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Date : 20130617

Dossier : IMM-8435-12

Référence : 2013 CF 666

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 juin 2013

En présence de madame la juge Kane

 

 

Entre :

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

le demandeur

 

et

 

 

 

WEI HONG XIE

 

 

 

la défenderesse

 

 

 

 

 

 MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le demandeur) demande le contrôle judiciaire, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi), de la décision du 1er août 2012 de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a accueilli l’appel de Mme Xie (qui était alors la demanderesse) d’une décision d’un agent des visas (l’agent des visas) au Consulat général du Canada à Hong Kong, datée du 8 octobre 2009. L’agent avait refusé de donner un visa de résident permanent à l’époux de la demanderesse, M. Liang. Comme le ministre a déposé la demande de contrôle de la décision de la Commission, Mme Xie est la défenderesse en l’espèce.

 

Le contexte

[2]               Mme Xie (la défenderesse) a été parrainée par son premier mari pour venir au Canada et elle a obtenu la résidence permanente le 15 décembre 1999. Le mariage s’est dissolu en 2002 en raison de la relation extraconjugale de son mari. Mme Xie a ensuite eu une union de fait qui a aussi pris fin en raison de l’infidélité de son partenaire. Après la fin de cette relation, Mme Xie a appris qu’elle était enceinte de son fils, qui est né en février 2004.

 

[3]               Mme Xie est retournée en Chine pour rendre visite à sa famille en 2003. Alors qu’elle livrait un colis de la part de sa colocataire canadienne, elle a rencontré M. Liang. Après son retour au Canada, Mme Xie et M. Liang se sont souvent parlé au téléphone. En novembre 2004, M. Liang a fait une demande en mariage à Mme Xie par téléphone. Ils se sont mariés en Chine le 19 janvier 2005. Mme Xie et son fils ont rendu visite à M. Liang en Chine quatre fois, y compris pendant une période d’un an en 2005-2006 et pendant d’autres périodes allant jusqu’à trois mois.

 

[4]               Depuis leur mariage, Mme Xie a tenté de parrainer la demande de résidence permanente de son mari trois fois, et chaque fois, le visa a été refusé.

 

[5]               Pour la troisième demande de parrainage, M. Liang a reconnu s’être fié à deux pages de matériel préparatoire, que l’agent a qualifié d’« aide-mémoire ». L’agent a rejeté la demande de résidence permanente de M. Liang pour deux motifs : au sens du paragraphe 4(1) du Règlement, il était d’avis que le mariage n’était pas authentique et qu’il visait principalement à permettre à M. Liang d’entrer au Canada, et, conformément à l’alinéa 40(1)a) de la Loi, il a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour fausse déclaration parce qu’il avait eu recours à un « aide‑mémoire ».

 

[6]               Mme Xie a porté la décision en appel à la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a accueilli l’appel et a conclu que Mme Xie et M. Liang avaient véritablement un mariage authentique.

 

[7]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le demandeur) demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[8]               La Commission a effectué un examen détaillé de la preuve orale et documentaire et a conclu que M. Liang et Mme Xie « entretiennent une relation conjugale exclusive, sérieuse et authentique depuis leur mariage, le 19 janvier 2005, à savoir depuis plus de sept ans et demi ».

 

[9]               La Commission a noté plusieurs facteurs à l’appui de l’authenticité du mariage. En ce qui a trait au supposé « aide-mémoire », la Commission n’a relevé aucune preuve selon laquelle il avait été utilisé de façon incorrecte, et elle a conclu qu’il était raisonnable pour M. Liang de se préparer pour son entrevue, compte tenu du fait que sa demande avait été rejetée deux fois auparavant. La Commission a aussi conclu que M. Liang était nerveux et qu’il avait une mémoire défaillante, ce qui a été corroboré d’une certaine façon dans l’affidavit de sa nièce.

 

Les questions en litige

[10]           La question principale est celle de savoir si la Commission a omis de tenir compte de preuves essentielles lorsqu’elle a conclu que le mariage était authentique.

 

[11]           Le demandeur en l’espèce, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soutient que la décision de la Commission n’est pas raisonnable parce que la Commission n’a pas établi la crédibilité de Mme Xie et de M. Liang, n’a pas tenu compte d’éléments de preuve et n’a pas concilié les multiples incohérences dans la preuve qui étaient importantes quant au fardeau de Mme Xie et de M. Liang d’établir que leur mariage était authentique. De plus, la Commission a accepté de façon déraisonnable que M. Liang avait utilisé l’« aide-mémoire » en raison de sa nervosité et de sa mémoire défaillante, sans qu’on lui ait présenté de preuves suffisantes à l’appui de cet état de santé.

 

[12]           La défenderesse en l’espèce, Mme Xie, soutient que la Commission a tenu compte de toute la preuve, a examiné en détail les trois demandes de parrainage rejetées ainsi que les demandes de visa, a mentionné les incohérences dans la preuve, a conclu que ces incohérences étaient mineures, et les a soupesées en fonction du reste de la preuve à l’appui du fait que le mariage était authentique.

 

[13]           En ce qui a trait à l’« aide-mémoire », la défenderesse soutient qu’il s’agissait d’une préparation semblable à celle que fait un avocat avant de rencontrer un client en personne et, qu’en l’espèce, compte tenu du fait que M. Liang était en Chine et qui ne parle pas anglais, le document écrit était une bonne option.

 

La norme de contrôle

[14]           Le demandeur et la défenderesse conviennent que la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission est la décision raisonnable, qui exige la déférence.

 

[15]           Le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire n’est pas de substituer la décision qu’elle aurait rendue, mais plutôt de « déterminer si celle‑ci fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit” (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59.

 

[16]           Comme le juge Scott l’a noté dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Pierre, 2012 CF 1169 :

[9] Une décision sur l’authenticité et la nature d’une relation aux fins de l’article 4 du RIPR repose essentiellement sur les faits, si bien qu’une telle décision est assujettie à la norme de la décision raisonnable (Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 417, [2010] ACF no 482, au para 14; Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 432, [2011] ACF no 544, au para 18).

 

[10] De plus, « [i]l est établi en droit qu’un appel interjeté devant la SAI est un appel de novo (Provost c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1310, 2009 CF 1310, [2009] ACF no 1683 (QL), au para 25). Par conséquent, le demandeur doit convaincre la SAI, et non la Cour, que le mariage est authentique ou qu’il ne vise pas principalement l’acquisition d’un statut aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). La compétence de la Cour se limite au contrôle, et elle ne doit pas servir à s’immiscer dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la SAI si ce pouvoir discrétionnaire a été raisonnablement exercé » (voir Ma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 509, 368 FTR 116, au para 32).

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de preuves essentielles?

[17]           Le ministre demandeur a noté que la Commission n’avait pas tenu compte des incohérences dans le témoignage au sujet du moment auquel le couple a commencé à communiquer par téléphone, du moment où M. Liang a rencontré la mère de Mme Xie pour la première fois, de la question de savoir s’il avait apporté des cadeaux à cette rencontre, de la question de savoir s’ils avaient habité avec la mère de Mme Xie lors de la récente visite de cette dernière en Chine et la question de savoir pourquoi M. Liang ne connaissait pas le nom du père biologique du fils de Mme Xie. Le demandeur se demandait aussi si la Commission avait examiné de près les relevés téléphoniques fournis à l’appui de la prétention de Mme Xie et de M. Liang selon laquelle ils s’appelaient souvent (donnant à penser que les relevés téléphoniques ne précisaient pas le numéro qui avait été appelé et le numéro qui avait reçu l’appel, seulement le fait que les appels provenaient du Canada et visaient un numéro en Chine).

 

[18]           Je ne suis pas d’avis que la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve incohérents. Par exemple, la Commission a fait des commentaires sur les différences quant à la date à laquelle M. Liang a rencontré la mère de Mme Xie, notant que « [l] es contradictions relevées entre les éléments de preuve, comme la date à laquelle le demandeur a rencontré pour la première fois la mère de l’appelante et la date à laquelle l’appelante et lui se sont parlé pour la première fois, n’ont pas, compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve, de répercussions importantes sur les facteurs favorables qui se rapportent à l’authenticité du mariage ».

 

[19]           En ce qui a trait au fait que M. Liang ne connaissait pas le nom de l’ancien conjoint de fait de Mme Xie et père de son enfant, la Commission a noté que bien que M. Liang ne connaissait pas le nom de cet homme, il connaissait les raisons pour lesquelles Mme Xie et son conjoint s’étaient séparés et son témoignage corroboré celui de Mme Xie selon lequel il l’avait encouragé à garder l’enfant lorsqu’elle a appris qu’elle était enceinte.

 

[20]           Dans un même ordre d’idées, la Commission a noté les différences mineures en ce qui a trait à la question de savoir si le couple avait habité avec la mère de Mme Xie en Chine et elle a accepté l’explication de M. Liang. La Commission a noté, de plus, que ce qui était important était la preuve qui démontrait que M. Liang rendait visite à sa belle-mère, c’est-à-dire qu’ils avaient une relation.

 

[21]           Le demandeur soutient que l’« aide-mémoire » que M. Liang a utilisé pour se préparer à l’entrevue démontre que le mariage n’était pas authentique, parce que des époux n’auraient pas besoin de rappels pour des renseignements de base comme ceux-ci. Le demandeur soutient que l’acceptation de la Commission de l’explication pour laquelle M. Liang avait besoin de l’« aide‑mémoire » était déraisonnable et que cela a entraîné d’autres conclusions déraisonnables. La Commission a déraisonnablement accepté l’explication selon laquelle M. Liang avait une mémoire défaillante, en se fondant seulement sur l’affidavit de la nièce de celui‑ci, qui a simplement déclaré que c’était le cas. Le demandeur soutient que compte tenu de cette preuve, les conclusions de la Commission étaient abusives et ne résistent pas à un examen poussé.

 

[22]           Les motifs de la Commission montrent qu’elle a tenu compte des conséquences de l’« aide‑mémoire » et de l’explication fournie pour son utilisation. La Commission a accepté la preuve par affidavit de la nièce de M. Liang en ce qui a trait à sa mémoire défaillante et à sa nervosité. La Commission a aussi conclu que M. Liang n’est pas une personne instruite. La Commission a conclu que l’« aide-mémoire » n’a servi qu’à l’aider à se souvenir et n’a pas servi dans un but illégitime. Une feuille de notes avait été préparée par l’avocat canadien de M. Liang et l’autre feuille avait été préparée par sa nièce en fonction de renseignements qu’elle avait trouvés sur Internet. La Commission a accepté qu’une telle préparation était raisonnable et que le contenu était juste. Comme la défenderesse l’a noté, le demandeur n’a pas contre interrogé la nièce de M. Liang au sujet de son affidavit portant sur la mémoire défaillante de M. Liang. Comme il s’agissait de la seule preuve dont la Commission était saisie au sujet de la nervosité et de la mémoire défaillante de M. Liang, la Commission pouvait tenir compte de la preuve et elle lui a accordé le poids approprié.

 

Les conclusions de la Commission

[23]           Lorsqu’on examine les motifs de la Commission dans leur ensemble, il est clair que la Commission a tiré plusieurs conclusions qui appuyaient sa décision selon laquelle le mariage était authentique, y compris les conclusions suivantes :

         M. Liang et Mme Xie sont compatibles au point de vue de l’âge, de la langue, de l’ethnie et de leur lieu d’origine, ils ont des projets d’avenir communs et sont mariés depuis plus de sept ans et demi;

 

         Tant M. Liang que Mme Xie sont financièrement autonomes;

 

         M. Liang a une sécurité d’emploi et une relation stable avec les membres de sa famille en Chine, ce qui mine tout motif inavoué quant à son immigration au Canada;

 

         M. Liang et Mme Xie ont tous les deux intégré la vie de famille de l’autre conjoint en participant à des événements sociaux avec les membres de la famille de l’autre conjoint en Chine;

 

         Il existe des preuves corroborantes quant à leur première rencontre, à la demande en mariage et au mariage, aux quatre visites après le mariage, ainsi qu’au fait que Mme Xie, son fils et M. Liang ont habité ensemble pendant un an, période au cours de laquelle le fils de Mme Xie a fréquenté l’école en Chine, et pendant d’autres périodes de visite jusqu’à trois mois en Chine depuis le mariage;

 

         M. Liang a une relation avec le fils de Mme Xie et ils communiquent régulièrement;

 

         M. Liang a fourni de l’aide financière à Mme Xie à l’occasion;

 

         M. Liang a persisté dans sa tentative d’immigrer au Canada pour rejoindre sa femme et le reste de sa famille au Canada, malgré deux tentatives infructueuses;

 

         M. Liang n’a jamais tenté de venir au Canada avant son mariage, même s’il a de la famille proche dans ce pays.

 

[24]           Comme je l’ai mentionné plus tôt, la norme de contrôle est la décision raisonnable et la décision de la Commission, un tribunal spécialisé, exige la déférence. La Commission a tenu compte de tous les éléments de preuve, y compris les incohérences, et elle a conclu que, dans l’ensemble, les facteurs favorables du mariage l’emportaient sur les incohérences mineures ou que ces incohérences avaient été expliquées de façon satisfaisante. Il ne revient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve dont la Commission était saisie.

 

[25]           Comme le juge Strickland l’a noté dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Chen, 2013 CF 215 :

[43] La jurisprudence de notre Cour confirme qu’il n’existe aucun critère ou ensemble de critères déterminés pour établir si un mariage ou une union est authentique et qu’il appartient exclusivement à l’agent ou au tribunal administratif de décider du poids relatif à accorder à chacun de ces critères; voir Keo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1456, paragraphe 24; Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 432, paragraphe 23; Ouk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 891, paragraphe 13; et Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1490, paragraphe 20. Dans la présente espèce, le tribunal a usé de son pouvoir d’appréciation pour conclure, malgré les contradictions qu’il avait relevées dans la preuve, que le mariage en question était authentique et ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR.

 

[26]           Par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’a été proposée pour la certification.


 JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

2.      Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8435-12

 

INTITULÉ :                                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c WEI HONG XIE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

Date de l’audience :             Le 28 mai 2013

 

Motifs du jugement

ET JUGEMENT :                            La juge Kane

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 17 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Knapp

 

POUR LE DEMANDEUR

Cecil L. Rotenberg, c.r.

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

ONG & ASSOCIATES LIMITED

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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