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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20140310

Dossier : T-17-13

Référence : 2014 CF 218

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa, Ontario, le 10 mars 2014

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

ROBERT BRAUNSCHWEIG

 

demandeur

et

 

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.          Introduction

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de révision judiciaire, présentée par Robert Braunschweig [le demandeur] en vertu de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC, 1985, c P-21 [la Loi], de la décision du 11 mai 2012 prise par le Service canadien du renseignement de sécurité [le SCRS], laquelle a été suivie de la décision du 16 novembre 2012 prise par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada [le CPVP]. Les auteurs de ces décisions confirmaient les conclusions du SCRS selon lesquelles les plaintes déposées par le demandeur n’étaient pas fondées. L’auteure de la lettre du SCRS refusait de donner accès aux renseignements figurant dans les fichiers de renseignements personnels [les FRP] SIS PPU 005 et SIS PPU 015 en la possession du Service canadien du renseignement de sécurité, et il ne confirmait ni ne niait l’existence de renseignements dans le fichier SIS PPU 045 [respectivement, FRP 005, FRP 015 et FRP 045]. À l’audience, l’avocat du défendeur a demandé que l’intitulé soit modifié de façon à mettre hors de cause le ministre de la Défense nationale puisqu’il n’est visé par aucun élément de preuve au dossier du demandeur. L’avocat du demandeur a accepté. Par conséquent, une ordonnance sera rendue en ce sens.

 

II.        Les faits et la décision visée par la révision

 

[2]               Le 16 avril 2012, le demandeur a demandé, en vertu de la Loi, que le SCRS communique des renseignements personnels le concernant qui sont détenus et contrôlés par le SCRS dans les FRP 005, 015 et 045. Dans une courte lettre datée du 11 mai 2012, Thérèse L. LeBlanc, chef de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels du SCRS, a donné suite à la demande présentée par le demandeur. Les conclusions de la lettre sont les suivantes. Premièrement, aucun renseignement personnel concernant le demandeur n’avait été trouvé dans le FRP 005. Deuxièmement, des renseignements personnels concernant le demandeur ont été trouvés dans le FRP 015, mais ces renseignements sont soustraits à la communication en vertu de la Loi. Troisièmement, le FRP 045 est un « fichier inconsultable » et, par conséquent, le SCRS a refusé de confirmer ou de nier l’existence de renseignements personnels concernant le demandeur. En outre, si ce FRP renfermait de tels renseignements, ceux-ci seraient soustraits à la communication.

 

[3]               Le 12 juillet 2012, le demandeur a déposé des plaintes au CPVP relativement à la réponse du SCRS à sa demande. Le CPVP a conclu que les plaintes n’étaient pas fondées.

 

[4]               La présente demande, déposée le 28 décembre 2012, concerne la révision judiciaire de la décision du SCRS de refuser de communiquer les renseignements personnels demandés par le demandeur.

 

[5]               Dans une ordonnance datée du 29 mai 2013 [l’ordonnance de confidentialité], le protonotaire Roger Lafrenière, responsable de la gestion de l’instance, a autorisé le défendeur à déposer, outre son affidavit public et un mémoire public des faits et du droit, un affidavit supplémentaire ainsi qu’un mémoire public des faits et du droit supplémentaire qui devaient être traités comme des documents secrets ne devant pas être communiqués au demandeur.

 

[6]               Une audience ex parte à huis clos a été tenue le 12 février 2014 pour permettre à la Cour de recevoir les renseignements personnels retenus par le SCRS concernant le demandeur et de les évaluer afin de déterminer si les exceptions invoquées s’appliquaient et, au besoin, d’examiner l’exercice du pouvoir discrétionnaire applicable ou l’évaluation du préjudice. Aucune observation n’a été présentée durant l’audience, mais les deux parties ont présenté des observations publiques à l’audience du 19 février 2014.

 

III.       L’enquête et la décision du CPVP

 

[7]               Le 16 novembre 2012, Sue Lajoie, directrice générale, Enquêtes – Loi sur la protection des renseignements personnels du CPVP a répondu au moyen d’une lettre aux plaintes du demandeur datées du 12 juillet 2012 concernant la réponse du SCRS à sa demande. Un Rapport de conclusions, joint à la lettre, exposait en détail les préoccupations et les conclusions se rapportant à chaque FRP. Dans le Rapport de conclusions, chaque exception applicable aux trois FRP était examinée, et le CPVP, après examen, a conclu que les plaintes n’étaient pas fondées.

 

[8]               En ce qui concerne le premier FRP ‑ le FRP 005 ‑, le CPVP a confirmé que le SCRS avait bien effectué sa recherche et que ce FRP ne renfermait effectivement aucun renseignement personnel concernant le demandeur. Quant au deuxième FRP ‑ le FRP 015 ‑, le CPVP a confirmé qu’il renfermait des renseignements personnels concernant le demandeur, mais il a ajouté que le SCRS avait satisfait aux exigences qui permettent de ne pas communiquer ces renseignements prévues à l’une ou plusieurs des dispositions de la Loi (paragraphe 19(1), article 21 et/ou alinéa 22(1)a) de la Loi). Enfin, à propos du troisième FRP ‑ le FRP 045 ‑, le CPVP a confirmé que le SCRS avait agi conformément aux dispositions de la Loi étant donné que ce FRP était déjà classé fichier inconsultable par le gouverneur en conseil conformément à l’article 18 de la Loi et que, de toute façon, s’il renfermait de tels documents personnels, ces documents pourraient vraisemblablement être soustraits à la communication en vertu de l’article 21 ou des alinéas 22(1)a) et/ou b) de la Loi.

 

[9]               Ainsi que je l’ai déjà souligné pour les besoins de la présente révision judiciaire et conformément à l’article 41 de la Loi, l’examen portera sur la décision du SCRS contenue dans la lettre datée du 11 mai 2012.

 

IV.       Observations du demandeur

 

[10]           Au début de ses observations, le demandeur établit une distinction entre les deux sortes d’exceptions qui figurent dans la Loi et dans la Loi sur l’accès à l’information, LRC, 1985, c A-1 [la LAI] : les exceptions fondées sur la qualification et celles fondées sur le préjudice.

 

[11]           La seule exception fondée sur la qualification invoquée par le SCRS est celle que prévoit le paragraphe 19(1) de la Loi concernant les renseignements obtenus à titre confidentiel d’organismes gouvernementaux. Toutefois, suivant le paragraphe 19(2) de la Loi, il est possible de ne pas appliquer cette exception si l’organisme gouvernemental tiers en question consent à la communication des renseignements. Selon la jurisprudence de la Cour, le paragraphe 19(2) de la Loi impose au défendeur l’obligation de demander à l’organisme ayant fourni les renseignements de renoncer à leur caractère confidentiel afin de veiller à ce que l’organisme ne consente pas à la communication des renseignements de cette nature. Or, rien dans la présente affaire n’indique que le SCRS a tenté d’obtenir une telle renonciation. En outre, même si la non-communication est établie prima facie, il faut « pondérer les intérêts opposés » pour établir si l’intérêt du tiers dans la non-communication des documents l’emporte sur l’intérêt raisonnable du demandeur en faveur de la communication.

 

[12]           Par conséquent, lorsqu’une seule exception est fondée sur la qualification, toutes les autres exceptions sont fondées sur le préjudice. Les exceptions invoquées en vertu de l’article 21 et du paragraphe 22(1) ont trait aux renseignements risquant vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales et à la défense ainsi qu’aux enquêtes. À cet égard, selon la jurisprudence, il doit y avoir « entre la divulgation d’une information donnée et le préjudice allégué un lien clair et direct ». Il doit y avoir une attente raisonnable de préjudice probable et il ne suffit pas de simplement supposer l’existence d’un préjudice. Il incombait au SCRS de fournir une raison suffisante pour invoquer les exceptions visées à l’article 21 et au paragraphe 22(1) de la Loi, mais il ne l’a pas fait. Le SCRS n’a pas non plus pondéré l’intérêt militant en faveur de la non-communication et l’intérêt du demandeur dans la communication des documents le concernant.

 

[13]           En outre, le refus de confirmer ou de nier l’existence de renseignements personnels concernant l’appelant dans le FRP 045 après la confirmation de l’existence de renseignements dans le FRP 015 est à la fois incohérent et déraisonnable. Étant donné que le SCRS est visiblement d’avis, selon l’affidavit de son employée Nicole Jalbert, que le demandeur est une personne dont les « activités sont soupçonnées de constituer une menace envers la sécurité du Canada », il est raisonnable de tenir pour acquis que le FRP 045 renferme effectivement des renseignements concernant le demandeur.

 

[14]           Le demandeur termine en affirmant que, si la Cour conclut à l’existence d’une préoccupation valable à l’égard de certains renseignements, il y aurait lieu que la Cour reconnaisse des exceptions à la communication en autorisant le prélèvement de parties de documents afin de permettre la communication du plus grand nombre possible de renseignements au demandeur. En l’espèce, le SCRS n’a pas fait raisonnablement fait ce qu’il pouvait pour communiquer au moins des parties de l’information au demandeur.

 

V.        Observations du défendeur

 

[15]           Le défendeur soutient que les décisions du SCRS étaient raisonnables en ce qui concerne les trois FRP. Le demandeur n’a présenté aucun argument à propos du FRP 005 et du fait que le SCRS n’a trouvé aucun renseignement personnel le concernant dans ce fichier. Quoi qu’il en soit, rien au dossier n’indique que de tels renseignements existent dans ce FRP ou que le SCRS n’a pas convenablement effectué sa recherche.

 

[16]           Il était également raisonnable pour le SCRS de refuser de confirmer ou de nier l’existence de renseignements personnels concernant le demandeur dans le FRP 045. Il est bien établi qu’une institution fédérale peut ou non adopter la politique de ne pas confirmer et de ne pas nier l’existence de renseignements dans un FRP, et la Cour a déjà conclu qu’il était raisonnable pour le SCRS d’adopter ce genre de politique, laquelle s’applique au FRP 045. De même, le SCRS a adopté cette politique indépendamment de toute conclusion qui pourrait être tirée. La décision est donc raisonnable ‑ même si le demandeur est d’avis contraire ‑ parce qu’il était possible de conclure, d’après l’existence de renseignements personnels dans le FRP 015, que le FRP 045 renfermait également de tels renseignements. Ces deux FRP ne renferment pas la même sorte de renseignements.

 

[17]           De plus, il était raisonnable que le SCRS invoque les paragraphes 19, 21 et 22 de la Loi pour justifier la non-communication de renseignements. Contrairement à ce qu’a fait valoir le demandeur, l’exception discrétionnaire prévue à l’alinéa 22(1)a) ‑ par opposition à celle que prévoit l’alinéa 22(1)b) de la Loi ‑, est fondée sur la qualification et non sur le préjudice. Le SCRS n’a donc pas à prouver que la communication des renseignements personnels demandés risquerait vraisemblablement de nuire à l’application de la loi ou aux enquêtes licites. Le SCRS doit plutôt convaincre la Cour que les renseignements demandés sont visés par l’exception décrite au sous-alinéa 22(1)a)(iii), et c’est le cas en l’espèce. Après avoir décidé que ces renseignements relevaient du sous-alinéa 22(1)a)(iii), le SCRS a examiné s’il devait exercer son pouvoir discrétionnaire, mais a décidé en fin de compte de ne pas communiquer les renseignements afin de protéger les enquêtes ayant trait aux activités soupçonnées de constituer des menaces envers la sécurité du Canada. Cette décision est raisonnable, car elle satisfait aux critères établis par la jurisprudence (c’est-à-dire que les renseignements provenaient d’un organisme d’enquête particulier, qu’ils correspondaient à la description donnée à l’alinéa 22(1)a) et qu’ils remontaient à moins de 20 ans). Pour ce qui est de la pondération des intérêts publics et privés, les articles 8 et 26 de la Loi exigent un tel exercice, mais ces deux dispositions ne sont pas pertinentes en l’espèce puisque le SCRS ne les invoque pas.

 

[18]           Le SCRS a également invoqué l’article 21, lequel donne lieu à une exception discrétionnaire empêchant la communication de renseignements personnels qui risquent vraisemblablement de nuire à la conduite des affaires internationales et à la défense. À cet égard, la Cour a déjà mentionné que si la communication de certaines parties de l’information dans une affaire donnée peut sembler frivole, la communication régulière de tous les éléments d’information pourrait constituer une menace pour les activités du SCRS.

 

[19]           S’agissant de l’exception prévue à l’article 19 invoquée par le SCRS, il s’agit d’une exception obligatoire fondée sur la qualification. Les renseignements demandés étant visés par les descriptions prévues au paragraphe 19(1) de la Loi, le SCRS avait l’obligation de ne pas communiquer les renseignements vu l’absence du consentement du tiers. Le SCRS n’est pas tenu d’obtenir un consentement dans chaque cas si l’organisme gouvernemental agit dans les limites des protocoles établis qui respectent l’esprit de la Loi.

 

VI.       Réponse du demandeur

 

[20]           Dans sa réponse, le demandeur fait valoir que le défendeur a mal interprété l’ordonnance de confidentialité, car il allègue que le demandeur devrait recevoir une version du document duquel les renseignements confidentiels sont expurgés ou supprimés. Le défendeur n’avait pas le droit de présenter deux mémoires distincts.

 

[21]           Concernant le FRP 005, il incombe au défendeur d’établir qu’une recherche appropriée a été effectuée, peu importe si le demandeur a présenté des arguments.

 

[22]           S’agissant de la conclusion selon laquelle le PRF 045 renferme des renseignements personnels concernant le demandeur parce que le PRF 015 en renferme, précisons que le défendeur a expressément refusé la communication de renseignements contenus dans le PRF 015 parce qu’ils avaient été obtenus ou préparés dans le cadre d’une enquête ayant trait « aux activités soupçonnées de constituer des menaces envers la sécurité du Canada au sens de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité ». Le FRP 045 renferme des « renseignements personnels concernant des individus identifiables dont les activités sont soupçonnées de constituer une menace envers la sécurité du Canada ». Par conséquent, dans la présente affaire, le défendeur a déjà confirmé l’existence de renseignements personnels dans le FRP 045.

 

[23]           Par ailleurs, le demandeur rappelle à la Cour que l’exception prévue à l’alinéa 22(1)a) de la Loi est assujettie à la même norme de la décision raisonnable que celle que prévoit l’alinéa 22(1)b) de la Loi. Ces deux exceptions sont de nature discrétionnaire et, tandis que l’exception prévue à l’alinéa 22(1)a) de la Loi est effectivement limitée, elle n’exige pas un plus grand devoir de réserve quant à la non-communication déraisonnable.

 

[24]           Le demandeur soutient également que le SCRS doit réexaminer sa demande si les fichiers en question remontent à plus de 20 ans à la date de l’audience. Si les fichiers en l’espèce ont plus de 20 ans, le SCRS devrait procéder à un deuxième examen sans invoquer l’alinéa 22(1)a).

 

[25]           Quant à l’argument du défendeur selon lequel la pondération des intérêts opposés ne s’applique pas en l’espèce, le demandeur ajoute que cette pondération ne se limite pas aux articles 8 et 26 de la Loi.

 

[26]           S’agissant du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 21 de la Loi, le défendeur n’a pas expliqué en quoi la communication de renseignements apparemment sans importance dans le cas présent pourrait menacer l’intégrité des activités du SCRS.

 

[27]           Le demandeur soutient de plus que le défendeur n’a pas démontré qu’il avait demandé une renonciation préalable au consentement visé au paragraphe 19(2) de la Loi. Si le défendeur n’était pas tenu de demander une telle renonciation, le paragraphe 19(2) serait dépourvu de tout sens.

 

VII.     Question en litige

 

[28]           La Cour doit décider si le SCRS a eu tort de refuser de donner au demandeur l’accès aux renseignements personnels le concernant, plus précisément :

 

            1.  Le SCRS a-t-il commis eu tort d’informer le demandeur qu’il n’y avait pas de                            renseignements personnels le concernant dans le FRP 005?

 

            2.  Le SCRS a-t-il eu tort de refuser de confirmer ou de nier l’existence de                         renseignements personnels concernant le demandeur dans le FRP 045?

 

3.    Le SCRS a-t-il eu tort de refuser de communiquer les renseignements personnels concernant le demandeur dans le FRP 015?

 

VIII.    Norme de contrôle et fardeau de preuve

 

[29]           Lorsque la Cour est appelée à examiner la décision d’une institution fédérale de ne pas communiquer de renseignements personnels, elle doit effectuer un processus en deux étapes. Elle doit d’abord décider si les renseignements sollicités correspondent à la description de renseignement assujetti à une exception visée par la disposition de la Loi qui s’applique : cette première étape est susceptible de révision suivant la norme de la décision correcte. Si la décision est jugée correcte, la Cour doit décider si l’institution fédérale a exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas communiquer les renseignements en question. La norme de la décision raisonnable s’applique à cette deuxième étape du processus (Barta c Canada (Procureur général), 2006 CF 1152, [2006] A.C.F. no 1450, aux paragraphes 14 et 15; voir également Leahy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 227, [2012] A.C.F. no 1158, aux paragraphes 96 à 100). Si une évaluation du préjudice est requise, comme c’est le cas pour l’article 21 de la Loi, la norme de la décision raisonnable s’applique.

 

[30]           Les deux parties conviennent que l’article 47 de la Loi indique clairement que le fardeau de preuve repose sur l’institution fédérale. Par conséquent, l’institution ‑ le SCRS dans la présente affaire ‑ doit prouver la légitimité de sa décision de ne pas communiquer les documents demandés.

 

IX.       Analyse

 

[31]           Avant d’analyse les trois questions en litige en l’espèce, il conviendrait de présenter les faits de l’affaire et le droit applicable. J’expliquerai dans les paragraphes qui suivent la nature des différentes exceptions prévues par la Loi ainsi que la nature des renseignements contenus dans les trois FRP en litige.

 

            Fichiers de renseignements personnels

 

[32]           Le cas présent renvoie également à trois FRP différents établis sur le fondement de l’article 10 de la Loi qui renferment des renseignements personnels de nature différente que le demandeur cherche à obtenir. Voici une brève description, qui se retrouve sur le site Web du SCRS, de la nature des renseignements susceptibles de figurer dans ces FRP :

 

SIS PPU 005 – Évaluation de sécurité/Avis

Ce fichier renferme des renseignements personnels sur les personnes qui font ou qui ont fait l’objet d’une demande d’évaluation de sécurité avant ou pendant leur emploi au sein d’un ministère ou d’un organisme fédéral ou provincial ou d’une entreprise privée qui travaille à contrat pour le gouvernement fédéral, provincial ou un de ses organismes, lorsqu’une autorisation sécuritaire est une condition d’emploi. […]

 

SIS PPU 015 – Dossiers du Service canadien du renseignement de sécurité

Ce fichier renferme des renseignements sur des personnes qui ont attiré l’attention de l’ancien Service de sécurité de la GRC dans l’exercice de ses responsabilités, lesquelles lui imposaient d’informer le gouvernement sur des sujets de préoccupations liés à la sécurité nationale. Ce fichier peut également renfermer des renseignements sur des personnes qui ont attiré par hasard l’attention du SCRS pendant qu’il s’acquittait du mandat qui lui est confié à l’article 12 et/ou l’article 16 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité […]

 

SIS PPU 045 – Fichier des dossiers d’enquête du Service canadien du renseignement de sécurité

Ce fichier renferme des renseignements personnels sur : des personnes identifiables dont les activités sont soupçonnées de constituer une menace envers la sécurité du Canada; des personnes identifiables qui sont ou étaient traitées comme sources confidentielles d’information; des personnes identifiables qui ne font plus l’objet d’une enquête du SCRS mais dont les activités ont constitué une menace envers la sécurité du Canada, et qui satisfont encore aux critères de collecte énoncés à l’article 12 de la Loi sur le SCRS; des personnes identifiables faisant l’objet d’une enquête reliée à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou de tout autre pays allié ou associé, ou encore, à la détection, à la prévention ou à la suppression d’activités subversives ou adverses. (https://www.csis-scrs.gc.ca/tp/nfsrc-fr.php)

 

            Exceptions prévues par la Loi

 

[33]           La Loi et la LAI prévoient deux sortes d’exceptions à la communication : les exceptions fondées sur la qualification et celles fondées sur le préjudice. La Cour a résumé la distinction entre les deux catégories dans l’arrêt Bronskill c Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2011 CF 983, [2011] A.C.F. no 1199, au paragraphe 13 :

 

[13]     Les exceptions énoncées dans la Loi doivent être examinées sous deux angles par la cour siégeant en révision. Premièrement, les exceptions à la Loi sont fondées soit sur le préjudice, soit sur la catégorie. Les exemptions fondées sur la catégorie sont généralement invoquées lorsque la nature de la documentation sollicitée est intrinsèquement confidentielle. À titre d’exemple, l’exemption prévue à l’article 13 concerne les renseignements obtenus des gouvernements étrangers et est, de par sa nature, une exception fondée sur la catégorie. Les exceptions fondées sur le préjudice exigent que le décideur analyse la question de savoir si la communication des renseignements pourrait aller à l’encontre des intérêts exposés dans l’exception. L’article 15 est une exception fondée sur le préjudice : le responsable d’une institution fédérale doit examiner la question de savoir si la communication de l’information « risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada ou à la détection, à la prévention ou à la répression d’activités hostiles ou subversives ».

 

[34]           De plus, les exceptions prévues par la Loi et la LAI sont obligatoires ou discrétionnaires, selon le libellé de la disposition créant l’exception – le gouvernement « est tenu de refuser la communication » ou « peut refuser la communication ». Ainsi, d’après la disposition invoquée, le gouvernement peut avoir l’obligation d’appliquer l’exception ou peut, à sa discrétion, décider ou non de l’appliquer.

 

[35]           En l’espèce, le SCRS invoque différentes exceptions prévues aux articles 19, 21 et 22 de la Loi, chacune sera examinée durant l’analyse de la question en litige particulière à laquelle elle se rapporte. La Cour a eu accès sans restriction aux renseignements non communiqués durant l’audience ex parte tenue à huis clos le 12 février 2014. Elle a entendu les questions et les réponses échangées entre l’auteure de l’affidavit et l’avocat du défendeur, mais la Cour a également posé des questions précises auxquelles le témoin a répondu.

 

            Questions préliminaires

[36]           Dans sa réponse, le demandeur affirme que le défendeur n’a pas respecté l’ordonnance de confidentialité rendue par le protonotaire Lafrenière le 29 mai 2013. Le demandeur est d’avis que l’ordonnance de confidentialité autorise la communication du mémoire confidentiel des faits et du droit dont certains passages sont caviardés, le cas échéant.

[37]           L’ordonnance de confidentialité autorise la présentation de deux ensembles de documents : a) un affidavit public du déposant du SCRS et un mémoire public des faits et du droit; b) un affidavit confidentiel à produire dans une enveloppe scellée portant la mention « confidentiel » ainsi qu’un mémoire confidentiel des faits et du droit.

 

[38]           Le défendeur s’est conformé à l’ordonnance de confidentialité en présentant les documents confidentiels de la manière requise et en produisant également l’affidavit public et le mémoire public des faits et du droit. Ces derniers documents sont les documents confidentiels présentés dont certains passages ont été caviardés.

 

[39]           En ce qui concerne une autre question examinée lors de l’audience, l’avocat du demandeur n’a pas débattu avec insistance, concernant le FRP 005, que la recherche n’a pas été menée de façon exhaustive. Je n’examinerai pas cet argument en détail, mais il est important que ces points soient mis au clair dans l’intérêt du demandeur. J’en ferai donc un bref examen.

 

[40]           Comme je l’ai indiqué précédemment, la Cour a examiné tous les renseignements importants et entendu les observations écrites et celles présentées de vive voix sur les questions de droit. J’en conclus, comme nous le verrons, que le défendeur invoque à raison les exceptions. J’ai également examiné, lorsque nécessaire, le pouvoir discrétionnaire ou l’évaluation du préjudice à effectuer et je conclus qu’il avait été exercé raisonnablement ou que l’évaluation du préjudice était raisonnable. Pour en venir à cette conclusion à deux volets, je me suis appuyé sur la preuve présentée à l’audience ex parte tenue à huis clos ainsi que sur la preuve publique présentée par les deux parties et les observations présentées. J’analyserai maintenant les questions en litige.

 

 

            A. Le SCRS a-t-il eu tort d’informer le demandeur qu’il n’y avait pas de                              renseignements personnels le concernant dans le FRP 005?

 

[41]           Dans son affidavit sous serment, Nicole Jalbert explique que ce FRP a fait l’objet d’une recherche minutieuse concernant le demandeur. Nicole Jalbert a également témoigné à cet égard devant le tribunal au cours de l’audience ex parte tenue à huis clos le 12 février 2014. Aucune exception n’a été invoquée relativement à ce FRP, puisqu’aucune n’était nécessaire. En outre, comme l’a fait valoir à juste titre le défendeur, le CPVP a également fait enquête à cet égard et a confirmé, au bout du compte, que le SCRS a effectué une recherche appropriée dans le FRP 005.

 

[42]           La Cour est donc convaincue que la preuve démontre que les décisions prises par l’institution qui ont précédé la conclusion selon laquelle le FRP susmentionné ne renfermait aucun renseignement personnel concernant le demandeur sont fondées sur les faits.

 

            B. Le SCRS a-t-il eu tort de refuser de confirmer ou de nier l’existence de                            renseignements personnels concernant le demandeur dans le FRP 045?

 

[43]           L’article 18 de la Loi autorise le gouverneur en conseil à classer parmi les FRP « inconsultables » ceux qui sont formés de dossiers dans lesquels dominent les renseignements personnels visés aux articles 21 ou 22 de la Loi.

 

Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC (1985), c P-21

 

EXCEPTIONS

 

Fichiers inconsultables

 

Fichiers inconsultables

 

 

18. (1) Le gouverneur en conseil peut, par décret, classer parmi les fichiers de renseignements personnels inconsultables, dénommés fichiers inconsultables dans la présente loi, ceux qui sont formés de dossiers dans chacun desquels dominent les renseignements visés aux articles 21 ou 22.

 

Autorisation de refuser

 

(2) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui sont versés dans des fichiers inconsultables.

 

 

[…]

 

Privacy Act, RSC, 1985, c P-21

 

 

 

EXEMPTIONS

 

Exempt Banks

 

Governor in Council may designate exempt banks

 

18. (1) The Governor in Council may, by order, designate as exempt banks certain personal information banks that contain files all of which consist predominantly of personal information described in section 21 or 22.

 

 

 

 

Disclosure may be refused

 

(2) The head of a government institution may refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1) that is contained in a personal information bank designated as an exempt bank under subsection (1).

 

[…]

 

[44]           Or, c’est le cas en l’espèce. Le gouverneur en conseil a classé, par décret, le FRP 045 parmi les fichiers inconsultables puisqu’il est formé de dossiers « dans chacun desquels dominent les renseignements visés aux articles 21 ou 22 » de la Loi (voir le Décret no 14 sur les fichiers de renseignements personnels inconsultables (SCRS) (DORS/92-688). Étant donné que ce FRP est principalement constitué de renseignements sensibles touchant la sécurité nationale, le SRCS s’est donné comme politique de refuser de confirmer ou de nier l’existence de tels renseignements dans ce FRP parce que, dans certaines circonstances – celles relatives au FRP 045 – le simple fait de reconnaître que le SCRS détient, en fait, ou, au contraire, ne détient pas de renseignements sur un particulier pourrait menacer les activités et les enquêtes du SCRS.

 

[45]           Ce genre de politique, selon laquelle le SCRS refuse de confirmer ou de nier l’existence des renseignements dans ces fichiers inconsultables, a déjà été examinée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ruby c Canada (Solliciteur général), [2000] 3 CF 589, [2000] ACF no 779 (CAF), aux paragraphes 45 à 73, infirmé pour d’autres motifs dans 2002 CSC 75, [2002] ACS no 73 [Ruby], où la Cour avait conclu au caractère raisonnable de cette décision. S’appuyant sur les conclusions tirées dans l’arrêt Ruby, précité, notre Cour a d’ailleurs statué, dans le jugement Cemerlic c Canada (Solliciteur général), 2003 CFPI 133, [2003] FCJ no 191, aux paragraphes 44 et 45 [Cemerlic], que cette politique, dans les parties qui s’appliquent précisément au FRP 045, est raisonnable suivant le paragraphe 16(2) de la Loi :

 

[44]     Dans Ruby, la Cour d’appel fédérale a statué que le paragraphe 16(2) autorisait une institution fédérale à adopter une politique consistant à refuser de confirmer ou de nier l’existence de renseignements dans un fichier de renseignements personnels. L’application d’une politique de ce genre en vertu du paragraphe 16(2) suppose l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par l’institution fédérale. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé d’une manière raisonnable compte tenu des circonstances de l’espèce : voir Ruby (C.A.F.), par. 65-66. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a jugé que le ministère des Affaires extérieures avait agi de manière raisonnable en adoptant une telle politique parce que, « [é]tant donné la nature du fichier en question, la simple divulgation de l’existence ou de l’inexistence des renseignements est en soi une communication : à savoir si le demandeur fait l’objet d’une enquête » (par. 65).

 

[45]     Le fichier 045 contient des renseignements sur des personnes qui font ou ont fait l’objet d’une enquête du SCRS parce qu’elles étaient soupçonnées d’avoir participé à des activités qui constituaient une menace pour la sécurité du Canada. Tout comme dans le cas considéré dans Ruby (C.A.F.), si le SCRS révélait à un demandeur l’existence ou l’inexistence de renseignements dans le fichier 045, il l’informerait en fait de toute activité d’enquête le concernant. Vu ces circonstances, la Cour a conclu qu’il était raisonnable que le SCRS applique une politique uniforme consistant à refuser de confirmer ou de nier l’existence de renseignements dans le fichier 045. Même un juge de la Cour ne pourrait obtenir du SCRS la confirmation qu’il fait ou non l’objet d’une enquête à ce chapitre.

 

[46]           La Cour a fait sienne cette conclusion (voir par exemple Westerhaug c Canada (Service canadien du renseignement de sécurité), 2009 CF 321, [2009] ACF no 414, aux paragraphes 16 à 21).

 

[47]           Par ailleurs, le demandeur affirme que le FRP 045 contient sûrement des renseignements personnels le concernant parce que l’institution a déjà confirmé l’existence de tels documents dans le FRP 015. Par conséquent, étant donné que certains renseignements se trouvaient dans ce dernier fichier, il était déraisonnable que l’institution refuse de nier ou de confirmer l’existence de renseignements dans le premier fichier. Cet argument est dénué de toute logique puisque ces deux FRP ne renferment pas la même sorte de renseignements. Le FRP 045 renferme des renseignements concernant des personnes faisant l’objet d’une enquête du SCRS, tandis que le FRP 015 renferme des renseignements sur des personnes « qui ont attiré l’attention de l’ancien Service de sécurité de la GRC ». Les personnes visées dans le FRP 015 ne font pas forcément l’objet d’une enquête du SCRS. La conclusion du demandeur est erronée et n’est pas justifiée en l’espèce.

 

[48]           En conséquence, la Cour conclut qu’il était raisonnable que l’institution refuse de confirmer ou de nier l’existence de renseignements personnels concernant le demandeur dans le FRP 045.

 

[49]           Un dernier mot sur cette question. Supposons, sans confirmer ou nier quoi que ce soit relativement à ce FRP, mais simplement à titre hypothétique, que le FRP 045 contiendrait des renseignements concernant le demandeur. La Cour ferait dans ce cas le même genre d’examen que de tels renseignements requièrent et se demanderait si les exceptions invoquées ont les attributs d’une décision correcte et, s’il y a lieu, si l’exercice du pouvoir discrétionnaire ou l’évaluation du préjudice possède les attributs de la raisonnabilité.

 

 

C.  Le SCRS a-t-il eu tort de refuser de communiquer les renseignements personnels concernant le demandeur dans le FRP 015?

 

 

[50]           L’institution a confirmé que certains renseignements personnels concernant le demandeur se trouvaient effectivement dans le FRP 015, mais elle a refusé de les communiquer en invoquant les exceptions prévues aux paragraphes 19, 21 et 22 de la Loi.

 

[51]           En fait, la Cour estime qu’une seule de ces exceptions suffit à justifier la non-communication des renseignements personnels détenus par le SCRS concernant le demandeur, notamment le sous-alinéa 22(1)a)(iii) de la Loi, lequel dispose :

 

Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC (1985), c P-21

 

EXCEPTIONS

 

[…]

 

Responsabilités de l’État

 

 

[…]

 

Enquêtes

 

 

 

22. (1) Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) :

 

 

a) soit qui remontent à moins de vingt ans lors de la demande et qui ont été obtenus ou préparés par une institution fédérale, ou par une subdivision d’une institution, qui constitue un organisme d’enquête déterminé par règlement, au cours d’enquêtes licites ayant trait :

 

(i) à la détection, la prévention et la répression du crime,

 

(ii) aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales,

 

(iii) aux activités soupçonnées de constituer des menaces envers la sécurité du Canada au sens de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité;

 

 

 

 

 

[…]

Privacy Act, RSC, 1985, c P-21

 

 

 

EXEMPTIONS

 

[…]

 

Responsibilities of Government

 

[…]

 

Law enforcement and investigation

 

 

22. (1) The head of a government institution may refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1)

 

 

(a) that was obtained or prepared by any government institution, or part of any government institution, that is an investigative body specified in the regulations in the course of lawful investigations pertaining to

 

 

 

 

(i) the detection, prevention or suppression of crime,

 

 

(ii) the enforcement of any law of Canada or a province, or

 

(iii) activities suspected of constituting threats to the security of Canada within the meaning of the Canadian Security Intelligence Service Act,

 

if the information came into existence less than twenty years prior to the request;

 

[…]

 

[52]           Cette disposition énonce une exception discrétionnaire fondée sur la qualification qui autorise une institution fédérale à refuser la communication de renseignements personnels obtenus par un organisme d’enquête dans le cadre d’une enquête si les renseignements en question remontent à moins de 20 ans avant la date à laquelle le demandeur les a sollicités. Étant donné que cette exception est fondée sur la qualification, le défendeur n’avait pas à établir que la communication des renseignements demandés risquerait vraisemblablement de nuire à l’application de la loi ou aux enquêtes licites. Il devait plutôt établir que lesdits renseignements correspondaient à la description de l’exception visée au sous-alinéa 22(1)(a)(iii) et que le pouvoir discrétionnaire a été exercé comme il se doit.

 

[53]           C’est pourquoi, comme je l’ai indiqué ci-dessus, la Cour a tenu une audience ex parte à huis clos le 12 février 2014, et elle a pu apprécier la nature et la teneur des renseignements personnels dont le demandeur a demandé la communication et dont le SCRS a ensuite refusé la communication. À la suite de cette audience, la Cour estime sans hésiter que ces renseignements remontent à moins de 20 ans et qu’ils sont directement visés par le sous-alinéa 22(1)a)(iii) de la Loi. En effet, le SCRS est un « organisme d’enquête » aux fins du sous-alinéa 22(1)a)(iii) puisqu’il est énuméré, suivant le paragraphe 5b) du Règlement sur la protection des renseignements personnels, DORS/83-508 [le Règlement sur la protection des renseignements personnels], à l’annexe III de ce Règlement. De plus, la Cour était convaincue que les renseignements ont été obtenus au cours d’une enquête licite et qu’ils étaient soupçonnés de constituer une menace envers la sécurité du Canada au sens de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, LRC, 1985, c C‑23. En outre, dans ses affidavits confidentiel et public et au cours de son témoignage, Nicole Jalbert, auteure de l’affidavit produit pour le compte du défendeur, a convaincu la Cour qu’elle avait exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable, comme le prévoit la jurisprudence (voir par exemple Ruby c Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2004 CF 594, [2004] A.C.F. no 783, aux paragraphes 21 à 25; Fuda c Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2003 CFPI 234, [2003] A.C.F. no 314, au paragraphe 26). La Cour est d’avis que le pouvoir discrétionnaire a été exercé aux fins pour lesquelles il était prévu, et qu’il n’y a absolument rien qui démontre que le décideur aurait agi de mauvaise foi.

 

[54]           Cette exception est en soi tout à fait suffisante pour justifier la non-communication des renseignements personnels concernant le demandeur qui se trouvent dans le FRP 015 puisque la totalité du contenu des renseignements personnels détenus par le SCRS est visée dans la description du sous-alinéa 22(1)a)(iii) de la Loi.

 

[55]           Le défendeur invoque néanmoins d’autres exceptions qui, bien qu’elles soient inutiles, contribuent toutes au caractère raisonnable des actes du SCRS, notamment les articles 19 et  21 de la Loi. La Cour n’a pas à examiner ces exceptions plus en détail. Toutefois, j’ajouterai ce qui suit à ce sujet. S’agissant de l’exception prévue au paragraphe 19(1) de la Loi, le demandeur soutient que le SCRS avait l’obligation de demander au tiers qui possédait les renseignements de renoncer à leur caractère confidentiel afin de veiller à ce qu’il ne consente pas à la communication des renseignements. La Cour a entendu la preuve à cet égard durant l’audience ex parte tenue à huis clos, et l’explication fournie l’a convaincue. Afin de faciliter l’examen judiciaire à l’avenir, le SCRS s’acquitterait mieux des obligations que la loi lui impose en ce qui concerne les renseignements qu’il obtient auprès de tiers s’il pouvait élaborer un protocole décrivant clairement l’approche à adopter, les mises en garde éventuelles et les étapes à suivre. Il serait ensuite possible de se reporter à ce protocole pour expliquer éventuellement les responsabilités qui s’imposent dans un tel cas.

 

[56]           Je fais aussi une brève remarque sur l’exception invoquée relativement aux affaires internationales et à la défense prévue à l’article 21. Il s’agit d’une exception discrétionnaire exigeant l’évaluation du préjudice. Elle porte sur les préoccupations relatives à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada ou à ses efforts de détection, de prévention ou de répression d’activités hostiles ou subversives. Cette exception voulue par le législateur vise, en partie, la relation du Canada avec des pays amis ou associés et à l’incidence sur cette relation si les renseignements sont communiqués. Une autre partie se rapporte au rôle opérationnel du SCRS en vue de protéger les Canadiens et les pays amis ou associés contre des activités hostiles ou subversives. Sans vouloir limiter le rôle du système judiciaire au moment d’évaluer le préjudice causé par le SCRS dans de tels cas, la Cour doit faire preuve d’une certaine réserve au moment de statuer sur le caractère raisonnable du préjudice évalué. Cela dit, la Cour doit s’assurer que l’explication qui fait suite à l’évaluation du préjudice, si la communication a lieu, est sérieuse, approfondie, professionnelle et fondée sur des faits.

 

[57]           Enfin, le demandeur fait valoir l’argument selon lequel le SCRS aurait dû pondérer les intérêts opposés pour décider si l’intérêt du tiers dans la non-communication des documents l’emporte sur l’intérêt raisonnable du demandeur en faveur de la communication. Or, comme l’a affirmé à juste titre le défendeur, cet exercice de pondération est nécessaire uniquement si les articles 8 et 26 de la Loi sont en cause, comme le prescrit l’alinéa 8(2)m) de la Loi ci-dessous :

 

Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC (1985), c P-21

 

PROTECTION DES RENSEIGNEMENTS PERSONNELS

 

8. […]

 

Communication des renseignements personnels

 

(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants :

 

[…]

 

m) communication à toute autre fin dans les cas où, de l’avis du responsable de l’institution :

 

(i) des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée,

 

(ii) l’individu concerné en tirerait un avantage certain.

 

 

[…]

 

[Non souligné dans l’original.]

Privacy Act, RSC, 1985, c P-21

 

 

 

PROTECTION OF PERSONAL INFORMATION

 

8. […]

 

Where personal information may be disclosed

 

(2) Subject to any other Act of Parliament, personal information under the control of a government institution may be disclosed

 

 

[…]

 

 

(m) for any purpose where, in the opinion of the head of the institution,

 

(i) the public interest in disclosure clearly outweighs any invasion of privacy that could result from the disclosure, or

 

(ii) disclosure would clearly benefit the individual to whom the information relates.

 

[…]

 

[Emphasis added.]

 

Cette interprétation est celle qu’ont adoptée les Cours fédérales (voir par exemple Cemerlic, précité, au paragraphe 30; Leahy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 227, [2012] A.C.F. no 1158, au paragraphe 78; Del Zotto c Canada (Ministre du Revenu national), 2005 CF 653, [2005] A.C.F. no 808, aux paragraphes 34 à 40). Contrairement aux observations du demandeur, il n’y avait donc pas lieu de pondérer les intérêts en jeu en l’espèce parce que le SCRS n’avait pas invoqué les articles 8 et 26 de la Loi.

 

[58]           Par conséquent, la Cour conclut qu’il était raisonnable que le SCRS refuse de communiquer au demandeur les renseignements personnels le concernant qui se trouvaient dans le FRP 015, et comme les réponses aux deux premières questions en litige dans la présente affaire confirment le caractère raisonnable des décisions du SCRS, la Cour n’a d’autre choix que de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[59]           Quant aux dépens, le défendeur a mentionné qu’il ne les réclame pas. Par conséquent, aucuns dépens ne seront adjugés.

 

 

 

 


            ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.    L’intitulé de la cause est modifié de façon à ce que le ministre de la Défense nationale soit mis hors de cause en l’espèce;

 

2.    La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

3.    Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

                                                                                                                   « Simon Noël »                                                                                                   

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-17-13

 

INTITULÉ :

ROBERT BRAUNSCHWEIG c

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

 

LIEUX DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario) et

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE TENUE À HUIS CLOS EN L’ABSENCE D’UNE PARTIE :

 

Le 12 février 2014

 

DATE DE L’AUDIENCE :

 

Le 19 février 2014

 

MOTIF DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

 

 

Le juge S. Noël

DATE DES MOTIFS :

Le 10 mars 2014

 

COMPARUTIONS :

Christopher D.R. Maddock, c.r.

pour le demandeur

 

Tracey McCann

R. Keith Reimer

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Christopher D.R. Maddock, c.r.

Avocat

 

pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

pour le défendeur

 

 

 

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