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Date : 20130502

Dossier : T-1683-12

Référence : 2013 CF 460

[traduction FRANÇAISE certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2013

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

JAMES QUANN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le Tribunal) datée du 8 août 2012, par laquelle le Tribunal a confirmé la décision datée du 15 septembre 2011 du Comité d’appel du Tribunal, et refusé le droit à pension du demandeur relativement à la blessure qu’il a subie au genou gauche.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je ferai droit à la présente demande. L’affaire sera renvoyée au Tribunal pour qu’une autre formation du Comité rende une nouvelle décision.

 

[3]               Le demandeur est un ancien combattant des Forces armées canadiennes. Il a servi dans la Marine pendant vingt et un (21) ans, du 21 mars 1984 au 20 février 2005, dont trois mois de service au début de 1991 dans le golfe Persique. Il a travaillé comme agent des communications navales et ses tâches comportaient de longues périodes de temps en mer pendant lesquelles il devait monter des mâts et des escaliers, portant parfois des objets lourds. De plus, le demandeur a participé à des programmes d’exercices physiques et à des sports approuvés par les Forces armées.

 

[4]               En 1998, pendant qu’il était en service dans la Marine, le demandeur a subi une blessure au genou droit pendant une partie de volley‑ball. Cette blessure a nécessité une chirurgie et de la réadaptation. Le demandeur continue de recevoir des indemnités pour cette blessure.

 

[5]               Le demandeur demande maintenant une pension d’invalidité relativement à son genou gauche. Il affirme que son genou gauche a commencé à le faire souffrir environ à la même période que sa blessure au genou droit. Le dossier de la « revue des malades » contient une inscription datée du 23 novembre 1998 qui fait état de douleurs au genou droit ainsi qu’au genou gauche.

 

[6]               Une inscription, datée du 7 janvier 2004, relative à l’état de santé du genou gauche du demandeur figure dans le dossier de la « revue des malades ». En voici des extraits :

 

[traduction]

Inconfort au genou gauche […] foulé pendant qu’il jouait avec des enfants (+) inconfort, œdème à (?) base en ce moment, type I

 

[…]

 

Douleur la soirée dernière 9/10, ce matin 7/10, glace/chaleur appliquée constamment tout au long de la nuit, incapable de dormir, a pris de l’Advil pour se soulager, douleur insoutenable (?), antibiotiques, lentement, le genou a lâché pendant qu’il marchait, une fois la soirée dernière, ne bloque pas, etc.

 

[7]               Une note de triage, datée du 21 janvier 2005, versée dans le dossier du demandeur contient l’inscription suivante, dont certains extraits ne peuvent pas être décryptés :

 

[traduction]

Note de triage :

 

Homme de 43 ans se plaignant d’une douleur dans le genou gauche qui s’est aggravée depuis 10 jours – […] motif de consultation : homme de 43 ans avec douleur genou gauche x 2-3 mois, mais douleur accrue x 2 sem.

 

[…]: Ø […] de lésion ou trauma du genou gauche, peu de sports. A eu une déchirure du ménisque droit il y a quelques années et scopie et dit qu’il souffre maintenant d’une douleur similaire dans le genou gauche. Ressent de la douleur à la fin de la journée à force d’avoir été debout toute la journée. A essayé Motrin, mais pas de soulagement. Patient en processus de congé et a oublié de mentionner sa douleur au genou pendant l’examen médical.

 

Examen : Genou gauche – Ø douleur à la palpation du tendon de la rotule jusqu’à l’extension du pied. Légère crépitation à […] – extension et flexion. Ø douleur à la palpation des régions latérales et médiales […] Dit ressentir de la douleur derrière la rotule lorsqu’il marche. Réflexes bilatéraux égaux jambes G et D, pouls pédieux bilatéraux égaux. Ø douleur irradiante, Ø œdème des membres inférieurs : bursite, syndrome rotulien? Genou gauche

 

Plan : Adresser au médecin

Comme ci-dessus – Ø […] […] dérobement

 

[8]               En août 2005, le demandeur a subi une opération au genou gauche pour réparer ce qui a été décrit comme étant une déchirure en anse de seau de son ménisque latéral gauche. Le Dr Connelly, le chirurgien qui a effectué l’opération, a rédigé le rapport d’opération suivant, le 28 juillet 2005 :

 

 

[traduction]

Opération : arthroscopie du genou gauche, méniscectomie latérale gauche

 

Intervention : (28 juillet 2005) Cet homme a subi une blessure au genou il y a quelque temps. Il a de la douleur, un blocage du genou et une sensibilité dans la ligne articulaire latérale et a été admis pour une arthroscopie.

Sous anesthésie générale et contrôle par garrot, le genou gauche a été désinfecté à l’aide de Bridine et recouvert d’un champ stérile. Aucune laxité ligamentaire n’a été observée. Incision a été pratiquée au-dessus du tubercule de Gerdy. L’arthroscope a été introduit. Il y avait une quantité minime de liquide articulaire. Le genou a été gonflé à l’aide de sérum physiologique. La bourse suprapatellaire était normale. L’articulation fémoro-patellaire était essentiellement normale. Le compartiment médial présentait une dégénérescence de grade I-II dans le condyle fémoral médial. Le ménisque était intact. Le ligament cruciforme antérieur était intact. Latéralement, il y avait une déchirure en anse de seau du ménisque latéral, qui était déplacé, et il y avait une fissure radiale dans la plus grande partie du ménisque et beaucoup d’effilochage, ce qui a empêché toute réparation chirurgicale. À l’aide du rasoir motorisé et d’instruments manuels introduits par voies antéromédiale et antérolatérale, le cartilage instable du ménisque a été retiré du compartiment latéral. Le genou a été irrigué et drainé. Les incisions ont été refermées à l’aide de bandes Steri-strip. Un bandage compressif stérile a été appliqué. Lorsque le garrot a été retiré, il y a eu une bonne irrigation sanguine au pied. Il n’y a eu ni bris d’asepsie ni complication peropératoire. Éponge et instrument […]

 

[9]               Le 25 août 2005, le Dr Connelly a rédigé un rapport de suivi d’opération :

 

[traduction]

J’ai reçu en consultation M. Quann après un débridement arthroscopique et une excision de la déchirure en anse de seau du ménisque latéral gauche de son genou gauche. La douleur est encore assez forte, mais l’amplitude des mouvements est complète. Il continuera à suivre son traitement et je le verrai au besoin. Il souffrira fort probablement d’arthrite du genou à longue échéance.

 

[10]           Lorsqu’il a présenté une demande d’indemnité pour invalidité relativement à son genou gauche, le demandeur a fait la déclaration suivante quant à l’incidence que l’état de santé de son genou gauche avait sur son service militaire :

 

[traduction]

Je me suis blessé au genou gauche pendant mon séjour en mer, plus précisément dans le golfe Persique. L’effet du déplacement du navire et l’utilisation très fréquente des échelles provoquaient une douleur constante dans mes genoux. Je pratiquais aussi de nombreux sports (organisés) tels que le volleyball, le hockey, le baseball, etc. Nous devions aussi faire des exercices en mer afin de maintenir la condition physique qu’un militaire doit avoir. Je passais en moyenne 18 heures par jour debout lorsque j’étais en mer.

 

[11]           Le 15 mai 2007, le médecin de famille du demandeur, le Dr Killeen, a écrit une lettre à Anciens Combattants Canada dans laquelle il déclarait :

 

[traduction]

Faisant référence à votre note du 26 avril 2007 relative au patient susmentionné, j’ai examiné les notes que vous m’avez envoyées. J’ai aussi examiné les notes du Dr Peter Connelly, le chirurgien orthopédique qui a effectué un débridement par arthroscopie au genou de M. Quann le 24 août 2005.

 

Ce patient a des antécédents de blessures à son genou dont je ne suis pas certain de la date. Il souffre d’une déchirure en anse de seau du ménisque latéral dans son genou gauche. Cette déchirure a été réparée par le Dr Connelly. Compte tenu de ses antécédents, ce genre de blessures peut subvenir à n’importe quel moment, mais elle se produit souvent lorsque l’on fait du sport, et aussi lorsqu’on monte des échelles ou qu’on en descend. Habituellement, une blessure se produit et le patient s’en aperçoit généralement, et ensuite la déchirure s’aggrave. Ainsi, il est possible que la blessure ait été causée ou aggravée par des tâches accomplies par le patient.

 

[12]           Le 10 septembre 2008, le Dr Connelly, le chirurgien qui a effectué l’opération au genou gauche du demandeur, a écrit ce qui suit au Bureau de services juridiques des pensions :

 

            [traduction]

Je vous remercie pour votre lettre du 18 août 2008 dans laquelle vous demandiez des renseignements supplémentaires sur Jamie Quann. Il est évident que vous avez les renseignements que j’ai rédigés à son sujet, je tenterai donc de répondre à vos questions.

 

Le 26 juillet 2005, il m’a dit que son genou gauche le faisait souffrir depuis deux ans et que cela s’aggravait. Il n’y avait pas d’antécédents de blessure. Cela a causé une diminution de la capacité de porter des poids, des blocages, des bruits, des œdèmes et de la douleur avec une diminution de la force et de la douleur dans les échelles. Je n’ai aucune idée du moment où la déchirure en anse de seau a eu lieu. Je m’excuse pour les coquilles contenues dans le rapport d’opération. La déchirure en anse de seau du ménisque latéral a été déplacée et il y avait une déchirure radiale dans la majorité du ménisque. Les dommages au ménisque sont graves s’il y a une déchirure en anse de seau, même si cela peut survenir avec une blessure par torsion et avec des accroupissements et des agenouillements. La déchirure radiale est simplement une aggravation de ce qui précède. Cette blessure aurait pu se produire à n’importe quel moment durant son service militaire, en particulier en mer. Une fois que la blessure s’est produite, elle peut certainement être aggravée par des activités physiques telles que se tenir debout sur un pont balloté par les flots, monter des échelles et s’accroupir.

 

J’espère que ces renseignements vous satisfont.

 

[13]           Le 24 mars 2010, le Dr Connelly a écrit au Dr Killeen; il déclarait ce qui suit :

 

[traduction]

La dernière fois que j’ai vu Jamie en 2005, j’ai pratiqué une arthroscopie de son genou gauche en raison d’une déchirure en anse de seau. En août 2008, j’ai reçu une lettre de Susan E. Ruttan, du Bureau de services juridiques des pensions, district de Victoria, à laquelle j’ai répondu. Elle me demandait s’il y avait un lien quelconque entre l’ancienne blessure au genou droit de Jamie et sa plus récente blessure au genou gauche. Il peut certainement y avoir un lien après que quelqu’un a été blessé en mer, et Jamie affirme que ses genoux le faisaient souffrir avant même qu’il subisse une opération au genou droit.

 

Les deux genoux sont douloureux en ce moment et présentent des œdèmes et le genou droit se dérobe. Malheureusement, il n’a jamais passé de radiographie, j’en ai donc demandé aujourd’hui. Lorsque j’ai réalisé l’arthroscopie de son genou gauche il y a près de cinq ans, j’ai observé le début d’une dégénérescence dans le compartiment médial. Elle a probablement progressé depuis, et je m’attends à ce que le patient souffre davantage d’arthrite dans le genou droit.

 

La ligne articulaire latérale du genou droit et la ligne articulaire médiale du genou gauche sont sensibles. Une douleur est présente à l’extension forcée et à la manipulation, mais il n’y a pas de laxité. L’état neurovasculaire des jambes est normal. Le patient a de la difficulté à s’accroupir et à s’agenouiller, et une crépitation et de la douleur se manifestent pendant ces activités. Il a dû abandonner le hockey et le baseball.

 

Avec les antécédents de douleur dans les deux genoux avant qu’il subisse une chirurgie, son travail a certainement pu provoquer les lésions susmentionnées. Il n’y a aucun moyen de prouver que les symptômes au genou gauche résultent d’une compensation à cause des dommages au genou droit, mais cela s’observe assez fréquemment. Comme la blessure au genou gauche s’est produite pendant son service, elle ouvre probablement droit à pension, tout comme celle au genou droit.

 

[14]           En décembre 2008, le demandeur a présenté une demande de pension relativement à l’arthrite dans son genou gauche. En juin 2010, il a aussi présenté une demande de pension relativement à l’arthrite dans son genou gauche comme une conséquence de l’affection intra‑articulaire du genou droit liée à son service. Le 16 octobre 2009, Anciens Combattants Canada (le ministère) a refusé la première demande; et le 10 juin 2010, le ministère a refusé la deuxième demande.

 

[15]           Le demandeur a interjeté appel des deux décisions au Comité de révision des décisions relatives à l’admissibilité qui a confirmé les décisions du ministère le 5 janvier 2011. Le demandeur a interjeté appel de cette décision au Comité d’appel du Tribunal. Le 15 septembre 2011, ce dernier a confirmé la décision rendue par le Comité de révision des décisions relatives à l’admissibilité. Le 25 novembre 2011, le demandeur a présenté une demande de réexamen de la décision du Comité d’appel au Comité de réexamen.

 

[16]           Le Comité de réexamen a rendu sa décision le 10 août 2012, laquelle confirmait les décisions précédentes de refus d’accorder une pension d’invalidité relativement au genou gauche du demandeur. C’est cette décision qui est contestée.

 

[17]           Le Comité de réexamen a révisé les décisions précédentes, et il s’est référé en particulier aux extraits de la lettre du Dr Killeen datée du 15 mai 2007, et à la lettre du Dr Connelly datée du 10 septembre 2010. En ce qui concerne ces lettres, le Comité a écrit ce qui suit :

 

[traduction]

Lorsqu’il apprécie la crédibilité de la preuve médicale, le Comité examine trois facteurs importants, le premier étant les qualifications des experts médicaux. Comme deuxième facteur, le Comité examine si oui ou non les renseignements auxquels l’expert avait accès pour se faire une opinion étaient raisonnablement exacts et complets. Comme troisième facteur, le Comité apprécie la crédibilité de l’opinion. L’appréciation reposerait normalement sur l’opinion du Comité à savoir si oui ou non la conclusion de l’expert semble découler logiquement des faits, savoir si oui ou non l’expert a envisagé tous les facteurs pertinents, et savoir si oui ou non il peut être dit que l’opinion reflète le consensus médical établi au moyen d’une étude scientifique quant au problème de santé visé.

 

L’opinion, qui n’a pas besoin d’être très longue, sera considérée comme crédible si elle comporte les trois éléments suivants : les faits ou les antécédents sont exacts et complets, c.‑à‑d. que ce sont les mêmes faits qui ressortent des autres éléments de preuve; la conclusion est logique en ce sens qu’elle découle logiquement des faits; et, l’expert a fourni une explication raisonnable quant à la façon dont il a tiré la conclusion à partir des faits.

 

De plus, lorsque l’opinion est présentée comme preuve, elle devrait être accompagnée de toute correspondance ou communication par lesquelles elle a été élaborée.

 

Le Comité appréciera la crédibilité des deux opinions médicales, en commençant par celle du Dr Killeen datée du 15 mai 2007. Le Comité relève que l’opinion, présentée sous forme de lettre brève, a été émise en réponse à une demande de D. Hart du Bureau de services juridiques des pensions. Dans sa lettre du 26 avril 2007, Mme Hart indique qu’elle joint des dossiers personnels et un énoncé de travail. Elle n’indique pas si elle joint quelque renseignement que ce soit relatif aux antécédents médicaux du demandeur. Dans sa lettre, le Dr Killeen indique qu’il a révisé les notes envoyées par Mme Hart, ainsi que les notes du chirurgien orthopédique, le Dr Connelly, qui a effectué un débridement arthroscopique du genou gauche du demandeur le 24 août 2005. Il mentionne ce qui suit :

 

 

[…] Ce patient a des antécédents de blessures à son genou dont je ne suis pas certain de la date. Il souffre d’une déchirure en anse de seau du ménisque latéral dans son genou gauche. Cette déchirure a été réparée par le Dr Connelly […].

 

Le Dr Killeen continue en écrivant [traduction] « il est possible que la blessure ait été causée ou aggravée par ses tâches. »

 

Le Comité conclut que l’opinion du Dr Killeen n’est pas suffisante pour faire pencher le bénéfice du doute en faveur du demandeur, et ce, pour les raisons qui suivent :

 

                     le Comité ne remet pas en cause les connaissances du Dr Killeen sur l’état de santé général du demandeur, mais il n’y a pas d’élément de preuve donnant à entendre qu’il est un spécialiste dans le domaine de la chirurgie orthopédique;

 

                     le Dr Killeen n’a apparemment pas eu accès aux antécédents médicaux complets du demandeur, et ainsi, sa conclusion d’un lien possible avec le service militaire peut ne pas reposer sur l’ensemble des faits;

 

                     l’opinion du Dr Killeen soulève seulement la possibilité que l’état de santé allégué ait été causé ou aggravé par le service militaire.

 

En ce qui concerne l’opinion médicale donnée par le Dr Connelly le 10 septembre 2008, le Comité reconnaît qu’il est un chirurgien orthopédique, et qu’il a donc toutes les compétences pour formuler une opinion sur ce qui peut avoir causé la blessure, une déchirure en anse de seau au ménisque latéral gauche du genou gauche. Dans sa brève lettre au Bureau de services juridiques des pensions, le Dr Connelly déclare qu’il n’y a pas d’antécédents de blessure. Il dit qu’il n’a aucune idée de moment où la déchirure s’est produite, même si le dommage était important. Il déclare que la déchirure « peut se produire à la suite d’une blessure par torsion et à la suite d’accroupissements et d’agenouillements. » Comme il ressort des observations formulées aux services juridiques, le Dr Connelly est d’avis que la lésion a pu se produire durant le service, en particulier en mer.

 

Le Comité conclut que l’opinion du Dr Connelly n’est pas suffisante pour faire pencher le bénéfice du doute en faveur du demandeur, et ce, pour les raisons qui suivent :

 

         la déclaration selon laquelle l’arthrite du genou gauche est attribuable au service militaire n’est étayée par aucune analyse convaincante ou, en d’autres termes, elle ne découle pas logiquement des faits;

 

         Le Dr Connelly, comme le Dr Killeen, soulève seulement la possibilité d’un lien entre le problème de santé allégué et le service militaire.

 

Enfin, lorsque les éléments de preuve sont pris dans leur ensemble, ils n’établissent pas que les critères relatifs au traumatisme cumulatif des articulations contenus dans les Lignes directrices sur l’admissibilité au droit à pension ont été satisfaits. Comme il est mentionné dans la décision du Comité de révision, les éléments de preuve n’établissent pas que dans le cours des activités physiques du demandeur et de ses tâches normales sur les navires et en mer, celui‑ci a suffisamment subi de traumatismes articulaires pour satisfaire aux exigences des Lignes directrices.

 

Le Comité confirme la décision du Comité d’appel de l’admissibilité datée du 15 septembre 2011 et refuse le droit à pension.

 

[18]           Le Comité n’a fait aucune référence aux inscriptions figurant dans la « revue des malades », ni à la déclaration faite par le demandeur dans sa demande d’invalidité, ni aux deux rapports du Dr Connelly, ni à sa lettre du 24 mars 2010, ni au rapport de la revue des malades et ni au rapport du triage.

 

FAITS ACCEPTÉS ET NON CONTESTÉS

[19]           Si je me fie au mémoire des arguments déposé par les parties et aux observations formulées par les avocats à l’audience, les faits suivants ne sont pas contestés :

 

                     le demandeur a servi dans les Forces armées canadiennes du 21 mars 1984 au 20 février 1985;

 

                     le demandeur a servi dans la Marine, il a passé beaucoup de temps en mer, et il devait monter des escaliers et des mâts, portant parfois des charges;

 

                     le demandeur a subi une blessure à son genou droit en 1999 pour laquelle il reçoit une indemnisation;

 

                     à la fin de 2004, alors qu’il n’accomplissait aucune tâche militaire, le demandeur s’est blessé au genou gauche pendant qu’il jouait [traduction] « avec des enfants »;

 

                     le demandeur a subi une opération au genou gauche en juillet 2005, après qu’il eut quitté les Forces armées;

 

                     le demandeur souffre d’arthrite au genou gauche et il en sera ainsi pour le reste de sa vie.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[20]           Le demandeur déclare qu’il y a trois questions en litige; le défendeur déclare qu’il y en a seulement deux – les deux premières ci‑dessous. Les trois questions en litige sont les suivantes :

 

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

2.                  La décision du 10 août 2012 était‑elle erronée eu égard à la norme de contrôle applicable?

 

3.                  Le Comité a‑t‑il correctement apprécié la preuve eu égard à l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel)?

 

1.  Quelle est la norme de contrôle applicable?

[21]           Les deux parties s’entendent sur le fait que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Toutefois, lorsque le Tribunal a commis une erreur de droit, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

 

  1. La décision du 10 août 2012 était‑elle erronée eu égard à la norme de contrôle applicable?

 

[22]           La question à laquelle il faut répondre est simple :

 

La blessure au genou gauche du demandeur a‑t‑elle été causée ou aggravée par les tâches qu’il accomplissait pendant qu’il était au sein des Forces armées, auquel cas il devrait être indemnisé; ou a‑t‑elle été causée par des activités auxquelles il s’est livré en dehors de ses tâches, à savoir, pendant qu’il jouait [traduction] « avec des enfants », auquel cas elle n’est pas indemnisable.

 

[23]           Les éléments de preuve à cet égard sont les suivants :

 

                     Les rapports de la revue des malades et du triage de la période 1998 à 1999, dans lesquels on faisait mention de douleurs et d’œdèmes au genou gauche;

 

                     La lettre du médecin de famille du demandeur, le Dr Killeen, qui mentionne ce qui suit :

 

[traduction]

« [I]l est possible que la blessure ait été causée ou aggravée par les tâches accomplies par le patient. »

 

                     La lettre du 10 septembre 2008 du chirurgien qui a effectué l’opération, le Dr Connelly, qui mentionne entre autres ce qui suit :

 

[traduction]

« Le 26 juillet 2005, il m’a dit que son genou gauche le faisait souffrir depuis deux ans et que cela s’aggravait. Il n’y avait pas d’antécédents de blessure. […] La blessure aurait pu se produire à n’importe quel moment durant son service militaire, en particulier en mer. Une fois que la blessure s’est produite, elle peut certainement être aggravée par des activités physiques telles que se tenir debout sur un pont balloté par les flots, monter des échelles et s’accroupir ».

 

                     La lettre du 24 mars 2010 du Dr Connelly qui mentionne entre autres ce qui suit :

 

[traduction]

« Avec les antécédents de douleur dans les deux genoux avant qu’il ne subisse une chirurgie, son travail a certainement pu provoquer les lésions susmentionnées. Il n’y a aucun moyen de prouver que les symptômes au genou gauche résultent d’une compensation à cause des dommages au genou droit, mais cela s’observe assez fréquemment ».

 

[24]           Il n’y a pas d’élément de preuve contestant les opinions des Drs Killeen et Connelly. Les Forces armées auraient pu examiner le genou et les dossiers médicaux du demandeur. Ils ne l’ont pas fait. En d’autres termes, les opinions des Drs Killeen et Connelly ne sont pas contredites.

 

[25]           Que disent ces opinions? Le Dr Killeen déclare qu’il est [traduction] « possible que la blessure ait été causée ou aggravée par les tâches accomplies par le patient ». Le Dr Connelly déclare que [traduction] « [le] travail [du demandeur] a certainement pu provoquer » les lésions. Aucune des opinions n’affirme que l’emploi du demandeur a bel et bien mené à la blessure; seulement qu’il peut ou qu’il est possible qu’il ait mené à la blessure.

 

[26]           En ce qui concerne ce que le Tribunal a dit à propos de cette preuve, il a traité la preuve comme une question de [traduction] « crédibilité ». Son opinion commence à la page 9 où il déclare :

 

[traduction]

« Lorsqu’il apprécie la crédibilité de la preuve médicale […] »

 

et plus bas à la page 9 :

[traduction]

« Le Comité appréciera la crédibilité des deux opinions médicales ».

 

[27]           À la page 10, en ce qui concerne les éléments de preuve émanant des Drs Killeen et Connelly, le Tribunal dit qu’ils ne sont pas :

 

[traduction]

« …suffisant[s] pour faire pencher le bénéfice du doute ».

 

[28]           Le Tribunal a confondu la crédibilité avec la suffisance. La crédibilité consiste à savoir si on peut croire la preuve. Le dictionnaire Black’s Law, 8éd mentionne ce qui suit :

 

[traduction]

« Crédibilité, n. La qualité qui fait qu’une chose ou une personne (comme un témoin ou de la preuve) mérite d’être crue ».

 

[29]           Il n’y a rien dans le dossier qui mènerait ou aurait dû mener le Tribunal à douter de la crédibilité du Dr Killeen ou du Dr Connelly. Il faut les croire lorsqu’ils disent que la blessure pouvait avoir été causée ou aggravée ou a possiblement été causée ou aggravée par le service militaire du demandeur.

 

[30]           La question qui se pose est de savoir si leurs opinions selon lesquelles il était [traduction] « possible » que la blessure [traduction] « ait été » causée ou aggravée durant le service du demandeur étaient suffisantes pour étayer une demande d’indemnité.

 

[31]           Un tribunal de droit commun aurait conclu que cette preuve, bien que crédible, était insuffisante pour étayer la demande. Toutefois, en l’espèce, les circonstances sont différentes en raison des dispositions de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18. En particulier, je me réfère à l’article 3, et aux alinéas 39a), b) et c) :

 

3. Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

 

[. . .]

 

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

 

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

 

3. The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

. . .

 

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

 

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

 

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

 

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

 

[32]           Dans l’arrêt Wannamaker c Canada (Procureur général), 2007 CAF 126, la Cour d’appel fédérale a formulé des directives sur la façon dont l’article 39 devait être appliqué dans l’appréciation d’une telle preuve. La juge Sharlow, s’exprimant au nom de la Cour, a écrit ce qui suit, aux paragraphes 5 et 6 :

 

5          L’article 39 assure que la preuve au soutien de la demande de pension est examinée sous le jour lui étant le plus favorable possible. Toutefois, l’article 39 ne dispense le demandeur de la charge d’établir par prépondérance de la preuve les faits nécessaires pour ouvrir droit à une pension : Wood c. Canada (Procureur général) (2001), 199 F.T.R. 133 (C.F. 1re inst.), Cundell c. Canada (Procureur général) (2000), 180 F.T.R. 193 (C.F. 1re inst.).

 

6          L’article 39 n’oblige pas non plus le Tribunal à admettre toute la preuve présentée par le demandeur. Le Tribunal n’a pas l’obligation d’accepter des éléments de preuve présentés par le demandeur s’il conclut qu’ils ne sont pas crédibles, et ce, même s’ils ne sont pas contredits. Par contre, il se peut que le Tribunal doive expliquer la raison pour laquelle il conclut que les éléments de preuve ne sont pas crédibles : MacDonald c. Canada (Procureur général) (1999), 164 F.T.R. 42, aux paragraphes 22 et 29. La preuve est crédible si elle est plausible, fiable et logiquement capable d’établir la preuve du fait en question.

 

[33]           Ainsi, alors qu’elle discute de l’obligation de vérifier si la preuve est crédible, la Cour dit au Tribunal que la preuve est crédible si elle est plausible, fiable et logiquement capable d’établir la preuve du fait en question. La question devient donc de déterminer si cela est suffisant.

 

[34]           En l’espèce, la question est de savoir si la blessure au genou gauche du demandeur a été causée ou aggravée durant son service militaire. Selon la preuve, il est possible que cela fut le cas. Est-ce suffisant?

 

[35]           La juge Bédard, de la Cour, a récemment rendu une décision dans Leroux c Canada (Procureur général), 2012 CF 869, dans laquelle elle discutait du fardeau de la preuve dans des causes comme la présente espèce. Elle écrit ce qui suit, au paragraphe 48 :

 

48        Il n’est pas contesté que le fardeau de preuve appartient au demandeur. La jurisprudence de notre Cour a établi que pour satisfaire à son fardeau, le demandeur devait démontrer que le service militaire est la cause principale de sa blessure ou de sa maladie et qu’il lui revient d’établir ce lien de causalité. (King c Canada (Tribunal des anciens combattants, révision et appel), 2001 CFPI 535 au para 65, 205 FTR 204 [King]; Leclerc c Canada (Procureur général) (1996), 126 FTR 94 aux para 18‑21, 70 ACWS (3d) 916 (CF 1re inst.); Boisvert, précité au para 26).

 

 

[36]           Dans cette décision, la juge disposait d’éléments de preuve très favorables émanant du chirurgien orthopédique du demandeur. Elle a écrit au paragraphe 60 :

 

60.       D’autre part, le Dr Leroux a émis une opinion non équivoque quant au lien de causalité entre la condition du demandeur et les tâches qu’il a exercées. Il a indiqué que les microtraumatismes avaient aggravé les deux conditions du demandeur.

 

[37]           Au lieu de « avaient », nous avons en l’espèce [traduction] « pouvait ». Je dois donc examiner la troisième question en litige.

 

3.         Le Comité a‑t‑il correctement apprécié la preuve eu égard à l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel)?

 

[38]           L’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) est énoncé en entier un peu plus haut dans les présents motifs. En bref, il exige que le Tribunal :

 

a)                  tire les conclusions les plus favorables possible au demandeur;

b)                  accepte tout élément de preuve non contredit qui lui semble vraisemblable;

c)                  tranche en faveur du demandeur toute incertitude quant au bien‑fondé de la demande.

 

[39]           En l’espèce, il n’y a pas de raison de douter de la crédibilité de la preuve émanant du Dr Killeen ou du Dr Connelly. Chacun d’eux a établi le fondement de son opinion, chacun d’eux a fait attention lorsqu’il a déclaré que la blessure [traduction] « pouvait » avoir été causée ou aggravée ou a « possiblement » été causée ou aggravée, par le service militaire du demandeur.

 

[40]           Par conséquent, il existe un élément de doute. Vu le manque de preuve contraire, et vu que les Forces armées ont choisi de ne pas examiner le demandeur ni d’apporter quelque élément de preuve que ce soit qui leur soit propre, l’alinéa 39c) de la Loi exige que le Tribunal tranche en la faveur du demandeur toute incertitude quant au bien‑fondé de la demande.

 

[41]           La décision du Tribunal n’était pas raisonnable parce que celui‑ci a tranché l’incertitude contre le demandeur au lieu d’en faveur du demandeur. L’affaire doit être renvoyée à un autre Comité pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

[42]           Le demandeur a demandé l’adjudication de dépens pour ses débours, estimés à 500 $ et je les lui accorderai.

 

 

 

 

JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS, LA COUR STATUE que :

 

 

1.                  La demande est accueillie.

 

2.                  L’affaire est renvoyée à une autre formation du Comité afin qu’elle rende une nouvelle décision.

 

3.                  Le demandeur a droit à des dépens de 500 $.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 


 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                              T-1683-12

 

INTITULÉ :                                            JAMES QUANN
c
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Ottawa

 

DATE DE L’AUDIENCE :                   Le 30 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                  Le juge Hughes

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                           Le 2 mai 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Roberto Ghignone

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Helene Robertson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Borden Ladner Gervais s.c.p.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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