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Date : 20140128


Dossier :

T‑609‑12

 

Référence : 2014 CF 38

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Harrington

 

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC.

ET G.D. SEARLE & CO.

 

demanderesses

et

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC
ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

MOTIFS PUBLICS DE L’ORDONNANCE

(Identiques aux motifs confidentiels de l’ordonnance rendus le 14 janvier 2014)

 

[traduction] « Il faut viser l’inaccessible, car sinon à quoi servirait le ciel? »

(Robert Browning)

[1]               Il s’agit de savoir en l’espèce si une promesse a été faite et, le cas échéant, si elle a été tenue. Le brevet canadien no 2 177 576 (576) promettait‑il que le célécoxib, mieux connu sous le nom commercial Celebrexmd, servirait à réduire de manière importante les effets indésirables chez les humains, comparativement aux autres anti‑inflammatoires non stéroïdiens (AINS)? Si tel est le cas, l’allégation de Mylan selon laquelle le brevet n’est pas utile est justifiée aux fins de la présente demande fondée sur le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), pour autant qu’il ait été établi que cette promesse n’a pas été tenue. Il s’ensuit que le ministre, qui n’a pas pris part à la présente instance, peut alors délivrer à Mylan un avis de conformité lui permettant de commercialiser sa version générique du célécoxib avant l’expiration du brevet 576.

[2]               Inversement, si cette promesse n’a pas été faite, l’allégation d’inutilité avancée par Mylan n’est pas fondée, et le ministre ne peut pas délivrer d’avis de conformité avant l’expiration du brevet.

[3]               Pour être brevetable, une invention doit à la fois être nouvelle et utile. Cependant, il n’est pas nécessaire que son utilité soit démontrée. Il suffit qu’elle fasse l’objet d’une promesse, pourvu que des raisons valables autorisent une telle prédiction. S’il s’avère au fil du temps que la prédiction est erronée, le brevet devient alors invalide.

[4]               Le fait que Celebrexmd soit à la fois nouveau et utile pour le traitement de l’inflammation n’est pas contesté. Mylan affirme cependant que le brevet promettait aussi d’être utile en réduisant de façon importante les effets indésirables chez les humains. D’après elle, la preuve établit à présent que cette promesse n’a pas été tenue. Il s’ensuit que le brevet est invalide. Par conséquent, elle devrait être autorisée à commercialiser sa propre version du célécoxib.

[5]               Pour leur part, Pfizer et Searle font valoir que :

a.                   le brevet ne promettait pas que l’invention serait utile en réduisant de façon importante les effets indésirables;

b.                  subsidiairement, si une telle promesse a été faite, elle ne s’étendait pas aux humains;

c.                   quoi qu’il en soit, la preuve établit que Celebrexmd a effectivement réduit de manière significative les effets indésirables chez les humains.

[6]               Depuis presque deux ans maintenant, Pfizer et Searle ont contrecarré les efforts de Mylan visant à obtenir l’autorisation réglementaire de commercialiser sa version générique du célécoxib. Mylan a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle auprès du ministre de la Santé afin d’obtenir l’avis de conformité requis. Elle prétend que son produit est bioéquivalent à Celebrexmd, argument qui n’a pas été soumis à la Cour dans le cadre de la présente demande.

[7]               Pfizer, successeur de G.D. Searle and Co., le titulaire du brevet, avait présenté le brevet canadien no 2 177 576 (576) au ministre pour qu’il l’inscrive au registre des brevets tenu en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (AC).

[8]               Pour obtenir un avis de conformité avant l’expiration du brevet le 14 novembre 2014, Mylan devait d’abord déposer et signifier un avis d’allégation conformément à l’article 5 du Règlement. Elle a déclaré dans son avis que le brevet était invalide.

[9]               Pfizer a répondu en déposant le 23 mars 2012 un avis de demande pour que la Cour interdise au ministre de délivrer un avis de conformité avant l’expiration du brevet.

[10]           Aux termes du Règlement sur les médicaments brevetés (AC), la présente demande a pour effet d’empêcher le ministre de délivrer un AC valide pendant deux ans ou jusqu’à ce que la Cour déclare que le brevet est invalide ou qu’il ne sera pas contrefait. Cette procédure est compliquée et contre‑intuitive; elle est bien connue des gens de l’industrie pharmaceutique et il n’est pas nécessaire de l’expliquer ici en détail. On a cité les arrêts de la Cour suprême Merck Frosst Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), [1998] 2 RCS 193, 80 CPR (3d) 368, [1998] ACS no 58 (QL), Bristol‑Myers Squibb Co c Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 RCS 533, 39 CPR (4th) 449, [2005] ACS no 26 (QL), aux paragraphes 5 à 24 (Biolyse), et Apotex Inc. c Sanofi‑Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 RCS 265, 69 CPR. (4th) 251, [2008] ACS no 63 (QL), aux paragraphes 7 et 12 à 17, ainsi que de la décision Ferring Inc. c Canada (Santé), 2007 CF 300, 55 CPR (4th) 271, [2007] ACF no 420(QL) rendue par le juge Hughes.

[11]           Dans son avis d’allégation, Mylan a présenté le contexte et formulé les questions. Comme elle invoque seulement l’invalidité, il faut garder à l’esprit la présomption légalement réfutable prévue au paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets selon laquelle « [u]ne fois délivré, le brevet est, sauf preuve contraire, valide […] ». Cette présomption n’est pas particulièrement forte.

[12]           Ainsi, bien qu’il incombe aux demanderesses de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations de Mylan ne sont pas « justifiées », compte tenu de la présomption relative à la validité du brevet, Mylan doit à tout le moins produire des éléments de preuve qui la mettent en cause (Abbott Laboratories c Canada (Santé), 2007 CAF 153, 59 CPR (4th) 30, [2007] ACF no 543 (QL) et Pfizer Canada Inc. c Apotex Inc., 2007 CF 971, 61 CPR (4th) 305, [2007] ACF no 1271 (QL), le juge Mosley, aux paragraphes 44 à 51).

[13]           La présente affaire soulève une autre question, soit l’abus de procédure. Selon Mylan, il n’appartient pas à Pfizer d’affirmer que le brevet n’a pas promis une réduction des effets secondaires chez l’humain. Ce point, dit‑elle, a été tranché dans la décision G.D. Searle & Co c. Novopharm Ltd, 2007 CF 81, 56 CPR (4th) 1, [2007] ACF no 120 (QL). Le juge Hughes avait conclu que l’utilité du brevet 576 était « double : traitement de l’inflammation et réduction des effets indésirables, tels que les ulcères de l’appareil digestif » (paragraphe 27). Même s’il était d’avis que les allégations de Novopharm concernant l’invalidité n’étaient pas fondées, d’autres allégations l’étaient et, par conséquent, rien n’empêchait le ministre de délivrer un avis de conformité. La décision du juge Hughes a été infirmée sur ces autres points par la Cour d’appel fédérale, 2007 CAF 173, 58 CPR (4th) 1, [2007] ACF no 625 (QL), mais ses conclusions au sujet de l’utilité n’ont pas été modifiées.

[14]           Mylan soutient que Pfizer essaye de remettre la question en litige, ce qui constitue un abus de procédure. Elle se fonde à cet égard sur l’arrêt Toronto (Ville) c S.C.F.P, section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 RCS 77, [2003] ACS no 64 (QL), qui a été appliqué par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Sanofi‑Aventis Canada Inc. c Novopharm Limited, 2007 CAF 163, 59 CPR (4th) 416, [2007] ACF no 548 (QL) concernant le Règlement sur les médicaments brevetés (AC). La Cour d’appel a déclaré que dans une instance relative à un avis de conformité, l’inventeur est tenu de présenter ses meilleurs arguments. S’il n’a pas gain de cause dans un premier temps devant un fabricant de médicaments génériques, il ne peut pas remettre la même question en litige dans un deuxième temps.

I. Contexte

[15]           Le célécoxib, que j’appellerai CelebrexMD, est un anti‑inflammatoire non stéroïdien (AINS). Le premier AINS, l’aspirine, a été mis au point il y a plus d’un siècle. L’ibuprofène en est un également; ce médicament est commercialisé sous des noms connus, comme Advil et Motrin. Parmi de nombreux autres AINS, on compte également le naproxène, vendu sous la marque Aleve.

[16]           L’inflammation est causée par des prostaglandines, que le corps produit pour favoriser la guérison, mais ces prostaglandines causent également de la douleur. Elles sont produites par l’enzyme cyclo‑oxygénase (COX). Non seulement les prostaglandines provoquent de l’inflammation et de la douleur, mais elles protègent également l’estomac contre l’acide qui y est sécrété. Les AINS inhibent les enzymes COX. Par conséquent, non seulement ils réduisent l’inflammation et la douleur, mais ils rendent également l’estomac vulnérable à ses propres acides, ce qui peut causer des ulcères et des hémorragies internes.

[17]           Dans les années 1970, on a découvert qu’il existait en fait deux cyclo‑oxygénases, maintenant connues sous les noms de COX‑1 et de COX‑2. Si la COX‑1 est toujours présente, la COX‑2 n’est produite que lorsqu’il y a lésion ou inflammation, comme en cas d’arthrite. La théorie veut que s’il était possible d’inhiber la COX‑2 sans agir sur la COX‑1, il y aurait moins d’effets secondaires qu’avec les AINS classiques, qui sont non sélectifs en ce sens qu’ils agissent à la fois sur la COX‑1 et la COX‑2.

[18]           Cette théorie a mené à la mise au point de Celebrexmd.

II. Le brevet

[19]           Le brevet 576 est intitulé Benzènesulfonamides de pyrazolyle substitués destinés au traitement des inflammations.

[20]           La demande de brevet a été déposée le 14 novembre 1994. Le brevet a été délivré le 26 octobre 1999 et, comme nous l’avons indiqué, il expire le 14 novembre 2014.

[21]           Dans son avis d’allégation, Mylan n’a pas déclaré que le brevet était invalide pour le traitement des symptômes associés à des affections comme l’arthrose et la polyarthrite rhumatoïde de l’adulte. Elle allègue plutôt qu’il promettait également, pour reprendre les termes du brevet, [traduction] « l’avantage supplémentaire de comporter des effets secondaires beaucoup moins nocifs ». Aux fins de son avis, Mylan ne conteste pas que Searle disposait d’un fondement valable pour prédire que Celebrexmd provoquerait des effets secondaires beaucoup moins nocifs. Elle dit toutefois que cette promesse n’a pas été tenue. Elle allègue qu’il est maintenant prouvé que Celebrexmd n’entraîne pas d’effets secondaires beaucoup moins nocifs. Il s’ensuit que le brevet est invalide. Il s’agit donc d’un cas d’interprétation du brevet.

[22]           L’invention, à l’égard de laquelle le brevet a été délivré, est présentée dans un mémoire descriptif de 194 pages qui s’achève par 16 revendications.

[23]           Voici les extraits pertinents des paragraphes 27(3) et (4) de la Loi sur les brevets :

(3) Le mémoire descriptif doit :

 

a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

 

b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

[…]

 

(4) Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif.

(3) The specification of an invention must

 

(a) correctly and fully describe the invention and its operation or use as contemplated by the inventor;

 

 

(b) set out clearly the various steps in a process, or the method of constructing, making, compounding or using a machine, manufacture or composition of matter, in such full, clear, concise and exact terms as to enable any person skilled in the art or science to which it pertains, or with which it is most closely connected, to make, construct, compound or use it;

[…]

 

 

 

 

 

(4) The specification must end with a claim or claims defining distinctly and in explicit terms the subject‑matter of the invention for which an exclusive privilege or property is claimed.

Il n’est pas allégué que le mémoire descriptif ne décrit pas clairement ce dont la personne versée dans l’art a besoin pour fabriquer Celebrexmd.

[24]           Le mémoire descriptif est presque entièrement incompréhensible, sauf pour les lecteurs versés dans l’art à qui il s’adresse. Les formules chimiques sont décrites en détail les unes après les autres, et quelque 262 exemples sont fournis.

[25]           Le mémoire descriptif est divisé comme suit :

[traduction]

Domaine de l’invention

Page 1

Contexte de l’invention

Pages 1 à 3

Description de l’invention

Pages 4 à 63

Méthodes de synthèse générales

Pages 64 et 175

Évaluation biologique

Pages 175 à 183                     

Revendications

Pages 184 à 194

[26]           Cependant, seules quelques pages du brevet sont en cause. À première vue, elles semblent rédigées dans un anglais parfaitement compréhensible.

[27]           Le domaine de l’invention est décrit comme suit :

[traduction] La présente invention relève du domaine des agents pharmaceutiques anti‑inflammatoires et concerne précisément des composés, des compositions et des méthodes utilisés pour le traitement de l’inflammation et des affections associées à l’inflammation, comme l’arthrite.

[28]           Dans le contexte de l’invention, on y lit ceci :

[traduction] Ainsi, à forte dose, les AINS les plus courants peuvent produire des effets secondaires graves, notamment des ulcères potentiellement mortels, ce qui limite leur potentiel thérapeutique. Les corticostéroïdes constituent une solution de rechange aux AINS; ils ont des effets secondaires moins marqués, en particulier si le traitement s’étend sur une longue période.

 

            Les anciens AINS prévenaient la production de prostaglandines en inhibant les enzymes dans la voie de l’acide arachidonique/des prostaglandines chez l’humain, notamment l’enzyme cyclo‑oxygénase (COX). Grâce à la découverte récente d’une enzyme inductible associée à l’inflammation (appelée cyclo‑oxygénase II [COX II] ou prostaglandine G/H synthase II), on dispose maintenant d’une cible viable dont l’inhibition permet de réduire plus efficacement l’inflammation et produit des effets secondaires moins nombreux et moins prononcés.

 

[29]           Dans la partie du mémoire descriptif portant sur la description de l’invention, on peut lire, dans un long paragraphe, que : [traduction] « Les composés de la formule I seraient utiles pour […] le traitement de l’inflammation chez un sujet ». Différents exemples sont donnés, comme le traitement de diverses formes d’arthrite, de l’asthme, de la bronchite, des crampes menstruelles, de l’eczéma, d’affections gastro‑intestinales, du diabète de type I, etc.

[30]           Le paragraphe se termine ainsi : [traduction] « Les composés sont utiles comme agents anti‑inflammatoires, notamment pour le traitement de l’arthrite, avec l’avantage supplémentaire de comporter des effets secondaires beaucoup moins nocifs. »

[31]           Mylan insiste beaucoup sur « l’avantage supplémentaire ».

[32]           Bien que Mylan mette l’accent sur ce paragraphe, Pfizer et Searle s’appuient sur le paragraphe suivant, selon lequel l’invention inclut de préférence les composés qui inhibent de façon sélective la COX‑2 plutôt que la COX‑1 : [traduction] « Une telle sélectivité privilégiée peut indiquer une capacité de réduire l’incidence des effets secondaires courants induits par les AINS. » (Non souligné dans l’original.)

[33]           Dans la rubrique sur l’évaluation biologique, le mémoire descriptif présente une description d’essais in vivo et in vitro. Les essais in vivo ont été effectués sur des rats. L’évaluation in vitro a été fondée sur des enzymes clonées soit d’origine humaine, soit d’origine murine (souris).

[34]           Parmi les 16 revendications, les revendications 4 et 8 à 13 font l’objet d’un litige. La revendication 4 revendique le célécoxib ou Celebrexmd (le produit même). Les revendications 8 à 13 revendiquent l’utilisation de Celebrexmd pour le traitement de l’inflammation ou des affections associées à l’inflammation, de l’arthrite et de la douleur. Il n’y a aucune mention concernant des effets secondaires réduits.

III. Quelques principes d’interprétation des brevets

[35]           Quoique les lettres patentes soient strictement d’ordre législatif, cela fait des siècles que des lois sont en vigueur, sous une forme ou une autre, en Angleterre et au Canada. Il était inévitable que les tribunaux mettent au point des normes d’interprétation, dont certaines sont pertinentes au regard de la présente demande.

[36]           L’une des conditions préalables à la délivrance des lettres patentes est le caractère utile de l’invention. Cependant, il n’est pas nécessaire qu’une utilité particulière soit revendiquée : une parcelle objective d’utilité suffira. Par contre, si une utilité particulière est revendiquée, il y a tout intérêt à ce que l’invention livre la marchandise. Il n’est pas nécessaire que cette utilité soit démontrée, il suffit qu’elle fasse l’objet d’une promesse. Néanmoins, cette promesse ne peut pas prendre n’importe quelle forme : elle ne doit pas être hypothétique et doit reposer sur une prédiction valable. L’arrêt de principe en la matière est Apotex Inc. c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77, [2002] 4 RCS 153, [2002] ACS no 78 (QL) (AZT).

[37]           L’arrêt AZT indique que l’inventeur doit établir l’utilité à la date à laquelle la demande de brevet est présentée, soit par une démonstration soit par une prédiction valable fondée sur les renseignements et l’expertise alors disponibles. La doctrine de la prédiction valable comporte trois éléments :

a.                la prédiction doit avoir un fondement factuel;

b.               à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permet d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité;

c.                il doit y avoir divulgation suffisante.

[38]           Mylan affirme que la demande de brevet ne démontrait pas, mais promettait plutôt, une réduction des effets indésirables chez les humains. Elle ne conteste pas qu’à la date de la demande de brevet en 1994, la prédiction d’une telle utilité reposait sur un fondement valable. Elle estime toutefois que la promesse n’a pas été tenue.

[39]           Si une prédiction valable « [se révèle], par la suite, [...] erronée, le brevet [serait] invalidé pour défaut d’utilité » (AZT, au paragraphe 76).

[40]           Comme le caractère valable d’une prédiction est une question de fait (AZT), il fait intervenir un autre principe d’interprétation des brevets, celui de la personne versée dans l’art.

[41]           Bien qu’une invention issue du domaine pharmaceutique puisse être destinée à traiter tel ou tel type de maladies humaines, l’utilité au sens de la Loi sur les brevets et l’utilité aux fins d’obtention de l’approbation réglementaire de l’instance responsable des aliments et des drogues nécessaire pour l’administration de l’invention aux humains sont deux choses distinctes. Comme le notait le juge Binnie au paragraphe 77 de l’arrêt AZT, dans le cas de l’approbation réglementaire :

[…] on parle d’innocuité et d’efficacité alors que, dans le deuxième cas, il est question d’utilité, mais dans le contexte de l’inventivité. De par sa nature, la règle de la prédiction valable présuppose l’existence d’autres travaux à accomplir.

[42]           Le brevet s’adresse fictivement à une personne versée dans l’art ou la science de l’objet du brevet, et il est interprété comme le ferait cette personne à la date de sa publication :

L’interprétation des revendications avec le concours d’un destinataire versé dans l’art donne au breveté l’assurance que certains termes et concepts seront considérés par le tribunal à la lumière du témoignage d’un expert concernant leur sens technique. (Free World Trust c Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 RCS 1024, [2000] ACS no (QL) au paragraphe 51)

et

L’interprétation téléologique repose donc sur l’identification par la cour, avec l’aide du lecteur versé dans l’art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l’inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention (Whirlpool Corp. c Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 RCS 1067, au paragraphe 45).

[43]           Le mémoire descriptif du brevet contient une divulgation, suivie par les revendications à l’égard desquelles le monopole est demandé. Les revendications du mémoire descriptif ont préséance sur la divulgation dans le sens où celle‑ci permet de comprendre le sens des mots employés dans les revendications, « mais non [d’]élargir ou [de] restreindre la portée de la revendication telle qu’elle était écrite et, ainsi, interprétée » (Whirlpool, au paragraphe 52).

[44]           Dans le même ordre d’idées, comme le déclarait la Cour dans l’arrêt Whirlpool au paragraphe 42 : « L’inventeur n’est pas tenu de revendiquer un monopole sur tout élément nouveau, ingénieux et utile qui est divulgué dans le mémoire descriptif. La règle habituelle veut que ce qui n’est pas revendiqué soit considéré comme ayant fait l’objet d’une renonciation. »

[45]           Lorsqu’il est délivré, le brevet n’est pas simplement un autre « écrit ». Il s’agit d’un texte visé par la définition du mot « règlement » contenue au  paragraphe 2(1) de la Loi d’interprétation (Whirlpool, paragraphe 49 e)) :

[L]’interprétation des revendications est une question de droit qu’il appartient au juge de trancher, et celui‑ci avait parfaitement le droit de donner aux revendications une interprétation différente de celle préconisée par les parties. (Whirlpool, au paragraphe 61).

IV. La personne versée dans l’art

[46]           [traduction] « […] [L]’inventeur doit, en contrepartie de l’octroi du brevet, fournir au public une description adéquate de l’invention comportant des détails assez complets et précis pour qu’un ouvrier, versé dans l’art auquel l’invention appartient, puisse construire ou exploiter l’invention après la fin du monopole. » (Fox, Canadian Patent Law and Practice, (4e éd.), page 163, cité par le juge Dickson (plus tard juge en chef) dans Consolboard Inc. c MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 RCS 504, à la page 517)

[47]           Les parties n’ont pas beaucoup débattu de la personne versée dans l’art, sans doute parce que les termes en cause ne sont pas techniques, quoique des mots ayant un certain sens dans le langage courant puissent avoir une autre signification dans un contexte particulier pour la personne versée dans l’art.

[48]           Dans son avis d’allégation, Mylan mentionne que, dans la mesure où le brevet 576 concerne la synthèse d’une nouvelle classe de composés, le destinataire versé dans l’art est un chimiste qui fait équipe avec un biologiste ou un biochimiste et qui bénéficierait de l’apport d’un formulateur et d’un pharmacologue. Le profil précis des effets secondaires serait l’affaire d’un clinicien prescripteur ou d’un chercheur scientifique chevronné ayant une formation en épidémiologie et au moins un doctorat ou un diplôme de médecine, ainsi qu’une bonne connaissance des médicaments anti‑inflammatoires.

[49]           Dans son exposé des arguments, Pfizer ne traite pas du destinataire versé dans l’art, contrairement au professeur Robert N. Young et à M. Stephen B. Abramson, deux des experts qu’elle a fait comparaître, et au professeur John L. Wallace et à M. Sanford H. Roth, appelés par Mylan.

[50]           Dans son mémoire des faits et du droit, Mylan décrit la situation avec exactitude au paragraphe 51 :

[traduction] Personne versée dans l’art : Les parties reconnaissent que la personne versée dans l’art inclut un chimiste et un pharmacologue possédant une expérience des médicaments anti‑inflammatoires et de la COX. Mylan inclut un clinicien qui traite l’arthrite selon la définition, mais pas Pfizer.

[51]           Lors de sa plaidoirie, Pfizer a répété qu’elle ne pensait pas que le brevet s’adressait à des médecins, puisqu’ils n’ont pas l’habitude de lire des brevets. Toutefois, cette question ne prête pas à conséquence, puisque personne n’a dit qu’un médecin et un chimiste médical interpréteraient le brevet différemment.

V. La promesse du brevet

[52]           Presque tous les éléments de preuve présentés ainsi que l’argumentation orale portaient sur la question de savoir si Celebrexmd réduit considérablement les effets secondaires nocifs chez l’humain par rapport aux autres AINS. Rien n’indique que le médicament réduit les effets secondaires chez d’autres mammifères. Quant à la promesse du brevet, examinée par un destinataire versé dans l’art, ce sont les témoignages des professeurs John L. Wallace et Robert N. Young qui expliquent le mieux la position des parties.

[53]           M. Wallace, qui a été appelé à témoigner par Mylan, est professeur de pharmacologie et de thérapeutique à la faculté de médecine de l’Université McMaster. Il est considéré comme un expert en pharmacologie, particulièrement ce qui concerne les AINS et les mécanismes des lésions gastro‑intestinales et de leur réparation. Selon son interprétation, le brevet aborde un problème et décrit une solution. Le problème tenait au fait que les AINS classiques ou non sélectifs pouvaient causer des effets secondaires graves à fortes doses, notamment des ulcères potentiellement mortels. La solution était que l’inhibition sélective de la COX‑2 produirait des effets secondaires moins nombreux et moins graves que d’autres AINS. L’essentiel de son opinion est exprimé au paragraphe 73 de son affidavit :

[traduction] Je comprends que mon point de vue n’est pas déterminant; je crois toutefois que ce brevet contient en effet une promesse d’« effets secondaires beaucoup moins nocifs ». Sinon, le brevet ne ferait qu’offrir un autre médicament parmi une vaste catégorie de composés dans un domaine encombré. Mon avis repose sur mes souvenirs des défis de taille que posaient les effets secondaires au moment du dépôt du brevet, et l’objectif du brevet visant à trouver une solution à ces problèmes d’effets secondaires. Les effets secondaires ne sont pas mentionnés de façon explicite dans les revendications du brevet; toutefois, la réduction des effets secondaires me semble constituer le but premier du brevet et est, par conséquent, implicite.

 

[54]           Le professeur Young, appelé à témoigner par Pfizer, ne partage pas ce point de vue. Il a consacré la majeure partie de sa carrière à Merck, à titre de chimiste médical, où il a participé à la mise au point du rofécoxib, l’ingrédient actif du médicament Vioxx, un autre inhibiteur de la COX‑2. Vioxx a été retiré du marché. M. Young est professeur de chimie au département de chimie et titulaire de la chaire de leadership Merck Frosst‑BC en génomique pharmaceutique, bio‑informatique et mise au point de médicaments de l’Université Simon Fraser, ainsi que professeur auxiliaire à l’Université de la Colombie‑Britannique.

[55]           L’essentiel de son opinion se trouve au paragraphe 28 de son affidavit :

[traduction] À mon avis, si j’interprète le brevet 576 dans son ensemble, du point de vue d’une personne moyennement versée dans l’art en 1995, il promet en général que les composés revendiqués seront utiles pour le traitement de l’inflammation ou d’affections associées à l’inflammation (selon la revendication). Des utilités plus précises sont énoncées dans les revendications particulières. De plus, une personne versée dans l’art comprendrait que, en raison de leur sélectivité de la COX‑2, ces composés pourraient réduire le nombre d’effets secondaires courants induits par les AINS. […]

 

[56]           Selon le professeur Young, l’expression [traduction] « cible viable », mentionnée dans la partie portant sur le contexte de l’invention, signifie établir un objectif, un but à atteindre, plutôt que la promesse quelconque d’une utilité en particulier.

[57]           [traduction] « [L]’avantage supplémentaire de comporter des effets secondaires beaucoup moins nocifs » serait considéré, par le destinataire versé dans l’art, comme étant un avantage possible, et non une utilisation promise. M. Young met l’accent sur le paragraphe suivant de la divulgation où on déclare : la [traduction] « sélectivité privilégiée peut indiquer une capacité de réduire l’incidence des effets secondaires courants induits par les AINS ».

[58]           À son avis, l’utilité promise des revendications particulières en cause concerne l’inflammation et les affections associées à l’inflammation.

[59]           D’après lui, le destinataire versé dans l’art ne considérerait pas, peu importe les circonstances, qu’une promesse a été faite en ce qui concerne le traitement chez l’humain. Comme un nouveau composé doit être testé en éprouvettes et sur des rongeurs avant d’être évalué chez l’humain au moyen d’essais cliniques, en lisant les revendications, un destinataire versé dans l’art ne s’attendrait pas à ce que les composés soient revendiqués comme étant efficaces chez l’humain. Il insiste pour dire que le brevet indique que l’invention est utile pour traiter l’inflammation chez un « sujet » et non chez un « humain ». De nombreux AINS sélectifs de la COX‑2 ont servi à traiter des animaux, notamment des chevaux et des chiens.

VI. Décision

[60]           Je suis arrivé à la conclusion que le brevet 576 ne promettait pas de réduction des effets indésirables chez les humains. Par conséquent, il serait malavisé de trancher la question de savoir si Celebrexmd était associé effectivement à moins d’effets indésirables que les autres AINS.

[61]           Je suis parvenu à cette conclusion par deux voies. Au chapitre de l’interprétation, comme les termes en question ne sont pas techniques (arrêt Whirlpool, précité), je ne décèle aucune promesse de la sorte. S’il est nécessaire d’interpréter le brevet comme l’aurait fait le destinataire versé dans l’art en 1994, je suis globalement d’accord avec le professeur Young.

[62]           À titre de personne versée dans l’art, le professeur Young s’arrête sur le mot [traduction] « peut ». Je reconnais que certains mots peuvent avoir un sens différent suivant le contexte, mais il y a cependant des limites grammaticales : [traduction] « Quand moi, j’emploie un mot, dit Humpty Dumpty, d’un ton assez dédaigneux, il veut dire exactement ce qu’il me plaît qu’il veuille dire – ni plus ni moins » (Lewis Caroll, De l’autre côté du miroir).

[63]           Le brevet est visé par la définition de règlement. À ce titre, cet extrait des motifs de la juge Deschamps dans l’arrêt Glykis c Hydro‑Québec, 2004 CSC 60, [2004] 3 RCS 285, [2004] ACS no 56 (QL), est pertinent :

La méthode d’interprétation des textes législatifs est bien connue (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42). La disposition législative doit être lue dans son contexte global, en prenant en considération non seulement le sens ordinaire et grammatical des mots mais aussi l’esprit et l’objet de la loi et l’intention du législateur. Cette méthode, énoncée à l’occasion de l’analyse de textes législatifs, s’impose, avec les adaptations nécessaires, pour l’interprétation de textes réglementaires.

[64]           Dans le brevet, il est écrit : [traduction] « une telle sélectivité privilégiée peut indiquer une capacité de réduire […] ». Il n’est pas dit qu’une telle sélectivité « réduit » ou « indique » une capacité de réduire.

[65]           Le terme « peut » sous‑entend une possibilité; peut‑être que oui, peut‑être que non. Même si on espérait que la sélectivité réduise les effets secondaires, aucune revendication de la sorte n’a été faite.

[66]           Le professeur Wallace parle de problèmes et de solutions, et souligne que Celebrexmd était sur le point d’entrer dans un « domaine encombré ». Cela ne servirait à rien n’eût été de la réduction promise des effets secondaires. Toutefois, l’encombrement du domaine importe peu. Si Celebrexmd était nouveau, ce qu’il était, et utile pour le traitement de l’inflammation, ce qu’il est, l’invention a droit aux lettres patentes. Aucun degré précis d’utilité n’a été revendiqué. Une parcelle d’utilité suffirait. Cela n’aurait pas d’importance si d’autres analgésiques étaient beaucoup plus efficaces.

[67]           Les revendications ne mentionnent nullement la réduction des effets indésirables. Ce qui n’est pas revendiqué fait généralement l’objet d’une renonciation. Les revendications ont préséance sur la partie du mémoire descriptif relative à la divulgation, qui permet de saisir le sens d’un mot employé dans les revendications, mais non d’en élargir ou d’en rétrécir la portée.

[68]           Le professeur Wallace déduit une promesse, pas la Cour d’appel. Dans l’arrêt Sanofi‑Aventis c Apotex Inc., 2013 CAF 186, 114 CPR (4th) 1, [2013] ACF no 856 (QL) (Plavex), le juge Pelletier, s’exprimant au nom de la Cour d’appel au paragraphe 67, établit expressément une distinction entre l’utilisation potentielle d’une invention et la promesse explicite d’un résultat donné.

La faiblesse de la conclusion du juge de première instance est encore plus évidente si l’on tient compte de la distinction jurisprudentielle entre l’usage potentiel d’une invention et la promesse explicite d’un résultat spécifique. […] L’intérêt de l’industrie pharmaceutique pour l’invention concerne évidemment l’usage potentiel chez l’humain qu’elle laisse entrevoir. La personne versée dans l’art comprendrait qu’en suggérant cette possibilité, les inventeurs ne promettaient pas que ce résultat avait été ou allait être obtenu. Ainsi que l’a estimé la Cour fédérale dans AstraZeneca Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CF 1023, au paragraphe 61 :

 

J’accepte l’argument d’AstraZeneca suivant lequel ce ne sont pas toutes les déclarations que l’on trouve dans un brevet au sujet des avantages qui peuvent être considérées comme une promesse. Un objectif n’est pas nécessairement une promesse. Le troisième paragraphe du brevet 420 parle d’un objectif à long terme, d’un avantage que l’on espère que l’invention comportera. [Non souligné dans l’original.]

 

AstraZeneca Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CF 1023, [2011] A.C.F. no 1262 (Q.L.), au paragraphe 139. Pour d’autres exemples de cette distinction, voir Pfizer Canada Inc. c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2012 CAF 103, [2012] A.C.F. no 386, au paragraphe 61, Mylan Pharmaceuticals ULC c. Canada (Ministre de la Santé), 2012 CAF 109, [2012] A.C.F. no 422, aux paragraphes 32 et 33.

Voir également Pfizer Canada Inc. c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2012 CAF 103, 100 CPR (4th) 203, [2012] ACF no 386, aux paragraphes 57 à 59.

[69]           Dans ses motifs concourants dans la décision Plavex, précitée, la juge Gauthier s’est demandé « pourquoi un inventeur ferait des commentaires concernant une éventuelle application de l’invention alors que le droit canadien ne l’exige pas » (au paragraphe 124). Ses observations avaient trait à l’utilité et à l’évidence. Searle n’était aucunement tenue d’expliquer pourquoi elle a fait une divulgation concernant une réduction possible des effets secondaires. Peut‑être n’avait‑elle pas la confiance nécessaire pour revendiquer les effets secondaires réduits en fonction d’une prédiction valable. Puisque la théorie de l’inhibition de la COX‑2 était bien connue, la divulgation aurait pu empêcher d’autres personnes de breveter une nouvelle utilisation au motif qu’une telle utilisation était antériorisée par le brevet.

[70]           Comme le déclarait le juge Zinn dans la décision Fournier Pharma Inc. c Canada (Santé), 2012 CF 741, 107 CPR (4th) 32, [2012] ACF no 901, au paragraphe 126, tout énoncé concernant l’utilité ne figurant pas dans les revendications du mémoire descriptif « […] devrait être considéré comme un simple énoncé d’avantage, à moins que l’inventeur n’indique clairement et sans équivoque que cela fait partie de l’utilité promise ».

[71]           Mylan invoque un autre arrêt récent de la Cour d’appel fédérale, Eurocopter c Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2012 CF 113, 100 CPR (4th) 87, [2012] ACF no 107 (QL), conf. par 2013 CAF 219, [2013] ACF no 1043 (QL). Le brevet en question portait sur un type particulier de train d’atterrissage pour hélicoptère. En première instance, le juge Martineau avait déclaré, au paragraphe 214, que « le mémoire descriptif fait état d’un certain nombre d’avantages […] ». Mylan fait valoir qu’il n’est pas nécessaire qu’une promesse soit explicite ni qu’elle figure dans les revendications du mémoire descriptif. Cependant, comme le notait le juge Mainville, s’exprimant au nom de la Cour d’appel, au paragraphe 26, l’avantage « était surtout représent[é] par la revendication 1 du brevet […] ». Par conséquent, je ne reconnais pas deux écoles de pensée concurrentes au sein de la Cour d’appel. L’arrêt Eurocopter ne déroge pas aux autres décisions de la Cour d’appel fédérale, qui sont conformes à l’arrêt Whirlpool, précité.

VII. Abus de procédure

[72]           Compte tenu de la décision G.D. Searle, précitée, rendue par le juge Hughes, Mylan soutient que Pfizer tente de remettre en litige la même question, ce qui constitue un abus de procédure, comme nous l’indiquions aux paragraphes 13 et 14 de la présente.

[73]           Il faut garder à l’esprit que l’utilité est une question de fait, alors que l’interprétation des brevets est une question de droit.

[74]           L’affaire G.D. Searle était assez différente de l’affaire Sanofi‑Aventis, précitée. Au paragraphe 14 de sa décision, le juge Hughes déclare ceci : « Après discussion, l’avocat des demanderesses a admis que des propriétés anti‑inflammatoires et des effets secondaires moins importants étaient deux conditions nécessaires pour que l’invention revendiquée soit utile. » Il ajoute au paragraphe 27 : « […] comme le reconnaît l’avocat des demanderesses, l’utilité de ce composé est établie dans le mémoire descriptif comme étant double : traitement de l’inflammation et réduction des effets indésirables, tels que les ulcères de l’appareil digestif ». Pfizer n’a fait aucune admission du genre dans la présente demande.

[75]           L’affaire Mylan est fondée sur une prédiction qui, bien que valable au moment où elle a été faite, se serait révélée fausse. Toutefois, le juge Hughes a conclu que l’utilité de l’invention a été démontrée, et non prévue d’une façon valable. Voici ce qu’il écrit aux paragraphes 101 à 103 :

[101]    La demande canadienne de brevet, déposée en date d’effet du 14 novembre 1994, expose largement l’utilité du célécoxib; celui‑ci y est décrit, on y divulgue un procédé pour le préparer sous la rubrique de l’exemple 2 et on y consigne des données démontrant son efficacité dans le traitement des inflammations, ainsi que son aptitude à l’inhibition sélective de la COX II.

[102]    Le droit est sans ambiguïté concernant l’utilité. Il doit y avoir eu, à la date pertinente, une démonstration de l’utilité ou, à défaut, une prédiction valable de celle‑ci, fondée sur l’information et les connaissances scientifiques disponibles au moment de la prédiction : Merck & Co. c. Apotex Inc., 2005 CF 755, au paragraphe 121; et Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2007 CF 26, aux paragraphes 36 à 40.

[103]    Je constate que Searle avait certainement établi et exposé une utilité suffisante à la date de dépôt au Canada. Comme le travail nécessaire avait déjà été fait, la Cour n’a pas à examiner le droit relatif à la prédiction valable, qui n’entre en ligne de compte que lorsque ce travail n’avait pas été effectué à la date pertinente.

[76]           Le juge Malone a déclaré en appel, aux paragraphes 44 et 45, que l’utilité avait été établie, et cette conclusion factuelle n’était pas contestée.

[77]           Que démontrait exactement le mémoire descriptif? L’avocat de Pfizer soutient que l’utilité chez les rats, et non chez les humains, était démontrée. Il est certain que le juge Hughes n’a pas déclaré que la preuve dont il disposait attestait une réduction des effets indésirables chez les humains.

[78]           Pfizer n’est pas liée par une concession faite dans le cadre d’une autre instance relative à un avis de conformité. Mylan se trouve dans une situation un peu délicate. Si la décision G.D. Searle concernait l’interprétation du brevet, une pure question de droit, je serais lié par la décision rendue par la Cour d’appel par application du principe du stare decisis (Apotex Inc. c Pfizer Ireland Pharmaceuticals, 2012 CF 1339, décision du juge Zinn actuellement en appel). Cependant, l’utilité, qu’elle soit démontrée ou prédite, est une question de fait.

[79]           Dans le cadre du présent litige, ni Pfizer ni Mylan n’ont commis d’abus de procédure.

VIII. Requête en radiation de Pfizer

[80]           Pfizer a présenté une requête, instruite en même temps que la présente demande, pour que certaines parties des documents de Mylan soient radiées du dossier. Comme je suis parvenu à une conclusion sans avoir consulté lesdits documents, la requête sera rejetée pour caractère théorique, sans frais.

IX. Confidentialité

[81]           Comme certaines parties du dossier étaient visées par une ordonnance de confidentialité, les parties disposeront de sept jours à compter d’aujourd’hui pour soumettre des observations écrites sur la question de savoir si une partie des présents motifs doit être caviardée avant qu’ils ne soient rendus publics. Si nécessaire, elles disposeront chacune de cinq jours pour répondre.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

Ottawa (Ontario)

Motifs confidentiels de l’ordonnance datée du 14 janvier 2014

Motifs publics de l’ordonnance (identiques aux motifs confidentiels de l’ordonnance) datés du 28 janvier 2014

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


 

 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


dossier :

T‑609‑12

 

INTITULÉ :

PFIZER CANADA INC. ET G.D. SEARLE & CO. c

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC ET

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 9 DÉCÉCEMBRE 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS

CONFIDENTIELS

DE L’ORDONNANCE :

                                                            LE 14 JANVIER 2014

 

DATE DES MOTIFS PUBLICS

DE L’ORDONNANCE

(IDENTIQUES AUX MOTIFS

CONFIDENTIELS DE

L’ORDONNANCE) :

                                                            LE 28 JANVIER 2014

COMPARUTIONS :

Andrew Bernstein

W. Grant Worden

Yael Bienenstock

Rachael Pauls

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Tim Gilbert

Nathaniel Lipkus

Paul Banwatt

 

POUR LA défenderesse

MYLAN PHARMEUTICALS ULC

 

 

Aucune comparution

POUR LE DÉFENDEUR

MINISTRE DE LA SANTÉ

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

TORYS LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

GILBERT’S LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour la défenderesse

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

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