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Date : 20130710

Dossier : T-1711-12

Référence : 2013 CF 770

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 juillet 2013

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

 

JAMES DOUGLAS MACLEOD

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 (la Loi sur les Cours fédérales), de la décision par laquelle le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (le commissaire) a confirmé la conclusion d’un comité d’arbitrage de la Gendarmerie royale du Canada (le comité) selon laquelle le demandeur avait agi ou s’était comporté de façon scandaleuse et qu’à défaut par lui de démissionner de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) dans les 14 jours suivants, il serait congédié.

 

GENÈSE DE L’INSTANCE

[2]               Le 1er février 2006, la GRC a signifié au demandeur un avis d’audience disciplinaire. Il était allégué dans l’avis en question que le demandeur avait agi ou s’était comporté de façon scandaleuse au sens du paragraphe 39(1) du Code de déontologie de la GRC (partie III du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988), DORS/88‑361) (le Code de déontologie) au motif que le demandeur s’était livré à des relations sexuelles avec la plaignante sans son consentement, commettant ainsi une agression sexuelle sur la personne de la plaignante.

 

[3]               Le comité a tenu une audience disciplinaire du 20 au 24 ainsi que les 27 et 28 octobre 2008. Le comité a conclu que le demandeur s’était livré à des actes sexuels non consensuels avec la plaignante et que l’allégation de conduite scandaleuse avait été prouvée.

 

[4]               Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant le commissaire. Malgré la recommandation du Comité externe d’examen de la GRC (le CEE), la décision a été infirmée et le commissaire a confirmé la décision du comité d’arbitrage.

 

LES FAITS

[5]               Le 6 février 2005, alors qu’il n’était pas en service, le demandeur s’est présenté à une soirée organisée dans une maison privée à l’occasion du Super Bowl à Maple Ridge (Colombie-Britannique) en compagnie d’un ami, Al Knuttila. La soirée a été organisée par un ami de M. Knuttila, nommé Phil Weber.

 

[6]               La plaignante est arrivée à la fête avant la fin du match de football. Elle était amie avec M. Weber et elle connaissait M. Knuttila. Elle a rencontré le demandeur pour la première fois ce soir‑là.

 

[7]               Le demandeur, M. Weber, M. Knuttila et la plaignante ont, comme la plupart des autres invités, consommé des boissons alcooliques au cours de la soirée. À un certain moment au cours de la soirée, M. Knuttila a apporté une boisson à la plaignante et lui a demandé : [traduction] « Alors, le Spanish fly, il goûte bon? » et [traduction] « Est‑ce que le Spanish fly a commencé à faire effet? ». La plaignante a répondu que, dès que la cantharide (Spanish fly) commencerait à faire effet, M. Knuttila serait la première personne à le savoir.

 

[8]               Lorsque le match de football s’est terminé, vers 19 h, environ neuf personnes sont demeurées sur place y compris le demandeur, M. Knuttila et la plaignante. Vers 21 h 30, M. Weber s’est mis subitement à vomir et à avoir la nausée et il a ensuite perdu connaissance.

 

[9]               Plus tard le même soir, la plaignante, le demandeur et M. Knuttila ont eu des rapports sexuels. La plaignante affirme qu’elle n’a pas consenti à ces activités sexuelles. Le demandeur et M. Knuttila affirment qu’elle a bel et bien consenti aux activités sexuelles.

 

[10]           À son retour chez elle le lendemain, la plaignante a fait des recherches sur les drogues du viol sur Internet et en est arrivée à croire qu’elle avait été droguée et agressée sexuellement. Elle a appelé au cabinet de son médecin et elle a dit à son médecin qu’elle avait été agressée et qu’elle croyait qu’une connaissance lui avait servi une drogue du viol. Elle a obtenu un rendez-vous le même jour en fin de journée.

 

[11]           Son médecin, qu’elle a rencontré plus tard le même jour, lui a dit qu’il était peut‑être encore temps pour qu’elle subisse dès le lendemain matin des tests de dépistage de drogue.

 

[12]           La plaignante a obtenu un rendez-vous pour une analyse d’urines le lendemain matin. La seule drogue qui a été détectée était de l’acétaminophène (Tylenol), que la plaignante avait pris le 7 février 2005.

 

[13]           Le demandeur a été accusé d’agression sexuelle en vertu du Code criminel, LRC 1985, c C‑46 (le Code criminel), le 10 décembre 2005. Les accusations criminelles ont été suspendues.

 

DÉCISION DU COMITÉ D’ARBITRAGE

[14]           À l’audience disciplinaire, le comité a entendu le témoignage de la plaignante, du demandeur, de M. Weber et de M. Knuttila. Il a également entendu le témoignage de trois autres personnes qui étaient présentes à la réception organisée à l’occasion du Super Bowl, ainsi que celui d’un ami de la plaignante et d’un membre civil de la GRC, expert dans le domaine de la toxicologie médico-légale.

 

[15]           La seule question à laquelle le comité était appelé à répondre était celle de savoir si la plaignante avait consenti à avoir des relations sexuelles avec le demandeur.

 

[16]           Le comité a jugé que la plaignante était un témoin crédible malgré certaines contradictions relevées dans son témoignage. Il a conclu que ces contradictions pouvaient être attribuables aux effets que la drogue qui lui avait été administrée pouvait avoir eus sur sa mémoire et que certaines autres contradictions pouvaient être imputables à l’écoulement du temps et à ses effets sur la mémoire. En revanche, le comité a estimé que certaines des contradictions que renfermait la version des faits de M. Knuttila compromettaient la crédibilité de ce dernier, privant ainsi le demandeur de la seule et unique personne qui pouvait l’appuyer sur la question du consentement.

 

[17]           Le comité a également préféré le témoignage de M. Weber suivant lequel il n’avait pas perdu connaissance en raison de l’alcool, puisqu’il n’avait pas consommé suffisamment d’alcool pour s’évanouir et qu’il ne s’était pas non plus endormi d’épuisement. Le comité a conclu que M. Weber avait probablement été suffisamment anesthésié pour ne plus pouvoir se réveiller et que, suivant la prépondérance des probabilités, M. Knuttila et le demandeur savaient que M. Weber avait été drogué, étant donné qu’ils savaient qu’il fallait qu’ils aient la certitude qu’il y avait peu de chances que M. Weber se réveille pour que lui et le demandeur puissent se livrer aux activités sexuelles en question.

 

[18]           Le comité a également jugé que la consommation d’alcool ne pouvait expliquer le fait que la plaignante avait perdu connaissance ou qu’elle se sentait impuissante ou paralysée alors qu’elle se réveillait pour perdre de nouveau connaissance alors qu’elle était dans le lit. Le comité a estimé que le demandeur et M. Knuttila savaient que la plaignante ne leur opposerait aucune résistance.

 

[19]           Le comité a également jugé que, selon la prépondérance des probabilités, M. Knuttila savait que la plaignante et M. Weber avaient été drogués en raison des propos que ce dernier avait adressés à la victime plus tôt dans la soirée au sujet du « Spanish fly ». Le demandeur savait que la plaignante avait été droguée parce que M. Knuttila le lui avait dit. Aucune autre explication satisfaisante n’a été fournie pour expliquer ce qui était arrivé à la plaignante et à M. Weber ce soir‑là.

 

[20]           Le comité a conclu que l’élément de preuve le plus solide et le plus convaincant au sujet de la question du consentement était le tampon que la plaignante avait inséré dans son vagin avant la réception pour contrer les écoulements qu’elle éprouvait depuis sa colposcopie. Le comité a accepté le fait que la présence du tampon aurait causé de l’inconfort ou de la douleur au cours des relations sexuelles et il a accepté l’explication de la plaignante suivant laquelle elle connaissait cet inconfort puisqu’elle avait déjà subi une colposcopie. Le comité a jugé improbable qu’une femme éprouvant l’inconfort normalement associé à une colposcopie choisisse de se livrer à des relations sexuelles et encore moins avec l’intensité évoquée par M. Knuttila et le demandeur dans leur témoignage.

 

[21]           Le comité a conclu que l’allégation avait été établie et qu’il était prouvé que l’agression sexuelle avait été facilitée par l’administration d’une drogue.

 

[22]           Le comité a ordonné au demandeur de remettre sa démission dans un délai de 14 jours, à défaut de quoi il serait congédié de la GRC.

 

RECOMMANDATION DU COMITÉ EXTERNE D’EXAMEN DE LA GRC

[23]           Le demandeur a interjeté appel de la décision du comité d’arbitrage devant le commissaire. Avant d’examiner l’appel, le commissaire devait renvoyer l’affaire au CEE, un organisme civil indépendant. Le CEE a examiné la décision du comité et formulé une recommandation non exécutoire au commissaire.

 

[24]           Le CEE a conclu que le comité avait commis une erreur en déclarant que, de façon générale, la plaignante était un témoin crédible, mais que le demandeur ne l’était pas. À son avis, le témoignage de ces deux témoins comportait des contradictions et celles de la plaignante étaient plus nombreuses et plus importantes que celles du demandeur. Le comité avait eu tort de tirer des conclusions aussi générales au sujet de la crédibilité. Il fallait plutôt évaluer tous les témoignages en fonction du contexte et des probabilités. Le CEE a fait observer que le comité n’avait pas tiré de conclusions précises au sujet de la crédibilité de M. Weber.

 

[25]           Le CEE s’est également dit d’avis qu’il n’y avait aucun élément de preuve clair et convaincant pour appuyer la conclusion du comité suivant laquelle, compte tenu de la façon dont la plaignante avait expliqué comment elle se sentait au cours des rapports sexuels, la seule explication satisfaisante était qu’elle avait ingéré une drogue de type hallucinogène à son insu. Rien dans la preuve n’établissait qu’une drogue avait été administrée, le témoignage d’expert n’étayait pas la conclusion du comité, le témoignage de la plaignante au sujet de ses symptômes n’était pas clair et la preuve n’étayait pas non plus la conclusion connexe selon laquelle M. Weber avait également été drogué.

 

[26]           Comme la conclusion du comité suivant laquelle il était plus probable que le contraire que la plaignante et M. Weber aient ingéré une drogue de type hallucinogène à leur insu a entaché l’ensemble des constatations et conclusions qu’il a tirées, le CEE a recommandé au commissaire de faire droit à l’appel en raison de cette seule erreur.

 

[27]           En plus de faire droit à l’appel, le CEE a recommandé, conformément au paragraphe 45.16(2) de la Loi sur la gendarmerie royale canadienne, LRC 1985, c R‑10 (la Loi), que compte tenu de l’écoulement du temps et du fait que le dossier factuel était suffisamment complet, le commissaire formule la conclusion que le comité aurait dû tirer plutôt que d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience. Le CEE a recommandé que le commissaire conclue que l’allégation d’agression sexuelle n’avait pas été prouvée.

 

[28]           Le CEE a recommandé que, s’il concluait qu’il était plus probable que le contraire que la plaignante n’avait pas consenti aux actes reprochés, le commissaire conclue quand même que l’allégation d’agression sexuelle n’avait pas établie, étant donné que le CEE estimait que le demandeur avait pris des mesures raisonnables pour s’assurer que la plaignante lui donne son consentement avant de prendre part aux rapports sexuels qui étaient déjà en cours et que le demandeur était convaincu qu’il n’avait pas fait preuve d’insouciance en croyant que les rapports en question étaient consensuels.

 

DÉCISION DU COMMISSAIRE DE LA GRC

[29]           Le commissaire n’a pas souscrit aux recommandations du CEE. Il a conclu que le comité d’arbitrage n’avait pas commis d’erreur manifeste et dominante lorsqu’il a conclu que la plaignante n’avait pas consenti aux relations sexuelles, puisqu’il était peu probable qu’elle se serait livrée à des rapports sexuels de son plein gré compte tenu de l’inconfort que de tels rapports lui auraient causé à la suite de l’intervention médicale qu’elle venait de subir. Qui plus est, si les relations sexuelles étaient consensuelles, la plaignante aurait retiré le tampon qu’elle devait porter en raison des écoulements causés par l’intervention chirurgicale.

 

[30]           Le commissaire n’a décelé aucune erreur manifeste et dominante dans les conclusions du comité suivant lesquelles la plaignante et M. Weber avaient été drogués. Le commissaire a conclu qu’il était raisonnable de la part du comité de conclure que M. Knuttila savait qu’ils avaient été drogués en raison des propos qu’il avait tenus plus tôt au cours de la soirée au sujet du « Spanish fly ». Quant au fait qu’aucune drogue n’avait été décelée dans les urines de la plaignante, le témoin expert a expliqué qu’on ne pouvait nécessairement en conclure qu’aucune drogue n’avait été ingérée, étant donné qu’à faibles doses, une drogue peut être éliminée du corps dans les 36 heures précédant le prélèvement. De plus, le témoin expert a expliqué que certains des problèmes de mémoire relatés par la plaignante ne s’accordaient pas avec les effets habituels correspondant à la quantité d’alcool qu’elle affirmait avoir consommée. Le commissaire a par conséquent estimé qu’il était loisible au comité de conclure que seule l’ingestion d’une drogue pouvait expliquer de façon satisfaisante les faits qui s’étaient produits.

 

[31]           Le commissaire ne voyait aucune contradiction entre la conclusion du comité et le témoignage du témoin expert, étant donné que ce dernier n’écartait pas la possibilité que la plaignante et M. Weber aient été drogués.

 

[32]           Quant à la conclusion du comité suivant laquelle le demandeur savait que la plaignante et M. Weber avaient été drogués, le commissaire a trouvé un appui pour cette conclusion dans le témoignage du demandeur suivant lequel la présence de M. Weber dans le lit ne le dérangeait pas et qu’il ne craignait pas que ce dernier se réveille. L’explication avancée par M. Knuttila et le demandeur pour expliquer pourquoi ils étaient allés dans la chambre de M. Weber n’était également pas crédible. De plus, la plaignante et M. Weber avaient consommé diverses boissons provenant de la même source et avaient éprouvé de violents symptômes.

 

[33]           Le commissaire s’est dit d’accord avec le comité pour affirmer que la plaignante était un témoin crédible malgré les contradictions de son témoignage. Certaines contradictions pouvaient être attribuables aux effets d’une drogue ou de l’alcool sur la mémoire et d’autres pouvaient être imputables aux nombreuses années écoulées depuis l’incident et depuis son témoignage à l’audience disciplinaire.

 

[34]           Le commissaire a également conclu que, même si le demandeur n’était pas au courant du fait que la plaignante avait été droguée, il ne pouvait croire de façon sincère, mais à tort qu’elle avait donné son consentement, étant donné que ses agissements démontraient qu’il n’avait pas pris les mesures nécessaires pour obtenir ou vérifier son consentement. Le commissaire a fait observer que la plaignante avait consommé de l’alcool, qu’elle avait déjà commencé à avoir des rapports sexuels avec M. Knuttila et qu’ils se trouvaient dans la chambre de M. Weber sans y avoir été invités, ce dernier étant apparemment inconscient dans le lit à côté d’eux alors qu’une réception se déroulait dans la maison de M. Weber. Le commissaire a conclu que, dans ces circonstances, la réponse de la plaignante, qui, selon le demandeur, l’a regardé, lui a fait un léger signe de tête et lui a souri était trop ambiguë pour l’amener à croire de façon honnête, mais à tort qu’elle était consentante.

 

[35]           Le commissaire a par conséquent rejeté l’appel.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[36]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève trois questions :

  1. Le commissaire a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a accepté la conclusion du comité suivant laquelle la plaignante et M. Weber avaient été drogués?
  2. Le commissaire a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a accepté la conclusion du comité suivant laquelle la plaignante était crédible?
  3. La commissaire a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a conclu que le demandeur ne croyait pas de façon sincère, mais à tort que la plaignante avait donné son consentement?

 

RÉGIME LÉGISLATIF

[37]           Aux termes de l’article 43 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑10 (la Loi), lorsqu’il estime qu’un membre de la GRC a contrevenu au code de déontologie et qu’il est d’avis que des mesures disciplinaires simples ne seraient pas suffisantes si la contravention était établie, un officier compétent convoque une audience disciplinaire en bonne et due forme.

 

[38]           L’officier compétent signifie ensuite aux membres de la GRC accusés d’avoir contrevenu au code de déontologie un avis écrit dans lequel sont énoncées les allégations ainsi que les éléments de preuve qui sont censés être produits à l’audience. L’audience est présidée par un comité d’arbitrage composé de trois membres. Aux termes du paragraphe 45.12(1) de la Loi, le comité d’arbitrage décide si les éléments de preuve produits à l’audience établissent selon la prépondérance des probabilités chacune des contraventions alléguées au code de déontologie énoncées dans l’avis d’audience. S’il décide qu’un membre a contrevenu au code de déontologie, le comité d’arbitrage lui impose une ou plusieurs des peines prévues au paragraphe 45.12(3) de la Loi.

 

[39]           En vertu du paragraphe 45.14(1) de la Loi, toute partie à une audience tenue devant un comité d’arbitrage peut en appeler de la décision de ce dernier devant le commissaire en ce qui concerne une conclusion de contravention au code de déontologie ou en ce qui concerne toute peine ou mesure imposée par le comité. Avant d’étudier l’appel visé à l’article 45.14, le commissaire le renvoie devant le CEE, qui examine la décision du comité et fait une recommandation au commissaire.

 

[40]           Aux termes de l’article 45.16, le commissaire étudie l’affaire portée en appel devant lui en se fondant sur le dossier de l’audience tenue devant le comité d’arbitrage, le mémoire d’appel, les argumentations écrites qui lui ont été soumises et les conclusions ou les recommandations du CEE. Le paragraphe 45.16(6) prévoit que le commissaire n’est pas lié par les conclusions ou les recommandations contenues dans un rapport portant sur une affaire qui a été renvoyée devant le CEE, mais que, s’il choisit de s’en écarter, il toutefois motiver son choix dans sa décision.

 

[41]           Dans le jugement récent Elhatton c Canada (Procureur général), 2013 CF 71, au paragraphe 47 [Elhatton], mon collègue le juge Donald Rennie a conclu que le commissaire ne doit ni infirmer ni modifier des conclusions sur la crédibilité, à moins que le décideur de première instance n’ait commis une erreur manifeste et dominante ou tiré des conclusions de fait manifestement erronées ou non étayées par la preuve.

 

[42]           Suivant le paragraphe 45.16(7) de la Loi, la décision du commissaire est définitive et exécutoire, sous réserve seulement du contrôle judiciaire prévu par la Loi sur les Cours fédérales.

 

NORME DE CONTRÔLE

[43]           Dans le cas qui nous occupe, la norme applicable au contrôle judiciaire de la décision du commissaire est celle de la décision raisonnable (Pizarro v Canada (Procureur général), 2010 CF 20, au paragraphe 48 [Pizarro]; Elhatton, précité, au paragraphe 29).

 

[44]           Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]). Pour décider si la décision est raisonnable, la cour de révision peut tenir compte d’éléments de preuve dont disposait le décideur (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 15). 

 

[45]           Bien que le commissaire ait droit à un degré de déférence élevé lorsqu’on applique la norme de la décision raisonnable (Elhatton, au paragraphe 29), la déférence n’exige pas de la Cour la soumission, mais une attention respectueuse (Dunsmuir, au paragraphe 48).

 

[46]           L’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales énonce les motifs qui autorisent la Cour à intervenir et à prendre une mesure (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 36 [Khosa]). L’alinéa 18.1(4)d) prévoit que la Cour fédérale peut accorder une réparation si elle est convaincue que le décideur « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispos[ait] ».

 

[47]           Dans l’arrêt Khosa, au paragraphe 46, la Cour suprême a fait observer que l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales précise la norme de contrôle de la raisonnabilité applicable aux questions de fait :

[46] De façon plus générale, il ressort clairement de l’al. 18.1(4)d) que le législateur voulait qu’une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence. Ce qui est tout à fait compatible avec l’arrêt Dunsmuir. Cette disposition législative précise la norme de contrôle de la raisonnabilité applicable aux questions de fait dans les affaires régies par la Loi sur les Cours fédérales.

 

 

ARGUMENTS ET ANALYSE

1.         Le commissaire a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a accepté la conclusion du comité suivant laquelle la plaignante et M. Weber avaient été drogués?

 

Arguments du demandeur

 

[48]           Le demandeur affirme que le comité ne disposait d’aucun élément de preuve lui permettant de conclure que la plaignante avait été droguée. Il ajoute que le commissaire a commis une erreur lorsqu’il a confirmé cette conclusion.

 

[49]           Le comité a conclu que des drogues avaient été administrées parce qu’[traduction] « il n’existe aucune autre explication satisfaisante pour expliquer ce qui est arrivé à M. Weber et [la plaignante] ce soir‑là ». Cette conclusion reposait sur des conjectures et n’était fondée sur rien d’autre que sur les explications données par la plaignante sur la façon dont elle se sentait et sur sa conviction qu’elle avait été droguée. Aucun élément de preuve ne permettait de conclure que des drogues avaient été administrées ou qu’il y avait des drogues à cette réception. L’analyse des urines de la plaignante n’indiquait la présence d’aucune drogue. Suivant le témoignage de l’expert, les prélèvements d’urines ne permettaient pas de déterminer avec certitude si une drogue avait été ingérée.

 

[50]           Qui plus est, le demandeur affirme que l’on ne peut raisonnablement conclure que M. Knuttila était au courant qu’une drogue avait été administrée à la plaignante ou qu’il a participé à cet acte en se fondant sur le fait qu’il a plaisanté au sujet du « Spanish fly » avec la plaignante. La preuve n’appuie pas une telle inférence. L’expert a déclaré que l’expression « Spanish fly » ne désigne pas une drogue précise, mais qu’elle évoque une substance qui a été érigée au rang de mythe en tant qu’aphrodisiaque.

 

[51]           Suivant le demandeur, le commissaire ne pouvait se fonder sur le fait que la plaignante et M. Weber avaient reçu des boissons provenant de la même source pour en conclure raisonnablement qu’ils avaient tous les deux été drogués. Rien ne permet de penser que M. Knuttila avait offert de verre à M. Weber ou que d’autres invités ayant bu des cocktails ont présenté les mêmes symptômes que ceux signalés par M. Weber ou la plaignante.

 

[52]           Enfin, et de façon plus importante pour le demandeur, la conclusion du comité suivant laquelle des drogues avaient été administrées à la plaignante contredisait le témoignage de l’expert; pourtant, le seul motif invoqué par le comité pour écarter le témoignage de l’expert était qu’[traduction] « il n’y a aucune autre raison qui peut expliquer de façon satisfaisante ce qui s’est produit ». Le CEE a estimé que le comité avait ainsi commis une erreur et il a attiré l’attention du commissaire sur cette erreur en se référant au jugement Pizarro, précité, au paragraphe 56.

 

[53]           Pour sa part, le commissaire a conclu que, comme les prélèvements d’urines de la plaignante ne permettaient pas en soi d’écarter la possibilité que la plaignante ait ingéré une drogue, il n’y avait pas de contradiction entre la conclusion du comité et l’opinion de l’expert. Le demandeur affirme que cette conclusion a été tirée sans égard aux éléments dont le commissaire était saisi, étant donné qu’il ressortait à l’évidence du dossier que le comité avait écarté le témoignage non contredit de l’expert suivant lequel les symptômes de la plaignante ne pouvaient être expliqués par l’ingestion d’une drogue par voie orale.

 

[54]           Le demandeur affirme également que le fait qu’aucune explication satisfaisante n’a été soumise au commissaire ou au comité pour expliquer les symptômes de la plaignante et de M. Weber ne fait pas en sorte que la thèse suivant laquelle ils ont été drogués sort pour autant du domaine de la conjecture et de l’hypothèse. Compte tenu de l’importance de la conclusion que la plaignante avait été droguée en ce qui concerne la question du consentement, le demandeur soutient que la décision du commissaire devrait être annulée.

 

Arguments du défendeur

 

[55]           Le défendeur affirme que, même si la conclusion du comité suivant laquelle la plaignante et M. Weber avaient tous les deux été drogués n’était appuyée qu’en partie par le témoignage de l’expert, le commissaire a estimé de façon raisonnable que les conclusions tirées par le comité au sujet de la consommation de drogues ne contredisaient pas l’opinion de l’expert et n’équivalaient pas à une erreur manifeste et dominante. En réponse à l’argument du demandeur suivant lequel une faible dose de kétamine contredirait la conclusion du comité suivant laquelle [traduction] « une dose suffisamment importante » de kétamine avait été administrée, le défendeur soutient que son argument n’est pas en soi incompatible avec l’administration d’une dose suffisamment importante pour affecter la plaignante, même si cette dose permettait que l’on considère probablement que la drogue avait été ingérée à des fins récréatives sans pour autant être suffisamment élevée pour avoir été utilisée comme anesthésique.

 

[56]           Le défendeur ajoute que le témoignage donné par M. Weber au sujet de la quantité d’alcool qu’il avait consommé contredit sa perte de conscience totale apparente. De plus, l’expert a expliqué que, bien que les vomissements soient [traduction] « rarement signalés », 3 p. 100 des consommateurs déclaraient avoir eu des problèmes de vomissements avec le kétamine. Par conséquent, l’association entre les vomissements et la consommation de kétamine était improbable, mais non impossible.

 

 

Analyse

 

[57]           Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le commissaire a commis une erreur lorsqu’il a confirmé la conclusion du comité suivant laquelle la plaignante et M. Weber avaient été drogués, étant donné qu’il n’y avait aucune preuve claire et convaincante qui appuyait cette conclusion.

 

[58]           L’expert qui a témoigné devant le comité a expliqué qu’une perte de mémoire soudaine ne pouvait être expliquée par l’ingestion d’une drogue par voie orale. La plaignante a expliqué à l’audience qu’avant d’entrer dans la chambre pour vérifier si M. Weber s’y trouvait, elle se sentait bien et ne sentait ni ivre, ni étourdie ni désemparée, et qu’elle ne ressentait aucun autre signal d’alarme avant de perdre soudainement la mémoire. Voici ce que l’expert a déclaré à ce sujet :

[traduction]

« À mon avis, si quelqu’un ingère une drogue par voie orale – et on trouve assurément des informations à ce sujet dans la littérature scientifique –, à cause de lente absorption de la substance à partir de l’estomac en passant par le foie puis par le reste du corps, pour atteindre finalement le cerveau, la personne reçoit habituellement des signes avant-coureurs qui lui indiquent qu’il est en train de lui arriver quelque chose. Ces personnes ont donc certains souvenirs de ce qui s’est passé avant que la drogue ne fasse pleinement effet.

 

La drogue qui nous intéresse à cette étape‑ci de l’enquête préliminaire est la kétamine. Or, suivant les rapports scientifiques, les individus peuvent se rendre compte que la drogue commence à faire effet. Ils commencent à sentir des picotements dans leurs membres et un certain engourdissement et à éprouver certains changements sensoriels.

 

On ne trouve aucun de ces éléments dans le témoignage [de la plaignante] et je suis par conséquent d’avis qu’il était plutôt difficile d’expliquer comment elle avait pu ingérer un médicament par voie orale sans ressentir les symptômes ou les signaux lui permettant de savoir que quelque chose n’allait pas avant de subir des effets manifestement plus intenses c’est‑à‑dire une perte de conscience ou une perte totale de mémoire.

 

Je suis par conséquent d’avis qu’il y a lieu d’exprimer certaines réserves sur les explications fournies au sujet de ces deux symptômes. J’estime qu’on ne peut pas les expliquer logiquement. Je me serais attendu à ce que l’on trouve certains signes indiquant qu’une drogue avait été ingérée à son insu et que des changements étaient en train de s’opérer, d’autant plus qu’il s’agissait d’une drogue de type hallucinogène, la kétamine.

 

 

 

[59]           Il était déraisonnable à mon avis de la part du commissaire de conclure qu’il n’y avait aucune contradiction entre la conclusion du comité et l’avis de l’expert. Voici ce que le commissaire écrit à ce propos :

[traduction

[106] Je ne souscris pas à la conclusion tirée par le CEE (aux paragraphes 100 à 103 du rapport du CEE) suivant laquelle le comité a commis une erreur lorsqu’il a tiré une conclusion contraire au témoignage du témoin expert sans raison suffisante, commettant ainsi l’erreur évoquée dans le jugement Pizarro. Je ne vois aucune contradiction entre la conclusion du comité et le témoignage de l’expert. Ce dernier n’a pas écarté la possibilité que [M. Weber] et la plaignante aient été drogués. En fait, l’expert s’est fondé sur les symptômes signalés par [M. Weber] et la plaignante pour concentrer son attention sur un médicament appelé kétamine. L’expert a également fait observer que ce n’était pas parce qu’on n’avait pas trouvé de drogue dans les échantillons d’urines de la plaignante qu’on pouvait pour autant écarter la possibilité qu’elle avait ingéré une drogue.

 

 

 

[60]           Cette conclusion a été tirée sans égard aux éléments dont le commissaire disposait, étant donné qu’il était évident au vu du dossier que le comité avait écarté le témoignage non contredit de l’expert suivant lequel les symptômes de la plaignante ne pouvaient être expliqués par l’ingestion d’une drogue par voie orale. Il fallait de bonnes raisons pour que le comité puisse tirer une conclusion qui contredisait le témoignage de l’expert (Pizarro, précité, au paragraphe 56). Le raisonnement du comité suivant lequel aucune autre raison ne pouvait expliquer de façon satisfaisante ce qui s’était produit ne satisfait pas au critère minimal qui doit être respecté en ce qui concerne l’existence d’éléments de preuve clairs et convaincants démontrant que la plaignante avait été droguée à son insu.

 

[61]           Qui plus est, le commissaire a formulé, au sujet de la dose administrée à la plaignante, une conclusion qui contredisait celle tirée par le comité à ce sujet. Le commissaire a estimé que le fait qu’aucune drogue n’avait été décelée dans les urines de la plaignante ne signifiait pas nécessairement qu’aucune drogue n’avait été ingérée, parce qu’il était possible qu’une faible dose de la drogue ait été administrée et qu’on n’en trouve aucune trace 36 heures après l’incident, au moment où l’échantillon avait été prélevé. Toutefois, le comité a conclu, d’après la description que la plaignante avait faite de ses symptômes, que la plaignante avait eu [traduction] « une réaction violente » à la drogue qui lui avait été administrée et que [traduction] « cette réaction peut avoir été produite par une dose suffisamment importante d’une drogue ayant des propriétés hallucinogènes et anesthésiques ». Comme le demandeur l’a fait observer, le commissaire n’a pas expliqué la contradiction relevée entre la conclusion du comité suivant laquelle la plaignante avait ingéré une dose de drogue suffisamment importante pour expliquer ses symptômes et la conclusion du commissaire suivant laquelle la drogue n’avait pas été détectée dans les urines de la plaignante 36 heures après son administration en raison de la faiblesse de la dose.

 

[62]           Qui plus est, aucun élément de preuve n’a été soumis au sujet de l’administration alléguée d’une drogue ou de la présence de drogues lors de cette fête. Il était déraisonnable de la part du commissaire de confirmer la conclusion du comité, qui a estimé que, parce que M. Knuttila avait blagué au sujet du « Spanish fly » avec la plaignante, il savait que M. Weber et la plaignante avaient été drogués. Il n’était pas loisible au comité de laisser entendre qu’un homme planifiant de commettre une agression sexuelle à l’aide d’une drogue divulguerait ce fait en blaguant au sujet du « Spanish fly » devant les autres invités. De plus, les actes sexuels dont la plaignante se souvenait impliquaient des actes qu’une personne ne pourrait accomplir si elle était paralysée. Par exemple, elle a déclaré qu’elle chevauchait le demandeur alors qu’elle avait une pénétration vaginale avec lui.

 

[63]           Le comité a essentiellement conclu que la plaignante avait été droguée parce qu’aucune autre explication ne pouvait vraisemblablement expliquer les actes sexuels en question. Toutefois, le facteur de vraisemblance est très subjectif et exige du décideur qu’il renvoie aux éléments de preuve susceptibles de réfuter ses conclusions quant à l’invraisemblance et d’expliquer pourquoi ceux-ci n’y parviennent pas (Hassan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1136, au paragraphe 13, citant le jugement Leung c Canada (Ministre de l’Emploi et de la Citoyenneté), [1994] ACF 774, aux paragraphes 14 à 16).

 

[64]           Par conséquent, je suis d’accord avec le demandeur pour dire que le comité a commis une erreur lorsqu’il a d’abord conclu que la plaignante disait la vérité et, se fondant sur cette conclusion, lorsqu’il a estimé qu’elle devait avoir été droguée. Le comité aurait tout d’abord dû déterminer si, suivant la preuve, il était possible d’établir qu’elle avait été droguée et, à la lumière des éléments de preuve ainsi établis, déterminer si sa version des faits était vraisemblable.

 

[65]           Par ailleurs, ainsi que le CEE l’a fait observer, la plaignante a admis qu’elle s’était livrée à des relations sexuelles qui auraient semblé consensuelles aux yeux d’un observateur, ajoutant que le lendemain de l’incident, elle avait eu des doutes et s’était demandé si elle avait consenti aux actes en question et que, hormis les effets hallucinogènes, ses symptômes, y compris ses trous de mémoire et sa perte d’inhibition, s’accordaient avec une consommation d’alcool. Ainsi, même si le témoignage de la plaignante était crédible, le comité ne disposait d’aucun élément de preuve clair et convaincant pour appuyer la thèse de la demanderesse suivant laquelle on lui avait fait consommer une drogue à son insu.

 

[66]           Enfin, le commissaire s’est livré à de pures conjectures lorsqu’il a confirmé la conclusion du comité suivant laquelle le demandeur savait que la plaignante et M. Weber avaient été drogués. Le commissaire a confirmé cette conclusion pour les motifs suivants :

[traduction]

[107] Quant à la conclusion du comité suivant laquelle [le demandeur] savait que [M. Weber] et la plaignante avaient été drogués, je trouve un appui pour cette conclusion dans le témoignage [du demandeur] suivant lequel la présence de [M. Weber] dans le lit ne le dérangeait pas et qu’il ne craignait pas que ce dernier se réveille. J’estime également que l’explication avancée par [M. Knuttila] et par [le demandeur] pour expliquer pourquoi ils étaient allés dans la chambre de M. Weber n’est pas crédible. Je constate également que la plaignante et [M. Weber] ont bu des cocktails provenant de la même source et qu’ils ont tous les deux éprouvé de violents symptômes, ce qui corrobore le témoignage de la plaignante et appuie la conclusion du comité.

 

[67]           Ces explications sont insuffisantes. Le commissaire a ignoré le fait qu’il n’existait aucun élément de preuve qui appuyait la conclusion du comité suivant laquelle M. Knuttila avait dit au demandeur que la plaignante avait été droguée. De plus, le commissaire ne reconnaît pas le fait que M. Weber avait signalé des symptômes différents de ceux de la plaignante. Monsieur Weber a déclaré qu’il n’avait eu aucun symptôme hallucinogène, mais s’était plaint de nausées et de vomissements soudains et qu’il avait ensuite perdu connaissance. L’expert a témoigné qu’il était difficile de déterminer avec certitude la raison pour laquelle M. Weber avait eu des maux d’estomac, avait vomi et avait eu la gueule de bois. De fait, l’expert a expliqué devant le comité qu’il est rare que la nausée soit un des symptômes en cas d’ingestion d’une faible dose de kétamine :

[traduction

CONTRE-INTERROGATOIRE DU TÉMOIN EXPERT PAR CHERI EKLUND, REPRÉSENTANTE DU CAPORAL MACLEOD : […] Vous êtes d’accord avec moi que la nausée n’est pas non plus un signe que de la kétamine a été ingérée?

 

TÉMOIN EXPERT : À doses élevées – ou à ce qu’on pourrait considérer être des doses élevées –, des individus ont signalé des nausées et des vomissements; suivant certains rapports, des gens éprouvent ces symptômes avec la kétamine. Mais un des rapports que j’ai lus indiquait qu’environ 3 p. 100 des consommateurs avaient signalé avoir eu des problèmes de vomissements, de sorte qu’il s’agit là d’une incidence faible. Non pas que cela n’arrive jamais, mais il ne s’agit certainement pas là d’un symptôme qui se produit invariablement avec cette drogue lorsqu’elle est ingérée à faibles doses.

 

 

 

[68]           Le fait que le commissaire se soit fondé sur le fait que la plaignante et M. Weber avaient reçu des verres provenant de la même source ne pouvait raisonnablement lui permettre de conclure qu’ils avaient tous les deux été drogués. La plaignante a expliqué qu’elle avait reçu des verres de M. Weber et de M. Knuttila au cours de la soirée du Super Bowl, puis de M. Weber après le match et que M. Weber avait préparé des cocktails pour plusieurs invités du même coup. Rien ne permet de penser que M. Knuttila a jamais servi un verre à M. Weber.

 

[69]           Au paragraphe 107 de sa décision, le commissaire rappelle le reste du témoignage du demandeur suivant lequel il était entré dans la chambre de M. Weber à la recherche de M. Knuttila et qu’il avait participé à des actes sexuels avec la plaignante et M. Knuttila malgré le fait que M. Weber semblait inconscient dans le lit à côté d’eux. Le reste du témoignage du demandeur ne constitue pas en soi une preuve claire et convaincante que le demandeur savait que la plaignante et M. Weber avaient été drogués.

 

[70]           Il était donc déraisonnable de la part du commissaire de confirmer la conclusion du comité suivant laquelle la plaignante et M. Weber avaient été drogués. Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que, compte tenu de l’importance de cette conclusion à l’égard de l’ensemble de la décision du commissaire, cette erreur est cruciale et qu’elle est par conséquent suffisante pour justifier l’annulation de la décision du commissaire. Il n’est donc pas nécessaire d’aborder la question de savoir si le commissaire a commis une erreur lorsqu’il a confirmé la conclusion du comité suivant laquelle la plaignante était crédible.

 

 

2.         La commissaire a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a conclu que le demandeur ne croyait pas de façon sincère, mais à tort que la plaignante avait donné son consentement?

 

[71]           Comme cette question est renvoyée à l’examen du commissaire, je donnerai à ce dernier quelques balises au sujet de sa conclusion suivant laquelle le demandeur ne croyait pas de façon sincère, mais à tort que la plaignante avait donné son consentement.

 

[72]           Le critère du consentement à des rapports sexuels au sens du Code criminel a été énoncé dans l’arrêt R. c Ewanchuk, [1999] 1 RCS 330 [Ewanchuk].

 

[73]           La première question à laquelle il faut répondre, s’agissant du critère du consentement, est celle de savoir si, subjectivement, la plaignante avait consenti aux actes sexuels en question (Ewanchuk, au paragraphe 26). Il s’agit d’une pure question de crédibilité (Ewanchuk, aux paragraphes 29 et 30). La seconde question est celle de savoir si l’individu accusé d’agression sexuelle a fait preuve d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à l’égard de l’absence de consentement de la personne sur laquelle il s’est livré à des attouchements (Ewanchuk, au paragraphe 42).

 

[74]           La Cour suprême a précisé que la question à se poser était celle de savoir si la plaignante avait communiqué son consentement à l’activité sexuelle en question :

46       Pour que les actes de l’accusé soient empreints d’innocence morale, la preuve doit démontrer que ce dernier croyait que la plaignante avait communiqué son consentement à l’activité sexuelle en question. Le fait que l’accusé ait cru dans son esprit que le plaignant souhaitait qu’il la touche, sans toutefois avoir manifesté ce désir, ne constitue pas une défense. Les suppositions de l’accusé relativement à ce qui se passait dans l’esprit de la plaignante ne constituent pas un moyen de défense.

 

47     Dans le cadre de l’analyse de la mens rea, la question est de savoir si l’accusé croyait avoir obtenu le consentement de la plaignante. Ce qui importe, c’est de savoir si l’accusé croyait que le plaignant avait vraiment dit « oui » par ses paroles, par ses actes, ou les deux […].                      

[Non souligné dans l’original]

 

 

[75]           Par conséquent, dans le cas qui nous occupe, si le demandeur croyait que la plaignante avait communiqué son consentement à l’activité sexuelle en question, il n’a pas fait preuve d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à l’égard de l’absence de son consentement, et l’allégation que la plaignante n’avait pas consenti aux actes sexuels n’est pas établie.

 

[76]           Le CEE a appelé l’attention du commissaire sur cette question et a conclu que le demandeur avait pris des mesures raisonnables pour s’assurer que la plaignante accepte qu’il prenne part aux rapports sexuels qui étaient déjà en cours, et il n’a pas fait preuve d’insouciance en formant l’avis que les actes sexuels en question étaient consensuels. Le commissaire a toutefois conclu que, dans ces circonstances, la réponse de la plaignante ‑ qui, selon le demandeur, l’a regardé, lui a fait un léger signe de tête et lui a souri ‑ était trop ambiguë pour l’amener à croire de façon honnête, mais à tort qu’elle était consentante. Le commissaire a justifié comme suit sa conclusion :

[traduction]

[109] […] Même si je devais accepter que [le demandeur] ignorait que [la plaignante] avait été droguée, je conclurais que ses agissements, lorsqu’il s’est approché de la plaignante dans la chambre, démontrent qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour obtenir ou vérifier son consentement. Eu égard aux circonstances de l’espèce, où la plaignante avait consommé de l’alcool, avait déjà commencé à avoir des rapports sexuels avec [M. Knuttila] dans la chambre de [M. Weber] où ils se trouvaient sans y avoir été invités, alors que [M. Weber] était apparemment inconscient dans le lit à côté d’eux alors qu’une fête se déroulait dans sa maison, il incombait [au demandeur] d’aller plus loin qu’il ne l’a fait pour obtenir de façon non équivoque le consentement de la plaignante. La réponse de cette dernière qui, selon le demandeur l’a regardé, lui a fait un léger signe de tête et lui a souri, était trop ambiguë pour l’amener à croire de façon honnête, mais à tort qu’elle était consentante.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

 

[77]           À mon avis, cette conclusion est déraisonnable. Dans les circonstances, le fait de faire un léger signe de tête accompagné d’un sourire n’était pas une réponse ambiguë pour exprimer l’acquiescement aux avances du demandeur. Quant aux circonstances elles-mêmes, de toute évidence, le comportement enjôleur de la plaignante ne constitue pas en soi une indication qu’elle avait consenti aux rapports sexuels. Il y a toutefois lieu de tenir compte de ce comportement pour déterminer si le demandeur croyait sincèrement que la plaignante avait consenti, de par ses agissements, aux rapports sexuels en question. Pourtant, le commissaire n’a pas tenu compte, dans sa décision, du témoignage donné par les autres invités présents à la réception.

 

[78]           De plus, le commissaire n’a pas tenu compte des éléments de preuve tendant à démontrer que la plaignante avait également manifesté son consentement aux rapports sexuels par ses agissements. La plaignante a expliqué qu’elle se souvenait s’être retrouvée sur le demandeur en train d’avoir des rapports sexuels vaginaux avec lui et a reconnu que cette activité pouvait sembler consensuelle. Bien que la plaignante ait expliqué qu’elle ne pouvait exiger du demandeur qu’il arrête parce qu’elle ne pouvait parler et qu’elle ne pouvait bouger comme elle le voulait, et qu’elle ne pouvait se dégager, le comportement de la plaignante à cet égard semble appuyer la thèse du demandeur qui affirme qu’il croyait sincèrement, mais à tort qu’elle avait consenti aux actes sexuels. À mon avis, le commissaire a commis une erreur lorsqu’il n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve dans son analyse de la question.

 

CONCLUSION

[79]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens. L’affaire sera renvoyée au commissaire pour qu’il rende une nouvelle décision en conformité avec les présents motifs.


JUGEMENT

 

LA COUR :

1.         ACCUEILLE avec dépens la demande de contrôle judiciaire;

2.        RENVOIE l’affaire au commissaire pour qu’il rende une nouvelle décision en conformité avec les présents motifs.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1711-12

 

INTITULÉ :                                      James Douglas MacLeod c Procureur général du Canada

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 25 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jillian E. Frank

Gordon Brandt

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Bruce Hughson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Heenan Blaikie s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney,

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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