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Date : 20140221


Dossier : IMM-421-13

 

Référence : 2014 CF 169

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 février 2014

En présence de madame la juge Simpson

 

ENTRE :

ALEXANDRA NARVAEZ GIRALDO, JUAN DAVID PATAQUIVA NARVAEZ, EMMANUEL LOPEZ NARVAEZ

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               La demanderesse principale (la demanderesse) et ses deux enfants sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 13 décembre 2012 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté leurs demandes d’asile au motif qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption d’existence d’une protection adéquate de l’État en Colombie.

 

[2]               La demanderesse vivait à Cali, en Colombie, avec ses deux fils. Elle travaillait comme répartitrice pour une entreprise de transport par autobus, où sa demi‑sœur Gloria exerçait les fonctions de directrice. Les autobus de l’entreprise desservaient les zones rurales. À la mi‑août 2008, la demanderesse et Gloria visitaient une succursale de l’entreprise dans la ville de Dagua lorsque trois guérilleros armés des FARC ont fait irruption dans les bureaux et ont demandé de parler à Gloria. L’un des hommes armés a déclaré qu’il était un commandant des FARC et il a dit à Gloria qu’elle devrait verser des « frais » mensuels de deux millions de pesos si elle voulait continuer d’exploiter les lignes d’autobus. Les membres des FARC ont averti Gloria de ne pas signaler l’incident aux autorités, faute de quoi sa vie serait en danger.

 

[3]               Gloria est allée signaler l’incident à un poste de police de Cali. Les policiers ont toutefois refusé de s’occuper de l’affaire puisque les événements s’étaient produits à Dagua. Gloria ne s’est pas adressée à la police de Dagua.

 

[4]               À la mi‑septembre 2008, les FARC ont téléphoné à Gloria pour lui demander d’effectuer son premier versement mensuel de deux millions de pesos. Les FARC ont téléphoné à plusieurs reprises, mais Gloria n’a rien payé.

 

[5]               Le 31 octobre 2008, Gloria a été atteinte par balle à Cali. Transportée à l’hôpital, elle y est ensuite décédée. L’époux de Gloria a alors dit à la demanderesse que les autorités [traduction] « s’occupaient bien de l’enquête ».

 

[6]               En décembre 2008, l’époux de Gloria a informé la demanderesse que les FARC lui avaient téléphoné, pour exiger qu’il paie lui‑même désormais les frais que Gloria aurait dû verser. C’est la dernière fois que la demanderesse a eu des nouvelles de son beau‑frère.

 

[7]               Le 4 février 2009, la demanderesse a eu son premier contact seule avec les FARC. Un commandant des FARC l’a appelée pour lui demander où son beau‑frère se trouvait. Il a proféré des menaces de mort à l’endroit de la demanderesse si elle ne coopérait pas.

 

[8]               Le 13 février 2009, les FARC ont communiqué une deuxième fois avec la demanderesse. Elle allait prendre un taxi pour rentrer chez elle après le travail lorsqu’elle a entendu un homme l’appeler par son nom. L’homme lui a demandé si elle disposait de renseignements au sujet de son beau‑frère. Lorsque la demanderesse a répondu qu’elle ne savait pas où il se trouvait, l’individu lui a dit qu’elle devait désormais aux FARC dix millions de pesos. La demanderesse a demandé un délai pour réunir les fonds nécessaires, et l’individu l’a menacée de mort si elle devait s’adresser aux autorités.

 

[9]               Le lendemain, la demanderesse et ses deux fils sont allés se cacher. Toutefois, en mars 2009, les FARC ont rejoint la demanderesse sur son cellulaire et ils ont menacé de la trouver et de la tuer si elle refusait de coopérer. La demanderesse a changé de cellulaire pour ne pas être retrouvée. Elle n’a par la suite plus eu de contact avec les FARC. Les demandeurs sont restés cachés quelque 16 mois de plus avant de quitter la Colombie.

 

 

Questions en litige

[10]           Les deux questions en litige étaient :

                                       i.      la crédibilité;

                                     ii.      la protection de l’État.

 

Crédibilité

[11]           Le défendeur a dit estimer, comme la demanderesse, que la conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par la Commission était déraisonnable. Je ne traiterai donc pas davantage de cette question, sinon pour relever que cette conclusion a conduit la Commission à conclure que les FARC n’avaient pas assassiné Gloria. J’estime comme les parties que cette conclusion était déraisonnable.

 

Protection de l’État

[12]           La demanderesse n’a pas demandé la protection de la police même si les FARC l’avaient menacée deux fois par téléphone et une fois en personne. Elle a déclaré qu’elle craignait subjectivement que la police, même si elle allait donner suite à sa plainte et peut‑être même faire enquête sur les menaces et l’extorsion, ne serait pas en mesure de la protéger adéquatement (la première explication). Elle a aussi dit craindre subjectivement que les FARC ne la tuent si elle s’adressait à la police, comme on avait menacé de le faire lors de son deuxième contact avec un membre de cette organisation (la deuxième explication).

 

[13]           La Commission a passé la preuve documentaire en revue et elle a conclu que la première explication donnée n’était pas objectivement raisonnable. Cette preuve révélait que, dans les faits, les policiers arrêtaient et les procureurs poursuivaient les membres des FARC lorsqu’existait contre eux une preuve suffisante. Les demandeurs critiquent la conclusion tirée par la Commission, affirmant qu’elle a fait abstraction d’éléments de preuve contradictoires essentiels. Nous en traiterons plus loin.

 

[14]           La Commission ne semble pas s’être penchée sérieusement sur la deuxième explication parce qu’elle n’a pas prêté foi au meurtre de Gloria par les FARC. Le défendeur affirme toutefois que ce n’est pas là une erreur importante puisque, même si les FARC ont réellement assassiné Gloria, la deuxième explication donnée justifiait uniquement le défaut initial de la demanderesse de rechercher la protection de l’État, mais non pas son défaut subséquent de s’adresser aux autorités une fois cachée en toute sécurité.

 

[15]           La demanderesse a vécu 16 mois en sécurité et elle aurait dû pendant cette période, selon le défendeur, communiquer avec la police. La Commission est arrivée à cette même conclusion et a déclaré, au paragraphe 24 de la décision : « Je ne peux conclure qu’il aurait été déraisonnable pour la demandeure d’asile principale de s’adresser à la police à au moins une occasion pour signaler ces incidents. ».

 

[16]           Dans ce contexte, le débat se limite à la question de savoir s’il était raisonnable de la part de la Commission de rejeter la première explication au motif que la preuve documentaire n’étayait pas la crainte subjective de la demanderesse quant au fait qu’il n’était pas raisonnable de croire qu’on pourrait lui fournir une protection policière suffisante.

 

[17]           Il s’agit de savoir, plus particulièrement, s’il était raisonnable de rejeter la première explication sans mentionner un document rédigé en novembre 2010 par le Conseil canadien pour les réfugiés, The Future of Colombian Refugees in Canada: Are we being equitable?. Les demandeurs ont produit ce document et ils en ont traité dans leurs observations écrites. On y révèle qu’à Bogotá, seulement 2,5 p. cent des auteurs d’actes criminels sont retracés, inculpés et condamnés et on conclut (à la page 21) qu’il [traduction] « n’y a pratiquement jamais » d’enquêtes policières pour élucider les crimes. Selon les demandeurs, rien ne permet de croire que la situation puisse être différente à Cali.

 

[18]           Le défendeur affirme pour sa part que la Commission a tenu suffisamment compte de ce document en déclarant ce qui suit, au paragraphe 27 de la décision :

[…] la prépondérance de la preuve objective concernant les conditions actuelles dans le pays porte à croire que l’État offre une protection adéquate, bien qu’imparfaite, aux victimes d’actes criminels en Colombie.

 

 

 

 

 

[19]           J’estime qu’il était déraisonnable de rejeter la première explication sans mentionner un document apparemment crédible et opportun, d’autant plus qu’une bonne partie de la preuve documentaire mentionnée par la Commission traitait de programmes de protection destinés aux personnalités en vue et aux témoins et n’avait aucun rapport avec la situation des demandeurs, qui sont des citoyens ordinaires.

 

Certification

[20]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre commissaire de la Commission pour nouvel examen.

 

 

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DoSSIER :                                                                              IMM-421-13

INTITULÉ :

ALEXANDRA NARVAEZ GIRALDO, JUAN DAVID PATAQUIVA NARVAEZ, EMMANUEL LOPEZ NARVAEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :                         LE 16 JANVIER 2014

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :                     LE 21 FÉVRIER 2014

 

COMPARUTIONS :

Douglas Lehrer

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Laura Christodoulides

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Douglas Lehrer

VanderVennen Lehrer

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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