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En-tête de la Cour fédérale et ses armoiries
Date : 20140414

Dossier :

T-2005-12

 

Référence : 2014 CF 358

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2014

En présence de monsieur le juge Annis

 

ENTRE :

ION DAVID

 

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.                   Introduction

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 2 octobre 2012 par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne [la CCDP ou la Commission] a rejeté sa plainte à l’encontre des Forces canadiennes concernant le traitement différent et préjudiciable fondé sur sa nationalité ou son origine ethnique roumaine. Il demande à la Cour de renvoyer la plainte pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.                Les faits

[3]               Dans le rapport d’enquête daté du 20 juin 2012, la CCDP a examiné la plainte et son contexte. M. David, né en Roumanie en 1952, a acquis la citoyenneté canadienne en 1997. Après avoir obtenu un diplôme d’ingénieur en Roumanie en 1978, il a exercé ce métier dans une usine laitière puis pour la compagnie IMSAT en Roumanie; il a également passé deux ans à Al Qaim, en Irak, dans les années 1990 en tant que consultant pour cette entreprise. Il parle couramment le roumain et l’anglais et comprend le français et l’italien. Après s’être installé au Canada, il a travaillé à Vancouver comme ingénieur et comme technicien pour des entreprises de sécurité ainsi que comme interprète de langue roumaine; de la fin 1995 à l’automne 2002, il a été représentant à l’étranger d’entrepreneurs canadiens en Roumanie. Il a ensuite travaillé comme agent immobilier pour RE/MAX à Victoria, en Colombie‑Britannique.

[4]               L’enquêtrice de la CCDP a appris que M. David s’est enrôlé dans les Forces canadiennes en 2001 en tant qu’officier d’artillerie de la Première réserve auprès du 5e Régiment d’artillerie de campagne (Colombie-Britannique) basé à Victoria, en Colombie‑Britannique. Il a été promu au grade de lieutenant le 9 septembre 2004, après quoi il a essayé de travailler pour la Coopération civilo-militaire [COCIM].

[5]               M. David a déclaré ceci lors d’une entrevue avec l’enquêtrice de la Commission : [traduction] « J’ai présenté ma candidature à la COCIM à la suite de vifs encouragements de la part du détachement local », c’est-à-dire probablement le détachement local de la COCIM.

[6]               Une lettre du commandant de batterie de M. David, datée du 27 septembre 2004, contient ce qui suit :

[traduction] […] Ion m’a demandé de lui fournir une lettre de recommandation en vue d’un éventuel emploi civil à l’étranger auprès de la COCIM.

[…]

Je ne peux pas le recommander comme officier de la COCIM ou à une fonction militaire au sein de cette organisation en raison de son inexpérience comme membre des FC, et notamment comme officier des armes de combat. Peut-être dans quelques années, quand il aura accumulé assez d’expérience pour être muté à la COCIM ou pour prendre part à un déploiement militaire.

[…]

Compte tenu de son expérience et de sa conduite actuelle, je peux recommander Ion à un poste civil dans le cadre d’une mission ou de affectation de la COCIM

[7]               À la fin 2004, M. David a quand même présenté sa candidature à un poste d’opérateur militaire de la COCIM. Il a été accepté en juillet 2005 et devait être affecté à une équipe de la COCIM située à London, en Ontario, à compter de janvier 2006. Il a quitté son emploi chez RE/MAX, a vendu sa propriété à Victoria, puis a déménagé à London avec sa famille, où il y a trouvé du travail comme entrepreneur général autonome. Le service de réserve ne s’effectue qu’à temps partiel; les membres suivent leur formation les soirs et les fins de semaine et ne doivent accumuler qu’un minimum de quatorze journées pleines de service par année pour rester dans l’effectif. Seuls les réservistes liés par des contrats à durée déterminée sont employés à temps plein.

[8]               Un officier de l’équipe de la COCIM de London a expliqué à l’enquêtrice de la CCDP que cette organisation n’était pas une unité formelle répondant à un code d’identification d’unité [CIU], mais plutôt un groupe composite de spécialistes se préparant à être déployés; autrement dit, un poste à la COCIM n’est pas une occupation professionnelle mais une mission. L’officier a indiqué que le cycle normal de rotation des réservistes affectés à la COCIM durait trois ans : ils sont formés la première année, déployés la deuxième, et ils partagent leurs connaissances en enseignant ce qu’ils savent à d’autres réservistes lors de la troisième année. Ils regagnent ensuite leurs unités d’appartenance.

[9]               Les représentants des Forces canadiennes ont par ailleurs expliqué à l’enquêtrice que pour être aptes au déploiement, les officiers doivent d’abord être qualifiés à l’exercice de leur métier (dans le cas du demandeur, l’artillerie). Chaque officier reçoit le code de groupe professionnel militaire [CGPM] « A » s’il est dûment formé, et « U » s’il ne l’est pas. Le major Atherley des Forces canadiennes a indiqué par courriel à l’enquêtrice de la Commission que M. David est devenu qualifié en 2004, mais en ajoutant que [traduction] « l’expression “non formé” employée par la COCIM ne vise pas uniquement “la qualification du CGPM”. […] En résumé, David était un officier qualifié d’artillerie de la Première réserve (PP1 [période de perfectionnement 1], mais il n’avait pas suivi le COATR [Cours sur les opérations de l’Armée de terre de la réserve], ce qui le rendait moins qualifié que d’autre pour certains postes et déploiements sous l’égide de la COCIM ».

[10]           La COCIM a évolué en tant que tâche de la réserve pendant la durée du service du demandeur dans le groupe de London. À l’origine, les réservistes étaient acceptés avec une formation minimale, puis ils se perfectionnaient à la fois comme opérateurs de la COCIM et au sein de leur propre CGPM. Sous le précédent officier commandant, le major Chadwick, l’admission dans une équipe de la COCIM était assez informelle. Le processus de sélection est ensuite devenu plus formel afin de faire en sorte que les réservistes de cette organisation soient aptes à être déployés en Afghanistan.

[11]           Au départ, le demandeur était satisfait de son affectation à la COCIM. Il précise dans sa plainte qu’il avait suivi des formations au Canada, en Italie et en Turquie, et qu’il s’était inscrit à un « cours de capitaines » – le Cours sur les opérations de l’Armée de terre de la réserve [COATR].

[12]           Après juin 2006, M. David était toutefois mécontent. Il s’est plaint du fait qu’on a refusé ses candidatures à des « cours de capitaines », ou formations, exercices ou déploiements à l’étranger. Il prétend avoir été victime de discrimination. Il a déclaré ce qui suit à l’enquêtrice :

[traduction]

Quel lien voyez-vous entre le refus de vous offrir la formation et votre origine ethnique nationale?

Toutes les fois que j’ai demandé la formation, on m’a accordé moins d’attention qu’à d’autres. J’ai tout le temps l’impression que c’est à cause de mon accent, de ma langue, étant donné que je suis le seul à parler avec cet accent. Je leur ai fait part de mes inquiétudes. Ça n’a servi à rien. Lorsque je suis allé en Turquie et en Italie, tout le monde partageait mon expérience et était intéressé à entendre mon point de vue. Je me sens très frustré et humilié, car mes demandes ont été mises de côté.

[…]

Lorsque Bindon est arrivé en août 2006, plus personne ne m’adressait la parole. La situation a continué à s’aggraver. Au début, mes inscriptions étaient retardées, je n’étais pas admis à des formations continues et mon RdeG n’a reçu aucune réponse. Ils m’ont enlevé du système, de la liste de paie et m’ont complètement isolé. Je refuse absolument d’aller lui parler. Je suis allé voir Riddell – qui m’a répondu « vous ne pouvez pas venir me voir sans rendez-vous ». Je lui ai dit qu’il n’avait jamais répondu à mes courriels.

[….]

Quelle réparation souhaitez-vous obtenir?

[…] Je veux obtenir le grade et des postes à temps plein, la carrière du capitaine Riddell, qui est maintenant major, me sert de référence. Sa carrière est celle que je voulais avoir. Je suis le seul à avoir été traité de cette façon. Je n’ai pas de témoins.

[13]           Le 27 mars 2007, un an et deux mois après avoir été transféré au groupe de London, le nom du demandeur a été inscrit sur la liste des membres de la COCIM qui devaient regagner leurs unités d’appartenance.

[14]           C’est alors qu’il a cessé de se présenter aux soirées d’instruction de la COCIM. En juin 2008, le major Bindon a ordonné qu’il soit contacté au plus tôt afin qu’il se présente au rassemblement et corrige son statut de membre des effectifs en non-activité [ENA]. M. David a refusé de se présenter au rassemblement et de signer les feuilles de paie pour la période allant de janvier à juillet 2008, déclarant dans un courriel daté du 4 juillet ce qui suit : [traduction] « J’estime que la situation actuelle est complexe et qu’elle requiert l’intervention de la CDP [Commission des droits de la personne]. » Le 18 juillet 2008, il s’est rendu aux bureaux de la COCIM et a de nouveau refusé de signer les feuilles de paie. Le 30 juillet 2008, il a écrit ceci dans un courriel : [traduction] « […] comme je n’ai participé à aucune activité pendant un an, y compris aux rassemblements, je ne peux pas attester que j’ai participé à quelque activité que ce soit, alors que j’étais exclu de toutes les activités de la COCIM. […] Je déduis du courriel que le Sgt Mercier vous a envoyé que “toute la question des ENA” qu’elle a essayé de m’expliquer (mais sans succès) est importante. Veuillez m’éclairer sur la situation. »

[15]           Le 4 mars 2008, M. David a déposé une plainte auprès de la CCDP. La Commission a rejeté sa plainte le 20 octobre suivant, puis de nouveau le 21 janvier 2010, estimant que les allégations de discrimination pouvaient être traitées dans le cadre des procédures militaires de règlement des griefs. Le 6 mars 2011, la CCDP a conclu que ces procédures semblaient être terminées. Or, huit des neuf allégations n’avaient pas été examinées. La Commission a donc donné suite à sa plainte. L’enquêtrice a rendu son rapport le 20 juin 2012. L’essentiel de ses conclusions est présenté plus loin.

A.                Le « cours de capitaines »

[16]           En mai 2006, le demandeur a suivi le Cours sur les opérations de l’Armée de terre de la réserve [COATR] à Meaford (Ontario). Ce cours était un préalable pour obtenir une promotion ou participer à une formation ou à des exercices à l’étranger et finalement être déployé comme officier de la COCIM.

[17]           Trois jours après le début de ce cours, il a été établi que M. David n’avait pas terminé la portion obligatoire du cours en ligne avant de se présenter en classe. Il a donc été retiré le 30 mai 2006 et a été renvoyé dans son unité. D’après son rapport de cours, il avait échoué son instruction en raison d’un [traduction] « rendement scolaire insuffisant (motivation) »; [traduction] « Le Lt David s’est montré peu enclin à effectuer son travail de façon appropriée. » Une note de service adressée par le commandant du Centre d’instruction du Secteur du Centre de la Force terrestre au commandant du demandeur ajoutait que la décision de le renvoyer dans son unité [traduction] « reposait sur les notes qu’il avait obtenues pour les devoirs qu’il a rendus, sa performance globale dans le cours, et sur les renseignements qu’il avait fournis ».

[18]           Le demandeur affirme avoir été traité différemment d’un autre officier dans la même situation, le lieutenant Johnson. Le 8 juin 2006, il a discuté de son cas avec le major Chadwick, qui lui a conseillé de présenter une demande de redressement de grief et de présenter sa candidature au prochain COATR prévu, qui serait probablement donné en septembre 2006. Le major Chadwick a ensuite été remplacé dans le groupe COCIM par le major Bindon. Le demandeur prétend que le major Bindon lui a promis [traduction] « une réinscription au prochain cours disponible ». En fait, le major Bindon n’a proposé sa candidature pour le cours qu’en mai 2007, alors que son nom figurait déjà sur la liste de ceux qui devaient quitter l’équipe de la COCIM.

[19]           Le major Bindon a déclaré à l’enquêtrice de la Commission qu’il regrettait que l’affaire n’ait pas été mieux gérée, mais a fait observer que l’équipe s’occupait surtout à l’époque de rapatrier les soldats tombés en Afghanistan, et que c’était devenu une priorité plus pressante que d’inscrire des officiers au COATR.

[20]           Lors d’une entrevue avec l’enquêtrice de la Commission, le major Bindon a parlé de ce qui s’est produit après que M. David eut été renvoyé du COATR pour retourner à son unité d’appartenance :

[traduction]

J’ai proposé sa candidature pour le cours suivant. J’ai alors découvert qu’il se figurait qu’il pensait qu’il serait déployé en Afghanistan. Il n’était pas qualifié en vertu de son CGPM et il devait suivre une formation en artillerie, ce qu’il ne voulait pas faire. Je ne pouvais le déployer ni le mettre en classe B tant qu’il n’avait pas sa qualification CGPM. J’ai proposé sa candidature pour le cours suivant.

Expliquez le RdG (redressement de grief) dans ce cas?

Le RdG n’a pas été correctement géré, et j’en suis responsable. Il devait obtenir sa qualification en artillerie – il s’agit de son CGPM. Il n’avait pas terminé sa formation d’officier d’artillerie dans l’Ouest. Il aurait dû détenir cette qualification avant d’entrer dans la COCIM. Il n’avait pas la qualification requise. David a déclaré que le major Chadwick lui avait promis un déploiement – les choses se sont embrouillées. Il n’avait aucune raison de déménager en Ontario, cela n’avait aucun sens. C’est au début du processus de redressement que je me suis rendu compte qu’il n’était pas qualifié.

[21]           Le demandeur a déclaré qu’entre août 2006 et février 2008, il a demandé à neuf reprises qu’on l’envoie suivre le « cours de capitaines ». Lorsque le major Bindon a proposé sa candidature en mai 2007, il n’a pas été sélectionné. M. David prétend que l’instruction lui a été refusée à cause de sa nationalité ou de son origine ethnique, puisqu’il était le seul natif de Roumanie attaché au groupe de la COCIM de London. Il fait remarquer qu’un autre officier admis après lui dans les rangs de cette organisation, le lieutenant Baker, avait été recommandé pour le cours en mars 2007, avant lui.

[22]           Le demandeur a indiqué que la liste nominative de l’équipe précisait le lieu de naissance de tous les membres. Le commis‑chef de l’équipe de la COCIM a déclaré que la nationalité ou l’origine ethnique des réservistes de cette organisation n’étaient pas enregistrées. Le dossier certifié de la Cour contient une copie de la liste nominative de la COCIM, qui est un simple dossier d’employés incluant différents renseignements personnels comme la date et le lieu de naissance de chaque membre de l’équipe. L’enquêtrice de la CCDP a conclu (au paragraphe 33 du rapport) :

[traduction] Compte tenu du désaccord des parties et de l’absence de documents, l’enquêtrice n’est pas en mesure de déterminer si la conduite alléguée par le plaignant était liée à un motif illicite.

[23]           Les Forces canadiennes ont expliqué que le demandeur ne jouissait pas du droit automatique de suivre le « cours de capitaines ». Le nombre de candidats excédait celui des places disponibles et l’admission à ce cours était considérée comme une opportunité spéciale. Comme les opérations militaires visaient de plus en plus à fournir des réservistes en vue de la mission en Afghanistan, le processus de sélection est devenu de plus en plus compétitif. Les Forces ont noté que le Lt Baker avait reçu une formation liée à son groupe professionnel et qu’il était donc apte à être déployé, et il a d’ailleurs été envoyé en Afghanistan en 2008. Elles affirment que le demandeur n’était pas qualifié à exercer son métier (artillerie) et qu’il n’était donc pas apte au déploiement. Par ailleurs, le major de la COCIM n’était pas responsable de la sélection, mais seulement des propositions de candidatures. Un comité situé à Kingston ou à Toronto effectuait la sélection parmi les candidats proposés.

[24]           Le major Bindon a fait remarquer durant l’enquête que les réservistes de la COCIM devaient maintenir les compétences nécessaires à leur métier militaire, et que M. David n’avait pas cherché à améliorer ses compétences à titre d’officier d’artillerie, mais à suivre des cours qui lui auraient permis d’être déployé à l’étranger. Les candidats de la COCIM désireux de suivre le « cours des capitaines » étaient évalués en fonction de leur instruction, leur aptitude à travailler dans un environnement difficile, leurs capacités et leur grade. À un moment donné, M. David s’est porté volontaire pour aider à s’occuper des rapatriements, mais il n’a pas été en mesure de coordonner les services nécessaires, et le directeur des funérailles a demandé qu’on ne fasse plus appel à lui. De l’avis du major Bindon, le demandeur devait suivre une instruction militaire additionnelle avant d’être entraîné pour un déploiement ou d’être déployé.

[25]           L’enquêtrice de la CCDP a conclu que le fait qu’il n’avait pas été admis au « cours des capitaines » n’était pas lié à un motif illicite.

B.                 Autres opportunités en matière d’instruction et d’exercices

[26]           M. David prétend également que d’autres opportunités en matière d’instruction et d’exercices lui ont été refusées, par exemple une formation offerte en septembre 2006 en Moldavie et un cours de la COCIM offert en Allemagne en janvier 2007. Un autre réserviste, le lieutenant Breton, a été envoyé suivre un cours en Allemagne en mars 2007, alors que le demandeur n’a eu droit qu’à un cours de deux semaines à Wainwright, en Alberta, en avril 2007. Dans ses observations additionnelles soumises à la CCDP, il a ajouté qu’il y avait assisté des officiers supérieurs qui suivaient le cours en tant que membre du personnel de soutien, et qu’il n’avait pas lui‑même suivi une formation. Les Forces canadiennes ont fait remarquer que les officiers de la COCIM jouaient leur rôle dans l’exercice, que leur rendement était évalué à ce titre, et que cela avait valeur d’instruction.

[27]           Le major Bindon a expliqué à l’enquêtrice de la CCDP que tous les réservistes se portant volontaires pour suivre une formation à l’étranger étaient jugés par un comité de sélection composé de cinq personnes. On lui a demandé d’évaluer l’aptitude du demandeur au déploiement à la suite de la formation de Wainwright. Il a répondu que le plaignant avait de nombreuses compétences civiles, mais qu’il manquait d’instruction militaire et qu’il ne pouvait pas être déployé en Afghanistan sans amélioration à ce chapitre. Dans le même ordre d’idées, les Forces canadiennes ont rappelé qu’à l’époque, le Lt Breton avait été formé pour l’exercice de son groupe professionnel (l’infanterie) et avait atteint un niveau qui lui permettait d’être déployé; il a d’ailleurs été envoyé en Afghanistan en 2008. Le demandeur n’était pas assez qualifié dans son métier et n’était pas admissible au déploiement.

[28]           Le major Bindon a déclaré ce qui suit lors de son entrevue:

[traduction]

A-t-on proposé sa candidature ou l’a-t-on autorisé à suivre une autre formation?

Eh bien, la Moldavie était très importante pour lui. Personne de notre organisation n’y est allé. Le QGDN – Quartier général de la Défense nationale – a envoyé quelques personnes. Personne de la COCIM n’est allé en Moldavie.

Y a-t-il des documents pour le prouver?

Non. Pas lorsque personne n’y va. Lorsque quelqu’un est envoyé, il y a des documents.

L’a-t-on mis au courant d’autres formations?

Oui. Il se portait volontaire pour tout. Il faut se rappeler que tout était sur une base volontaire. À cette époque, nous nous occupions du rapatriement des soldats tués à l’étranger. Nous escortions les dépouilles. David s’en est occupé une fois et ça ne s’est pas bien passé pour lui. Le directeur des funérailles a demandé à ce qu’on ne le réaffecte pas à cette tâche. Il était dépassé. Il n’a pas su coordonner la police, les services d’escorte et les relations avec les familles.

[29]           Le major O’Neill a quant à lui déclaré ceci :

[traduction]

À votre connaissance, a-t-il été informé des possibilités de formation entre 2006 et 2008?

Oui – il m’a accompagné à Wainwright en 2007 pour assister au cours des commandants d’équipes de combat donné par l’École tactique. Il devait être en classe B. Donc oui, David recevait des avis et a suivi des formations. Nous sommes allés ensemble – nous étions cinq ou six de la COCIM. La Force régulière avait besoin de nous pour un jeu de rôle – donc nous agissions comme le groupe de la COCIM. Chadwick m’a demandé de garder un œil sur Ion David – dans cet environnement, et de faire une évaluation, ce que j’ai fait, en le regardant agir. J’ai dit au major Chadwick – dans un environnement cinétique, il (David) n’avait pas l’expérience militaire pour jouer un rôle de combat. À la COCIM, nous étions encore avant tout des soldats. L’Afghanistan est un lieu dangereux, un environnement à haut risque, dangereux. Ses compétences et son expérience civiles étaient considérables. Mais j’ai été très clair avec Chadwick – dans un terrain de conflit, il dirigerait des hommes et n’avait pas l’instruction militaire requise. Pour revenir à son CGPM, le code U devait disparaître – il n’était pas pour l’artillerie.

Cela a-t-il été expliqué à Ion David?

Oui, je crois. Il a été recommandé qu’il reçoive une instruction militaire plus approfondie avant d’être déployé à l’étranger.

[30]           L’enquêtrice de la CCDP a conclu que le refus d’admettre le demandeur à une formation à l’étranger n’était pas lié à un motif illicite.

C.                 Déploiements

[31]           Le demandeur prétend qu’il ne lui a pas été proposé d’être déployé, contrairement à d’autres réservistes de la COCIM. Il a donc été privé d’opportunités d’emploi et a dû déclarer une faillite personnelle. Il soutient que cette privation d’opportunités était directement liée à son origine roumaine.

[32]           Le major Riddell, qui s’est vu proposer un déploiement, a déclaré que la sélection à ce chapitre était fondée sur le mérite et une évaluation minutieuse de la fonction civile de l’intéressé, de ses compétences générales et de son instruction militaire, et que les réservistes de la COCIM capables de travailler dans un contexte multiethnique et de faire preuve de sensibilité culturelle étaient recherchés. Pour être déployé, il fallait répondre à un besoin des Forces canadiennes et se montrer apte à agir dans un environnement de combat.

[33]           L’enquêtrice a conclu que les Forces canadiennes avaient fourni des documents montrant que le demandeur avait été évalué et jugé dépourvu d’expérience militaire et de mérite. Elle a estimé que le refus de le déployer n’était pas lié à un motif illicite.

D.                Redressement de grief

[34]           Le demandeur a présenté une demande de redressement de grief le 20 novembre 2006 et demandé que son grief soit examiné à trois reprises en 2007 puis encore en janvier 2008. Le major Bindon a déclaré qu’il avait entamé des discussions avec le demandeur entre novembre 2006 et le printemps 2007, et qu’il estimait qu’ils étaient parvenus à une entente satisfaisante. Il n’a donc pas fait passer le grief au niveau suivant. Durant son entrevue avec l’enquêtrice de la Commission, il a reconnu que le cas n’avait pas été bien traité et il en a assumé la responsabilité.

[35]           Les Forces canadiennes ont convenu que le grief n’avait pas été correctement géré. La conséquence, si l’on en croit M. David, est que son nom a été inscrit le 27 mars 2007 sur la liste des personnes qui devaient quitter la COCIM et retourner dans leur unité d’appartenance.

[36]           Cependant, l’enquêtrice a noté que, selon la preuve, il avait reçu des conseils et un soutien importants de la part de très nombreux membres du personnel de la COCIM, et que des discussions continuaient d’avoir lieu pour tenter de résoudre le fond du grief. Elle a estimé que la conduite en cause ne semblait pas être liée à un motif illicite.

E.                 Le transfert hors de la COCIM

[37]           Le 27 mars 2007, le major Bindon a décidé que le demandeur quitterait la COCIM et retournerait dans son unité d’appartenance, après avoir passé seulement un an et deux mois à London. Le demandeur a déclaré que trois officiers dont le niveau d’instruction était inférieur au sien n’étaient pas sur la liste des personnes devant retourner dans leur unité d’appartenance. M. David a été informé dans une lettre du 16 mai 2007 que son transfert s’expliquait par l’engagement de la COCIM envers d’autres unités de l’armée de ne pas garder du personnel pendant plus de trois ou quatre ans, selon le nombre de déploiements auxquels ils ont pris part.

[38]           À l’entrevue, le major Bindon a toutefois déclaré ceci :

[traduction]

Pourquoi a-t-il été renvoyé dans son unité d’appartenance?

David ne s’est jamais présenté à l’instruction pendant des mois, il ne signait pas les feuilles de paie pour la COCIM, et il a été renvoyé dans son unité d’appartenance.

[39]           Le major Riddell a déclaré à l’entrevue :

[traduction]

Êtes-vous intervenu dans la plainte de Ion David?

Je n’ai pas hérité de son dossier. Il était au milieu du processus de redressement de grief. Il est arrivé peu après que j’ai pris le commandement et m’a expliqué ses problèmes. Je lui ai dit : « laissez-moi voir ce que je peux faire et m’occuper de ça » – je suis allé voir Tom Bindon. La réponse est arrivée : « Le colonel Lawrence s’occupe du redressement de grief ». À ce moment-là, David faisait partie des ENA – c’est-à-dire qu’il comptait parmi les réservistes qui n’avaient pas défilé depuis 30 jours. J’ai essayé de le placer dans un effectif dans le sud de l’Ontario. Il était réserviste et je voulais qu’il soit payé. Après 60 jours, une deuxième lettre est envoyée et 180 jours après, le réserviste est libéré pour défaut de se présenter. Cela lui aurait fait du tort parce qu’il allait être libéré avec une note de 5D ou 5F – de mauvais points dans les deux cas.

[40]           M. David a précisé qu’il n’avait pas terminé le cycle normal de trois ans : instruction – déploiement – enseignement. On lui a demandé de trouver une unité d’appartenance à laquelle il serait transféré, mais il a indiqué que depuis son affectation à la COCIM en janvier 2006, le groupe de London, en Ontario, était son unité d’appartenance. Il a fait remarquer qu’il était le seul réserviste de ce groupe né dans le bloc de l’Est.

[41]           Le major Bindon a déclaré que le demandeur n’avait pas les compétences, l’expérience et les qualifications nécessaires pour être déployé. Il a donc recherché de l’aide afin qu’il puisse élaborer un plan de carrière, et a essayé de lui trouver une unité à laquelle le transférer pour qu’il acquière de l’expérience militaire.

[42]           L’enquêtrice de la CCDP a estimé que le transfert n’était pas lié à un motif illicite.

F.                  La recommandation de l’enquêtrice et les observations soumises en réponse par le plaignant

[43]           L’enquêtrice a recommandé à la CCDP de rejeter la plainte en matière de droits de la personne, car les allégations de traitement différent et préjudiciable concernant l’instruction et l’emploi pour un motif illicite n’étaient pas étayées par la preuve.

[44]           Dans les observations qu’il a soumises en réponse, M. David s’est opposé à ce que l’enquêtrice admette au paragraphe 37 la déclaration du major Bindon portant que sa candidature au « cours des capitaines » n’avait pas été proposée de nouveau parce qu’il n’avait pas cherché à améliorer ses compétences militaires, mais à suivre des cours qui lui permettraient d’être déployé à temps plein à l’étranger. Il a fourni une Liste des principaux événements faisant état d’opportunités de formation offertes à l’équipe de la COCIM entre le 5 février 2007 et le 30 mars 2008, c’est-à-dire deux mois avant que son nom n’ait été inscrit sur la liste de transfert, ainsi que les douze mois suivants, et dont aucune ne lui a été proposée.

[45]           Il s’est également plaint de ce que la candidature du major O’Neill a été recommandée pour toutes les activités, alors que la sienne ne l’a été pour aucune. Il a produit un tableau énumératif de quatorze cours concernant l’OTAN offerts entre le 13 février et le 1er décembre 2006. En voici la liste :

A.    5 séries du cours de la COCIM sur les tactiques de base de l’OTAN (NATO Tactical Basic CIMIC Course);

B.     2 séries du cours de la COCIM sur le CEP de l’OTAN – Régional (NATO CEP CIMIC Course – Regional);

C.     2 séries du cours de la COCIM sur les liaisons opérationnelles avec l’OTAN (NATO Operational Liaison CIMIC Course);

D.    1 série du cours de la COCIM sur les liaison opérationnelles avec l’OTAN – Régional (NATO Operational Liaison CIMIC Course – Regional);

E.     1 série du cours de la COCIM sur les opérations de l’OTAN – Régional (NATO Operational CIMIC Course – Regional);

F.      1 série du cours de la COCIM sur l’état-major opérationnel de l’OTAN (NATO CIMIC Op Staff Course);

G.    1 série du cours de la COCIM sur les stratégies/opérations de l’OTAN (NATO Strategic/Operational CIMIC Course);

H.    1 série du cours de la COCIM sur les planificateurs stratégiques de l’OTAN – Régional (NATO Strategic Planners CIMIC Course – Regional).

[46]           Le tableau montre que la candidature du Lt David a été proposée pour le cours de la COCIM sur les tactiques de base de l’OTAN offert à Ankara, en Turquie, du 8 au 18 mai 2006, de même que pour chacun des huit cours (et deux fois, pour deux différentes séries du cours de la COCIM sur les tactiques de base de l’OTAN); celle de deux autres officiers a été recommandée pour un cours chacun. La liste nominative précise toutefois que le major O’Neill avait été désigné comme le chef d’équipe de l’unité de London.

[47]           Le demandeur a attiré l’attention de l’enquêtrice sur le fait que la liste nominative indiquait la date et le lieu de naissance de tous les membres du personnel. Il affirme que, sur les douze individus qui composaient l’équipe de London et lui-même, le seul autre membre né à l’étranger était sur la liste du personnel à transférer.

[48]           Le demandeur a également contesté la déclaration figurant au paragraphe 81 du rapport d’enquête concernant la décision de l’équipe de ne pas lui proposer de déploiement en Afghanistan, selon laquelle [traduction] « [les Forces canadiennes] avaient fourni des documents montrant que le demandeur avait été évalué et jugé dépourvu d’expérience militaire et de mérite ». Il fait valoir qu’il n’a jamais été avisé de ses lacunes en matière de rendement.

III.             La décision contestée

[49]           Devant la CCDP, le demandeur a demandé à être promu au grade de capitaine, avec effet rétroactif à septembre 2006, et à obtenir un montant correspondant au salaire de capitaine à temps plein à partir de cette date.

[50]           La CCDP a examiné le rapport d’enquête et décidé de rejeter la plainte plutôt que de la renvoyer au Tribunal canadien des droits de la personne [le TCDP ou le Tribunal], car les allégations de traitement différent et préjudiciable concernant l’instruction et l’emploi pour un motif illicite n’étaient pas étayées par la preuve.

IV.             Questions en litige

[51]           Le demandeur soulève deux questions :

a.       Quelle est la norme de contrôle applicable à l’évaluation de la rigueur d’une enquête?

b.      La décision de la Commission de rejeter la plainte était-elle raisonnable?

V.                Analyse

A.                La norme de contrôle

[52]           Les parties reconnaissent que le rejet de la plainte en vertu de l’article 44 de la LCDP est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité, et que la question de savoir si une enquête et le processus décisionnel de la Commission étaient conformes à l’équité procédurale fait intervenir la norme de la décision correcte : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]; Dupuis c Canada (PG), 2010 CF 511, au paragraphe 10; Sketchley c Canada (PG), 2005 CAF 404, aux paragraphes 53 à 55, 111 [Sketchley].

[53]           Les parties divergent cependant sur la question de savoir si l’exigence reconnue concernant la rigueur des enquêtes de la Commission relève de l’analyse liée à la raisonnabilité, ou s’il s’agit d’un point d’équité procédurale appelant la norme de la décision correcte. Le défendeur avance que la rigueur de l’enquête doit être évaluée suivant la norme de la raisonnabilité. Il se trouve que sa position trouve appui dans une décision que j’ai récemment rendue, MTS Inc. c Eadie, 2014 CF 61 [MTS].

[54]           Le demandeur soutient que dans l’arrêt Sketchley, précité, la Cour d’appel a conclu que l’analyse concernant la norme de contrôle est inapplicable lorsque la décision doit être révisée pour des motifs ayant trait à l’équité procédurale. Dans un tel cas, il s’agit plutôt de déterminer la teneur de l’obligation d’équité procédurale selon les circonstances de l’affaire en cause. Il affirme dès lors que les prétendues insuffisances, erreurs et omissions, de même que le défaut d’examiner des éléments de preuve manifestement cruciaux, facteurs qui intéressent tous à mon sens la rigueur de l’enquête, constituaient des manquements au devoir d’équité procédurale de la Commission. Ceux-ci sont donc soumis à un contrôle sur le fond selon la norme de la décision correcte, qui exige d’infirmer la décision s’il est établi que cette obligation n’a pas été respectée.

[55]           Compte tenu de l’analyse effectuée par la Cour dans l’arrêt Sketchley, je ne saurais m’opposer aux observations du demandeur. Cependant, je crois que cette analyse a été supplantée par l’arrêt Dunsmuir, qui, aux dires du juge Stratas dans un arrêt rendu récemment, Maritime Broadcasting System Limited c Canadian Media Guild, 2014 CAF 59 [Maritime Broadcasting], au paragraphe 51, « a modifié le cours du droit administratif canadien. »

[56]           Cette distinction est peut-être sans importance étant donné que l’application des principes énoncés dans l’arrêt Sketchley suppose la déférence à l’endroit de l’enquêteur et la nécessité, pour infirmer la décision contestée, d’une omission déraisonnable de mener l’enquête à bien, c’est-à-dire les principales caractéristiques de la norme de la raisonnabilité. Néanmoins, l’analyse « pragmatique et fonctionnelle » effectuée par la Cour dans Sketchley afin de définir la teneur du devoir d’équité suivant la norme de la raisonnabilité a été supplantée. Persister à s’y référer, alors que le nouveau régime de normes de contrôle énoncé dans Dunsmuir visait à justement à l’écarter, ne ferait qu’ajouter à la confusion.

[57]           Même si j’ai conclu dans MTS que la question de la rigueur devait être analysée d’après la norme de la raisonnabilité, il est nécessaire de revenir aux premiers principes pour déterminer s’il reste des traces d’équité procédurale dans l’évaluation du critère de rigueur d’une enquête, étant donné la nature des arguments soulevés par le demandeur. L’arrêt Sketchley a traité cette question, et la Cour s’est finalement appuyée sur l’énoncé de principe formulé dans Slattery c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 CF 574. Je reproduis ci-dessous certains extraits de Sketchley :

5. L’équité procédurale dans le cadre de l’enquête de la Commission

[110] Le juge des requêtes a considéré l’examen de la plainte de l’intimée concernant DRHC comme une question d’équité procédurale et a statué que l’enquête sur la plainte n’était pas valable parce qu’elle manquait de rigueur; en effet, il a été jugé que l’enquêteur ne s’était pas « penché sur le fond de la plainte » (paragraphe 52) et que les « allégations graves » de l’intimée avaient été « rejetées du revers de la main » (paragraphe 58). […]

[112] Il est clair que, dans ses enquêtes sur des plaintes individuelles, la Commission a une obligation d’équité procédurale puisque la question de savoir « si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante » (SEPQA, à la page 27) ne peut être examinée si l’enquête est viciée à la base. […]

[113] En l’espèce, l’existence de l’obligation d’équité ne détermine pas les exigences qui s’appliqueront dans ce contexte puisque la notion d’équité procédurale est variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas (Baker, au paragraphe 21). Dans Baker, la juge L’Heureux-Dubé a dressé, aux paragraphes 22 à 28, une liste non exhaustive de facteurs à examiner pour déterminer le contenu de l’équité procédurale dans un contexte donné. La Cour suprême du Canada et cette Cour [2001 CanLII 17101 (CAF), [2000] 2 C.F. 592 (C.A.)] ont toutes deux confirmé ces facteurs dans Suresh et Canada (Procureur général) c. Fetherston, 2005 CAF 11 (CanLII), 2005 CAF 111, autorisation d’interjeter appel devant la CSC refusée, [2005] S.C.C.A. no 239.

[114] La question du contenu de l’obligation d’équité dans le contexte d’une décision de la Commission de rejeter une plainte a été examinée dans plusieurs affaires, plus particulièrement dans SEPQA, Radulesco c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 1984 CAnLII 120 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 407 (Radulesco), et Latif. En outre, le contenu de l’obligation, dans le contexte particulier d’une enquête entraînant un congédiement en vertu de l’alinéa 44(3)b), a fait l’objet d’un examen complet par la Cour fédérale du Canada dans Slattery, décision que la Cour a récemment qualifiée d’« arrêt‑clé à l’égard de cette question » (Tahmourpour, au paragraphe 8; voir également Singh, au paragraphe 4). Ces affaires ont toutes été tranchées avant que la Cour suprême ne résume et ne réaffirme dans Baker les règles de droit applicables en matière d’équité procédurale. Toutefois, la conclusion dans ces affaires quant au contenu de l’obligation dans ce contexte reste valide.

[115] Pour déterminer le degré de rigueur que devait avoir l’enquête en l’espèce, il faut appliquer les facteurs de l’arrêt Baker. Premièrement ,[…]

[120] Dans Slattery, le juge des requêtes a examiné le degré de rigueur requis pour que l’enquête satisfasse aux règles d’équité procédurale dans ce contexte. Il a souligné le « rôle essentiel que les enquêteurs sont appelés à jouer lorsqu’il s’agit de déterminer le bien-fondé de chaque plainte » (paragraphe 53) et les intérêts respectifs du plaignant, de l’intimé et de l’appareil administratif dans son ensemble (paragraphe 55). Il a conclu en ces termes :

Il faut faire montre de retenue judiciaire à l’égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n’est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, qu’un contrôle judiciaire s’impose [...]

[Non souligné dans l’original.]

[58]           Le dernier paragraphe de Slattery cité dans l’arrêt Sketchley décrit bien la nature de l’analyse visant à déterminer si une enquête répond aux exigences de rigueur. Ces caractéristiques correspondent aux décisions requérant l’application de la norme de la raisonnabilité décrite dans Dunsmuir.

[59]           Premièrement, il faut faire preuve de déférence à l’endroit du décideur. La déférence est bien sûr un élément distinctif de l’analyse liée à la raisonnabilité, contrairement au critère de la décision correcte, qui autorise généralement la Cour à substituer son opinion à celle du décideur administratif quant aux questions d’équité. Il est vrai que la Cour d’appel a récemment reconnu qu’il fallait faire preuve d’une certaine déférence pour définir les limites du caractère correct de la décision; voir Re : Sound c Fitness Industry Council of Canada, 2014 CAF 48, et l’arrêt Maritime Broadcasting, précité. Cependant, le contexte de ces décisions soulevait ce que je décrirais comme de véritables questions d’équité procédurale touchant la partialité ou l’absence de possibilité d’être entendu, et non le défaut d’examiner suffisamment une affaire ou des erreurs liées une enquête. En d’autres termes, la question de la norme de contrôle applicable ne se posait pas dans ces affaires.

[60]           Deuxièmement, il est évident que les enquêteurs jouissent d’un large pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la conduite des enquêtes. Compte tenu de la preuve et de renseignements déjà recueillis, faut-il approfondir tel ou tel point? Subsidiairement, l’enquêteur doit-il s’appuyer sur les renseignements obtenus ou ceux‑ci sont-ils dépourvus de pertinence? Inversement, l’enquêteur invoque-t-il un facteur sans importance qui compromet grandement le caractère raisonnable de la décision? L’enquêteur a-t-il correctement formulé les conclusions et recommandations? Les conclusions sont-elles justifiées et intelligibles? Sont-elles transparentes compte tenu de toutes les déclarations fournies par les témoins? Tous ces facteurs entrent en jeu dans l’analyse liée à la raisonnabilité et ne concernent pas la question de savoir si l’équité procédurale a été respectée.

[61]           Troisièmement, et contrairement à l’analyse relative à la décision correcte, lorsque la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité, le tribunal de révision se concentre sur la décision elle-même. C’est elle qui est le point de départ de l’analyse et qui doit être examinée ensuite au regard des renseignements obtenus ou non et de la manière dont les conclusions ont été formulées au regard de ces renseignements. Toutes les questions susmentionnées se rapportent à une analyse de la décision et des liens logiques entre les renseignements obtenus ou non et la manière dont ils sont présentés dans la décision au regard de ses conclusions.

[62]           Par ailleurs, l’équité concerne la procédure suivie pour permettre aux parties de prendre part au processus ou les qualités de neutralité du décideur. La décision en soi est dépourvue de pertinence. Elle sera infirmée sans égard à son bien-fondé, à moins qu’il ne soit futile de le faire en raison d’autres facteurs n’ayant rien à voir avec l’équité. C’est précisément parce que la décision n’importe pas lorsqu’il est question d’équité procédurale – c’est-à-dire qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à l’analyse délicate du caractère raisonnable de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire – que le tribunal de révision peut substituer son opinion à celle du décideur.

[63]           De plus, j’aime à penser que l’arrêt Dunsmuir avait pour objet d’éliminer une bonne part de la complexité excessive entourant toute la question de la norme de contrôle et du droit administratif en général. Introduire des concepts flous d’équité procédurale basés sur la teneur de l’obligation en question dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire censé être évalué selon son caractère raisonnable, ou inversement permettre à la déférence liée au critère de raisonnabilité de définir les limites du caractère correct reviendrait à s’éloigner des règles relativement claires établies dans Dunsmuir.

[64]           Si je puis me permettre une digression, je crois très fermement que les tribunaux devraient s’en tenir au principe de la simplicité dans la mesure du possible. Le problème de notre époque est l’accès à la justice. Nous devons rendre notre système juridique plus simple, plus facile à utiliser et donc plus accessible. Il est temps de revenir à des règles claires lorsque cela est possible, tout en assouplissant la prérogative de la Cour d’intervenir lorsque les intérêts de la justice l’exigent. Lorsque le juge Stratas évoque (dans Maritime Broadcasting, au paragraphe 51) la modification du cours du droit administratif canadien amené par Dunsmuir, j’estime que la grande contribution de cette décision est la reconnaissance implicite de la nécessité d’adhérer au principe de simplicité lorsque nous formulons nos maximes juridiques.

[65]           Par conséquent, je souscris à l’observation du défendeur, qui correspond d’ailleurs aux opinions que j’ai exprimées antérieurement dans la décision MTS, à savoir que la norme de contrôle en ce qui a trait à la rigueur d’une enquête est celle de la raisonnabilité, conformément à l’arrêt Dunsmuir.

B.                 La décision de la Commission de rejeter la plainte

[66]           Si l’on considère par ailleurs que l’arrêt Dunsmuir invite les cours de révision à adopter une approche plus pragmatique, et d’ailleurs plus conforme au sens commun, lors du contrôle de décisions administratives en attirant leur attention sur l’existence d’un éventail d’issues possibles acceptables, je dirais que cet arrêt propose une approche plus générale – regarder la forêt et non les arbres – comme point de départ de l’analyse d’une décision.

[67]           Je crois que les juges qui examinent la décision soumise au contrôle suivent d’emblée un tel processus. Considérant généralement l’ensemble des faits à la lumière de la question litigieuse centrale, de la nature des allégations, des fonctions de la Commission et de son enquêteur ainsi que des principaux arguments soulevés par le demandeur, le juge se demande si ces facteurs tendent à indiquer que la décision est suffisamment déraisonnable pour échapper aux issues possibles acceptables.

[68]           L’enjeu central de l’affaire dont je suis saisi est que l’enquêtrice a conclu qu’il n’existait aucun lien entre la prétendue discrimination qui aurait empêché le demandeur de réussir son programme de la COCIM et son origine ethnique roumaine.

[69]           Des personnes de toutes origines ethniques immigrent en très grand nombre au Canada, et ce pays a une importante histoire d’intégration réussie. Cela ne veut pas dire que la discrimination fondée sur l’origine ethnique n’existe pas, et des groupes ethniques en ont certainement été victimes. Cependant, on n’est pas en présence, dans la présente affaire, d’un schéma généralisé de discrimination de quelque ordre, présente ou passée, envers les membres d’un groupe connu. En ce qui concerne une plainte de discrimination visant les Forces canadiennes et ses officiers à la tête du programme de la COCIM en Ontario, la Cour n’est donc pas portée à être plus vigilante face à des antécédents de discrimination contre des Roumains, comme elle le serait en cas de distinction fondée sur la race, la religion ou le sexe.

[70]           Deuxièmement, une plainte liée à l’insuccès dans un environnement de travail compétitif est, au mieux, difficile à établir sans quelque preuve convaincante à l’appui. À vrai dire, tant de facteurs comptent pour obtenir un emploi dans le marché du travail actuel qu’il est difficile d’attribuer la cause de son insuccès à autrui plutôt qu’aux exigences du poste ou aux compétences, à l’expérience et au caractère du candidat, notamment dans les Forces armées canadiennes où les qualités de leadership et d’autres facteurs humains entrent en jeu.

[71]           En l’espèce, aucune preuve objective n’établit que l’origine ethnique du demandeur a joué le moindre rôle dans les traitements différents et non mérités dont il se plaint. Autrement dit, je ne décèle dans la preuve ni conduite ni commentaire ou inférence susceptible de lier le traitement dont il a fait l’objet à son origine ethnique. L’enquêtrice a fondé sa décision sur l’absence de lien entre son origine ethnique et le mauvais traitement qui lui aurait été réservé. La plupart des éléments de preuve présentés en l’espèce concernaient la différence de traitement liée à l’échec du demandeur à se faire admettre dans des programmes ou obtenir des affectations, ce qui est par définition une issue possible dans tous les milieux professionnels compétitifs. En dehors de ses propres sentiments subjectifs, aucun lien entre ces résultats et son origine ethnique n’a été démontré.

[72]           Les deux seuls éléments de preuve liés à l’origine ethnique sont un document du défendeur – la liste nominative des membres de la COCIM en Ontario – et l’affirmation selon laquelle il révélait que le défendeur prétendait à tort ne pas prendre note de l’origine ethnique.

[73]           La Commission connaissait manifestement ce document, notamment parce que le demandeur l’a présenté. Elle n’y a très justement vu aucune preuve susceptible de démontrer que l’origine ethnique avait joué un rôle dans la situation professionnelle du demandeur au sein de la COCIM. L’évaluation de la Commission selon laquelle l’existence de cette liste nominative a peu de valeur probante appelle la retenue, mais je tiens à mentionner que je suis d’accord avec cette évaluation.

[74]           Cette liste nominative est un document sommaire typique contenant le type de renseignements personnels qu’on s’attend à avoir sur les membres d’une organisation, comme les adresses domiciliaires, les numéros de téléphone et, dans le cas des personnes servant dans la COCIM, le pays de naissance. Ce sont des informations qui figurent habituellement sur de nombreux documents comme les passeports. Il n’y a rien de suspect à ce qu’une organisation qui envoie ses membres dans le monde entier dispose de renseignements sur leur pays de naissance.

[75]           Le document confirme aussi qu’il est extrêmement improbable que le demandeur ait été victime de discrimination parce qu’il est ethniquement un Européen de l’Est. Le document contient le nom d’une personne née aux Philippines qui fait partie de l’unité de douze membres de la COCIM de London, et rien n’indique que l’accès à l’instruction ou aux déploiements lui a été refusé. De plus, parmi les noms de membres de la COCIM dans tout l’Ontario, y figurent celui d’un individu né en Pologne et ceux de plusieurs autres nés à l’extérieur du Canada. La liste est muette sur l’origine ethnique des membres nés au Canada ou à l’extérieur du pays.

[76]           Par ailleurs, le fait que le document concerne des membres servant dans tout l’Ontario, et pas seulement l’unité de London, démonte la prétention voulant qu’il ait servi d’instrument de discrimination à l’encontre de la personne du demandeur à London.

[77]           Il convient aussi de noter que le demandeur n’a demandé le soutien d’aucun autre membre du programme d’origine ethnique étrangère ayant à se plaindre d’avoir été traité différemment en raison de son origine.

[78]           Il est particulièrement difficile de discerner une preuve prima facie de discrimination dans le cas de la COCIM. Cette organisation est chargée de déployer des soldats canadiens dans des collectivités étrangères dans l’espoir de gagner la sympathie des habitants ou leur allégeance aux causes défendues par les Forces canadiennes. La diversité culturelle et linguistique serait normalement un atout pour aider la COCIM dans la réalisation de ses objectifs.

[79]           En résumé, rien n’indique que l’information sur le lieu de naissance a eu une influence déterminante au regard de la discrimination alléguée. La présente plainte se rapporte à un environnement professionnel compétitif, et il n’y a tout simplement aucune preuve objective pour établir un lien entre le traitement différent et discriminatoire allégué et le motif illicite touchant l’origine ethnique roumaine du demandeur; par conséquent, la décision de ne pas donner suite à la plainte appartenait aux issues raisonnables et acceptables.

[80]           En dehors du fait qu’il n’a pas été démontré que l’origine ethnique a joué un rôle dans la présente affaire, très peu d’éléments tendent à indiquer que le demandeur n’a pas été traité équitablement sur la base du mérite parce qu’il a été rejeté des divers programmes auxquels il voulait s’inscrire.

[81]           Le demandeur oublie qu’il faisait partie d’un programme compétitif comportant plusieurs étapes de formation étalées sur trois ans, et qu’il a échoué à la première. Il avait un handicap en matière de compétitivité parce qu’il n’avait pas suivi le Cours sur les opérations de l’Armée de terre de réserve, ce qui le rendait moins qualifié que d’autres pour certains postes et déploiements sous l’égide de la COCIM. Sa performance dans le cadre d’une mission de rapatriement n’a pas été bonne, ce qui avait motivé les commentaires défavorables d’un superviseur externe au programme; il ne s’était pas non plus distingué lors d’une simulation de rôles de la COCIM pour les forces régulières.

[82]           J’estime que rien n’appuie l’allégation selon laquelle il a été injustement rejeté du « cours de capitaines », d’autant plus qu’il n’était que lieutenant. Il a été l’auteur de son propre échec initial en ne terminant pas le programme; il est difficile ensuite de reprocher aux autres de ne pas être revenu dans ce programme compétitif.

[83]           J’estime aussi que l’allégation selon laquelle le major Bindon l’a traité différemment pour un motif indu est infondée. Ce dernier a volontiers reconnu que le plaignant avait de nombreuses compétences civiles, mais a déclaré qu’il n’avait pas l’instruction militaire suffisante et donc qu’il n’était pas apte au déploiement, ce qui paraît raisonnable. Les exemples d’autres personnes ayant été déployées ont été expliqués par cette raison. Quoi qu’il en soit, la décision de déployer le demandeur a été prise par un comité d’officiers et non par le major Bindon.

[84]           Pour tous les motifs qui précèdent, je ne pense pas que l’enquête ait manqué de rigueur. La décision portant que la preuve était insuffisante pour conclure que le demandeur a été victime de discrimination et donc renvoyer l’affaire au TCDP était claire et précise et appartient aux issues acceptables et raisonnables

VI.             Conclusion

[85]           La demande est par conséquent rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

 

 

 

« Peter Annis »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :

T-2005-12

 

INTITULÉ :

ION DAVID c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                        LE 3 FÉVRIER 2014

 

MOTIFS DU 0UGEMENT
ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 14 AVRIL 2014

COMPARUTIONS :

Andrew Raven

Amanda Montague-Reinholdt

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Peter Nostbakken

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantye

& Yasbeck LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

pour le demandeur

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE défendeur

 

 

 

 

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