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Date : 20130625

Dossier : T-1040-13

Référence : 2013 CF 706

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 25 juin 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

JOSEPH R. JAKABFY

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le ministre du Revenu national demande à la Cour de délivrer, en vertu de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl), une ordonnance enjoignant à Joseph R. Jakabfy, un avocat, de fournir certains documents et renseignements au ministre.

 

[2]               Les documents et les renseignements qui sont demandés au défendeur se rapportent à la vente d’un bien effectuée par Donald Lavallée et son épouse Nicole Lavallée. Donald Lavallée a des montants impayés au titre de l’impôt sur le revenu des particuliers et de la TPS. Le ministre voulait déterminer comment Donald Lavallée avait distribué le produit de la vente du bien, afin d’établir si ce dernier avait transféré une partie ou la totalité du produit de la vente à une personne avec qui il a un lien de dépendance, de manière à ce qu’une cotisation puisse être établie à l’encontre du bénéficiaire, au titre de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, ou de l’article 325 de la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E‑15.

 

[3]               À cette fin, une demande exigeant au défendeur de fournir des renseignements et des documents lui a été envoyée en novembre 2010, en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi sur l’impôt sur revenu. Le défendeur était mandataire de Donald Lavallée relativement à la vente du bien. Le document exigeait à M. Jababfy de fournir au ministre les éléments suivants :

 

[traduction]

a)                  Une copie de l’état de compte en fiducie faisant état des noms et des montants à l’égard de toutes les transactions où des déboursements ont été faits à l’intention de Nicole Lavallée, 920199 Ontario Ltd. [une société détenue et contrôlée par Donald Lavallée et sa famille] ou à Donald Lavallée, ou pour leur compte.

 

b)                  Une copie de l’état de compte en fiducie ou du journal des chèques faisant état des noms et des montants à l’égard de toutes les transactions où des sommes ont été reçues et payées au nom de Nicole Lavallée, de 920199 Ontario Ltd. ou de Donald Lavallée.

 

c)                  Des copies de tous les chèques annulés (recto et verso) à l’égard de toutes les transactions où des montants ont été versés à Nicole Lavallée, 920199 Ontario Ltd. ou Donald Lavallée, ou fait en leur nom.

 

d)                 Une copie de l’état des rajustements ou des déboursements à l’égard de toutes les transactions.

 

e)                  Les copies de toutes les factures ou de tous les reçus de paiement effectués au nom de Nicole Lavallée, 920199 Ontario Ltd. ou Donald Lavallée.

 

[4]               Après avoir reçu cette demande de renseignements et de documents, M. Jababfy a écrit à ses clients pour leur demander des directives :

[traduction]

Je demande votre autorisation de communiquer les documents à l’Agence du revenu du Canada (si nous les avons toujours), afin qu’elle n’ait pas à assumer les frais liés à l’obtention d’une ordonnance de conformité auprès de la Cour.

 

En revanche, si vous voulez vous opposer à sa demande, vous devriez m’en faire part.

 

[5]               M. Jakabfy atteste ce qui suit dans un affidavit souscrit relativement à la présente affaire :

[traduction]

Peu de temps après avoir envoyé cette lettre, M. Lavallée m’a donné l’instruction, en termes très catégoriques, de ne pas produire les documents à l’ARC et il m’a plutôt demandé d’invoquer le privilège à leur égard.

 

J’ai avisé l’ARC de la position adoptée par mes anciens clients par une lettre datée du 16 novembre 2010. […] Les Lavallée ne m’ont donné aucunes instruction à l’effet contraire depuis. […] J’ai avisé l’ARC qu’en l’absence d’une ordonnance de la Cour, je ne suis pas en position de produire les documents en réponse à la demande.

 

[6]               M. Jakabfy, dans son affidavit et par l’entremise des observations formulées par l’avocat dont il a retenu les services, avise la Cour qu’il ne prend pas position l’égard de la présente demande, [traduction] « outre que la Cour devrait trancher la question de savoir si les documents sont visés par le privilège et que je ne devrais pas être condamné aux dépens ». Il a fourni à la Cour une annexe dressant la liste des documents en sa possession qui répondent à la demande de renseignements. De plus, son avocat a déposé à la Cour ces documents dans une enveloppe scellée, et M. Jakabfy lui a donné la directive de délivrer les documents sur-le-champ au ministre si la Cour détermine que ces documents ne sont pas protégés par le privilège.

 

[7]               La Cour remarque que M. Jakabfy a agi de manière appropriée dans la présente affaire dans ses rapports avec ses anciens clients, avec le ministre et avec la Cour. Aucune ordonnance de dépens ne sera rendue contre lui.

 

[8]               La Cour a conclu que, au titre du paragraphe 231.7(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, trois conditions doivent être remplies avant que la Cour ne puisse ordonner à une personne de fournir les renseignements et les documents demandés par le ministre en vertu de l’article 231.2 de cette Loi; voir Canada (Ministre du Revenu national – MRN) c Currie, 2008 CF 237, au paragraphe 25 :

a) le défendeur devait en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi fournir les renseignements et les documents exigés par le ministre;

 

b) le défendeur n’a pas fourni les renseignements et les documents exigés par le ministre;

 

c) le privilège des communications entre client et avocat ne s’applique pas aux renseignements et documents exigés par le ministre.

 

[9]               La Cour, en se fondant sur le dossier dont elle dispose, est convaincue que les deux premières conditions sont remplies. La seule question qui reste est de savoir si les renseignements sollicités sont protégés par le privilège des communications entre client et avocat.

 

[10]           Les communications entre un avocat et son client ne sont pas toutes protégées par le privilège. L’article 232 de la Loi de l’impôt sur le revenu définit ainsi le privilège des communications entre le client et avocat pour les besoins de la Loi :

« privilège des communications entre client et avocat » Droit qu’une personne peut posséder, devant une cour supérieure de la province où la question a pris naissance, de refuser de divulguer une communication orale ou documentaire pour le motif que celle-ci est une communication entre elle et son avocat en confidence professionnelle sauf que, pour l’application du présent article, un relevé comptable d’un avocat, y compris toute pièces justificative out tout chèque, ne peut être considéré comme une communication de cette nature.

 

[11]           Cette définition s’accorde avec le droit applicable en matière de privilège des communications entre le client et avocat : la protection s’applique aux communications se rapportant à la demande et à la prestation d’aide juridique et ne s’applique pas aux documents qui constituent « la preuve d’un acte ou d’une opération alors que le privilège s’applique uniquement aux communications » (Canada (Ministre du Revenu national – MRN) c Singh Lyn Ragonetti Bindal LLP, 2005 CF 1538, au paragraphe 18).

 

[12]           La Cour a ordonné la production de renseignements et de documents se rapportant à des transactions financières transitant par le compte en fiducie d’un avocat, comme des chèques, des relevés d’ajustement et des livres comptables, et ce, à de nombreuses occasions : à titre d’exemple, voir Canada (Ministre du Revenu national – MRN) c Reddy, 2006 CF 277; Canada (Ministre du Revenu national – MRN) c Singh Lyn Ragonetti Bindal LLP, 2005 CF 1538; Canada (Ministre du Revenu national – MRN) c Cornfield, 2007 CF 436; Canada (Ministre du Revenu national – MRN) c Currie, 2008 CF 237, au paragraphe 25 .

 

[13]           L’avocat du ministre, en sa qualité de fonctionnaire judiciaire, a porté à notre attention la décision rendue par la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Chambre des notaires du Québec c Canada (Procureur général), 2010 CSQC 4215, [2010] JQ 8868, qui concluait alors que les articles 231.2 et 231.7 et la définition de « privilège des communications entre client et avocat » prévue au paragraphe 232(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu violaient les articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés et que ces dispositions étaient inopérantes à l’égard des notaires et des avocats du Québec en ce qui concerne les documents et les renseignements protégés par le « secret professionnel ». Cette décision fait l’objet d’un appel.

 

[14]           La Cour refuse de suivre cette décision pour trois motifs. Tout d’abord, la Cour n’est pas liée par une décision de la Cour supérieure du Québec. Deuxièmement, la décision semble être fondée dans une grande mesure sur les obligations professionnelles des notaires et des avocats qui sont prévues dans leurs codes de déontologie respectifs, lesquels ne sont pas applicables au défendeur. Troisièmement, et plus important encore, la jurisprudence ontarienne ne prévoit pas de « secret professionnel » ou de privilège en ce qui a trait aux documents et aux renseignements demandés.

 

[15]           Pour ces motifs, la Cour conclut que les documents et les renseignements que le ministre a enjoint au défendeur de produire ne sont pas assujettis au privilège des communications entre client et avocat.


ORDONNANCE

VU la demande du ministre du Revenu national (le « ministre ») entendue en audience le 24 juin 2013 dans les locaux de la Cour fédérale sis au 180, rue Queen Ouest, bureau 200, Toronto (Ontario), M5V 3L6;

 

ET VU les documents déposés et les observations formulées par les parties;

 

ET VU que la Cour est d’avis que :

1.      Par demande datée du 1er novembre 2010 (et portant aussi la date du 22 octobre 2010), le ministre a enjoint à M. Jakabfy, avocat, de fournir des renseignements et des documents relatifs à la vente de biens effectuée par M. Donald Lavallée et Mme Nicole Lavallée en août 2003 à des acheteurs tiers, en vertu du paragraphe 231.2(1). Le défendeur agissait à titre d’avocat pour les Lavallée relativement à la vente du bien.

 

2.      M. Lavallée devait de l’argent au titre de la Loi sur l’impôt sur le revenu relativement à ses années d’imposition 2001 à 2003; en date du 1er septembre 2011, M. Lavallée devait la somme d’environ 62 734 $. M. Lavallée a aussi une dette de TPS au titre de la Loi sur la taxe d’accise, pour les périodes de déclaration comprises entre le 1er janvier 2001 et le 31 décembre 2003; en date du 10 avril 2013, la dette de M. Lavallée devait la somme d’environ 59 838 $.

 

3.      Le ministre demande les renseignements et les documents au défendeur aux fins de l’application ou de l’exécution de la Loi de l’impôt sur le revenu. Plus précisément, son objectif est de déterminer comment M. Lavallée a distribué sa part du produit de vente d’un bien immobilier, surtout pour établir si M. Lavallée possède des actifs à l’égard desquels l’ARC peut prendre des recours en recouvrement en vue de régler la dette fiscale non acquittée (et la dette de TPS) de M. Lavallée, ainsi que pour établir si M. Lavallée a transféré une partie ou la totalité de sa part du produit de la vente d’un bien à une personne ayant un lien de dépendance, en vu qu’une nouvelle cotisation puisse être invoquée à l’encontre des bénéficiaires conformément à l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (et/ou à l’article 325 de la Loi sur la taxe d’accise), ainsi que pour déterminer si le ou les bénéficiaire(s) ont quelque actif ou autres sources de revenu à l’égard desquels l’ARC peut effectuer un recouvrement.

 

4.      À ce jour, M. Jakabfy n’a pas fourni les renseignements et les documents demandés par le ministre;

 

5.      Le ministre ne demande pas la production de renseignements ou de documents qui sont protégés par le privilège des communications entre avocat et client au sens du paragraphe 232(1) de la Loi de l’impôt sur revenu (ou du paragraphe 293(2) de la Loi sur la taxe d’accise).

 

LA COUR ORDONNE à M. Jakabfy de produire, dans les trois semaines suivant la réception de la signification d’une copie de la présente ordonnance, les renseignements et les documents exigés dans la demande datée du 1er novembre 2010 (et aussi datée du 22 octobre 2010), laquelle est jointe à l’annexe A à la présente ordonnance, à Mme Carole Cameron de l’ARC, du Bureau des services fiscaux de Sudbury, 1050 avenue Notre‑Dame, Sudbury (Ontario), P3A 5C1, ou à tout autre agent qui peut être désigné à cette fin par le demandeur.

 

LA COUR ORDONNE EN OUTRE que le ministre soit autorisé à signifier à personne la présente ordonnance à M. Jakabfy, conformément à l’article 128 des Règles des Cours fédérales.

 

            LA COUR ORDONNE EN OUTRE qu’aucuns dépens ne soient adjugés relativement à la présente demande.

 

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.

 

 


Annexe A

 

[traduction]

Bureau des services fiscaux

Sudbury (ON)  P3A 5C1

 

Le 1er novembre 2010

 

JOSEPH R. JAKABFY

AVOCAT

767, CHEMIN BARRYDOWNE

SUDBURY (ON)  P3A 3T6

 

 

 

 

Monsieur,

 

 

CONTACT : C. Cameron

 

Date : Le 22 octobre 2010

 

 

 

Les renseignements sollicités au titre de la Demande d’information concernent Donald Lavallée, Nicole Lavallée et/ou 920199 Ontario Ltd.

 

Conformément aux alinéas 231.2(1)a) et b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, pour l’application ou l’exécution de la Loi de l’impôt sur le revenu, vous avez l’obligation de fournir les renseignements et/ou les documents suivants dans les 30 jours suivant la date indiquée ci‑dessus :

 

À l’égard du transfert de la terre connue sous le nom de 2140 route Bancroft, Sudbury (ON). Auteurs du transfert : Donald et Nicole Lavallée, bénéficiaires : Rodney et Nicole Bazinet, no d’enregistrement LTO956645, date : le 29 août 2013. Veuillez fournir les renseignements suivants :

 

- Une copie de l’état de compte en fiducie faisant état des noms et des montants à l’égard de toutes les transactions où des déboursements ont été faits à l’intention de Nicole Lavallée, 920199 Ontario Ltd. ou à Donald Lavallée, ou pour leur compte.

 

- Une copie de l’état de compte en fiducie ou du journal des chèques faisant état des noms et des montants à l’égard de toutes les transactions où des sommes ont été reçues et payées au nom de Nicole Lavallée, de 920199 Ontario Ltd. ou de Donald Lavallée.

 

- Des copies de tous les chèques annulés (recto et verso) à l’égard de toutes les transactions où des montants ont été versés à Nicole Lavallée, 920199 Ontario Ltd. ou Donald Lavallée, ou fait en leur nom.

 

- Une copie de l’état des rajustements ou des déboursements à l’égard de toutes les transactions.

 

- Les copies de toutes les factures ou de tous les reçus de paiement effectués au nom de Nicole Lavallée, 920199 Ontario Ltd. ou Donald Lavallée.

 

Vous devez attester, au meilleur de votre connaissance, que les renseignements ci‑dessus sont authentiques et corrects à tous les égards et vous devez les envoyer à l’adresse indiquée au recto de la présente lettre dans les 30 jours suivants la date de celle‑ci.

 

 

Le défaut de vous conformer à cette demande dans le délai prescrit vous exposera à des poursuites, sans préavis.

 

 

Le paragraphe 238(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit que quiconque ne se conforme pas à la présente demande commet une infraction et encourt une amende de 1 000 $ à 1 500 $, ou une telle amende est un emprisonnement maximal de 12 mois. En plus des peines criminelles résultant de l’application du paragraphe 238(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu pour défaut de se conformer au présent avis de demande, le paragraphe 231.7(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu permet à l’Agence du revenu du Canada de demander à la Cour de rendre une ordonnance de conformité spécifique, dans l’éventualité d’une non conformité. Le défaut de se conformer à cette présente ordonnance de conformité spécifique peut entraîner une déclaration de culpabilité pour outrage au tribunal.

 

Veuillez agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.

 

 

 

Ed Levesque

Directeur adjoint

Division du recouvrement des recettes

 

 

 

Bureau des services fiscaux de Sudbury

1 050, avenue Notre‑Dame

Sudbury (ON)  P3A 5C1

Locol : 705-671-8237

Sans frais : 1-800-461-3358

Télécopieur : 705-671-0342

Site Web : www.arc-cra.gc.ca

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1040-13

 

 

INTITULÉ :                                      LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

c

JOSEPH R. JAKABFY

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 24 juin 2013

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      Le juge Zinn

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :           Le 25 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Margaret Nott

Angela Shen

 

POUR LE DEMANDEUR

Amy Ohler

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

FENTON, SMITH BARRISTERS

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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