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Date : 20130726

Dossier : T-1329-12

Référence : 2013 CF 820

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2013

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

Entre :

 

KELLY SERVICES, INC. ET KELLY PROPERTIES, LLC

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

MOHAMED WAZIR ET 1405653 ONTARIO INC. FAISANT AFFAIRES SOUS LE NOM DE KSR PERSONNEL

 

 

 

défenderesses

 

 

 MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le 7 mai 2013, la Cour a accueilli la requête des demanderesses en jugement par défaut contre les défenderesses. La Cour a conclu que les défenderesses avaient contrefait les marques de commerce déposées au Canada appartenant aux demanderesses, appelé l’attention du public sur leurs services et leur entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre leurs services ou entreprise et ceux des demanderesses et employé les enregistrements KSR des demanderesses d’une manière qui a entraîné la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à ces enregistrements, en contravention des articles 19 et 20, de l’alinéa 7b) et de l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T-13. Les demanderesses ont obtenu une injonction permanente, des dommages-intérêts au montant de 30 000 $ et des dépens au montant de 10 000 $.

 

[2]               Les défenderesses présentent maintenant une requête en annulation du jugement, au sens du paragraphe 399(1) des Règles des Cours fédérales. Pour les motifs qui suivent, je conclus que les défenderesses n’ont pas satisfait au critère applicable qui leur aurait permis de faire annuler le jugement.

 

Le contexte

[3]               La demanderesse, Kelly Services, Inc. (Kelly Services), fournit des services de placement de personnel et de recrutement au Canada depuis 1968. La demanderesse, Kelly Properties, LLC (Kelly Properties), est une filiale qui appartient entièrement à Kelly Services et qui possède de nombreux enregistrements de marque de commerce qui sont utilisés sous licence au Canada en matière de placement de personnel et de recrutement. Kelly possède environ 25 bureaux dans tout le Canada et ses revenus pour l’année 2011, pour ses services de placement de personnel et de recrutement au Canada, s’élevaient à presque 250 millions de dollars.

 

[4]               Mohamed Wazir est le propriétaire de 1405653 Ontario Inc. faisant affaires sous le nom de KSR Personnel, qui a été constituée en société en 2000 et qui opère sous le nom de KSR Personnel depuis le 21 juin 2001. KSR Personnel est une petite compagnie de recrutement de personnel qui emploie environ 35 recruteurs. KSR Personnel opère presque exclusivement dans le domaine de la fabrication de produits pharmaceutiques et de la prestation de services pharmaceutiques en Ontario et au Canada.

 

[5]               Le 5 juillet 2012, les demanderesses ont signifié en personne aux défenderesses leur déclaration, dans laquelle elles soutenaient que les défenderesses avaient enfreint les marques de commerce déposées, avaient eu recours à une commercialisation trompeuse et avaient entraîné la diminution de la valeur de l’achalandage attaché aux enregistrements de la demanderesse. Les défenderesses n’ont déposé aucune défense en l’espèce et sont en défaut depuis le 4 août 2012. La preuve au dossier montre que la ligne du temps quant à la connaissance des défenderesses de leur statut en défaut peut se résumer de la façon suivante :

•     le 9 août 2012, l’avocat des défenderesses a envoyé un courriel à l’avocat des demanderesses, notant que l’échéance pour le dépôt d’une défense était passée et demandant une confirmation que ses clientes n’avaient pas été inscrites en défaut;

•     le 20 août 2012, l’avocat des défenderesses a demandé la permission aux demanderesses de déposer une défense [traduction] « d’ici vendredi » (soit le 24 août 2012);

•     les demanderesses ont répondu le lendemain en offrant de ne pas contester une requête en autorisation de déposer une défense hors délais, à condition que les défenderesses le fassent rapidement. Cependant, aucune requête de ce genre n’a été présentée;

•     le 27 septembre 2012, les demanderesses ont écrit à l’avocat des défenderesses pour l’aviser qu’elles allaient demander un jugement par défaut, si les défenderesses ne présentaient pas rapidement leur défense;

•     le 23 octobre 2012, l’avocat des défenderesses a envoyé un courriel à l’avocat des demanderesses, dans lequel il expliquait que [traduction] « la préparation de la défense prend beaucoup plus de temps que prévu », ce qui montre une connaissance claire et continue du fait que les défenderesses étaient en défaut;

•     plus tard le même jour, les demanderesses ont écrit à l’avocat des défenderesses par télécopie, courrier enregistré et courriel, notant que si les défenderesses ne déposaient pas leur défense rapidement, les demanderesses présenteraient alors une demande d’ordonnance pour que la défense soit déposée sans tarder et que le défaut d’agir donnerait droit aux demanderesses de présenter une requête ex parte en jugement par défaut;

•     le 30 janvier 2013, les défenderesses ont reçu les observations des demanderesses en réponse à un examen de l’état de l’instance, qui comprenaient une ébauche d’ordonnance permettant aux demanderesses de présenter une requête ex parte en jugement par défaut parce qu’aucune défense n’avait été déposée dans le délai prévu. L’avocat des défenderesses a accusé réception de cette communication par courriel plus tard le même jour;

•     le 18 février 2013, les défenderesses ont reçu un ordre de la Cour leur demandant de déposer une défense dans les 10 jours suivants. Les défenderesses ont accusé réception de cette ordonnance par courriel le lendemain;

•     le 25 février 2013, l’avocat des défenderesses a signifié à l’avocat des demanderesses une défense et une demande reconventionnelle par courriel. Le même jour, l’avocat des demanderesses a accusé réception de ce courriel. Néanmoins, la défense n’a jamais été déposée à la Cour et, à l’audience, l’avocat des défenderesses a reconnu que, par inadvertance, il n’avait jamais fourni la défense à un huissier des services judiciaires pour qu’elle soit déposée à la Cour;

•     le 25 mars 2013, l’avocat des demanderesses a envoyé à l’avocat des défenderesses par courriel un calendrier proposé pour les étapes suivantes du litige et l’a renvoyé dans un autre courriel le 28 mars 2013. Le même jour, l’avocat des défenderesses a répondu et a accepté le calendrier proposé, à l’exception d’une date, soit la date à laquelle la réponse à la demande des précisions des demanderesses devait être présentée, qui devait être changée du 2 avril au 12 avril 2013. Le calendrier, tel qu’accepté par l’avocat des défenderesses sous conditions du changement de date, a été envoyé par courriel à la Cour le 2 avril 2013;

•     le 8 avril 2013, les défenderesses ont reçu une directive de la Cour, par télécopieur et par courriel, au sujet du fait qu’aucune défense n’avait été déposée. Les défenderesses ont accusé réception de cette directive par courriel le lendemain;

•     le 12 avril 2013, l’avocat des demanderesses a envoyé aux défenderesses, par courriel, par télécopieur et par courrier, une lettre qui comprenait une ébauche d’ordonnance permettant aux demanderesses de présenter une requête ex parte en jugement par défaut si une défense n’était pas déposée dans les 10 jours suivant la date de l’ordonnance. L’avocat des défenderesses soutient, dans ses observations écrites, qu’il n’a pas vu ce courriel ni la lettre en annexe à l’époque et qu’il a seulement su après que le jugement soit rendu que le courriel avait bien été envoyé à son adresse de courriel, mais qu’il avait été mis en quarantaine par son logiciel de sécurité informatique qui avait cru qu’il s’agissait d’un pourriel dangereux ou indésirable. À l’audience, il a reconnu qu’il avait reçu la lettre, mais il a expliqué qu’il n’avait pas lu l’ébauche d’ordonnance, parce qu’il croyait qu’il s’agissait simplement d’une question de calendrier et qu’il n’a pas réalisé que sa défense n’avait pas été déposée;

•     le 15 avril 2013, en réponse à la directive du 8 avril 2013, les demanderesses ont déposé des observations écrites à la Cour ainsi que l’ébauche d’ordonnance qui avait été envoyée aux défenderesses. Une copie de cette communication et de son annexe a été envoyée aux défenderesses par courriel, par télécopieur et par courrier, et les défenderesses n’ont pas soutenu qu’elles ne l’avaient pas reçue, sous l’un quelconque des formats par lequel elle avait été envoyée;

•     le 22 avril 2013, la Cour a rendu l’ordonnance telle qu’elle avait été soumise dans l’ébauche des demanderesses. La Cour a envoyé cette ordonnance aux parties par courriel et à la même adresse courriel de l’avocat des défenderesses à partir de laquelle les défenderesses avaient accusé réception de l’ordonnance de la Cour datée du 15 février et de la directive datée du 8 avril 2013.

 

[6]               Il n’a pas été contesté que le jugement a été signifié aux défenderesses personnellement le 9 mai 2013 et qu’une copie de courtoisie a été envoyée à leur avocat le 10 mai 2013. Pourtant, les défenderesses n’ont pas signifié ni déposé avant le 14 juin 2013 de document visant à faire annuler le jugement. Les défenderesses n’ont fourni aucune explication pour ce dépôt tardif.

 

La question en litige

[7]               La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si le jugement par défaut devrait être annulé.

 

[8]               Cette question sera tranchée sans que j’aie recours à la preuve par affidavit de Jordan Kofman, présentée pour les défenderesses. Aucune des déclarations de M. Kofman en ce qui a trait à la présentation d’une explication raisonnable pour le défaut des défenderesses de déposer une défense ne peut être admise et ne peut servir de fondement à une autre déclaration. M. Kofman n’a aucune connaissance personnelle des événements qui se sont déroulés dans la présente procédure avant que le jugement ne soit rendu, parce qu’il a commencé à travailler pour l’avocat des défenderesses le 8 mai 2013. Son témoignage au sujet de ces questions constitue donc presque entièrement du ouï-dire.

 

 

Analyse

[9]               Le paragraphe 399(1) des Règles des Cours fédérales prévoit que la Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance rendue sur requête ex parte si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n’aurait pas dû être rendue. Les parties s’entendent quant au critère à appliquer pour l’annulation de jugement par défaut. La partie en défaut doit convaincre la Cour qu’elle :

a)         a une explication raisonnable pour justifier son défaut de présenter une défense;

b)         a une défense prima facie sur le fond à opposer à la demande des demanderesses;

c)         a agi promptement en vue de faire annuler le jugement par défaut.

Voir : Louis Vuitton Malletier S.A. c Lin, 2008 CF 45, au paragraphe 4; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c 654163 Ontario Ltd, 2010 CF 905, au paragraphe 19; Brilliant Trading c Wong, 2005 CF 571, au paragraphe 8.

 

[10]           En l’espèce, les défenderesses ne satisfont aucunement à la première partie du critère. En effet, leurs preuves et leurs observations quant à leur défaut de déposer une défense ne portent que sur des événements qui se sont déroulés vers février 2013. Cependant, les défenderesses ont été en défaut pendant une période de neuf mois. Elles n’ont pas tenté d’expliquer pourquoi aucune défense n’avait été déposée avant février 2013, malgré le fait qu’elles ont reconnu dès août 2012, soit plus de cinq mois plus tôt, qu’elles étaient en défaut. Une telle approche ne peut pas satisfaire à l’exigence de convaincre la Cour qu’il existe une explication raisonnable pour le défaut des défenderesses.

 

[11]           À l’audience, l’avocat des défenderesses a soutenu que les défenderesses ne devraient pas être blâmées pour son erreur honnête et involontaire, qu’elles n’ont pas fait fi des procédures juridiques lancées par les demanderesses et qu’il a constamment communiqué avec l’avocat des demanderesses pendant la procédure. À mon avis, cela est loin d’être suffisant pour annuler le jugement par défaut. Même si j’étais prêt à accepter que le défaut de déposer la défense à la Cour était simplement le résultat d’une erreur commise de bonne foi, cela n’explique tout de même pas le long délai entre le début du mois d’août et la fin du mois de février. Les défenderesses savaient clairement qu’elles étaient en défaut immédiatement après l’échéance de la première date prévue pour le dépôt de la défense, pourtant, elles n’ont rien fait pour régler ce défaut pendant six mois. Il est aussi évident qu’elles étaient en tout temps au courant de leur défaut jusqu’à au moins le 9 avril 2013, lorsqu’elles ont accusé réception de la directive de la Cour dans laquelle il était noté qu’aucune défense n’avait été déposée. Par conséquent, les 12, 15 et 22 avril 2013, les défenderesses ont reçu des communications et une ébauche ou des ordonnances envoyées par les demanderesses et la Cour, par de nombreux moyens de livraison, dans lesquelles il était clairement exprimé qu’aucune défense n’avait été déposée et qu’à moins que les défenderesses ne déposent une défense rapidement, les demanderesses présenteraient une requête ex parte en jugement par défaut. Comme les défenderesses ont accusé réception de certains de ces documents, il est difficile d’expliquer pourquoi la défense n’a pas été déposée pendant neuf mois. Même si l’avocat avait cru, par erreur, qu’il avait déposé la défense peu de temps après l’avoir signifiée à l’avocat des demanderesses, il aurait dû réaliser au plus tard le 8 avril 2013 qu’il ne l’avait pas fait, lorsqu’il a reçu la directive de la Cour.

 

[12]           Quant à M. Wazir, il est difficile de croire qu’il n’a pas participé au litige ou qu’il n’a pas parlé à son avocat pendant tous ces mois. Si, comme il le soutient dans son affidavit, sa vie personnelle familiale a été affectée par le stress lié au litige, il a dû (ou aurait dû) poser des questions quant au déroulement de l’affaire. En effet, il est révélateur que M. Wazir ne mentionne aucunement dans son affidavit pourquoi les défenderesses n’ont pas déposé de défense ni pourquoi ce défaut s’est poursuivi pendant plus de neuf mois.

 

[13]           Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas convaincu que les défenderesses avaient une explication raisonnable pour leur défaut de déposer une défense.

 

[14]           De plus, les défenderesses n’ont pas agi rapidement afin de faire annuler le jugement. On ne m’a présenté aucune explication quant à la raison pour laquelle les défenderesses ont attendu cinq semaines avant de signifier ou de déposer des documents visant à faire annuler le jugement.

 

[15]           Comme les défenderesses n’ont pas satisfait au premier ni au troisième élément du critère, il n’est pas nécessaire d’évaluer le fond de la défense. La requête des défenderesses est par conséquent rejetée avec dépens, lesquels sont fixés à 5 000 $. Il s’ensuit que la Cour n’accordera pas aux défenderesses l’autorisation de présenter une défense.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée et que les dépens soient fixés au montant de 5 000 $.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1329-12

 

INTITULÉ :                                      KELLY SERVICES, INC. ET AL v MOHAMED WAZIR ET AL

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 23 juillet 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 26 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Simon Hitchens

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Ari Kulidjian

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling LaFleur Henderson, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Kulidjian & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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