Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

                                                                                                                           

 


Date : 20130809

Dossier : T-1333-12

Référence : 2013 CF 852

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), 9 août 2013

En presence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

BRIAN ROACH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande présentée au titre de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985 c F-7, qui vise le contrôle judiciaire de la décision rendue le 18 juin 2012 (la décision) par le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le Tribunal). Le Tribunal a statué que les problèmes de santé du demandeur, soit, des complications liées au diabète, n’étaient pas consécutifs ou ne se rattachaient pas à son service au sein de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC).

 

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur est âgé de 55 ans. Il avait servi dans la GRC à compter du 1er juillet 1980. Il était en congé autorisé à compter du 7 novembre 2011 et il a pris sa retraite le 7 novembre 2012.

[3]               Le demandeur a reçu un diagnostic de diabète insulinodépendant de type 1 en avril 1992. Il est important pour les diabétiques de maintenir leur glycémie à un niveau normal, sans quoi des complications peuvent se développer. Selon l’Association canadienne du diabète, le traitement du diabète de type 1 nécessite que la personne qui en est atteinte prenne de l’insuline au besoin, qu’elle mange des collations et des repas sains, qu’elle fasse de l’activité physique régulièrement et qu’elle gère son stress (dossier du demandeur, onglet 3).

[4]               Le demandeur déclare que son service au sein de la GRC affectait sérieusement sa capacité à traiter et à contrôler son diabète. Par conséquent, un certain nombre de complications connexes se sont développés chez lui, y compris la neuropathie diabétique et la rétinopathie diabétique. La neuropathie diabétique consiste en des lésions nerveuses entraînant une sensation d’engourdissement dans les extrémités des membres de la personne diabétique. Une fois développé, ce problème peut mener à l’infection du pied diabétique, au risque d’amputation et aux dysfonctions érectiles. La rétinopathie diabétique se caractérise par développement d’anévrismes dans les yeux de la personne diabétique; ce problème peut entraîner la cécité temporaire et conduire à une perte permanente de vision.

[5]               Le demandeur avait présenté une demande en vue d’obtenir une pension d’invalidité, au motif que le développement de ses complications liées au diabète se rattachait directement à son service dans la GRC. Le demandeur affirme qu’il était un membre vaillant et déterminé de la GRC et que chacune de ses affectations exigeait de longues journées de travail et un dévouement désintéressé à son travail, en plus d’engendrer un important degré de stress.

 

Les antécédents du demandeur au sein de la GRC

[6]               En 1992, peu après que le demandeur eut reçu un diagnostic de diabète, on lui avait ordonné de se présenter à Shamattawa (Manitoba) pour une affectation de deux ans. Shamattawa est une réserve isolée du nord du Manitoba, dont la population se chiffre à environ 750 personnes. À ce moment‑là, la GRC considérait que la réserve de Shamattawa était l’un des endroits les plus violents pour une affectation au Manitoba.

[7]               En raison de l’emplacement éloigné de la réserve de Shamattawa, les conditions de vie y étaient difficiles, surtout pour une personne atteinte de diabète. Plus particulièrement :

                     Le demandeur et les autres agents vivaient dans de vieilles roulottes qui tombaient en pièces. Les moustiquaires de fenêtres étaient troués et l’eau entrait par le plafond et par le plancher;

                     Il n’y avait pas de médecins à Shamattawa. Le seul établissement de santé consistait en un poste fédéral de soins infirmiers;

                     La nourriture fraîche se faisait rare, de sorte qu’il était difficile de s’y alimenter sainement. Le demandeur pouvait commander des produits d’épicerie provenant de Thompson, mais en raison des conditions météorologiques, il était fréquent que ces produits ne puissent être délivrés;

                     Il n’y avait pas d’endroits où faire de l’exercice.

[8]               De plus, le demandeur avait une lourde charge de travail. Il s’occupait d’environ 250 dossiers, lesquels étaient tous de nature violente. Ses journées de travail étaient longues et il devait être disponible en tout temps. Il devait fréquemment sauter des repas et des injections d’insuline, et il ne pouvait pas établir un horaire régulier pour ce qui est du traitement de son diabète.

[9]               Le demandeur a été muté en 1994 à la Section des renseignements criminels à Winnipeg, poste qu’il occupa jusqu’en 1997. Dans cette affectation, il réalisait des enquêtes par écoute électronique, ce qui nécessitait la préparation et l’examen d’un nombre important de documents. Ses journées de travail étaient longues et il devait régulièrement sauter des repas pour effectuer son travail. Il lui était aussi difficile de surveiller sa glycémie; à bon nombre de reprises, il devait manger des barres de chocolat pour faire en sorte que sa glycémie ne chute pas de manière trop importante.

[10]           De 1997 jusqu’à 2000, le demandeur était affecté au sein de la Section antidrogue de Winnipeg, où il supervisait des dossiers importants se rapportant aux stupéfiants. Ses quarts de travail étaient une fois de plus longs et irréguliers, et il avait de la difficulté à contrôler sa glycémie. Sa consommation de cigarettes et d’alcool s’était aussi accrue en raison de ce à quoi on s’attendait de lui à titre d’agent d’infiltration.

[11]           En 2000, le demandeur avait été élu par ses collègues pour les représenter à titre de représentant divisionnaire des relations fonctionnelles (RDRF). Il avait été promu à l’Exécutif national du programme en 2005. La nature du programme et le rôle de RDRF comportaient les exigences suivantes :

                     Les RDRF représentent les membres de la GRC relativement à tout ce qui peut avoir des conséquences sur leur bien‑être ou sur leur dignité. Ils participent aux négociations concernant les conditions de travail et ils offrent du soutien et des conseils aux membres qui sont impliqués dans des incidents graves, dont notamment le décès d’un collègue, les cas de recours à l’arme à feu et de décès dans les cellules ou au cours d’une arrestation, et l’arrestation d’un membre de la GRC;

                     La résolution des différends et la participation à des réunions avec la direction de la GRC faisaient partie de ses tâches courantes. Cependant, lorsqu’un événement important et traumatisant survenait, le RDRF devait, pendant des semaines, faire beaucoup d’heures supplémentaires, au cours desquelles il doit composer avec des situations de stress élevé;

                     Les RDRF travaillent de 10 à 14 heures par jour et ils reçoivent souvent des appels urgents à l’extérieur des heures de travail;

                     On s’attend des RDRF qui font partie de l’Exécutif national (comme le demandeur) à ce qu’ils voyagent fréquemment. Les heures de repas sont irrégulières et il n’est pas rare pour un RDRF de complètement manquer des repas;

                     Il y a peu de postes au sein de la GRC qui entraîne autant de stress que celui de RDRF faisant partie de l’Exécutif national.

[12]           Dans le cadre de ses fonctions de RDRF, le demandeur se rendait disponible 24 heures par jour en tout temps aux membres qu’il représentait. Il voyageait beaucoup et ses heures de travail étaient irrégulières, ce qui faisait en sorte qu’il lui était difficile de contrôler sa glycémie. Au moment où il avait présenté sa demande de prestations d’invalidité, le demandeur fumait deux paquets de cigarettes par jour en raison du stress que lui occasionnait son poste de RDRF.

            Les antécédents médicaux du demandeur

[13]           Le taux de glycémie normal se situe entre 4,5 et 6 %. Après avoir reçu des traitements et avant de commencer son affectation à Shamattawa, le taux de glycémie du demandeur se tenait normalement à 4,85 %. Alors qu’il travaillait à Shamattawa, le taux de glycémie du demandeur se situait entre 8 % et 11,6 %. Alors qu’il était affecté à la Section des renseignements criminels, celui‑ci se situait entre 9,4 % et 10,2 %. Alors qu’il était affecté à la Section antidrogue à Winnipeg, son taux de glycémie se situait entre 8,8 et 11 %. Alors que le demandeur était RDRF, son taux de glycémie se situait entre 8,7 % et 10 %. Depuis son congé autorisé en novembre 2011, le taux de glycémie du demandeur s’est amélioré et se maintient à 7 %.

[14]           Le spécialiste qui traitait le demandeur entre 1992 et 2011, le Dr Wiseman, attribuait l’incapacité du demandeur à surveiller son taux de glycémie au caractère exigeant de sa profession (dossier du demandeur, page 81). Depuis la retraite du Dr Wiseman, c’est le Dr Silha qui traite le demandeur. Dans un rapport daté du 20 avril 2012 (dossier du demandeur, page 144), le Dr Silha convenait que le caractère exigeant de la profession du demandeur nuisait à sa capacité de contrôler son diabète et il constatait une amélioration marquée depuis que le demandeur était en congé. Le Dr Silha a aussi relevé que l’affectation du demandeur à Shamattawa représentait un défi important pour la capacité du demandeur à contrôler son diabète.

[15]           Des complications liées au diabète sont apparues chez le demandeur, en raison de son incapacité à contrôler sa glycémie. Il souffre notamment d’engourdissements au pied gauche (neuropathie diabétique) et de cécité (rétinopathie diabétique). Ces complications ont eu une grande incidence sur la qualité de vie du demandeur : il est difficile pour lui de se présenter à des réunions sociales et familiales en raison de sa douleur aux jambes et il est incapable d’accomplir des tâches ménagères routinières. Il souffre aussi de dysfonction érectile. Le demandeur subira toujours les conséquences du fait qu’il n’a pas été capable de bien gérer son diabète pendant près de 20 ans, et ce, même s’il continue de bien contrôler sa glycémie (dossier du demandeur, page 144).

[16]           Le demandeur a présenté des affidavits souscrits par un certain nombre de collègues de la GRC qui avaient travaillé avec lui et qui avaient constaté les répercussions que son service avait eues sur sa santé. Kevin Macdougall s’est remémoré que le demandeur paraissait extrêmement fatiguer, buvait de grandes quantités d’eau, s’injectait de l’insuline au cours de la journée et qu’il avait quelquefois des troubles de l’élocution. Gordon Dalziel a déclaré que lui et le demandeur n’avaient souvent pas le temps de dîner ou de souper en raison de leur lourde charge de travail et que lorsqu’ils avaient le temps de manger, ils étaient parfois contraints de ramasser du prêt‑à‑manger en raison du peu de temps dont ils disposaient. Ken Legge et David MacDonald se souvenaient que le demandeur leur avait fait part de son taux de glycémie élevé et des effets négatifs que le travail avait sur sa santé.

[17]           Roy Hill a déclaré qu’il arrivait souvent au demandeur d’être incapable de suivre sa routine quotidienne en raison de tâches et de réunions urgentes et qu’il était souvent évident que le demandeur n’avait pas mangé à des heures appropriées. Il a été témoin du fait que le demandeur s’administrait ses doses d’insuline lors de longues réunions à la table et qu’il devait apporter de la nourriture pour être certain de se rendre à la prochaine pause. Il a pu constater un déclin graduel de la santé du demandeur. Le demandeur a été victime à une occasion de cécité temporaire pendant plusieurs jours. M. Hill a affirmé que les répercussions négatives que le travail du demandeur avait sur sa santé avaient eu une incidence sur sa tolérance et sur sa personnalité.

[18]           Les affidavits souscrits par les collègues du demandeur au sein de la GRC font état du fait qu’il était un membre travaillant de l’organisme qui avait sacrifié sa propre santé pour s’acquitter des responsabilités afférentes à son travail.

[19]           Le 9 août 2010, le demandeur a présenté à Anciens Combattants Canada (ACC) une demande en vue d’obtenir une pension d’invalidité, en raison de trois problèmes de santé : acouphène, troubles de stress post‑traumatique et diabète. Le 26 janvier 2011, ACC a fait droit à la demande en ce qui concerne l’acouphène et le trouble du stress post‑traumatique, mais l’organisme a rejeté sa réclamation en ce qui a trait au diabète.

[20]           Le demandeur a interjeté appel de la décision de l’ACC et il s’était présenté à une audience devant le Comité de révision de l’admissibilité le 10 août 2011. Sa demande a été rejetée le 9 septembre 2011. Le demandeur a ensuite interjeté appel de cette décision au Tribunal, lequel a rejeté l’appel interjeté par le demandeur le 18 juin 2012.

 

LA DÉCISION À L’EXAMEN

[21]           Le demandeur réclamait trois‑cinquièmes d’une pension d’invalidité, au motif que son diabète s’était aggravé en raison de son service dans la GRC.

[22]           Le Tribunal a commencé son examen en passant en revue la preuve médicale. Il a constaté qu’un rapport daté du 9 juillet 1992 mentionnait que la vision du demandeur était revenue à la normale après que son diabète eut été maîtrisé. Un rapport daté du 6 avril 1993 faisait état de la résurgence de légers troubles de la vision.

[23]           Un rapport daté du 22 novembre 1999 mentionnait que le demandeur [traduction] « pouvait continuer d’occuper son poste en toute sécurité » et qu’il n’était pas considéré comme étant un gendarme de première ligne, de sorte qu’il n’avait pas l’obligation de satisfaire aux exigences les plus professionnelles les plus strictes. Un autre rapport, celui‑là daté du 3 décembre 1999, mentionnait qu’il n’y avait [traduction] « certainement aucune maladie proliférante et aucune raison de s’inquiéter à ce moment‑ci ». Le 7 février 2000, on signalait que le demandeur avait [traduction] « quelques microanévrismes dispersés », mais qu’il n’y avait [traduction] « aucune preuve d’autres complications liées au diabète ». En 2001, il était relevé que le demandeur était atteint [traduction] « de rétinopathie de fond très minime ». Les autres rapports produits entre 2002 et 2008 faisaient état du diabète du demandeur, mais rien d’autre n’y était mentionné.

[24]           Un rapport médical rédigé par le Dr Wiseman et daté du 12 novembre 2010 mentionnait ce qui suit :

[traduction]

Je souscris à la suggestion de M. Roach selon laquelle la charge de travail et les heures de travail qu’il devait régulièrement effectuer dans le cadre de son poste au sein de la Gendarmerie royale du Canada avaient eu des effets néfastes sur le contrôle de son diabète, ce qui a conduit à des complications liées au diabète, surtout à la neuropathie dans ses jambes.

 

[25]           Le rapport daté du 16 avril 2012 rédigé par le Dr Silha mentionnait que l’état du demandeur s’était amélioré de manière marquée depuis son départ du service actif et que sa capacité à contrôler son diabète était entravée par sa profession, surtout dans les premières années. Le Dr Silha a aussi constaté l’existence de maladies concomitantes qui pouvaient être attribuées à un contrôle sous‑optimal du diabète. Le Tribunal a aussi fait mention des affidavits souscrits par les collègues du demandeur, ainsi que des données d’hémoglobine couvrant la période allant de 1992 jusqu’à 2011. Ces résultats étaient, pour la plupart, supérieurs aux fourchettes normales.

[26]           Le Tribunal a reconnu les obligations qui lui incombent au titre de l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18 (la Loi sur le TACRA) relativement à l’acceptation de tous les éléments de preuve non contredits et en ce qui a trait au fait de tirer toutes les inférences raisonnables en faveur du demandeur. Le Tribunal a aussi fait mention du fait que le demandeur ne demandait pas qu’on lui verse une pleine pension d’invalidité, en raison du fait que la cause du diabète est inconnue et que le demandeur présentait certains facteurs de risque connus, comme être fumeur.

[27]           Le Tribunal ne croyait pas que la preuve appuyait l’observation du demandeur selon laquelle son service dans la GRC avait grandement affecté sa capacité à traiter et à contrôler son diabète. Bien que la preuve démontrait que le demandeur était atteint de rétinopathie et d’engourdissements au pied droit, le Tribunal ne croyait pas que ces problèmes n’avaient pas entraîné des complications graves au cours du service du demandeur. Le Tribunal a relevé que la plupart des rapports cliniques visant le demandeur ne révélaient rien de notable au sujet de l’état de diabétique du demandeur ainsi que de la rétinopathie et de la neuropathie qui en découlait.

[28]           Le Tribunal a constaté que les mesures de glycémie du demandeur avaient été supérieures à la fourchette normale, mais qu’il n’y avait pas de preuve que ces mesures supérieures à la moyenne avaient eu des conséquences néfastes. Le demandeur était suivi par des spécialistes sur une base régulière et rien ne donnait à penser que son état empirait. Le Tribunal a fait mention du témoignage d’opinion du Dr Wiseman daté du 12 novembre 2010, mais il n’a pu conclure que les faits étayaient son opinion au sujet des « effets nuisibles » des conditions de travail du demandeur. Le Tribunal a mentionné que le témoignage d’opinion du Dr Silha ne traitait pas du fait que le demandeur était fumeur et que, bien que ce rapport ait fait mention des maladies concomitantes, il n’a pas précisément traité de la question de savoir si le demandeur en était atteint. Par conséquent, le Tribunal n’a pas accordé de force probante au témoignage d’opinion du Dr Silha.

[29]           Le Tribunal a reconnu qu’on en avait demandé beaucoup au demandeur tout au long de sa carrière, mais il a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuve portant que son état de diabétique, bien que celui‑ci fût diagnostiqué alors qu’il était en service, avait empiré. De plus, même si le Tribunal avait conclu que l’état du demandeur s’était empiré, la preuve donnait à penser que les facteurs ayant mené à cette situation n’étaient pas suffisamment hors de contrôle du demandeur pour qu’ils constituent une entrave à sa capacité de gérer sa maladie. Par conséquent, le Tribunal a rejeté l’appel interjeté par le demandeur.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[30]           Le demandeur soulève la question suivante dans la présente demande :

                     Le Tribunal a‑t‑il commis une erreur en parvenant à sa décision?

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[31]           La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, a statué qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à l’analyse relative à la norme de contrôle applicable. Lorsque la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à la question dont elle est saisie, la cour de révision peut l’adopter; c’est seulement lorsque la recherche jurisprudentielle est infructueuse qu’elle doit examiner les quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle.

[32]           Dans la décision Beauchene c Canada (Procureur général), 2010 CF 980 (Beauchene), la Cour a conclu, au paragraphe 21, que « l’interprétation de la preuve médicale et l’estimation de l’invalidité d’un demandeur » sont des questions mixtes de fait et de droit qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. Ce point de vue a aussi été retenu dans les décisions Sloane c Canada (Procureur général), 2012 CF 567, et Moreau c Canada (Tribunal des anciens combattants (révision et appel)), 2013 CF 168. Par conséquent, la norme de contrôle applicable à la question en l’espèce est la raisonnabilité.

[33]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision était déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartenait pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[34]           Les dispositions suivantes de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑11 (la Loi sur la pension de retraite de la GRC) s’appliquent en l’espèce :

Admissibilité à une compensation conforme à la Loi sur les pensions

 

32. Sous réserve des autres dispositions de la présente partie et des règlements, une compensation conforme à la Loi sur les pensions doit être accordée, chaque fois que la blessure ou la maladie — ou son aggravation — ayant causé l’invalidité ou le décès sur lequel porte la demande de compensation était consécutive ou se rattachait directement au service dans la Gendarmerie, à toute personne, ou à l’égard de toute personne :

 

a) visée à la partie VI de l’ancienne loi à tout moment avant le 1er avril 1960, qui, avant ou après cette date, a subi une invalidité ou est décédée;

 

b) ayant servi dans la Gendarmerie à tout moment après le 31 mars 1960 comme contributeur selon la partie I de la présente loi, et qui a subi une invalidité avant ou après cette date, ou est décédée.

Eligibility for awards under Pension Act

 

 

32. Subject to this Part and the regulations, an award in accordance with the Pension Act shall be granted to or in respect of the following persons if the injury or disease — or the aggravation of the injury or disease — resulting in the disability or death in respect of which the application for the award is made arose out of, or was directly connected with, the person’s service in the Force:

 

 

(a) any person to whom Part VI of the former Act applied at any time before April 1, 1960 who, either before or after that time, has suffered a disability or has died; and

 

(b) any person who served in the Force at any time after March 31, 1960 as a contributor under Part I of this Act and who has suffered a disability, either before or after that time, or has died.

 

[35]           Les dispositions suivantes de la Loi sur les pensions, LRC 1985, c P‑16, s’appliquent en l’espèce :

Milice active non permanente ou armée de réserve en temps de paix

 

21 (2) En ce qui concerne le service militaire accompli dans la milice active non permanente ou dans l’armée de réserve pendant la Seconde Guerre mondiale ou le service militaire en temps de paix :

 

a) des pensions sont, sur demande, accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux prévus à l’annexe I pour les pensions de base ou supplémentaires, en cas d’invalidité causée par une blessure ou maladie — ou son aggravation — consécutive ou rattachée directement au service militaire;

 

b) des pensions sont accordées à l’égard des membres des forces, conformément aux taux prévus à l’annexe II, en cas de décès causé par une blessure ou maladie — ou son aggravation — consécutive ou rattachée directement au service militaire;

 

c) sauf si une compensation est payable aux termes du paragraphe 34(8), la pension supplémentaire que reçoit un membre des forces en application de l’alinéa a), du paragraphe (5) ou de l’article 36 continue d’être versée pendant l’année qui suit la fin du mois du décès de l’époux ou du conjoint de fait avec qui il cohabitait alors ou, le cas échéant, jusqu’au versement de la pension supplémentaire accordée pendant cette année à l’égard d’un autre époux ou conjoint de fait;

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

d) d’une part, une pension égale à la somme visée au sous-alinéa (ii) est payée au survivant qui vivait avec le membre des forces au moment du décès au lieu de la pension visée à l’alinéa b) pendant une période d’un an à compter de la date depuis laquelle une pension est payable aux termes de l’article 56 — sauf que pour l’application du présent alinéa, la mention « si elle est postérieure, la date du lendemain du décès » à l’alinéa 56(1)a) doit s’interpréter comme signifiant « s’il est postérieur, le premier jour du mois suivant celui au cours duquel est survenu le décès » — d’autre part, après cette année, la pension payée au survivant l’est conformément aux taux prévus à l’annexe II, lorsque, à l’égard de celui-ci, le premier des montants suivants est inférieurs au second :

 

(i) la pension payable en application de l’alinéa b),

 

 

 

(ii) la somme de la pension de base et de la pension supplémentaire pour un époux ou conjoint de fait qui, à son décès, est payable au membre en application de l’alinéa a), du paragraphe (5) ou de l’article 36.

Service in militia or reserve army and in peace time

 

 

21 (2) In respect of military service rendered in the non-permanent active militia or in the reserve army during World War II and in respect of military service in peace time,

 

 

(a) where a member of the forces suffers disability resulting from an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall, on application, be awarded to or in respect of the member in accordance with the rates for basic and additional pension set out in Schedule I;

 

(b) where a member of the forces dies as a result of an injury or disease or an aggravation thereof that arose out of or was directly connected with such military service, a pension shall be awarded in respect of the member in accordance with the rates set out in Schedule II;

 

(c) where a member of the forces is in receipt of an additional pension under paragraph (a), subsection (5) or section 36 in respect of a spouse or common-law partner who is living with the member and the spouse or common-law partner dies, except where an award is payable under subsection 34(8), the additional pension in respect of the spouse or common-law partner shall continue to be paid for a period of one year from the end of the month in which the spouse or common-law partner died or, if an additional pension in respect of another spouse or common-law partner is awarded to the member commencing during that period, until the date that it so commences; and

 

 

(d) where, in respect of a survivor who was living with the member of the forces at the time of that member’s death,

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(i) the pension payable under paragraph (b)

 

is less than

 

(ii) the aggregate of the basic pension and the additional pension for a spouse or common-law partner payable to the member under paragraph (a), subsection (5) or section 36 at the time of the member’s death,

 

a pension equal to the amount described in subparagraph (ii) shall be paid to the survivor in lieu of the pension payable under paragraph (b) for a period of one year commencing on the effective date of award as provided in section 56 (except that the words “from the day following the date of death” in subparagraph 56(1)(a)(i) shall be read as “from the first day of the month following the month of the member’s death”), and thereafter a pension shall be paid to the survivor in accordance with the rates set out in Schedule II.

 

[36]           Les dispositions suivantes de la Loi sur le TACRA s’appliquent en l’espèce :

Principe général

 

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

 

 

 

[…]

 

 

Règles régissant la preuve

 

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

 

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

 

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

Construction

 

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

 

[…]

 

 

Rules of evidence

 

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

 

 

 

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

 

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

 

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

 

LES ARGUMENTS

Le demandeur

 

[37]           Dans la décision MacKay c Canada (Procureur général), [1997] ACF no 495, le juge Max Teitelbaum a formulé les commentaires suivants au sujet de la loi applicable à la demande en l’espèce :

21     En fait, l’article 39 dispose que lorsque de nouveaux éléments de preuve vraisemblables sont présentés au cours d’un réexamen, le TAC (R&A) a l’obligation d’examiner et de pondérer ces éléments de preuve en faveur du requérant.

 

[…]

 

24     L’article 3 crée donc certaines directives libérales et intentionnelles pour l’étude des demandes de pension d’anciens combattants au vu de l’énorme dette morale de la nation à l’égard de ceux qui ont servi leur pays.

 

[38]           Pour établir son droit à une pension d’invalidité, le demandeur doit démontrer que :

a)                  La blessure, la maladie ou son aggravation a causé l’invalidité sur laquelle porte la demande;

b)                  La blessure, la maladie ou son aggravation se rattachait à son service dans la GRC.

[39]           Le demandeur n’a pas l’obligation de prouver que son service dans la GRC est la seule cause de son invalidité. L’admissibilité à une pension d’invalidité est établie par cinquième; si son service dans la GRC a joué un rôle minimal dans l’aggravation de son handicap, le demandeur aura droit à un cinquième (ou 20 %) d’une pension d’invalidité.

[40]           Le Tribunal n’a pas traité de l’ampleur de son invalidité, étant donné sa conclusion que le demandeur n’avait pas droit à une pension d’invalidité. Le Tribunal a uniquement examiné la question de savoir si la preuve établissait que les complications qui s’étaient développées en raison du diabète du demandeur étaient liées à son service. La demande du demandeur reposait sur le fait qu’il avait développé une invalidité physique au cours de son service dans la GRC (soit, des complications graves et permanentes liées à son diabète) et que le développement de ces complications se rapportait directement à son service dans la GRC. Il a fait observer qu’en raison de son travail, il n’a pu contrôler sa glycémie, ce qui a entraîné le développement de complications graves liées à son diabète.

[41]           Des pensions d’invalidité ont été accordées à des membres de la GRC par le passé pour des complications découlant du diabète (voir, à titre d’exemple, Yates c Canada, 2002 CFPI 111). Le demandeur fait observer que la preuve médicale démontrait sans équivoque que les exigences de son emploi avaient contribué au développement des complications liées au diabète dont il est victime.

[42]           Le demandeur n’avait pas allégué que son service dans la GRC était la cause de son diabète, ni même que son service était la seule et unique cause des complications liées à son diabète. Il a fait observer que, compte tenu de la preuve qui établissait un lien sans équivoque entre les complications liées au diabète et son service dans la GRC, il avait le droit à au moins trois‑cinquièmes d’une pension d’invalidité.

[43]           Le demandeur soutient que le Tribunal, lorsqu’il était parvenu à sa conclusion, avait omis d’accorder l’importance appropriée à la preuve qu’il avait présentée et que le Tribunal avait omis de lui donner le bénéfice du doute, comme l’exige la Loi. Il ne fait aucun doute que l’incapacité du demandeur à contrôler son diabète a eu de grandes répercussions sur sa qualité de vie; cependant, le Tribunal n’a traité d’aucune de ces complications et il semble les avoir ignorées ou ne pas en avoir tenu compte.

[44]           Le demandeur soutient que l’ampleur de son invalidité et la gravité de son état de santé ne sont pas des facteurs dans la détermination de son droit à une pension d’invalidité. Ces questions devraient être appréciées par le Tribunal pour établir l’importance de la pension d’invalidité qu’il touchera, et non son droit à une pension d’invalidité.

[45]           La prétention du Tribunal selon laquelle il n’y avait [traduction] « pas d’éléments de preuve » portant que la glycémie supérieure à la normale du demandeur avait eu des conséquences nuisibles va à l’encontre de la preuve médicale crédible fournie par les Drs Silha et Wiseman. Le Tribunal ne peut pas tout simplement faire fi des éléments de preuve fournis par les médecins qui s’occupaient du traitement du demandeur.

[46]           De plus, la conclusion du Tribunal selon laquelle les [traduction] « facteurs liés au travail » n’étaient pas suffisamment hors du contrôle du demandeur pour nuire à sa capacité de gérer son diabète va à l’encontre du témoignage non contredit du demandeur, de celui de plusieurs de ses collègues de la GRC et de celui du Dr Silha. Ces éléments de preuve appuient tous l’observation du demandeur selon laquelle il lui était très difficile de contrôler sa glycémie en raison des exigences du travail. Aucune preuve à l’effet contraire n’a été soumise; la suggestion selon laquelle le demandeur aurait pu mieux gérer son état repose sur les croyances et hypothèses du Tribunal, et non sur la preuve dont ce dernier disposait.

[47]           Les conclusions du Tribunal contreviennent à son obligation légale d’accepter tout élément de preuve non contredit et crédible que le demandeur lui a présenté. La Cour fédérale a réprouvé des décisions du Tribunal dans lesquelles ce dernier n’acceptait pas des éléments de preuve non contredits présentés pour le compte de demandeurs, surtout lorsque la décision du Tribunal repose sur son propre avis médical plutôt que sur la preuve médicale produite au dossier de la personne qui demande une pension (Rivard c Canada (Procureur général), [2001] ACF no 1072 (Rivard); Armstrong c Canada (Procureur général), 2010 CF 91 (Armstrong)).

[48]           Comme il était souligné dans Rivard, le fait que l’article 38 de la Loi sur le TACRA permet au Tribunal de solliciter un avis médical dans toute affaire donne à penser que le Tribunal ne possède pas d’expertise particulière dans le domaine médical. Si le Tribunal est en désaccord avec la preuve médicale présentée par un demandeur, elle aurait dû obtenir une preuve médicale, conformément à l’article 38. Comme l’a mentionné la Cour au paragraphe 42 de la décision Rivard :

Par conséquent, à mon avis, l’existence même de l’article 38 indique qu’on ne peut reconnaître au Tribunal une compétence inhérente en ce qui concerne les questions médicales. Celui-ci ne possède pas d’expertise particulière dans le domaine médical lui permettant d’affirmer en l’espèce que l’opinion du Dr Sestier et l’article à l’appui ne faisaient pas partie du consensus médical, en l’absence de preuve à l’appui. Donc, je suis d’avis que le Tribunal ne pouvait invoquer des faits médicaux qui n’étaient pas en preuve afin de réfuter la preuve du demandeur. Si le Tribunal désirait obtenir de la preuve autre que celle du demandeur ou de la preuve représentant le contexte médical, il n’avait qu’à invoquer l’article 38 et à demander l’opinion d’un expert.

 

[49]           Les commentaires formulés par la Cour dans la décision Rivard s’appliquent particulièrement à la décision du Tribunal dans la présente affaire de n’accorder [traduction] « aucune force probante » à l’avis du Dr Silha. Le Tribunal a rejeté l’opinion du Dr Silha parce que celui‑ci ne traitait pas du fait que le demandeur était un fumeur et qu’il n’abordait pas précisément la question de savoir si le demandeur était atteint de maladies concomitantes. Le demandeur soutient que si le Tribunal avait besoin de preuve médicale supplémentaire quant à ces deux facteurs, il aurait pu invoquer l’article 38 et solliciter un avis médical. Il a choisi de ne pas le faire et, par conséquent, il ne peut pas se fonder sur l’absence d’une telle preuve pour conclure que le demandeur n’a pas droit à une pension d’invalidité.

[50]           Le demandeur soutient que le Tribunal a manifestement commis une erreur en rejetant la preuve médicale fournie par le Dr Silha et le Dr Wiseman, qui sont des spécialistes reconnus et qui avaient traité le demandeur. La politique de la Loi sur les pensions, qui a été réitérée par la Cour dans la décision Schut c Canada, 2003 CF 1323 (Schut) au paragraphe 18, prévoit que :

Par contre, une opinion médicale, exprimée par un spécialiste reconnu qui a traité ou examiné le demandeur, doit normalement être acceptée, à moins que celle-ci soit implicitement ou explicitement fondée uniquement sur les dossiers médicaux obtenus du demandeur (autrement dit, elle n’est pas fondée sur un examen personnel du spécialiste), ou encore si elle est entièrement conjecturale.

 

[51]           Le demandeur soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de la preuve abondante non contredite présentée pour son compte qui établissait que son état de santé était consécutif et se rattachait directement à son service dans la GRC.

 

Le défendeur

[52]           Lors des instances devant le Tribunal, un demandeur doit établir le bien-fondé de sa cause selon la prépondérance des probabilités (Moar c Canada (Procureur général), 2006 CF 610, au paragraphe 10). Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Wannamaker, 2007 CAF 126, la Cour d’appel fédérale a relevé que l’article 39 de la Loi sur le TACRA vise à garantir que la preuve présentée par un demandeur soit examinée « sous le jour lui étant le plus favorable ».Cependant, cette disposition « ne dispense le demandeur de la charge d’établir par prépondérance de la preuve les faits nécessaires pour ouvrir droit à une pension ». La Cour a ensuite mentionné dans le même arrêt que la preuve est crédible si elle est « plausible, fiable et logiquement capable d’établir la preuve du fait en question ».

[53]           La Cour fédérale a fait remarquer dans la décision Tonner c Canada (Ministre des Anciens combattants), [1995] ACF no 550, que l’article 39 ne sous‑entend pas que le Tribunal doit accepter de manière automatique toute observation formulée par un demandeur. La Cour a affirmé qu’une réclamation d’un demandeur doit tout de même être appuyée par une preuve qui est crédible et raisonnable. Bien que le Tribunal soit tenu de tirer les conclusions les plus favorables possible au demandeur, les conclusions tirées doivent se fonder sur « davantage qu’une simple possibilité » (Elliot c Canada (Procureur général), 2003 CAF 298, au paragraphe 46).

[54]           Conformément à l’article 32 de la Loi sur la pension de retraite de la GRC, le demandeur doit établir qu’il souffrait d’une maladie ayant causé l’invalidité et que celle‑ci se rattachait directement à son service dans la GRC. Le défendeur soutient que le Tribunal a eu raison de conclure que la preuve médicale présentée par le demandeur n’établissait pas que son service au sein de la GRC avait aggravé son état de santé.

[55]           Sans tenir compte du fait que d’autres membres de la GRC s’étaient vu accorder une pension d’invalidité pour cause de diabète dans d’autres situations, il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard de l’appréciation qu’a faite le Tribunal de la preuve présentée par le demandeur. Le Tribunal a apprécié cette preuve et il est parvenu, de manière raisonnable, aux conclusions suivantes :

                     La cause du diabète de type 1 est inconnue, mais ce diabète peut être traité au moyen de soins et d’un contrôle de la santé générale;

                     Le demandeur présentait certains facteurs de risque connus, notamment, en étant fumeur;

                     Il n’y a pas d’éléments de preuve démontrant l’existence de complications graves liées au diabète du demandeur tout au long du service de ce dernier dans la GRC;

                     L’état de santé du demandeur faisait l’objet d’un suivi sur une base relativement régulière;

                     Les facteurs liés au travail n’étaient pas suffisamment hors du contrôle du demandeur pour nuire à sa capacité de gérer son état de santé.

[56]           Il y a lieu de faire preuve de déférence à l’égard du Tribunal quant à l’examen de la fiabilité et de la crédibilité de la preuve médicale qui avait été présentée par le demandeur; le fait que le Tribunal ait conclu que les faits n’appuyaient pas l’opinion du Dr Wiseman contenue dans la lettre qu’il avait lui‑même rédigée le 12 novembre 2010 appartenait aux issus possibles acceptables. Dans la même veine, il était loisible au Tribunal de conclure qu’il ne pouvait pas accorder de force probante au témoignage d’opinion du Dr Silha, parce que ce dernier n’abordait pas le fait que le demandeur était fumeur et qu’il ne traitait pas spécifiquement de la question de savoir si le demandeur était atteint de maladies concomitantes.

[57]           Malgré ce qu’affirme le demandeur, le Tribunal n’a pas tenté de substituer ses propres croyances et hypothèses à la preuve médicale non contredite et d’en faire valoir leur véracité. Elle a simplement conclu qu’il manquait d’éléments de preuve médicale crédibles établissant un droit à une pension d’invalidité. Les précédents mis de l’avant par le demandeur, soit Rivard et Armstrong, se rapportaient tous les deux à des situations où le Tribunal avait substitué ses propres conclusions médicales à la preuve médicale dont elle disposait.

[58]           Dans Schut, qui était aussi invoquée par le demandeur, le Tribunal avait conclu que la preuve médicale n’était pas suffisamment crédible et raisonnable pour étayer la cause du demandeur selon la prépondérance des probabilités, et lui a par conséquent refusé le droit à la pension. La Cour fédérale a confirmé cette conclusion.

[59]           De plus, le demandeur a soulevé l’application de l’article 38 de la Loi sur TACRA pour la première fois dans son mémoire des faits et du droit et il prétend que si le Tribunal n’était pas d’accord avec la preuve médicale qu’il avait produite, il aurait pu obtenir une preuve médicale en vertu de cette disposition. Cependant, le défendeur soutient que le demandeur ne peut plaider des motifs de réparation qu’il n’avait pas invoqués dans son avis de demande (Producteurs laitiers du Canada c Chypre (Commerce et Industrie), 2010 CF 719).

[60]           En outre, la Cour fédérale a conclu qu’elle ne procédera pas au contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal quant à une question qui n’avait pas été soulevée devant ce Tribunal, à moins qu’il ne s’agisse d’une question de compétence. Puisqu’il semble que l’article 38 n’ait pas été invoqué devant le Tribunal, sa décision ne devrait pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire quant à cette question (Sinclair c Canada (Procureur général), 2006 CF 528). La mesure prévue à l’article 38 est purement discrétionnaire et le Tribunal n’a pas l’obligation de produire des éléments de preuve médicale pour contredire la preuve du demandeur. En l’espèce, comme dans la décision Schut, le Tribunal devait seulement apprécier la preuve qu’on lui avait soumise. Il avait conclu que cette preuve contenait des lacunes.

[61]           Le défendeur soutient que, même lorsqu’on examine la preuve sous son meilleur angle possible, celle‑ci ne réussit pas à établir, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur avait droit à une pension d’invalidité. La preuve médicale donne à penser que, même si le demandeur souffrait de diabète en 1992 et que des symptômes liés à la rétinopathie ainsi que des engourdissements dans son pied droit s’étaient développés chez lui, il n’y avait pas d’éléments de preuve crédibles qui établissaient que l’aggravation de son état de santé se rapportait directement à son service dans la GRC. Le demandeur n’a pas réussi à démontrer que la décision était déraisonnable.

ANALYSE

[62]           Comme le Tribunal l’a reconnu dans sa décision, l’opinion médicale du Dr Wiseman datée du 12 novembre 2010 mentionnait que :

[traduction]

[] la charge de travail et les heures de travail qu’il [le demandeur] devait régulièrement effectuer dans le cadre de son poste au sein de la Gendarmerie royale du Canada avaient eu des effets néfastes sur le contrôle de son diabète, ce qui a conduit à des complications liées au diabète, surtout à la neuropathie dans ses jambes.

 

[63]           Le demandeur avait lui‑même fait cette suggestion au Dr Wiseman, mais cela ne déprécie la valeur médicale de ce témoignage d’opinion, et le Tribunal n’a pas rejeté l’opinion médicale du Dr Wiseman pour ce motif. Le Tribunal a simplement affirmé ce qui suit :

[traduction]

Bien que le Tribunal d’appel convienne que la preuve appuie le fait que le demandeur avait développé des symptômes liés à la rétinopathie et aux extrémités dans son pied droit, il ne constate pas l’existence de complications graves découlant de ces problèmes pendant le service de l’appelant. En fait, une grande partie du Rapport clinique et des formulaires de comptes ne mentionnent rien de particulier en ce qui se rapporte au problème de diabète de l’appelant et de la rétinopathie ainsi que de la neuropathie qui en résulte.

 

En ce qui concerne la glycémie, le Tribunal d’appel a examiné les mesures attentivement et il remarque que celles‑ci sont supérieures à la fourchette normale. Cependant, une fois de plus, il n’y a pas d’éléments de preuve portant que ces mesures supérieures à la normale avaient eu des conséquences nuisibles. En fait, le Rapport clinique et les formulaires de comptes rédigés tout au long de la carrière de l’appelant font état du diagnostic de diabète, mais il n’y a pas d’autres éléments de preuve selon lesquels la glycémie de l’appelant lui occasionnait des problèmes de santé, hormis ceux décelés dans la période avoisinant le moment du diagnostic de diabète en 1992.

 

Tout compte fait, malgré les mesures faisant état de glycémie élevée, la preuve donne à penser que le demandeur faisait l’objet d’un suivi par les spécialistes médicaux sur une base relativement régulière. À la lecture de ces rapports rédigés à cette époque, on remarque qu’aucun signal d’alarme n’avait été donné quant au fait que son état empirait.

 

En ce qui se rapporte au témoignage d’opinions du Dr Wiseman daté du 12 novembre 2010, bien que le Tribunal d’appel constate qu’il aborde la question des « effets nuisibles sur le contrôle [du diabète de l’appelant] », le Tribunal ne peut conclure que les faits appuient cette opinion.

 

[64]           Le Tribunal était d’avis que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment de preuve médicale pour étayer sa cause et il semblerait que « les faits » n’appuyaient pas l’opinion médicale du Dr Wiseman datée du 12 novembre 2010 étaient les rapports cliniques antérieurs ainsi que les formulaires de comptes auxquels le Tribunal faisait référence et qu’il ne traitait pas des « conséquences nuisibles ».

[65]           Ce raisonnement ne tient pas compte des éléments suivants :

a)                  L’objectif des rapports antérieurs n’était pas d’apprécier les conséquences nuisibles et le droit à une pension de retraite, mais bien d’établir, à chacun des points dans le temps, si le demandeur pouvait s’acquitter des tâches qui lui étaient assignées. L’opinion du Dr Wiseman porte précisément sur la cause des conséquences nuisibles. Cette distinction avait été expliquée en nombre détails dans les observations formulées au Tribunal, et ce dernier a tout de même choisi de ne pas en tenir compte, sans mentionner pourquoi;

b)                  Le Tribunal a reconnu que le demandeur a produit [traduction] « un certain nombre d’affidavits souscrits par des collègues officiers de la GRC qui avaient aussi travaillé comme représentants des relations fonctionnelles au cours de leur carrière au sein de la GRC ». Ces affidavits se constituent des éléments de preuve directs (quoiqu’ils aient été souscrits par du personnel non médical) relativement aux conditions difficiles dans lesquelles le demandeur devait travailler et aux répercussions que cela a eues sur sa capacité de prendre en charge son diabète. Le Tribunal n’a pas fait mention de cette preuve ailleurs dans la décision et il n’a pas dit pourquoi on ne devrait pas en tenir compte. Ces éléments de preuve corroborent que le Dr Wiseman affirmait à propos de la cause des effets nuisibles et ils contredisent la conclusion du Tribunal selon laquelle [traduction] « les facteurs liés au travail n’étaient pas suffisamment hors du contrôle du demandeur pour nuire à sa capacité de gérer son état de santé ». Le Tribunal aurait dû traiter de cet élément de preuve. Rien ne prouve que le demandeur aurait pu prendre en charge son état de santé d’une manière qui aurait prévenu les effets nuisibles. Le défendeur a fait cas d’une lettre antérieure rédigée par le Dr Wiseman à l’attention du Dr Swires, le médecin‑chef à Winnipeg, et qui se lie en partie ainsi :

[traduction]

Je ne crois pas qu’il y ait de doute quant au fait que M. Roach souffre de diabète insulinodépendant et je prends les dispositions pour qu’il se présente au Centre d’éducation au diabète dès que possible concernant l’injection d’insuline et la surveillance de sa glycémie à la maison. Il est intéressant de souligner qu’il a un microanévrisme du côté gauche, ce qui indique qu’il est atteint du diabète beaucoup plus longtemps que ses symptômes ne le donnent à penser.

 

Je ne crois pas qu’il y ait quelque contre‑indication spécifique l’empêchant de se rendre à Shamattawa, à condition que sa glycémie soit bien contrôlée et qu’il respecte un régime approprié compte tenu de son état, et qu’il n’amorce pas de longs trajets sans supervision. Je lui ai fortement conseillé de fumer, et il devrait aussi mettre fin à ses abus de consommation périodiques. Il reviendra me voir dans deux semaines.

 

 

Le défendeur prétend que, selon la preuve médicale, l’état de santé du demandeur était gérable en 1992 par rapport à son travail. Cependant, je suis d’avis que l’expression [traduction] « à condition que sa glycémie soit bien contrôlée et qu’il respecte un régime approprié compte tenu de son état » n’appuie pas l’opinion selon laquelle les conditions d’emploi du demandeur allaient rendre cela impossible, et nous avons des affidavits souscrits par les collègues du demandeur ainsi que le témoignage d’opinion rédigé en 2010 par le Dr Wiseman selon laquelle le poste occupé par le demandeur faisait en sorte qu’il ne lui était pas possible d’effectuer le contrôle nécessaire et que cela avait conduit aux effets nuisibles qui, selon l’opinion médicale du Dr Wiseman, se rattachaient directement au travail du demandeur.

 

[66]           Le Tribunal a aussi qu’il n’accordait aucune force probante au témoignage d’opinion du Dr Silha, parce que :

[traduction]

[] il ne traite pas du fait que le demandeur était un fumeur et que, même s’il aborde la question des maladies concomitantes, il ne traite pas spécifiquement de la question de savoir si le demandeur en était atteint.

 

Je suis d’avis qu’il ne s’agit pas d’un motif suffisant pour rejeter l’opinion médicale sans équivoque du Dr Silha selon laquelle, malgré le fait [traduction] « qu’en ce moment, le contrôle de sa glycémie est adéquat, mais il continuera de subir les conséquences des années de lacunes à cet égard ». Selon l’opinion médicale du Dr Silha, l’affectation du demandeur dans une région rurale du Manitoba au début de sa carrière :

[traduction]

[] représentait manifestement un défi à l’égard du contrôle du diabète, en ce qui a trait à l’obtention de l’appui nutritionnel adéquat, ainsi que des contraintes de temps imposées par son travail stressant, lequel ne lui permettait pas toujours de faire une bonne planification de son injection d’insuline.

 

[67]           Les Drs Wiseman et Silha étaient les médecins traitants du demandeur : ils connaissaient l’ensemble de son dossier. Il était impossible de contourner leurs opinions comme le Tribunal a tenté de le faire. Le Tribunal a omis de tenir compte de ce que l’on pourrait considérer comme étant les éléments de preuve non contredits qui établissent que l’aggravation de la maladie du demandeur et les conséquences néfastes de celle‑ci étaient consécutives ou se rattachaient directement à son service dans la GRC. Plus particulièrement, le Tribunal n’a pas appliqué de manière raisonnable l’article 39 de la Loi sur le TACRA. La présente affaire doit être renvoyée au Tribunal pour réexamen.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision du Tribunal est annulée et l’affaire est renvoyée au Tribunal pour nouvelle décision conformément à mes motifs.

 

2.                  Le défendeur paiera au demandeur ses dépens engagés relativement à la présente affaire.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1333-12

 

INTITULÉ :                                      BRIAN ROACH

                                                            c

                                                            PGC

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 9 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 9 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jillian Frank

 

POUR LE DEMANDEUR

Malcolm Palmer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Heenan Blaikie s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.