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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20130605

Dossier : T-285-12

Référence : 2013 CF 602

Ottawa (Ontario), ce 5e jour de juin 2013

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

MAURICE ARIAL (ancien combattant – décédé)

MADELEINE ARIAL (conjointe survivante)

 

Demandeurs

 

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F-7, d’une décision d’un comité de réexamen du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) du ministère des Anciens combattants (le tribunal) en date du 4 janvier 2012 selon laquelle les demandeurs furent suffisamment indemnisés des manquements commis par le ministère des Anciens combattants du Canada [ACC].

[2]          Les demandeurs veulent plus précisément que cette Cour ordonne au tribunal de renvoyer la question au ministre et cette ordonnance, disent-ils, fait suite à un jugement rendu le 8 juillet 2011 par le juge Michel Shore (Arial c Le Procureur général du Canada, 2011 CF 848 [Succession Arial]).

 

[3]          La présente demande de contrôle judiciaire ne peut être accordée pour les motifs qui suivent.

 

Faits

[4]          Le contexte factuel en l’espèce s’avère complexe à cause de la multiplicité des recours. J’estime que le résumé suivant suffira aux fins du présent contrôle judiciaire.

 

[5]          Il convient de noter que parallèlement aux procédures qui se retrouvent devant cette Cour au sujet d’une pension pour invalidité en raison de problèmes à l’estomac, les demandeurs ont mené une série de procédures au sujet d’une demande d’allocation pour soins et une demande de pension d’invalidité pour hypoacousie. La demande d’allocation pour soins a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire dont la décision, par Mme la juge Danièle Tremblay-Lamer, se trouve à Arial c Le Procureur général du Canada, 2010 CF 184. Nous ne sommes ici concernés que par la saga relative à la pension pour invalidité en raison de problèmes à l’estomac.

 

[6]          L’ancien combattant, M. Maurice Arial, est né le 8 janvier 1916. Il s’enrôle dans la Marine royale canadienne en juin 1940. De juillet 1940 à juillet 1945, à bord de différents navires, il s’occupe à la fois de l’entretien de la machinerie et de l’approvisionnement de munitions situées à la cale des navires. Il est démobilisé à la fin de la guerre. Il figure dans ses documents de service deux rapports médicaux en dates du 7 mai 1944 et du 19 février 1945. Ces derniers, d’ordre plutôt général, traitent de perte de poids, de nervosité, de fatigue et de mal de mer.

 

[7]          Le 27 décembre 1946, M. Arial épouse Mme Madeleine Arial (sa conjointe survivante). Ils eurent par la suite une fille, Mme Sonia Arial (collectivement, « les demandeurs »).

 

[8]          Le 7 mars 1996, M. Arial dépose une demande de pension d’invalidité en raison d’ulcères d’estomac. Il s’ensuit plusieurs péripéties concernant le dépôt d’un rapport médical requis par les autorités d’alors et nécessaire à la considération à donner pour l’octroi d’une telle pension. En raison de l’absence de rapport médical, le dossier de M. Arial est fermé le 27 septembre 1996. Les documents de service ne révélaient aucun problème particulier si ce n’est le mal de mer dont était affligé M. Arial.

 

[9]          Le 13 octobre 1999, M. Arial nomme sa fille en tant que représentante désignée. À cette date, celle-ci contacte l’ACC et dépose une nouvelle demande au nom de son père aux fins d’obtenir une pension au titre d’une invalidité en raison de troubles à l’estomac. Quelques jours plus tard, un agent de pension envoie un formulaire à M. Arial lui demandant le dépôt d’un rapport médical récent. Le 18 novembre 1999, Mme Sonia Arial envoie à l’agent de pension une lettre de présentation, le formulaire de demande de pension ainsi qu’une déclaration d’un certain Dr Lepage posant le diagnostic de reflux gastro oesophagien [RGO]. Ces documents indiquent entres autres que M. Arial aurait été suivi relativement à des problèmes avec son estomac depuis son retour de la guerre.

[10]      Le 29 décembre 1999, la demande de pension est rejetée. Après analyse des documents de service de M. Arial, il est conclu que ceux-ci ne révélaient « aucune affection ni condition consécutive au service militaire et aucune blessure résultant d’un accident attribuable au service ».

 

[11]      Monsieur Arial décède le 25 septembre 2005.

 

[12]      Le 19 décembre 2005, Mme Sonia Arial communique avec l’ACC et demande qu’une décision officielle soit prise concernant la demande de pension d’invalidité pour divers problèmes d’estomac acheminée en 1999. Des informations supplémentaires sont alors fournies.

 

[13]      Le 8 août 2006, l’ACC, par décision ministérielle, rejette cette demande aux motifs que les documents médicaux de service ne révélaient aucune affection et qu’aucune contestation pertinente ne fut consignée au dossier de M. Arial pendant de nombreuses années suivant la démobilisation de ce dernier. Cette décision fut contestée par Mme Sonia Arial.

 

[14]      Le 24 janvier 2007, le comité de révision du Tribunal des anciens combattants confirme la décision ministérielle du 8 août 2006. Le comité de révision concluait à l’absence de lien de causalité entre les troubles d’estomac subis par M. Arial et son service militaire. Cette décision fut également contestée par Mme Sonia Arial.

 

[15]      Le 30 octobre 2007, le comité d’appel du Tribunal des anciens combattants accorde aux demandeurs un droit à pension pour le service accompli durant la Seconde Guerre mondiale. Le comité d’appel reconnaît que M. Arial souffrait d’un ulcère duodénal récidivant depuis 1940 et que le diagnostic de RGO était la manifestation de l’existence de l’ulcère. Le comité d’appel fixait la date d’entrée en vigueur de la pension rétroactivement au 9 novembre 2005, soit la date à laquelle la demande a été considérée comme étant complète. Aucune compensation additionnelle n’était accordée.

 

[16]      Le débat auquel donne lieu la présente demande de contrôle judiciaire concerne la date du début de la pension à laquelle les demandeurs disent avoir droit. Ils ont donc contesté la date du 9 novembre 2005.

 

[17]      Le 24 juin 2008, un comité de réexamen du Tribunal des anciens combattants refuse de changer la date d’entrée en vigueur de ladite pension au motif que la demande ne fût complétée qu’à cette date aux termes du Règlement sur les compensations.

 

[18]      Cette question est entendue à nouveau devant un second comité de réexamen. Le 14 mai 2009 ce second comité de réexamen accepte qu’une demande pour l’obtention d’une pension a été faite en 1996. Ce dernier établit alors la date d’entrée en vigueur au 30 octobre 2004, soit la date précédant de trois ans la date de l’octroi de la pension, se réclamant de l’alinéa 56(1)(a.1) de la Loi sur les pensions, LRC 1985, ch P-6 (la Loi), et accorde une compensation supplémentaire de 24 mois, conformément au paragraphe 56(2) de la Loi, en raison de délais hors du contrôle des demandeurs. Ces dispositions se lisent ainsi :

  56. (1) La pension accordée par suite du décès d’un membre des forces est payable comme il suit :

 

[…]

 

a.1) dans le cas où le membre ne recevait pas, à son décès, une pension supplémentaire visée aux alinéas 21(1)a) ou (2)a) à l’égard de cette personne ou dans le cas où une pension est accordée en vertu de l’article 48, à cette personne, ou à l’égard de celle-ci, à compter de la date précédant de trois ans celle à laquelle la pension a été accordée ou, si elle est postérieure, la date de présentation initiale de la demande de pension;

 

  56. (1) Pensions awarded with respect to the death of a member of the forces shall be payable with effect as follows:

 

[…]

 

(a.1) to or in respect of the member’s survivor or child, or to the member’s parent or any person in place of a parent who was wholly or to a substantial extent maintained by the member at the time of the member’s death, if no additional pension referred to in paragraph 21(1)(a) or (2)(a) was at the time of death being paid in respect of that person or that person is awarded a pension under section 48, from the later of

(i) the day on which application for the pension was first made, and

(ii) a day three years prior to the day on which the pension was awarded with respect to the death of the member;

 

 

  56. (2) Malgré les paragraphes (1) et (1.1), s’il est d’avis que, en raison soit de retards dans l’obtention des dossiers militaires ou autres, soit d’autres difficultés administratives indépendantes de la volonté du demandeur, la pension ou l’augmentation devrait être accordée à partir d’une date antérieure, le ministre ou, dans le cadre d’une demande de révision ou d’un appel prévus par la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), le Tribunal peut accorder au pensionné une compensation supplémentaire, à concurrence d’un montant équivalant à deux années de pension ou d’augmentation.

 

  56. (2) Notwithstanding subsections (1) and (1.1), where a pension is awarded with respect to the death of a member of the forces, or an increase to that pension is awarded, and the Minister or, in the case of a review or an appeal under the Veterans Review and Appeal Board Act, the Veterans Review and Appeal Board is of the opinion that the pension or the increase, as the case may be, should be awarded from a day earlier than the day prescribed by subsection (1) or (1.1) by reason of delays in securing service or other records or other administrative difficulties beyond the control of the applicant, the Minister or Veterans Review and Appeal Board may make an additional award to the pensioner in an amount not exceeding an amount equal to two years pension or two years increase in pension, as the case may be.

 

 

Cette décision fut à son tour contestée par Mme Sonia Arial.

 

[19]      Le 2 décembre 2010, un troisième comité de réexamen rejette la demande de réexamen de Mme Sonia Arial en raison de l’absence de motifs justifiant un nouvel examen en vertu de l’article 32 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, ch 18.

 

[20]      Cette décision fit ensuite l’objet d’une demande de contrôle judicaire (Succession Arial, supra). Le juge Shore devait casser la décision du 2 décembre 2010 et renvoya le dossier à un tribunal différemment constitué.

 

[21]      Suite à la décision du juge Shore, une nouvelle audience est tenue devant le tribunal le 1er novembre 2011. Une décision est enfin rendue le 4 janvier 2012, soit la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

Contexte de la présente demande de contrôle judiciaire

[22]      Pour comprendre la décision dont on demande le contrôle judiciaire, il importe de cerner d’abord le ratio decidendi du jugement de la Cour, par M. le juge Shore, puisque cette décision dont contrôle est demandé se voulait le suivi ordonné par la Cour.

 

[23]      Partant de l’obligation qui est faite au paragraphe 81(3) de la Loi au ministre de fournir, « sur demande, un service de consultation pour aider les demandeurs ou les pensionnés en ce qui regarde l’application de la présente loi et la préparation d’une demande », le juge Shore ordonne que la question de la rétroactivité d’une pension soit examinée de nouveau. Le paragraphe 65 de la décision est instructif :

[65]     Par ailleurs, le rôle de cette Cour n’est pas de déterminer si la pension devrait être rétroactive au 7 mars 1996 ou non, mais bien de déterminer si le dossier devrait être renvoyé devant un nouveau tribunal afin que les faits et le droit soit réétudiés dans le cas où une erreur de fait ou de droit aurait été commise. Ce sera au nouveau tribunal de déterminer si la rétroactivité doit être étendue jusqu’au 7 mars 1996. Il est évident que le législateur ne légifère pas en vain; comme le législateur a prévu des obligations de renseignements pour les agents de pension de l’ACC envers les anciens combattants qui souhaitent obtenir de l’information concernant les demandes de pension, un manquement à une telle obligation ne peut pas être sans conséquence.

 

                                    (Les soulignements sont ceux du juge Shore.)

 

 

 

[24]      Ainsi, la Cour n’a pas pré-ordonné une conclusion par le comité de réexamen. Se réclamant de l’esprit de la loi, qui se veut généreuse et qui devrait être ainsi interprétée, la Cour retourne le dossier afin que les faits et le droit soient réétudiés. Le paragraphe 76 me semble capturer l’essence de la décision de cette Cour :

[76]     Le manquement de l’ACC envers monsieur Arial a résulté en une baisse de qualité de vie pour cet ancien combattant. La Cour renvoie le dossier au Tribunal des Anciens Combattants pour que celui-ci révise sa responsabilité envers la famille Arial. Ce sera au Tribunal des Anciens Combattants de déterminer à quoi un manquement important à son obligation d’information équivaut selon la loi et la jurisprudence; compte tenu du fait que la loi fait plus que proposer mais plutôt énonce une nécessité, en elle-même, « d’aider les demandeurs ou les pensionnés en ce qui regarde l’application de la présente loi et la préparation de la demande » (paragraphe 81(3) de la LP). Le Tribunal est sous l’obligation d’être fidèle à son mandat de respecter cet énoncé et ne pas le considérer que comme un ajout cosmétique de relations publiques.

 

 

 

[25]      Face à cette ordonnance, le tribunal a examiné la question de la date à laquelle la pension devrait être payée à la lumière du droit et des faits. Dans sa décision, le tribunal se déclare incapable de faire mieux que la décision ultime déjà rendue. La pension peut être payée à compter du 30 octobre 2004, soit trois ans avant la date de la décision d’accorder une pension. Une compensation additionnelle de 24 mois est accordée en vertu du paragraphe 56(2) de la Loi.

 

[26]      Essentiellement, le tribunal s’est soumis à la décision de cette Cour, pour conclure que, se conformant aux textes de loi par ailleurs clairs, il confirme la décision antérieure.

 

Développements depuis la décision dont contrôle judiciaire est demandé

[27]      De fait, les demandeurs ont abandonné, à bon droit selon moi, leur demande selon laquelle le tribunal aurait dû ordonner le paiement d’une pension avant le 30 octobre 2004. Tant l’article 39 de la Loi que l’article 56 sont sans ambiguïté. Leur effet est de limiter la responsabilité pour le paiement d’une pension. J’ai reproduit plus tôt l’article 56. Pour faciliter la consultation, je reproduis ici le paragraphe 39(1) :

  39. (1) Le paiement d’une pension accordée pour invalidité prend effet à partir de celle des dates suivantes qui est postérieure à l’autre :

 

a) la date à laquelle une demande à cette fin a été présentée en premier lieu;

 

b) une date précédant de trois ans la date à laquelle la pension a été accordée au pensionné.

 

  39. (1) A pension awarded for disability shall be made payable from the later of

 

(a) the day on which application therefor was first made, and

 

(b) a day three years prior to the day on which the pension was awarded to the pensioner.

 

 

Le législateur a limité la responsabilité de l’État en utilisant des textes équivalents qui ont le même effet.

 

[28]      Par conséquent, la concession faite par les demandeurs est reçue, la Cour en prend acte et la décision du tribunal à cet égard est inattaquable. Je reproduis le paragraphe 55 du mémoire des demandeurs :

Les demandeurs n’insistent plus sur le premier remède. Une interprétation stricte de la Loi mène à la conclusion que malgré les manquements des agents de l’ACC envers monsieur et madame Arial, la Loi ne permet pas une allocation rétroactive remontant plus que trois ans, à laquelle on peut rajouter une compensation additionnelle de deux ans, chose faite.

 

Il est donc convenu que le tribunal a accordé aux demandeurs le maximum qui était prévu par la Loi.

 

La demande spécifique devant la Cour

[29]      Les demandeurs se rabattent plutôt sur l’article 85 de la Loi. Ils prétendent que leur préjudice provenant d’un défaut de fournir assistance aux demandeurs est quantifiable et qu’il pourrait être compensé si seulement l’affaire était référée au ministre. Ils invoquent le paragraphe 85(1) qui se lit :

  85. (1) Le ministre ne peut étudier une demande de compensation déjà jugée par le Tribunal ou un de ses prédécesseurs — le Tribunal d’appel des anciens combattants, un comité d’évaluation, un comité d’examen ou le Conseil de révision des pensions — que si le demandeur a obtenu l’autorisation du Tribunal ou si celui-ci lui a renvoyé la demande pour réexamen.

 

 

  85. (1) The Minister may not consider an application for an award that has already been the subject of a determination by the Veterans Review and Appeal Board or one of its predecessors (the Veterans Appeal Board, the Pension Review Board, an Assessment Board or an Entitlement Board) unless

 

(a) the applicant has obtained the permission of the Veterans Review and Appeal Board; or

 

(b) the Veterans Review and Appeal Board has referred the application to the Minister for reconsideration.

 

 

Analyse

[30]      La solution proposée par les demandeurs se bute à un obstacle majeur : la Loi. Comme on vient de le voir, la Loi limite expressément la responsabilité quant aux paiements de pension. À moins que ladite disposition ne soit inconstitutionnelle, elle doit recevoir son application.

 

[31]      Dans Authorson c Canada (Procureur général), [2003] 2 RCS 40, c’était la Loi sur le ministère des Anciens combattants qui avait été amendée. Des amendements étaient entrés en vigueur en janvier 1990 pour limiter la responsabilité de l’État quant aux intérêts payés, relativement à des pensions payées à des anciens combattants invalides, sur les sommes détenues par l’État à compter de cette date. Il en résultait qu’aucun intérêt n’était payable avant cette date.

 

[32]      La Cour suprême du Canada devait conclure que la Déclaration canadienne des droits, LRC 1985, app. III, ne peut faire échec à une disposition législative, même lorsqu’elle est expropriatrice. Il suffira de reproduire le paragraphe 62 de la décision :

     Des décennies d’intérêts sur leurs pensions et allocations sont dues à l’intimé et aux anciens combattants invalides qu’il représente. L’État ne conteste pas ces conclusions. Le législateur a toutefois décidé, pour des raisons qu’il n’a pas dévoilées, de refuser en toute légalité ces intérêts – dus en vertu de la common law, de l’equity ou d’une fiducie – aux anciens combattants envers lesquels l’État avait néanmoins une obligation de fiduciaire. Les garanties d’application régulière de la loi quant à la jouissance des biens, établies dans la Déclaration canadienne des droits, ne confèrent pas de droits procéduraux relativement au processus législatif. Elles confèrent certains droits à un préavis et à la possibilité de présenter des observations dans le cadre d’un processus juridictionnel portant sur les droits et obligations d’un individu, mais de tels droits ne sont pas en cause dans le présent pourvoi.

 

 

 

[33]      On voit mal comment le ministre pourrait faire plus aux termes de la Loi que ce qui est permis en vertu de cette même Loi. Or, ce qui a été octroyé aux demandeurs, soit une pension rétroactive au 30 octobre 2004 et une compensation additionnelle de 24 mois, est le maximum que la Loi permette. L’article 85 est lui-même très circonscrit. La juridiction conférée au ministre ne peut avoir lieu que dans le cas où une demande de compensation a déjà été jugée par le tribunal. Ce tribunal, une création statutaire, n’a de juridiction qu’en matière de pension. Si tant est qu’il y a eu faute qui pourrait donner lieu à compensation parce que l’assistance dont se réclament les demandeurs aurait fait défaut, il ne pourrait s’agir de la compensation dont traite l’article 85.

 

[34]      Une disposition comme l’article 85 ne peut être lue comme permettant à un ministre de faire comme bon lui semble, comme si la Loi n’existait pas par ailleurs. Le législateur a choisi de limiter la responsabilité de l’État quant aux paiements de pension dans une loi qui traite de pensions. Le pouvoir de l’article 85 doit se lire en fonction de cette limite expresse. Le texte de l’article 85 ne saurait être interprété comme donnant au ministre le pouvoir extravagant de passer outre à la Loi, comme d’offrir une compensation pour une faute alléguée que le tribunal même ne peut pas considérer. Le texte même du paragraphe 56(2) semble viser la situation en l’espèce et le tribunal a déjà accordé le maximum de ce que la Loi prévoit pour ces cas.

 

[35]      De fait, la Loi limite expressément le pouvoir du ministre qu’à l’étude d’une demande de compensation, ce terme étant défini comme « pension, indemnité, allocation ou boni payable en vertu de la présente loi » (j’ai souligné). Tant les termes « pension » qu’« indemnité » sont aussi définis à la Loi. Avec égards, le pouvoir du ministre est très circonscrit et il est fort douteux qu’il pourrait se réclamer de cet article pour dépasser ce que la Loi a prévu de façon aussi expresse. Qui plus est, je vois mal comment le tribunal pourrait envoyer au ministre ce qu’il n’est pas habilité à traiter lui-même. Il faut que la demande en soit une de compensation, ce terme étant lui-même défini et limité par la Loi. C’est de deux choses l’une : ou bien la faute est de l’ordre de ce qui est décrit au paragraphe 56(2) et la Loi établit son propre remède, ou la faute est d’un autre ordre et nous sommes alors en matière de responsabilité civile où le tribunal n’a aucune juridiction.

 

[36]      Quoi qu’il en soit, la Cour n’est saisie de cette affaire que pour contrôler la décision prise par le tribunal de ne pas référer l’affaire au ministre. Non seulement la décision du tribunal se conforme au jugement de cette Cour qui lui ordonnait d’examiner l’affaire à nouveau, mais le tribunal a confirmé ce qui est maintenant admis par les demandeurs, à savoir que la Loi ne permet pas au tribunal d’aller plus loin que la Loi permet quant à la date à laquelle une pension peut être payée.

 

[37]      Quant au pouvoir conféré à l’article 85, il n’en était pas question au jugement du juge Shore. Le rejet de cette possibilité par le tribunal procède à mon avis de la décision raisonnable, la norme de contrôle applicable à une décision discrétionnaire relevant directement du tribunal administratif ayant l’expertise en la matière. Le refus de se prévaloir de l’article 85 était tout à fait raisonnable; à mon avis, il était nécessaire puisque la Loi prévoit le remède possible dans la situation des demandeurs. Si une autre faute a été commise, autre qu’une difficulté administrative indépendante de la volonté des demandeurs (paragraphes 39(2) et 56(2) de la Loi), il faudra un autre forum pour adjuger, celui-ci ne relevant ni du tribunal, ni du ministre. Malgré la sympathie que la Cour éprouve pour les demandeurs, le paragraphe 56(2) de la Loi est une barrière infranchissable à leur demande de contrôle judiciaire.

 

[38]      Conséquemment, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans frais.

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision d’un comité de réexamen du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) du ministère des Anciens combattants rendue le 4 janvier 2012 est rejetée, sans frais.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-285-12

 

INTITULÉ :                                      MAURICE ARIAL (ancien combattant – décédé) et MADELEINE ARIAL (conjointe survivante) c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 27 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Roy

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 5 juin 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Jean-Marie Fontaine                     POUR LES DEMANDEURS

 

Me Marieke Bouchard                       POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BORDEN LADNER GERVAIS s.e.n.c.r.l., s.r.l.     POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

 

William F. Pentney                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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