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Date : 20130605

Dossier : IMM‑7016‑12

Référence : 2013 CF 601

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2013

En présence de madame la juge Gagné

 

 

ENTRE :

 

BEVERLY NDJIZERA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], de la décision du 14 mai 2012 par laquelle un commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a refusé de reconnaître à la demanderesse la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou celle de personne à protéger au sens, respectivement, de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi. Les principales questions litigieuses sur lesquelles la Commission était appelée à se prononcer concernaient la crédibilité de la demanderesse et l’absence de preuves corroborantes. Pour les motifs qui suivent, la Cour est d’avis que son intervention est justifiée en l’espèce.

 

Contexte

[2]               Âgée de 26 ans, la demanderesse, Beverly Ndjizera, est une Namibienne d’origine ethnique héréro. Elle affirme craindre avec raison d’être persécutée et d’être exposée à une menace à sa vie, ou au risque d’être soumise à la torture et au risque de subir des traitements ou des peines cruels et inusités de la part de son beau‑père, qui l’a violentée et qui s’est juré de la forcer à l’épouser contre son gré.

 

[3]               Dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP], la demanderesse explique qu’en décembre 2008, alors qu’elle rendait visite à sa mère et à son beau‑père, elle a appris que ce dernier désirait la prendre comme seconde épouse, une pratique autorisée dans la culture héréro. Après que la demanderesse lui eut exprimé son refus de l’épouser, son beau‑père est devenu violent et lui a dit qu’elle n’avait pas son mot à dire en la matière.

 

[4]               La demanderesse a alors décidé avec son petit ami de devenir enceinte pour amener son beau‑père à se désintéresser à elle. Elle a donné naissance à un garçon le 31 décembre 2009. Elle est revenue chez ses parents peu de temps après son accouchement, pour constater que son beau‑père n’avait pas changé d’idée. Il s’est mis en colère lorsqu’elle a réitéré son refus. Il l’a enfermée dans la maison et l’a battue avec un aiguillon électrique pour le bétail, qui lui a laissé des cicatrices sur les jambes. La demanderesse a réussi à s’enfuir, pieds nus. Elle s’est blessée aux pieds dans sa fuite et a dû se faire soigner. Avant de s’échapper, son beau‑père lui a dit qu’il réussirait à l’épouser, peu importe où elle irait.

 

[5]               La demanderesse a porté plainte devant le conseil traditionnel des aînés. On lui a répondu qu’on ne pouvait rien faire, étant donné que la polygamie est permise dans la culture héréro. Elle s’est alors rendue au poste de police d’Okatjoru pour réclamer la protection de la police. On lui a donné la même réponse.

 

[6]               La demanderesse s’est enfuie de la Namibie le 16 janvier 2011 et est arrivée au Canada le 17 janvier 2011. Elle a demandé l’asile le 19 janvier 2011.

 

[7]               À l’appui de sa demande, elle a présenté des lettres de sa mère et de sa tante, ainsi qu’une déclaration faite sous serment de son petit ami. Ces documents confirmaient tous les trois la version des faits de la demanderesse et indiquaient que son beau‑père était encore à sa recherche. La demanderesse a également soumis une lettre de son petit ami, qui indiquait que les autorités hospitalières avaient refusé de lui remettre un rapport médical parce que la demanderesse et lui n’étaient pas mariés.

 

[8]               À l’audience de la Commission, la demanderesse a expliqué que la police n’avait pas ouvert de dossier en réponse à sa plainte et qu’elle n’avait pas réussi à obtenir une déclaration écrite du conseil traditionnel des aînés parce que son beau‑père en faisait partie et que c’était lui qui devait approuver la déclaration. Interrogée sur la question de savoir pourquoi elle n’avait pas ajouté cette précision dans son FRP, la demanderesse a répondu qu’elle ignorait qui lirait son FRP et qu’elle se demandait s’il était prudent d’y ajouter ce renseignement.

 

[9]               La demanderesse a également expliqué à l’audience qu’elle avait rencontré un conseiller et un psychiatre au YMCA où elle logeait, mais qu’elle n’avait pas été en mesure d’obtenir de rapport de ces personnes. Elle a également expliqué qu’elle avait vu au Canada un autre médecin qui lui avait prescrit des somnifères, mais que le cabinet de ce médecin était fermé lorsqu’elle s’y était présentée pour obtenir un rapport.

 

La décision contestée

[10]           La Commission a rejeté la demande d’asile de la demanderesse au motif qu’elle n’avait pas soumis suffisamment d’éléments de preuve crédibles à l’appui de sa demande.

 

[11]           En particulier, la Commission a reproché à la demanderesse de n’avoir soumis aucune preuve corroborante comme un rapport de police, un rapport médical ou une lettre du conseil traditionnel. La Commission a jugé invraisemblable que la police namibienne n’ait pas même ouvert de dossier en réponse à la plainte de la demanderesse. La Commission a également jugé insatisfaisantes les raisons données par la demanderesse pour expliquer pourquoi elle ne pouvait obtenir de lettre du conseil, compte tenu du fait que la demanderesse avait omis de mentionner cette explication dans son FRP.

 

[12]           En ce qui concerne l’absence de rapport du médecin qui avait vu la demanderesse au Canada et lui avait prescrit des somnifères, la Commission a estimé que son explication suivant laquelle son cabinet était fermé lorsqu’elle s’y était présentée pour demander un rapport n’était pas satisfaisante de la part d’une demandeure d’asile qui était représentée par un avocat. La Commission a également conclu que la demanderesse n’avait pas démontré pourquoi elle n’avait pas réussi à autoriser son hôpital de la Namibie à lui transférer ses documents médicaux.

 

[13]           Enfin, la Commission n’a pas retenu les déclarations de la tante, de la mère et du petit ami de la demanderesse, estimant qu’elles n’étaient pas indépendantes ou suffisamment objectives.

 

Thèses des parties

La demanderesse

[14]           La demanderesse affirme que la Commission n’a pas appliqué la bonne norme de preuve en ce qui concerne sa demande fondée sur l’article 96 de la Loi. Elle soutient que la Commission s’est demandé à tort si elle avait démontré, selon la « prépondérance des probabilités » qu’elle serait exposée à de la persécution. La demanderesse explique que le critère applicable est moins exigeant, ajoutant que, ce que prévoit la jurisprudence, c’est une « possibilité raisonnable de persécution », de « bonnes raisons de craindre d’être persécuté », « plus qu’une simple possibilité d’être persécuté » (Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680 (CAF) [Adjei]; Ponniah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 359 (CAF); Matthews c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 535; Mugadza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 122 [Mugadza]; Ospina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 681 [Ospina]; Cordova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 309, et Chichmanov c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 832 (CAF)).

 

[15]           La demanderesse invoque par ailleurs trois arguments au sujet de l’appréciation de sa crédibilité par la Commission. Premièrement, elle affirme que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable au sujet de sa crédibilité en se fondant sur l’absence de preuves corroborantes provenant d’autorités ou de médecins, puisqu’il a été jugé que l’absence de preuve corroborante ne peut justifier une conclusion défavorable quant à la crédibilité à défaut de réserves déjà existantes au sujet de la crédibilité (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF); Sadeghi‑Pari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 282; Mejia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1091; Ayala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 611, et Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 259).

 

[16]           Deuxièmement, la demanderesse affirme que la Commission a commis une erreur justifiant notre intervention en tenant pour acquis, sans plus d’explications et sans mentionner d’éléments de preuve documentaires, que, selon la prépondérance des probabilités, la police de la Namibie ouvrirait un dossier et prendrait des notes lorsque la demanderesse porterait plainte au sujet de son beau‑père (Leung c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF 774). De même, la Commission a commis une erreur en estimant, sans preuves à l’appui, que la demanderesse aurait pu obtenir son dossier médical de l’hôpital de la Namibie si elle avait produit [traduction] « une autorisation signée ou une pièce d’identité ».

 

[17]           Troisièmement, la demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en écartant les déclarations de sa mère, de sa tante et de son petit ami pour la seule raison qu’ils entretenaient des liens étroits avec elle (Kimbudi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1982] ACF 8 (CAF); Woldegabriel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1223, et Kaburia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 516).

 

Le défendeur

[18]           La thèse du défendeur est que la Commission n’a pas appliqué le critère de la « prépondérance des probabilités » au sujet du risque allégué de persécution. Le défendeur affirme que la demanderesse confond la norme de preuve applicable aux conclusions de fait, en l’occurrence la norme de la prépondérance des probabilités, avec le critère juridique de la crainte justifiée de persécution, qui équivaut à une « possibilité sérieuse » de persécution. Pour obtenir gain de cause dans sa demande fondée sur l’article 96, le demandeur d’asile doit démontrer, « selon la prépondérance des probabilités » qu’il craint avec raison d’être persécuté, cette dernière expression devant être interprétée comme englobant le critère juridique de la « possibilité sérieuse » (Lopez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1156 [Lopez]; Saverimuttu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1021, et Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1).

 

[19]           En ce qui concerne les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité, le défendeur signale que la Commission a d’abord conclu que la demanderesse manquait de crédibilité parce qu’elle avait omis de mentionner dans son FRP que son beau‑père faisait partie du conseil traditionnel des aînés. Il était ensuite loisible à la Commission de conclure que l’absence de preuves corroborantes était un facteur important lorsqu’il s’agissait d’apprécier la crédibilité de la demanderesse (Elazi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 212; Luzi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 916; Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12; Syed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 357; Bin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1246; Nallanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFT 326, et Nadarajalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 730).

[20]           Le défendeur soutient enfin que notre Cour ne devrait pas intervenir pour modifier la décision de la Commission, qui a jugé bon de n’accorder aucun poids aux documents soumis par la famille et le petit ami de la demanderesse, étant donné qu’il appartient à la Commission, en tant qu’arbitre des faits, de trancher les questions de crédibilité et d’apprécier la preuve (Brar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] ACF 346 (CAF); Castro c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF 787).

 

Questions en litige

[21]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions :

1.      La Commission a‑t‑elle appliqué un critère erroné pour déterminer si la demanderesse craignait avec raison d’être persécutée?

 

2.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur justifiant l’infirmation de sa décision dans la façon dont elle a apprécié la crédibilité de la demanderesse?

 

 

Norme de contrôle applicable

 

[22]           La première question en litige dans la présente affaire est une pure question de droit, qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Ospina, précité, au paragraphe 20; Mugadza, précité, au paragraphe 10; Rahman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 768, au paragraphe 36). En revanche, les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité, ainsi que son appréciation de la preuve sont des questions de fait qui sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF 732 (CAF), au paragraphe 4; NOO c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, au paragraphe 38).

 

[23]           La norme de la décision raisonnable nous amène à nous interroger sur « la justification de la décision, […] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que sur] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

 

Analyse

La Commission a‑t‑elle appliqué un critère erroné pour déterminer si la demanderesse craignait avec raison d’être persécutée?

 

[24]           La demanderesse attire l’attention de la Cour sur les deux paragraphes suivants des motifs de la Commission :

6) …Compte tenu de la preuve et les observations qui m’ont été présentées, il n’a pas été établi, selon la prépondérance des probabilités, que vous craignez avec raison d’être persécutée en Namibie pour un motif énoncé dans la Convention […]

 

24) Compte tenu de l’analyse qui précède et de mon examen convenable des éléments de preuve dont je dispose, des observations et des directives du président concernant la persécution fondée sur le sexe, je conclus qu’il n’a pas été établi, selon la prépondérance des probabilités, que vous craignez avec raison d’être persécutée en Namibie pour l’un des motifs prévus dans la Convention […]

 

 

[25]           La question soulevée par la demanderesse a été abordée à de nombreuses reprises par notre Cour. Il est de jurisprudence constante que, pour obtenir gain de cause dans une demande fondée sur l’article 96, le demandeur d’asile doit démontrer, « selon la prépondérance des probabilités » qu’il existe une possibilité « sérieuse » qu’il soit persécuté, par opposition à une simple possibilité (Ospina, précité; Mugadza, précité; et Lopez, précité). La demanderesse ne m’a toutefois pas convaincue que la Commission a mal interprété le critère juridique applicable.

 

[26]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il convient de faire une distinction entre la norme de preuve et le critère juridique applicables. Bien que le critère juridique soit celui de la « possibilité sérieuse » ou de la « possibilité raisonnable » de persécution, le demandeur d’asile doit malgré tout établir le bien‑fondé de sa demande selon la prépondérance des probabilités. Ainsi que le juge Mosley l’a précisé dans le jugement Lopez, précité, au paragraphe 20, qui est cité par le défendeur :

Pour établir une crainte fondée de persécution, tout demandeur doit démontrer 1) qu’il éprouve une crainte subjective de persécution et 2) que cette crainte est objectivement justifiée : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74, au paragraphe 47 (QL) [Ward]. Le demandeur doit établir suivant la prépondérance de la preuve qu’il satisfait à ce critère : Saverimuttu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1021, [2002] A.C.F. no 1329, au paragraphe 18 (QL). Cela dit, le demandeur n’a pas à démontrer qu’il est plus probable que le contraire qu’il soit victime de persécution, comme l’a exposé la Cour d’appel dans l’arrêt Adjei c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.F.) : « il n’y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c’est‑à‑dire une probabilité), et […] il doit exister davantage qu’une possibilité minime. Nous croyons qu’on pourrait aussi parler de possibilité « raisonnable » ou même de « possibilité sérieuse », par opposition à une simple possibilité ». (Non souligné dans l’original.)

 

Voir également l’arrêt Adjei, précité, au paragraphe 5.

 

[27]           La présente espèce se distingue aisément des affaires citées par la demanderesse, dans lesquelles notre Cour a conclu que la Commission avait mal appliqué le critère juridique. Dans l’affaire Ospina, précitée, la Commission avait écrit :

Dans l’ensemble, j’estime qu’il n’y a pas de fondement objectif à cette demande, puisque la preuve qui m’a été présentée ne m’amène pas à conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile serait poursuivi par les agents de persécution s’il retournait en Colombie.

 

[28]           De même, dans l’affaire Mugadza, précitée, la Commission avait écrit :

Le tribunal a déterminé que le demandeur d’asile n’était pas crédible au regard de certains aspects importants de sa demande d’asile et n’a pas été convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l’intéressé était ciblé par les autorités de son pays ou qu’il serait personnellement ciblé s’il y retournait.

 

[29]           Il était évident, dans ces deux affaires, que la Commission exigeait des éléments de preuve démontrant, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile serait persécuté. Dans le cas qui nous occupe, la Commission a exigé, à juste titre, qu’on lui démontre, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse craignait avec raison d’être persécutée. Il est vrai que la Commission n’a jamais expressément mentionné le critère de la « possibilité sérieuse ». Toutefois, à la lecture de l’ensemble de ses motifs, je suis convaincue que la Commission a bel et bien appliqué ce critère en parlant de « crai[ndre] avec raison d’être persécutée ».

 

[30]           Les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité sont toutefois entachées d’erreurs qui justifient l’intervention de la Cour.

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur justifiant l’infirmation de sa décision dans la façon dont elle a apprécié la crédibilité de la demanderesse?

 

[31]           À mon avis, la Commission a commis une erreur justifiant l’infirmation de sa décision en rejetant les éléments de preuve émanant de la mère, de la tante et du petit ami de la demanderesse pour la seule raison que la demanderesse entretenait des liens étroits avec ces personnes. On trouve dans le paragraphe suivant de sa décision la seule mention faite par la Commission des déclarations en question :

22) Vous avez fourni une déclaration sous serment de votre petit ami en Namibie, une déclaration de votre petit ami, une lettre de votre tante et une lettre de votre mère. Selon moi, les documents que vous avez fournis pour établir les allégations cruciales de votre demande d’asile ne sont pas indépendants ou suffisamment objectifs, et je conclus que, même si le degré d’intimité avec certaines de ces personnes varie, dans l’ensemble, les personnes qui ont préparé ces documents entretiennent une relation très étroite avec vous, c’est‑à‑dire une relation familiale ou une relation intime dans le cas de votre petit ami.

 

[32]           Récemment, bien que dans le contexte d’une demande de résidence permanente, la juge Kane a écrit ce qui suit dans le jugement Gilani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 243, aux paragraphes 26 à 28 :

[26]           Voici ce qu’a déclaré le juge de Montigny dans Ugalde  :

 

[26]      Toutefois, la jurisprudence a établi que, selon les circonstances, la preuve ne doit pas être écartée simplement parce qu’elle provient de personnes liées aux intéressés : R c. Laboucan, 2010 CSC 12, au par. 11. Comme le souligne avec raison l’avocate du défendeur, l’arrêt Laboucan a été rendu dans une affaire criminelle; cependant, la jurisprudence de la Cour en matière d’immigration a établi le même principe. En effet, selon plusieurs décisions en matière d’immigration, le fait d’accorder peu de poids à la preuve parce qu’elle émane d’un ami ou d’un membre de la famille constitue une erreur.

 

[27]      Par exemple, dans l’affaire Kaburia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 516, la juge Dawson a statué, au paragraphe 25, que « le fait qu’une lettre a été sollicitée ou qu’elle a été écrite par un parent n’est pas suffisant en soi pour en invalider le contenu ». De même, le juge Phelan a fait observer ce qui suit dans la décision Shafi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 714, au paragraphe 27 :

 

L’agente n’attache guère de valeur probante au témoignage par affidavit des deux autres témoins parce qu’il émane d’un ami intime de la famille et d’un cousin. Elle n’explique pas qui d’autre que des amis et des parents devrait donner ce genre de témoignage.

 

De même, dans la décision Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 226, au paragraphe 31, la juge Mactavish a déclaré ce qui suit :

 

S’agissant de la lettre du président de l’organisation, je ne comprends pas la critique de la Commission lorsqu’elle dit que la lettre était intéressée, puisqu’il est probable que tout élément de preuve présenté par un revendicateur sera utile pour son cas et pourrait par conséquent être qualifié d’« intéressé ».

 

[28]      À la lumière de cette jurisprudence, dans les circonstances, je ne crois pas qu’il était raisonnable que l’agente accorde à cette preuve une faible valeur probante simplement parce qu’elle émanait des membres de la famille des demandeurs. L’agente aurait sans doute préféré des lettres écrites par des personnes n’ayant aucun lien avec les demandeurs et ne se souciant pas de leur bien‑être. Cependant, il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce qu’une personne n’ayant aucun lien avec les demandeurs soit en mesure de fournir ce genre de preuve à propos de ce qui est arrivé aux demandeurs au Mexique. Les membres de la famille des demandeurs ont été témoins de leur persécution alléguée, alors ce sont les personnes les mieux placées pour témoigner au sujet de ces événements. De plus, comme les membres de leur famille ont eux‑mêmes été ciblés après le départ des demandeurs, il est opportun qu’ils décrivent eux‑mêmes les événements qu’ils ont vécus. Par conséquent, il était déraisonnable que l’agente n’ajoute pas foi à cette preuve simplement parce qu’elle émanait de personnes liées aux demandeurs.

(Non souligné dans l’original.)

 

[27]           La Cour a examiné d’autres décisions dans les circonstances particulières et réitéré que des éléments de preuve ne devraient pas être écartés uniquement parce qu’ils sont intéressés. Dans un autre passage pertinent dans Ahmed, la juge Mactavish applique ce principe :

 

[32]      Cela dit, malgré les failles que montrent les conclusions de la Commission sur la valeur probante de la lettre en ce qui a trait à la nature du rôle de M. Ahmed au sein du Anjuman Hussainia, ces conclusions n’étaient pas manifestement déraisonnables. La Commission a relevé que la lettre avait été écrite longtemps après les présumés incidents, et qu’elle ne faisait état d’aucune des réalisations ou des responsabilités de M. Ahmed au sein de l’organisation Anjuman. Par ailleurs, les doutes de la Commission à propos des ennuis que connaissait M. Ahmed avec le SSP ne reposaient pas uniquement sur cette lettre. La Commission mettait en doute plusieurs aspects de sa revendication, notamment l’existence même d’un atelier de confection, et le niveau de la participation de M. Ahmed à la manifestation. Il n’était donc pas manifestement déraisonnable pour la Commission de ne pas accorder beaucoup de crédit à cette lettre.

 

[28]           De même, dans Ray c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] ACF no 927, au paragraphe 39, le juge Teitelbaum a déclaré que le fait d’accorder peu de valeur probante à des documents parce qu’ils sont intéressés constitue une erreur, mais que l’attribution d’une faible valeur probante pouvait reposer sur d’autres fondements.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[33]           Il est significatif que les déclarations en cause portaient sur l’essentiel de la demande d’asile présentée par la demanderesse et corroboraient la plus grande partie de ses dires. Bien qu’il n’appartienne pas à notre Cour de réévaluer la preuve soumise à la Commission, il incombait à cette dernière de fournir des explications raisonnables pour justifier son rejet des déclarations en question, outre les liens que la demanderesse entretenait avec les auteurs des lettres soumises en preuve, ce qui est d’autant plus le cas lorsqu’on considère qu’il était bien précisé, dans le formulaire d’examen initial de la Section de la protection des réfugiés joint à l’avis de comparution, sous la rubrique intitulée « Instructions à l’avocat/au demandeur d’asile », que la demanderesse devait fournir des [traduction] « affidavits/lettres de sa mère, de ses frères et sœurs, de son petit ami, des membres de sa famille et de ses amis » (page 39 du Dossier certifié du tribunal).

 

[34]           Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire que j’aborde les autres arguments de la demanderesse. Je signale toutefois que, bien que je sois d’accord avec la demanderesse pour dire que l’absence de preuve corroborante ne devrait pas permettre de tirer de conclusion défavorable quant à la crédibilité à défaut de réserves déjà exprimées au sujet de la crédibilité, il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce, la Commission a conclu que la demanderesse manquait aussi de crédibilité parce qu’elle n’avait pas mentionné dans son FRP que son beau‑père faisait partie du conseil traditionnel des aînés.

 

[35]           Pour tous les motifs qui ont été exposés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

LA COUR :

1.      ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire;

2.      ANNULE la décision contestée et RENVOIE l’affaire à la Commission pour qu’un tribunal différemment constitué rende une nouvelle décision;

3.      DÉCLARE qu’aucune question n’est certifiée.

 

 

« Jocelyne Gagné »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER:                                                     IMM‑7016‑12

 

INTITULÉ :                                                  BEVERLY NDJIZERA c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 30 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 5 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joo Eun Kim

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Lucan Gregory

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joo Eun Kim

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Lucan Gregory

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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