérale. La Loi de 2011 sur la marine marchande du Canada est le principal texte législatif dans lequel le législateur fédéral aborde les questions relatives au transport maritime et à la navigation, ce qui ne l’empêche pas de traiter d’autres aspects de ces sujets dans d’autres lois telles que la LMC, la Loi sur la responsabilité maritime, LC 2001, c 6; la Loi sur l’assurance maritime, LC 1993, c 22, la Loi sur la protection des eaux navigables, LRC 1985, c N‑22, et ainsi de suite.

[77]           De plus, le droit public de navigation de common law n’est pas un droit absolu. La Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada prévoit des exigences en ce qui concerne l’établissement de rapports portant sur le trafic maritime, ainsi que des mesures d’organisation du trafic maritime et des plans de gestion du trafic que doivent respecter tous les navires transitant par les eaux canadiennes. Elle impose des zones de mouillage et toute entrave à la navigation est interdite. Les ports sont des secteurs qui connaissent un grand achalandage et qui sont utilisés par de nombreux utilisateurs et, par le biais de la LMC, le législateur permet une certaine réglementation du trafic des navires et de l’utilisation des biens gérés par le port et les eaux navigables du port, notamment par l’octroi de licences.

[78]           Le fait qu’ATI cite l’arrêt Friends of the Oldman River, précité, à l’appui de sa thèse ne lui est d’aucun secours. Dans cette affaire, la Cour suprême a reconnu que le droit de navigation est un droit public de passage et que ce droit n’est pas absolu et doit être exercé d’une façon raisonnable de manière à ne pas empiéter sur les droits équivalents d’autrui. Il est toutefois reconnu que ce droit peut être modifié ou éteint au moyen d’une loi, ce qui est le cas en l’espèce.

[79]           De même, l’arrêt Lafarge, précité, qui portait sur le partage des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et sur la doctrine de l’exclusivité des compétences entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux n’est d’aucune utilité pour ATI. Dans cet arrêt, la Cour suprême a déclaré que bien qu’aucun « chef de compétence législative distinct ne porte sur les  ports”[,] [l]e gouvernement fédéral jouit d’une compétence exclusive à l’égard de ses biens publics et des activités maritimes ». La compétence fédérale prévue au  paragraphe 91(10) s’étend aussi à l’infrastructure des activités liées à la navigation et aux bâtiments et navires. Ainsi que la Cour l’a déclaré dans l’arrêt Lafarge, précité, au paragraphe 62, la compétence fédérale « permet au gouvernement fédéral de construire ou de réglementer les installations nécessaires, comme les ports, et de contrôler l’usage des voies maritimes et des eaux navigables ».Au moyen de la LMC et des administrations portuaires, le gouvernement fédéral réglemente l’utilisation des biens gérés par les ports et les eaux navigables des ports en question. Il a le droit d’agir ainsi. De plus, en exerçant ses pouvoirs en vertu de la LMC comme il l’a fait en l’espèce, l’APSJ agit dans les limites de sa compétence.

[80]           ATI affirme également que l’APSJ a modifié la thèse qu’elle défendait dans l’affaire Adventure Tours 1, précitée, et qu’elle admet maintenant qu’elle n’a pas le pouvoir d’interdire à ATI, en tant qu’utilisateur du port, de se livrer à des activités portuaires essentielles à partir d’autres installations de mouillage ou d’accostage situées à l’intérieur du port. Toutefois, ainsi que l’APSJ l’a souligné, dans l’affaire Adventure Tours 1, elle affirmait qu’il était libre à ATI de négocier avec des exploitants de quais privés du port de St. John’s et d’exercer ses activités à partir des quais en question. À mon avis, l’APSJ n’a pas changé sa position et ce détail n’est pas pertinent en l’espèce.

[81]           L’APSJ et l’AAPC adoptent des points de vue divergents concernant la mesure dans laquelle l’octroi de licences peut s’appliquer aux activités d’excursion en bateau. L’APSJ estime que l’octroi de licences ne vaut que pour les activités exercées à partir de biens gérés par le port, tandis que l’AAPC est d’avis que tous les aspects de l’exploitation de bateaux d’excursion sont assujettis à une licence, étant donné que les exploitants exercent leurs activités dans les eaux navigables à l’intérieur du port. Il n’est pas nécessaire de répondre à cette question dans la présente demande de contrôle judiciaire. Toutefois, si je devais examiner cette question sans la trancher, je serais enclin à adopter la position de l’AAPC en raison des explications qui ont déjà été données au sujet du régime législatif applicable et des diverses facettes que comportent les opérations portuaires.

[82]           En conclusion, pour les motifs qui ont été énoncés, je suis d’avis que l’APSJ n’a pas le pouvoir d’obliger les personnes qui offrent des services d’excursion en bateau fournis à partir de biens gérés par le port de demander une licence pour pouvoir se livrer à leurs activités.

[83]           ATI n’a pas directement soulevé la question de savoir si la décision était raisonnable. Comme cette question n’était pas soumise à la Cour, il n’est pas nécessaire de l’examiner.

[84]           Un dernier point. Comme je l’ai déjà fait observer, la demande de contrôle judiciaire d’ATI portait principalement sur la compétence et les pouvoirs de l’APSJ. Toutefois, dans les deux derniers paragraphes de son avis de demande, ATI affirme que la décision la visait expressément et exclusivement et que la décision visait à lui nuire, ce qui va à l’encontre des exigences des principes de justice naturelle et de l’équité procédurale. De plus, les motifs exposés au soutien de la décision étaient arbitraires et sans aucun rapport avec un objectif légitime, ce qui constitue une erreur de droit ou un manquement aux principes de justice naturelle ou d’équité procédurale.

[85]           Dans l’affidavit déposé à l’appui de la demande de contrôle judiciaire, M. Charles Anonson explique, au paragraphe 19, qu’il considère que la décision était malveillante et qu’elle cherchait à viser expressément ATI et à lui nuire. Toutefois, M. Anonson ne précise pas sur quoi il se fonde pour faire cette affirmation. Au paragraphe 20, il affirme que la décision est arbitraire et constitue une réponse nettement démesurée à tout objectif légitime. Il n’a cité aucun élément de preuve, notamment documentaire, pour appuyer cette affirmation. Dans ces observations écrites, ATI ne traite pas de ces allégations.

[86]           Dans ces conditions, les affirmations que fait M. Anonson dans son affidavit ne permettent pas à elles seules d’étayer les allégations de manquement à l’équité procédurale formulées par ATI. Aucune explication ou justification n’a été proposée au sujet de ces déclarations et aucun élément de preuve n’a été présenté pour expliquer en quoi la décision ou le processus décisionnel étaient malveillants ou visaient expressément ATI. M. Anonson n’a pas non plus expliqué en quoi la décision ou le processus décisionnaire étaient arbitraires ou abusifs.

[87]           Par conséquent, les allégations de manquement à l’équité procédurale n’ont pas été établies et il n’est pas nécessaire que la Cour s’y arrête.

 


JUGEMENT

LA COUR :

1.                   REJETTE la demande de contrôle judiciaire;

2.                   ADJUGE les dépens à l’APSJ.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-696-13

 

INTITULÉ :

ADVENTURE TOURS INC c ADMINISTRATION PORTUAIRE DE ST. JOHN’S et ASSOCIATION DES ADMINISTRATIONS PORTUAIRES CANADIENNES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

St. John’s (TERRE-NEUVE-ET-Labrador)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 AVRIL 2014

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS :

LE 5 MAI 2014

COMPARUTIONS :

Douglas W. Lutz

POUR LA DEMANDERESSE

Jamie M. Smith, c.r.

POUR LA DÉFENDEResse

Sally Gomery et

Stephen Nattrass

 

POUR L’INTERVENANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Muttarts Law Firm

Kentville (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Smith Law Offices

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

 

POUR La DÉFENDEResse

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTERVENANTE

 

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