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Date : 20140117


Dossier : T-1310-09

 

Référence : 2014 CF 55

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 17 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

ABBVIE CORPORATION, ABBVIE DEUTSCHLAND GMBH & CO. KG et ABBVIE BIOTECHNOLOGY LTD.

 

demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

et

JANSSEN INC.

 

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une instance ayant trait à la contrefaçon et à la validité d’un brevet concernant des anticorps humains qui se lient à la cytokine humaine connue sous le nom d’interleukine 12 ou IL‑12. Cette liaison neutralise généralement certains des effets de l’IL‑12 et, par conséquent, est utile dans le traitement des maladies, en particulier le psoriasis. Deux revendications du brevet sont en litige. L’un des principaux points en litige est que la portée de ces revendications relatives à des anticorps humains ayant des caractéristiques particulières quant à l’affinité et à la puissance des effets biologiques est formulée de façon trop large, si bien qu’elle englobe plus que ce qui a été inventé ou pourrait être revendiqué à bon droit.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que les revendications concernées du brevet en cause sont valides et qu’elles sont contrefaites.

 

[3]               Par souci de commodité, la table des matières ci-après renvoie aux numéros de paragraphe :

 

LES PARTIES ET LE PRODUIT EN CAUSE

4 à 6

LE BREVET 281 DANS LES GRANDES LIGNES

7 à 10

TECHNOLOGIE D’ARRIÈRE-PLAN

11 à 29

LE BREVET 281 DANS LES DÉTAILS

30 à 43

LES REVENDICATIONS EN CAUSE

44 à 47

LA PREUVE

48 à 55

COMMENTAIRES TOUCHANT LA PREUVE ET LES TÉMOINS

 

56 à 85

a) Commentaires touchant les témoins experts

56 à 61

b) Essais relatifs au produit STELARA de Janssen

62 à 70

c) Travaux ayant mené au brevet 281

71 à 74

d) Travaux ayant mené au produit STELARA

 

75 à 78

e) Chronologie comparative des événements chez AbbVie et Janssen

 

79 à 81

f) Comparaison entre STELARA et le J695

82 à 85

DÉCISION AMÉRICAINE

86 à 88

QUESTIONS EN LITIGE

89 à 93

PERSONNE VERSÉE DANS L’ART

 

94 et 95

INTERPRÉTATION DES REVENDICATIONS

96 à 101

CONTREFAÇON

102 à 107

VALIDITÉ

108 à 118

a) Fardeau

108 à 110

b) Évidence

111 à 122

i) Identifier l’hypothétique personne versée dans l’art

114

ii) Antériorités

115 à 122

iii) Discerner ou interpréter l’idée originale des revendications en litige

 

123 à 131

iv) Quelles sont les différences, le cas échéant, entre l’art antérieur et l’invention telle qu’elle est revendiquée?

 

132

v) Les différences étaient-elles plus ou moins évidentes?

 

133 à 140

ÉTENDUE ET FORME DES REVENDICATIONS

141 à 178

a) Les questions en litige et la preuve

141 à 154

b) Le droit

155 à 178

AMBIGÜITÉ – « OU MOINS »

179 à 182

CONCLUSION ET DÉPENS

183 à 187

 

LES PARTIES ET LE PRODUIT EN CAUSE

[4]               Aux fins du présent procès, les demanderesses affirment ce qui suit, sans que Janssen ne le conteste : elles sont des personnes morales apparentées; AbbVie Deutschland GmbH & Co. KG est une entité allemande qui détient le brevet en cause; elle est la titulaire du brevet; AbbVie Biotechnology Ltd. est une société des Bermudes titulaire exclusive de la licence d’exploitation du brevet en cause; AbbVie Corporation, la société sœur d’AbbVie Bermuda, est canadienne; elles se réclament toutes deux de la titulaire du brevet. Je désignerai collectivement ces entités comme AbbVie, ou les demanderesses.

 

[5]               La défenderesse Janssen Inc. est une entreprise pharmaceutique axée sur la recherche qui est située à Toronto (Ontario). Janssen a obtenu du ministre de la Santé un avis de conformité l’autorisant à vendre au Canada des produits injectables stériles contenant 45 mg/0,5 ml et 90 mg/ml d’une substance appelée ustekinumab pour le traitement du psoriasis en plaques chronique, allant de modéré à sévère, chez les patients humains adultes qui sont de bons candidats à la photothérapie ou à un traitement systémique. Ce produit est vendu au Canada sous le nom de STELARA.

 

[6]               AbbVie ne vend pas un tel produit au Canada, et n’a pas reçu d’avis de conformité l’autorisant à ce faire.

 

LE BREVET 281 DANS LES GRANDES LIGNES

[7]               Le brevet en litige est le brevet canadien no 2 365 281, intitulé « Anticorps humains de liaison de l’IL‑12 humaine et méthodes de production connexes » (le brevet 281).

 

[8]               La demande relative au brevet 281 a été déposée le 24 mars 2000 au Bureau des brevets du Canada; ce brevet est donc régi par les dispositions de la Loi sur les brevets, LRC 1985, ch. P‑4, applicable aux demandes de brevet présentées après le 1er octobre 1989 (la « nouvelle » Loi sur les brevets). Les brevets sont valables pour une durée de vingt (20) ans à partir de la date du dépôt, c’est-à-dire en l’espèce jusqu’au 24 mars 2020, à moins qu’ils ne soient autrement supprimés à la suite d’un jugement de la Cour.

 

[9]               La demande relative au brevet 281 revendiquait une priorité sur la demande no 60/126 603 déposée aux États-Unis le 25 mars 1999. La demande canadienne a été mise à la disposition du public pour consultation (date de publication) le 28 septembre 2000.

 

[10]           Le brevet 281 a été accordé à Abbott GmbH & Co., KG le 4 août 2009. Aux fins du présent procès, il n’est pas contesté que cette entité a transféré à la demanderesse AbbVie Deutschland GmbH & Co. KG ses intérêts à l’égard du brevet 281 ainsi que tous ses droits et avantages liés au présent litige.

 

TECHNOLOGIE D’ARRIÈRE-PLAN

[11]           Le brevet 281 concerne une technologie qui n’a été portée devant cette Cour que récemment. Elle traite d’anticorps humains, d’immunologie, de la création d’anticorps spécifiques et de la sélection de substances cibles dans le corps humain qui peuvent être neutralisées en vue de traiter certaines maladies.

 

[12]           Une conférence donnée par le professeur Jack Gauldie, qui m’a été fournie conjointement par les parties sous la forme d’un DVD d’une durée d’une heure accompagné d’un carnet de diagrammes, m’a été d’un grand secours dans la préparation du présent procès. Bien que ces documents ne fassent pas partie de la preuve produite, je les ai versés en pièce A et B du juge au cas où elles seraient utiles à une cour d’appel. Cette conférence devait me fournir une mise en contexte et me familiariser avec la terminologie nécessaire pour comprendre la preuve produite au procès.

 

[13]           Bon nombre des mécanismes du système immunitaire humain sont connus depuis plus d’un siècle; on en découvre beaucoup, mais, malgré tout, il reste encore beaucoup à apprendre. On sait depuis plus de cent ans que lorsqu’une substance étrangère, comme une protéine, qui se trouve sur une bactérie ou un virus (souvent appelée antigène) est introduite dans le corps humain, le corps réagit en fabriquant des anticorps qui se fixent à cet antigène et le neutralisent. On sait aussi que, si une protéine qui se trouve dans le corps d’un autre animal, par exemple une souris, est introduite dans le corps humain, elle sera reconnue comme un antigène étranger et provoquera une réaction indésirable de la part du corps humain.

 

[14]           Comme les anticorps font partie du système immunitaire adaptatif, ils sont fortement régulés. Lorsquil découvre un corps étranger (antigène), le système immunitaire réagit en produisant un grand nombre danticorps qui ciblent lantigène découvert afin de léliminer de lorganisme. La production danticorps et la réaction du système immunitaire sont régulées par des protéines de signalisation appelées cytokines. Les cytokines ont pour fonction de médier et de réguler les réactions immunitaires dans lorganisme. Parmi les diverses cytokines connues figurent les interleukines, qui existent en grand nombre. En mars 1999, plusieurs interleukines avaient été identifiées, y compris linterleukine‑12, habituellement appelée IL‑12. Il était admis que lIL‑12 jouait un certain rôle dans l’immunité. Dans le présent contexte, lIL‑12 est ciblée par des anticorps fabriqués par le corps humain et, par conséquent, peut être considérée comme un antigène, c’est‑à‑dire une substance à laquelle des anticorps peuvent se lier ou qu’ils peuvent neutraliser.

 

[15]           Les anticorps, en particulier les anticorps monoclonaux, sont souvent décrits sous la forme d’une structure en Y, illustrée ci‑dessous :

 

Site de liaison de l’antigène

 

 

Région variable

Ponts disulfure

Chaîne légère

 

 

 

Région constante

Région Fc

Chaîne lourde

 

 

[16]           La structure centrale en Y est appelée la chaîne lourde, et les structures sur les côtés des branches supérieures du Y sont appelées les chaînes légères. À l’extrémité des branches supérieures des chaînes lourdes et des chaînes légères se trouvent les sections connues sous le nom de régions variables. Les régions variables lient lanticorps à l’antigène aux sites qui se trouvent sur la surface extérieure de lantigène, qui portent le nom d’épitopes. Il peut y avoir un certain nombre de tels sites sur la surface extérieure d’un antigène qui fournissent des épitopes convenables pour la liaison. La liaison sert de signal aux cellules immunitaires pour qu’elles détruisent ou neutralisent l’antigène. La liaison n’est pas permanente; un anticorps peut se lier et se dissocier à plusieurs reprises, selon son affinité, ou ce que j’appellerai son adhésivité.

 

[17]           Bien que les anticorps soient fabriqués naturellement dans le corps humain, il sest avéré souhaitable d’en créer des versions modifiées à des fins d’étude et d’utilisation thérapeutique éventuelle chez l’humain. Vers le milieu du siècle dernier, des souris ont été utilisées pour créer des anticorps. Ces types danticorps sont appelés des anticorps murins. Le corps humain les reconnaît comme des protéines étrangères (non humaines); par conséquent, il les rejette habituellement. L’ingénierie génétique a ensuite été utilisée pour rendre ces anticorps moins murins et plus humains. Les anticorps ainsi produits sont qualifiés d’humanisés. De façon générale, le corps humain reconnaît toujours les anticorps humanisés comme des substances étrangères.

 

[18]           On sest lancé dans des recherches en vue de créer des anticorps « entièrement humains ». Au moins deux techniques en sont ressorties. Lune était l’exposition sur phage. Une « banque » de fragments de matériel génétique faisant partie des chaînes légères et des chaînes lourdes de l’anticorps a été créée, et, à partir de ces fragments, les scientifiques ont assemblé divers anticorps composés de parties humaines seulement. La « banque » d’anticorps peut être utilisée pour choisir un anticorps spécifique qui se lie à un antigène donné. Une fois construits, ces anticorps pouvaient être multipliés rapidement.

 

[19]           L’autre technique consistait à modifier les souris de façon qu’elles expriment des anticorps humains. La technique comporte deux étapes. D’abord, le système immunitaire de la souris est détruit de sorte que celle‑ci ne puisse plus produire d’anticorps ou avoir de réaction immunitaire. Une telle souris est parfois désignée sous le nom de souris knock‑out ou souris transgénique. Par la suite, la souris immunodéficiente est modifiée génétiquement et clonée de façon à posséder des gènes d’anticorps humains. Lorsqu’un antigène lui est présenté, la souris produit des anticorps humains contre cet antigène spécifique. Ces anticorps peuvent ensuite être prélevés chez la souris et multipliés.

 

[20]           On peut créer différents anticorps en utilisant l’une ou l’autre de ces techniques; ces anticorps se lient sélectivement à certains segments, appelés épitopes, sur la surface de certains antigènes présents dans le corps humain.

 

[21]           La mesure dans laquelle un anticorps se fixe à un antigène ou s’en dissocie (l’anticorps étant alors activé [on] ou désactivé [off]), ce qu’on appelle parfois l’affinité et que j’appellerai l’adhésivité, peut être mesuré en faisant passer un mince filet de l’anticorps sur l’antigène (ou vice versa) en présence de lumière réfractée. La réfraction de la lumière, qui indique la mesure dans laquelle l’anticorps se fixe à l’antigène ou s’en dissocie, est mesurée, C’est là une façon de mesurer et de classer un anticorps particulier. Le brevet 281 vise un dispositif particulier utilisé pour mesurer l’affinité des anticorps, appelé BIAcore. Les résultats sont par exemple exprimés sous forme de constante cinétique de dissociation (koff) de 1 x 10-4 s-1 comme il est indiqué dans les revendications en litige.

 

[22]           Je reproduis un diagramme simplifié de la technique de BIAcore :

 

Analyte

 

 

 

 

Ligand

 

 

 

 

Couche de dextran

 

 

 

 

Mince film d’or

 

 

Kps**

 

Support en verre

 

 

 

 

Prisme

 

 

Détecteur

 

Lumière incidente

Lumière réfléchie

 

 

 

 

θrps*

 

 

 

 

 

Intensité

Position (θ)

*Angle de résonance plasmonique de surface                                                **Constante du produit de solubilité

 

[23]           Voici un graphique type produit par l’appareil :

Signal de résonance (kRU)

 

 

 

Dissociation

 

Cinétique

 

Association

 

Régénération

Concentration

Temps (min.)

 

[24]           Une autre mesure peut être prise pour déterminer la capacité de l’anticorps à inhiber l’activité fonctionnelle de l’antigène, une propriété appelée puissance. L’inhibition fonctionnelle de l’antigène est mesurée au moyen d’un essai de transformation blastique par la phytohémagglutinine (PHA) (essai PHA). Cet essai permet de mesurer la capacité des anticorps à bloquer la liaison de l’antigène à son récepteur cellulaire, liaison qui induit la transformation de cellules blastiques humaines stimulées par la PHA. Dans la technologie en litige, diverses dilutions de l’anticorps sont déposées sur des plaques contenant les cellules blastiques humaines dont la transformation est provoquée par l’IL‑12. Comme la transformation est induite par l’interaction de l’IL‑12 et du récepteur des cellules blastiques, toute réduction de la transformation cellulaire est corrélée avec la capacité de l’anticorps à inhiber l’activité de l’IL‑12. Les résultats sont exprimés sous forme de concentration inhibitrice 50 % (CI50), c’est‑à‑dire la concentration de l’anticorps nécessaire pour diminuer de 50 % la transformation des cellules blastiques. Dans le brevet, les résultats de l’essai PHA sont exprimés sous forme de CI50, par exemple 1 x 10-9 M.

 

[25]           Pour ce qui est de la propriété koff, c’est‑à‑dire l’adhésivité, plus l’anticorps adhère à l’antigène, mieux c’est. L’adhésivité s’exprime sous la forme 10-x, où x est un nombre exponentiel exprimant un degré de magnitude décroissant; plus le nombre x est grand, plus l’anticorps est adhésif. Ainsi, 10-4 indique une plus grande adhésivité que 10-2.

 

[26]           De même, pour ce qui est de l’essai PHA, qui mesure la puissance de l’anticorps, cette propriété est aussi mesurée en degrés de magnitude décroissante, 10-x, où x est un nombre. Moins la quantité d’anticorps nécessaire pour inhiber un antigène est petite, mieux c’est. Plus un anticorps est puissant, moins il en faut pour inhiber cinquante pour cent (CI50) d’un antigène. Un anticorps ayant une CI50 de 10-9 est plus puissant qu’un anticorps ayant un CI50 de 10-7.

 

[27]           En ce qui a trait aux revendications en litige, les propriétés de l’anticorps sont exprimées en termes d’adhésivité et de puissance.

 

[28]           Passons maintenant à un autre aspect. Les formes de vie sont composées d’éléments de base appelés les acides aminés, dont plus de vingt sont connus. Ces acides sont souvent désignés par une forme abrégée de trois lettres ou une lettre majuscule; ainsi, on écrit souvent gly, ou G, pour désigner la glycine, et ainsi de suite pour les autres acides aminés. Ces acides sont reliés dans différents ordres et longueurs pour former des substances comme les protéines et les peptides (essentiellement des protéines courtes). À mesure que ces chaînes deviennent plus longues et plus complexes, elles se replient, parfois à cause de l’interaction individuelle d’acides aminés dans la protéine et de l’hydrophobie spécifique de chaque acide aminé. Le repliement des chaînes d’acides aminés entraîne la formation de structures globulaires qui prennent des formes telles que le « Y » des anticorps en litige en l’espèce.

 

[29]           Ces anticorps en forme de Y sont composés de chaînes d’acides aminés, et la structure des acides aminés des anticorps fabriqués par la méthode de l’exposition sur phage est expliquée en détail dans le brevet 281. La structure des acides aminés des anticorps en forme de Y créés au moyen de la méthode de l’exposition sur phage diffère de celle des anticorps créés par la méthode de la souris transgénique. De plus, les points de liaison, ou épitopes, sur l’antigène auquel se fixent les anticorps en forme de Y créés par exposition sur phage diffèrent des épitopes sur l’antigène auquel se fixent les anticorps en forme de Y créés par la méthode de la souris transgénique.

 

LE BREVET 281 DANS LES DÉTAILS

[30]           Le brevet 281 est très imposant; le Bureau des brevets le qualifie de [traduction] « brevet géant ». Il comprend 169 pages de descriptions, de très nombreuses pages de listages de séquences, 223 revendications et quatorze pages de tableaux et diagrammes. Pendant le procès, on m’a fourni une table des matières utile que je reproduis ici :

 

TABLE DES MATIÈRES DU BREVET 281

[traduction]

 

Onglet

Document

Page

1.

Contexte de l’invention ...................................................................................................

1

2.

Résumé de l’invention .....................................................................................................

3

 

a)

Mise au point d’anticorps humains

 

 

b)

Utilisation thérapeutique des anticorps humains

 

 

c)

Réalisations de l’invention

 

3.

Fabrication d’anticorps de forte affinité ..........................................................................

 

 

a)

Description de la fabrication d’anticorps de forte affinité à l’aide de la méthode d’exposition sur phage

16-17

4.

Description détaillée de l’invention

 

 

a)

« Anticorps »...........................................................................................................

35

 

b)

« Interleukine-12 humaine » ...................................................................................

37

 

c)

« Anticorps humains recombinants » ......................................................................

39

 

d)

« Anticorps neutralisants » ......................................................................................

40

 

e)

« Résonance plasmonique de surface » ..................................................................

40

 

f)

« Koff » ....................................................................................................................

40

 

g)

« Approche de la mutagenèse sélective ».................................................................

43

 

h)

Anticorps humains qui se lient à l’IL-12 .................................................................

44

 

i)

Modifications des positions de mutagenèse sélective, des positions de contact ou des positions d’hypermutation privilégiées..............................................................

66

 

 

(i)

Une méthode relative aux anticorps généraux dans le brevet

 

 

j)

Résumé des anticorps produits (annexe A : tableau 2).............................................

124

 

k)

Compositions pharmaceutiques et administration pharmaceutique .........................

105

 

l)

Maladies associées à l’IL-12 ...................................................................................

108-109

 

m)

Utilisation des anticorps de l’invention ...................................................................

115

 

 

(i)

Psoriasis ...........................................................................................................

120

 

n)

Exemples

 

 

 

 

Exemple 1 :

Isolement des anticorps anti-IL-12............................................

135

 

 

 

Exemple 2 :

Mutation d’Y61 aux positions d’hypermutation et de contact...

141

 

 

 

Exemple 3 :

Activité fonctionnelle des anticorps anti-IL-12 humains (hIL-12)............................................................................................ ..................................................................................................

Préparation de lymphoblastes humains activés par la PHA

Essai de transformation des blastes humains par la PHA

144

 

 

 

Exemple 4 :

Activité in vivo des anticorps anti-hIL-12.................................

152

 

 

 

Exemple 5 :

Analyse cinétique de la liaison des anticorps humains à l’IL-12 humaine recombinante (rhIL-12)..............................................

155

 

 

 

Exemple 9 :

Pharmacologie clinique ...........................................................

But : Déterminer l’innocuité et la tolérabilité des anticorps anti‑IL‑12 chez l’humain

Découverte remarquable et heureuse

Sujet 62 traité à raison de 5 mg/kg

Le sujet 62 souffrait de psoriasis.

Disparition complète du psoriasis

Réapparition du psoriasis après l’élimination des anticorps de l’organisme

165

 

o)

Revendications........................................................................................................

 

 

 

 

 

[31]           Le contexte de l’invention est présenté aux pages 1 à 3 du brevet. On y décrit notamment un élément génétique présent chez l’humain : une cytokine appelée interleukine 12, ou IL‑12. Celle‑ci comprend deux sous‑unités : une unité de 35 kDa (kilodalton – une mesure de poids) et une unité de 40 kDa reliées par un pont disulfure (la sous‑unité p70). Du point de vue fonctionnel, on dit que l’IL‑12 joue un rôle essentiel dans la régulation de l’équilibre entre certains lymphocytes T du corps. Il est admis que l’IL‑12 semble jouer un rôle dans diverses maladies humaines; aussi a‑t‑on élaboré des stratégies pour inhiber ou contrer l’IL‑12, à commencer par des anticorps dérivés de la souris (murins). Ces anticorps provoquent une réaction indésirable (par des anticorps humains antimurins, ou AHAM) chez l’humain. Le contexte se termine ainsi à la page 3 :

 

[traduction]

De façon générale, les tentatives visant à surmonter les problèmes liés à l’utilisation d’anticorps entièrement murins chez l’humain ont fait appel à l’ingénierie génétique pour rendre ces anticorps plus « semblables à des anticorps humains ». Par exemple, on a préparé des anticorps chimériques dont les régions variables des chaînes de l’anticorps sont d’origine murine et les régions constantes, d’origine humaine (Junghans et al. (1990) Cancer Res. 50 :1495‑1502; Brown et al. (1991) Proc Natl. Acad. Sci. 88 :2663‑2667; Kettleborough et al. (1991) Protein Engineering, 4 :773‑783). Toutefois, parce que ces anticorps chimériques ou humanisés conservent quelques séquences murines, ils peuvent toujours provoquer une réaction immunitaire indésirable, soit une réaction par des anticorps humains anti‑chimériques » (AHAC), surtout lorsqu’ils sont administrés pendant de longues périodes.

 

Un agent inhibiteur de l’IL‑12 qui serait préférable aux anticorps murins ou dérivés de ceux‑ci (p. ex. anticorps chimériques ou humanisés) serait un anticorps anti‑IL‑12 entièrement humain, puisqu’ un tel agent ne devrait pas provoquer de réaction de type AHAM, même s’il était utilisé pendant de longues périodes. Cependant, de tels anticorps ne sont pas décrits dans l’art et sont donc encore nécessaires.

 

[32]           De la page 3 à la page 34 se trouve un résumé de l’invention, qui commence ainsi :

 

[traduction]

Résumé de l’invention

La présente invention fournit des anticorps humains qui se lient à l’IL‑12 humaine. Elle concerne également le traitement ou la prévention de maladies aiguës ou chroniques dont la pathologie met en jeu l’IL‑12, au moyen des anticorps anti‑IL‑12 humains de l’invention.

 

[33]           À partir de la page 3, le brevet traite de divers aspects de l’invention. À la page 15, un autre aspect est analysé, à savoir une méthode d’inhibition de l’IL‑12 chez les personnes atteintes de certaines maladies. Le psoriasis n’est pas mentionné.

 

[traduction]

Sur un autre plan, l’invention fournit une méthode pour inhiber l’activité de l’IL‑12 humaine chez un sujet humain souffrant d’une maladie dans laquelle l’activité de l’IL‑12 est néfaste, ladite méthode comprenant l’administration au sujet humain de l’anticorps de l’invention, p. ex. le J695, de sorte que l’activité de l’IL‑12 humaine chez le sujet humain est inhibée. La maladie en question peut être, par exemple, la maladie de Crohn, la sclérose en plaques ou la polyarthrite rhumatoïde.

 

[34]           À partir de la page 35, le brevet présente une description détaillée de l’invention. Un certain nombre de termes sont définis, dont « anticorps » (page 35) et « anticorps humain recombinant » (page 39) :

[traduction]

Le terme « anticorps » désigne une molécule d’immunoglobuline composée de quatre chaînes polypeptidiques, soit deux chaînes lourdes (LO) et deux chaînes légères (LE) interreliées par des ponts disulfure. Chacune des chaînes lourdes est composée d’une région variable de chaîne lourde (LCVR, ou VH) et d’une région constante de chaîne lourde.

[…]

 

L’expression « anticorps humain recombinant » comprend les anticorps humains qui sont préparés, exprimés, créés ou isolés par recombinaison, tels les anticorps exprimés au moyen d’un vecteur d’expression recombinant transfecté dans une cellule hôte (décrits de façon plus détaillée à la section II, ci‑dessous), les anticorps isolés d’une banque combinatoire d’anticorps humains recombinants (décrits de façon plus détaillée à la section III, ci‑dessous), les anticorps isolés d’un animal (p. ex. une souris) transgénique possédant des gènes d’immunoglobuline humaine (voir, p. ex. Taylor I.D. et al. (1992) Nucl. Acids Res. 20 :6287‑6295) ou les anticorps préparés, exprimés, créés ou isolés par n’importe quel autre moyen comportant l’épissage de séquences de gènes d’immunoglobuline humaine avec d’autres séquences d’ADN.

[…]

 

[35]           À partir de la page 44, le brevet décrit plus en détail divers aspects de l’invention. Les anticorps humains qui se lient à l’IL‑12 humaine sont les premiers à faire l’objet d’une analyse :

 

[traduction]

1. Anticorps humains qui se lient à l’IL‑12 humaine

Cette invention produit des anticorps humains isolés, ou des parties desdits anticorps, qui se lient à l’IL‑12 humaine. De préférence, les anticorps humains produits grâce à l’invention sont des anticorps anti‑IL‑12 humaine recombinants et neutralisants. Les anticorps de l’invention qui se lient à l’IL‑12 humaine peuvent être choisis, par exemple, par criblage avec l’ILh‑12 d’une ou plusieurs banques d’ADNc codant pour les régions VL et VH, par exemple par des techniques d’exposition sur phage telle que celles décrites à l’exemple 1.

[…]

 

(figure ensuite une description détaillée de l’exposition sur phage).

 

[36]           La page 47 et les pages suivantes traitent de l’adhésivité de l’antigène et de la détermination de cette propriété au moyen d’un essai PHA.

 

[37]           Une longue analyse de la mutagenèse suit.

 

[38]           Aux pages 108 à 110 figure une liste de maladies dans lesquelles il est dit que l’IL‑12 joue un rôle déterminant. Elle commence à la page 108 :

                        [traduction]

L’interleukine 12 joue un rôle déterminant dans la pathologie associée à diverses maladies ayant des composantes immunitaires et inflammatoires. Ces maladies comprennent, sans s’y limiter […]

 

 

(page 110)

[traduction]

De préférence, les anticorps issus de l’invention, ou la partie desdits anticorps qui se lie à l’antigène, sont utilisés pour traiter la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de Crohn, la sclérose en plaques, le diabète insulinodépendant et le psoriasis, comme il est décrit de façon plus détaillée à la section VII.

 

[39]           Ces maladies particulières sont analysées en détail à partir de la page 118 du brevet. Cette analyse est précédée de ce qui suit, aux pages 117 et 118 :

 

 

[traduction] Telle qu’elle est utilisée aux présentes, l’expression « maladie dans laquelle l’activité de l’IL‑12 est néfaste » s’entend des maladies et autres troubles dans lesquels la présence de l’IL‑12 chez un sujet atteint est responsable, ou soupçonnée d’être responsable, de la physiopathologie de la maladie ou d’être un facteur qui contribue à l’aggravation de la maladie. Par conséquent, une maladie dans laquelle l’activité de l’IL‑12 est néfaste est une maladie dont les symptômes devraient s’atténuer et la progression ralentir grâce à l’inhibition de l’IL‑12. De telles maladies peuvent être objectivées, par exemple, par une augmentation de la concentration d’IL‑12 dans un liquide biologique du sujet atteint (p. ex. une augmentation de la concentration d’IL‑12 dans le sérum, le plasma, le liquide synovial, etc., du sujet), qui peut être détectée, par exemple, au moyen d’un anticorps anti‑IL‑12 tel que décrit ci‑dessus. Il y a de nombreux exemples de maladies dans lesquelles l’activité de l’IL‑12 est néfaste. Dans une réalisation, les anticorps ou les parties desdits anticorps qui se lient à l’antigène peuvent être utilisés pour traiter les maladies ou troubles décrits aux présentes. Dans une autre réalisation, les anticorps ou les parties desdits anticorps qui se lient à l’antigène peuvent servir à fabriquer un médicament pour traiter les maladies ou les troubles décrits aux présentes. L’utilisation des anticorps, et de parties des anticorps, issus de l’invention pour le traitement de quelques maladies précises non limitées est décrite de façon plus détaillée ci‑dessous.

 

[40]           La question du psoriasis est traitée à la page 120 du brevet :

 

[traduction]

E. Psoriasis

L’interleukine‑12 est reconnue comme un médiateur clé dans le psoriasis. Le psoriasis cause des lésions cutanées aiguës et chroniques qui sont associées à un profil d’expression des cytokines de type TH1. (Hamid et al. (1996) J. Allergy Clin. Immunol. 1 :225‑231; Turka et al. (1995) Mo. Med. 1 :690‑699). Des ARNm des sous-unités p35 et p40 de l’interleukine IL‑12 ont été détectés dans des échantillons de peau humaine lésée. Par conséquent, les anticorps, ou les parties des anticorps qui se lient à l’antigène, de l’invention pourraient servir à atténuer des maladies cutanées chroniques comme le psoriasis.

L’invention dont il est question aux présentes est illustrée de façon plus détaillée par les exemples suivants, qui ne doivent aucunement être interprétés comme étant limitatifs. La teneur de toutes les références citées tout au long de la présente demande, notamment les références dans la littérature, les brevets délivrés et les demandes de brevets publiées, sont expressément intégrées par référence aux présentes. De plus, il est entendu que le contenu de tous les tableaux joints aux présentes (voir l’annexe A) est également inclus.

 

[41]           Un certain nombre d’exemples précis, dix au total, suivent. Le plus important en l’espèce est l’exemple 9, qui concerne un sujet humain qui a fait l’objet d’un essai de l’anticorps J695 et qui, « par le fruit du hasard », a reçu cet anticorps plutôt qu’un placebo. Ce sujet souffrait de psoriasis, qui a été traité par l’administration du J695. Il convient de noter que l’exemple 9 NE figurait PAS dans la demande de brevet prioritaire. Il ne figurait que dans la demande PCT (la demande canadienne) déposée le 24 mars 2000. Il y est dit :

 

[traduction]

Exemple 9 :          Pharmacologie clinique du J695

 

Dans le cadre d’une étude croisée réalisée à double insu, on a administré à 64 hommes en bonne santé des doses croissantes de J695 ou de placebo. La mesure du fragment C3a du complément avant et 0,25 h après l’administration n’a pas révélé d’activation du complément. Les taux de CRP et de fibrinogène n’étaient élevés que chez les sujets chez qui on a observé des symptômes d’infection concomitante.

Tous les sujets ont survécu, et la tolérabilité générale du J695 était très bonne. Le traitement n’a dû être arrêté en aucun cas en raison d’effets indésirables (EI). Les EI observés le plus souvent étaient une céphalée et un rhume/une bronchite, dont aucun n’a été classé comme sévère.

L’un des sujets de l’étude, un homme célibataire de 33 ans, souffrait de psoriasis en gouttes au début de l’étude. Suivant le plan d’étude randomisé, ce sujet a reçu par hasard 5 mg/kg de J695 par voie sous-cutanée (SC). Dix jours avant l’administration de l’anticorps, le sujet n’avait que quelques lésions papuleuses discrètes sur les bras et les jambes. Au moment de l’administration de l’anticorps, le sujet présentait davantage de rougeurs, un épaississement des plaques érythémateuses et une hyperkératose accrue. Une semaine après l’administration du J695, le sujet signalait une amélioration de l’état de sa peau, dont un aplanissement des lésions et une réduction de la desquamation. Peu après la deuxième administration du J695 (5 mg/kg par voie intraveineuse [IV]), la peau du sujet était totalement exempte de lésions psoriasiques, et ce, en l’absence de tout traitement local. Des plaques érythémateuses couvertes de squames blanches sont réapparues en même temps que l’élimination attendue du J695 après la deuxième administration de l’anticorps.

 

[42]           Après l’exemple 10, à la page 169, se trouve un paragraphe ayant trait aux équivalents :

 

ÉQUIVALENTS

Les personnes versées dans l’art reconnaîtront, ou seront en mesure de vérifier au moyen d’expériences courantes, de nombreux équivalents des réalisations précises de l’invention décrite aux présentes. Les revendications suivantes ont pour but d’englober ces équivalents.

 

[43]           Suivent plusieurs pages de « listages de séquence » se rapportant au J695; viennent ensuite 223 revendications puis quatorze pages de tables et de graphiques.

 

LES REVENDICATIONS EN CAUSE

[44]           Le brevet 281 contient deux cent vingt-trois (223) revendications. Les demanderesses AbbVie se sont concentrées sur deux d’entre elles : les revendications 143 et 222, rédigées sous forme de revendications dépendantes qui incorporent par renvoi des revendications antérieures du brevet; ainsi, la revendication 143 incorpore par renvoi la revendication 138, qui incorpore semblablement les revendications 1 à 38, 49, 56 à 62, 65 à 117 ou 119. La revendication 222 incorpore par renvoi la revendication 217, qui fait de même avec les revendications 144 à 169. Entre ces possibilités diverses, AbbVie a choisi de faire valoir la revendication 143 incorporant les revendications 78, 80, 84 et 138, et la revendication 222 incorporant les revendications 158, 165, 166 et 217.

 

[45]           Au procès, l’avocat de Janssen a accepté de restreindre la demande reconventionnelle de sa cliente à l’invalidité de ces revendications.

 

[46]           Avec les incorporations choisies, la revendication 143 se lit comme suit :

 

[traduction]

143.     L’utilisation d’un anticorps humain isolé neutralisant, ou d’une partie dudit anticorps se liant à l’antigène, qui se lie à l’IL‑12 humaine et s’en dissocie selon une constante de dissociation koff de 1 x 10s-1 ou moins, valeur déterminée par résonance plasmonique de surface, et qui inhibe la transformation blastique par la phytohémagglutinine dans un essai PHA in vitro dans lequel la CI50 est égale ou inférieure à 1 x 10-9 M, pour traiter le psoriasis.

 

 

 

[47]           La revendication 222, avec les incorporations choisies, se lit comme suit :

 

[traduction]

222.     L’utilisation d’un anticorps humain isolé, ou d’une partie dudit anticorps se liant à l’antigène, qui se lie à une interleukine humaine comportant une sous‑unité p40 et s’en dissocie selon une constante koff de 1 x 10-2 s-1 ou moins, valeur déterminée par résonance plasmonique de surface, et qui inhibe la transformation blastique par la phytohémagglutinine dans un essai PHA in vitro dans lequel la CI50 est égale ou inférieure à 1 x 10-9M, et neutralise l’activité de l’interleukine, pour traiter le psoriasis.

 

LA PREUVE

[48]           La preuve était composée de dépositions de témoins ayant comparu en personne, de rapports ou d’affidavits de témoins n’ayant pas comparu, de documents non contestés et versés en pièces, d’autres pièces versées au moment du procès, et de parties d’interrogatoires préalables réputées consignées en preuve. La preuve principale des témoins experts a été fournie sous la forme d’affidavits ou de déclarations réputés versés au dossier. Les parties ont convenu que certains documents seraient aussi versés au dossier sans preuve formelle. Ils se sont vu attribuer un numéro de pièce précédé de la lettre A, et doivent être considérés comme des copies conformes des originaux ayant été rédigés et, lorsque c’est indiqué, reçus par les personnes désignées à la date figurant sur le document. Il revient à la Cour d’évaluer leur pertinence.

 

[49]           AbbVie a présenté quatre témoins experts et trois témoins factuels. Janssen ne s’est pas opposée à ce que les experts soient appelés en cette qualité, mais sans rien concéder sur la nature et l’étendue de leur expertise.

 

[50]           AbbVie a présenté la preuve d’expert des témoins suivants :

 

a)      M. Mark Shlomchik : professeur d’immunologie, Pittsburgh, Pennsylvanie. AbbVie a proposé ce qui suit comme attestation de son expertise :

 

[traduction] Le Dr Mark Shlomchik est immunologiste clinicien et chercheur, de même que directeur du Département d’immunologie de l’Université de Pittsburgh. AbbVie propose que le DShlomchik soit reconnu en qualité d’immunologiste expert, y compris en matière de mise au point et d’évaluation d’anticorps humains au moyen de la technique d’exposition sur phage et de la méthode de la souris transgénique. AbbVie propose également que le DShlomchik soit reconnu à titre d’expert dans le domaine de l’utilisation d’anticorps pour traiter les maladies auto‑immunes ou inflammatoires. Le Dr Shlomchik aura qualité pour fournir des opinions au sujet de l’état de la technique, des autres connaissances de la personne versée dans l’art et de la signification des termes utilisés dans le brevet no 2,365,281, et pour exprimer les opinions formulées dans ses affidavits du 25 mars 1999 à aujourd’hui.

 

Le Dr Shlomchik a témoigné au sujet de la contrefaçon (pièce P‑95) et de la validité (pièce P‑96) du brevet 281.

 

b)      Dr Louis Weiner : médecin et professeur, Washington, district fédéral de Columbia. AbbVie a proposé ce qui suit comme attestation de son expertise :

 

[traduction] Le Dr Louis Weiner est actuellement oncologue clinicien et chercheur ainsi que professeur d’oncologie à l’Université Georgetown, à Washington. Il dirige le Lombardi Comprehensive Cancer Center de Georgetown, l’un de 41 centres de cancérologie seulement à être désignés comme Comprehensive Cancer Center par le National Cancer Institute des États-Unis. Le Dr Weiner possède une expertise dans la mise au point de nouveaux anticorps thérapeutiques. AbbVie propose que le Dr Weiner soit reconnu en qualité d’expert en ingénierie des anticorps et en mise au point d’anticorps humains, notamment les anticorps monoclonaux thérapeutiques, l’exposition sur phage et la méthode de la souris transgénique. Le Dr Weiner aura qualité pour fournir des opinions au sujet de l’état de la technique, des autres connaissances de la personne versée dans l’art et de la signification des termes utilisés dans le brevet canadien no 2,365,281, et pour exprimer les opinions formulées dans ses affidavits du 25 mars 1999 à aujourd’hui.

 

                       

Le Dr Weiner a témoigné au sujet de la validité (pièce P‑101) du brevet 281.

 

c)      M. Richard Chizzonite : expert‑conseil, Biotech/Pharma, South Kent, Connecticut. AbbVie a proposé ce qui suit comme attestation de son expertise :

 

[traduction] Au cours des années 1990, M. Richard Chizzonite faisait partie d’une équipe qui a identifié l’IL‑12 et a mis au point de nouveaux essais biologiques (y compris la technique de transformation blastique par la PHA) pour évaluer les caractéristiques biologiques de l’IL‑12. M. Chizzonite a participé directement à la mise au point d’anticorps dirigés contre l’IL‑12 dans le but éventuel de traiter des maladies, et il était l’un des principaux auteurs qui ont écrit au sujet de l’utilisation et de l’inhibition de l’IL‑12 pour traiter des maladies. M. Chizzonite est également l’auteur du chapitre de l’ouvrage Current Protocols in Immunology portant sur les essais de transformation blastique par la PHA pour l’IL‑12. AbbVie propose que M. Chizzonite soit reconnu à titre d’immunologiste expert en ce qui concerne notamment l’IL‑12 et les essais biologiques décrits dans le brevet canadien no 2,365,281. M. Chizzonite aura qualité pour formuler des opinions au sujet de l’état de la technique, des autres connaissances de la personne versée dans l’art et de la signification des termes utilisés dans le brevet canadien no 2,365,281, et pour exprimer les opinions formulées dans ses affidavits du 25 mars 1999 à aujourd’hui.

 

 

M. Chizzonite a témoigné au sujet de la contrefaçon (pièce P‑106) et de la validité (pièce P‑107) du brevet 281.

 

d)      M. Gregory De Crescenzo : professeur titulaire, Montréal (Québec). AbbVie a proposé ce qui suit comme attestation de son expertise :

 

[traduction] M. Gregory De Crescenzo est actuellement professeur au Département de génie chimique à l’École polytechnique de Montréal. AbbVie propose que M. De Crescenzo soit reconnu à titre d’expert en technique de résonance plasmonique de surface, notamment l’utilisation des appareils BIAcore pour l’analyse des interactions entre les molécules (dont les mesures de KD et de koff pour les interactions protéine‑protéine). M. De Crescenzo aura qualité pour se prononcer sur la signification des termes utilisés dans le brevet canadien no 2,365,281 du point de vue de la personne versée dans l’art, et pour exprimer les opinions formulées dans ses affidavits de septembre 2000 à aujourd’hui.

 

M. De Crescenzo a témoigné au sujet de la contrefaçon (pièce P‑120) et de la validité (pièce P‑121) du brevet 281. Certaines notes explicatives ont été déposées en preuve, à titre de pièce A‑165, d’un commun accord entre les avocats.

 

[51]           AbbVie a cité trois témoins pour exposer les faits :

 

a)      M. Stuart Friedrich : chercheur, Morpeth (Ontario). Il est l’un des inventeurs nommés dans le brevet 281. Il a témoigné au sujet d’une certaine partie du travail de mise au point ayant mené au brevet. Il a comparu en personne et a été interrogé et contre‑interrogé.

 

b)      M. Richard Hughes : chef de projet scientifique, Cambridge, Royaume‑Uni. Il a mené une expérience visant à déterminer la CI50 de STELARA dans un essai in vitro de transformation blastique par la PHA.

 

Il n’a pas témoigné en personne. Son témoignage a été présenté sous forme d’affidavit (pièce P‑105). Il n’y a pas eu de contre‑interrogatoire puisque Janssen a refusé de contre‑interroger le témoin bien que j’aie autorisé son contre‑interrogatoire dans une lettre rogatoire.

 

c)      Suping Jin : associée de recherche principale, San Antonio, Texas. Elle a mené une expérience visant à déterminer la constante koff de dissociation de STELARA de l’IL-12 humaine, au moyen d’un appareil BIAcore.

 

Son témoignage faisait partie du rapport joint à son affidavit (pièce P‑122). Elle a comparu et a été interrogée et contre‑interrogée.

 

[52]           En outre, AbbVie a déposé en preuve des parties de l’interrogatoire préalable de Janssen (pièce P‑163).

 

[53]           Janssen a présenté la preuve de trois témoins experts et de deux témoins des faits. Aucune objection n’a été soulevée par AbbVie quant à la qualité d’expert des témoins, bien que la nature et l’étendue de leur expertise n’aient pas été reconnues.

 

a)      M. Michael Eck : chercheur et professeur, Brookline, Massachusetts. Il a témoigné au sujet des séquences d’acides aminés et des structures tridimensionnelles de deux anticorps : STELARA et J695. Son témoignage a été présenté sous forme de rapport en deux volumes (pièce D‑123), qui devait être consigné en preuve. M. Eck n’a pas comparu. Il n’y a pas eu de contre‑interrogatoire.

 

b)      Dre Marie (Marika) Sarfati : chercheure et professeure, Montréal (Québec). Janssen a préparé la déclaration suivante au sujet de son expertise :

 

[traduction] Marie Sarfati aura qualité pour témoigner au sujet de l’immunologie humaine, en particulier au sujet de l’IL‑12, notamment la régulation des réactions immunitaires, les anticorps humains, les interleukines humaines, l’affinité des anticorps, la neutralisation des anticorps et l’utilisation d’anticorps entièrement humains pour le traitement de maladies.

 

 

La Dre Sarfati a comparu et a témoigné au sujet de la validité (pièce D‑152) et de la contrefaçon (pièce D‑153) du brevet 281. Elle a été contre‑interrogée.

 

c)            M. Andrew J. T. George : professeur d’immunologie, Richmond, Royaume‑Uni. Janssen a préparé la déclaration suivante au sujet de son expertise :

[traduction] Andrew J. T. George aura qualité pour témoigner au sujet des principes fondamentaux de l’immunologie, des anticorps et des anticorps thérapeutiques, ainsi que de l’ingénierie des anticorps, notamment l’utilisation de techniques de recombinaison pour produire des anticorps au moyen des méthodes d’exposition sur phage et de la souris transgénique, et au sujet de l’analyse, la détection et la mesure des cellules et molécules immunitaires, y compris l’affinité et la cinétique des interactions anticorps-antigène.

 

M. George a comparu et a témoigné au sujet de la validité (pièce D‑155 en quatre volumes) et de la contrefaçon (pièce D‑156) du brevet 281. Certaines corrections ont été déposées à titre de pièce D‑157. M. George a été contre‑interrogé.

 

[54]           Janssen a cité deux témoins des faits :

a)          M. John Ghrayeb : chercheur retraité, Downingtown, Pennsylvanie. Il a participé à la mise au point du médicament appelé STELARA et a témoigné à ce sujet. Il a comparu et a été interrogé et contre‑interrogé.

 

b)        George Treacy : toxicologue retraité, Downingtown, Pennsylvanie. Il a participé aux premières étapes de la mise au point du médicament maintenant connu sous le nom de STELARA. Il a témoigné au sujet de certaines notes de service qu’il a rédigées en 1999 (pièce 147) et a été contre‑interrogé.

 

[55]           De plus, Janssen a produit en preuve des parties de l’interrogatoire préalable d’AbbVie (pièce D‑162).

 

COMMENTAIRES TOUCHANT LA PREUVE ET LES TÉMOINS

a)         Commentaires touchant les témoins experts

[56]           Je suis convaincu que chacune des personnes appelées à témoigner comme expert par les parties était apte à le faire dans la mesure de ses qualifications, telles qu’elles ont été présentées par l’avocat et décrites plus tôt dans les présents motifs. Je suis également convaincu que chaque expert a pris connaissance du code de déontologie régissant les témoins experts et qu’il s’est engagé à le respecter, conformément à l’alinéa 52.1(1)c) des Règles et à l’annexe de la formule 52.2.

 

[57]           En ce qui concerne les experts présentés par AbbVie, j’accorde le plus grand poids à la preuve du Dr Weiner, qui a travaillé dans le domaine concerné durant la période pertinente, et a livré ses réponses avec beaucoup de franchise. J’ai également été impressionné par M. Chizzonite, qui a accumulé une grande expérience durant la période pertinente, et a rédigé de nombreux articles scientifiques sur le sujet. Je n’écarte pas la preuve de M. Shlomchik, dont les compétences sont remarquables, mais il n’a pas joué de rôle important dans le domaine durant la période pertinente. Sa preuve laissait entrevoir semble-t-il davantage de recul. Il paraissait un peu nerveux à la barre des témoins : je l’attribue au fait que c’était sans doute la première fois qu’il témoignait comme expert dans une audience publique. J’admets sans hésitation la preuve de M. De Crescenzo, qui n’a pratiquement pas été contestée.

 

[58]           Quant aux experts appelés par Janssen, M. George était manifestement un témoin averti et expérimenté, avec des compétences impressionnantes dans le domaine concerné durant la période pertinente. À l’évidence, il a témoigné comme expert plusieurs fois. Je l’ai presque trouvé trop bien exercé. Lors du contre-interrogatoire, son attention a été attirée sur des parties de sa preuve principale écrite qui, en réalité, n’étaient pas étayées par les documents justificatifs, malgré ses déclarations à l’effet contraire durant son témoignage. Cela donne à penser qu’il était peut-être trop sûr de sa preuve et qu’il aurait dû se montrer plus prudent.

 

[59]           L’autre témoin expert de Janssen, la Dre Sarfati, semble avoir joué un rôle mineur dans le domaine concerné durant la période pertinente. Elle avait parfois l’air un peu confuse et nerveuse durant son contre-interrogatoire. Sa preuve bénéficie largement du recul; je ne lui accorderai pas autant de poids qu’à celle des autres experts.

 

[60]           M. Eck, un autre expert présenté par Janssen, n’a pas comparu en personne; sa preuve est incontestée.

 

[61]           Dans l’ensemble, j’ai été le plus impressionné par le Dr Weiner et, sauf indication contraire, j’accorderai préséance à sa preuve.

 

b)         Essais relatifs au produit STELARA de Janssen

[62]           Seule AbbVie a effectué des essais sur le produit STELARA de Janssen. Bien qu’il s’agisse de son produit et qu’elle a indubitablement les moyens de réaliser les essais nécessaires, Janssen n’a pas présenté en preuve les résultats de pareils essais : elle s’est contentée de critiquer ceux qu’AbbVie avait commandés. Par conséquent, je ne dois évaluer ceux-ci qu’au regard des critiques formulées, et non d’autres essais. Si Janssen croyait véritablement que son produit n’obéissait pas à certains paramètres, je me serais attendu à ce qu’elle présente en preuve des essais qui le démontrent.

 

[63]           Janssen a soumis une requête, qui devait être examinée durant le procès, visant à exclure la preuve relative à ces essais effectués par des tiers à la demande d’AbbVie. Elle cherchait notamment à faire exclure la preuve de Mme Jin et de M. Hughes.

 

[64]           Contrairement à la pratique courante au Royaume-Uni, telle que décrite dans le « White Book », Civil Procedure, volume 2, 2013, Sweet & Maxwell, Londres, à la page 730, il n’existe pas encore de règles des cours fédérales du Canada se rapportant spécifiquement aux tests effectués pour les besoins des procès. Dans Omark Industries (1960) Ltd c Gouger Saw Chain Co, (1965) 1 Ex C R 457, à la page 516, le juge Noël évoque une règle [traduction] « salutaire » suivant laquelle la partie adverse devrait être avisée de ces expériences et autorisée à y assister. Il ajoute cependant qu’un essai effectué en l’absence d’une partie peut être admissible, quoique sujet à pondération, surtout lorsque la partie adverse pouvait aisément réaliser le même essai, comme dans cette affaire. Plus récemment, le juge O’Reilly de la Cour dans Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2013 CF 493, au paragraphe 40, a indiqué que lorsqu’une partie est avisée bien à l’avance de la tenue des essais et qu’elle sait parfaitement comment ils seront menés, il ne lui est pas donné de faire valoir que leurs résultats sont inadmissibles parce qu’ils ont été effectués en son absence.

 

[65]           AbbVie a déposé des éléments de preuve concernant les essais effectués dans deux laboratoires indépendants. L’un de ces essais a été mené par Mme Suping Jin au Health Centre de l’Université du Texas, où elle a établi que la constante koff de la dissociation de STELARA de l’IL‑12 était de 0,76 x 10-4 s-1. Son témoignage en contre‑interrogatoire m’a convaincu qu’elle avait effectué l’essai correctement et que son résultat est fiable. M. De Crescenzo, expert cité par AbbVie, en particulier aux paragraphes 37 à 45 de la pièce P‑121, appuie les conclusions de Mme Jin. Au paragraphe 8 de son deuxième affidavit (pièce D‑156), M. George, expert cité par Janssen, a critiqué l’analyse de Mme Jin uniquement en ce sens qu’elle fournit peu d’information (paragraphe 8), mais il reconnaît que les expériences de Mme Jin sont conformes au protocole de l’exemple 5 du brevet 281 (paragraphe 13).

 

[66]           Il convient de souligner que les affidavits originaux de MM. De Crescenzo et George renvoient aux preuves fournies par d’autres personnes – M. Vinitsky et M. Rich – et qu’aucun d’entre eux n’a été cité à témoigner par l’une ou l’autre des parties. Ces commentaires ont été rédigés à partir de l’affidavit maintenant désigné comme la pièce P‑121.

 

[67]           Une autre série d’expériences a été effectuée chez Quotient Bio Analytical Sciences à Cambridge, au Royaume‑Uni, par M. Richard Hughes. L’avocat d’AbbVie a admis qu’aucun avis préalable de ces essais n’a été donné à l’avocat de Janssen et qu’aucun représentant de Janssen n’était bien sûr présent.

 

[68]           Les éléments de preuve concernant ces essais ont été obtenus grâce au dépôt de l’affidavit de M. Hugues (pièce P‑105), qui n’a pas comparu, et bien que j’aie délivré une lettre rogatoire autorisant Janssen à procéder à un contre‑interrogatoire, Janssen a choisi de ne pas le faire. M. Hugues a effectué des essais PHA sur le produit STELARA de Janssen et a conclu que STELARA inhibait la transformation blastique par la PHA dans un essai PHA, la CI50 étant inférieure à 1 x 10-9. Aux paragraphes 45 à 64 de son premier affidavit (pièce P‑106), M. Chizzonite, expert témoignant pour AbbVie, passe en revue le travail de M. Hugues et souscrit à sa conclusion.

 

[69]           Dans sa deuxième déclaration (pièce D‑153), la Dre Sarfati, experte témoignant pour Janssen, a critiqué le travail de M. Hugues essentiellement parce qu’elle aurait voulu que d’autres expériences soient effectuées sur d’autres échantillons. Au paragraphe 16, elle semble reconnaître que les essais ont été effectués comme il se doit, mais, à son avis, ils ne devraient être considérés que comme des essais préliminaires.

 

[70]           Compte tenu de la preuve dont je dispose, et après avoir examiné les critiques formulées par Janssen, et étant donné que Janssen a eu la possibilité de contre‑interroger M. Hugues et que Janssen n’a fourni aucun résultat d’essai de quelque nature que ce soit, je conclus que la preuve issue de ces deux essais est recevable et qu’elle démontre que :

 

                     la constante koff de la dissociation de STELARA de l’IL‑12 humaine est de 0,76 x 10-4 s-1;

 

                     STELARA inhibe la transformation blastique par la PHA dans un essai PHA, la CI50 étant inférieure à 1 x 10-9 M.

 

c)         Travaux ayant mené au brevet 281

[71]           AbbVie n’a cité à témoigner que l’une des personnes nommées à titre d’inventeurs du brevet 281, soit M. Stuart Friedrich. Vingt‑deux personnes sont nommées en qualité d’inventeurs du brevet 281. Parmi les autres inventeurs nommés, Mme Veldman a été interrogée par l’avocat de Janssen lors de l’interrogatoire préalable, et certaines de ses réponses figurent dans les parties des interrogatoires lues par Janssen au procès. Les avocats auraient eu des discussions à savoir si Mme Veldman comparaîtrait comme témoin au procès (pièce D‑119). Elle n’a pas comparu. Janssen n’a pas demandé de lettre rogatoire pour l’interroger. D’autres inventeurs nommés ont également été interrogés au cours de l’interrogatoire préalable et des parties de leurs interrogatoires ont été lues au procès, avec le consentement de l’avocat d’AbbVie.

 

[72]           La mise au point a commencé en Allemagne, dans une organisation connue sous le nom de BASF, qui collaborait avec une entreprise appelée Genetics Institute.

 

[73]           M. Friedrich s’est joint à l’équipe de ce qui était connu à l’époque comme le Genetics Institute (qui a par la suite fait partie d’une entreprise du nom de Wyeth) en 1998. Il a quitté l’organisation en juillet 2001. Au cours de la période qu’il a passée auprès de l’organisation, M. Friedrich a travaillé à la détermination des propriétés pharmacocinétiques et toxicocinétiques d’un anticorps appelé J695. Il a mené des études dans le cadre desquelles le J695 a été administré à des singes. Les résultats de certaines de ces études sont décrits dans le brevet 281. À l’époque, la recherche était axée principalement sur la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de Crohn et la sclérose en plaques. M. Friedrich a repéré une étude dans laquelle, semble‑t‑il par le fruit du hasard, l’un des sujets des essais chez l’humain souffrait d’un psoriasis qui est disparu après que le J695 lui eut été administré. Le résultat est présenté à l’exemple 9 du brevet 281.

 

[74]           Je n’hésite aucunement à admettre la véracité du témoignage de M. Friedrich; cependant, sa participation au projet, tant sur le plan de la portée que de la durée, était limitée.

 

d)         Travaux ayant mené au produit STELARA

[75]           Janssen a présenté la preuve factuelle de MM. Ghrayeb et Treacy, deux retraités qui ont travaillé en qualité de chercheurs dans une organisation nommée Centocor, acquise par la suite par Johnson & Johnson, dont Janssen est également membre. MM. Ghrayeb et Treacy ont témoigné au sujet de la mise au point d’anticorps qui se lieraient à l’IL‑12 humaine. Centocor a utilisé des souris transgéniques dans ces travaux. Du moins à l’époque, Centocor ne disposait pas de la technologie d’exposition sur phage.

 

[76]           M. Ghrayeb est l’une des personnes qui ont participé personnellement au projet et ont supervisé d’autres participants. Il est retraité depuis un certain temps, et il avait de la difficulté à se souvenir des dates et de la chronologie des événements sans l’aide de documents. Il a témoigné au cours d’instances devant les tribunaux américains et, au cours du contre‑interrogatoire en l’espèce, il a admis que certaines des réponses qu’il a données aux instances tenues aux États‑Unis au sujet de la chronologie des événements étaient incorrectes (transcription, volume 6, pages 971 à 976). Par conséquent, c’est avec circonspection que j’accepterai le témoignage de M. Ghrayeb lorsqu’il ne sera pas corroboré par les documents déposés en preuve.

 

[77]           M. Treacy était également l’un des chercheurs ayant participé au projet STELARA. Il a récemment pris sa retraite de Centocor. Il semble que l’avocat de Janssen n’aurait communiqué avec lui que quelques semaines seulement avant le début du présent procès et lui aurait posé des questions au sujet de ses souvenirs des événements. Manifestement motivé par cette discussion, il est retourné chez lui, où il a trouvé un ordinateur dans une aire de rangement; dans la mémoire de cet ordinateur, il a repéré deux notes de service qu’il avait rédigées en mai 1999 et qui concernaient une recherche d’antériorités relatives à l’IL‑12 et au psoriasis qu’il avait menée à l’époque. Ces notes de service ont été déposées en preuve au procès. M. Treacy a admis qu’il ne possédait pas de compétences approfondies du domaine qui concernait sa recherche.

 

[78]           Je n’accorde que peu de poids à la preuve de M. Treacy, et notamment à ses notes de service, dont il semble qu’elles n’ont jamais été ni citées ni mentionnées dans quelque rapport ou résumé préparé par le groupe de recherche Centocor. Nous ignorons quel usage, le cas échéant, a été réservé à ces documents. Ils n’ont pas été produits par Janssen lors des communications préalables, ni été mentionnés par M. Ghrayeb dans son compte rendu des événements. La nature et la fonction exactes, quelles qu’elles soient, de ces documents dans le cadre du projet STELARA chez Centocor restent obscures; rien n’indique qu’ils aient jamais été utilisés. Leur apparition quelques jours seulement avant le procès m’amène à leur accorder peu de poids, d’autant qu’ils n’ont pas été produits lors des communications préalables dans le cadre des instances américaines ou canadiennes, et qu’ils n’ont joué aucun rôle dans le développement de projet chez Centocor.

e)         Chronologie comparative des événements chez AbbVie et Janssen

[79]           Aux paragraphes 12 et 13 de sa demande, AbbVie allègue qu’elle est la première société à avoir mis au point des anticorps humains qui neutralisent l’IL‑12, et que le produit de Janssen est postérieur au sien. Dans sa défense, cette dernière nie ces allégations et prétend avoir conçu son produit en 1997. Comme les arguments mettaient en cause la date de conception de chacune des parties, j’ai autorisé la présentation d’éléments de preuve sur cette question, même s’il apparaît que leur pertinence est marginale.

 

[80]           Je dresse sous forme de tableau une chronologie de certains des événements qui se sont produits relativement aux travaux de chacune des parties, comme ils ressortent du dossier en l’espèce :

 

AbbVie

 

Janssen

Type de document

 

 

Type de document

 

Nom

Catégorie

Document

Date

Nom

Catégorie

Document

Rapport d’étape 1

Travaux menant au brevet

Rapport sur les progrès réalisés (isolement d’anticorps se liant à l’IL‑12)

13-09-1995

 

 

 

Rapport d’étape 2

Travaux menant au brevet

Rapport sur les progrès réalisés (neutralisation des anticorps anti‑IL‑12 isolés)

12-12-1995

 

 

 

Rapport d’étape 3

Travaux menant au brevet

Rapport sur les progrès réalisés (une lignée choisie possédant les bonnes caractéristiques)

15-07-1996

 

 

 

 

 

 

10-04-1997

Janssen

Cahier de laboratoire

Injections d’’IL‑12 et de TNF par Genpham (Janssen allègue qu’il s’agit d’injections à des souris, mais je n’en vois pas la preuve)

 

 

 

01-10-1997

Janssen

Cahier de laboratoire

Anticorps de Stelara purifié

 

Rapport d’étape 4

Travaux menant au brevet

Rapport sur les progrès réalisés (l’anticorps Y61 choisi comme l’un des deux meilleurs)

28-11-1997

 

 

 

État d’avancement

Travaux menant au brevet

J695 proposé comme candidat

07-05-1998

 

 

 

 

 

 

22-05-1998

Réunion de Janssen

Réunion du conseil consultatif scientifique (CCS)

Stelara présenté au CCS, aucun commentaire sur son indication quant au psoriasis

Rapport d’étape 5

Travaux menant au brevet

Maturation d’affinité de l’Y61 menant au J695

26-08-1998

Centocor

Note de service inter‑bureaux

Psoriasis mentionné dans les indications cliniques par l’équipe chargée de l’IL‑12

 

 

 

05-11-1998

Centocor

Note de service inter‑bureaux

Psoriasis mentionné en tant qu’indicateur clinique

Brevet 281

Date de priorité

Date de priorité par rapport au brevet américain 60/126,603

 

 

25-03-1999

 

 

 

 

 

Essai de phase 1 du J695 et 1re fois où le J695 a été administré au patient no 62

 

 

09-09-1999

 

 

 

 

 

 

05-10-1999

Centocor

Correspondance inter‑bureaux

Discussion d’un essai possible de phase 1 pour le psoriasis

 

 

Modification de la demande en vue d’ajouter l’exemple 9 démontrant que le J695 a été utilisé pour traiter le psoriasis chez l’humain

03-11-1999

 

 

 

 

 

 

27-01-2000

Note de service inter‑bureaux de Centocor

Mise à jour technique

Exposition sur phage envisagée pour faire avancer la technologie de Centocor

 

 

 

10-02-2000

Note de service inter‑bureaux

Indication clinique recommandée pour un premier essai chez l’humain

Psoriasis et maladie de Crohn envisagés par l’équipe comme des maladies pouvant faire l’objet d’un essai clinique chez l’humain

Brevet 281

Date de dépôt de la demande PCT (Canada)

Date de dépôt de la demande PCT pour le brevet 281 au Canada

24-03-2000

 

 

 

 

 

 

07-08-2000

Bureau des brevets des É.‑U.

Demande de brevet provisoire no 60/223358

Aucune revendication particulière visant le psoriasis exclusivement (revendiqué dans un large groupe, à la revendication 25) et mentionné dans un groupe similaire dans la description

Brevet 281

Date de publication

Publication du brevet 281 au Canada, pas de revendication relative au psoriasis uniquement, mais l’exemple 9 y figure

28-09-2000

 

 

 

 

 

 

05-10-2000

Courriel de George Heavner à Centocor

Recherche de la littérature

John Grayeb a reçu un courriel concernant le brevet WO 00/56772

 

 

 

xx-12-2000

Engagement

Réponses sur engagement

Protocole relatif au psoriasis terminé

 

 

 

06-04-2001

Engagement

Réponses sur engagement

Début de l’essai de phase 1 auprès de patients atteints de psoriasis

 

 

 

09-05-2001

Engagement

Réponses sur engagement

Stelara administré pour la première fois à des sujets humains atteints de psoriasis

 

 

 

01-07-2001

Rapport de Centocor

Rapport mensuel

Essais de phases II et III - le programme relatif au psoriasis ne fait ressortir aucun résultat obtenu ou attendu

Réunion du comité de gestion

Document d’information

Un essai clinique pour le psoriasis est envisagé; des experts ont été contactés relativement à l’essai

14-02-2001

 

 

 

Recomman-dations de mise au point du J695

Résumé de la réunion du Comité d’évaluation des projets (CEP)

« Ne pas amorcer d’étude de démonstration de principe sur le psoriasis pour le moment »

13-06-2002

 

 

 

 

 

 

14-04-2004

Publication dans une revue

J Invest Dermatol

Publication des résultats de l’essai de phase 1 de Stelara contre le psoriasis

Problèmes liés au brevet américain

6,914,128

Aucune revendication du brevet américain ne porte que sur le psoriasis, MAIS l’exemple 9 est présent

05-07-2005

 

 

 

Document de demande de brevet canadien

Réponse au rapport de l’examinateur

Nouvel ensemble de revendications pour le brevet 281, mais sans revendication portant uniquement sur le psoriasis

28-08-2006

 

 

 

Document de demande de brevet canadien

Réponse au rapport de l’examinateur

Nouvel ensemble de revendications pour le brevet 281, avec des revendications portant uniquement sur le psoriasis

27-06-2007

 

 

 

 

 

 

01-09-2006

Courriel de Fidelus‑Gort à Centocor

Rapport de recherche

Le J695 (résultats d’AbbVie) ne s’est pas avéré efficace à l’essai de phase III sur la sclérose en plaques

 

 

 

 

12-12-2008

Document de brevet canadien

Avis de conformité

Avis de conformité de Stelara

 

Problèmes liés au brevet américain

7,504,485

Problèmes liés au brevet américain en ce qui a trait aux revendications relatives au psoriasis

 

17-03-2009

 

 

 

Document de brevet canadien

2,365,281

Problèmes liés au brevet canadien 281

04-08-2009

 

 

 

Demande soumise à la Cour fédérale

Déclaration de revendication

Demande T‑1310‑09 entreprise

10-08-2009

 

 

 

 

 

[81]           En me fondant sur les éléments de preuve présentés au procès, en particulier la preuve factuelle de MM. Friedrich, Ghrayeb et Treacy, sur leurs pièces déposées en preuve, sur les documents déposés d’un accord commun, et sur les parties des interrogatoires préalables qui ont été lues en preuve, je conclus que :

 

                     les travaux d’AbbVie et de ses prédécesseurs ayant trait à l’antigène J695, et ceux de Janssen relativement à STELARA, étaient des travaux distincts;

 

                     il n’y a pas de preuve convaincante que la décision de Janssen d’orienter ses travaux sur le psoriasis était de quelque façon que ce soit motivée par la publication de la demande de brevet 281, ou par la publication d’une demande similaire dans un autre pays;

 

                     il n’y a pas de preuve convaincante que la décision d’AbbVie d’inclure des revendications dans la demande de brevet 281 était motivée par une quelconque publication des travaux de Janssen relatifs à STELARA;

 

                     la lenteur d’AbbVie à amorcer les travaux cliniques relatifs au psoriasis n’a pas été attribuée à un manque de confiance; AbbVie a plutôt choisi de poursuivre des recherches sur d’autres maladies, pour des raisons pragmatiques;

 

                     la lenteur de Janssen à amorcer des travaux cliniques relatifs au psoriasis n’était pas motivée non plus par le manque de confiance, mais par d’autres raisons pragmatiques.

 

f)         Comparaison entre STELARA et le J695

[82]           Janssen vend au Canada un produit qu’elle appelle STELARA; ce produit a comme principe actif une matière biologique que Janssen a nommé ustekinumab, nom pratiquement impossible à prononcer. Je désignerai le produit, et en particulier son principe actif, sous le nom STELARA.

 

[83]           AbbVie a mis au point une matière biologique qu’elle appelle le J695. Cette matière est décrite longuement dans le brevet 281.

 

[84]           Je vais comparer STELARA et le J695, tant sur le plan de leurs similitudes que de leurs différences, en me fondant sur la preuve versée au dossier pendant le procès. On ne doit pas confondre cet exercice avec ma comparaison à venir entre STELARA et les revendications en litige. Il s’agit d’un exercice très différent.

 

[85]           Ainsi, lorsque je compare STELARA et le J695, je fais les constatations suivantes :

 

                     les deux sont des antigènes humains qui se lient à l’IL‑12 humaine;

 

                     les deux ont une adhésivité et une puissance similaires quant à leur liaison à l’IL‑12 humaine;

 

                     ils ont été obtenus de façon très différente; STELARA a été produit au moyen de la technologie de la souris transgénique; alors que le J695 a été produit au moyen de la technique d’exposition sur phage;

 

                     STELARA et le J695 se lient tous deux à l’IL‑12 humaine, mais à des sites (épitopes) différents;

 

                     STELARA et le J695 ont une constitution génétique différente; la similitude de leur séquence d’acides aminés est au mieux de 50 %;

 

                     les sites de fixation situés à l’extrémité supérieure de la structure en Y de STELARA et du J695 sont de nature différente;

 

                     STELARA a été homologué par les autorités gouvernementales canadiennes compétentes à des fins de vente au Canada pour le traitement du psoriasis; ce n’est pas le cas du J695. En fait, le J695 n’a été homologué à des fins de vente par les autorités compétentes d’aucun pays; la preuve n’en indique pas la raison.

 

DÉCISION AMÉRICAINE

[86]           Ont été respectivement déposées en pièces A11 et A12 les copies d’un mémoire modifié et d’une ordonnance se rapportant à des requêtes incidentes sur jugement sommaire, et une ordonnance se rapportant à une requête en jugement sur une question de droit, du juge Saylor de la Cour de district des États-Unis, district du Massachusetts, action judiciaire no 09‑11340‑FDS, dans l’affaire Abbott GmbH & Co et al and Centocor Ortho Biotech Inc et al. Cette décision concernait des parties à la présente action ou d’autres ayant des intérêts connexes aux leurs, et deux brevets américains à plusieurs égards identiques ou comparables au brevet 281 dont il est ici question. Les revendications en cause dans cette affaire sont différentes de celles deux qui nous occupent. Aux États-Unis, le procès s’est déroulé devant jury.

 

[87]           L’avocat m’a informé que l’affaire a été portée en appel devant la Cour d’appel des États-Unis pour le circuit fédéral (US CAFC).

 

[88]           J’ai pris note de ces décisions, mais n’en ai pas tenu compte pour trancher l’affaire dont je suis saisi.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[89]           Les demanderesses allèguent que les revendications 143 et 222 du brevet 281 sont valides et qu’elles sont contrefaites. La défenderesse rejette ces allégations et soutient, comme demanderesse reconventionnelle, que ces revendications doivent être déclarées invalides.

 

[90]           En vertu d’une ordonnance de très large portée rendue par la Cour le 26 septembre 2011, ce procès doit se limiter exclusivement aux questions de validité et de contrefaçon; s’il était établi que l’une des revendications invoquées était valide et contrefaite, un second procès se tiendrait à une date à convenir ou à fixer pour régler les questions suivantes : (i) le droit des demanderesses à choisir entre les profits ou les dommages-intérêts, (ii) le droit des demanderesses à une injonction, (iii) l’étendue de la contrefaçon et (iv) le montant des dommages-intérêts ou des profits.

 

[91]           Par conséquent, les questions qu’il me faut trancher concernent la contrefaçon et la validité des revendications 143 et 222 du brevet 281.

 

[92]           En ce qui a trait à la validité, Janssen a réduit à trois le nombre de motifs invoqués pour établir l’invalidité (paragraphe 46 de ses observations finales), à savoir :

 

                     revendications excessives (trop générales);

 

                     insuffisance et caractère non réalisable;

 

                     évidence.

 

[93]           Avant d’aborder ces questions, je dois d’abord définir la personne versée dans l’art à qui le brevet s’adresse, et interpréter les revendications 143 et 222.

 

PERSONNE VERSÉE DANS L’ART

[94]           Il ne semble pas vraiment y avoir de désaccord entre les parties quant à la définition de la personne versée dans l’art.

 

[95]           Je définirai une telle personne comme faisant partie d’un groupe de personnes possédant des connaissances et une expérience raisonnablement poussées dans le travail avec des anticorps humains, notamment les personnes spécialisées en immunologie et en dermatologie, en particulier dans le domaine du psoriasis, et j’inclurai celles qui possèdent de bonnes compétences techniques dans l’exécution des types d’essais décrits dans le brevet en ce qui a trait à l’adhésivité et à la puissance.

 

INTERPRÉTATION DES REVENDICATIONS

[96]           Les revendications 143 et 222 sont l’objet du litige. Je les reproduis telles qu’elles se lisent après incorporation des autres revendications auxquelles elles renvoient :

 

143.     L’utilisation d’un anticorps humain isolé neutralisant, ou d’une partie dudit anticorps se liant à l’antigène, qui se lie à l’IL‑12 humaine et s’en dissocie selon une constante de dissociation koff de 1 x 10s-1 ou moins, valeur déterminée par résonance plasmonique de surface, et qui inhibe la transformation blastique par la phytohémagglutinine dans un essai PHA in vitro dans lequel la CI50 est égale ou inférieure à 1 x 10-9 M, pour traiter le psoriasis.

 

. . .

 

222.     L’utilisation d’un anticorps humain isolé, ou d’une partie dudit anticorps se liant à l’antigène, qui se lie à une interleukine humaine comportant une sous‑unité p40 et s’en dissocie selon une constante koff de 1 x 10-2 s-1 ou moins, valeur déterminée par résonance plasmonique de surface, et qui inhibe la transformation blastique par la phytohémagglutinine dans un essai PHA in vitro dans lequel la CI50 est égale ou inférieure à 1 x 10-9M, et neutralise l’activité de l’interleukine, pour traiter le psoriasis.

 

 

[97]           Ces deux revendications sont des revendications d’« utilisation ». Elles visent l’utilisation d’une substance pour traiter le psoriasis.

 

[98]           Cette substance est un « anticorps humain isolé » ou une partie dudit anticorps qui se lie à une IL‑12 humaine (revendication 143) ou à une interleukine humaine comportant une sous‑unité p40 (revendication 222), ou qui s’en dissocie. Il n’y a pas de différence importante dans le libellé de ces deux revendications à cet égard; les deux concernent l’IL‑12.

 

[99]           Cet anticorps humain isolé (ou cette partie d’anticorps) doit posséder au moins une certaine adhésivité, ou une adhésivité supérieure, et une certaine puissance, ou une puissance supérieure, telles qu’elles sont déterminées par les essais définis dans les revendications.

 

[100]       Aucune des deux revendications ne se limite à un anticorps humain préparé à l’aide d’une certaine méthode, par exemple l’exposition sur phage, ou par l’utilisation de souris transgéniques. Tandis que, s’appuyant sur ses experts, Janssen fait valoir que l’anticorps humain visé par ces revendications doit être limité à celui qui est créé par exposition sur phage, je ne trouve rien dans les revendications ou dans la demande de brevet justifiant de restreindre de cette façon les deux revendications. La demande de brevet décrit la préparation de l’anticorps humain par exposition sur phage de façon plutôt détaillée; toutefois, elle fait également mention de la méthode de la souris modifiée. Il y a des revendications dans la demande de brevet qui sont limitées aux anticorps humains créés par exposition sur phage; toutefois, il n’y a aucune restriction de la sorte dans les revendications 143 et 222.

 

[101]       J’interprète donc les revendications 143 et 222 comme des revendications :

 

                     ayant trait à l’utilisation;

 

                     d’anticorps humains, quelque soit leur méthode de fabrication;

 

                     qui se lient à l’IL‑12 et s’en dissocient;

 

                     dont l’adhésivité est d’au moins 1 x10-4 s-1 (revendication 143) ou d’au moins 1 x 10‑2 s-1 (revendication 222);

 

                     et dont la puissance est d’au moins 1 x 10-9 M;

 

                     pour traiter le psoriasis.

 

CONTREFAÇON

[102]       Le fardeau de la preuve à l’égard de la contrefaçon d’un brevet incombe à la personne qui allègue la contrefaçon, (p. ex. Varco Canada Ltd c. Pason Systems Corp., 2013 CF 750 au paragraphe 208). En l’espèce, cette personne est AbbVie.

 

[103]       Aux paragraphes 48 et 103 de ses observations finales, Janssen concède que, si j’interprète les revendications 143 et 222 comme visant tous les anticorps humains fabriqués par n’importe quelle méthode, y compris, par exemple, la méthode de la souris transgénique, STELARA tombera sous le coup des revendications en litige, sous réserve d’essais pour en déterminer l’adhésivité et la puissance.

 

[104]       Je conclus que les résultats des essais relatifs à l’adhésivité et à la puissance qui ont été soumis par AbbVie sont recevables. Les degrés d’adhésivité et de puissance qui ont été établis s’inscrivent dans les paramètres des revendications 143 et 222.

 

[105]       Janssen fait valoir qu’elle n’utilise pas STELARA pour traiter le psoriasis. C’est exact, mais ses clients utilisent son produit à cette fin. Janssen fait la promotion de STELARA au Canada et vend ce produit précisément en vue de son administration chez l’humain pour traiter le psoriasis.

 

[106]       Au Canada, la loi est claire. Une personne, comme Janssen, qui vend à une autre un produit en vue d’une utilisation qui constitue une contrefaçon, lorsque celui-ci n’a aucun autre usage commercial notoire, a incité à la contrefaçon et est elle-même une contrefactrice (voir, par exemple, Dableh c Ontario Hydro (1996), 68 CPR (3d) 129, aux pages 148 et 149 (CAF)).

 

[107]       Si elles sont tenues pour valides, j’estime que Janssen a contrefait les revendications 143 et 222.

 

VALIDITÉ

a)         Fardeau

[108]       Conformément au paragraphe 34(2) de la Loi sur les brevets, un brevet est présumé valide en l’absence de preuve à l’effet contraire. Il incombe à la partie qui allègue l’invalidité de produire des éléments de preuve qui tendent à prouver ses allégations; dans ce cas, la Cour tranchera l’affaire selon le fardeau de preuve habituel en matière civile (par exemple, Tye-Sil Corp. Ltd c Diversified Products Corp.(1991), 35 CPR (3d) 350, aux pages 357 à 359 (CAF)). Une fois produits certains éléments de preuve, la présomption disparaît (par exemple, Rubbermaid (Canada) Ltd c Tucker Plastic Products Ltd. (1972), 8 CPR (2nd) 6, à la page 14 (CF)).

 

[109]       En l’espèce, je suis convaincu que Janssen a produit assez d’éléments de preuve pour écarter la présomption, et la question sera examinée suivant le fardeau de preuve habituel en matière civile, qui incombera à Janssen puise c’est elle qui invoque l’invalidité.

 

[110]       La question de la validité (et de la contrefaçon) ne concerne que les revendications 143 et 222 du brevet 281; par conséquent, même si je concluais que l’une ou l’autre de ces revendications ou que les deux étaient invalides, cela n’affecterait pas les autres revendications ou le brevet en général (article 58 de la Loi sur les brevets).

 

b)         Évidence

[111]       Janssen allègue que le contenu des revendications 143 et 222 du brevet 281 est évident et ne constitue pas une invention.

 

[112]       J’ai récemment examiné l’état du droit relatif à l’évidence au Canada dans la décision Novartis Pharmaceuticals Canada Inc c Cobalt Pharmaceuticals Co, 2013 CF 985, aux paragraphes 60 à 66. Je renvoie ici à cet analyse sans la reprendre. Je me suis penché notamment sur l’arrêt Sanofi-Synthelabo Canada Inc c Apotex Inc, 2008 CSC 61, de la Cour suprême du Canada, et sur les arrêts Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, 2009 CAF 8 et Apotex Inc c Sanofi Aventis Canada Inc, 2013 CAF 186, de la Cour d’appel fédérale.

 

[113]       Par conséquent, compte tenu de la preuve en l’espèce :

 

                               a.      j’identifierai l’hypothétique personne versée dans l’art;

 

                              b.      je définirai les connaissances générales courantes et pertinentes de cette personne;

 

                               c.      je discernerai ou interpréterai le concept inventif des revendications en cause;

 

                              d.      je relèverai, si elles existent, les différences entre les antériorités et le concept inventif des revendications ainsi interprétées;

 

                               e.      je me demanderai si, abstraction faite de l’invention revendiquée, ces étapes étaient évidentes du point de vue de la personne versée dans l’art, ou si elles nécessitaient un certain degré d’invention; plus précisément :

 

-          l’invention allait-elle plus ou moins de soi?

 

-          quelles étaient la nature et la portée de l’effort requis – relevait-il ou non de l’effort d’usage?

 

-          les antériorités incitaient-elles à rechercher la solution au-delà de la simple possibilité qu’elle fonctionne, mais en se demandant si elle allait plus ou moins de soi?

 

i)          Identifier l’hypothétique personne versée dans l’art

[114]       Nous l’avons fait plus tôt dans les présents motifs, aux paragraphes 94 et 95.

 

ii)         Antériorités

[115]       La preuve d’AbbVie et de Janssen concernait surtout les antériorités en mars 1999. Rien ne me prouve que les choses aient été différentes en mars 2000.

 

[116]       Le brevet 281 lui‑même divulgue une partie du contexte pertinent et l’état de la technique. J’accepte le résumé de M. George quant à ces divulgations qui figure au volume 1, paragraphe 202, de son premier rapport (pièce D‑155) :

 

[traduction]

202.     Le brevet 281 lui‑même précise expressément certaines techniques courantes ou standard :

 

a)         Méthodes de préparation d’IL‑12 humaine recombinante. Le brevet 281 établit à la page 37 que l’IL‑12 humaine recombinante peut être préparée au moyen de méthodes courantes. Il fait référence à des articles qui ont été publiés dès 1989, décrivant la structure de l’IL‑12 humaine.

 

b)         Méthodes de préparation et de criblage de banques de phages d’expression. Le brevet 281 souligne, à la page 58, que ces méthodes étaient « connues dans l’art » et fait mention de trousses offertes dans le commerce pour effectuer un tel criblage.

 

c)         Méthodes de création de fragments variables à chaîne unique (scFv). Il est question de ces méthodes à la page 100 du brevet 281, où on mentionne des articles datant de 1988 et 1990.

 

d)         Méthodes de modification des séquences des régions déterminant la complémentarité (CDR). Il est noté à la page 54 du brevet 281 qu’une modification peut être faite au moyen de techniques courantes de biologie moléculaire telles que la mutagenèse par PCR, ciblant les résidus individuels d’acides aminés de contact ou d’hypermutation dans les CDR des chaînes lourdes ou légères, suivie d’une analyse cinétique et fonctionnelle des anticorps. D’autres renseignements sur les méthodes de mutagenèse figurent à la page 81 du brevet 281.

 

e)         Les techniques courantes de manipulation des anticorps étaient connues dans l’art. Il est indiqué, à la page 73 du brevet 281, que la méthode de mutagenèse sélective utilisée pour produire le J695 à partir de l’Y61 « peut être utilisée dans des techniques courantes de manipulation des anticorps connues dans l’art. Les exemples comprennent notamment des anticorps greffés sur les CDR, des anticorps chimériques, des fragments scFV, des fragments Fab des anticorps pleine longueur et des anticorps humains provenant d’autres sources, p. ex. de souris transgéniques ».

 

f)          L’obtention des gènes des régions VH et VL et leur incorporation dans des vecteurs d’expression. Ce procédé est mentionné à la page 98 du brevet 281, et on y renvoie à un manuel de laboratoire standard.

 

g)         Les séquences des chaînes lourdes et légères des régions constantes étaient connues. Ce fait est signalé aux pages 99 et 100 du brevet 281, et on cite comme référence Kabat.

 

h)         Positions des CDR qui sont de fréquents sites de mutation somatique et qui pourraient jouer un rôle dans la liaison aux antigènes. À la page 68 du brevet 281, il est souligné que certaines positions des régions CDR sont de « fréquents sites de mutation somatique », et l’on cite Tomlinson et al. (1996) J. Mol. Biol. 256 :813-81761. On cite également à la page 69 MacCallum et al. (1996) J. Mol. Biol. 262 :732-74562, qui ont identifié certains résidus jouant un rôle dans la liaison aux antigènes. Plus loin, à la page 69, les inventeurs soulignent que Pini et al. (1998) J. Biol. Chem. 283 :21769-7663 décrivent huit positions qui ont mené à une augmentation de l’affinité des anticorps.

 

i)          Expression des chaînes légères et lourdes dans un vecteur d’expression. Comme l’indique la page 102 du brevet 281, il s’agissait d’une technique courante.

 

j)          Essais visant à déterminer l’activité de l’IL‑12 in vitro ou in vivo. Il est signalé dans le brevet 281 (aux pages 40 et 69) que les indicateurs de « l’activité biologique [de l’IL‑12 humaine] peuvent être évalués au moyen d’un ou de plusieurs essais in vitro ou in vivo courants connus dans l’art ». Cette affirmation concerne les essais de l’exemple 3, qui sont analysés de façon plus détaillée ci‑dessous. Comme il est précisé à l’exemple 3, à la page 144, les cellules mononucléaires du sang périphérique (CMSP) ont été prélevées chez un donneur sain et ont été activées conformément aux pratiques établies dans Kanof et al., 1996 Current Protocols in Immunology, Unit 7.1, Coligan et al. (eds), et Gately et al., 1995 Current Protocols in Immunology, Unit 6.16, Coligan et al. (eds). Les principaux essais qui ont été utilisés et dont il est fait mention dans le brevet 281 sont l’essai de liaison aux récepteurs de l’IL‑12 (à la page 145), l’essai de transformation blastique par la PHA (à la page 146), et l’essai relatif à l’interféron‑γ (à la page 147).

 

[117]       Les déclarations comme celles que nous venons de récapituler, et qui figurent dans le brevet en cause, sont contraignantes pour le breveté (p. ex, Novartis Pharmaceuticals Canada Inc v Cobalt Pharmaceuticals Co, 2013 CF 985, au paragraphe 31, et les décisions qui y sont citées).

 

[118]       Quant aux antériorités telles que les aurait envisagées la personne versée dans l’art, et telles qu’elles auraient été présentées dans les articles consultés par cette personne, j’accepte ce qu’a déclaré M. George au paragraphe 217 du même affidavit, sous réserve des corrections qu’il y a apportées et que j’ai intégrées. Je dois cependant y ajouter les observations très importantes du Dr Weiner au paragraphe 88 de son affidavit, pièce 101. M. George déclarait au paragraphe 217 :

 

[traduction]

217.     En résumé, en mars 1999, la personne versée dans l’art possédait les connaissances suivantes propres au brevet 281 :

           

a)         il était admis que l’IL‑12 faisait partie des voies anti‑inflammatoires et jouait un rôle clinique;

 

b)         il était admis que l’IL‑12 comprenait deux sous‑unités de 40 kDa et 35 kDa, respectivement, et que les anticorps monoclonaux qui se lient spécifiquement à la sous‑unité p40 inhibent la liaison aux récepteurs et l’activité biologique sur les lymphoblastes activés;

 

c)         l’idée qu’on puisse utiliser des anticorps anti‑IL‑12 pour inhiber l’activité de l’IL‑12 était connue, et la capacité des anticorps humains à se lier à l’IL‑12 humaine avait été signalée;

 

d)         pour contrer la fixation au récepteur, l’anticorps doit se lier avec une affinité suffisante pour avoir un effet biologique ou inhibiteur, et les méthodes courantes servant à mesurer l’affinité (dont la résonance plasmonique de surface par BIAcore et divers essais);

 

e)         avec la technique de la souris transgénique ou la technique d’exposition sur phage, des anticorps puissants ayant une affinité d’aussi peu que 10-11 M pouvaient être obtenus, et les anticorps humains de plus faible affinité pouvaient être améliorés au moyen de techniques bien établies faisant appel à des mutations de CDR, à l’échange de chaînes ou à la mutagenèse;

 

f)          il était généralement admis que des anticorps monoclonaux étaient utilisés comme agents thérapeutiques. Nombreux étaient ceux qui croyaient qu’un anticorps sans séquence murine pourrait s’avérer un meilleur agent thérapeutique qu’un anticorps humanisé, tandis que d’autres ne croyaient pas qu’il y aurait une différence.

 

[119]       Le Dr Weiner a fait les observations importantes suivantes au paragraphe 88 de son affidavit :

                        [traduction]

88.       En mars 1999, la personne versée dans l’art à qui s’adressait le brevet 281 aurait compris que :

 

a)         le rôle des cytokines dans la maladie humaine est complexe et bon nombre d’entre elles ont des propriétés redondantes;

 

b)         de nombreux anticorps thérapeutiques qui jouent un rôle dans des maladies particulières (comme le sepsis, la sclérose en plaques et le cancer) n’ont pas d’effet clinique chez l’humain;

 

c)         plus de 22 cytokines ont été identifiées dans les lésions psoriasiques;

 

d)         pour qu’un traitement par anticorps soit efficace, il pourrait devoir cibler une combinaison de cytokines;

 

e)         ni la littérature sur l’IL‑12 ni celle portant sur le psoriasis n’ont postulé que l’IL‑12 était une cause du psoriasis.

 

[120]       J’accepte le bref résumé du Dr Weiner concernant l’état de la technique tel qu’il est expliqué au paragraphe 90 de son affidavit :

 

[traduction]

90.       En ce qui a trait aux revendications en litige, la personne versée dans l’art aurait compris que la différence principale était que l’état de la technique n’enseignait pas que les anticorps anti‑IL‑12 seraient utiles pour traiter le psoriasis.

 

[121]       En contre‑interrogatoire, le Dr Weiner a donné une réponse éclairante quant à l’état de la technique dans le cadre de laquelle la personne versée dans l’art aurait travaillé en mars 1999. Aux pages 399 et 400 du volume 2 de la transcription du procès, il répond ainsi à une question que lui a posé l’avocat de Janssen :

                        [traduction]

Q.        Et si le 25 mars 1999 vous aviez été une personne versée dans l’art nourrissant cet espoir, vous seriez‑vous attendu à ce que cet anticorps soit efficace contre le psoriasis?

 

R.         Je ne crois pas que, en date du 25 mars 1999, on aurait pu prédire avec une grande certitude qu’il serait efficace parce qu’il n’avait pas encore été mis à l’essai et que personne ne savait s’il serait efficace.

 

            Il n’y avait pas – c’était – à l’époque, l’IL‑12 faisait partie d’un gros paquet de cytokines, si l’on peut dire, qui s’étaient avérées associées au psoriasis. On espérait donc qu’elle puisse être utile, mais il y avait probablement dans le – et je connais le domaine, on nourrissait l’espoir que d’autres anticorps dirigés contre d’autres cytokines puissent également être utiles pour traiter les maladies inflammatoires ou auto‑immunes.

 

[122]       D’autres experts se sont également exprimés sur les antériorités, mais j’estime que la preuve de M. George et celle du Dr Weiner, citées plus haut, résument adéquatement les antériorités et les opinions qui s’y rapportent.

 

iii)        Déterminer ou interpréter l’idée originale des revendications en litige

[123]       Il importe de garder à l’esprit que la série de questions posées par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Sanofi‑Synthelabo, précitée, en ce qui a trait à l’interrogation concernant l’évidence, comprend la détermination de l’idée originale des revendications. La Cour est tenue de se concentrer sur l’invention telle qu’elle est revendiquée dans les revendications en litige, et non pas sur un concept général de l’invention tel qu’il est exprimé dans le brevet dans son ensemble.

 

[124]       Le brevet 281 a été examiné antérieurement. Il commence à la page 3 par un résumé indiquant que l’invention fournit des anticorps humains qui se lient à l’IL‑12 humaine; il a également trait au traitement ou à la prévention, par les anticorps humains anti‑IL‑12 de l’invention, de maladies aiguës ou chroniques dans lesquelles l’IL‑12 joue un rôle. Aux pages 117 à 120, il est indiqué dans le brevet qu’une autre réalisation de l’invention fournit une méthode pour inhiber l’activité de l’IL‑12 dans une vaste gamme de maladies (y compris le psoriasis).

 

[125]       Telles qu’elles sont interprétées, les revendications 143 et 222 visent une invention qui consiste à utiliser un anticorps humain qui se lie à l’IL‑12, et qui a au moins un certain degré d’adhésivité et de puissance, pour traiter le psoriasis.

 

[126]       Au paragraphe 89 de son affidavit (pièce 101), le Dr Weiner a traité de l’invention telle qu’elle est revendiquée :

                        [traduction]

89.       On m’a demandé d’examiner le brevet 281 pour comprendre ses revendications et leurs idées originales. La personne versée dans l’art de l’ingénierie d’anticorps aurait compris que l’idée originale des revendications est que certains anticorps humains dirigés contre l’IL‑12 peuvent être utilisés pour traiter le psoriasis chez l’humain, et en particulier :

 

a)         dans le cas de la revendication 143, il s’agit d’anticorps qui ont une constante de dissociation koff de 1 x 10‑4 s-1 ou moins, valeur déterminée par résonance plasmonique de surface, selon l’exemple 5, et qui inhibent la transformation blastique par la PHA dans un essai PHA in vitro, selon l’exemple 3, dans lequel la CI50 est égale ou inférieure à 1 x 10-9 M;

 

b)         dans le cas de la revendication 222, il s’agit d’anticorps qui se lient à une interleukine humaine comportant une sous‑unité p40 et qui se dissocient de l’interleukine humaine selon une constante koff de 1 x 10-2 s-1 ou moins, valeur déterminée par résonance plasmonique de surface, selon l’exemple 5, et qui inhibent la transformation blastique par la phytohémagglutinine dans un essai PHA in vitro, selon l’exemple 3, dans lequel la CI50 est égale ou inférieure à 1 x 10M.

 

[127]       M. Shlomchik a également témoigné au sujet de l’idée originale des revendications aux paragraphes 105 et suivants de son affidavit (pièce P‑96). Je reprends le paragraphe 105 et la première partie du paragraphe 106 :

                        [traduction]

105.     On m’a demandé de déterminer les idées originales des revendications.

 

106.     À mon avis, l’immunologiste versé dans son art qui lirait le brevet dans son ensemble comprendrait que les idées originales des revendications 143 et 222 comprennent l’utilisation de certains anticorps humains qui se lient à l’IL‑12 et en neutralisent l’activité pour le traitement du psoriasis chez l’humain.

 

[…]

 

 

[128]       M. Chizzonite n’a pas traité de la question directement dans son affidavit (pièce P‑107). Au mieux, on peut supposer qu’il considérait que l’idée originale consistait en l’identification d’un anticorps anti‑IL‑12 qui serait utile du point de vue thérapeutique pour traiter le psoriasis chez l’humain. Je reproduis les paragraphes 45 et 48 de son affidavit :

                        [traduction]

45.       En date du 25 mars 1999, il n’existait pas de données cliniques humaines concernant l’utilisation d’un anticorps anti‑IL‑12 ou d’un antagoniste de l’IL‑12 qui permettait de traiter efficacement une maladie humaine. En date du 25 mars 1999, la personne versée dans l’art n’aurait eu aucune idée de quelle maladie pourrait être traitée, le cas échéant, au moyen d’un antagoniste de l’IL‑12 dans le cadre d’un essai clinique chez l’humain.

 

[…]

 

48.       Par conséquent, à mon avis, en date du 25 mars 1999, la personne versée dans l’art n’aurait pas su si un anticorps anti‑IL‑12 ou un antagoniste de l’IL‑12 serait ou non efficace du point de vue thérapeutique pour traiter le psoriasis chez l’humain.

 

[129]       Dans sa déclaration (pièce D‑155), M. George formule une opinion plus générale quant à l’invention, sans se concentrer particulièrement sur les revendications en litige. Aux paragraphes 173 à 179, il écrit ce qui suit :

                        [traduction]

V. EN QUOI CONSISTE L’INVENTION?

 

173.     On m’a demandé de déterminer et de décrire l’invention réalisée par les inventeurs nommés dans le brevet 281. À cette fin, j’ai examiné le brevet 281 au complet, y compris toutes les revendications. De plus, j’ai examiné cette question en fonction des connaissances courantes en septembre 2000. Il convient de signaler que mon analyse n’aurait pas été différente si j’avais fondé mon examen sur les connaissances courantes en mars 1999.

 

A) Séquence du J695

 

174.     Le brevet 281 comprend des données sur les séquences, sur l’affinité et sur la neutralisation uniquement pour la lignée J695 issue de la lignée Joe 9. Le brevet 281 divulgue l’isolement de la lignée Joe 9 d’une banque de phages d’expression, ainsi que les étapes d’ingénierie qui ont mené à l’accroissement de l’affinité du J695.

 

175.     Le brevet 281 reconnaît expressément que les inventeurs n’ont pas inventé le concept ou l’utilisation d’anticorps anti‑IL‑12 et ne revendiquent pas un anticorps humanisé à des fins cliniques.

 

176.     Le brevet 281 concerne plutôt l’utilisation d’un anticorps anti‑IL‑12.

 

177.     Après la lecture du brevet 281, je crois que l’invention réalisée par les inventeurs est la production d’une famille particulière d’anticorps dirigés contre l’IL‑12 humaine qui ont en commun une séquence similaire (et, par conséquent, une structure similaire). Ces anticorps ont été produits à partir d’une banque particulière de phages‑anticorps humains, et ont été modifiés de façon que les propriétés de l’anticorps anti‑IL‑12 soient améliorées et conservées.

 

178.     À mon avis, l’invention est le J695 et d’autres anticorps et fragments d’anticorps connexes provenant de la même lignée. La façon la plus simple et la plus claire de décrire ces anticorps est par leur séquence (c.‑à‑d. leur séquence d’acides aminés), ce que les inventeurs n’ont fait que pour ces anticorps dans le brevet 281.

 

179.     Le brevet 281 promet que le J695 et les anticorps connexes seront utiles à des fins thérapeutiques et diagnostiques chez l’humain. Les inventeurs affirment expressément qu’ils créent un anticorps humain dirigé contre l’IL‑12 (par opposition aux anticorps murins, chimériques et humanisés de l’art antérieur) qui doit avoir une utilité thérapeutique contre des pathologies humaines, comme il est mentionné dans diverses revendications.

 

[130]       Dans sa déclaration (pièce D‑152), la Dre Sarfati n’a pas formulé d’opinion quant à la nature de l’idée originale. Après avoir lu les paragraphes 71 à 74, j’en déduis qu’elle croyait que l’idée originale était la neutralisation de l’IL‑12 au moyen d’un anticorps convenable pour le traitement du psoriasis :

[traduction]

 

2. Concepts qui étaient connus au sujet de l’IL‑12

 

 

71.       Dans l’exemple 4 du brevet 281 d’AbbVie, on utilise un anticorps monoclonal (AcM) anti-humain murin (clone C8.6.2, forte affinité) comme produit de référence pour le J695. Comme il a déjà été démontré, l’AcM anti‑humain murin (clone C8.6.2, forte affinité) et le J695 se lient à la sous‑unité p40 de l’IL‑12 (IL-12p40). Dans d’autres documents qui m’ont été fournis, on voit que le J695 et le C8.6.2 inhibent tous deux la liaison de l’IL‑12p70 iodée aux cellules exprimant l’IL‑12Rβ1 et neutralisent la fonction du rIL‑12p70 (transformation blastique par la PHA sur la production d’IFN‑y) :

 

[…]

 

72.       En outre, l’idée que l’AcM anti‑IL‑12p40 humain puisse être utilisé à des fins thérapeutiques, comme il est mentionné dans le brevet 281, en particulier pour traiter le psoriasis, était connue en mars 1999 :

 

[…]

 

73.       Il était généralement admis que l’activité de l’IL‑12 pouvait être neutralisée efficacement au moyen d’un Ac de forte affinité, c’est‑à‑dire un ligand de l’IL‑12p40.

 

3. Succès évident

 

74.       Le brevet 281 d’AbbVie n’est pas axé sur la façon dont les personnes possédant les compétences et l’expérience nécessaires pourraient utiliser une technique transgénique humaine pour produire un anticorps entièrement humain. Cependant, comme il est démontré dans la littérature disponible, la technique de la souris transgénique était une méthode très raisonnable pour créer un anticorps entièrement humain.

 

 

[131]       J’ai été impressionné par la réponse offerte par le Dr Weiner lors de son contre‑interrogatoire, qui figure à la page 394 de la transcription du procès, volume 21 :

                        [traduction]

Q.        À votre avis, la seule différence entre l’idée originale de ces deux revendications et l’art antérieur, la littérature, est le psoriasis, son utilisation pour le psoriasis?

 

            R.         Non, non. Je crois que le fondement, tel que je le comprends, est que, pour la première fois, les inventeurs ont décrit la mise au point d’une molécule d’immunoglobuline de forte affinité se liant à l’IL‑12 et qui pouvait neutraliser l’IL‑12, et ce, tant dans des essais in vitro courant qu’in vivo, dans des modèles animaux. Et au début, on croyait qu’un tel anticorps ou que des anticorps semblables pourraient être utilisés pour traiter diverses maladies auto‑immunes.

 

                        L’observation réellement étonnante que, tout à fait par hasard, une personne traitée au moyen du J695 a vu disparaître de façon spectaculaire ses plaques psoriasiques était réellement transformatrice.

 

[132]       Compte tenu de la preuve dont je dispose, y compris les parties énoncées ci‑dessus, je conclus que l’idée originale des revendications 143 et 222 du brevet 281 est que le psoriasis peut être traité au moyen d’anticorps humains qui se lient à l’IL‑12 humaine, anticorps dont l’adhésivité et la puissance équivalent au moins aux valeurs revendiquées.

 

iv)        Quelles sont les différences, le cas échéant, entre l’art antérieur et l’invention telle qu’elle est revendiquée?

[133]       La différence est celle qui existe entre l’espoir et la certitude. Les experts semblent s’entendre pour dire que, avant l’invention, il y avait un espoir que, parmi la « soupe » de cytokines du corps humain, si on trouvait un antigène capable de se fixer à une ou plusieurs des cytokines, certaines maladies humaines pourraient être traitées. L’invention ici était qu’on a découvert qu’une cytokine particulière devrait être liée à un antigène possédant certaines propriétés et que, dès lors, le psoriasis serait traitable. Je reproduis des parties des réponses données par le Dr Weiner lors de son contre‑interrogatoire, à partir de la page 394, où se poursuit la réponse énoncée antérieurement dans les présents motifs, jusqu’à la page 398, qui explique très bien les différences :

 

[traduction]

            Je fais des recherches sur des traitements par les anticorps depuis 198... — eh bien, selon la date à partir de laquelle vous voulez commencer à compter, c’était 1981 ou 1984, et j’ai eu le privilège de participer à bon nombre des premiers essais cliniques. Et dans toute ma carrière, j’ai eu un seul moment transformateur comme celui-là : un patient traité au moyen d’un anticorps a eu une réponse remarquable, dans ce cas une réponse anticancéreuse, qui était, vous savez, qui était totalement inattendue et qui a mené au développement clinique d’un anticorps utile pour traiter le cancer du côlon.

 

            La capacité de démontrer qu’il y avait eu ce résultat extraordinaire chez la personne en question a réellement permis de fournir une démonstration de principe, qui a par la suite été validée, à savoir que des anticorps dirigés contre l’IL‑12 étaient réellement utiles pour traiter le psoriasis.

 

            Et c’était donc – l’anticorps qui a été mis au point possédait un ensemble de propriétés, et l’exemple de ce patient, le patient numéro 9, était la preuve qu’un tel anticorps pouvait être utile pour traiter les patients atteints d’une maladie particulière et a indiqué à ceux qui allaient suivre que c’était la direction qu’il fallait prendre.

 

[…]

 

Q.        Soyons donc précis à ce sujet, Monsieur. À votre avis, l’idée originale a été exprimée par la personne qui a observé le résultat chez le patient?

 

R.         Non, non, non, non, non. L’idée originale -- je m’excuse, s’il‑vous‑plaît, voulez-vous terminer.

 

Q.        Non, c’est bien. Votre réponse à cette question est donc « non ».

 

R.         L’invention était la production de l’anticorps qui aurait comme propriété de neutraliser l’activité biologique de l’IL‑12. Les inventeurs espéraient qu’un tel anticorps serait utile pour traiter diverses maladies rhumatologiques et d’autres maladies auto‑immunes précisées dans le brevet, dont le psoriasis, la sclérose en plaques et un bon nombre d’autres maladies. Cet exemple a fourni la preuve, et a indiqué à d’autres à venir, que cet anticorps et d’autres anticorps semblables ayant les propriétés voulues pourraient être utiles pour traiter le psoriasis.

 

            Et l’invention – lorsque les inventeurs, qui étaient clairement ceux qui ont fabriqué le médicament, l’ont mis à l’essai, ils ont fait une observation; par conséquent, il y a eu confirmation, si l’on peut dire, qu’ils s’orientaient dans la bonne direction.

 

Q.        Et vous êtes donc d’avis, semble‑t‑il, que vous n’auriez pas su avant l’exemple 9 que cet anticorps pouvait traiter le psoriasis; est-ce exact?

 

R.         On aurait pu espérer que l’anticorps serait utilisé pour traiter le psoriasis ou n’importe quelle autre maladie dans laquelle l’IL‑12 était une composante critique de la pathogenèse de la maladie.

 

            Mais c’était, c’était cette expérience, si l’on peut dire, qui a démontré l’utilité dans le cas d’une utilisation particulière.

 

 

v)         Les différences étaient‑elles plus ou moins évidentes?

[134]       Je retourne aux réponses données par le Dr Weiner au cours de son contre‑interrogatoire, telles qu’elles ont été consignées aux pages 399 à 401 de la transcription du procès :

 

                        [traduction]

R.         Pourriez‑vous répéter la question? Je ne suis pas certain de l’avoir comprise.

 

Q.        Bien sûr, selon ce que j’ai compris de votre témoignage, vous avez mentionné qu’il y avait un espoir que l’anticorps permettrait de traiter le psoriasis et que l’exemple 9 en était la confirmation; est-ce exact?

 

R.         Oui.

 

Q.        Oui. Donc, cet espoir aurait existé, par exemple, en date du 25 mars 1999?

 

R.         L’espoir existait avant que l’on démontre que cela pouvait se faire, oui.

 

Q.        Et si le 25 mars 1999 vous aviez été une personne versée dans l’art nourrissant cet espoir, vous seriez‑vous attendu à ce que cet anticorps soit efficace contre le psoriasis?

 

R.         Je ne crois pas que, en date du 25 mars 1999, on aurait pu prédire avec une grande certitude qu’il serait efficace parce qu’il n’avait pas encore été mis à l’essai et que personne ne savait s’il serait efficace.

 

            Il n’y avait pas – c’était – à l’époque, l’IL‑12 faisait partie d’un gros paquet de cytokines, si l’on peut dire, qui s’étaient avérées associées au psoriasis. On espérait donc qu’elle puisse être utile, mais il y avait probablement dans le – et je connais le domaine, on nourrissait l’espoir que d’autres anticorps dirigés contre d’autres cytokines puissent également être utiles pour traiter les maladies inflammatoires ou auto‑immunes.

 

 

Q.        Donc, en ce qui a trait à cet espoir que vous avez décrit comme existant le 25 mars 1999, les inventeurs eux‑mêmes nous disent qu’il y avait cinq indications privilégiées auxquelles ils s’intéressaient à cette date; est‑ce exact?

 

R.         C’est ce que je crois comprendre.

 

Q.        Et le psoriasis était l’une des cinq.

 

            Et donc, dans la mesure où les inventeurs avaient un espoir en date du 25 mars 1999, cette espoir aurait porté sur ces cinq indications; ne croyez-vous pas?

 

R.         On peut présumer que, s’ils croyaient qu’il s’agissait réellement de « réalisations privilégiées », c’est à leur sujet qu’ils auraient pensé pouvoir trouver la plus grande utilité éventuelle d’un anticorps ciblant l’IL‑12 et le neutralisant.

 

[135]       La présente affaire illustre bien les différences entre l’approche valant la peine d’être tentée et celle allant plus ou moins de soi. C’est la seconde que les tribunaux canadiens ont adoptée pour déterminer si une invention revendiquée était évidente.

 

[136]       La preuve démontre qu’un grand nombre de personnes concentraient leurs efforts sur la découverte d’un anticorps qui se fixerait à une ou plusieurs des cytokines faisant partie de la « soupe » et qui, ce faisant, pourrait traiter une ou plusieurs maladies humaines. Selon le témoignage de M. Chizzonite, il y a eu beaucoup d’échecs dans ce domaine de recherche et très peu de réussites. Les chercheurs d’AbbVie ont eu de la chance; ils ont découvert un anticorps qui se fixait à une cytokine IL‑12 particulière et qui, ce faisant, traitait le psoriasis. Ils ont fait cette découverte entre septembre 1999 et mars 2000, lorsqu’ils ont consigné que, par le fruit du hasard, l’une des personnes qui participait à l’essai clinique à reçu l’anticorps appelé J695 et a ainsi été traitée contre le psoriasis. Un agent de brevet on peut le présumer a été assez astucieux pour consigner cet événement à titre d’exemple 9 dans la demande de brevet déposée le 24 mars 2000. Rien n’indique qui a mis l’exemple 9 dans la demande, ni quand, à part le fait que c’était entre le 25 mars 1999 et le 24 mars 2000, date à laquelle la demande PCT a été déposée.

 

[137]       Il semble que, dans le domaine de la recherche sur les anticorps, un heureux hasard comme celui‑ci est rare. M. George, chercheur chevronné depuis plus de vingt ans, n’a jamais découvert d’anticorps qui soit réellement efficace et qui ait permis de guérir une maladie (contre‑interrogatoire, pages 1122 et 1123). M. Chizzonite a travaillé dans le domaine de 1982 à 1998 et a conclu ce qui suit aux paragraphes 48 et 49 de son affidavit (pièce P‑107) :

                        [traduction]

48.       Par conséquent, en date du 25 mars 1999, je crois que la personne versée dans l’art n’aurait pas su si un anticorps anti‑IL‑12 ou un antagoniste de l’IL‑12 aurait ou non une efficacité thérapeutique contre le psoriasis chez l’humain.

 

49.       En effet, après mars 1999, il y a eu de nombreux exemples de maladies dans lesquelles on croyait que l’IL‑12 jouait un rôle et où l’on a finalement conclu à l’absence de lien causal, notamment le cancer, la sclérose en plaques et l’asthme.

 

 

[138]       Comme je l’ai déjà dit, j’accorde peu de poids aux notes de service de M. Treacy. Il n’est pas un expert. Ses notes semblent n’avoir trouvé aucun appui chez Centocor, et on ne leur a jamais accordé foi. Ses opinions n’ont aucun poids, et il n’a pas établi que, en fait, l’IL‑12 était le coupable qui était recherché aux fins du traitement du psoriasis.

 

[139]       Les motifs du juge Pigeon de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Farbwerke Hoechst A/G c. Halocarbon (Ontario) Ltd, [1979] 2 RCS 929, à la page 944, sont tout aussi pertinents aujourd’hui en ce qui a trait à la question en litige qu’ils l’étaient lorsqu’ils ont été rédigés :

À mon avis, la doctrine a été bien formulée par le Conseil privé dans Pope Appliance Corporation c. Spanish River Pulp and Paper Mills [[1929] A.C. 269], où le vicomte Dunedin a dit (aux pp. 280 à 281) :

 

[traduction] … Après tout, qu’est-ce qu’une invention? C’est trouver quelque chose que personne d’autre n’a trouvé. C’est ce que Pope a fait pour ce brevet. Il a trouvé que le papier adhérerait de la sorte et le problème pratique a été résolu. Les savants juges des instances inférieures disent que quiconque a expérimenté les « dispositifs » et les « jets d’air » déjà connus aurait pu y parvenir. C’est-à-dire que quelqu’un d’autre aurait pu l’inventer. Il y a plusieurs exemples de chercheurs indépendants qui, dans différents domaines de la science, ont fait la même découverte. Cela ne veut pas dire que le premier qui demande et obtient un brevet n’a pas un bon brevet, …

 

[140]       Je conclus que l’invention évoquée dans les revendications 143 et 222 du brevet 281 n’allait pas de soi compte tenu des antériorités. Elle n’était pas évidente.

 

ÉTENDUE ET FORME DES REVENDICATIONS

a)         Les questions en litige et la preuve

[141]       C’est la question la plus importante dans la présente affaire. La revendication est-elle trop générale? La question a été formulée de plusieurs façons durant les plaidoiries des avocats, qui ont notamment évoqué l’utilité, la prédiction valable, la portée excessive, la suffisance et l’ambigüité.

 

[142]       Pour formuler la question clairement, je me penche d’abord sur les limites imposées à l’invention par la façon dont les revendications 143 et 222 du brevet 281 sont rédigées :

 

                     l’anticorps doit être un anticorps humain;

 

                     l’anticorps doit se lier à l’IL‑12 humaine;

 

                     l’anticorps doit posséder un certain degré minimal d’adhésivité et de puissance;

 

                     l’anticorps est efficace dans le traitement du psoriasis.

 

[143]       La façon dont les revendications 143 et 222 ne sont pas limitées est que n’importe quel anticorps, peu importe la façon dont il a été créé, qui satisfait à ces paramètres tombe sous le coup des revendications. Le brevet décrit avec force détails l’un de ces anticorps, le J695, qui a été créé par exposition sur phage. Il indique aussi que les anticorps peuvent être créés au moyen de la méthode de la souris transgénique, mais ne mentionne aucun anticorps particulier.

 

[144]       Par conséquent, la question à trancher est de savoir si une revendication qui décrit de façon détaillée un anticorps créé par exposition sur phage, mais qui n’est pas limitée par la méthode par laquelle cet anticorps a été créé est valide.

 

[145]       J’ai conclu antérieurement dans les présents motifs qu’il était inventif de déterminer qu’un anticorps humain se liant à l’IL‑12 humaine et possédant l’adhésivité et la puissance établies dans les revendications était utile pour traiter le psoriasis.

 

[146]       La preuve démontre également que :

 

                     les techniques utilisées pour créer des anticorps de ce type, en particulier l’exposition sur phage et la méthode de la souris transgénique, étaient bien connues dans l’art à l’époque pertinente;

 

                     les techniques de mesure de l’adhésivité et de la puissance, telles qu’elles sont expliquées dans les revendications 143 et 222, étaient bien connues à l’époque pertinente.

 

[147]       Il n’y a pas de preuve selon laquelle :

 

                     quoi que ce soit qui tombe sous le coup de l’une ou l’autre des revendications n’était pas utile dans le traitement du psoriasis;

 

                     à la lumière du brevet, une personne versée dans l’art n’aurait pas pu créer un anticorps répondant aux paramètres de l’une ou l’autre de ces deux revendications.

 

[148]       Il n’y a rien qui soit indéterminé dans les revendications en litige; il n’y a rien qui, dans la preuve, manque d’utilité ou ne puisse pas être valablement prédit. Il s’agit donc d’une question de portée excessive, ou de visée trop ambitieuse. Ayant revendiqué l’invention sans mention de l’anticorps particulier décrit dans le brevet, ni même de sa méthode de fabrication décrite dans le brevet, la revendication peut‑elle être d’une portée telle qu’elle englobe tout anticorps qui s’inscrit dans les limites que j’ai énoncées ci‑dessus et être tout de même valide?

 

[149]       En ce qui a trait aux paramètres qui sont énoncés dans les revendications, une question se pose à savoir s’ils sont suffisants pour définir un anticorps utile pour traiter le psoriasis. Au paragraphe 70 de son affidavit (pièce D‑123), l’expert de Janssen, M. Eck, soulève des questions quant à savoir si d’autres paramètres sont requis.

 

[traduction]

70.       Les différences dans la séquence et la structure tridimensionnelle de Stelara, par comparaison au J695, expliquent leur mécanisme et leur site de liaison à l’IL‑12 très différents. De plus, on peut s’attendre à ce que les différences quant à leur séquence et à leur structure se traduisent par des différences à l’égard d’autres propriétés qui ont souvent une importance fonctionnelle. Les anticorps affichent parfois une « réactivité croisée », c’est‑à‑dire qu’ils peuvent se lier avec une grande affinité à des antigènes autres que leur cible « prévue ». Parce qu’ils reconnaissent différents épitopes et que la structure de leurs sites de combinaison est différente, Stelara et le J695 devraient différer quant à leur réactivité croisée respective. Leurs différences sur les plans de la séquence et de la structure pourraient se traduire par des différences dans leurs propriétés biophysiques telles que la solubilité et la propension à s’agréger. La séquence et la structure d’un anticorps sous‑tendent également d’autres propriétés, telle l’antigénicité, qui influent sur la possibilité d’utiliser cet anticorps comme agent thérapeutique. Ainsi donc, les différences marquées entre Stelara et le J695 sur les plans de la séquence et de la structure ont une influence qui dépasse leurs fonctions de liaison à l’IL‑12 et de neutralisation de celle‑ci.

 

[150]       Ces commentaires, formulés au moyen d’expressions telles que « on peut s’attendre à », « souvent une importance fonctionnelle », « devraient » et « pourraient se traduire par des différences » reposent sur des conjectures. Rien dans la preuve ne permet de conclure à la réalité de ces hypothèses.

 

[151]       Aux paragraphes 124 et 125 de son affidavit (pièce P‑101), le Dr Weiner réfute les observations de M. Eck, affirmant que les différences au sujet desquelles M. Eck formule des hypothèses sont sans importance et que la neutralisation de l’IL‑12, qui est l’un des paramètres de la revendication, est le facteur crucial :

[traduction]

 

B.        M. Michael Eck

 

 

La neutralisation est cruciale

 

124.     Au paragraphe 70, M. Eck affirme, après avoir comparé les séquences de liaison de Stelara et du J695, que « “la séquence et la structure d’un anticorps sous‑tendent également d’autres propriétés” qui influent sur la possibilité d’utiliser cet anticorps comme agent thérapeutique ». M. Eck donne à entendre que le fait que Stelara et le J695 ne se fixent pas à des sites identiques sur la sous‑unité p40 de l’IL‑12 (bien qu’il s’agisse de sites qui se chevauchent) a une incidence biologique. M. Eck passe sous silence les similitudes fonctionnelles les plus importantes des deux anticorps : les deux se lient à l’IL‑12 et en neutralisent la bioactivité, et les deux ont une CI50 égale ou inférieure à 1 x 10-9 M, mesurée par l’essai PHA mentionné à l’exemple 3. L’endroit précis où l’anticorps se lie à l’IL‑12 n’est pas important lorsque l’essai PHA peut être utilisé pour cribler les anticorps et déterminer si la liaison de l’anticorps à l’IL‑12 a l’effet désiré : la neutralisation de l’activité biologique de l’IL‑12. L’essai PHA révèle à la personne versée dans l’art que l’anticorps se lie à l’IL‑12 à un endroit pertinent du fait qu’il peut neutraliser l’activité biologique de l’IL‑12. Les puissances (CI50) des différents anticorps dans l’essai PHA permettent à la personne versée dans l’art de prédire si un anticorps particulier possède des propriétés similaires à celles du J695 et si, par conséquent, il peut donner un résultat in vivo similaire dans le traitement du psoriasis.

 

125.     Également au paragraphe 70, M. Eck affirme que les différences sur les plans de la séquence et de la structure pourraient se traduire par des différences en ce qui concerne la solubilité, la propension à s’agréger et l’antigénicité. Les revendications ne font pas mention de ces propriétés. À mon avis, la personne versée dans l’art n’interpréterait pas les revendications comme exigeant d’un anticorps qu’il possède une solubilité, une propension à s’agréger ou une antigénicité particulières. La revendication vise plutôt l’utilisation de certains anticorps pour traiter le psoriasis, comme le décrit le brevet 281.

 

[152]       Aux paragraphes 150e) et 151 de son affidavit (pièce P‑96), M. Shlomchik traite des questions suivantes :

                        [traduction]

150e)   Au paragraphe 70 de son rapport, M. Eck affirme que « [l]es différences dans la séquence et la structure tridimensionnelle de Stelara, par comparaison au J695, expliquent leur mécanisme et leur site de liaison à l’IL‑12 très différents. » Je ne souscris pas à l’opinion de M. Eck, et ce, pour deux raisons :

 

A.                 les « mécanismes » par lesquels le J695 et STELARA sont réputés fonctionner sont identiques. Les deux anticorps neutralisent l’IL‑12, c.‑à‑d. qu’ils se lient à l’IL‑12 et l’empêchent d’interagir efficacement avec son récepteur;

 

B.                 même s’ils s’approchent du ligand à des angles différents, le J695 et STELARA n’ont pas de sites de liaison avec l’IL‑12 très différents. Les deux se lient à la sous‑unité p40 et non pas à la sous‑unité p35. Les deux couvrent des acides aminés communs (six). Les deux neutralisent l’IL‑12 in vivo en l’empêchant de se lier à son récepteur.

 

151.     L’immunologiste versé dans son art savait, et cela faisait partie de ses connaissances générales courantes avant mars 1999 et mars 2000, que des anticorps très différents pouvaient se lier à la même cible et donner un résultat clinique similaire. Par exemple, à ces dates, la FDA avait approuvé le daclizumab (ZENAPAX) et le basiliximab (SIMULECT) en tant qu’agents immunosuppresseurs aux fins de la transplantation d’organes. Les deux anticorps se lient à l’IL‑2Rα et étaient efficaces (et approuvés) pour le même traitement, même s’il s’agit d’anticorps différents. L’immunologiste versé dans son art savait très bien qu’il n’était pas nécessaire que des anticorps soient identiques pour se lier à la même cytokine ou traiter la même maladie.

 

[153]       Le Dr Weiner a dû parler de certaines de ces questions en contre‑interrogatoire. Je reproduis ici ce qui a été consigné dans la transcription, aux pages 388 et 389 :

                        [traduction]

Q.        Seriez‑vous d’accord avec moi, Monsieur, pour dire que les inventeurs du brevet 281 n’ont pas réellement créé des anticorps au moyen de souris transgéniques?

 

R.         C’est exact. Ils ont créé un anticorps en utilisant la technique d’exposition sur phage.

 

Q.        Seriez‑vous d’accord, Monsieur, avec la proposition selon laquelle un anticorps comme Stelara, qui possède une chaîne lourde à région variable (VH) ne pourrait pas être créé à partir de la banque de phages d’expression décrite dans le brevet; êtes-vous d’accord cette proposition?

 

R.         Pas nécessairement.

 

Q.        Dites‑vous qu’elle est erronée, ou que vous ne le savez tout simplement pas?

 

R.         Je ne le sais tout simplement pas. J’aurais besoin de savoir ce qui se trouvait dans la banque de phages pour déterminer si celle‑ci contenait des chaînes à région variable (VH) qui auraient pu être utilisées pour l’expression. Et si elles étaient présentes, il est certainement concevable qu’une molécule aurait pu être créée.

 

            Mais, encore une fois, je le souligne parce que je crois que c’est très important, ce qui importe ici est la fonction, et non pas la structure particulière qui permet cette fonction. Et la façon dont l’anticorps est fabriqué, sa spécificité épitopique particulière et l’usage de ses chaînes lourdes et de ses chaînes légères sont des questions beaucoup moins importantes que la nature de ses attributs fonctionnels. (Non souligné dans l’original)

 

[154]       Pour conclure sur ce point, j’estime que Janssen ne m’a pas convaincu qu’il existe des paramètres autres que ceux énoncés dans les revendications 143 et 222 qui sont essentiels au fonctionnement de l’anticorps pour que celui‑ci puisse traiter le psoriasis.

 

b)         Le droit

[155]       Les avocats de chacune des parties m’ont présenté non seulement ce qu’ils considèrent comme le droit canadien pertinent, mais aussi, à ma demande, la jurisprudence d’autres pays, notamment celle des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne et de l’Union européenne. Le droit en vigueur hors du Canada peut être instructif, mais c’est évidemment le droit canadien qui s’appliquera en l’espèce.

 

[156]       En termes simples, Janssen fait valoir qu’AbbVie n’a pas payé « le prix » pour une revendication aussi large que les revendications 143 et 222; elle allègue qu’AbbVie a divulgué un seul anticorps qui se lie à l’IL‑12, mais revendique tout anticorps de ce genre. Janssen cite la déclaration du juge Binnie de la Cour suprême du Canada concernant un moyen de « faire repousser les cheveux d’un homme atteint de calvitie » dans les motifs de cette Cour dans l’affaire Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 RSC 1024, au paragraphe 32 :

 

[L]’ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d’un résultat souhaitable, mais bien à l’enseignement d’un moyen particulier d’y parvenir. La portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d’exercer un monopole sur tout moyen d’obtenir le résultat souhaité. Il n’est pas légitime, par exemple, de faire breveter un procédé permettant de faire repousser les cheveux d’un homme atteint de calvitie et de prétendre ensuite que n’importe quel moyen d’obtenir ce résultat emporte la contrefaçon du brevet.

 

[157]       La réponse d’AbbVie à cet argument est le mieux formulé aux paragraphes 58 et 59 de son plaidoyer écrit final :

 

                        [traduction]

58.       Le brevet 281 ne revendique pas un simple résultat souhaité. Il divulgue plutôt qu’un anticorps neutralisant anti‑IL‑12 de forte affinité produit le résultat promis. C’est là la solution au problème exigée par la jurisprudence; selon les données sur la neutralisation in vitro et in vivo figurant aux exemples 3, 4, 5 et 9, la preuve établit qu’une personne versée dans l’art pourrait raisonnablement prédire que tous les anticorps tombant sous le coup de la revendication permettraient eux aussi de traiter le psoriasis. Janssen ne dispose pas de preuve du contraire.

 

59.       En divulguant au public le premier anticorps neutralisant de forte affinité qui a permis de traiter efficacement un patient humain atteint de psoriasis, AbbVie a établi les faits étayant la portée des revendications. AbbVie a payé le prix pour son invention et a fait grandement avancer l’art. Elle a droit à la protection de ces revendications.

 

[158]       Les décisions canadiennes les plus pertinentes faisant autorité sont celles de la Cour suprême du Canada dans Burton Parsons Chemicals Inc c Hewlett-Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 RCS 555 et Monsanto Co c Canada (Commissaire aux brevets), [1979] 2 RCS 1108.

 

[159]       L’arrêt Burton Parsons concernait un brevet revendiquant une crème pour électrocardiographes « compatible avec une peau normale » et contenant un « sel ionisable ». On a fait valoir que la revendication avait une portée excessive puisque la preuve démontrait que certains sels n’étaient pas compatibles avec une peau normale ou étaient toxiques; donc, la portée de la revendication était excessive. Le juge Pigeon, s’exprimant au nom de la Cour, a formulé son raisonnement ainsi aux paragraphes 11 et 12 de ses motifs :

 

11 Avec respect, je ne puis admettre que la revendication N° 17 est invalide parce que les mots « qui soit compatible avec une peau normale » précèdent le mot « comprenant » au lieu de le suivre, de sorte que la revendication serait valide, semble‑t‑il, si les mots étaient réarrangés de cette façon :

 

17. Une crème pour électrocardiographes, à utiliser avec les électrodes de contact avec la peau, comprenant une émulsion aqueuse stable, anionique, cationique ou non ionique, et contenant suffisamment de sel très ionisable pour assurer une bonne conductibilité électrique et qui est compatible avec une peau normale.

 

12 À mon avis, on ne peut faire échec aux droits des titulaires de brevets par de telles considérations. Même si la Cour doit interpréter un brevet comme tout autre document juridique, cette interprétation doit se faire en tenant compte du fait que le destinataire est un homme de l’art, et en tenant compte également du savoir que cet homme est censé posséder. Il doit être évident pour l’homme de l’art, qu’une crème à utiliser avec des électrodes de contact avec la peau ne peut pas être composée d’éléments qui seraient toxiques, irritants ou susceptibles de tacher ou de décolorer la peau. L’homme de l’art apercevra tout aussi bien cette nécessité que la crème soit décrite comme « compatible avec une peau normale » ou qu’elle soit décrite comme ne contenant que des éléments compatibles avec une peau normale. La présente situation est complètement différente de celles qu’on retrouve dans Minerals Separation et dans Société des usines chimiques Rhône‑Poulenc c. Jules R. Gilbert Ltd. Dans ces causes‑là, des produits de composition chimique définie faisaient l’objet des brevets : des xanthates dans la première et des dérivés de diamines dans la seconde. Malheureusement pour les titulaires de brevets, les revendications portaient également sur des xanthates qui ne produisaient pas les résultats voulus dans le premier cas, alors que dans le second, certains isomères n’avaient aucune valeur thérapeutique. C’est pourquoi ces brevets ont été déclarés invalides.

 

 

[160]       Au paragraphe 16 de ses motifs, le juge Pigeon a exposé la question de façon très nette : les inventeurs ne sont pas des Shylock réclamant leur livre de chair; lorsque rien dans la preuve ne démontre que la personne versée dans l’art a été induite en erreur et qu’une telle personne est en mesure de faire un choix approprié, la revendication n’a pas une portée excessive :

 

16.       Plusieurs arrêts signalent qu’un inventeur est libre de formuler ses revendications aussi étroitement qu’il le juge à propos dans le but de se protéger de l’invalidité qui pourrait résulter d’une formulation trop générale. En pratique, cette liberté est vraiment très limitée car le brevet peut avoir aussi peu de valeur que s’il était invalide si, pour éviter toute possibilité d’invalidité, il laisse un champ inoccupé entre ce que représente l’invention telle que divulguée et ce qui est visé par les revendications. Tout chacun peut alors utiliser l’invention dans les limites de ce champ laissé inoccupé. À mon avis, l’inventeur ne doit pas être considéré comme un Shylock réclamant sa livre de chair. En l’espèce, ainsi qu’il a été reconnu, il s’agit d’une invention méritoire et Hewlett‑Packard, après avoir vainement tenté d’en déprécier l’utilité, s’en est effrontément emparée. Elle n’a été d’aucune façon induite en erreur, ni sur la véritable nature de la divulgation, ni sur les méthodes appropriées pour fabriquer une crème concurrente. Les objections soulevées à l’encontre des revendications sont à l’effet que, exception faite des revendications relatives à certaines réalisations de l’invention, les [page 566] autres sont formulées de façon à viser toutes les réalisations d’ordre pratique, laissant à l’homme de l’art la tâche d’éviter dans la fabrication du mélange l’emploi de produits impropres, ce qu’un homme de l’art doit pouvoir faire de sa propre initiative puisque tout ce qui rend certains produits impropres découle de caractéristiques notoires. Aucun résultat indésirable imprévu ou généralement inconnu n’a été prouvé ou même allégué; la présente cause est donc très différente de celles de Minerals Separation et de Rhône‑Poulenc.

 

[161]       Dans Monsanto, la Cour suprême examinait le rejet d’une demande de brevet par le Bureau des brevets. Le Bureau avait rejeté les revendications visant un composé chimique devant être introduit dans le procédé de vulcanisation du caoutchouc en vue de prévenir la vulcanisation prématurée. Le brevet contenait trois exemples précis de tels composés. Les revendications rejetées concernaient une famille de tels composés en comptant 126. Le juge Pigeon, s’exprimant pour la majorité, a écrit que, si la preuve démontrait qu’on pouvait raisonnablement prédire que les 126 composés auraient la même utilité que les trois composés donnés en exemple, le Bureau des brevets devrait accueillir les revendications visant les 126 composés. Au paragraphe 19, il écrit ce qui suit :

 

19 Quoique le rapport de la Commission soit très long, en définitive tout ce qu’il dit au sujet de la revendication 9, après avoir énoncé le principe avec lequel je suis d’accord, c’est qu’une revendication doit se limiter à l’étendue de la prédiction valable et que « nous ne sommes pas convaincus que trois exemples spécifiques soient suffisants ». Rien ne dit pourquoi trois ne suffisent pas. À mon avis, c’est là ne donner aucune raison dans un domaine qui n’en est pas un de spéculation mais de science exacte. Nous ne sommes plus à l’époque où l’architecture des composés chimiques était un mystère. Grâce aux techniques modernes, les chimistes sont aujourd’hui capables de déterminer exactement la disposition de tous les atomes dans des molécules très complexes. Il devient donc possible de préciser, comme cela a été fait dans Olin Mathieson, la position exacte d’un radical donné, et de relier cette position à une activité particulière. Il devient alors aussi possible de prévoir l’utilité d’une substance renfermant un tel radical. Comme il s’agit-là d’une question de connaissance générale chez les savants, une personne compétente se rendra facilement compte que si un brevet ne vise que quelques‑unes des substances qui produisent le résultat désiré, elle n’a qu’à en préparer une autre qui aura les mêmes propriétés. Le rapport de la Commission indique qu’elle est consciente de cela. Cependant elle ne donne aucune indication des motifs pour lesquels elle n’était pas convaincue de la validité de la prédiction d’utilité du champ entier visé par la revendication 9. Une preuve sous forme d’affidavits fondés sur des principes scientifiques a été soumise, elle ne conteste pas ces principes, mais dit seulement : « Nous ne sommes pas convaincus que cela soit suffisant ». À mon avis, cela ne suffit pas, car si on l’acceptait, le droit d’appel deviendrait illusoire. À cet égard, il importe de noter que le texte de l’art. 42 de la Loi sur les brevets est le suivant :

42. Chaque fois que le commissaire s’est assuré que le demandeur n’est pas fondé en droit à obtenir la concession d’un brevet, il doit rejeter la demande et, par lettre recommandée, adressée au demandeur ou à son agent enregistré, notifier à ce demandeur le rejet de la demande, ainsi que les motifs ou raisons du rejet.

 

 

[162]       Dans Mobil Oil Corp c Hercules Canada Inc, (1995), 63 CPR (3rd) 473, la Cour d’appel fédérale a tranché la question de savoir si la divulgation d’un brevet était suffisante pour étayer une revendication. Le brevet visait un film à deux couches - l’une métallique, l’autre de plastique - du genre qu’on trouve parfois, par exemple, dans les sacs de croustilles. La revendication indiquait qu’un « agent glissant » devait être introduit dans le procédé d’extrusion, mais ne disait pas grand‑chose à son sujet. Le juge Marceau a statué pour la Cour qu’une personne versée dans l’art pouvait combler les lacunes; la revendication n’était pas invalide. Je reproduis une partie de ce qu’il a écrit à la page 486 :

 

Le problème attaqué et résolu par les inventeurs était la faible adhérence des recouvrements métalliques à un support de polypropylène. Ils ont conclu que si le polypropylène était lié à une couche de copolymère d’éthylène-propylène traitée par décharge corona, ils obtiendraient une bonne adhérence, tout particulièrement en l’absence de tout agent glissant, puisque les agents glissants nuisent à l’adhérence. Si, en raison de l’usage auquel l’invention était destinée, il était nécessaire d’employer quelque agent glissant, l’adhérence pourrait toujours être acceptable, mais il faudrait déterminer avec soin la quantité et l’emplacement de l’agent glissant; c’est pour cette raison que le mémoire descriptif décrit un essai avec un appareil standard afin de déterminer, au moyen d’expériences sans esprit inventif, la quantité qui peut être ajoutée tout en évitant de rendre le support impropre à l’utilisation projetée.

 

Au début de son analyse sur la question de la suffisance, le juge du procès a bien établi les principes de base applicables : le mémoire descriptif doit être suffisamment complet pour permettre à une personne versée dans l’art d’utiliser avec succès l’invention (opinion incidente du juge Dickson (tel était alors son titre) dans l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, au sujet de l’exigence fondamentale du paragraphe 36(1), maintenant le paragraphe 34(1)), mais en même temps, la divulgation doit recevoir une interprétation fondée sur l’objet visé pour que soit reconnue l’utilité de l’invention. Je ne puis comprendre lequel de ces principes a pu le conduire à la conclusion qu’il a tirée. Il peut être frappant que le mémoire descriptif et les revendications emploient un libellé identique pour indiquer qu’on peut utiliser un agent glissant pourvu que ce soit en quantité limitée qui ne nuise pas à l’adhérence du support à un revêtement métallisé. Que faudrait-il encore?

 

Je ne remets pas en cause certaines des conclusions de fait du juge du procès; je n’aurais aucune base pour le faire. Je remets en cause son raisonnement, apparemment fondé sur une interprétation de l’article 34 qui attache à ses exigences une sévérité plus grande que celle que j’y vois. Avec égards, je pense que le juge du procès ne pouvait, à partir de la preuve, conclure que le brevet est invalide en raison de l’insuffisance de la divulgation.

 

[163]       La décision du juge Rouleau, de cette Cour, dans Cabot Corp c 318602 Ontario Ltd, (1988), 20 CPR (3d) 132 portait sur la question de savoir si les revendications avaient une portée plus large que l’invention divulguée. Les revendications concernaient des bouchons d’oreille qui seraient comprimés, insérés dans l’oreille, puis qui se relâcheraient pour créer un effet insonorisant. Selon le juge Rouleau, au paragraphe 121, les revendications visaient tout bouchon d’oreille possédant certaines caractéristiques :

 

121. C’est une revendication étendue, car elle embrasse n’importe quel bouchon auriculaire ayant ces caractéristiques physiques et pouvant être fabriqué avec n’importe quelle mousse permettant d’obtenir ces caractéristiques. Il incombe cependant aux défenderesses d’établir l’inutilité ou le fait que les revendications sont plus étendues que l’invention.

 

[164]       Le juge Rouleau a conclu que n’importe quel expert serait en mesure de découvrir, sans tâtonnement indu, une mousse appropriée. Les revendications étaient valides. Aux paragraphes 126 à 129, le juge s’est exprimé ainsi :

 

126 Il n’y a pas de preuve qu’une mousse donnée, où n’importe quelle mousse ne pourraient faire l’affaire. Et selon tous les experts qui ont témoigné au procès, d’autres types de mousse seraient reconnus comme pouvant servir.

 

127 J’estime que la preuve peut justifier une conclusion selon laquelle la portée de l’invention revendiquée était valable et raisonnable. Il n’a pas été prouvé que quelque application des revendications en cause ne fonctionnerait pas. Les défenderesses n’ont pas réussi à se libérer du fardeau qui leur incombe par une preuve claire et convaincante. Conclure autrement reviendrait à se retrouver avec quelque chose d’inutile. Dans l’affaire Olin Mathieson Chemical Corporation v. Biorex Labora-tories Ltd. [1970] R.P.C. 157 aux pages 192-193, le juge Graham écrivait ce qui suit :

 

            [traduction]

            [...] En conséquence, à moins qu’on ne puisse adéquatement accorder à l’inventeur original de la substitution du -CH3 une protection raisonnablement large, il est probable que dès que l’on connaîtra son succès, des substances semblables seront produites par d’autres personnes dont l’activité serait aussi bonne sinon meilleure. À moins qu’il ne soit en mesure de contrôler de telles activités, tout avantage qu’il retirerait de son invention et de sa recherche risque de n’avoir guère de valeur.

 

128 En appliquant ce raisonnement à l’invention de Gardner, une fois révélé le fait qu’une mousse de polyvinyle possédant certaines caractéristiques physiques convient aux bouchons protecteurs auriculaires, il deviendrait évident pour un technicien doué d’imagination que d’autres mousses possédant des caractéristiques semblables pourraient être ainsi employées.

 

129 Comme l’a expliqué le juge Pigeon dans l’arrêt Monsanto Co. v. Le commissaire des brevets [1979], 2 R.C.S. 1108 aux pages 1121-1122, [42 C.P.R. (2d) 161, 100 D.L.R. (3d) 385, 28 N.R. 181] et je paraphrase, en l’absence totale de toute preuve que les prévisions ne sont pas valables, il n’est pas possible de soutenir le rejet des revendications et de les limiter au champ d’utilité prouvée au lieu de les accueillir dans la mesure de l’utilité prévue. On ne peut pas refuser un brevet pour la raison que l’inventeur n’a pas expérimenté et prouvé complètement tous les usages revendiqués. C’est seulement dans le cas où les inventeurs ont revendiqué plus que ce qu’ils ont inventé et ont inclus des substances dépourvues d’utilité que ces revendications pourront être contestées.

 

Dans l’arrêt récent Pfizer Canada Ltd c Novopharm Ltd, [2012] 3 RCS 625, la Cour suprême du Canada a traité de la question de la suffisance de la divulgation. La suffisance de la revendication n’était pas en litige. Le juge LeBel a rédigé la décision unanime de la Cour. Au paragraphe 2 de ses motifs, il énonce ainsi la question principale à trancher :

2  La principale question à trancher en l’espèce est celle de savoir si Pfizer a omis ou non de divulguer l’invention comme elle l’aurait dû pour obtenir le brevet du Viagra. Pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que la demande de brevet de Pfizer ne satisfaisait pas aux exigences de divulgation prévues au par. 27(3) de la Loi. Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi.

 

[165]       L’invention était qu’un médicament appelé sildénafil (nom de marque Viagra) permettait de traiter la dysfonction érectile (DÉ). Le brevet divulguait un certain nombre de composés dits utiles à cette fin, mais ne mentionnait pas le sildénafil comme composé particulier ayant cette utilité. Au paragraphe 66, le juge LeBel s’exprime ainsi :

 

66  Au vu de l’ensemble du mémoire descriptif, nul élément ne permet en l’espèce d’affirmer que l’utilisation du sildénafil pour traiter la DÉ constitue une invention distincte de l’utilisation de l’un ou l’autre des autres composés à cette même fin. Nulle caractéristique ou propriété susceptible de le distinguer des autres composés n’est attribuée au sildénafil. Même si on le tient pour un « composé particulièrement privilégié », rien ne le distingue des huit autres « composés particulièrement privilégiés ». L’utilisation du sildénafil et des autres composés dans le traitement de la DÉ forme une seule idée originale.

 

[166]       La présente affaire ne porte pas sur la même question que dans l’arrêt Viagra, ni dans l’arrêt Mobil Oil. Ces cas traitaient de la suffisance de la divulgation. Il ne fait aucun doute en l’espèce que le brevet divulgue adéquatement un anticorps et la façon de le fabriquer par exposition sur phage. Il mentionne également que les anticorps peuvent être fabriqués au moyen d’une souris transgénique. Les revendications 143 et 222 sont assez étendues pour inclure les anticorps produits par l’une ou l’autre méthode, ou par n’importe quelle autre méthode pourvu que les anticorps répondent également aux autres contraintes de la revendication que j’ai énumérées antérieurement. La présente affaire ressemble davantage aux affaires Monsanto et Cabot.

 

[167]       Au regard des principes établis dans Monsanto et dans Cabot, les revendications en litige, 143 et 222, n’ont pas une portée excessive ni des visées trop ambitieuses. Elles sont facilement compréhensibles pour la personne versée dans l’art; celle‑ci sait en quoi consistent les paramètres; rien ne prouve que les anticorps qui répondent à ces paramètres ne pourront pas se fixer à l’IL‑12 de manière à traiter le psoriasis.

 

[168]       Janssen pose la question à savoir si, pour une question de principe, une « revendication fonctionnelle » devrait être admissible et si, ayant découvert un anticorps qui se lie à l’IL‑12 de manière à traiter le psoriasis, AbbVie peut revendiquer tout anticorps qui se fixe à l’IL‑12 et traite le psoriasis. Cet argument ne tient pas compte du fait que c’est AbbVie qui a confirmé que, si un anticorps se fixait à l’IL‑12, le psoriasis pouvait être traité. Avant la confirmation par AbbVie, il n’y avait qu’espoir et conjectures, car de nombreuses autres cytokines, ou une combinaison d’une ou plusieurs d’entre elles, auraient pu être la bonne cible. AbbVie a confirmé que c’était l’IL‑12. De plus, l’argument ne tient pas compte du fait que les revendications en litige définissent également une adhésivité et une puissance minimales requises pour le traitement. AbbVie a été la première à confirmer que, si l’on veut traiter le psoriasis, il faut obtenir un anticorps qui se fixe à l’IL‑12 et qui possède au moins une certaine adhésivité et une certaine puissance. Ce n’est vraiment pas la même chose que de dire : nous avons un anticorps particulier (J695), nous l’injectons à des personnes et il traite leur psoriasis; par conséquent, nous voulons un brevet revendiquant tout anticorps qui peut faire cela. Il y a peut‑être plusieurs façons de traiter le psoriasis, mais la façon d’AbbVie est de disposer un anticorps qui produit ce résultat en se liant à l’IL‑12 avec au moins une certaine adhésivité et puissance. C’est là la différence.

 

[169]        Janssen invoque également l’argument du [traduction] « ce n’est pas juste ». Elle fait valoir qu’elle a mis au point un anticorps de façon indépendante au moyen d’une technique très différente, celle de la souris transgénique; que, dans le cadre de longs essais cliniques, elle a confirmé que ses anticorps pouvaient traiter le psoriasis; et qu’elle est la seule à avoir reçu des autorités gouvernementales compétentes l’autorisation de vendre le médicament qu’elle a mis au point pour traiter le psoriasis. Par contre, Janssen allègue que, au mieux, AbbVie a eu un coup de chance et que, semble‑t‑il grâce à un agent de brevet astucieux, elle a tiré profit de ce coup de chance et a intégré sa découverte fortuite dans sa demande de brevet avant que celle‑ci ne soit officiellement déposée au Canada et dans de nombreux autres pays en vertu du Traité de coopération en matière de brevets. La réponse se trouve dans la citation des motifs du vicomte Dunedin dans l’affaire Pope Alliance, citée dans Farbwerke Hoechst, précité :

[traduction] Il y a plusieurs exemples de chercheurs indépendants qui, dans différents domaines de la science, ont fait la même découverte. Cela ne veut pas dire que le premier qui demande et obtient un brevet n’a pas un bon brevet […]

 

[170]       À mon instance, les parties ont présenté des observations concernant des décisions rendues en Europe, en Allemagne et aux États-Unis. L’Europe, incluant l’Allemagne et le Royaume-Uni (dont le système de brevets est en train de s’aligner sur celui de l’Union). Ces pays ont élaboré une approche différente : celle de la « contribution technique ». Il serait malavisé de trop s’appuyer sur ces décisions. Je commenterai cependant la saga Biogen qui s’est déroulée au Royaume-Uni. Certaines décisions américaines, comme University of Rochester v G.D. Searle & Co Inc, 358 F. 3d 916 (Fed. Cir 2004) et Ariad Pharmaceuticals Inc v Eli Lilly and Company, 598 F. 3d 1336 (Fed Cir 2010), reposent semble-t-il sur des conclusions factuelles touchant l’adéquation de la divulgation dans le brevet, et la question de savoir si le brevet présentait simplement un problème à résoudre et non pas une solution. En particulier, comme un appel concernant des brevets analogues est en instance devant la Cour d’appel des États-Unis pour le circuit fédéral, il serait imprudent et sans doute ridicule de ma part de m’avancer dans les lois de ce pays, surtout lorsqu’il n’y a pas lieu de le faire.

 

[171]       Il est peut‑être approprié de faire des observations sur la saga Biogen devant les tribunaux du Royaume‑Uni. Lord Hoffman, juge très respecté dans le domaine des brevets, a rendu une décision à la Chambre des lords, qui a été adoptée par d’autres lords juges qui ont instruit l’affaire Biogen Inc c Medeva PLC, [1977] ROC 1. Un passage particulier de la décision de Lord Hoffman a été repris dans des décisions subséquentes des cours de première instance comme établissant ce qui a été appelé la question de la [traduction] « suffisance de Biogen ». Dans cette cause, Biogen était titulaire d’un brevet visant un antigène du virus de l’hépatite B. Le brevet divulguait une molécule recombinante particulière, mais revendiquait toute molécule recombinante qui satisfaisait aux paramètres particuliers. Lord Hoffman affirmait ce qui suit aux pages 50 et 51 de sa décision :

 

[traduction]

Mais le fait que l’homme versé dans l’art suivant les enseignements de Biogen 1 aurait pu fabriquer l’AgHBc et l’AgHBs dans des cellules bactériennes ou, en fait, dans n’importe quelle cellule, ne résout pas la question. Je crois que, en se concentrant sur la question de savoir si l’invention du professeur Murray pouvait, pour ainsi dire, livrer la marchandise dans tout le spectre du brevet ou du document de priorité, les tribunaux et l’Office européen des brevets (OEB) ont permis que leur attention soit détournée de ce qui m’apparaît comme la question cruciale en l’espèce. Il ne s’agit pas de savoir si l’invention revendiquée peut livrer la marchandise, mais plutôt si les revendications visent d’autres façons dont elle pourrait être livrée : des façons qui ne doivent rien aux enseignements du brevet ou à un principe divulgué dans ce dernier .

 

On se rappellera que, dans Genentech I/Polypeptide expression, la Chambre de recours technique a mentionné que le brevet devait assurer une protection contre d’autres façons d’obtenir le même effet « d’une manière qui aurait pu avoir été envisagée sans l’invention ». Cela montre qu’il y a plus d’une manière dont la portée d’une revendication peut excéder la contribution technique de l’art enchâssée dans l’invention. Le brevet peut revendiquer des résultats qu’il ne permet pas d’atteindre, par exemple la fabrication d’une vaste classe de produits alors qu’il ne permet la réalisation que d’un seul de ces produits et ne divulgue aucun principe qui permettrait la fabrication des autres produits. Ou il peut revendiquer tous les moyens d’obtenir un résultat alors qu’il ne divulgue qu’un seul moyen et qu’il est possible d’envisager d’autres moyens d’atteindre ce résultat sans avoir recours à l’invention.

 

[172]       Lord Hoffman était apparemment assez préoccupé par la manière dont sa décision était appliquée par les cours d’instance inférieure pour faire en sorte de siéger comme juge à la Cour d’appel et instruire une affaire ultérieure qui soulevait cette question : il a pu ainsi expliquer et préciser son raisonnement dans Biogen et laisser l’affaire suivre son cours et être examinée par un comité de la Chambre des lords dont il ne faisait pas partie. (J’ajoute entre parenthèses que la Cour suprême du Canada parait traiter ces questions de manière plus directe, comme dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Bedford, 2013 CSC 72, et que dans certaines circonstances, ses décisions antérieures ne sont plus contraignantes pour elle.)

 

[173]       Lord Hoffman a eu l’occasion de siéger en qualité de juge de la Cour d’appel de l’Angleterre et du Pays de Galles dans l’affaire H Lundbeck A/S c Generics (UK) Ltd, EWCA Civ 311, [2008] RPC 19. Il a rendu une décision à laquelle les autres juges, la juge Smith et le lord juge Jacob (autre juge éminent en matière de brevets) ont souscrit. Lord Hoffman éprouvait des difficultés, dans sa décision, à limiter Biogen aux faits particuliers de l’affaire; aux paragraphes 34 et 35 de Lundbeck, il a écrit :

 

[traduction]

[34] Ainsi donc, pour ce qui est de l’interprétation, la Chambre des lords a considéré la revendication comme visant une classe de produits qui satisfaisaient à des conditions précises, dont l’une était que la molécule avait été fabriquée au moyen d’une technique de recombinaison. Cette expression comprend manifestement un large éventail de procédés possibles. Mais la règle de la suffisance, tant au Royaume‑Uni qu’à l’Office européen des brevets (OEB), est qu’une classe de produits n’a un caractère réalisable que si la personne versée dans l’art peut appliquer l’invention à tous les membres de cette classe. Le mémoire descriptif pourrait indiquer que cela a été démontré de façon empirique, ou il pourrait divulguer un principe dont on peut raisonnablement s’attendre qu’il s’applique à toute la classe : voir T 292/85 Polypeptide expression/GENENTECH [1989] JO OEB 275; T409/91 Fuel Oils/EXXON [1994] JO OEB 653; Kirin‑Amgen Inc c Hoechst Marion Roussel [2005] RPC 169, 202. Mais le mémoire descriptif dans Biogen décrit une seule méthode de fabrication de la molécule au moyen d’une technique de recombinaison et ne divulgue aucun principe général. Il était facile d’envisager d’autres méthodes dont le mémoire descriptif ne dit rien et qui ne devraient rien à l’objet divulgué.

 

[35] Par conséquent, à mon avis, la décision rendue dans Biogen se limite à la forme de revendication que la Chambre des lords examinait à l’époque et ne peut pas être étendue à une revendication relative à un produit ordinaire dans laquelle le produit n’est pas défini par une classe de procédés de fabrication. Il est vrai que, dans Biogen, la Chambre a souscrit au principe général énoncé par la Chambre de recours dans l’arrêt T409/91 Fuel Oils/EXXON [1994] JO OEB, à savoir que « la portée du monopole du brevet, telle qu’elle est définie par les revendications, devrait correspondre à la contribution technique à l’art pour qu’elle soit considérée comme étayée ou justifiée. »

 

 

[174]       L’affaire Lundbeck a ensuite été instruite par un tribunal de la Chambre des lords dont Lord Hoffman n’était pas membre (un autre juge éminent dans le domaine des brevets, Lord Neuberger, était membre du tribunal). La décision a été publiée sous l’intitulé Generics (UK) Ltd c H Lundbeck A/S, UKHL 12, [2009] RPC 13. Dans ses motifs, Lord Walker a respectueusement évoqué la décision rendue par Lord Hoffman dans Biogen, mais il a souligné qu’il fallait la lire en contexte. Il s’exprime ainsi au paragraphe 31 :

 

[traduction]

[31] L’arrêt Biogen en est, je crois, une bonne illustration. Avant d’être examinée par vos Seigneuries, l’opinion de Lord Hoffman dans Biogen a fait l’objet d’un examen de la part de la Chambre plus serré et plus approfondi que n’importe quelle autre décision dont je me souviens, sauf, peut‑être, le discours de Lord Goff de Chieveley dans Kleinwort Benson Ltd c Lincoln City Council [1998] 4 All ER 513, [1999] 2 AC 349, examiné par la Chambre dans Deutsche Morgan Grenfell Group plc c IRC [2006] UKHL 49, [2007] 1 All ER 449, [2007] 1 AC 558. Si je peux respectueusement m’exprimer ainsi, l’opinion de Lord Hoffman dans l’affaire Biogen est un « tour de force ». Je l’ai souvent recommandée aux étudiants du barreau en tant qu’exemple de la façon dont un juge éminent peut imprégner d’enthousiasme intellectuel le sujet même le plus technique. Mais son langage vif et puissant doit être lu dans le contexte des faits et des questions à trancher dans cette affaire.

 

 

[175]       Lord Neuberger a fait une mise en garde à savoir que l’arrêt Biogen devrait être traité avec circonspection et restreint à ses propres faits. Aux paragraphes 99 à 101, il a écrit ceci :

 

[traduction]

[99] Par conséquent, j’estime, en accord avec la Cour d’appel, que l’opinion exprimée par Lord Hoffman dans l’affaire Biogen, bien qu’il s’agisse d’un tour de force, comme l’a souligné Lord Walker, n’est d’aucune utilité pour les appelants en l’espèce. Elle s’appliquait dans cette affaire vu la nature très inhabituelle de la revendication. Loin d’être une simple revendication de produit (comme en l’espèce), ou même une revendication d’un produit obtenu grâce à un procédé(dont il est question dans l’affaire Kirin‑Amgen [2005] IP & T 352 aux pages [86]–[91], [101]), la revendication portait sur un produit défini en partie par son procédé de fabrication et en partie par son résultat — il s’agissait presque d’une revendication d’un « procédé obtenu grâce à un produit obtenu grâce un procédé ».

 

[100] Le juge Kitchin n’est certainement pas le seul à avoir adopté le point de vue erroné selon lequel le raisonnement formulé dans l’affaire Biogen est d’une application beaucoup plus large et que, en particulier, il s’applique à toute revendication de produit (à tout le moins lorsqu’il y a des revendications visant des composés chimiques). J’ai commis exactement la même erreur en première instance dans l’affaire Kirin‑Amgen : voir [2001] IP & T 882 aux pages [300]–[312], [2002] RPC 1 aux pages [300] à [312]. Un certain nombre d’articles auxquels on a fait référence dans les observations écrites semblent également fondés sur le même point de vue.

 

[101] Il se peut que cela soit attribuable en partie au fait que, dans l’affaire Biogen (1996) 38 BMLR 149 aux pages 162–166, [1997] RPC 1 aux pages 42 à 46, Lord Hoffman s’est concentré sur « l’étape inventive » comprise dans l’invention revendiquée. Il y a une différence entre « une étape inventive » ou « une idée originale », d’une part, et une « contribution technique à l’art », d’autre part. Je souscris respectueusement à l’explication de la différence entre les deux concepts présentée à [29]–[31] de l’opinion de Lord Walker. Lorsqu’on examine la validité d’une revendication concernant un simple produit (comme dans le cas du présent appel), il se peut que le fait de se concentrer sur la définition de l’étape inventive plutôt que sur la contribution technique puisse mener à une erreur. L’expression « étape inventive » donne à entendre qu’on a fait quelque chose et, dans le cas de la revendication relative à un produit, en tout état de cause, la principale préoccupation a trait au produit qui a supposément été inventé, et non pas la façon dont il a été inventé. Par ailleurs, lorsque la revendication a trait à un procédé (comme dans Biogen) ou comporte un procédé, la question de savoir comment l’invention revendiquée a été réalisée semble plus pertinente.

 

[176]       Les autres lords juristes étaient en accord avec Lord Walker et Lord Neuberger.

 

[177]       La décision rendue par la Cour d’appel de l’Angleterre et du Pays de Galles dans l’arrêt Regeneron Pharmaceuticals Inc c Gentech Inc, EWCA Civ 93, [2013] RPC 28, illustre comment les cours traitent de ces questions aujourd’hui. L’affaire à trancher concernait une revendication visant l’utilisation d’un certain antagoniste pour traiter une maladie non néoplasique, y compris une certaine classe d’anticorps. L’une des questions à trancher était l’insuffisance. Le lord juge Kitchen (un autre juge très compétent en matière de brevets) a rédigé les motifs pour la Cour. Au paragraphe 165, il a décrit le litige en ce qui concerne la suffisance et, aux paragraphes 172 et 173, il a énoncé sa conclusion :

                       

[traduction]

 [165] Les appelants ne contestent pas cette conclusion. Toutefois, ils n’ont pas mis fin à leur plaidoyer pour autant. Ils ont également allégué que le mémoire descriptif ne fournit pas de directives quant à la façon de fabriquer le VEGF‑Trap.

 

[…]

 

[172] Il découle de tout ce qui précède que l’équipe versée dans l’art aurait considéré les molécules chimériques comme des variantes tombant sous le coup de la revendication. Cette équipe versée dans l’art les aurait eues bien à l’esprit à la lumière de l’enseignement du brevet et des connaissances générales courantes, et elle aurait été en mesure de produire de telles molécules visées par la revendication, et ce, sans grande difficulté. Cela ne veut pas dire qu’elle aurait pu produire le VEGF‑Trap, puisque je reconnais que cela aurait nécessité beaucoup d’inventivité.

 

[173] Cependant, cela ne signifie pas que le brevet est insuffisant. Une revendication portant sur une invention de large application peut englober à bon droit des réalisations pouvant être réalisées ou inventées dans l’avenir et qui présenteraient des propriétés avantageuses particulières, pourvu que lesdites réalisations incarnent la contribution technique faite par l’invention. En fait, le VEGF‑Trap incarne la contribution technique faite par le brevet; il a un effet thérapeutique chez les patients souffrant de dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) en traitant l’angiogenèse liée à cette maladie, et il le fait en se liant au VEGF et en inhibant son activité biologique. Par conséquent, le VEGF‑Trap est l’une des améliorations que Lord Hoffman avait à l’esprit dans l’arrêt Kirin‑Amgen [2004] UKHL 46, [2005] RPC 9, à la page 117.

 

Insuffisance – Conclusion

 

[174] Je suis d’avis que le juge avait raison de rejeter toutes les allégations d’insuffisance. Il s’ensuit qu’il avait également raison de rejeter l’allégation voulant que l’invention soit évidente parce qu’elle n’est pas efficace et ne résout aucun problème technique.

 

[178]       Il semble donc que la position des tribunaux au Royaume-Uni ne soit pas trop éloignée de celle des tribunaux canadiens. La question de la suffisance, ou de la portée excessive, doit être examinée au cas par cas. La preuve et les avis présentés à la Cour auront une grande importance. Il n’existe pas de principe simple universellement applicable qui permette de démontrer, par exemple, que vous n’avez inclus qu’un ou deux anticorps dans votre divulgation; vous ne pouvez pas revendiquer tous ceux qui auront la propriété particulière à laquelle vous pensez.

 

AMBIGÜITÉ – « OU MOINS »

[179]       L’avocat de Janssen a soulevé, lors de sa plaidoirie initiale, mais pas finale, la question de savoir si les revendications 143 et 222 étaient ambigües en affirmant que l’adhésivité et la puissance devaient atteindre telles valeurs [traduction] « ou moins » lorsque mesurées dans certains essais.

 

[180]       Rien ne prouve qu’une personne versée dans l’art serait déroutée par cette formulation. Encore une fois, je me tourne vers le contre-interrogatoire du Dr Weiner, aux pages 405 à 410 :

 

[traduction]

            Q.        Et la revendication 143, telle qu’elle est résumée dans les tableaux, comprend un Koff de 1 fois 10 à la moins 4; est-ce exact?

 

            R.         Ou moins, oui.

 

            Q.        Oui. Donc, cette revendication engloberait des anticorps ayant un Koff de 1 fois 10 à la moins 5?

 

            R.         C’est exact.

 

            Q.        Et 1 fois 10 à la moins 6?

 

            R.         Oui.

 

            Q.        Et 1 fois 10 à la moins 7?

 

            R.         Oui, s’ils pouvaient être atteints.

 

            Q.        Et, essentiellement, la seule limite de cette revendication dans la catégorie « ou moins » serait ce qui pourrait être réalisé par les personnes qui fabriqueraient des anticorps ultérieurement; est-ce exact?

 

            R.         Il est bien connu qu’il y a probablement des limites, non seulement quant à ce qu’on peut accomplir au moyen de l’ingénierie des anticorps, mais également en ce qui concerne l’analyse de l’impact de l’ingénierie des anticorps.

 

                        Donc, ce 10 à la moins 6 ou environ est assez proche de la limite de ce qui peut être réalisé actuellement et fonctionner en utilisant les techniques disponibles.

 

                        Il est concevable que, à un moment donné, quelqu’un puisse créer une substance plus adhésive qu’on pourrait mesurer avec confiance.

 

            Q.        Mais cette question concerne les limites de détection de la technologie; n’est‑ce pas? Théoriquement, il existe quelque part des anticorps qui ont ces Koff; vous dites simplement que nous ne pouvons les mesurer aujourd’hui ou qu’ils ne pouvaient être mesurés le 25 mars 1999?

 

            R.         Eh bien, nous ne le savons pas. On ne connaît pas ce qu’on ne peut pas mesurer, n’est‑ce pas?

 

            Q.        En effet, mais ce que nous savons, Monsieur – j’ose affirmer que ce que nous savons est que la revendication indiquant 1 fois 10 à la moins 4 ou moins a une limite d’un côté de la plage, mais n’a aucune limite à l’autre extrémité de la plage; elle englobe tous les anticorps qui sont meilleurs que 1 fois 10 à la moins 4; n’est‑ce pas vrai?

 

            R.         En effet, mais je crois qu’il y a une précision importante à apporter, à savoir que lorsque vous fabriquez un anticorps qui a un but, par exemple une profonde pénétration des tissus, ces valeurs off ont des impacts très importants sur la rapidité avec laquelle un anticorps peut pénétrer profondément dans le tissu, par exemple dans une cellule cancéreuse, et c’est expliqué dans mon curriculum vitae.

 

                        Lorsqu’on tente de procéder à un essai de neutralisation, lorsqu’on tente essentiellement de neutraliser quelque chose qui circule dans le sang, le paramètre cinétique qui est susceptible d’être le plus important sera cette extrémité moins adhésive du système, et non pas l’extrémité plus adhésive du système.

 

                        Parce que, à supposer que votre but soit uniquement de neutraliser la capacité de l’IL‑12 de se lier à son récepteur, si vous créez une molécule qui s’accole à son récepteur et reste collée longtemps, c’est bien, cela semble tout à fait plausible et, en fait, je crois probable que si vous fabriquiez quelque chose d’encore plus adhésif, la molécule en question ferait simplement le travail plus efficacement.

 

                        Donc, que ce soit 10 à la moins 4, 10 à la moins 5, 10 à la moins 20, pour autant que nous sachions, l’anticorps aurait probablement la même efficacité biologique, c’est‑à‑dire qu’il pourrait inhiber la liaison de l’interleukine 12 à son récepteur encore mieux, possiblement, et neutraliser l’activité biologique, et que, s’il était utilisé à des fins thérapeutiques, il serait utile pour traiter une maladie qui est associée à la biologie de l’IL‑12.

 

            Q.        Mais, pour revenir à ma première question, Monsieur, qui concernait la revendication elle‑même, êtes‑vous d’accord avec moi que la revendication comporte une limite bien précise, si l’on peut dire, de 1 fois 10 à la moins 4 et englobe tous les anticorps ayant un Koff meilleur que 1 fois 10 à la moins 4?

 

            R.         Eh bien, c’est ce que la revendication décrit. Elle décrit une limite inférieure et, essentiellement, elle vise n’importe quel anticorps qui est meilleur que cette limite inférieure.

 

            Q.        Et, de la même manière, en ce qui a trait aux limites de la CI50 énoncées dans la revendication, celle‑ci indique une CI50 limite de 1 fois 10 à la moins 9 mole ou moins?

 

            R.         Mmmm, oui.

 

            Q.        Et n’importe quel anticorps qui a une CI50 meilleure que cela tomberait sous le coup de la revendication?

 

            R.         Oui, je crois en effet que le brevet décrit, pour autant que je sache, il définit dans cette revendication une CI50 minimale qui est requise pour atteindre un objectif donné. Et il est logique de présumer que n’importe quel anticorps qui serait meilleur produirait un résultat meilleur, équivalent ou meilleur, ou un certain, vous savez, résultat attendu.

 

            Q.        Donc, selon ce que vous décrivez, les inventeurs ne revendiquent pas seulement l’anticorps J695, mais n’importe quel anticorps meilleur que le J695, en se fondant sur les caractéristiques fonctionnelles; est-ce exact?

 

            R.         Mon interprétation est que, encore une fois, du point de vue scientifique, le point important au sujet du J695 en ce qui a trait à sa capacité de traiter efficacement le psoriasis était qu’il pouvait neutraliser l’activité biologique de l’IL‑12 in vitro et in vivo selon ces divers descripteurs.

 

                        Et en le définissant, vous obtenez essentiellement une concentration minimale de l’anticorps qui serait requise pour atteindre ce but, ou des propriétés cinétiques minimales, et on peut donc déduire que n’importe quoi qui posséderait des propriétés supérieures serait probablement également visé.

 

            Q.        Mais, en fait, je vous posais une question au sujet des revendications, Monsieur. Et êtes‑vous d’accord avec moi que la revendication vise, 143, vise non seulement l’anticorps J695, mais également tout anticorps meilleur que le J695?

 

            R.         Certainement, elle revendique des choses qui ont une propriété cinétique différente, mais, comme je l’ai décrit, je veux dire, il serait évident d’après les observations scientifiques qu’un anticorps qui neutraliserait à une concentration plus faible, vous savez, n’importe quoi qui pourrait neutraliser à une concentration plus faible serait meilleur, ou fonctionnerait bien.

 

            Q.        Monsieur, permettez‑moi de vous demander de nouveau : êtes‑vous d’accord avec moi que la revendication 143 vise non seulement le J695, mais n’importe quoi qui lui est supérieur sur le plan des caractéristiques fonctionnelles qui sont décrites dans la revendication?

 

            R.         Oui, j’ai déjà dit cela.

 

            Q.        D’accord, merci.

 

[181]       Les revendications 143 et 222 énoncent des normes minimales concernant l’adhésivité et la puissance. Il est possible qu’un anticorps présentant une adhésivité et/ou une puissance très supérieure soit mis au point ultérieurement. Il est préférable de s’intéresser une autre fois à la question de savoir si ce serait là une amélioration brevetable.

 

[182]       Les revendications 143 et 222 ne sont pas ambigües.

 

CONCLUSION ET DÉPENS

[183]       Par conséquent, j’ai conclu que les revendications invoquées par AbbVie, à savoir les revendications 143 et 222 du brevet 281, sont valides. Je rendrai une déclaration à cet effet, qui concernera les parties et celles ayant des intérêts connexes aux leurs, la Loi sur les brevets ne prévoyant pas de déclaration in rem en de tels cas.

 

[184]       Je déclarerai que Janssen, par la promotion, la mise en vente et la vente au Canada de son produit connu sous le nom de STELARA, a empiété et continue d’empiéter sur les droits que les revendications 143 et 222 du brevet 281 confèrent à AbbVie.

 

[185]       Un certain nombre de questions liées au redressement et au montant à accorder restent en suspens. Chacune des parties, ou les deux, peuvent demander au Bureau du juge en chef de choisir le lieu et la date du second procès qui traitera de ces questions.

 

[186]       J’en arrive aux dépens. Comme je l’ai indiqué aux avocats durant le procès, je suis extrêmement déçu qu’ils ne se soient pas prévalus du processus de gestion d’instance et des instructions pour restreindre la portée des questions en litige, s’entendre sur les faits pertinents, et autrement se préparer au procès, en s’attardant sur les questions importantes. Cette affaire a commencé il y a bientôt quatre ans et pourtant, jusque pendant le procès, les avocats n’ont pas fini de débattre de questions et de concessions relatives aux faits. Des rapports d’expert ont été signifiés, mais n’ont pas été versés au dossier. Des lettres rogatoires ont été délivrées, mais n’ont pas été utilisées. D’autres témoins, dont les noms ont été mentionnés de temps à autre, n’ont jamais été appelés. L’interrogatoire des parties et des inventeurs désignés s’est prolongé et de nombreuses requêtes fastidieuses rendant nécessaires d’autres interrogatoires ont été présentées. De maigres parties des transcriptions des interrogatoires ont été réputées avoir été lues au procès alors que la plupart auraient pu faire l’objet d’un accord quant aux faits. Dans l’ensemble, les parties n’ont pas fait un usage complet et approprié des procédures d’avant-procès ou des mécanismes de gestion de l’instruction, malgré les demandes abondantes présentées à la Cour quant à tel ou tel point. Nous attendons mieux.

 

[187]       Par conséquent, chaque partie assumera ses propres dépens, sauf si la Cour rend une ordonnance particulière pour les adjuger. Dans la mesure où ils sont laissés à la décision du juge du procès ou qu’ils suivent l’issue de la cause, les dépens ne seront pas adjugés.

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS FOURNIS, LA COUR STATUE que :

 

1.                  Il est déclaré, à l’égard des parties et de celles ayant des intérêts connexes aux leurs, que les revendications 143 et 222 des lettres de brevet canadien no 2 365 281 sont valides et qu’elles ont été contrefaites par la défenderesse Janssen Inc. via la promotion, la mise à la vente et la vente au Canada de son produit connu sous le nom de STELARA.

 

2.                  Chacune des parties, ou les deux, peuvent demander au Bureau du juge en chef de fixer un second procès pour régler les questions toujours en litige dans la présente action.

 

3.                  Sauf ordonnance explicite de la Cour à l’effet contraire, chaque partie assumera ses propres dépens.

 

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :                                                    T-1310-09

 

INTITULÉ :                                                  ABBVIE CORPORATION, ABBVIE DEUTSCHLAND GMBH & CO. KG ET ABBVIE BIOTECHNOLOGY LTD. c JANSSEN INC.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                          TORONTO (ONTARIO)

 

DATES D’AUDIENCE :                             DU 2 AU 6, DU 9 AU 11 ET LE 17 DÉCEMBRE 2013
LES 7 ET 8 JANVIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                                        LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                 LE 17 JANVIER 2014

 

COMPARUTIONS :

Andrew Reddon

Steven Mason

Steven Tanner

Fiona Legere

 

pour les demanderesses

(DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES)

Marguerite Ethier

Anne Posno

Alexandra Wilbee

Melanie Baird

POUR LA défenderesse

(DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

SOLICITORS OF RECORD :

 

McCarthy Tétrault, s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour les demanderesses

(DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES)

Lenczner Slaght Royce Smith Griffin, s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA défenderesse

(DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

 

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