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Date : 20140316


Dossier :

T‑1185‑13

 

Référence : 2014 CF 363

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 avril 2014

En présence de monsieur le juge O’Keefe

ENTRE :

BRIAN OBEYESEKERE

 

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et
LE PRÉSIDENT INDÉPENDANT DE L’ÉTABLISSEMENT DE COLLINS BAY

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Un détenu d’un pénitencier fédéral a été déclaré coupable, en vertu de l’alinéa 40a) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la Loi], d’avoir désobéi à l’ordre légitime d’une agente. Il sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette condamnation en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

[2]               Brian Obeyesekere (le demandeur) souhaite que sa condamnation soit infirmée, et chercher à obtenir une ordonnance enjoignant qu’il soit acquitté et son dossier corrigé. Subsidiairement, il demande que l’affaire soit renvoyée à un autre président indépendant et que les dépens lui soient octroyés sur la base avocat‑client.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur est détenu à l’Établissement de Collins Bay. Le 13 avril 2013, un isolement cellulaire d’urgence y a été ordonné et quelques jours plus tard, le demandeur a reçu notification de l’accusation suivante relativement à ces événements :

[traduction] LE DÉTENU OBEYESEKERE FPS 877090D a désobéi à l’ordre direct de se soumettre à un isolement cellulaire d’urgence. Le message « isolement cellulaire d’urgence » a été annoncé deux fois à l’aide du système de sonorisation de l’unité. OBEYESEKERE est resté au téléphone. Je lui ai ordonné de se rendre en isolement; en guise de réponse, il m’a fait un signe de la main et a dit « ouais, ouais » ou quelque chose de ce genre. LE DÉTENU OBEYESEKERE s’est rendu en isolement lorsque la ligne téléphonique a été coupée à partir du poste de sécurité. Il a récemment été accusé de [illisible] pour avoir retardé un compt[illisible] officiel dans l’établisse[illisible].

II.                Décision

[4]               L’infraction a été qualifiée de grave et l’affaire a été entendue le 19 juin 2013 par un président indépendant. Ce dernier a déclaré le demandeur coupable au terme de l’audience.

[5]               Ses motifs étaient concis. Le président a d’abord rejeté l’idée voulant que le demandeur doive satisfaire à des normes plus strictes parce qu’il est le président du comité des détenus. Il a ensuite résumé la preuve qu’il avait examinée et entendue, notamment les témoignages de l’agente ayant porté l’accusation, du demandeur et de quelques autres détenus, ainsi qu’un enregistrement vidéo des événements en question.

[6]               Le président a conclu que le demandeur avait raccroché le téléphone peu après avoir été approché par l’agente. Il n’a rien trouvé à redire à son comportement jusqu’à ce moment précis, et l’aurait acquitté s’il avait regagné sa cellule immédiatement.

[7]               Cependant, le demandeur ne l’a pas fait : il est plutôt allé chercher sa lessive, puis s’est attardé à l’endroit où il se trouvait alors pendant environ une minute avant de regagner lentement sa cellule. Le président a conclu, hors de tout doute raisonnable, que le demandeur avait désobéi à l’ordre direct de l’agente de se rendre en isolement, et il l’a déclaré coupable.

[8]               À la suite de cette condamnation, il a invité les parties à présenter des arguments sur la peine appropriée, et il a donné un avertissement au demandeur.

III.             Questions en litige

[9]               La présente demande soulève les questions suivantes :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  Le président a‑t‑il commis une erreur en déclarant le demandeur coupable en raison d’actes ayant suivi la conversation téléphonique?

3.                  La condamnation était‑elle autrement déraisonnable?

IV.             Les observations du demandeur

[10]           Le demandeur fait valoir que toutes les questions en jeu sont assujetties à la norme de la décision correcte. À son avis, le président ne pouvait pas examiner des faits non mentionnés dans l’accusation, et il s’agit donc pour lui d’une véritable question de compétence. Par ailleurs, comme l’interprétation de la loi est en cause, le demandeur estime que le président n’a pas plus d’expertise que les tribunaux et que les questions de droit qu’il a tranchées n’appellent aucune déférence. Il a ajouté durant l’audience que l’équité procédurale est en jeu, et qu’à cet égard aussi la norme applicable est celle de la décision correcte.

 

[11]           Le demandeur invoque le paragraphe 25(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous conditions, DORS/92‑620 [le Règlement], selon lequel l’avis d’accusation doit contenir « un énoncé de la conduite qui fait l’objet de l’accusation ». En l’espèce, l’avis indique seulement qu’il n’avait pas raccroché lorsqu’on le lui a ordonné, et ne fait aucune mention de la conduite pour laquelle il a été condamné. Il soutient donc que la décision doit être infirmée.

 

[12]           L’agente a déclaré que le demandeur a obéi après avoir raccroché, et le demandeur fait valoir que le président n’aurait pas dû ignorer ce fait. Par ailleurs, il a fourni une explication légitime à savoir qu’il récupérait ses affaires et qu’il savait, par expérience, qu’il avait assez de temps pour regagner sa cellule avant qu’elle ne soit verrouillée. D’après le demandeur, ces explications auraient dû soulever un doute raisonnable dans l’esprit du président.

 

[13]           Il affirme également que le président n’a pas tenu compte des allégations de partialité concernant l’agente ayant porté l’accusation, lesquelles sont pertinentes pour apprécier la crédibilité des accusations portées contre lui. Cela aussi, aurait dû soulever dans l’esprit du président un doute raisonnable quant à sa culpabilité.

[14]           Enfin, le demandeur souligne que ses moyens financiers sont limités et qu’il a été forcé de consacrer ses maigres ressources à engager un avocat. Comme la décision du président était manifestement incorrecte, il estime que les dépens devraient lui être adjugés sur la base avocat‑client.

V.                Observation des défendeurs

[15]           Les défendeurs soutiennent que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable et font valoir, en citant la décision Gendron c Canada (Procureur général), 2012 CF 189, au paragraphe 15, 405 FTR 125 [Gendron], que « [l]a discrétion judiciaire en matière disciplinaire doit être exercée modérément et [qu’]un redressement ne doit être accordé [traduction] qu’en cas de sérieuse injustice ». Selon eux, la présente affaire ne soulève aucune question d’équité procédurale ou de compétence, mais seulement des questions de fait ou de fait et de droit.

 

[16]           Les défendeurs avancent donc que l’infraction a été prouvée. Le demandeur n’a jamais mis en doute la légitimité de l’ordre qui lui a été communiqué trois fois (deux fois à l’aide du système de sonorisation, et une fois par l’agente). Par ailleurs, il a été démontré que les détenus doivent regagner leurs cellules immédiatement lorsqu’un isolement cellulaire d’urgence est annoncé, et la vidéo montre que le demandeur ne l’a pas fait. Les défendeurs affirment qu’il était raisonnable de la part du président d’en déduire que le demandeur n’avait pas l’intention de regagner sa cellule sur‑le‑champ et qu’il avait donc l’intention de désobéir à l’ordre.

 

[17]           Les défendeurs soutiennent aussi que le président a entendu et examiné la preuve relative à la partialité de l’agente, mais qu’il a néanmoins estimé que la preuve testimoniale et l’enregistrement vidéo étaient crédibles. Cette conclusion commande la déférence.

 

[18]           Les défendeurs soumettent également un argument subsidiaire advenant que la norme de la décision correcte soit jugée applicable : si tel est le cas, le demandeur a bénéficié de tous les droits procéduraux, il a été reconnu coupable pour l’infraction reprochée et l’avis d’accusation divulguait les éléments de preuve qui pesaient contre lui. Il a toujours su à quelles conséquences il s’exposait et il a lui‑même témoigné au sujet des événements qui ont suivi la conversation téléphonique, de sorte que la preuve n’avait rien d’inattendu.

VI.             Analyse et décision

Question 1 – Quelle est la norme de contrôle applicable?

[19]           Je ne souscris pas entièrement à l’une ou l’autre des thèses avancées par les parties en ce qui concerne la norme de contrôle. Premièrement, le demandeur ne peut se fonder sur l’existence de la catégorie des véritables questions de compétence. Dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 34, [2011] 3 RCS 654, le juge Marshall Rothstein a presque complètement aboli cette catégorie lorsqu’il a déclaré ce qui suit :

La consigne voulant que la catégorie des véritables questions de compétence appelle une interprétation restrictive revêt une importance particulière lorsque le tribunal administratif interprète sa loi constitutive. En un sens, tout acte du tribunal qui requiert l’interprétation de sa loi constitutive soulève la question du pouvoir ou de la compétence du tribunal d’accomplir cet acte. Or, depuis Dunsmuir, la Cour s’est écartée de cette définition de la compétence. En effet, au vu de la jurisprudence récente, le temps est peut‑être venu de se demander si, aux fins du contrôle judiciaire, la catégorie des véritables questions de compétence existe et si elle est nécessaire pour arrêter la norme de contrôle applicable. Cependant, faute de plaidoirie sur ce point en l’espèce, je me contente d’affirmer que, sauf situation exceptionnelle — et aucune ne s’est présentée depuis Dunsmuir —, il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de « sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire.

[20]           Cette catégorie est peut‑être encore applicable dans certains cas, mais il ne s’agit pas en l’espèce de l’un de ces cas. Ainsi, le demandeur fait valoir que le président [traduction] « s’est seulement vu conférer par la loi le pouvoir d’entendre des affaires portées devant lui à la suite d’accusations décrites au paragraphe 25(1) du RSCMLSC [le Règlement] », et qu’il a décidé « [d’]élargir sa compétence » en examinant des allégations qui ne figuraient pas dans l’acte d’accusation. Cet argument repose entièrement sur le concept trop général de compétence que la Cour suprême du Canada a rejeté.

[21]           Par ailleurs, la disposition en question traite des exigences concernant l’avis, et elle est donc procédurale par nature. Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339 [Khosa], la Cour suprême a déclaré que « les questions de procédure (sous réserve d’une dérogation législative valide) doivent être examinées par un tribunal judiciaire selon la norme de la décision correcte ». Il est permis de soutenir que la mention d’une dérogation législative suppose que la norme de la décision correcte ne s’applique qu’à l’égard de l’obligation d’équité prévue par la common law, et que les présomptions régissant l’interprétation législative y échappent. Toutefois, je ne souscris pas à ce point de vue pour les raisons fournies par le juge Ian Binnie dans ses motifs concordants dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 129, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir] :

[L]e caractère équitable de la procédure est censé être au service de la justice. C’est pourquoi le législateur et la common law imposent aux organismes administratifs des obligations en la matière — dont l’« équité procédurale » — qui varient selon la catégorie à laquelle appartient le décideur et la nature de la décision en cause. La cour de révision a le dernier mot à ce chapitre aussi. La nécessité de telles garanties procédurales est manifeste. Nul ne devrait voir ses droits, ses intérêts ou ses privilèges faire l’objet d’une décision défavorable à l’issue d’une procédure injuste. On ne saurait non plus prêter au législateur l’intention d’obtenir pareil résultat inique.

[22]           Je vais donc avoir recours à la norme de la décision correcte en ce qui concerne l’application du paragraphe 25(1) du Règlement.

[23]           Je conviens toutefois avec les défendeurs que la norme applicable aux autres questions doit être celle de la décision raisonnable. Tous les arguments que le demandeur avance visent à contester l’évaluation de la preuve ou les conclusions factuelles du président. Ces types de questions commandent presque toujours l’application de norme de la décision raisonnable (voir Dunsmuir au paragraphe 53); en l’espèce, le président a entendu tous les témoignages, et il était bien mieux placé que moi pour en tirer des conclusions. La retenue est de mise. Cela signifie que je n’interviendrai pas si la décision du président est transparente, justifiable, intelligible et qu’elle fait partie des issues acceptables (voir Dunsmuir, au paragraphe 47; Khosa, au paragraphe 59). Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Khosa, aux paragraphes 59 et 61, la cour de révision qui examine une décision suivant la norme de la décision raisonnable ne peut substituer à l’issue de cette décision, celle qui serait à son avis préférable, ni réévaluer la preuve.

Question 2 – Le président a‑t‑il commis une erreur en déclarant le demandeur coupable en raison des actes ayant suivi la conversation téléphonique?

[24]           L’article 42 de la Loi prévoit :

42. Le détenu accusé se voit remettre, conformément aux règlements, un avis d’accusation qui mentionne s’il s’agit d’une infraction disciplinaire mineure ou grave.

42. An inmate charged with a disciplinary offence shall be given a written notice of the charge in accordance with the regulations, and the notice must state whether the charge is minor or serious.

Le paragraphe 25(1) du Règlement contient des exigences additionnelles :

25. (1) L’avis d’accusation d’infraction disciplinaire doit contenir les renseignements suivants :

25. (1) Notice of a charge of a disciplinary offence shall

aun énoncé de la conduite qui fait l’objet de l’accusation, y compris la date, l’heure et le lieu de l’infraction disciplinaire reprochée, et un résumé des éléments de preuve à l’appui de l’accusation qui seront présentés à l’audition;

(a) describe the conduct that is the subject of the charge, including the time, date and place of the alleged disciplinary offence, and contain a summary of the evidence to be presented in support of the charge at the hearing; and

b) les date, heure et lieu de l’audition.

(b) state the time, date and place of the hearing.

[25]           L’emploi de l’indicatif présent dans ces deux dispositions rend les exigences qui y sont mentionnées obligatoires (voir la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I‑21, article 11). Leur objet a d’ailleurs été défini dans Savard c Canada (Procureur général), [1997] ACF no 105 (QL), au paragraphe 6, 128 FTR 271 [Savard]. Le juge Yvon Pinard y déclarait qu’elles « vise[nt] à accorder à un détenu accusé d’une infraction disciplinaire un moyen précis et particulier pouvant lui permettre de préparer une défense pleine et entière ».

[26]           Par conséquent, la quantité de renseignements à fournir dépendra de ce que le détenu a besoin de savoir pour préparer une défense pleine et entière. Dans certains cas, il pourra suffire d’indiquer qu’un ordre a été donné et d’alléguer que l’accusé y a désobéi, comme le prétendent les défendeurs. Par exemple, dans Richer c Pénitencier de la Saskatchewan, 2006 CF 1188, aux paragraphes 9 et 10, 300 FTR 249, le juge Barry Strayer a estimé que la description suivante d’une infraction au titre de l’alinéa 54b) de la Loi était suffisante :

[traduction] Le 20 juillet 2005, vers 13 h 08, le détenu Richer, FPS 9278328, a refusé de fournir un échantillon d’urine lorsque la demande lui en a été faite en vertu de l’alinéa 54b) de [la] Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et de la directive du commissaire 566‑10.

[27]           Cependant, d’autres circonstances peuvent exiger plus de précisions. Par exemple, dans Langlois c Canada (Procureur général), 2004 CF 702, au paragraphe 12, 260 FTR 186, le juge Pierre Blais, maintenant juge en chef de la Cour d’appel fédérale, a déclaré qu’il ne suffisait pas que l’avis indique qu’un couteau avait été retrouvé dans la cellule d’un détenu : il aurait dû aussi spécifier à quel endroit exactement il avait été retrouvé et préciser les circonstances.

[28]           En l’espèce, j’estime que l’avis n’indiquait pas adéquatement que le demandeur pouvait être condamné pour les actions qui ont suivi l’appel téléphonique. Au contraire, il indiquait expressément que [traduction] « LE DÉTENU OBEYESEKERE s’est rendu en isolement lorsque la ligne téléphonique a été coupée à partir du poste de sécurité ». Cela sous‑entend qu’il a obéi à l’ordre peu après, et que l’acte de désobéissance allégué concernait uniquement le retard qu’il a mis à raccrocher. Par ailleurs, il a également reçu la déclaration signée de l’agente, dans laquelle celle‑ci déclarait : [traduction] « À ce moment‑là, la ligne de téléphone a été coupée via le commutateur du poste de sécurité. Ce n’est qu’alors que LE DÉTENU OBEYESEKERE s’est résolu à suivre les ordres qu’il a reçus » (non souligné dans l’original). Loin de lui permettre de préparer une défense à l’accusation selon laquelle les actes posés après avoir raccroché constituaient une infraction, l’avis et la preuve qui lui a été divulguée l’ont raisonnablement amené à croire que les actes en question étaient conformes à l’ordre qu’il avait reçu.

[29]           J’ai examiné l’avis remis au demandeur et je n’y relève rien qui puisse étayer une accusation se rapportant à ce qui s’est passé après que le demandeur a raccroché, alors qu’il s’agit sans doute du moment pertinent, comme il ressort des commentaires du président :

[traduction]

Ce n’est pas seulement une question de crédibilité, car je crois que la vidéo a joué un rôle essentiel en l’espèce. À mon avis, la vidéo montre très clairement M. Obeyesekere au téléphone, l’agente qui s’approche de ce dernier, qui raccroche ensuite assez rapidement. Jusque‑là, M. Obeyesekere et sa conduite ne posent selon moi aucun problème. Il a raccroché assez rapidement après. C’est son comportement subséquent qui est à l’origine de mes préoccupations.

La vidéo montre très clairement qu’il n’a pas regagné sa cellule sur‑le‑champ après avoir raccroché. Il a ramassé sa lessive. La vidéo le confirme et M. Obeyesekere l’a admis dans son témoignage.

Il circule ensuite pendant un moment dans le secteur où se trouvent les téléphones, se dirige dans la direction opposée à celle de sa cellule et marche ensuite – de manière très lente et désinvolte, me semble‑t‑il – sans se préoccuper le moindrement de ce qui était en train de se passer à ce moment‑là.

 

Il a fini par rejoindre sa cellule. Mais a‑t‑il désobéi à un ordre direct de se rendre en isolement cellulaire d’urgence? La seule conclusion que je puisse tirer après avoir entendu les témoins et visionné la vidéo est qu’il n’a pas obéi à l’ordre direct de l’agente d’aller en cellule immédiatement.

 

S’il avait raccroché et qu’il s’était rendu sur‑le‑champ dans sa cellule sans ramasser sa lessive, sans traîner dans le secteur où se trouvaient les téléphones, j’aurais alors eu un doute raisonnable et j’aurais certainement été tenu par la loi de trancher cette affaire en sa faveur. Mais comme j’ai visionné cette portion de la vidéo, que M. Obeyesekere a lui‑même reconnu qu’il n’avait pas rejoint sa cellule immédiatement, qu’il est allé ramasser sa lessive, et qu’il s’est attardé dans le secteur où il se trouvait alors pendant environ une minute, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable que M. Obeyesekere a bel et bien désobéi à un ordre direct. Par conséquent, la Cour le déclare coupable de cette accusation.

(Dossier de demande du demandeur, pages 65 et 66)

[30]           Par conséquent, j’estime que l’avis d’accusation ne remplissait pas les exigences du paragraphe 25(1) du Règlement, et qu’il était injuste de la part du président de condamner le demandeur.

[31]           Bien entendu, tous les manquements à un processus législatif obligatoire n’invalident pas une décision (voir Society Promoting Environmental Conservation c Canada (Procureur général), 2003 CAF 239, aux paragraphes 26 à 35, [2003] 4 CF 959). En général, leurs effets dépendront plutôt de l’analyse concernant « l’objet de la loi ainsi que la conséquence d’une décision dans un sens ou dans l’autre » (voir Bande indienne de la rivière Blueberry c Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 RCS 344, au paragraphe 42, 130 DLR (4th) 193 par la juge McLachlin (dans ses motifs concordants)).

[32]           En l’espèce, les exigences concernant l’avis ont été mises en place parce qu’il est important que les personnes faisant l’objet de graves accusations soient en mesure de se défendre (voir Gifford c Canada (Procureur général), 2007 CF 606, au paragraphe 15, 314 FTR 46). L’avis en l’espèce a effectivement induit le demandeur en erreur en l’amenant à croire que sa conduite après la fin de la conversation téléphonique ne contrevenait pas à l’ordre reçu, et il est désormais impossible de savoir s’il aurait pu se défendre plus efficacement s’il avait été parfaitement conscient de ce qui lui était reproché. Je suis donc d’avis que la décision devrait être infirmée.

[33]           De plus, il serait illogique de renvoyer l’affaire à l’agente en l’absence d’avis d’accusation adéquat concernant l’infraction dont le président l’a déclaré coupable. L’avis d’accusation n’était pas conforme au paragraphe 25(1) du Règlement. Du reste, le président a précisé qu’il aurait acquitté le demandeur si seul son retard à raccrocher lui était reproché.

[34]           Quant à la correction du dossier du demandeur, je pense qu’il faut s’en remettre au paragraphe 24(1) de la Loi qui prévoit :

24. (1) Le Service est tenu de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets.

24. (1) The Service shall take all reasonable steps to ensure that any information about an offender that it uses is as accurate, up to date and complete as possible.

[35]           Si son dossier n’est pas mis à jour, le demandeur peut invoquer cette disposition pour que le Service correctionnel se conforme au paragraphe 24(1).

[36]           Enfin, le demandeur a demandé que les dépens lui soient octroyés sur la base avocat‑client. Je n’estime pas que les circonstances s’y prêtent; la conduite des défendeurs en l’espèce ne le justifie pas. Toutefois, j’accorderai au demandeur les dépens de la demande.

[37]           Compte tenu de ma conclusion, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres questions en litige dans la présente affaire.


JUGEMENT

            LA COUR STATUE que :

1.                  La décision du président condamnant le demandeur est infirmée.

2.                  Le demandeur a droit aux dépens qu’il a engagés dans la présente demande conformément à la colonne III du tableau du tarif B.

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


ANNEXE

 

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20

 

24. (1) Le Service est tenu de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets.

24. (1) The Service shall take all reasonable steps to ensure that any information about an offender that it uses is as accurate, up to date and complete as possible.

39. Seuls les articles 40 à 44 et les règlements sont à prendre en compte en matière de discipline.

39. Inmates shall not be disciplined otherwise than in accordance with sections 40 to 44 and the regulations.

40. Est coupable d’une infraction disciplinaire le détenu qui :

40. An inmate commits a disciplinary offence who

a) désobéit à l’ordre légitime d’un agent

(a) disobeys a justifiable order of a staff member;

42. Le détenu accusé se voit remettre, conformément aux règlements, un avis d’accusation qui mentionne s’il s’agit d’une infraction disciplinaire mineure ou grave.

42. An inmate charged with a disciplinary offence shall be given a written notice of the charge in accordance with the regulations, and the notice must state whether the charge is minor or serious.

43. (3) La personne chargée de l’audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l’infraction reprochée.

43. (3) The person conducting the hearing shall not find the inmate guilty unless satisfied beyond a reasonable doubt, based on the evidence presented at the hearing, that the inmate committed the disciplinary offence in question.

44. (1) Le détenu déclaré coupable d’une infraction disciplinaire est, conformément aux règlements pris en vertu des alinéas 96i) et j), passible d’une ou de plusieurs des peines suivantes :

44. (1) An inmate who is found guilty of a disciplinary offence is liable, in accordance with the regulations made under paragraphs 96(i) and (j), to one or more of the following :

a) avertissement ou réprimande;

(a) a warning or reprimand;

f) isolement — avec ou sans restriction à l’égard des visites de la famille, des amis ou d’autres personnes de l’extérieur du pénitencier — pour un maximum de trente jours, dans le cas d’une infraction disciplinaire grave.

(f) in the case of a serious disciplinary offence, segregation from other inmates — with or without restrictions on visits with family, friends and other persons from outside the penitentiary — for a maximum of 30 days.

Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

 


Loi d’interprétation, LRC 1985, c I‑21

11. L’obligation s’exprime essentiellement par l’indicatif présent du verbe porteur de sens principal et, à l’occasion, par des verbes ou expressions comportant cette notion. L’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés s’exprime essentiellement par le verbe « pouvoir » et, à l’occasion, par des expressions comportant ces notions.

11. The expression “shall” is to be construed as imperative and the expression “may” as permissive.

 

Dispositions réglementaires pertinentes

 

Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620

25. (1) L’avis d’accusation d’infraction disciplinaire doit contenir les renseignements suivants :

25. (1) Notice of a charge of a disciplinary offence shall

a) un énoncé de la conduite qui fait l’objet de l’accusation, y compris la date, l’heure et le lieu de l’infraction disciplinaire reprochée, et un résumé des éléments de preuve à l’appui de l’accusation qui seront présentés à l’audition;

(a) describe the conduct that is the subject of the charge, including the time, date and place of the alleged disciplinary offence, and contain a summary of the evidence to be presented in support of the charge at the hearing; and

b) les date, heure et lieu de l’audition.

(b) state the time, date and place of the hearing.

(2) L’agent doit établir l’avis d’accusation disciplinaire visé au paragraphe (1) et le remettre au détenu aussitôt que possible.

(2) A notice referred to in subsection (1) shall be issued and delivered to the inmate who is the subject of the charge, by a staff member as soon as practicable.

31. (1) Au cours de l’audition disciplinaire, la personne qui tient l’audition doit, dans des limites raisonnables, donner au détenu qui est accusé la possibilité :

31. (1) The person who conducts a hearing of a disciplinary offence shall give the inmate who is charged a reasonable opportunity at the hearing to

a) d’interroger des témoins par l’intermédiaire de la personne qui tient l’audition, de présenter des éléments de preuve, d’appeler des témoins en sa faveur et d’examiner les pièces et les documents qui vont être pris en considération pour arriver à la décision;

(a) question witnesses through the person conducting the hearing, introduce evidence, call witnesses on the inmate’s behalf and examine exhibits and documents to be considered in the taking of the decision; and

b) de présenter ses observations durant chaque phase de l’audition, y compris quant à la peine qui s’impose.

b) make submissions during all phases of the hearing, including submissions respecting the appropriate sanction.

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106

400. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer.

400. (1) The Court shall have full discretionary power over the amount and allocation of costs and the determination of by whom they are to be paid.

(2) Les dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle.

(2) Costs may be awarded to or against the Crown.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

                                                                                                T‑1185‑13

 

INTITULÉ :

BRIAN OBEYESEKERE c

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 4 MARS 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT:

                                                            LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 16 AVRIL 2014

 

 

COMPARUTIONS :

J. Todd Sloan

 

POUR LE demandeur

 

Gregory Tzemenakis

 

POUR LES défendeurS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

J. Todd Sloan

Avocat

Kanata (Ontario)

 

POUR LE demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES défendeurS

 

 

 

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